[21,0] LIVRE XXI (fragments). [21,0] I. La cupidité tient le premier rang entre les vices qu’il importe le plus à l’homme de fuir : d’autant que la recherche continue de son avantage propre le conduit bientôt à l’injustice ; ce qui jette dans les plus grands malheurs, non seulement les hommes en général, mais plus particulièrement encore les Rois et les Souverains. Antigonus par exemple, Roi de l’Asie, faisant la guerre à quatre autres Rois ligués ensemble, à savoir, Ptolémée fils de Lagus Roi d’Egypte, Séleucus Roi de Babylone, Lysimachus Roi de Thrace, Cassander fils d’Antipater Roi de Macédoine, tomba percé de flèches dans une bataille qu’il leur donnait. Il fut néanmoins enseveli d’une manière convenable à son rang. Son épouse Stratonice qui demeurait alors dans la Cilicie et son fils Démétrius se transportèrent avec toutes leurs richesses à Salamine ville de Chypre, que Démétrius s’était soumise. [21,2] II. Agathocle Roi de Sicile délivra Corcyre que Cassandre assiégeait par mer et par terre, sur le point qu’elle allait être prise, en mettant le feu à la flotte Macédonienne qui fut consumée dans cet embrasement. Le sort de la guerre est quelque chose de bien incertain. L’ignorance et la méprise y ont quelquefois un succès plus heureux que la valeur et l’habileté. [21,3] III. Agathocle à son retour de Corcyre étant venu rejoindre son armée et apprenant que des soldats de la Ligurie et de Toscane, qui avaient tué son fils Archagatus en Afrique et emporté la dépouille, étaient venus s’enrôler dans ses troupes en son absence, les fit égorger tous au nombre de deux mille qu’ils se trouvèrent. Les Bruttiens ayant paru mécontents de cette sévérité, Agathocle assiège leur ville nommée Etha. Mais ces barbares l’ayant attaqué subitement dès la nuit suivante lui tuèrent quatre mille hommes ; ce qui le fit revenir à Syracuse. [21,4] IV. Agathocle ayant armé une flotte passa en Italie et dans le dessein d’assiéger Crotone, il fit avertir Menedème tyran de cette ville, et dont il se disait ami, de ne point s’effrayer en vain, parce que l’unique objet de son armement était d’envoyer marier sa fille en Épire dans un équipage convenable à son rang. Par cette feinte il trouva la ville sans défense et l’environnant dans toute l’étendue de son rivage, il fit tomber à coups de pierres la plus grande maison du port dans le fossé dont il l’avait entourée. A cet aspect les Crotoniates lui ouvrant toutes leurs portes le reçurent dans leur ville avec son armée entière : les soldats se jetant dans les maisons des particuliers les pillèrent et y massacrèrent même tous ce qu’ils y trouvèrent de citoyens. Agathocle fait ensuite alliance d’armes avec les Yapiges et les Peucetiens, barbares de ces cantons, auxquels il fournit des bâtiments pour pirater à condition de partager leurs prises. Laissant enfin une garnison à Crotone, il revient à Syracuse. [21,5] V. Diallus auteur athénien a fait vingt-six livres de l’histoire de tout ce qui s’est passé dans le monde entier et Psaon de Platées en a donné trente en continuation de la précédente. [21,6] VI. Dans la guerre des Etrusques, des Gaulois, des Samnites et de leurs alliés, le consul Fabius fit périr cent mille hommes suivant le témoignage de l’Historien Duris. [21,7] VII. Antipater fils de Cassander tue sa mère par jalousie du gouvernement. Il tue par le même motif son frère Alexandre, qui avait demandé le secours du roi Démétrius. Mais ensuite Démétrius tue Antipater lui-même, pour n’avoir point tant de concurrents au titre de Roi. [21,8] VIII. Agathocle ayant rassemblé ses forces, passe en Italie à la tête de trente mille hommes de pied et trois mille chevaux. Ayant confié sa flotte à Stilpon, il le charge de pirater sur la côte des Bruttiens. Celui-ci exécutant cet ordre fut assailli d’une tempête qui lui fit perdre un grand nombre de vaisseaux. Cependant Agathocle assiégeant la ville des Hipponiates, la prit à force de machines. La nation entière des Bruttiens effrayée de ce succès, lui envoye des ambassadeurs pour traiter de la paix avec lui. Il écoute les propositions et reçoit des otages de leur part. Après quoi, laissant une garnison dans la ville qu’il avait prise, il revient à Syracuse. Les Bruttiens violant leur serment, attaquent cette garnison en son absence et la défont entièrement ; ensuite de quoi ils lui enlèvent les otages dont elle était dépositaire et se délivrent eux-mêmes de toute dépendance d’Agathocle. [21,9] IX. Le roi Démétrius ayant assiégé et pris Thèbes qui s’était révoltée pour la seconde fois ne fit mourir que dix hommes auteurs de cette révolte. [21,10] La plupart des généraux d’armée qui tombent dans l’adversité suivent les impressions de la multitude qu’ils ne veulent pas mettre contre eux. [21,11] {sans traduction} [21,12] {sans traduction} [21,13] {sans traduction} [21,14] {sans traduction} [21,15] XV. Agathocle envoie son fils de même nom que lui à Démétrius pour lui offrir son amitié et lui proposer une ligue offensive et défensive. Le Roi reçut gracieusement ce jeune homme et lui ayant fait prendre un vêtement royal, le renvoya comblé de présents. Il le fit accompagner dans son retour par un de ses amis nommé Oxythème, sous l’apparence de sceller cette union ; mais en effet pour se préparer l’invasion de la Sicile, dont il chargea son envoyé d’examiner la position. [21,16] XVI. Le Roi Agathocle depuis assez longtemps en paix avec les Carthaginois, met sur pied une grande armée navale. Il se disposait à repasser dans la Libye et à lui couper le transport des blés qu’elle tirait de la Sardaigne et de la Sicile. Car les Carthaginois ayant acquis par la dernière guerre l’empire de la mer, paraissaient avoir mis leur patrie en sûreté. Agathocle avait alors deux cents galères à quatre ou six rangs de rame. Mais il ne mit point son dessein à exécution pour les raisons suivantes. Un jeune homme de la ville d’Aegeste appelé Maenon ayant été pris dans le sac de cette ville avait été donné comme esclave à Agathocle à cause de sa beauté. Il fit semblant pendant quelque temps d’être satisfait de sa fortune, qui le mettait au rang des amis du Roi ; mais comme il déplorait au fond le désastre de sa patrie et la honte de sa fonction, il attendait le moment de se venger de l’un et de l’autre. Le Roi qui devenait vieux avait déjà donné le commandement des troupes qui servaient en campagne à son petit-fils Archagarthus. Celui-ci était le fils de l’Achargathus qui avait été tué en Afrique et par conséquent petit-fils d’Agathocle. C’était un jeune homme d’une hardiesse et d’un courage extraordinaire. Pendant qu’il campait au pied du mont Aetna, le Roi qui voulait faire passer sa couronne sur la tête de son fils Agathocle, le recommande d’abord aux Syracusains et leur présente comme son successeur. Après quoi il envoie à son camp chargé d’une lettre par laquelle il ordonnait à Archagathus de remettre à ce jeune homme le commandement des troupes de mer et de terre. Archagathus voyant que la succession de son aïeul passait en d’autres mains que les siennes, songe à se défaire des deux Agathocles, père et fils. Il dépêche un courrier à Maenon d’Aegeste par l’entremise duquel il le fait solliciter d’empoisonner le Roi même : et de son côté faisant célébrer une fête dans une île où devait aborder le jeune Agathocle, il l’enivra et l’étrangla à la fin d’un grand repas. Mais son corps jeté ensuite dans la mer fut retrouvé par quelques insulaires qui l’ayant reconnu le portèrent à Syracuse. [21,17] D’un autre côté, comme le Roi ne manquait jamais de s’écurer les dents avec une plume au sortir du repas, il en demanda une à Maenon. Celui-ci avant de la lui donner, eut soin de la faire tremper dans le poison le plus violent. Agathocle s’en servant sans aucune méfiance, remplit ses gencives d’un venin corrosif, qui leur causèrent d’abord des inquiétudes, ensuite des douleurs extraordinaires et enfin une pourriture irrémédiable. Se voyant près de sa fin, il fit assembler le peuple, auquel in dénonça le crime d’Archagathus, dont il lui demandait vengeance ; en ajoutant qu’il était lui-même sur le point de rendre la liberté à Syracuse. Oxythemis envoyé depuis quelque temps auprès de lui par Démétrius, le mit sur un bûcher encore vivant, dit-on, mais hors d’état par la violence du venin de prononcer une parole. C’est ainsi que mourut Agathocle, après avoir fait lui même un nombre effroyable de meurtres et comblé la mesure de ses cruautés à l’égard de ses compatriotes et de ses impiétés envers les dieux. Il avait régné vingt- huit ans et vécu soixante et douze, suivant le témoignage de Timée de Syracuse, de Callias de la même ville qui a laissé une histoire en 22 livres et d’Antander frère d’Agathocle qui a écrit lui-même une histoire. Le peuple rentrant alors en liberté, mit à l’encan les biens du tyran et brisa toutes les images. Maenon auteur de la mort du roi s’étant échappé de Syracuse, se tenait dans le camp d’Archagathus et se vantant d’avoir détruit la tyrannie, il tua aussi Archagathus en secret : gagnant ensuite les soldats par des paroles insinuantes, il résolut de faire la guerre à Syracuse et d’en acquérir la domination. [21,18] XVIII. Les Syracusains choisirent leur préteur Hicetas pour s’opposer à Maenon. Celui-ci ne cherchant qu’à éloigner le combat ne se mettait point en bataille et n’avait en vue que de prolonger la guerre ; lorsque les Carthaginois se joignirent à lui. Les Syracusains se virent alors obligés, vu leur petit nombre en comparaison de l’armée ennemie de renoncer à la guerre et de recevoir leurs bannis. Mais leurs soudoyés se voyant privés dans l’élection aux magistratures de la part qu’on leur avait promise, la ville se remplit de tumulte et les deux partis commençaient à s’armer l’un contre l’autre. Les magistrats qu’on avait chargés d’empêcher cette sédition par des exhortations adressées aux uns et aux autres, eurent bien de la peine à en venir à bout. Ils parvinrent néanmoins par leurs représentations à obtenir qu’au bout d’un temps marqué, les soudoyés se défaisant de toutes leurs acquisitions dans la Sicile, sortiraient de la capitale. Ces étrangers abandonnant enfin volontairement Syracuse, furent reçus à Messine comme amis et compagnons d’armes. Mais dès la nuit suivante, ils égorgèrent leurs hôtes et épousant ensuite leurs femmes, ils se rendirent maîtres de cette ville et la nommèrent Mamertine, du nom de Mars, qui dans leur dialecte s’appelle Mavers. Sentence détachée {Ceux qui ne participent pas au gouvernement du peuple n’ont pas droit de donner leurs voix pour l’élection d’un chef du sénat.} [21,19] {sans correspondance} [21,20] {sans correspondance} [21,21] Autant qu’il est avantageux de se rendre terrible aux ennemis, autant est-il louable d’être doux et officieux envers ses compatriotes. Si dans un temps où vous ne connaissez pas vos véritables intérêts, vous vous êtes laissés gagner par des discours séducteurs : aujourd’hui que des événements sinistres nous ont instruits, c’est à vous à suivre d’autres maximes. Car enfin, il n’y a rien de si naturel à l’homme que de se tromper en quelques rencontres dans le cours de sa vie, mais de retomber plusieurs fois dans la même faute en des circonstances toutes semblables, c’est véritablement renoncer à la raison. Les dernières fautes méritent toujours une plus grande punition que les premières. Quelques- uns de nos citoyens en sont venus à ce point d’aveuglement que de se flatter de rendre leur maison plus illustre aux dépens de la patrie. Celui qui est capable de maltraiter ceux qui portent du secours aux malheureux, comment traiteront-ils les malheureux mêmes ? Il faut pardonner à ceux qui ont commis des fautes et du reste se tenir en repos. Ce ne sont pas ceux qui ont commis des fautes qu’il faut punir sévèrement, ce sont ceux qui ne se corrigent pas après les avoir commises. Dans la conduite de la vie, la douceur est bien supérieure à la colère et la clémence aux punitions. {21,21bis} Il est important de mettre fin aux inimitiés et d’en venir à la réconciliation. Rien n’invite plus un homme à se raccommoder avec ses amis que de se sentir tomber dans la misère. Il est de la nature de l’homme de souhaiter l’accroissement de son bien. Un souverain qui entre dans une ville libre doit laisser chez lui l’air et le ton de commandant et les habits qui sentiraient l’autorité de la tyrannie, pour ne montrer au dehors que le maintien et les vêtements ordinaires aux citoyens chez lesquels il se trouve. Tout homme sorti du sang royal et qui se voit héritier d’une couronne, doit vouloir succéder à la gloire de ses ancêtres : car il serait honteux de porter le nom de Pyrrhus fils d’Achille et de ne représenter que Thersite par les actions. Plus un homme aura acquis de gloire, plus il aura d’obligation à ceux auxquels il sera redevable de ses heureux succès. Je conclus de là que celui qui peut parvenir à son but avec honneur et à la satisfaction des autres a grand tort d’y tendre par des voies honteuses et qui lui attirent la haine et les reproches de tout le monde. O hommes qui m’écoutez, il est beau de tirer des fautes des autres une leçon qui nous conduise à notre tranquillité et à notre bonheur. On ne doit pas préférer l’alliance avec les étrangers à celle de ses compatriotes, ni attendre plus de bienveillance de la part des ennemis de notre nation que de nos propres citoyens.