[4,0] LIVRE QUATRIÈME I. Si tu veux vivre heureux, méprise l’opulence, Garde-toi de courir après l’or et l’argent : Au sein même de l'abondance L'avare des mortels est le plus indigent. II. Ce qui sert aux besoins dans l'usage ordinaire Ne te manquera pas, si tu sais en tout temps T'en tenir au seul nécessaire : Peu de chose suffit pour nous rendre contents. III. Sans soins, et dépourvu de la raison commune, Si tu réussis mal à conserver tes biens, D'aucun aveuglement n'accuse la fortune; Ses yeux sont meilleurs que les tiens. IV. N'aime l'argent que pour l'usage, Et de son vain éclat ne sois jamais épris: A ce trait on connaît le sage, Qui pour le métal seul ne sent que du mépris. V. Pense dans l'opulence à jouir de la vie, Ne te refusant rien pour la santé du corps : Le riche a des écus; mais, par la maladie, Il perd le plus grand des trésors. VI. Confié dans l'enfance aux soins d'un maître austère. Tu sus te soumettre à ses coups : Soumets-toi donc sans peine à l'empire qu'un père Veut exercer sur toi, lorsqu'il gronde en courroux. VII. Tâche en tout de tendre à l'utile; Prends garde que l'erreur n’y glisse son venin : Si le travail est difficile, Soutiens-le par l'espoir d'un salaire certain. VIII. Prête à qui la réclame une main généreuse Donne sans exiger aucun retour de lui : Aux yeux de l’âme vertueuse, C'est travailler pour toi que d'obliger autrui. IX. As-tu sur quelque point la moindre défiance ? Attentif à t'instruire, examine d'abord : La plus légère négligence Souvent gâte une affaire, et cause bien du tort. X. Combattu par l'incontinence, Dans ses honteux liens crains-tu d'être arrêté, Observe en tes repas la juste tempérance ; La crapule est unie avec la volupté. XI. Sur la timidité ne pouvant te contraindre, Si tu crains tous les animaux Considère que l'homme est beaucoup plus à craindre, Et capable lui seul de causer tous les maux. XII. Etant doué d'un corps vigoureux et robuste, Fais pour devenir sage un généreux effort : C'est alors qu'on parlera juste, Lorsqu'on te donnera le titre d'homme fort. XIII. Une peine d'esprit, un sujet de tristesse T'oblige à rechercher un salutaire avis: Pense qu'aux maux de cette espèce Les médecins sont les meilleurs amis. XIV. Pourquoi teindre l'autel du sang de tes victimes? L'animal innocent doit-il pour toi mourir? Sa mort n'efface pas tes crimes: Celui qui fait le mal doit lui-même périr. XV. Cherchant un compagnon fidèle, Et qui de l'amitié sache écouter tes lois, Ce n'est pas de ses biens l'estime criminelle, Mais sa seule vertu qui doit fixer ton choix. XVI. Fais de tes revenus un honorable usage ; De l'infâme avarice abhorre les liens. De ton or quel est l'avantage, Lorsque tu restes pauvre au milieu de tes biens ? XVII. Veux-tu par ta conduite acquérir quelque estime, Et parmi les méchants n'être point confondu, Evite la tache du crime Et l'appât dangereux du plaisir défendu. XVIII. Si tu prétends au nom de sage, Respecte la vieillesse en son infirmité : L'enfance est son triste apanage, C'est un tribut qu'on doit à la caducité, XIX. Bien que tu sois dans l'opulence, A cultiver les arts donne ton premier soin. De la fortune un jour si tu sens l'inconstance, L'art te reste, et jamais ne te manque au besoin. XX. Pèse au dedans de toi, sans le faire paraître, Ce que pense un chacun, en l'entendant parler: Souvent son discours fait connaître Ses mœurs, ce qu'il veut dire, et ce qu'il veut celer. XXI. L'étude en chaque état n'est pas sans avantage : De quelque art que tu soie sache en tirer du fruit ; De même que la main se forme par l'usage, Par l'étude on forme l'esprit. XXII. Ne t'abandonne point à la funeste envie De savoir le moment décisif de ton sort : Quiconque s'accoutume à mépriser la vie, Voit sans crainte approcher la mort. XXIII. D'un plus savant que toi ne cesse point d'apprendre ; Toi-même instruis les ignorants. La science est un bien qu'il faut partout répandre, Et qu'on doit préférer aux trésors les plus grands. XXIV. Ne bois du vin qu'autant que le besoin l'exige. Si tu veux prudemment conserver la santé: Souvent le mal qui nous afflige Est l'enfant de la volupté. XXV. As-tu sur certain fait donné quelque louange, Qui, dans le monde, ait éclaté, Prends garde qu'aussitôt ton langage ne change Par esprit de légèreté. XXVI. Quand tu te vois tranquille au milieu des richesses, Prends tes précautions contre l'adversité Et dans les plus grandes détresses, Espère le retour de la prospérité. XXVII. Jour et nuit ne cesse d'apprendre: La sagesse ne croit que par des soins constants; Et la rare prudence, à laquelle on doit tendre, N'est que le fruit tardif du travail et du temps. XXVIII. Loue avec retenue, évitant de paraître Du mérite d’autrui follement entêté Peut-être un jour viendra qui te fera connaître Quel est cet ami tant vanté. XXIX. Fais-toi gloire d'apprendre, étant dans l'ignorance; Et pour croître en savoir, ne néglige aucun soin; C'est vertu d'aimer la science, Et vice de rougir de s'instruire au besoin. XXX. Vénus avec Bacchus a souvent des querelles, Qui troublent les plaisirs des sens : Crains de pareils débats les suites criminelles ; Ne te livre jamais qu'aux plaisirs innocents. XXXI. Sur l'homme taciturne et d'humeur nonchalante, Pour la société ne fais jamais de fonds: C'est où l’onde paraît dormante Qu'elle cache souvent des abymes profonds. XXXII. Peu satisfait du train que prennent tes affaires, Considère l'état où sont celles d'autrui; S'il a des revers moins contraires, Si tu dois l'estimer plus malheureux que lui. XXXIII. Mesure à ton pouvoir la grandeur de l’ouvrage: Le plus sûr, à qui veut fendre les flots amers, Est de ramer près du rivage, Plutôt que de cingler vers le plus haut des mers. XXXIV. Par l’effet d'une haine injuste et criminelle, N'entre point en procès contre un homme de bien: Le ciel, en semblable querelle, Du juste qu'on opprime est toujours le soutien. XXXV. Si la perte des biens te met dans la détresse, En ton affliction sois sage et retenu; Mais montre une juste allégresse, Si tu vois par hasard grossir ton revenu. XXXVI. Souvent il arrive des pertes Qu'on ne peut supporter d'un esprit bien soumis, Mais qui par point d'honneur doivent être souffertes, Lorsqu'il faut ménager quelqu'un de ses amis. XXXVII. N’étant point assuré du temps que tu dois vivre, Envisage de près le moment du trépas: Comme vois ton ombre attachée à te suivre, La mort te suit à chaque pas. XXXVIII. Viens offrir à ton Dieu l'encens et la prière ; Laisse pour le travail croître les animaux, Et ne crois pas du Ciel apaiser la colère, En versant le sang des taureaux. XXXIX. Cède à la force ouverte, et supporte l'empire D'un grand que tu dois ménager : S'il a le pouvoir de te nuire. Peut-être dans la suite il saura t'obliger. XL. As-tu fais quelque faute, en juge inexorable Toi-même tu dois te punir : Ainsi que le malade, il faut que le coupable Prenne un remède amer, et souffre pour guérir. XLI. Ne vas pas en public censurer la conduite D'un homme qui longtemps fut un de tes amis; Bien qu'il ait changé dans la suite, Pense toujours aux nœuds qui vous avaient unis. XLII. Montre-toi vivement sensible aux bons offices Que dans l'occasion quelqu'un t'aura rendus, Et n'imite pas ceux près de qui les services Et les plus grands soins sont perdus. XLIII. Ne sois point d'une humeur soupçonneuse et timide, Les hommes les plus malheureux Sont ceux en qui la crainte et le soupçon réside ; La mort, en quelque sorte, est moins triste pour eux. XLIV. Commandant aux valets qui soignent ton ménage, Epargne-les dans leur emploi : Pense, quand tu les vois gémir dans l'esclavage, Qu'ils sont tes serviteurs, mais hommes comme toi. XLV. Dès que l'occasion devant toi se présente, Apporte tous tes soins pour pouvoir la saisir; Quelquefois vainement on tente Ce qu'on a négligé de faire réussir. XLVI. Ne fais point éclater ta joie Quand tu vois les méchants surpris par le trépas. Heureux qui vit sans crime, et dans la douce voie Termine sa course ici-bas. XLVII. Ton destin malheureux t'a fait prendre une femme Qui n'a ni grand bien, ni pudeur : D’ami de tes amants fuis le surnom infâme. De crainte d'ajouter le crime au déshonneur. XLVIII. Quelque instruit que tu sois, pense que la science Doit augmenter chez toi de toutes les façons : Fuis cette vaine suffisance Qui ne veut pas d'autrui recevoir les leçons. XLIX. Tu t'étonnes que j'écrive des vers en mots simples, la brièveté exige d'unir l'un et l'autre.