[15,0] Livre XV. [15,1] I. NOUS avons fait jusqu'ici un usage fidèle et constant de la liberté et de l'autorité de l'Histoire, qui donne aux bonnes actions les louanges qu'elles méritent, et qui attache aux mauvaises l'opprobre qui leur est dû. La conduite que nous avons tenue à cet égard, nous fait espérer que les âmes bien nées seront portées à la vertu par l'immortalité de la gloire qui l'accompagne ; et que ceux-mêmes qui auraient apporté en naissant des inclinations perverses, en arrêteront les effets pernicieux par la crainte des reproches éternels qu'ils attireraient sur leur mémoire. (2) C'est dans cette vue que nous voyant arrivés au temps où les Lacédémoniens furent vaincus à Leuctres, malgré les apparences les plus favorables pour eux ; et où cette première défaite fut suivie à Mantinée d'une seconde qui leur fit perdre la supériorité qu'ils avaient eue longtemps sur toute la Grèce : nous croyons suivre le plan général que nous nous sommes proposé , en faisant voir avant toutes choses, combien était juste de la part des Dieux la punition des Lacédémoniens. (3) Et qui en effet pourrait ne pas condamner un peuple qui ayant reçu de ses fondateurs une autorité bien établie, et qui par la sagesse d'une longue suite d'ancêtres l'ayant conservée pendant cinq cents ans, la perd par la démence et surtout par les injustices où tombe cette indigne postérité. Les premiers Spartiates ne devaient la puissance où ils étaient parvenus qu'à des guerres périlleuses et même sanglantes : mais du moins ils avaient adouci le joug des vaincus en usant à leur égard d'équité et d'humanité, au lieu que leurs descendants traitèrent leurs alliés , avec beaucoup de violence et d'injustice. Ils firent même aux autres Grecs diverses querelles qui n'avaient pour fondement qu'un orgueil insensé de leur part , et qui n'eut aussi pour fin que leur propre chute. (4) Dès qu'on vit leur fortune ébranlée ; tous ceux qu'ils avaient offensés se préparèrent à leur vengeance particulière; bientôt ces hommes dont les aïeux étaient invincibles, tombèrent dans le mépris qui est du à tous ceux qui dégénèrent de la vertu de leurs ancêtres. (5) Ce fut ainsi que les Thébains qui les regardaient depuis plusieurs générations, comme supérieurs à eux par la valeur, les ayant vaincus contre leur propre espérance devinrent eux-mêmes les chefs de la Grèce ; et les Lacédémoniens ayant une fois perdu ce titre, ne purent jamais revenir à leur ancienne réputation. (6) Pour nous, après ce court préambule que nous avons cru devoir à la vérité et à la justice ; nous allons rentrer dans l'ordre des temps Ainsi le Livre précédent qui a été le 14e de notre Histoire, ayant exposé la captivité où Denys réduisît les habitants de Rhéges, et la prise de Rome par les Gaulois deux événements qui ont précédé l'année de la descente des Perses en l’île de Chypre contre le roi Évagoras: nous commencerons ce Livre par le récit de cette guerre , et nous le finirons à l'année qui précède immédiatement l'avènement de Philippe fils d'Amyntas au trône de Macédoine. [15,2] II. MYSTICHIDÉS étant archonte d'Athènes et Rome ayant au lieu de consuls trois tribuns militaires, M. Furius, Caius et Aemilius ; Artaxerxès roi de Perse arma contre Évagoras roi de Chypre. Le premier faisait depuis longtemps de grands préparatifs pour avoir des troupes de terre et de mer. Celles de terre en y comprenant la cavalerie, montaient à plus de trois cents mille hommes et sa flotte était composée de trois cents vaisseaux. (2) Il donna pour chefs à son armée de terre Orontas son gendre , et il mit a la tête de sa flotte Téribaze, homme d'une grande considération parmi les Perses. Ces deux généraux ayant assemblé leurs forces l'un dans la Phocide asiatique, et l'autre à Cume dans l'Asie Mineure, se réunirent dans la Cilicie et partant ensemble pour l'île de Chypre ils se préparaient à l'attaquer vivement. (3) Évagoras de son côté fit alliance avec Acoris roi d'Égypte alors ennemi des Perses , et il tira de lui un secours considérable de troupes. Ecatomnus souverain particulier de la Carie, avec lequel il avait des intelligences secrètes, lui fournit aussi des sommes considérables pour l'entretien de ses troupes étrangères. Enfin plusieurs autres ennemis ou déclarés ou couverts qu'avaient les Perses, participèrent à cette guerre d'une manière convenable à leur situation. (4) Évagoras avait en son pouvoir la plus grande partie des villes de Chypre ; et il était outre cela maître de Tyr et de quelques autres villes de la Phénicie. Ainsi il forma une flotte de quatre-vingt-dix voiles, dont il y en avait vingt de Tyr et soixante et dix de l'île de Chypre. Ses propres soldats montaient à six mille hommes, mais ses alliés lui en avaient envoyé bien davantage et les trésors qu'il avait amassés lui en fournirent un plus grand nombre encore d'étrangers stipendiaires. Le roi des Arabes et quelques autres princes jaloux de la puissance des Perses lui prêtèrent aussi du secours. [15,3] 3. Évagoras comptant sur toutes ces forces se présenta hardiment devant l'ennemi. Comme il avait dans son armement beaucoup de ces barques légères dont les corsaires sont usage, il les mena d'abord au devant des vaisseaux de charge qui portaient les provisions des ennemis de sorte qu'il en coula à fond quelques-uns, il en prit d'autres et empêcha les derniers de rejoindre leur flotte. Il arriva de là que les vaisseaux de guerre des Perses, ayant déjà débarqué un grand nombre de soldats dans l'île de Chypre, ces derniers tombèrent en peu de jours dans la disette par la crainte qui empêchait les entrepreneurs des vivres d'en approcher. (2) La faim produisit bientôt la révolte. Les soudoyés des Perses se soulevèrent contre leurs capitaines et en ayant tué quelques- uns ils remplirent tout le camp de sédition et de désordre. Ce ne fut pas sans beaucoup de peine que les officiers principaux et le lieutenant général nommé Gaos apaisèrent ce tumulte. (3) Ils ramenèrent toute la flotte vers les côtes de la Cilicie, où ils se pourvurent abondamment de tout ce qui leur était nécessaire. A l'égard d'Évagoras, le roi Acoris lui avait envoyé de l'Égypte de l'argent et des provisions en abondance. (4) Mais comme il sentait que son armée navale était trop inférieure à celle des ennemis, il fit équiper encore soixante vaisseaux et en demanda cinquante autres à Acoris : de sorte que sa flotte entière montait à deux cents voiles. Il la prépara à de vrais combats de mer par des exercices violents et périlleux, et auxquels il donnait peu de relâche. Ce fut sur la confiance qu'il s'était procurée à lui-même, par ces préparatifs, que la flotte du roi de Perse passant à la hauteur de Citium ville de Chypre, (5) Évagoras à la tête de la sienne se jeta sur elle et tombant en bon ordre sur des vaisseaux mal arrangés et qui ne s'y attendaient pas, il eut d'abord tout le succès dû à une attaque bien disposée : il sembla même s'assurer la victoire dès le premier moment. En effet il coula à fond une partie des vaisseaux ennemis et se rendit maître de l'autre. (6) Cependant Gaos et les autres officiers perses ayant eu le temps de se reconnaître, formèrent une véritable défense et ayant rendu peu à peu le combat égal, le désavantage passa à la fin du côté d'Évagoras. Il commença à céder et bientôt après toute la flotte ennemie tombant sur la sienne lui fit perdre un grand nombre de vaisseaux et le mit en fuite. [15,4] 4. Les Perses abordés à Citium y firent à leur aise le débarquement de leurs troupes de terre et de mer et y établissant leur place d'armes, ils partirent de là pour Salamine qu'ils assiégèrent par mer et par terre. (2) Teribaze d'abord après le gain de la bataille navale repaira en Cilicie, et allant ensuite à la Cour, il annonça au Roi la nouvelle de la victoire que sa flotte venait de remporter et reçut de lui deux cents talents pour la continuation de cette guerre. Évagoras qui avant le combat de mer s'était encouragé par quelque avantage qu'il avait eu sur des troupes nouvellement débarquées, fut extrêmement abattu par la défaite qu'il venait d'essuyer sur mer et qui avait été suivie sur le champ du siège de sa capitale où on l'enfermait. (3) Cependant résolu de se défendre jusqu'à la fin, il confia la garde de la ville et de l'île entière à son fils Pythagoras et lui-même accompagné de dix galères partit la nuit à l'insu des ennemis et arriva en Égypte, où ayant abordé le roi Acaris, il le pressa vivement de s'intéresser à cette guerre et de lui prêter de puissants secours contre le roi de Perse, qui n'était pas moins l'ennemi de l'Égypte que de Chypre même. [15,5] 5 - (III). PENDANT que ces choses se passaient, les Lacédémoniens résolurent de porter la guerre à Mantinée, malgré les traités de paix qu'ils avaient signés. Voici quel fut leur motif pour former cette entreprise. La paix ayant été faite entre la Perse et les Grecs par le ministère d'Antalcide, toutes les villes, comme on en était convenu par le traité, avaient mis dehors les garnisons qui leur étaient étrangères et se gouvernaient par elle-mêmes. Les Lacédémoniens que leur inclination portait à la guerre et qui aimaient à dominer, regardaient la paix comme un fardeau pesant pour eux et ayant regret à l'autorité qu'ils avaient autrefois exercée, ils ne cherchaient qu'à faire changer la face présente des choses. (2) Ils troublaient par leur émissaires l'intérieur des villes de la Grèce et travaillaient à y exciter du mécontentement et du tumulte de sorte que quelques-unes ne se portèrent que trop à favoriser sans le savoir leurs mauvaises intentions. Plusieurs d'entr'elles sous prétexte que leur propre gouvernement leur était rendu, s'avisèrent de rechercher la conduite de ceux qui les avaient gouvernées sous l'autorité des Lacédémoniens. Comme la mémoire encore récente des outrages qu'on avait essuyé de leur part les faisait poursuivre vivement et qu'on en bannissait plusieurs, les Lacédémoniens prirent hautement la défense des opprimés : (3) ils en ramenaient quelques-uns à main armée dans les villes dont on les avait fait sortir et se rendirent ainsi maîtres eux-mêmes de celles qui ne se trouvèrent pas en état de se défendre. Après quoi attaquant en forme les plus considérables, il les réduisirent à leur ancienne dépendance. En un mot ils ne se tinrent pas deux ans entiers dans les termes du traité général. La ville de Mantinée qui se trouvait dans leur voisinage et qui était remplie de citoyens courageux leur sembla disposée à prendre de trop grands accroissements à la faveur de la paix ; et ils crurent qu'il était de leur intérêt de la tenir dans la médiocrité et dans la modestie. (4) Ainsi ils envoyèrent des députés par lesquels ils enjoignaient aux citoyens d'abattre incessamment leurs murailles et de retourner dans les cinq bourgs ou villages qu'ils habitaient auparavant et d'où ils étaient sortis, pour se réunir tous ensemble dans Mantinée. Cet ordre n'ayant eu aucun effet, ils assemblèrent des troupes et allèrent assiéger cette ville. (5) Ceux de Mantinée firent partir aussitôt des ambassadeurs pour demander du secours aux Athéniens. Ceux-ci s'excusèrent de leur en donner sur les conventions de la paix universelle de sorte que les Mantinéens réduits à se défendre tout seuls, le firent avec beaucoup de constance et de courage. C'en par là que les guerres recommencèrent bientôt dans la Grèce. [15,6] 6 (IV). EN Sicile le tyran Denys délivré des Carthaginois jouissait d'un grand repos et d'un grand loisir. Il se remit à faire des vers et il y apportait beaucoup de soin et de travail. Il assemblait dans son palais tous ceux qui avaient de la réputation en ce genre et il se soumettait à leur jugement et à leurs avis. Enflé des louanges que ses présents ne manquaient point de lui attirer de leur part, il mettait la gloire de son talent poétique bien au-dessus de celle que ses exploits guerriers lui avaient acquise. (2) Entre les poètes admis dans sa familiarité, Philoxène homme célèbre dans le genre dithyrambique, ayant entendu la lecture qu'on venait de faire en pleine table d'un mauvais poème de Denys, le tyran lui en demanda son jugement. Philoxène le lui ayant dit avec un peu trop de sincérité, Denys irrité de sa réponse lui reprocha qu'il n'en parlait ainsi que par jalousie et donna ordre sur le champ à ses officiers de mener Philoxène aux Carrières. (3) Dès le lendemain les amis du poète obtinrent sa grâce et il lui fut même permis de se présenter à la table du tyran. comme la veille. Quand le vin eut un peu animé la conversation, Denys exaltant toujours ses vers récita un morceau dans lequel il croyait avoir particulièrement réussi. Après quoi il demanda à Philoxène comment il le trouvait. Celui-ci ne lui répondit rien : mais regardant les officiers qui servaient à table, il leur dit, remmenez-moi aux Carrières. (4) Cette saillie ayant fait rire tout le monde et Denys lui-même suspendit pour lors sa colère. Quelque temps après comme Denys et sa compagnie blâmaient ensemble l'indiscrétion des discours , Philoxène avança une proposition qui tenait du paradoxe, ou plutôt il s'engagea lui-même à une promesse difficile à exécuter. Car il dit que dans ses réponses, il trouverait toujours moyen de dire la vérité et de conserver les bonnes. grâces du maître. Il en donna même bientôt la preuve : (5) car Denys ayant récité un jour des vers sur un sujet triste et lamentable, et demandant ensuite comment on les avait trouvés, Philoxène répondit qu'ils avaient excité en lui une véritable pitié : réponse qui présentait deux sens d'une manière si heureuse que Denys lui-même y fut trompé et il répliqua qu'il n'appartenait qu'aux grands poètes de porter la compassion jusqu'au fond de l'âme de leurs auditeurs. Il fut pourtant le seul de l'assistance qui prit les paroles de Philoxène pour un éloge ; et tous les autres comprirent fort bien qu'elles n'indiquaient dans leur vrai sens que la misère de l'ouvrage. [15,7] 7. Le philosophe Platon essuya de la part du tyran des disgrâces à peu près semblables. Ayant été invité à venir le voir, Denys le reçut d'abord avec de grands témoignages d'estime et parut même respecter en lui cette liberté digne de la Philosophie. Mais offensé dans la suite de la fermeté de quelques-uns de ses discours, il le prit véritablement en haine et l'ayant fait conduire dans le marché des esclaves, il le vendit pour vingt mines. Quelques philosophes qui se réunirent à ce dessein le rachetèrent et le renvoyèrent dans la Grèce en lui disant en amis, qu'un philosophe ne devait voir les tyrans que très rarement s'il ne savait pas employer la douceur des paroles à leur égard. (2) Denys perpétuellement enivré de sa poésie envoya encore une fois aux jeux olympiques d'excellents déclamateurs pour y réciter ses vers devant la nombreuse assemblée qui se formait-là. Ces déclamateurs attirèrent d'abord une grande foule autour d'eux par la force et par la flexibilité de leur organe. Mais le fond des choses se manifestant bientôt, on passa du dégoût à des éclats de risée dont ils furent accablés. (3) Denys apprenant ce triste succès, en fut véritablement désolé et son chagrin prenant tous les jours de nouvelles forces, il tomba dans une espèce de frénésie. Croyant que tout le monde devenait jaloux de son talent, il soupçonna ses propres amis de vouloir le perdre : sa rage alla jusqu'au point de faire mourir quelques-uns d'entr'eux pour de faux crimes qu'il leur imputait ; et il en exila un assez grand nombre. Son frère Leptine et Philistus furent eux-mêmes de ces derniers avec plusieurs autres officiers très braves gens et qui lui avaient été d'un grand recours dans toutes ses guerres. (4) Ils se réfugièrent chez les Thuriens en Italie où ils s'acquirent beaucoup de considération : de sorte que Denys lui-même jugea à propos de les rappeler; et les ayant reçus à Syracuse, il les rétablit dans ses bonnes grâces. Leptine épousa dans la suite la fille de Denys. Ce sont là les principaux événements de cette année. [15,8] 8. DEXITHÉE étant archonte d'Athènes, les Romains firent consuls L. Lucrétius et Servilius Sulpitius. En ce temps-là Évagoras roi de Salamine revint de l'Égypte dans l'île de Chypre, avec l'argent que le roi Acoris lui avait fourni mais en moindre quantité qu'il ne l'avait espéré ; il trouva sa capitale extrêmement pressée par les ennemis, et ne pouvant plus compter sur ses alliés, il fut contraint d'entrer en négociation avec les assiégeants. (2) Téribaze qui avait toute l'autorité dans l'armée des Perses, répondit qu'on ferait la paix si Évagoras abandonnait toutes les villes de Chypre et que se contentant de demeurer roi de Salamine, il payât un tribut annuel au roi de Perse, auquel il serait soumis d'ailleurs comme un serviteur à son maître. (3) Quelque dures que ces conditions pussent être, Évagoras n'excepta que la comparaison du serviteur à son maître, et consentit d'ailleurs d'être un roi dépendant du roi de Perse. Téribaze ayant refusé cet adoucissement, Orontas chef des troupes de terre, et qui portait envie au poste de Téribaze, écrivit secrètement au Roi une lettre contre lui. (4) Il disait d'abord que le général qui aurait déjà pu prendre Salamine de force, prolongeait le siège par des députations réciproques, où l'on proposait des nouveautés contraires au service du Roi : que d'ailleurs Téribaze ami des Lacédémoniens tramait avec eux une alliance particulière et personnelle ; jusque-là qu'on avait envoyé consulter la Pythonisse sur une révolte que l'on préparait : enfin que l'on tâchait de gagner tous les officiers de l'armée par des honneurs, par des présents et par des promesses. (5) Le roi de Perse ayant reçu cette lettre ajouta foi à ces accusations, écrivit à Orontas de se saisir de Téribaze et de le lui envoyer. Orontas exécuta volontiers cet ordre : Téribaze amené devant le Roi demanda qu'on instruisit son procès dans les formes et aussitôt il fut conduit en prison. Cependant comme le Roi était alors en guerre contre les Cadusiens, il suspendit la poursuite de cette affaire et en renvoya l'examen à un autre temps. [15,9] 9. Orontas qui avait été chargé de continuer le siège en l'absence de Téribaze, voyant qu'Évagoras se défendait avec la même vigueur qu'auparavant et s'apercevant de plus que les troupes mécontentes de la disgrâce de Téribaze respectaient peu les ordres de son successeur et se dégoûtaient des travaux du siège, commença à craindre quelque événement fâcheux pour lui-même. Ainsi il envoya des députés à Évagoras pour lui proposer la paix aux mêmes conditions précisément qu'il avait acceptées de la part de son prédécesseur. (2) Évagoras qui se vit heureusement délivré de la captivité qu'il avait à craindre, signa le traité de paix aux conditions qu'il avait déjà proposées : c'est-à-dire qu'il demeurerait roi de Salamine, qu'il paverait au roi de Perse un tribut annuel et qu'il aurait pour ses volontés toute la déférence qu'un roi dépendant doit à un roi supérieur. C'est ainsi que la guerre de Chypre qui, en comptant ses préparatifs, avait attiré pendant dix ans l'attention de bien des peuples, fut terminée en deux ans de guerre ouverte. (3) Gaos général de la flotte et qui avait épousé la fille de Téribaze, craignant d'être enveloppé dans les accusations faites contre son beau- père et de succomber avec lui, conçut le dessein d'assurer sa vie et sa fortune par des entreprises nouvelles. Ainsi ayant de son côté la faveur des soldats et beau-coup d'argent, il communiqua aux principaux chefs le projet d'abandonner le Roi. (4) En même temps il députa vers Acoris roi d'Égypte des hommes alliés, par lesquels il lui fit offrir ses services contre le roi de Perse. En même-temps il écrivit aux Lacédémoniens des lettres dans lesquelles il parlait fort mal de son Roi et leur promettait de grosses sommes pour leur aider à reprendre sur la Grèce l'autorité qui leur était due et dont ils jouissaient auparavant. (5) Les Spartiates n'avaient point perdu de vile leur ancienne domination et ils excitaient eux-mêmes dans les villes des séditions à la faveur desquelles ils paraissaient vouloir les assujettir. D'un autre côté se voyant déshonorés par le reproche qu'on leur faisait d'avoir sacrifié la liberté des Grecs de l'Asie, dans le traité qu'ils avaient conclu avec le roi de Perse, ils auraient voulu se laver de cette tache et ils ne cherchaient que le prétexte ou l'occasion de rompre avec lui. Ainsi ils acceptèrent volontiers l'alliance que Gaos leur proposait. [15,10] 10. Cependant Artaxerxès ayant terminé la guerre qu'il faisait aux Caliliens fit reprendre l'affaire de Téribaze et il lui donna pour juges les trois hommes les plus estimés dans la Perse par leur intégrité. C'était un peu avant ce temps-là que certains juges pour avoir porté des sentences injustes avaient été écorchés tout vifs, après quoi on avait étendu leurs peaux sur tous les sièges du tribunal afin de mettre devant les yeux de ceux qui occupaient leurs places, la punition préparée à leurs imitateurs. (2) Ceux qui parlaient contre Téribaze soutenaient que la lettre d'Orontas dont ils venaient de faire la lecture à haute voix, suffisait pour la condamnation de l'accusé. Mais Téribaze pour réfuter la complaisance qu'on lui reprochait au sujet d'Évagoras , lut le traité par lequel Orontas consentait que le même Évagoras ne fut fournis au roi de Perse, que comme un roi peut l'être à un autre roi au lieu que. lui Téribaze avait exigé que cette soumission fut celle d'un esclave à son maître. A l'égard de la pythonisse consultée, il prenait tous les Grecs à témoins que le dieu de Delphes ne rendait jamais de réponse sur la vie ou sur la mort de personne. Sur l'article de l'alliance recherchée avec les Lacédémoniens, il répondit qu'elle ne regardait point ses intérêts particuliers et qu'il n'avait eu en vue en la proposant que le service du Roi. En effet, ajoutait-il, c'est par le premier traité fait avec les Lacédémoniens, que le Roi était demeuré le maître de toutes les villes grecques de l'Asie que Lacédémone lui avait abandonnées. Il termina son apologie en représentant aux juges la fidélité de ses services précédents. (3) Il fit remarquer qu'entre plusieurs qu'il avait eu l'avantage de rendre au Roi, il y en avait un qui avait attiré l'admiration de tout le monde et lui avait procuré l'amitié particulière du Roi même. Ce fut lorsque le Roi étant à la chasse sur un char à quatre chevaux fut attaqué par deux lions qui mirent d'abord en pièces deux de ses chevaux et qui allaient se jeter sur sa personne. Alors Téribaze qui parut, tua sur le champ les deux lions et sauva le Roi d'un si grand danger. (4) Il ajouta qu'a la guerre il s'était toujours signalé par son courage et que ses conseils avaient été si heureux que le Roi ne s'était jamais repenti de les avoir suivis. Sur cette apologie les juges d'une commune voix déchargèrent pleinement Téribaze de l'accusation. [15,11] 11. Mais le Roi ayant fait venir dans son palais les trois derniers juges l'un après l'autre, leur demanda à chacun quel avoir été le motif de son avis. Le premier répondit que c'était parce que les services de l'accusé étaient certains et que l'accusation lui avait paru extrêmement douteuse ; le second dit que quand l'accusation serait vraie, les services de l'accusé l'emportaient de beaucoup sur fa faute ; la réponse du troisième fut qu'il ne comparaît point les services que Téribaze pouvait avoir rendus au Roi avec le nombre et la grandeur des bienfaits dont le Roi l'avoir comblé, mais qu'en examinant les différents chefs d'accusation, il n'avait point trouvé que le coupable en fut juridiquement convaincu. (2) Le Roi approuva et loua les trois juges, comme ayant parfaitement rempli leur fonction et il revêtit Téribaze des dignités les plus considérables de l'État; au lieu qu'Orontas reconnu pour calomniateur, fut rayé du nombre des amis du Roi et couvert d'opprobre. Voilà ce qui regarde les affaires de l'Asie. [15,12] 12 (VI). EN Grèce, les Lacédémoniens continuaient le siège de Mantinée et les assiégés s'étaient défendus vigoureusement pendant tout l'été. En effet les Mantinéens avaient toujours passé pour le peuple le plus courageux de l'Arcadie et les Spartiates les regardaient auparavant comme les plus sûrs et les plus braves de leurs alliés dans les combats. Mais à l'entrée de l'hiver le fleuve s'étant enflé prodigieusement par les pluies, les assiégeants élevèrent de grandes chauffées qui firent tomber avec impétuosité dans la ville les eaux qui se seraient répandues dans la campagne. (2) Ainsi elles firent de la ville même un vaste étang et y jetèrent à bas un si grand nombre de maisons que les assiégés furent obligés de se rendre. Les assiégeants ne firent aucun autre mauvais traitements aux citoyens, sinon qu'ils les contraignirent d'abattre ce qui restait de leurs maisons et de retourner dans les villages séparés qu'ils occupaient auparavant. [15,13] 13 Pendant ce temps Denys le tyran conçut le dessein de bâtir des villes de la dépendance de Syracuse le long des rivages de la mer Adriatique. Son but dans cette entreprise était d'assurer à ses vaisseaux le passage de la mer Ionienne pour aller jusqu'en Épire et d'avoir des ports à lui dans ce trajet. Il se préparait à tomber incessamment fur l'Épire avec de grandes forces maritimes et à pilier le temple de Delphes qu'il savait être plein de trésors. (2) Dans cette vue il fit alliance avec les Illyriens par l'entremise d'Alcétas roi des Molosses, qui chassé de son trône s'était réfugié à Syracuse. Sachant donc que les Illyriens étaient actuellement en guerre pour rétablir ce roi, il leur envoya un secours de deux mille hommes et cinq cents paires d'armure complète à la Grecque. Les Illyriens en revêtirent les plus braves de leurs soldats et distribuèrent les deux mille hommes dans leurs corps de troupes. (3) Enfin rassemblant toutes leurs forces, ils traversèrent l'Épire pour passer dans le pays des Molosses, où ne trouvant pas d'abord de résistance, ils firent du ravage et dans l'Épire et dans les terres des révoltés , et conduisirent même le roi jusque dans son palais. Mais les Molosses s'étant rassemblés en corps d'armée, il se donna un grand combat, où les Illyriens vainqueurs leur tuèrent plus de quinze mille hommes. Les Lacédémoniens apprenant les dommages que ces peuples avaient soufferts, leur envoyèrent des recours par le moyen desquels ceux-ci se mirent à l'abri de l'audace et des incursions des Barbares de leur voisinage. (4) Pendant que ces choses se passaient, les habitants de l'île de Paros sur l'avis d'un certain oracle, envoyèrent une colonie dans une île de la mer Adriatique, nommée Pharos, où ils bâtirent des maisons. Ils étaient favorisés dans cette transmigration parle tyran Denys, qui peu d'années auparavant avait envoyé dans cette même île des habitants qui y avaient bâti une ville appelée Lyssus. (5) A la suite de cette première entreprise Denys qui n'avait alors aucune autre affaire qui le détournât, fit construire dans le même lieu un port et un abri pour deux cents vaisseaux, et outre cela un mur qui environnait toute la ville. Son enceinte était si grande, qu'il n'y en avait aucune qui l'égalât dans la Grèce entière : il y fit disposer aussi des lieux d'exercice d'une très vaste étendue le long du fleuve Anapus : il y fit élever surtout des temples des dieux : en un mot , il l'embellit de tout ce qui peut contribuer à la magnificence et à la réputation d'une ville. [15,14] 14. L'année suivante Diotrephès fut archoute d'Athènes et Rome eut pour consuls L. Valérius et A. Manlius. On célébra en Élide la 89e Olympiade dans laquelle Dicon de Syracuse remporta le prix de la course. Les insulaires de la mer Agée qui étaient venus bâtir Pharos, avaient permis aux Barbares qu'ils avaient trouvés dans le lieu, et auxquels ils ne firent aucun mal, de se retirer dans un endroit de l'île, que sa situation rendait très fort; et pour eux ils firent de nouvelles fortifications à leur ville déjà bâtie au bord de la mer. (2) Cependant comme ces Barbares voyaient impatiemment les Grecs dans leur voisinage, ils obtinrent quelque secours de la part des Illyriens situés sur le rivage opposé, après quoi ils vinrent ensemble en de légères frégates se jeter au nombre de plus de dix mille hommes sur les nouvelles possessions des Grecs et leur firent perdre même beaucoup de soldats. Mais le lieutenant de Denys à Lissus, qui avait aussi une flotte, vint attaquer les vaisseaux fournis par les Illyriens. Il en coula à fond une partie et se rendit maître de l'autre de sorte qu'il leur tua cinq mille hommes et fit sur eux dix mille prisonniers. (3) Denys par la raison même qu'il manquait alors d'argent , entreprit de faire la guerre aux Thyrréniens avec soixante galères. Il prenait pour prétexte de délivrer la mer de leurs brigandages. Mais son véritable dessein était de piller un temple rempli de riches offrandes et qui était placé dans le port d'Agylle ville Tyrrenienne : ce port s'appelait les Tours. (4) Il y aborda de nuit et ayant fait débarquer ses troupes, il se rendit maître d'un poste si avantageux. Comme il y avait peu de gardes sur le port, il les força sans beaucoup de peine, entra dans le temple et en emporta la valeur de mille talents. Cependant les Agylléens s'étant rassemblés pour leur défense, il leur livra un combat vigoureux, où il leur fit un grand nombre de prisonniers ; et après avoir ravagé la campagne des environs, il s'en revint à Syracuse. Les dépouilles qu'il rapportait mises en vente ne lui produisirent pas moins de cinq cents talents. Avec ces nouveaux trésors il assembla des soldats de toute nation et s'étant fait une armée considérable, il parut manifestement qu'il la destinait contre les Carthaginois. Ce sont-là les principaux événements de cette année. [15,15] 15. DANS la suivante Phanostrate fut archonte d'Athènes et les Romains créeront au lieu de consuls quatre tribuns militaires. L. Lucrétius, Serv. Sulpitius, C. Aemilius et L. Furius. Le tyran Denys qui avait résolu de faire la guerre aux Carthaginois, en cherchait quelque prétexte plausible. Sachant bien que les villes de la Sicile qui leur étaient assujetties souffraient impatiemment leur domination et cherchaient à s'en délivrer, il recevait favorablement leurs plaintes et traitait d'alliance avec elles. (2) Les Carthaginois lui envoyèrent d'abord des ambassadeurs pour se plaindre à lui de cette connivence : et comme il les satisfit mal, ils prirent bientôt leur résolution. Ils se liguèrent d'abord avec leurs voisins et déclarèrent ensemble la guerre au tyran. Prévoyant bien qu'elle serait longue et difficile, ils commencèrent par former un corps de troupes des plus courageux de leurs citoyens et amassant de grosses sommes, ils s'en servirent à rassembler encore un grand nombre de soldats étrangers. Ensuite donnant aux uns et autres Magon pour roi et pour général, ils transportèrent des milliers d'hommes dans la Sicile et dans l'Italie, selon le dessein qu'ils avaient d'attaquer en même temps l'une et l'autre. (3) Denys de son côté partagea aussi ses troupes, voulant en garder une partie pour la guerre qu'il continuait en Italie et l'autre pour celle qu'il faisait aux Carthaginois. Il fut livré un grand nombre de petits combats entre les différents corps des deux partis qui s'attaquaient fréquemment, il ne s'y passa pourtant rien de remarquable. Mais il y eut deux batailles réglées et très dignes de mémoire, dans l'une desquelles Denys auprès d'un lieu de la Sicile appelé Cabala battit les Carthaginois, leur tua plus de dix mille hommes et fit sur eux cinq mille prisonniers. Le Général Magon lui-même y périt après une défense très courageuse. (4) Les Carthaginois abattus par cette défaite envoyèrent aussitôt demander la paix. Denys leur déclara qu'ils n'avaient aucun autre moyen de l'obtenir, que de renoncer à toutes les villes qu’ils occupaient dans la Sicile, et de lui payer les frais de la guerre. [15,16] 16. Les Carthaginois qui sentirent tout l'orgueil et toute la dureté de ces conditions, eurent recours à leur ressource ordinaire et firent tomber Denys dans le piège qu'ils lui rendirent. La réponse de l'armée Carthaginoise fut que l'on trouvait raisonnable la proposition du vainqueur, mais qu'ils n'avaient pas l'autorité nécessaire pour rendre par eux-mêmes les villes de la Sicile. Qu'ainsi ils priaient Denys de leur accorder une trêve de quelques jours, pour recevoir la réponse de leurs magistrats sur cet article. (2) Le vainqueur leur accorda la suspension d'armes, et un délai fixé, pendant lequel il se réjouissait, comme allant être dans quelques jours le maître de toute la Sicile. Pendant cet intervalle les Carthaginois firent des funérailles magnifiques à leur roi Magon et mirent à sa place son fils qui était extrêmement jeune , mais qui donnait déjà des marques d'un très grand sens et d'une valeur extraordinaire. En effet il employa tout le temps de la trêve à faire la revue des troupes échappées de la dernière défaite et à les entretenir dans des exercices continuels. Par les peines qu'il se donnait lui-même, par ses exhortations assidues et par les travaux auxquels il accoutumait ses soldats, il forma bientôt une armée courageuse et disciplinée. (3) Ainsi le terme de la trêve étant expiré, les deux armées se trouvèrent également disposées à une attaque vigoureuse : de sorte que le combat ayant été livré avec la même ardeur de part et d'autre auprès d'un lieu appelé Cronion, la destinée donna aux Carthaginois la revanche complète de la bataille qu'ils avaient perdue contre les Siciliens. Ceux qui avaient gagné la précédente avaient tiré de ce succès une confiance qui les perdit ; et les vaincus qui s'étaient vus sans ressource après leur défaite, rentrèrent par leur victoire dans leur première tranquillité et reprirent toutes leurs espérances. [15,17] 17. En effet Leptine qui commandait l'aile gauche des Siciliens et le plus vaillant homme de leur armée, après avoir combattu en héros et mis par terre un grand nombre de Carthaginois, fut tué lui-même. Sa mort ranima les Carthaginois de telle sorte qu'ils renversèrent tout ce qui se trouva devant eux. (2) Denys pour lors avant autour de lui l'élite de son armée commençait à presser les ennemis : mais dès qu'on eut appris la mort de Leptine et la défaite de l'aile qu'il commandait, tout ce qui entourait le général se débanda et se mit en fuite. (3) La déroute étant complète, les Carthaginois qui poursuivaient les fuyards se recommandaient les uns aux autres de ne prendre et de ne laisser personne en vie. Ainsi le carnage devenu universel couvrit de morts un vaste terrain. (4) Enfin la vengeance des Carthaginois alla si loin que l'on trouva sur le champ de bataille quatorze mille morts du côté des Siciliens. Le reste se sauva dans le camp à la faveur de la nuit et les Carthaginois vainqueurs se retirèrent à Panorme. (5) Cependant plus modestes que Denys dans leur succès , ils lui envoyèrent des députés par lesquels ils lui offraient de terminer-là toute guerre. Denys accepta volontiers la proposition et le traité se fit aux conditions que chacun demeurerait maître de ce qu'il possédait auparavant. Les Carthaginois se réservèrent pourtant la ville et le territoire de Sélinonte et la partie de l'Agrigentin qui se termine au fleuve Alycus. Denys paya aussi mille talents aux Carthaginois. Voilà le point où nous laissons les affaires de la Sicile. [15,18] 18 VIII. EN Asie : Gaos qui commandait la flotte des Perses dans la guerre de Chypre, s'étant détaché du service du roi et ayant essayé de mettre Les Lacédémoniens et le roi d'Égypte dans ses intérêts contre son maître, fut tué par des ordres secrets qui mirent fin à son entreprise. Tachos qui prit sa place et qui parut imiter sa rébellion rassembla la flotte et alla bâtir le long des rivages de l'Ionie, une ville nommée Leucé, sur un rocher où était déjà un temple d'Apollon. (2) Mais Tachos mourut bien-tôt et après sa mort ses habitants de Clazomène et ceux de Cume disputèrent entr'eux à qui cette ville nouvelle, située entre ces deux autres, devait appartenir. Elles étaient sur le point de se faire la guerre à ce sujet, lorsque quelqu'un s'avisa de dire qu'il fallait demander au dieu même à laquelle des deux villes il donnait Leucé. Pythonisse répondit qu'il appartiendrait à celle qui y ferait la première un sacrifice. Que pour cela il fallait partir de chacune des deux villes, au soleil levant d'un même jour convenu entre l'une et l'autre. (3) Ce jour avant été pris, ceux de Cume ne doutèrent pas du gain de leur cause parce qu'ils étaient plus voisins du terme commun que leurs compétiteurs. Mais les Clazoméniens qui sentaient leur désavantage et qui ne renonçaient pourtant pas à là victoire, s'avisèrent de cette ruse. Ils tirèrent au sort quelques-uns d'entre eux pour s'aller établir en forme de colonie en un lieu voisin de Leucé ; et ne partant que de là, ils en devinrent possesseurs. (4) Ils instituèrent même à cette occasion une fête annuelle sous le nom de Prophtasie. C'est par-là que se terminèrent les querelles des villes grecques Asiatiques ; [15,19] 19 et les Lacédémoniens, après la mort de Gaos et de Tachos , abandonnèrent d'eux mêmes toutes prétentions de ce côté-la. Mais songeant à recouvrer leur ancienne autorité sur la Grèce, ils gagnèrent quelques-unes de ses villes par des infirmations flatteuses et s'aidèrent de la vengeance et des armes des bannis de quelques autres, pour y rentrer de force avec eux ; ainsi ils avaient déjà repris sur le plus grand nombre d'entr'elles cet empire auquel ils avaient renoncé par le traité d'Antalcide, conclu de l'aveu et sous l'autorité du roi de Perse. (2) En Macédoine, le roi Amyntas. vaincu par les Illyriens et hors d'espérance de rentrer dans ses états, avait donné aux Olynthiens une grande partie de son domaine qui se trouvait dans leur voisinage et ils en avaient joui tranquillement pendant sa retraite. Cependant le roi s'étant rétabli sur son trône contre toute espérance et ayant même recouvré toute l'étendue de sa domination, redemanda aussi aux Olynthiens le territoire qu'il leur avait cédé : mais ceux-ci refusèrent de le lui rendre. (3) Amyntas leva aussitôt des troupes et de plus s'alliant avec les Lacédémoniens, il les invita à faire marcher un commandant et une armée en forme contre Olynthe. Les Spartiates qui songeaient d'eux-mêmes à s'avancer du côté de la Thrace, levèrent sur eux-mêmes ou sur leur alliés plus de dix mille hommes, dont ils donnèrent le commandement à Phebidas leur compatriote, avec ordre de servir Amyntas contre les Olynthiens. Ils envoyèrent en même temps une autre armée contre les Phæuntiens qu'ils vainquirent en bataille rangée et qu'ils réduisirent à l'obéissance de Lacédémone. (4) Ce fut alors qu'il se forma une dissension contre les deux rois de Sparte. Agésipolis homme juste qui aimait la paix et qui d'ailleurs avoir un grand sens, soutenait qu'il fallait s'en tenir aux serments dont on s'était lié et par lesquels il leur était défendu d'assujettir aucune ville grecque. Car enfin disait-il, Sparte se déshonore elle-même, si après avoir abandonné les Grecs de l'Asie à la puissance du roi de Perse, elle met encore dans les fers les villes de la Grèce auxquelles elle a juré de laisser la liberté en général et à chacune son propre gouvernement. Agésilas au contraire homme actif et qui aimait la guerre, semblait aspirer à devenir le maître de toutes. [15,20] 20 Ménandre étant archonte d'Athènes et Rome ayant choisi, au lieu de consuls six tribuns militaires, Q. Sulpitius, C. Fabius, Serv. Cornelius, Q. Servilius, Sext. Annius et C. Martius. Les Lacédémoniens se saisirent de Cadmée citadelle des Thébains, par le motif que nous allons dire. Comme ils voyaient que la Béotie enfermait un grand nombre de villes, peuplées d'habitants extrêmement braves et que Thèbes surtout, qui était la capitale de La province, conservait toujours son ancienne réputation, ils craignirent qu'à la première occasion elle n'affectât la primauté sur toute la Grèce. (2) Ils ordonnèrent donc secrètement à leurs généraux de se saisir de Cadmée, aussitôt qu'ils le pourraient faire. Phebidas qui avait été nommé pour conduire des troupes contre les Olynthiens, s'acquitta d'abord de la seconde commission et prit Cadmée. Les Thébains irrités coururent en armes, quoique trop tard, à la défense de leur citadelle : mais il se donna un combat ou Phebidas vainqueur dissipa aisément un secours tumultueux. Il envoya ensuite en exil trois cents des principaux citoyens et après avoir mis une forte garnison dans cette place, il revint à son affaire principale. Cependant les Lacédémoniens condamnés et déshonorés dans toute la Grèce par cette infraction des traités, se contentèrent de condamner Phebidas à une amende pécuniaire mais sans retirer leur garnison de la place qu'il avait surprise. (3) Ainsi les Thébains dépouillés de leur liberté demeurèrent soumis à Lacédémone. Cependant comme les Olynthiens continuaient de se défendre vivement contre Amyntas roi de Macédoine, les Lacédémoniens jugèrent aussi à propos d'ôter à Phebidas le commandement des troupes qu'ils avaient prêtées au roi mais ce fut pour le remettre à son frère Eudamidas. Ils donnèrent à celui-ci trois mille hommes et le chargèrent de poursuivre cette guerre. [15,21] 21 Il se jeta donc avec le roi Amyntas dans le territoire des Olynthiens. Ceux-ci qui avaient rassemblé toutes leurs forces et qui avaient plus de troupes que leurs ennemis, l'emportaient dans presque toutes les rencontres. C'est pourquoi les Lacédémoniens levèrent une plus grosse armée à la tête de laquelle ils mirent Téleutias. Ce dernier distingué par son courage entre tous ses concitoyens, était frère du roi Agésilas. (2) Sortant donc du Péloponnèse avec ses troupes, dès qu'il se vit près des terres des Olynthiens, il appela encore à lui le corps d'armée d'Eudamidas et se trouvant alors assez fort il commença par ravager tout le pays qui appartenait aux Olynthiens et il en distribua aux soldats la dépouille qui se trouva considérable. Enfin les Olynthiens s'étant assemblés aussi avec leurs alliés, on en vint à un combat général, dont la première issue fut la séparation des deux armées, avec un avantage égal de part et d'autre. Mais bientôt après il y eut une seconde bataille plus vive que la précédente où Téleutias fut tué dans une défense très courageuse de sa part et où les Lacédémoniens perdirent plus de douze cents hommes. (3) Pendant que les Olynthiens se félicitaient de leur succès, les Spartiates qui voulaient réparer leur perte et rétablir leur honneur, mirent ensemble de plus grandes forces qu'auparavant. Les Olynthiens instruits des projets et des préparatifs de leurs adversaires et jugeant que cette guerre serait longue firent de grandes provisions de vivres et empruntèrent des troupes de leurs alliés. [15,22] Démophile étant archonte d'Athènes, les Romains créèrent pour tribuns militaires, au lieu de consuls, P. Cornélius, L. Virginius, L. Valérius, A. Manlius et L. Posthumius. (2) Les Lacédémoniens ayant nommé pour général leur Roi Agésipolis, lui donnèrent des troupes suffisantes pour continuer la guerre contre les Olynthiens. Arrivé dans leur pays, il se fit joindre encore par les autres troupes Lacédémoniennes qui y campaient déjà et porta la guerre dans tout le canton. Les Olynthiens ne hasardèrent cette année aucun combat considérable, par la crainte où les tenaient les forces de leur ennemi et ils se contentèrent de quelques escarmouches, ou d'autres attaques faites en courant et qui ne pouvaient engager aucune action. [15,23] 23. L'année suivante Pithéas fut archonte d'Athènes et les Romains au lieu de consuls choisirent pour tribuns militaires T. Quinctius, L. Servilius, L. Julius Aquilius , L. Lucrétius et Serv. Sul-pitius. On entrait dans la centième Olympiade ou Dionysiodore de Tarente remporta en Élide le prix de la course. (2) En cette année Agésipolis roi de Lacédémone mourut de maladie après un règne de 14 ans et eut pour successeur Cléombrotus son frère qui en régna 9. Mais ce fut Polybidas que les Spartiates nommèrent pour général dans la guerre qu'ils continuaient contre Olynthe. (3) Celui-ci se faisant accompagner d'un nombre convenable de troupes qu'il employait avec intelligence et avec courage, eut aussi de grands succès : de sorte qu'avançant toujours dans le pays et ayant battu les ennemis plus d'une fois, il les enferma enfin dans leurs murailles et les réduisit à soutenir un siège. Profitant alors de la crainte qui commençait à les saisir, Polybidas les obligea de se soumettre aux Lacédémoniens. L'exemple des Olynthiens qui se firent inscrire au nombre des alliés de Lacédémone, amena plusieurs autres villes à subir, et même de bonne heure, le même joug. Ainsi les Lacédémoniens devinrent très puissants en ce temps-là où ils se virent les maîtres de la mer et de la terre dans l'étendue de toute la Grèce. (4) Ils avaient mis garnison chez les Thébains : les Corinthiens et les Argiens étaient abattus par les guerres précédentes : les Athéniens avaient perdu leur réputation par le partage qu'ils avaient fait entre eux des terres de ceux qu'ils avaient vaincus : tandis que les Spartiates qui prenaient soin d'entretenir un grand nombre de leurs citoyens dans les exercices militaires, se rendaient redoutables par la nature seule de leur gouvernement et de leur conduite. (5) C'est pour cela aussi que les plus grandes puissances qu'il y eut alors : je veux dire le roi de Perse et le tyran de Syracuse, faisaient un grand cas de Lacédémone & recherchaient avec empressement son alliance. [15,24] 24. L'ANNÉE suivante Nicon étant archonte d'Athènes, les Romains au lieu de consuls créèrent six tribuns militaires, L. Papirius, C. Cornélius, L. Menenius, C. Servilius, A. Valerius et Q. Fabius. Les Carthaginois ayant fait passer une armée en Italie remirent les habitants d'Hipponium en possession de leur ville d'où on les avait chassés : ils firent d'ailleurs une enquête très exalte de tous les fugitifs dont ils prirent un extrême soin. (2) Quelque temps après la peste se mit dans Carthage. Elle s'y étendit si prodigieusement et emporta un si grand nombre de citoyens qu'elle mit l'empire même en danger. Les Libyens commençaient à mépriser le peu d'hommes qui restaient dans, cette capitale et les insulaires de la Sardaigne crurent que le temps était venu de se révolter contre eux, ce qu'ils firent ouvertement. (3) La colère céleste semblait tomber alors de tous côtés sur les Carthaginois : des terreurs paniques se répandaient dans tous les quartiers de la capitale et y excitaient un tumulte continuel et prodigieux. Plusieurs sortaient de leurs maisons l'épée à la main, comme si les ennemis fussent entrés dans la ville par escalade ; et prenant pour tels les passants qu'ils rencontraient, ils tuaient les uns et blessaient grièvement les autres. Mais enfin cette fureur ayant été apaisée par les sacrifices qu'ils offrirent aux dieux, ils remirent les Libyens dans l'obéissance et reconquirent la Sardaigne. [15,25] 25. Nausinicus étant archonte d'Athènes, les Romains créèrent au lieu de consuls quatre tribuns militaires, M. Cornélius, Q. Servilius, M. Furius et L. Quintus. Les Spartiates firent alors aux Béotiens cette guerre qu'on a appelée Béotique, sur le prétexte que voici. Ils occupaient toujours la citadelle de Cadmée qu'ils avaient prise contre toute sorte de droit et ils avaient chassé des maisons du lieu plusieurs habitants des plus considérables. Ces bannis y revinrent pourtant et par le secours des Athéniens ils y rentrèrent de nuit. (2) Ils tuèrent d'abord dans leurs propres maisons et dans leurs lits tous ceux qui adhéraient aux Lacédémoniens ; après quoi se déclarant en public pour le rétablissement de la liberté, ils attirèrent tous les Thébains à leur parti. Ainsi la multitude s'assemblant en armes autour d'eux, ils furent en état dès le point du jour d'assiéger Cadmée. (3) La garnison qui occupait cette citadelle de la part des Lacédémoniens et qui montait en comptant les alliés au nombre de quinze cents hommes, envoya sur le champ à Sparte la nouvelle de cette attaque et du soulèvement des Thébains, en demandant du secours contre eux. Cependant comme les assiégés combattaient dans un poste avantageux, ils blessèrent et tuèrent même bien du monde aux assiégeants. (4) Les Thébains qui ne doutaient pas qu'il ne vint du secours aux Lacédémoniens de divers endroits de la Grèce envoyèrent des ambassadeurs à Athènes pour représenter la république qu'ils avaient pris son parti et sa défense dans le temps quelle était opprimée par les trente Tyrans et pour l'inviter à rendre la pareille aux Thébains et à les secourir avant que tous les alliés de Lacédémone fussent rassemblés contre eux. [15,26] Le peuple ayant entendu la demande des ambassadeurs, décida qu'il fallait envoyer sur le champ toutes les forces nécessaires pour délivrer Thèbes. Le dessein du peuple d'Athènes était d'une part de marquer sa reconnaissance pour un bienfait reçu, et d'autre part d'attacher à ses intérêts les Béotiens, nation courageuse, qui pouvait les soutenir dans le besoin contre l'orgueil et l'ambition de Lacédémone. Il n'y avait en effet aucune province de la Grèce qui surpassât la Béotie en nombre d'hommes, et les Thébains en valeur et en expérience militaire. (2) Ainsi Démophon qu'on avait nommé pour général, fit dès ce jour même une élite de cinq mille homme d'infanterie et de cinq cents cavaliers, à la tête desquels il sortit d'Athènes le lendemain, et qu'il conduisit en toute diligence au lieu marqué, pour prévenir les Lacédémoniens. Tout le reste de la milice Athénienne se préparait encore à les suivre, s'il était nécessaire. (3) Démophon arriva si promptement qu'il surprit les Thébains mêmes : et tout ce qu'il y avait d'hommes portant les armes dans la Béotie étant accourus à la défense commune, les Thébains se virent bientôt une grosse armée. (4) Ils n'avaient pas moins de douze mille hommes de pied soutenus de plus de deux mille hommes de cheval. Comme ils étaient tous animés de la même ardeur pour le siège, on partagea les travaux par bandes égales, de sorte que les attaques ne discontinuaient ni jour ni nuit. [15,27] Les ennemis assiégés dans Cadmée se défendaient vaillamment, sur l'espérance que leur commandant leur donnait de l'arrivée prochaine des Lacédémoniens. Pendant le temps du moins qu'ils eurent des vivres, ils profitèrent de l'avantage du lieu qui était fort escarpé et il en coûta aux assiégeants bien des blessés et bien des morts. Mais les provisions étant consumées, avant que les Lacédémoniens eussent terminé leurs délibérations sur le secours qu'on devait porter à la place, la dissension se mit entre les assiégés. (2) Ceux qui étaient de Lacédémone même soutenaient qu'il fallait se défendre jusqu'à la mort, mais les simples alliés qui faisaient le plus grand nombre, voulaient qu'on rendit Cadmée. Il fallut céder à la pluralité et la garnison relâchée et renvoyée sur sa parole et sur son serment, sortit de cette forteresse et retourna dans le Péloponnèse. (3) Ainsi le secours qui vint enfin, mais trop tard de Lacédémone, demeura sans effet. Des trois chefs qui le conduisaient, on en condamna deux à la mort et le troisième à une amende si excessive qu'il ne put jamais la payer. (4) Les Athéniens revinrent aussi chez eux ; mais les Thébains qui entreprirent le siège de Thespies furent obligés de le lever. Pendant ce temps-là les Romains envoyèrent dans la Sardaigne une colonie de cinq cents hommes, sans les charger d'aucun tribut. Olympiade 100. an 4. 377 ans avant l'ère chrétienne. [15,28] Callias étant archonte d'Athènes, les Romains donnèrent l'autorité de consuls à quatre tribuns militaires, qui furent L. Papirius, P. Cornélius, Titus et L. Quinctius. Quoique les Lacédémoniens eussent été pleinement dépossédés de la citadelle de Thèbes, les Béotiens dans la pensée que leurs ennemis pourraient avec de nouvelles forces revenir à leur première entreprise, réunirent aussi toutes les troupes de leur province, avec le courage et la confiance que donnent les premiers succès. (2) Les Athéniens de leur côté envoyèrent les plus distingués de leurs citoyens en ambassade dans toutes les villes soumises à l'autorité de Lacédémone pour les inviter à rentrer dans les droits de la liberté générale, en secouant le joug d'une servitude, que l'orgueil et la puissance des Lacédémoniens avait rendu jusqu'alors insupportable à tous leurs alliés. Cette proposition fit pencher la plupart de ces derniers du côté des Athéniens. (3) Les citoyens de Chio et de Byzance levèrent les premiers l'étendard de la révolte. Ils furent suivis des habitants de Rhodes et de Mitylene, et de quelques autres insulaires. En un mot, la même ardeur s'emparant de tous les esprits, la plupart des villes de la Grèce s’attachèrent aux Athéniens. La république charmée du concours de tant d'alliés, établit un conseil général dont les membres étaient des députés de chacune de ces villes. (4) Elles convinrent unanimement que ce conseil se tiendrait dans Athènes et que chaque ville grande ou petite, y aurait une voix, ni plus ni moins, dans les délibérations ; qu'elles se gouverneraient toutes par elles-mêmes ; mais que la présidence appartiendrait aux Athéniens. Les Spartiates qui ne voyaient aucun remède contre cette défection universelle, ne laissèrent pas d'employer des ambassades en forme à des promesses flatteuses pour calmer le soulèvement de tant de peuples ; et d'un autre côté ils faisaient tous les préparatifs d'une guerre qu'ils jugeaient devoir être aussi longue et aussi difficile que le fut en effet pour eux la guerre Béotique , où les Thébains étaient soutenus par les Athéniens et par tous les Grecs qui avaient entrée dans le conseil général. [15,29] X. EN ce même temps Acoris roi d'Égypte toujours ennemi du roi de Perse, levait des troupes chez les étrangers et répandant partout beaucoup d'argent, il eut bientôt une grosse armée composée principalement de Grecs qu'il avait gagnés. (2) Mais comme ceux-ci n'avaient pas encore de chef qui leur convint, il trouva moyen d'attirer l'Athénien Chabrias, homme très entendu dans l'art militaire et qui n'étoit pas moins célèbre par son courage que par sa capacité. Celui-ci qui était parti sans l'aveu du peuple fut mis à la tête de toutes les troupes qui composaient l'armée égyptienne et se disposait à la guerre contre les Perses. (3) Pharnabaze que leur Roi leur avait donné pour général faisait de son côté de très grands préparatifs. Il envoya d'abord des ambassadeurs à Athènes, qui accusèrent Chabrias de ce qu'ayant accepté le commandement des troupes égyptiennes, il aliénait l'esprit du Roi à l'égard d'une république qu'il avait toujours aimée : et ils finirent par demander Iphicrate à qui le Roi voulait donner un commandement dans son armée. (4) Les Athéniens qui avaient grande envie de mettre dans leurs intérêts le roi de Perse et de gagner l'amitié de Pharnabaze rappelèrent sur le champ Chabrias de l'Égypte et accordèrent aux ambassadeurs le commandant qu'ils demandaient. (5) Cependant la paix que les Lacédémoniens et les Athéniens avaient faite et jurée entre eux, subsistait encore au temps où nous sommes : lorsque le Spartiate Sphodriadès fut nommé général de leurs troupes. C'était un homme haut et violent, auquel Cléombrotus un des rois de Lacédémone persuada , sans la communication des Éphores, d'aller attaquer le port du Pirée. (6) Sphodriadés à la tête de plus de dix mille hommes prit le temps de la nuit pour exécuter cette entreprise. Mais les Athéniens avertis la lui firent manquer si pleinement qu'il fut obligé de s'en revenir sans avait rien fait. On le cita même devant son Sénat : mais par la protection des deux rois, il fut absous contre toute règle. (7) C'est pour cela aussi que les Athéniens indignés de cette prévarication, décidèrent que le traité de paix avait été enfreint par les Lacédémoniens : et jugeant à propos de leur déclarer la guerre, ils nommèrent pour généraux les trois plus illustres de leurs citoyens Timothée, Chabrias et Callistrate. On résolut de leur donner vingt mille hommes d'infanterie, cinq cents cavaliers et deux cents vaisseaux de guerre. Ils firent d'abord entrer les Thébains sur le même pied que les autres villes, dans ce conseil général dont nous avons parlé plus haut. (8) Ils y réglèrent que toutes les terres seraient rendues aux propriétaires à qui elles étaient anciennement échues par le sort, et de plus ils firent un décret par lequel, il était défendu à tout Athénien de posséder un pouce de terre hors de l'Attique. [15,30] Ils s'acquirent par des lois si sages et si désintéressées la bienveillance de toute la Grèce et se procurèrent à eux-mêmes une autorité beaucoup plus grande et beaucoup plus sûre. Entre toutes les villes qui s'attachèrent alors aux Athéniens, les premières et les plus zélées furent celles de l'Eubée, si l'on en excepte pourtant Hestiae. Cette dernière avait reçu de grandes faveurs des Lacédémoniens et les Athéniens au contraire lui avaient fait une sanglante guerre. Ainsi il ne faut pas s'étonner que gardant son animosité contre ceux-ci, elle conservât de la reconnaissance pour les premiers. (2) Mais à cela près les Athéniens eurent pour eux soixante et dix villes, qui toutes avaient entrée sur le même pied et aux mêmes conditions dans le conseil général. Il arriva de là que la puissance des Athéniens ayant gagné à proportion de ce que celle des Lacédémoniens avait perdu ; ces deux villes furent en état de combattre à forces égales. Cette compensation qui était actuellement favorable aux Athéniens les fit passer en armes dans l'Eubée, pour soutenir leurs alliés et pour combattre leurs adversaires. (3) Un peu avant ce temps-ci un certain Neogenès aidé par Jason de Phères avait amassé des troupes, par le moyen desquelles s'étant rendu maître dans l'Eubée de la citadelle d'Hestiae, il avait subjugué tous les environs, y compris la ville d'Orée. Comme il usait de hauteur et de violence envers ceux qu'il venait de soumettre, les Lacédémoniens députèrent vers lui Térepidas. (4) Celui-ci employa d'abord des raisons et des exhortations pour persuader à Néogénès d'abandonner la citadelle d'Orée. Mais n'ayant rien obtenu par cette voie, il excita lui-même les habitants des environs à recouvrer leur liberté. Il se servit d'eux pour former le siège d'Orée, et il en déposséda en effet l'usurpateur. Cette assistance des Lacédémoniens gagna tous les habitants d'Hestiae et les engagea à demeurer fermes dans leur alliance. (5) C'est ce qui fut cause que le général athénien Chabrias ravagea les terres des Hestiéens ; après quoi il assiégea et prit leur citadelle Métropolis, située sur une hauteur avantageuse et y laissa une garnison. Passant de là aux îles Cyclades, il attira au parti des Athéniens Peparethe, Scyathe et quelques autres qui étaient auparavant dans l'alliance des Spartiates. [15,31] Ces derniers voyant la disposition où étaient toutes les villes de leur dépendante de se séparer d'eux, adoucirent extrêmement à leur égard leur ancienne dureté et affectaient de les traiter avec douceur : ils réussirent même par cette complaisance accompagnée de bienfaits réels à les attacher plus sincèrement à leurs intérêts. Voyant aussi que la guerre s'allumait de toutes pars et qu'ils ne pouvaient apporter trop d'attention à leur défense, ils pensèrent très sérieusement au choix de leurs soldats, à la distribution de leurs troupes et à tout ce qui concernait la sûreté de leur République. (2) C'est dans cette vue qu'ils partagèrent toutes leurs forces militaires en dix corps. Le premier n'était composé que des Lacédémoniens mêmes, les Arcadiens seuls remplissaient le second et le troisième. Les Éléens faisaient le quatrième. Les Achaiens le cinquième. Les Corinthiens et les Mégariens composaient le sixième. Ceux de Sicyone, de Phlius et d'Acté faisaient ensemble le septième. Les Acarnaniens le huitième, les habitants de la Phocide et de la Locride le neuvième et enfin les Olynthiens et tous leurs alliés de la Thrace avaient été placés dans le dixième. Dans chaque corps il y avait un soldat pesamment armé contre deux armés à la légère et quatre hommes d'infanterie pour un cavalier. (3) Le roi Agésilas commandait seul toute cette armée, homme illustre par son courage et par son intelligence dans la guerre et qui jusqu alors n'avait presque éprouvé en ce genre aucune des vicissitudes ordinaires de la fortune. Il avait été admiré dans les campagnes précédentes et dans le temps que les Lacédémoniens tenaient tête aux Perses, il avait attaqué et vaincu des armées beaucoup plus fortes que la sienne et s'était si prodigieusement avancé dans I'Asie qu'il semblait s'en être rendu le maître. Il y a même beaucoup d'apparence que si les Spartiates ne l'avaient rappelé pour des intérêts particuliers de leur république, il aurait ébranlé l'empire des Perses. (4) Il était homme d'exécution et naturellement porté à des entreprises extraordinaires, mais la prudence en lui accompagnait toujours la hardiesse. C'est pour cela. aussi que les Spartiates qui sentaient toutes les conséquences de la guerre dont il s'agissait actuellement lui en confièrent la conduite. [15,32] Agésilas se mettant aussitôt à la tête de son armée vint en Béotie. Il avait au moins vingt-huit mille hommes. Les Lacédémoniens seuls faisaient cinq corps chacun de cinq cents hommes : celui de ces corps qu’on appelait le Scirite ne se mettait point dans les rangs comme les autres mais se tenant aux côtés du roi, il attendait l'ordre pour aller au secours de ceux qui seraient pressés par les ennemis. Toujours composé d'hommes choisis, il avait un grande part au succès d'une bataille et déterminait ordinairement la victoire. La cavalerie d'Agésilas était composée de quinze cents hommes. (2) Étant arrivé à Thespies défendue par une garnison Lacédémonienne, il posa son camp sous les murailles et y laissa reposer ses troupes fatiguées d'une longue marche. Les Athéniens informés de l'arrivée des Spartiates dans la Béotie, amenèrent aux Thébains un secours de cinq mille hommes'de pied et de deux cents chevaux. (3) Les Thébains se joignant à eux, occupèrent une colline fort longue à vingt stades de la ville et comptant sur la hauteur d'un terrain dont l'abord était d'ailleurs impraticable, ils attendaient là l'ennemi : car la grande opinion qu'ils avaient de la capacité d'Agésilas, leur avait fait craindre de se trouver devant lui en rase campagne. (4) Cependant celui- d s'avançant contre eux en bon ordre comme s'il avait dû arriver jusqu'à eux fit d'abord monter des soldats armés à la légère, comme pour essayer la manière dont les ennemis se défendraient. Mais les Thébains ayant aisément repoussé cette attaque par l'avantage excessif de leur situation, il conduisit contre eux toutes ses troupes qui se prêtèrent à une pareille entreprise, d'une façon à inspirer elles-mêmes de la terreur. (5) L'Athénien Chabrias qui commandait les soudoyés leur ordonna d'attendre ces téméraires avec un air de mépris, se contentant de laisser tomber leurs boucliers sur leurs genoux et cependant de demeurer a leur place, tenant d'ailleurs la lance debout comme s'ils étaient en faction. (6) Cet ordre fut exécuté, comme s'il n'avait été donné qu'à un seul homme. Agésilas voyant le bel ordre des ennemis et la tranquillité méprisante avec laquelle ils l'attendaient, ne jugea pas à propos de risquer l'attaque ni de forcer de braves gens à tomber sur lui avec tout l'avantage que leur donnait la nature du terrain et il se contenta de les piquer d'honneur et de les défier au combat dans un lieu égal de part et d’autre. Les Thébains à leur tour ne voulurent pas accepter ce défi de sorte qu'Agésilas retira delà toute son infanterie. Mais il lâcha sa cavalerie et tout ce qu'il avait de troupes légères, dans la campagne où elles firent un dégât horrible, en rapportèrent un riche butin. [15,33] Cependant les officiers qui servaient sous Agésilas et tous ceux qui entraient dans le conseil de guerre, s'étonnaient qu'un homme d'expédition comme lui, et qui d'ailleurs avait une armée nombreuse et très aguerrie, ne cherchât point l'occasion d'en venir aux mains avec les ennemis. Il leur répondit à tous que les Lacédémoniens avaient actuellement vaincu, sans s'être exposés à aucun danger; puisque les Thébains n'avaient pas osé seulement se présenter à la défense de leurs campagnes ; au lieu que s'il les avait forcés à en venir à un combat réglé, l'incertitude de l'événement toujours attachée à de pareilles tentatives aurait pu tourner au désavantage des Lacédémoniens. (2) On jugea pour lors qu'Agésilas avait pensé avec une défiance modeste de la vicissitude des fortunes humaines et la suite des événements fit regarder comme un oracle inspiré d'en haut ce qui n'avait d'abord paru qu'une maxime de sagesse et de prudence. En effet les Lacédémoniens attaquant avec des forces très supérieures les Thébains réduits à défendre la liberté de leurs personnes, essuyèrent eux-mêmes une longue suite de désastres. (3) D'abord vaincus à Leuctres ils y perdront un grand nombre de leurs citoyens et leur roi même. Cléombrotus. A ce malheureux combat succédera de près la bataille de Mantinée qui achèvera leur ruine; et les fera déchoir sans retour de leur supériorité sur la Grèce. La fortune est un maître excellent pour humilier les hommes qui pensent présomptueusement d'eux-mêmes et pour leur apprendre à borner leurs prétentions. (4) C'est dans cette vue qu'Agésilas, content de son premier avantage, avait conservé son armée et l'avait ramenée saine et entière dans le Péloponnèse. Les Thébains sauvés par la précaution de Chabrias admiraient de leur côté la sagesse de leur général et lui-même s'en savait si bon gré, que bien qu'il eût déjà par devers lui un grand nombre d'actions glorieuses, il voulut cependant que les statues qui lui furent décernées par le peuple à cette occasion, le représentassent toutes dans la posture où avoir fait tenir ses soldats à l'attaque de la colline. (5) Les mêmes Thébains après la retraite d’Agésilas marchèrent en armes contre Thespies et firent passer au fil dé l'épée deux cents hommes qui gardaient les dehors de la place. Ils donnèrent ensuite des assauts continus, mais sans effet, à la ville même et prirent enfin le parti de ramener leurs troupes à Thèbes : aussitôt Phébidas de Lacédémone qui avait une forte garnison dans Thespies se mit à leur queue et tombant tout à coup sur eux, il leur tua plus de cinq cents hommes. Mais après avoir glorieusement combattu et reçu beaucoup de plaies toutes par devant, il mourut en héros dans cette sortie. [15,34] Quelque temps après toutes les forces des Lacédémoniens s'étant réunies autour de Thèbes, les Thébains qui se saisirent de quelques postes avantageux dans leurs campagnes, empêchèrent bien à la vérité qu'on ne ravageât leurs terres ; mais ils n'osèrent jamais se présenter aux ennemis en bataillé rangée. (2) Cependant comme. Agésilas se montrait toujours à la tête de ses lignes, ils se laissèrent enfin engager à former un corps de bataille. Il se donna d'abord un combat qui fut long et vif, et dans lequel Agésilas commençait à avoir de l'avantage. Ceux de la ville qui s'en aperçurent sortirent aussitôt en foule pour soutenir leurs camarades, lorsque Agésilas qui les vit fit donner à son de trompe le signal de la retraite. Les Thébains qui jugèrent alors et pour la première fois qu'ils n'étaient inférieurs en rien aux Spartiates dressèrent un trophée, et de ce jour-là ils ne les craignirent plus dans les combats. (3) Voilà quel fut le sort des troupes de terre. XI. A L'ÉGARD des flottes ennemies, elles se rencontrèrent à peu près en ce même temps entre les îles de Naxos et de Paros. Pollis qui commandait celles des Lacédémoniens ayant su qu'un grand nombre de vaisseaux de charge portait du blé aux Athéniens, se disposa à les épier dans l'espérance de s'en saisir. La ville avertie de ce dessein, chargea sa flotte d'escorter ses provisions et de les amener dans le Pirée. (4) Sur cet ordre le général Chabrias s'avança jusqu'à l'île de Naxos où il forma le siège de la place ; il se hâtait de l'emporter par le jeu continuel des machines, lorsque le Spartiate Pollis instruit de cette entreprise se hâta de son côté d'aller au secours des Naxiens. Les deux flottes à la vue l'une de l'autre se sentirent piquer d'honneur et s'étant mises en ordre de bataille, on en vint à un combat réglé. (5) Pollis avait soixante-cinq vaisseaux et Chabrias quatre-vingte trois. Pollis qui conduisait son aile droite tomba le premier sur l'aile gauche des Athéniens commandée par Cédon ; il l'attaqua avec tant de vigueur qu'il tua Cédon lui-même et coula son vaisseau à fond. Se jetant ensuite sur les autres vaisseaux qui l'environnaient, il brisa les uns de son éperon et mit en fuite les autres. A cet aspect Chabrias envoie des vaisseaux de son aile au secours de l'aile maltraitée de sorte qu'en effet il la soutint et la rétablit : pendant que commandant lui-même la plus forte partie de sa flotte, il fit périr la plupart des vaisseaux ennemis et se rendit maître d'un grand nombre. [15,35] Mais après avoir gagné la bataille et mis en fuite tout ce qui restait de la flotte Lacédémonienne, il s'abstint exactement de toute poursuite par le souvenir de la bataille navale des Arginuses au retour de laquelle le peuple d'Athènes, au lieu des mémorables actions de grâces qu'il devait à ceux qui l'avaient gagnée, les condamna à la mort sur le prétexte qu'ils n'avaient pas enseveli les corps de ceux qui avaient péri dans le combat. Chabrias qui craignait le même sort pour lui-même, au lieu de poursuivre les ennemis s'occupa à recueillir tous les corps de ses compatriotes qu'on apercevait sur la surface de l'eau : il sauva ceux en qui on trouva encore un reste de vie et il fit ensevelir les autres. Mais il est constant que s'il ne se sut pas détourné par cette occupation religieuse, il aurait exterminé l'armée ennemie : (2) les Athéniens perdirent dans cette bataille huit vaisseaux et les Lacédémoniens vingt-quatre mais de plus il en fut pris huit à ces derniers avec tout l'équipage qui les montait. Chabrias au retour d'une si grande victoire entra dans le port du Pirée chargé de superbes dépouilles et accueilli des plus grandes sollicitations de la part de ses concitoyens. C'était la première victoire qu'ils eussent remportée sur mer depuis la guerre du Péloponnèse. Car ils n'avaient pas gagné par eux-mêmes la bataille de Cnide ; et c'étaient les vaisseaux du Roi de Perse qui leur procurèrent l'avantage qu'ils eurent alors sur leurs ennemis. (3) Ce fut en cette même année qu'à Rome M. Manlius convaincu d'avoir aspiré à la tyrannie, fut puni du dernier supplice. [15,36] Charisandre étant archonte d'Athènes, les Romains firent au lieu de consuls quatre tribuns militaires, Serv. Sulpitius, L. Papirius. M. Cornélius et T. Quinctius. On célébra cette année la cent et unième Olympiade où Damon de Thurium remporta le prix de la course. Les Triballes affligés de la famine dans leur pays, s'assemblèrent en armes pour aller chercher des vivres dans les contrées des environs. (2) Ils vinrent d'abord au nombre de plus de trente mille dans la Thrace dont ils étaient voisins et ils ravagèrent effrontément tout le territoire d'Abdère. Les grandes provisions qu'ils avaient faites les ayant jetés dans la négligence et dans le désordre, les Abdéritains qui les suivaient bien armés et en forme de troupes réglées, leur tuèrent plus de deux mille hommes. (3) Ces Barbares honteux de ce qui leur était arrivé et voulant se venger de ceux d'Abdère, se répandirent encore une fois dans leurs campagnes. Mais les Abdéritains animés par l'avantage qu'ils avaient eu dans le premier combat et soutenus encore par le secours que les Thraces leurs voisins leur envoyaient, présentèrent la bataille aux Triballes. (4) Le combat était vivement engagé de part et d'autre lorsque les Thraces changeant tout à coup parti livrèrent les Abdéritains seuls à la multitude de leurs ennemis, qui les environnèrent de toutes parts et les exterminèrent presque tous. Les Abdéritains abattus par une si grande perte étaient sur le point d'être assiégés dans leur capitale lorsque l'Athénien Chabrias étant allé avec toute son armée à leur secours les délivra de ce danger, en chassant les Barbares de toute la contrée et établissant une forte garnison dans Abdère. Mais il fut tué lui-même par trahison. (5) En ce temps-là Timothée qui lui succéda au commandement de la flotte, se présenta à la vue de l'île et de la ville de Céphalénie et se montrant aussi sur les côtes de l'Acarnanie, il attira toutes ces provinces au parti des Athéniens. Il gagna aussi Alcétas roi des Molosses. En un mot , s'étant assuré la bienveillance de toutes les villes de ces cantons, il remporta une victoire sur mer contre les Lacédémoniens auprès de Leucade. (6) Tout cela s'exécuta en très peu de temps et même avec beaucoup de facilité parce que l'auteur de l'entreprise avait le don de l'insinuation quand il s'agissait d'alliance, et qu'il était vigilant et actif dans l'exécution des projets formés. Ce double talent lui donnait avec raison un très grand crédit et parmi les siens et dans le reste de la Grèce. Voilà ce qui regarde le département de Timothée. [15,37] Mais dans ce même temps les Thébains au nombre de cinq cents hommes d'élite allèrent investir Orchémine, où ils firent une action digne de mémoire. Les Lacédémoniens avaient dans cette place une forte garnison qui en sortit pour faire tête aux Thébains qui s'avançaient contre elle. Il se donna là un rude combat où les Thébains défirent les Lacédémoniens qui les sur passaient du double. Il n'était jamais arrivé rien de semblable et les Spartiates avaient toujours cru que le seul avantage qu'il fût possible à leurs ennemis d'avoir sur eux était de les faire céder au grand nombre. (2) Cet événement remplit les Thébains de confiance pour l'avenir et leur inspira ce courage invincible qui les mit à portée d'espérer la supériorité de la réputation et l'honneur du. commandement sur toute la Gréce. (3) A l'égard des historiens, Hermeias de Methymne a poussé jusqu'à la fin de cette année son histoire de Syracuse partagée en dix livres, ou en douze selon la division qu'en font quelques-uns. [15,38] Hippodamus étant archonte d'Athènes, les Romains créèrent au lieu de consuls quatre tribuns militaires, L. Valérius Crispus, A. Manlius, Serv. Sulpitius et L. Luctétius. Artaxerxès roi de Perse qui voulait porter la guerre en Égypte et qui était bien aise d'avoir dans son armée un puissant secours de troupes étrangères, entreprit de pacifier les peuples de la Grèce, pour tirer de là des soldats qui n'auraient plus d'occupation dans leur pays. Il envoya à ce dessein des ambassadeurs dans les villes grecques pour les inviter à s'accorder entre elles. (2) Comme ces villes étaient lasses elles-mêmes de leurs divisions, elles se prêtèrent aisément aux discours des ambassadeurs et elles firent la paix entre elles aux conditions quelles demeureraient toutes maîtresses d'elles-mêmes et que chacune ne ferait gardée que par ses propres citoyens. On nomma des officiers militaires qui, par l'autorité de la nation en corps, allèrent tirer de toutes les citadelles les garnisons qui portaient le nom d'une autre ville. (3) Les Thébains seuls s'opposèrent à ce règlement à l'égard de leur province et prétendirent que toutes les villes de la Béotie étaient de la dépendance de Thèbes. Les Athéniens s'opposèrent vivement à cette exception. Callistrate, un de leurs orateurs, la combattit dans l'assemblée générale avec beaucoup de force. Mais Épaminondas y soutint par un discours admirable le droit particulier des Thébains. Tous les autres Grecs signèrent donc un traité que les Thébains refusèrent : et par la grande confiance qu'ils avaient dans la vertu et dans le courage d'Épaminondas, ils demeurèrent hardiment seuls de leur opinion et de leur parti. (4) Les Lacédémoniens et les Athéniens qui auparavant se disputaient le commandement en tout genre, convenaient ici que les premiers commanderaient sur terre et les seconds sur mer : mais les uns et les autres étaient extrêmement fâchés de voir qu'il s'élevât dans la nation thébaine un troisième concurrent qui allait disputer aux deux autres la primauté. Ils firent donc tout ce qu'ils purent pour détacher du parti de Thèbes les villes de la Béotie. [15,39] Mais les Thébains naturellement forts et vigoureux, et déjà fiers de plus d'une victoire remportée sur les Lacédémoniens, se mettaient fort au-dessus d'eux au fond de leur âme et n'attendaient que l'occasion de leur enlever le commandement des troupes de terre. Ils ne furent pas trompés dans leur attente, d'autant plus qu'ils avaient alors à leur tête les plus habiles généraux et les plus braves capitaines de leur siècle. (2) Les principaux étaient Pélopidas, Gorgias et Épaminondas. Ce dernier était l'homme le plus courageux et le chef le plus habile qu'il y eût non seulement dans sa nation, mais encore dans toute la Grèce. Il était instruit en toutes sortes de disciplines et surtout dans la philosophie de Pythagore : avantagé outre cela de tous les dons de la nature, il n'est pas surprenant qu'il ait eu de si grands succès. C'est ainsi qu'obligé de combattre avec quelques soldats thébains contre les forces réunies des Lacédémoniens et de leurs alliés, il se rendit tellement supérieur à des hommes jusqu'alors invincibles qu'il tua de sa propre main le roi Cléombrotus et fit passer au fil de l'épée la multitude presque entière des troupes qui le suivaient : (3) il vint à bout de ces grands exploits par le courage qu'il avoir cultivé dans son âme dès son enfance et par l'attention infinie qu'il apportait aux circonstances de ses entreprises. C'est ce qui se manifestera plus en détail dans la suite de ses actions. [15,40] Mais pour ne point rompre actuellement le fil de notre histoire, nous devons dire que toutes les villes devenues maîtresses d'elles-mêmes tombèrent par là dans le trouble et la confusion, et surtout celles du Péloponnèse. Gouvernées auparavant par un petit nombre de magistrats, elles usèrent inconsidérément, témérairement et à leur désavantage, du pouvoir populaire. Elles chassèrent plusieurs des plus honnêtes gens de leurs citoyens : elles prononcèrent des condamnations injustes sur les dépositions des imposteurs et des envieux ; et s'enflammant de jalousie et de haine intestine, on ne voyait que bannissements et confiscations de biens. Ce désordre régna principalement dans les villes qui avaient été sujettes à Lacédémone ; (2) d'autant que les magistrats établis de sa part y ayant exercé un empire très dur, le peuple devenu le maître se vengeait d'eux sans ménagement : ce fut à cette occasion que les bannis de la ville de Phialée se saisirent d'un lieu fort qui se nommait Herée, d'où ils faisaient de violentes incursions dans la ville dont ils étaient exclus. Ayant un jour pris le temps qu'on célébrait les fêtes de Bacchus, ils tombèrent à l'imprévu sur ceux qui étaient admis dans l'amphithéâtre. Après en avoir égorgé plusieurs et s'être même fait aider dans cette exécution par ceux des citoyens à qui ils inspiraient leur rage, ils se retirèrent tous ensemble à Sparte. (3) Les exilés de Corinthe qui étaient en grand nombre dans Argos avaient résolu de rentrer de force dans leur ville. Quelques parents et quelques amis avaient déjà reçu secrètement quelques-uns d'entre eux dans leurs maisons mais ils furent découverts et dans ta crainte qu'ils eurent d'être pris et de subir la honte d'un supplice déshonorant, ils se donnèrent la mort les uns aux autres, Les Corinthiens ayant ensuite appelé en jugement ceux des leurs qu'ils croyaient avoir trempé dans cette conjuration condamnèrent les uns à la mort et les autres à l'exil. (4) A Mégare quelques-uns ayant entrepris de changer l'état présent de la république furent de même accablés par le peuple qui fit mourir les uns et chassa les autres. La même chose arriva à Sicyone, où l'on fit périr tous ceux qui voulaient faire quelque réforme au gouvernement présent. (5) Enfin plusieurs citoyens ayant été chassés de Phlius, ils se saisirent d'une forteresse voisine où ils firent venir encore un assez grand nombre de soudoyés par le secours desquels ils livrèrent un combat à ceux de la ville et leur tuèrent plus de trois cents hommes. Mais ensuite cette garnison étrangère trahit ceux-là mêmes qui l’avaient appelée de sorte que les habitants de Phlius eurent à leur tour l'avantage sur ces bannis et leur firent perdre plus de six cents hommes. Ils mirent en fuite tout le reste qui fut obligé de sortir de la province et de se réfugier dans Argos. Voilà un abrégé des calamités qui assiégeaient alors le Péloponnèse. [15,41] L'ANNÉE suivante Socratidès fut archonte d'Athènes et les Romains eurent au lieu de consuls quatre tribuns militaires, Q. Servilius, Serv. Cornélius, Sp. Papirius et L. Aemilius. Le roi Artaxerxés faisait alors la guerre aux Égyptiens révoltés contre les Perses. Pharnabaze commandait les troupes de sa nation qui montaient à deux cents mille hommes et l'Athénien Iphicrate était à la tête de tous les soldats étrangers ou soudoyés qui allaient à vingt mille hommes. La grande habileté de celui-ci dans la conduite d'une armée lui avait procuré cette fonction : (2) et comme Pharnabaze avait employé plusieurs années aux préparatifs de cette guerre, Iphicrate qui avait observé qu'il parlait avec une grande facilité, mais qu'il était lent dans ses opérations, s'enhardit un jour à lui dire qu'il s'étonnait qu'étant si aisé et si fécond dans ses discours, il se rendit long et tardif dans ses démarches. Pharnabaze répondit que cela venait de ce que ses paroles ne dépendaient que de lui et que ses œuvres dépendaient du Roi. (3) L'armée de terre fut assemblée Acé. A l'égard de l'armée navale elle était composée de trois cents vaisseaux à trois rangs de rames et de deux cents à trente rangs : car pour les vaisseaux de charge qui portaient toute forte de munitions, le nombre en était beaucoup plus grand. (4) Dès le commencement de l'été les généraux nommés par le Roi mirent à la voile ou marchèrent par terre à la tête de leurs troupes, du côté de l'Égypte. Arrivant aux bouches du Nil ils trouvèrent les Égyptiens prêts de leur côté à les recevoir et à se défendre. (5) Car Pharnabaze ne s'était pas hâté dans son trajet ou dans sa marche, et il avait laissé aux ennemis le temps de se préparer. Les généraux des Perses ne sont point les maîtres absolus de leurs mouvements ; il faut qu'ils rendent compte au Roi des moindres circonstances où ils se trouvent et qu'ils attendent sa réponse sur chaque article. [15,42] Nectanebis alors roi d'Égypte était bien informé des grandes forces qu'on envoyait contre lui, mais il se confiait beaucoup aux défenses, que la nature et l'art avaient fournies à ses états. En effet l'Égypte est d'un très difficile accès. (2) Les sept bouches du Nil qui forment sept entrées différentes, par mer et par terre, présentent en même temps sept forteresses qui préviennent aussi toute surprise et toute irruption. Ces forteresses sont des villes environnées de hautes tours dans le circuit de tous les rivages, et garnies de ponts de communication qui tiennent enfermés tous les bâtiments qui ont une fois pris terre. La bouche pélusiaque est de toutes la mieux défendue parce qu'elle s'offre la première aux vaisseaux qui viennent du côté de la Syrie, d'où l'on jugeait que l'on devait plutôt attendre des ennemis que d'ailleurs. (3) Dans cette vue le Roi avait fait creuser de grands fossés en deçà du rivage. Il avait fait fermer par des murs le long des côtes les enfoncements et les retraites où les ennemis pourraient se mettre à l'abri. D'un autre côté il avait fait inonder les chemins par terre. En un mot il avait rendu l'abord de l'Égypte également difficile à une flotte, à de la cavalerie et à de l'infanterie. (4) L'armée navale de Pharnabaze voyant la bouche pélusiaque ainsi défendue et gardée de plus par de nombreuses troupes, renonça absolument à l'espérance d'entrer par là dans l'Égypte et tenta une autre voie. Ainsi prenant le large pour n'être pas aperçue des ennemis, elles entreprit d'aborder en Égypte par la bouche appelée mendésiaque dont le rivage est très étendu. Pharnabaze et Iphicrate accompagnés de vaisseaux chargés de trois mille hommes, abordèrent en effet au pied d'un fort bâti sur l'embouchure qui porte ce nom. (5) Les Égyptiens étant venus au secours au nombre aussi de trois mille hommes tant cavalerie qu'infanterie, il se donna un combat très vif pendant lequel beaucoup d'autres vaisseaux de la flotte eurent le temps d'arriver, en forte que les Égyptiens environnés de toutes parts eurent du dessous. Il y en eut un grand nombre de tués et plusieurs furent pris vivants. Le reste mis en fuite se réfugia dans Mendès. Les soldats d'Iphicrate entrant avec eux se rendirent maîtres du fort ; ils le rasèrent et mirent aux fers la garnison et les habitants. [15,43] A ce sujet il s'éleva entre les chefs une dispute qui fit perdre aux uns et aux autres le fruit de ce premier succès. Iphicrate qui savait par ses captifs que Memphis n'était pas gardée, jugea qu'il fallait aller sans délai à cette capitale de l'Égypte, avant que toutes les forces du royaume se fussent rassemblées pour la défendre. Pharnabaze au contraire jugeait à propos d'attendre tout le reste de sa flotte, pour rendre plus sûre une entreprise de cette importance. (2) Mais Iphicrate ne demandait que ses soudoyés et il s'engageait à se rendre maître de Memphis avec eux seuls. Cette hardiesse fit soupçonner sa fidélité et Pharnabaze crut qu'il songeait à s'emparer de cette ville en son propre nom. La proposition d'Iphicrate ayant donc été rejetée celui-ci prit le ciel à témoin que ce ne serait pas sa faute si, laissant perdre une occasion favorable, toute l'armée devenait inutile. Cette diversité d'avis produisit de la jalousie entre les deux généraux et des accusations fausses contre ce dernier. (3) Cependant les Égyptiens qui avaient eu du temps devant eux, pourvurent Memphis de toutes les défenses nécessaires. Ils se rassemblèrent aux autour de la petite ville de Mendès qu'on avoir détruite ; et pourvus comme ils l'étaient d'excellentes armes, ils allaient fréquemment attaquer les ennemis. Enfin devenant de jour en jour plus forts, ils faisaient perdre bien du monde aux Perses et acquerraient eux-mêmes de l'expérience et du courage. (4) L'attaque de ce poste occupa l'armée des Perses jusqu'à la saison des vents étésiens qui mettent l'inondation du Nil, dont les eaux couvrant toute la campagne rendent l'Égypte encore plus forte et réellement impraticable. Ce fut alors que les Perses à qui tout devenait contraire prirent le parti de la retraite. (5) Ils revinrent en Asie où la division de Pharnabaze et d'Iphicrate ayant éclaté, Iphicrate qui craignait d'être pris et de subir le sort de Conon, jugea à propos de sortir du camp secrètement. Ainsi ayant fait tenir un vaisseau prêt, il s'échappa la nuit et revint à Athènes. (6) Pharnabaze fit partir après lui des ambassadeurs pour l'accuser devant son sénat d'avoir fait manquer par sa faute la conquête de l'Égypte. Les Athéniens répondirent aux Perses que s'ils trouvaient Iphicrate coupable, ils le puniraient suivant la qualité du délit. Mais peu de temps après ils lui donnèrent le commandement de leur flotte. [15,44] Il est à propos de rapporter à cette occasion ce que l'on a dit des grandes qualités d'Iphicrate. Il a passé pour avoir reçu de la nature une prévoyance utile en toute sorte de rencontres, mais surtout en matière de guerre. Il avait acquis pendant le temps qu'il servait la Perse une expérience consommée dans toutes les parties de l'art militaire, mais surtout en ce qui concerne la manière de s'armer. (2) Avant lui les Grecs se couvraient de grands boucliers, avec lesquels ils ne se remuaient qu'avec peine : il les en débarrassa et les changea en une arme défensive plus légère appelée pelta, qui gardant suffisamment le corps, lui laissait d'ailleurs la liberté de se mouvoir aisément. (3) Cette invention ayant été adoptée, on appela les pesamment armés ceux qui conservèrent l'ancien bouclier et les armés à la légère ceux à qui l'on fit prendre le nouveau. Il fit un changement tout contraire à l'égard de la lance et de l'épée. Car il donna aux lances une fois et demie plus de longueur qu'elles n'en avaient et rendit aussi les épées presque une fois plus longues qu'auparavant. Le succès ayant répondu à l'intention de l'inventeur, l'heureuse expérience qu'on en fit augmenta encore sa gloire avec le temps. (4) Il imagina aussi pour les soldats une chaussure plus aisée à mettre et à porter et qu'on appelle encore, aujourd'hui des Iphicratides. En un mot, on lui doit dans l'art militaire beaucoup d'autres pratiques très utiles que nous supprimons pour abréger. Mais enfin la guerre des Perses contre l'Égypte, après les immenses préparatifs quelle avait coûté, trompa l'attente qu on en avait eue et demeura une entreprise vaine et sans aucune sorte de succès. [15,45] XIII. CEPENDANT la Grèce demeurait toujours dans les troubles excités par un gouvernement auquel elle n'était pas accoutumée et dont la diversité des opinions et des partis faisaient une véritable anarchie. Les Lacédémoniens continuaient de favoriser ceux qui penchaient pour l'autorité d'un petit nombre et les Athéniens au contraire soutenaient partout la démocratie ; (2) ces deux capitales demeurant d'ailleurs entre elles dans les termes du traité de paix. Mais bientôt après elles franchirent cette barrière pour défendre les villes qui leur étaient affidées. Dans l'île de Zacynthe les habitants qui se ressouvenaient de la dureté du gouvernement des Spartiates, chassèrent de leur ville tous ceux qui y avaient commandé de leur part: ceux-ci se mettant sous la protection de Timothée chef de la marine d'Athènes, prirent parti dans sa flotte et devinrent ses soldats : (3) de sorte que Timothée agissant aussi pour eux, les ramena dans leur île où ils se rendirent maîtres sur le bord de la mer d'un fort qu'ils nommèrent Arcadie. Partant de là sous la conduite de Timothée lui-même, ils incommodaient beaucoup les habitants de la capitale de sorte que ceux-ci ayant demandé du secours aux Lacédémoniens ; (4) ces derniers commencent par envoyer des ambassadeurs à Athènes pour se plaindre de l'entreprise de Timothée: ils trouvèrent le peuple d Athènes disposé favorablement pour les bannis. Ainsi l'on jugea à propos dans Sparte d'équiper une flotte de vingt-cinq vaisseaux pour l'envoyer au secours des habitants de Zacynthe. On en donna le commandement à Aristocrate. [15,46] En ce même temps quelques amis que les Lacédémoniens avaient dans Corcyre s'élevèrent contre le peuple de cette île et invitèrent Sparte à leur envoyer une flotte avec laquelle ils se faisaient fort de lui soumettre l'île entière. Les Spartiates qui connaissaient toute l'importance de ce poste pour commander la mer, saisirent avidement l'occasion qui leur était offerte (2) et envoyèrent à Corcyre vingt-deux galères sous-la conduite d'Alcidas. Mais ils firent semblant de destiner cette flotte contre la Sicile afin que les Corcyréens les recevant comme amis, les Spartiates pussent s'insinuer dans la capitale de l'île à la faveur de ses bannis. (3) Cependant les Corcyréens qui avaient pénétré l'intention des Spartiates leur tinrent leur ville exactement fermée et envoyèrent demander à Athènes du secours contre eux. Les Athéniens jugèrent à propos d'en préparer et pour eux et pour les bannis de Zacynthe. Mais ils envoyèrent d'abord Ctésiclès à Zacynthe pour y rétablir les bannis et ils en étaient encore à disposer la flotte qu'ils destinaient pour Corcyre. (4) Dans cet intervalle ceux de Platées en Béotie qui cherchaient à le donner aux Athéniens, leur envoyèrent demander une garnison. Les chefs de la Béotie indignés de cette bassesse, se hâtèrent de prévenir les troupes d'Athènes ; ils allèrent au-devant d'elles avec des forces considérables et les attaquèrent inopinément auprès des murs de Platées. (5) Les citoyens qui étaient sortis pour venir au-devant de là garnison qu'ils attendaient, se trouvèrent enveloppés dans un combat de surprise, où ils furent presque tous faits prisonniers de guerre par les cavaliers Thébains. Les autres réduits à rentrer dans leur ville seuls et sans ceux qu'ils avaient appelés à leur défense furent bientôt obligés de se rendre aux conditions qu'il plût au vainqueur de leur prescrire. Il fallut qu'emportant leurs meubles, ils sortissent de la ville à condition encore de ne mettre jamais le pied dans la Béotie. (6) Les Thébains rasèrent ensuite Platées et assiégèrent Thespies autre ville qui leur était contraire. Cependant ceux de Platées se réfugièrent à Athènes avec leurs femmes et leurs enfants. L'humanité et la politesse du peuple Athénien leur y fit trouver toutes les douceurs de la société civile et d'une habitation commune. C'est là qu'en étaient les affaires de la Béotie. [15,47] Les Lacédémoniens nommèrent Mnasippe chef de la flotte qu'ils envoyaient dans l'île de Corcyre. Elle était composée de soixante-cinq vaisseaux chargés de quinze cents soldats. Ayant pris terre à l'île, Mnasippe reçut d'abord tous les bannis de la ville et, en s'avançant vers le port, il se saisit de quatre vaisseaux corcyréens. Comme il en poursuivait trois autres, l'équipage échoué y mit le feu pour les rendre inutiles à l'ennemi. Quand Mnasippe fut descendu il battit les habitants quoique postés sur une hauteur avantageuse et répandit une grande terreur dans toute l'île. (2) Les Athéniens avaient déjà fait partir Timothée fils de Conon au secours des Corcyréens avec soixante vaisseaux. Mais avant que de se rendre à ce terme, il était passé en Thrace pour attirer d'autres villes à l'alliance des Athéniens ; et en effet il avait gagné à cette excursion et à ce détour de grossir sa flotte d'environ trente voiles de plus. (3) Cependant comme il était arrivé trop tard à son objet principal ou tel que sa commission le portait, le peuple mécontent de ce délai lui ôta le commandement. Mais étant venu à Athènes accompagné des ambassadeurs d'un grand nombre de villes qu'il avait amenées à l'alliance des Athéniens, suivi de ses trente vaisseaux d'augmentation, à la tête enfin d'une armée en bon ordre dans toutes ses parties, le peuple se radoucit à son égard et lui rendit tous ses titres. (4) Il trouva moyen de se donner encore un plus grand nombre. de vaisseaux et il fit monter sa flotte à cent trente voiles ; on le fournit aussi très amplement de toute sorte de provisions de guerre et de bouche. Pour le présent néanmoins Etésiclès fut chargé de conduire en chef un secours de cinq cents hommes qu'on envoyait aux insulaires de Corcyre. (5) Etesiclès aborda de nuit dans cette île et entra dans la ville à l'insu des assiégeants. Il y trouva les citoyens animés les uns contre les autres et soutenant très mal le siège : il apaisa les dissensions, et mettant ordre à tout ce qui concernait leur défense, il leur inspira même du courage. (6) Il leur fit faire d'abord une sortie inopinée sur les assiégeants auxquels ils tuèrent deux cents hommes ; et dans un plus grand combat qui fut donné ensuite, il tua Mnasippe lui-même et un grand nombre de ses gens : enfin ayant assiégé en quelque sorte les assiégeants mêmes, il s'acquit là une grande estime. (7) La guerre de Corcyre était presque terminée, lorsque la flotte entière d'Athènes arriva sous le commandement de Timothée et d'Iphicrate. Ainsi ces deux généraux ne trouvèrent presque rien à faire : si ce n'est que tombant sur neuf galères siciliennes que Denys envoyait aux Lacédémoniens en signe d'alliance, sous la conduite de Cillidès et de Crinippus, il les prirent avec tous les hommes qui étaient dedans. Et ayant fait plus de soixante talents de la vente de ces prisonniers, ils en payèrent leur équipage. (8) Ce fut vers ce temps-là que l'eunuque Nicoclès ayant tué en trahison le roi Évagoras, s'empara de l'île de Chypre et du trône de Salamine sa capitale. En Italie les Romains ayant défait en bataille rangée les habitants de Préneste, firent mourir la plupart de ceux qui leur avaient résisté. [15,48] Asteius étant archonte d'Athènes, les Romains donnèrent l'autorité de consuls à six tribuns militaires, qui furent M. Furius, L. Furius, A. Posthumius, L. Lucrétius , M. Fabius et L. Posthumius. Dans cette année tout le Péloponnèse fut désolé par des inondations prodigieuses et d'effroyables tremblements de terre qui détruisirent et les villes et les campagnes. Les histoires ne faisaient point mention d'un si terrible fléau à l'égard de la Grèce. Des villes entières furent abîmées avec tous leurs habitants et la colère des dieux semblait annoncer la perte du genre humain. (2) Le temps même où les tremblements de terre se faisaient sentir les rendait encore plus affreux. Ils n'arrivaient jamais pendant le jour, où les citoyens des villes auraient pu se prêter quelques secours les uns aux autres. Ce désastre était toujours réservé pour la nuit où les maisons se renversaient en grand nombre et où les hommes toujours surpris dans les ténèbres, ne savaient par où se sauver eux-mêmes. (3) La plupart demeuraient ensevelis sous les pierres et quelques-uns que le hasard avait sauvés jusqu'au jour, en voulant se jeter alors hors de leurs portes tombaient dans un inconvénient qui n'était pas moins terrible : car la mer s'élevant prodigieusement venait les engloutir dans leurs maisons mêmes. Cet accident particulier aux villes maritimes, arriva en effet dans deux villes de l'Achaïe, Hélicè et Buta, dont la première avait eu avant ce malheur une très grande réputation dans cette province du Péloponnèse. (4) Quelques physiciens ont mieux aimé chercher la cause nécessaire et naturelle de ce phénomène, que de le regarder comme un effet particulier de la colère des dieux. Mais les hommes religieux ont présente aux impies dans cet exemple des preuves très vraisemblables de la vengeance céleste : nous tâcherons de les rapporter exactement. [15,49] Neuf villes de l'Ionie avaient institué une assemblée solennelle et générale qu'ils appelaient par cette raison même Panionie. Là ils faisaient de pompeux sacrifices à Neptune dans une plaine déserte auprès de la ville de Mycale. Mais les guerres qui survinrent dans la suite en ces cantons faisant obstacle à ces solennités pieuses, on les transporta dans un lieu plus tranquille auprès d'Éphèse. On envoya en même temps des députés à la Pythie qui leur ordonna d'aller prendre les statues qui se trouveraient encore sur les premiers et les plus anciens autels de leurs ancêtres dans Hélicè, capitale d'une province qui s'appelait alors Achaïe mais s'était autrefois appelée Ionie. (2) Sur cette réponse de l'oracle les Ioniens envoyèrent demander ces statues dans l'Achaïe. Les députés dans l'assemblée générale des Achéens présentèrent leur requête et en pressaient l'exécution. Mais les habitants d'Hélicè qui avaient par devers eux un autre oracle selon lequel ils seraient exposés à un grand péril lorsque les Ioniens sacrifieraient sur l'autel de Neptune, l'interprétèrent de l'occasion présente et refusèrent les statues qu'on leur demandait en disant que leur temple n'était point commun à toute l'Achaïe et qu'il appartenait à eux en particulier. Les habitants de Bura prirent aussitôt le parti de ceux d'Hélicè. (3) Cependant les Ioniens obtinrent de l'assemblée générale de l'Achaïe la permission de faire un sacrifice sur l'autel de Neptune, conformément à un des articles de l'oracle qui leur avait été rendu. Ceux d'Hélicè, irrités d'une pareille condescendance, se jetèrent sur les hardes et sur tout le bagage des députés ; mettant dans les fers leurs personnes mêmes quoique revêtues d'un titre sacré, ils offensèrent grièvement la divinité dans ses ministres. (4) C'est pour cela, dit-on, que Neptune irrité châtia les deux villes coupables par des tremblements de terre et par des inondations extraordinaires. Or que cette punition vienne immédiatement de Neptune, on en allègue pour preuve que ce dieu est particulièrement arbitre de ces deux fléaux et que d'ailleurs le Péloponnèse a toujours été regardé comme son habitation propre : que ce pays lui est singulièrement consacré et que la plupart de ses villes lui rendent plus d'honneurs qu'aux autres dieux. (5) On ajoute à cela que par la nature du lieu le Péloponnèse enferme de grandes concavités souterraines et d'immenses réservoirs où les eaux se tiennent rassemblées et que l'on y connaît entre autres deux fleuves qui coulent sous les terres. Celui qui prend sa source auprès de Phénée s'enfonça et disparut peu de temps après qu'on l'eut aperçu et il est demeuré dans les entrailles de la terre. Un autre qui est auprès de Stymphie se jette dans une ouverture où il reste caché la longueur de deux cents stades au bout desquelles il se remontre auprès d'Argos. (6) On remarqua de plus que personne ne périt dans le désastre rapporté plus haut que ceux qui étaient personnellement coupables. Mais en voilà assez sur ce sujet. Olympiade 102. an 1. 372 ans avant l'ère chrétienne. [15,50] Alcistène étant archonte d'Athènes, les Romains créèrent au lieu de consuls huit tribuns militaires, L. et P. Valèrius, C. Térentius, L. Menenius, C. Sulpitius, T. Papirius, L. Aemilius et M. Fabius. On célébra la cent- deuxième Olympiade où Damon de Thurium remporta encore le prix de la course. (2) Les signes du ciel annoncèrent cette année aux Lacédémoniens la perte de l'empire de la Grèce qu'ils avaient possédé pendant cinquante ans. On vit plusieurs nuits de suite une lumière ardente qu'on appela la poutre enflammée. Et en effet dans peu de temps les Spartiates seront vaincus, malgré toutes les apparences contraires, dans-un combat où ils perdront sans retour le commandement et la supériorité dont ils avaient joui jusqu'alors. (3) Quelques physiciens rapportaient ce phénomène à des causes naturelles ; ils prétendaient que ces apparitions avaient des retours réglés et que les Chaldéens de Babylone et d'autres astrologues en faisaient des prédictions immanquables. Qu'ainsi, au lieu de s'étonner de ces sortes de spectacles, ils seraient extrêmement surpris que la période éternelle et constante de tout ce qui se passe dans la nature ne les ramenât pas dans les temps déterminés. Au reste ce phénomène était d'une si grande clarté que pendant la nuit il formait des ombres à peu près semblables à celles de la lune. XIV. (4) ENVIRON ce temps-là le roi Artaxerxès, voyant toute la Grèce en division et en trouble, y envoya des ambassadeurs pour inviter toutes les villes à terminer leurs querelles et à rentrer en paix les unes avec les autres, aux conditions dont elles étaient auparavant convenues. Elles se portèrent volontiers à cette proposition ; et toutes ces villes, hors Thèbes seule, renouvelèrent l'ancien traité. Les Thébains prétendaient toujours que la Béotie ne composait qu'une seule et même république sous un seul et même gouvernement. Ainsi ils ne pouvaient s'accommoder d'une forme selon laquelle chaque ville donnait à part et comme de son chef sa signature et son serment. Exclus par là comme auparavant de la convention générale, ils demeurèrent seuls sous le nom particulier de province de la Béotie. (5) Les Lacédémoniens mécontents de cette exception opinèrent à les attaquer avec une armée nombreuse comme des ennemis communs. Dans le fond ils ne voyaient leur accroissement qu'avec une extrême jalousie et ils craignaient beaucoup que maîtres seuls de la Béotie entière, ils ne leur enlevassent à eux-mêmes avec le temps le commandement de la Grèce. Comme les Thébains passaient leur vie en des exercices perpétuels, ils acquerraient une prodigieuse force de corps ; et ayant d'ailleurs les inclinations extrêmement guerrières, ils ne cédaient en cette partie à aucun peuple de la Grèce. (6) Nous avons déjà parlé de la supériorité de leurs trois capitaines Épaminondas, Gorgias et Pélopidas sur d'autres qu'ils avaient encore et qui étaient excellents. La Ville de Thèbes s'était distinguée dès les temps héroïques par la gloire de ses fondateurs et dans routes les occasions où il avait fallu montrer de la prudence et du courage. Les Lacédémoniens se préparèrent donc sérieusement à la guerre et ils levèrent un grand nombre de troupes tant de leurs propres citoyens que de toutes les Villes qui étaient demeurées dans leur alliance. [15,51] Phrasiclide étant archonte d'Athènes, les Romains eurent au lieu de consuls huit tribuns militaires, P. Manlius, C. Erenucius, C. Sextius, L. Julius, M. Albinius, P. Trebonius, C. Manlius et L. Antistius. Les Thébains qui n'avaient pas voulu être compris dans la paix générale se trouvèrent seuls à soutenir l'effort des Lacédémoniens, et il n'était permis à aucune ville de se joindre à eux : (2) aussi Sparte conçut-elle une grande espérance de cette guerre et elle croyait déjà voir Thèbes dans ses fers. Les autres peuples de la Grèce, témoins de cette disposition des choses, n'en pensaient pas autrement eux-mêmes : jusques-là que plusieurs d'entre eux, qui étaient portés d'inclination et d'estime pour les Thébains, les plaignaient d'avance et croyaient déjà les voir dans le comble de l'infortune ; (3) tandis que ceux qui ne les aimaient pas se réjouissaient de leur calamité prochaine. Enfin les Lacédémoniens ayant rassemblé toutes leurs troupes en donnèrent le commandement à leur roi Cléombrotus. Ils envoyèrent avant toutes choses des ambassadeurs à Thèbes, par lesquels ils exigeaient que les Thébains laissassent toutes les villes de la Béotie à elles-mêmes, qu'ils rappelassent à Platées et à Thespies les habitants qu'ils en avaient fait sortir et qu'ils rendissent toutes les terres des envions à leurs anciens possesseurs. (4) Les Thébains répondirent que comme ils ne se mêlaient pas de ce qui concernait le territoire de la Laconie, ils ne croyaient pas que les Lacédémoniens dussent faire le partage des terres de la Béotie. Sur cette réponse, on fit partir Cléombrotus pour aller établir ses troupes aux environs de Thèbes. Les alliés de Lacédémone servaient avec joie dans cette guerre, s'imaginant qu'il n'y s'agirait ni d'attaque ni de défense et qu'ils allaient entrer sans résistance dans la Béotie. [15,52] S'avançant donc jusques à Coronée ils campèrent là pour attendre ceux de leurs alliés qui ne les avaient pas encore joints. Les Thébains à l'approche des ennemis avaient statué par un décret public d'envoyer leurs femmes et leurs enfants à Athènes. Ils nommèrent en même temps Épaminondas pour général et lui confièrent toute la conduite de cette guerre en lui donnant néanmoins six béotarques pour conseil et pour lieutenants. (2) Épaminondas prit d'abord toute la jeunesse de la ville et ce qu'il y avait de meilleur dans celle de la province entière et se mit en marche avec cette armée composée de plus six mille hommes. (3) Dès la sortie des portes de Thèbes, ils crurent faire une rencontre de mauvaise augure. Il se présenta un huissier du peuple qui conduisait un esclave aveugle pris en fuite, et suivant la formule établie chez les Thébains, l'huissier criait qu'on ne le chasse point de Thèbes et qu'on ne le punisse point de mort mais que son maître en le reprenant lui sauve la vie. (4) Les plus âgés d'entre les soldats disaient que cette aventure pronostiquait un fâcheux retour, mais les plus jeunes gardaient le silence, de peur d'être soupçonnés de lâcheté s'ils proposaient à Épaminondas de suspendre son entreprise. En effet, Épaminondas n'opposa à ceux qui voulaient lui faire trouver dans cette aventure un avis du ciel que ce vers d'Homére. Mon augure est l'honneur de servir ma patrie. (5) A peine ce général avait-il imposé silence par cette réponse aux hommes superstitieux qu'un autre fait qui arriva parut d'un présage encore plus funeste. Le secrétaire du général ou du conseil de guerre portait les ordres dans le camp ayant à la main une pique ou une lance , où pendait une banderole. Or il arriva qu'un grand vent ayant enlevé cette banderole en alla envelopper une colonne posée sur un tombeau : et c'était là qu'étaient ensevelis quelques Lacédémoniens et autres soldats du Péloponnèse qui avaient combattu sous Agésilas. (6) Là-dessus les vieillards insistèrent plus fort qu'auparavant et soutenaient qu'il ne fallait point avancer contre l'indication formelle de la volonté des dieux. Épaminondas ne leur répondit rien et continua sa marche, jugeant que l'honneur, le devoir et la justice étaient préférables à des interprétations superstitieuses des premiers objets que le hasard offrait à la vue. (7) C'est par là qu'Épaminondas véritablement philosophe et ayant cultivé en lui dès son enfance une raison courageuse, fut d'abord condamné par la multitude ; mais justifié dans la suite par la supériorité de son intelligence et de sa valeur, il procura de très grands avantages à sa patrie. Car s'étant saisi avec toutes ses forces du passage étroit de Coronée, il y dressa son camp. [15,53] Cléombrotus apprenant que ce poste était occupé, songea à prendre une autre route; et en côtoyant la Phocide sur les bords de la mer de Corinthe, chemin d'ailleurs assez rude et assez fâcheux, il entra dans la Béotie sans obstacle : et même il s'était saisi dans son chemin de quelques galères et de quelques forts. (2) Enfin étant arrivé à Leuctres il y campa et laissa le temps à ses soldats de se reposer. Les Béotiens les sachant là s'avancèrent de ce même côté et ayant eu occasion de passer par-dessus quelques hauteurs, ils virent que les ennemis couvraient toute la campagne de Leuctres. L'aspect d'une si grande armée les surprit et les effraya. (3) Là-dessus les béotarques tinrent conseil et discutèrent entre eux lequel était le plus à propos ou d'attaquer cette armée quoique supérieure à la leur, ou de chercher un poste plus avantageux à leur petit nombre. Les avis furent exactement partagés. Car des six lieutenants ou béotarques, trois opinèrent pour la retraite et les trois autres pour le combat ; mais Épaminondas se joignit à ces trois derniers. La dispute était vive et animée lorsque le septième béotarque arriva. Épaminondas le gagna par ses raisons de sorte que son avis prévalut enfin et le combat fut conclu. (4) Mais Épaminondas s'apercevant que ses soldats étaient encore frappés des fâcheux présages qu'ils avaient eus à leur départ, il imagina une fable à peu près de la même espèce pour guérir leur superstition. Il engagea quelques hommes qui étaient venus de Thèbes au camp, à dire que toutes les armes qui étaient appendues dans le temple d'Hercule avaient disparu tout d'un coup ; et que l'on disait dans Thèbes que les héros qui les avaient portées autrefois les avaient reprises, pour venir au secours des Béotiens dans une bataille qu'ils allaient donner. Il aposta un homme qui se disait revenu tout récemment de l'antre de Trophonius, d'où il apportait l'ordre exprès aux Thébains vainqueurs à Leuctres, de célébrer en l'honneur de Jupiter Roi un combat coronaire, ou dont le prix serait une couronne. Les Béotiens ont conservé depuis ce temps-là l'usage de cette solennité dans Lébadie. [15,54] Léandre de Sparte, qui ayant été banni de sa ville, servait alors dans les troupes thébaines, ne contribua pas peu à cette institution. Car amené dans la place publique de Thèbes, il avait déclaré que les Spartiates avaient un ancien oracle par lequel il était dit que les Lacédémoniens perdraient leur supériorité sur la Grèce, par une victoire que les Thébains remporteraient sur eux à Leuctres. (2) Il vint aussi à Épaminondas des devins du pays qui lui dirent qu'il devait arriver un grand désastre aux Lacédémoniens auprès du tombeau des filles de Leuctrus et de Scedasus, par la raison suivante qu'ils en alléguaient. (3) Leuctrus avait donné son nom à ce canton. Or il arriva que des ambassadeurs de Sparte violèrent ses filles et celles d'un certain Scedasus, qui avaient les unes et les autres la fleur de leur virginité. Ces filles ne pouvant survivre à l'outrage qui leur avait été fait, invoquèrent la vengeance des furies sur la nation qui avait envoyé de tels ambassadeurs ; après quoi elles se tuèrent de leurs propres mains. (4) Sur ces discours et d'autres semblables, Épaminondas assembla ses soldats et leur rapportant ces faits qu'il ne tenait que d'eux-mêmes, il les exhorta à se comporter courageusement. Les plus superstitieux se laissèrent gagner et changèrent leurs vaines terreurs en un désir ardent du combat. (5) Il arriva même en ce temps-là aux Thébains de la part des Thessaliens un secours de quinze cents hommes d'infanterie et de cinq cents cavaliers conduits par Jason. Celui-ci néanmoins proposa d'abord aux deux partis de faire une trêve, en représentant à chacun d'eux l'incertitude de la fortune. (6) On se prêta de part et d'autre à cette proposition, et Cléombrotus après avoir signé un traité ramenait son armée de la Béotie, lorsqu'il rencontra un puissant secours tant de Lacédémoniens que de leurs alliés, commandé par Archidamus fils d'Agésilas. Car les Spartiates voyant les grands préparatifs des Béotiens et redoutant sur tout leur courage inébranlable envoyaient à leurs généraux une seconde armée pour tenir tête du moins par le nombre à l'intrépidité de leurs adversaires. (7) Quand ces forces furent réunies, les Lacédémoniens jugèrent qu’il leur serait honteux alors de craindre dans leurs ennemis une supériorité de vertu. Ainsi malgré le dernier traité qu'ils venaient de signer, ils revinrent sur leurs pas aux champs de Leuctres. Les Thébains très disposés à les recevoir se mirent bientôt en ordre de bataille. [15,55] Le roi Cléombrotus et Archidamus fils du roi Agésilas, deux généraux du sang d'Hercule, commandaient chacun une des deux ailes de l'armée. Du côté des Thébains, Épaminondas par une ordonnance singulièrement et excellemment imaginée se prépara une victoire mémorable. (2) Il assembla dans l'une de ses deux ailes qu'il devait commander lui-même tout ce qu'il y avait de meilleur dans son armée. Il composa l'autre de ce qu'il avait de plus faible et même il leur ordonna de se battre en retraite dès le commencement et d'engager les ennemis à les poursuivre : en conséquence de quoi mettant lui-même son aile en biais, il comptait les envelopper et s'assurer la victoire par la valeur de ceux qu'il commandait en personne. (3) Dès que les trompettes eurent donné le signal, deux armées s'ébranlèrent en jetant les cris ordinaires. Les Lacédémoniens s'avancèrent en donnant à leur phalange cette forme de nouvelle lune ou de croissant qui leur était usitée. Une des deux ailes béotiennes cédait peu à peu le terrain comme il lui était ordonné et l'autre au contraire hâtait le pas pour prendre les ennemis par derrière. (4) Quand on en fut venu aux mains, le combat demeura quelque temps douteux par l'émulation réciproque des deux partis. Mais bientôt après, la valeur personnelle d'Épaminondas secondée par la confiance et par le bon ordre de ses bataillons diminua prodigieusement les rangs dans l'armée du Péloponnèse : celle-ci ne pouvait soutenir l'effort de ces hommes d'élite qui tombaient sur elle. Entre les Spartiates les uns étaient tués et les autres couverts de blessures toutes reçues par devant. (5) Tant que le roi Cléombrotus demeura vivant, le nombre et le zèle de ceux qui combattaient pour le défendre et qui sacrifiaient leur vie pour lui rendait en quelque sorte la victoire douteuse. Mais lorsqu'après s'être livré à tous les périls, après avoir combattu en héros, après avoir été couvert de blessures, il fut enfin tombé mort, le nombre de ceux qui s'assemblèrent autour de son corps pour le défendre et pour l'emporter donna lieu à un carnage effroyable de Lacédémoniens. [15,56] Mais de plus par le désordre qui se jette naturellement dans une armée sans chef, les Thébains en rompirent peu à peu tous les rangs. Cependant les Spartiates, combattant avec un courage invincible pour défendre le corps de leur roi, le conservèrent en effet : mais le gain de la bataille demeura à leurs adversaires, (2) car les soldats d'élite d'Épaminondas, animés et soutenus encore par les exhortations et par l'exemple de leur général, repoussèrent quoi qu'avec beaucoup de peine les Spartiates. Ceux-ci en reculant d'abord peu à peu laissèrent délier leurs rangs ; mais dans la suite plusieurs d'entre eux étant tués et la nouvelle de la mort de leur roi étant bientôt parvenue jusqu'à leurs dernières lignes, la déroute fut universelle. (3) L'armée thébaine se mit alors à les poursuive et continuant le massacre remporta enfin une victoire signalée, d'autant plus qu'ayant en à combattre le plus vaillants hommes de la Grèce, auxquels ils étaient de beaucoup inférieurs en nombre, ils donnèrent une idée extraordinaire de leur courage. Mais leur Général Épaminondas fut véritablement couvert de gloire pour avoir procuré cet avantage à sa nation par sa valeur et surtout par son intelligence dans l'art militaire. (4) Les Lacédémoniens dans cette bataille ne perdirent pas moins de quatre mille hommes , contre trois cents Béotiens qui y furent tués. On convint ensuite d'une suspension d'armes pour la sépulture des morts de part et d'autre, et pour la retraite des Lacédémoniens en leur pays : telle fut la conclusion de la bataille de Leuctres. [15,57] L'année suivante Dysnicète étant archonte d'Athènes, les Romains créèrent au lieu de consuls quatre tribuns militaires, Q. Servilius, L. Furius, C. Licinius et P. Cloelius. Les Thébains, marchaient vers Orchomène dans le dessein de réduire les habitants de cette ville à la condition d'esclaves. Mais Épaminondas leur représenta qu'une nation qui aspirait au commandement de la Grèce, devait conserver par l'humanité l'empire qu'elle avait acquis. par la valeur. Cet avis leur fit changer de projet et ils mirent Orchomène au nombre des villes qui leur étaient alliées. Ayant gagné par les mêmes voies les villes de la Phocide, de la Locride et de l'Étolie ils s'en revinrent dans la Béotie. (2) XV. VERS ce même temps Jason tyran de Phères, qui devenait de jour en jour plus puissant , entra en armes dans la Locride ; et s'étant saisi ensuite d'Héraclée en Trachinie par trahison, il la fit raser et donna tout le territoire des environs aux habitants d'Oeta et de Mélia. Conduisant de là son armée vers les Perrhèbes, il gagna quelques villes de ces cantons par des promesses et en soumit quelques autres par la force : sa puissance s'étant ainsi accrue en peu de temps, son ambition et son avidité commencèrent à devenir suspectes à tous les peuples de la Thessalie. (3) Ce fut alors qu'il s'éleva dans Argos une sédition suivie du meurtre de tant de citoyens que la Grèce entière n'avait pas encore fourni un si affreux événement. Les Grecs l'appellent le scytalisme de l'instrument avec lequel les citoyens effrénés s'attaquaient et se tuaient même d'abord les uns les autres. [15,58] Le peuple se souleva à l'occasion que je vais dire. Le gouvernement d'Argos était purement démocratique. Or les orateurs de la populace s'étant avisés de s'animer contre ceux qui étaient distingués par leur richesse ou par leur réputation, ceux-ci pour se venger entreprirent d'arracher au peuple l'autorité publique. (2) Le soupçon qu'on en eut fit mettre quelques-uns de ces derniers à la torture et d'autres se tuèrent eux-mêmes pour la prévenir. Mais un d'entre eux avoua le fait et donna des indices de sa déposition contre une trentaine des principaux de la ville. Le peuple, sans autre examen, fit mourir tous les accusés et vendit leurs biens à l'encan. (3) Plusieurs autres ayant été soupçonnés du même complot et les orateurs animant encore la populace par de fausses accusations, elle s'aigrit au point de condamner à la mort douze cents de ses plus riches et de ses plus considérables concitoyens. Dans la suite les orateurs eux-mêmes ne furent pas épargnés. (4) Car ces malheureux, craignant que l'effroyable exécution dont ils étaient cause n'eut enfin pour eux un retour funeste, mirent fin tout d'un coup à leurs dépositions. Le peuple, qui crut qu'ils abandonnaient sa cause, tourna aussitôt son indignation contre eux et les égorgea tous sans miséricorde. C'est ainsi que, par un effet de la vengeance divine, ils furent eux-mêmes la victime de la frénésie qu'ils avaient fait naître. Mais enfin cette rage populaire étant passée, les habitants revinrent d'eux-mêmes à cette bienveillance réciproque dans laquelle ils vivaient auparavant. [15,59] D'un autre côté Licoméde de Tégée persuada aux Arcadiens de former de toute leur province un seul corps, qui aurait une assemblée générale composée de dix mille d'entre eux, en qui seuls résiderait l'autorité de la guerre et de la paix. (2) Le seul énoncé de ce projet mit les esprits dans une agitation qui fit courir aux armes. Plusieurs furent tués et plus de quatorze cents se réfugièrent à Sparte ou à Palantium. (3) Mais les habitants de cette dernière ville livrèrent leurs réfugiés aux Arcadiens qui les égorgèrent : et ceux qui avaient choisi Sparte pour leur retraite persuadèrent aux Spartiates de porter la guerre en Arcadie. (4) Ainsi le roi Agésilas à la tête d'une armée Lacédémonienne et des réfugiés mêmes se jeta dans le territoire de Tégée, parce qu'il paraissait que les habitants de cette ville étaient la première cause de la sédition. Ainsi ravageant leurs campagnes et faisant des insultes à la ville même, il répandit une grande terreur dans tout ce canton. [15,60] Jason tyran de Phères, homme expert en fait de guerre et qui s'était fait beaucoup d'alliés, prit ce temps-là pour engager les Thessaliens à aspirer à l'empire de la Grèce, qu'il regardait comme un prix proposé a tous ceux qui auraient le courage d'y prétendre. (2) Il disait aux siens que les Spartiates venaient d'être abattus à Leuctres, que les Athéniens se contentaient de l'empire de la mer, que les Thébains n'étaient pas en état de soutenir leur supériorité présente et que les Argiens s'étaient affaiblis eux-mêmes par l'affreuse sédition dont ils sortaient. Les Thessaliens furent gagnés par cette espérance, et comme ils avaient déjà cédé à Jason leur gouvernement politique, ils lui confièrent encore tout ce qui concernerait cette guerre. Jason qui accepta l'offre, s'attacha d'abord quelques nations voisines et fit une alliance particulière avec Amyntas roi de Macédoine. (3) Cette année fut marquée par un événement particulier : je veux dire la mort de trois puissants princes arrivée en même temps. Le premier fut Amyntas fils de Tharralèe qui avait occupé vingt-quatre ans le trône de Macédoine. Il laissa trois enfants, Alexandre, Perdiccas et Philippe, Alexandre lui succéda et ne régna qu'un an. (4) Le second fut Agésipolis roi dé Sparte qui mourut après un an de règne et qui laissa à sa place son fils Cléomène qui occupa le trône trente-quatre ans. (5) Le troisième enfin est Jason de Phères, celui-là même qui venait d'être choisi pour capitaine général des Thessaliens. Quoiqu'il eut gouverné ses sujets avec modération et avec sagesse, il fut tué en trahison par sept jeunes hommes qui, au rapport d'Éphore, avaient fait par principe de gloire un serment entre eux de l'égorger. D'autres historiens pourtant rapportent qu'il sut assassiné par Polydore son frère, qui lui ayant succédé ne vécut qu'un an. (6) C'est ici que commence l'Histoire grecque de Duris de Samos et que nous terminons cette année de la nôtre. [15,61] Lysistrate étant archonte d'Athènes, il y eut à Rome une dissension entre ceux qui redemandaient les consuls et ceux qui voulaient toujours être gouvernés par des tribuns militaires. Après quelque temps d'anarchie, suite nécessaire de cette dissension, on s'en tint encore à six tribuns militaires, qui furent L. Aemilius, C. Veturius, Serv. Sulpitius, L. Quinctius, C. Cornélius et C. Valérius. (2) Polydore de Phères chef des Thessaliens fut empoisonné par Alexandre son frère, dans un repas où il s'était laissé enivrer. Alexandre jouit de cette principauté l'espace de onze ans. Mais comme il l'avait acquise par le crime, il en usa avec violence. Ainsi au lieu que ses prédécesseurs s'étaient fait aimer de la nation par leur équité et par leur sagesse, celui-ci se fit haïr d'elle par ses duretés et par ses injustices. (3) C'est pour cela que quelques citoyens des plus considérables de Larisse et qu'on appelait les Aleuades, craignant un caractère si dangereux, cherchèrent ensemble le moyen de détruire sa domination. Dans ce dessein ils passèrent en Macédoine et persuadèrent au roi Alexandre de renverser le tyran. (4) Pendant qu'ils travaillaient à cette entreprise, Alexandre de Phères qui en fut instruit , rassembla ses meilleures troupes dans le dessein de porter la guerre en Macédoine. Le roi qui avait auprès de lui les députés secrets de Larisse, prévint l'arrivée des ennemis et se trouva le premier lui-même aux portes de cette capitale. Elles lui furent bientôt ouvertes par les citoyens mêmes et il se vit maître de la ville, mais non encore de la citadelle. (5) Il l'assiégea peu de temps après et l'emporta. Il passa ensuite à Cranon ville qu'il prit aussi, en protestant toujours aux Thessaliens qu'il leur rendrait toutes ces conquêtes. Cependant peu soigneux de sa parole et de son honneur, il mit de fortes garnisons dans ces deux places et les garda pour lui-même. Alexandre de Phères, battu et poursuivi partout s'en revint à Larisse. C'est là qu'en étaient les affaires de la Thessalie. [15,62] XVI. A L'ÉGARD du Péloponnèse, les Lacédémoniens envoyèrent en Arcadie Polytrope à la tête de mille hoummes de leur propre ville bien armés et de cinq cents bannis d'Argos ou de Béotie. Ce général étant venu à Orchomène d'Arcadie, ville qui affectionnait les Spartiates, il la mit en état de défense. (2) Mais Lycomède de Mantinée chef des troupes d'Arcadie se fit suivre de ses soldats d'élite, qui formaient un corps particulier de cinq mille hommes et marcha du côté d'Orchomène. Les Lacédémoniens vinrent à sa rencontre et il se donna un combat très vif, où ces derniers perdirent leur général et deux cents hommes avec lui. Le vainqueur poursuivant le reste le fit rentrer incessamment dans la ville d'où ils étaient sortis. (3) Cependant les Arcadiens quoique victorieux en cette occasion, rappelant en leur mémoire la grande puissance où ils avaient vu Lacédémone, ne se crurent pas en état de soutenir seuls contre elle une guerre de quelque durée. C'est pourquoi s'étant unis avec ceux d'Argos et de l'Élide, ils envoyèrent des ambassadeurs à Athènes pour prier cette république de les recevoir en alliance contre Sparte : mais étant refusés de ce côté-là, ils s'adressèrent aux Thébains qui acceptèrent leur offre. (4) Aussitôt les Thébains prenant avec eux leurs associés de la Locride et de la Phocide, se mirent en marche du côté du Péloponnèse sous la conduite d'Épaminondas et de Pélopidas. Car les autres béotarques leurs associés, par la haute estime qu'ils avaient de la valeur de ces deux chefs, se démirent volontairement de toute l'autorité qu'ils auraient dû partager avec eux. (5) Ce corps d'armée eut à peine touché les confins de l'Arcadie que les troupes de cette province aussi bien que celle d'Argos, de l'Élide et de toutes les villes associées vinrent s'y joindre. Enfin cette réunion, chose mémorable pour la Grèce, mit ensemble plus de cinquante mille hommes. On résolut dans le conseil de guerre de marcher droit à Sparte et de ravager en passant toute la Laconie. [15,63] Les Spartiates qui dans la déroute de Leuctres venaient de perdre toute leur jeunesse, que d'autres défaites avaient épuisés d'hommes de tout âge, enfin qui par la désertion de leurs alliés se trouvaient presque réduits aux soldats de leur ville seule, découragés par toutes ces circonstances, tombèrent dans le dernier abattement. Ils se virent réduits à implorer l'assistance d'Athènes, cette ville qu'ils avaient opprimée par les trente Tyrans, à laquelle ils avaient défendu de relever ses murailles, qu'ils avaient même voulu raser de fond en comble, en menaçant de ne faire de toute l'Attique qu'un pâturage de bestiaux : (2) mais tel est le pouvoir de la nécessité et de la fortune. Ce fut ce pouvoir inévitable, qui en cette occasion réduisit les Lacédémoniens à implorer l'assistance du peuple qu'ils haïssaient le plus : et ce qui n'est pas moins remarquable, ils ne l'implorèrent pas en vain. En effet le peuple d'Athènes naturellement humain et magnanime ne s'épouvanta point de la supériorité actuelle des Thébains et résolut en plein conseil d'assister ouvertement les Lacédémoniens menacés de perdre leur État et leur liberté. Aussitôt ils nommèrent Iphicrate pour général et le mirent à la tête de douze mille jeunes hommes, qu'ils enrôlèrent en un seul et même jour. Iphicrate, ayant ainsi à sa suite des gens pleins de bonne volonté, partit et marcha avec diligence. (3) Les Lacédémoniens de leur côté qui savaient que leurs ennemis campaient sur les frontières, sortirent tous aussi de leur ville pour aller à eux ; et quoique bien diminués en nombre de ce qu'ils étaient autrefois, ils comptaient encore sur leur résolution et sur leur courage. (4) Épaminondas jugeant qu'il serait difficile de pénétrer dans un pays si bien défendu, du côté où ses défenseurs étaient rassemblés, s'avisa de séparer son armée en quatre corps pour pouvoir se glisser dans la Laconie par plus d'un endroit. [15,64] Le premier qui n'était compté que des Béotiens mêmes prit le droit chemin de Sellasie et détacha les habitants de cette ville du parti de Lacédémone. (2) Les Argiens se jetèrent dans le territoire de Tégée, où ils livrèrent bataille à ceux qui en gardaient les passages, leur tuèrent près de deux cents hommes et entre autres leur chef Alexandre de Sparte et les bannis de la Béotie qui le suivaient. (3) Un troisième corps composé d'Arcadiens, et qui n'était pas le moindre en nombre, pénétra dans le canton appelé Scirite gardé par un gouverneur nommé Iscolas homme de coeur et de tête, et qui était bien accompagné. Celui-ci avec une élite de ses gens conçut un dessein héroïque et digne de mémoire. (4) Prévoyant que tous ceux qu'il engagerait dans un combat, succomberaient nécessairement sous la multitude des ennemis, il jugea qu'à la vérité, il serait honteux de quitter son poste mais qu''il rendrait aussi un grand service à sa patrie en lui conservant des hommes, il allia héroïquement ces deux vues, en renouvelant en plein d'une part la générosité mémorable du roi Léonidas aux Thermopyles, (5) et en renvoyant d'autre part à Lacédémone toute la jeunesse qui se trouvait dans ses troupes et qui pouvait servir la patrie dans cette suite de pressants dangers où elle tombait de plus en plus. Défendant ensuite le passage avec les soldats les plus âgés qui lui restaient seuls, il tua encore un grand nombre d'ennemis. Après quoi enveloppé par les Arcadiens, il fut tué lui-même avec tous ceux qui l'environnaient. (6) Les Éléens qui faisaient le quatrième corps de la division d'Épaminondas ayant traversé des plaines libres et sans défense arrivèrent à Sélasie, où l'on avait réglé que tous les corps se réuniraient ; ensuite partant de là tous ensemble, ils marchèrent droit à Sparte en brûlant et en ravageant tout ce qu'ils trouvaient sur leur route. [15,65] Les Lacédémoniens qui avaient conservé pendant cinq cents ans leurs terres exemptes de dévastation, ne purent soutenir tranquillement cet affront et ce dommage, ils sortirent en foule et sans ordre pour garantir leurs possessions. Mais les magistrats leur ayant fait défense de s'écarter de la ville de peur que l'ennemi ne profitât de leur absence pour s'y jeter, ils se soumirent à cet ordre et ne songèrent plus qu'à la défense de leur Capitale. (2) Cependant comme Épaminondas avait voulu arriver au fleuve Eurotas en passant par-dessus le mont Taygète et traverser ensuite ce fleuve extrêmement rapide pendant la saison d'hiver où l'on était alors ; les Lacédémoniens qui aperçurent le dérangement de son armée causé par la difficulté de ce passage, en profitèrent habilement pour l'attaquer. Ils laissèrent donc leurs femmes, leurs enfants et les vieillards pour toute garde dans la ville et conduisant en bon ordre leur jeunesse bien armée, ils se jetèrent tout d'un coup sur ceux qui venaient de passer et en firent un grand carnage. (3) Mais comme les Béotiens et les Arcadiens se défendaient. vigoureusement et commençaient par leur grand nombre à environner les Spartiates, ces derniers après avoir fait perdre bien du monde à leurs ennemis rentrèrent dans leur ville, en laissant un témoignage remarquable d'une valeur toujours la même qu'elle avait été en d'autres temps. (4) De son côté Épaminondas amena hardiment ses troupes jusqu'au pied des murailles. Les Spartiates soutenus par l'avantage du lieu renversaient tous ceux qui s'avançaient avec trop de témérité : et les ennemis qui remplaçaient toujours les morts par un plus grand nombre d'assaillants, firent croire plus d'une fois qu'ils emporteraient la ville d'assaut. Cependant comme le nombre des blessés et des morts croissait à vue d'oeil, Épaminondas fit sonner la retraite. Mais avant que de se retirer, ses soldats crièrent au pied des murs à ceux de la ville, qu'ils vinssent se battre en pleine campagne ou qu'ils se déclarassent inférieurs à leurs ennemis. (5) Les assiégés répondirent qu'ils prendraient un jour convenable pour décider cette question ; sur quoi les assiégeants revinrent au camp et aussitôt après parcourant le fer à la main toute la Laconie, ils en remportèrent un butin immense et retournèrent dans l'Arcadie. (6) A l'égard des Athéniens qui étaient arrivés trop tard pour être de quelque utilité aux Spartiates, ils s'en revinrent aussi sans avoir rien fait qui mérite d'être écrit. Mais il survint d'ailleurs à Lacédémone de la part de ses alliés un secours de quatre mille hommes. Outre cela ils donnèrent publiquement la liberté à mille de leurs Hilotes et formant un corps composé de deux cents bannis de la Béotie et du même nombre d'hommes qu'ils firent venir des villes de leur voisinage, ils se mirent insensiblement en état de défense; et tenant les uns et les autres dans des exercices continuels, ils se disposaient avec beaucoup de courage et de confiance à une action décisive. [15,66] Épaminondas homme plein de grandes vues et qui voulait rendre son nom immortel persuada aux Arcadiens et à leurs alliés de rétablir la Ville de Messène, dépeuplée et détruite depuis longtemps par les Lacédémoniens et qui était un poste avantageux pour veiller sur Lacédémone. Ces peuples ayant goûté cette proposition, il fit chercher avec soin les Messéniens qui pouvaient être restés dans le Péloponnèse et leur associant tous ceux qui contentaient de devenir leurs concitoyens, il rebâtit Messène et la peupla d'un grand nombre d'habitants. Ensuite partageant entre eux les terres qu'il décora même d'un grand nombre de maisons de campagne, il releva ainsi une ville des plus fameuses de la Grèce et rendit lui-même son nom célèbre parmi les hommes. (2) A ce propos, je crois qu'on sera bien aise de trouver ici une histoire abrégée de cette ville abattue et rebâtie plus d'une fois depuis son origine. Dans les premiers temps elle sut possédée par les descendants de Nélée et de son fils Nestor jusqu'à la guerre de Troie. Dans la suite elle appartint à Oreste fils d'Agamemnon, lequel Oreste la laissa à sa postérité jusqu'au retour des Héraclides. Un de ces derniers nommé Cresphonte l'eut pour son partage ; après lui ses descendants y régnèrent quelque temps, et jusqu'à ce qu'étant déchus de cette royauté, les Lacédémoniens s'emparèrent de Messène. (3) Dans la suite, quoique Téléclyte roi de Lacédémone eut été tué par les Messéniens dans une bataille, les Spartiates ne laissèrent pas de vaincre les Messéniens révoltés. Mais cette guerre dura vingt ans et les soldats spartiates avaient juré de ne pas rentrer dans leur ville, qu'ils n'eussent emporté Messène. Ce fut à l'occasion de cette guerre et de cette longue absence des maris que naquirent les enfants appelés parthéniens qui allèrent fonder la ville de Tarente en Italie. Dans la suite comme les Spartiates victorieux traitaient durement les Messéniens, un de ces derniers nommé Aristomène persuada à ses concitoyens d'en secouer le joug : et en effet il causa beaucoup de maux à ces maîtres insupportables. Ce fut contre lui que les Athéniens envoyèrent, dit-on, le poète Tyrthée aux Lacédémoniens, comme un de leurs capitaines. (4) D'autres assurent pourtant qu'Aristomène n'avait agi que dans la guerre précédente qui avait duré vingt années. Quoiqu'il en soit, la dernière guerre que ces deux villes eurent ensemble, prit son origine de cette horrible tremblement de terre qui renversa presque de fond en comble Lacédémone et qui ensevelit la plupart de ses habitants. Car les restes des Messéniens conjointement avec les Hilotes compagnons de leur servitude et de leur révolte, prirent ce temps-là pour s'établir dans Ithome, puisque Messène ne subsistait plus : (5) mais ayant été malheureux dans toutes les attaques qu'ils eurent à soutenir, ils se retirèrent enfin à Naupacte, ville que les Athéniens voulurent bien leur donner pour refuge et pour habitation. Cependant quelques-uns d'entre eux passèrent dans l'île de Cephalénie et quelques autres vinrent jusque dans la Sicile où ils fondèrent Messène ou Messine, du même nom que la ville du Péloponnèse. (6) Mais enfin dans le temps dont il s'agit actuellement, les Thébains par le conseil d'Épaminondas ramassèrent tout ce qu'ils purent trouver de Messéniens dispersez dans la Grèce et les rétablirent dans leur ancienne habitation et même dans tout le territoire des environs qui leur avait appartenu. Voilà un abrégé de l'histoire particulière des Messéniens. [15,67] Pour les Thébains après avoir achevé dans l'espace de quatre-vingt- cinq jours tous les exploits que nous venons de rapporter et laissé une garnison suffisante dans Messène, ils s'en revinrent dans leur pays. Les Lacédémoniens, qui avaient repoussé si heureusement et contre toute espérance leurs ennemis, envoyèrent aux Athéniens des ambassadeurs de distinction, par lesquels ils cédaient à Athènes l'empire de la mer, en se réservant à eux-mêmes celui de la terre. Dans la suite néanmoins ils consentirent que l'un et l'autre titre fut commun à l'un et à l'autre peuple. (2) Les Arcadiens choisirent alors Lycomède pour leur général et lui donnèrent une armée de cinq mille hommes, avec laquelle il davait assiéger Pallène de Laconie. Ceux-ci la prirent d'assaut et firent passer au fil de l'épée trois cents hommes de garnison que les Spartiates y avaient mis. Ils en réduisirent tous les habitants à l'esclavage et ravagèrent toute la campagne d'alentour avant que les Lacédémoniens pussent venir au secours de cette ville. (3) Les Thébains, sur l'invitation que les Thessaliens leur avait faite de venir délivrer leurs villes de la tyrannie d'Alexandre de Phères, envoyèrent dans la Thessalie Pélopidas avec des troupes suffisantes, en lui recommandant de travailler à la pacification de cette province, d'une manière qui fût avantageuse à la Béotie. (4) Ce général alla droit à Larisse, où il fit entrer une garnison béotienne à la place de celle que le tyran Alexandre y avait mise. Se transportant delà dans la Macédoine, il y fit alliance avec Alexandre qui en était roi et reçut de lui pour otage de sa foi et de sa parole son propre frère Philippe que Pélopidas envoya sur le champ à Thèbes , où il ne revint lui-même qu'après avoir pacifié la Thessalie d'une manière qu'il jugea convenable aux intérêts de sa nation. [15,68] XVII.. PEU de temps après les peuples de l'Arcadie, de l'Argolide et de l'Élide résolurent entre eux d'attaquer les Lacédémoniens et envoyèrent proposer aux Thébains de prendre part à cette guerre. Ceux-ci nommèrent aussitôt pour général Épaminondas conjointement avec quelques-uns des béotarques. On leur donna sept mille hommes de pied et six cents chevaux. Dès que les Athéniens furent instruits de l'entrée des Thébains dans le Péloponnèse, ils y envoyèrent du secours sous la conduite du général Chabrias. (2) Celui-ci allant d'abord du côté de Corinthe prit dans cette ville, aussi bien qu'a Mégare et à Pellène, de quoi former une armée de dix mille hommes. Les Lacédémoniens et leurs alliés s'étant donné aussi rendez-vous à Corinthe, l'armée entière se trouva doublée et monta au nombre de vingt mille hommes : (3) ils conçurent là le dessein de fermer aux Béotiens l'entrée du Péloponnèse. Ainsi commençant au port de Cenchrée, ils creusèrent jusqu'à ce-lui de Lechée un fossé profond, au bord duquel ils élevèrent encore de forte barricades faites de terres, soutenues par des poteaux croisés. Le nombre et le zèle des ouvriers avait fait finir l'ouvrage avant que les Thébains se présentassent. (4) Épaminondas y arrivant avec son armée, prit garde que les ennemis avaient réservé pour leur camp un espace qu'ils n'avaient point creusé et où le passage demeurait libre, comme devant être assez défendu par eux-mêmes. Il commença par leur proposer de s'avancer en pleine campagne et de décider la querelle par un combat d'autant plus qu'ils avaient de leur côté la supériorité de trois contre un. Ce défi n'ayant pu tirer les Spartiates de leurs retranchements; Épaminondas entreprit de les y forcer et ils se contentèrent de les défendre vaillamment. (5) L'attaque et la défense furent extrêmement vives, mais le plus grand travail et en même temps le plus inutile, fut celui des Lacédémoniens, parce qu'au fond les passages par eux-mêmes étaient fort aisés dans l'endroit qu'ils occupaient. Enfin après de grands efforts de part et d'autre, Épaminondas qui avait autour de lui les plus braves des Thébains se fit jour, non sans beaucoup de peine, à travers les Spartiates. Ayant renversé ou écarté tous ceux qui s'opposaient à sa marche, il arriva avec toute son armée jusque dans le Péloponnèse : exploit sans doute aussi mémorable qu'aucun de ceux qu'il eut faits encore. [15,69] Passant ensuite jusqu'à Épidaure et jusqu'à Trézène, il désola toute la campagne ; cependant il ne put prendre ni l'une ni l'autre de ces deux villes, parce que les garnisons en étaient trop fortes. Mais il effraya Sicyone et Phliunte de telle sorte qu'elles se rendirent à lui. Delà il conduisit son armée à Corinthe ; et les citoyens étant sortis pour l'arrêter, il les battit et les repoussa jusque dans leur ville. Quelques Thébains se laissèrent ici emporter à leur hardiesse ou à leur témérité et entrèrent dans la ville avec les fuyards. A cet aspect les habitants s'enfuirent et s'enfermèrent dans leurs maisons. Mais le général Athénien Chabrias se conduisit avec tant de présence d'esprit et de courage qu'il repoussa hors des murs une partie des Thébains entrés et en fit périr une bien plus grande dans les murs mêmes. (2) Les Thébains comme par émulation de cette hardiesse et de ce succès des Athéniens rassemblèrent toutes leurs troupes et mettaient Corinthe en danger d'être emportée de vive force. Chabrias de son coté se faisant suivre par tous les Athéniens qu'il avait arec lui, sort de la ville et gagne un poste favorable d'où il empêchait l'approche des portes. (3) Les Thébains se confiant en leur force de corps et comptant sur l'expérience qu'ils avaient acquise en tant de combats, comptaient de faire plier les Athéniens qu'ils jugeaient inférieurs à eux en cette partie. Ceux-ci au contraire placés par Chabrias dans un poste avantageux et soutenus encore par ceux de la ville qui venaient se joindre à eux, tuaient ou blessaient à leur aise les assaillants. (4) Ainsi les Béotiens, après bien des peines et bien des pertes, voyant qu'ils ne pouvaient réussir dans leur entreprise, furent contraint de l'abandonner et sonnèrent la retraite. Cette journée au contraire rendit Chabrias extrêmement célèbre ; et toutes les circonstances de sa victoire firent juger qu'il n'avait pas moins d'intelligence que de valeur. [15,70] En ce même temps il arriva par mer à Corinthe deux mille hommes tant Gaulois qu'Espagnols, auxquels Denys le Tyran avait payé d'avance cinq mois de solde et qu'il envoyait aux Lacédémoniens et à leurs alliés. Les Grecs pour les effrayer, les employèrent à toutes sortes d'attaques et de combats, et partout ils battirent les Béotiens et leur tuèrent beaucoup de monde. Enfin après s'être fait là beaucoup de réputation par leur adresse à manier les armes et par leur valeur, ils furent bien récompensez par les Lacédémoniens auxquels ils avaient rendu de grands services et s'en revinrent en Sicile vers la fin de l'Été. (2) Ce fut alors que Philiscus envoyé par le roi Artaxerxès aborda en Grèce. Il y apportait de la part de ce roi des invitations à tous les Grecs de mettre fin à leurs divisions et de faire entre eux une paix durable. Ils y consentirent tous à l'exception des Thébains seuls, qui persistaient toujours dans le point fixe que toute la Béotie ne formât qu'un seul et même gouvernement. Sur leur refus l'envoyé du Roi laissa aux Lacédémoniens deux mille soudoyés choisis, qui avaient même reçu leur paye d'avance et il s'en revint en Asie. (3) En cette même année Euphron de Sicyone, homme entreprenant et téméraire, se faisant aider par les Argiens aspira à la tyrannie. Il y parvint en effet et mit hors de Sicyone quarante des principaux citoyens dont il s'appropria les richesses. Par ce moyen il se donna des gardes et des soldats et devint maître de sa ville. [15,71] NAUSIGENE étant archonte d'Athènes, les Romains firent au lieu de consuls quatre tribuns militaires, L. Papirius, L. Menenius, Serv. Cornélius et Serv. Sulpitius. On célébra en Élide la cent troisième Olympiade, où Pythostrate d'Athènes emporta le prix de la course. Ptolémèe Alorites fils d'Amyntas tua cette année en trahison Alexandre son frère et occupa ensuite pendant trois ans le trône de Macédoine. (2) En Béotie Pélopidas émule d'Épaminondas dans le métier des armes voyant que celui-ci avait procuré de grands succès aux Thébains dans l'enceinte du Péloponnèse, entreprit de leur en procurer de semblables en d'autres parties de la Grèce. Ainsi prenant avec lui Isménias son ami particulier et estimé de tout le monde par son mérite et par sa vertu, il passa en Thessalie. Là s'étant présentés à Alexandre tyran de Phères, celui-ci, sans aucune forte de raison ni de prétexte, les fit saisir et mettre en prison l'un et l'autre. (3) Les Thébains irrités de cette injure firent passer incessamment en Thessalie huit mille hommes bien armés et six cents chevaux qui effrayèrent tellement Alexandre qu'il envoya prier les Athéniens de s'armer pour sa défense. La république lui envoya trente vaisseaux montés par mille hommes sous le commandement d'Autoclès. (4) Pendant que ceux-ci côtoyaient encore l'Eubée, les Thébains étaient déjà passés dans la Thessalie. Quoiqu'Alexandre eut rassemblé tout ce qu'il avait d'infanterie et que sa cavalerie fut plus nombreuse que celle des Thébains, ceux-ci pourtant opinaient d'abord d'en venir à un combat décisif, dans lequel même ils comptaient d'avoir pour eux les Thessaliens mécontents : mais comme ces derniers s'éloignèrent d'eux que les Athéniens et quelques autres alliés prirent le parti d'Alexandre, et que d'ailleurs les vivres et les autres choses nécessaires commençaient à leur manquer, les béotarques jugèrent à propos de les ramener dans leur province. (5) Comme ils ne pouvaient se retirer qu'en traversant des plaines fort unies et fort découvertes, Alexandre se mit à leur queue avec sa cavalerie qui était nombreuse et les harcelèrent à coups de traits. Quelques soldats tombaient morts et plusieurs grièvement blessés. Enfin ne pouvant avancer et n'osant s'arrêter ils se trouvèrent dans une grande détresse, beaucoup augmentée par l'indigence où ils se voyaient, de toute forte de soulagement et de secours. (6) Ce fut dans cette crise de désespoir que les soldats nommèrent de leur propre mouvement pour leur général Épaminondas, qui était actuellement dans leurs rangs sans aucun titre. Aussitôt prenant les armés à la légère et les cavaliers, il les plaça à la queue de son armée, où il demeura pour les commander. Il n'eut besoin que d'eux pour repousser les Thessaliens et pour sauver les pesamment armés et le reste des troupes qui avait pris les devants. Il faisait faire à son arrière-garde des évolutions subites en continuant sa marche et il fatiguait lui-même les ennemis par des attaques de surprise. (7) Depuis cette mémorable retraite ses grandes actions augmentèrent tous les jours sa gloire et il acquit de plus en plus la confiance des Thébains et de tous leurs alliés. Cependant le peuple de Thèbes assemblé appela en jugement les béotarques qui s'étaient trouvés au commencement de cette expédition et les condamna à une très grosse amende. [15,72] Il est juste de satisfaire ici le lecteur sur la surprise où il pourrait être de voir un homme tel qu'Épaminondas au rang de simple soldat dans l'expédition de Thessalie. Il faut se ressouvenir que dans le passage de l'isthme de Corinthe dont nous avons parlé un peu plus haut, Épaminondas content d'avoir forcé le camp des Spartiates, ne poussa pas le combat plus loin : quoiqu'il pût le faire et qu'il se hâta de suivre la route qu'il s’était ouverte pour entrer dans le Péloponnèse. (2) Là- dessus il fut soupçonné par ses concitoyens d'avoir épargné les Spartiates par une inclination particulière qu'il avait pour eux. Ses ennemis et ses envieux prirent ce prétexte de lui imputer le crime de trahison ; et le peuple aigri par ces discours ôta son nom de la liste des béotarques et l'envoya comme simple soldat à la guerre de Thessalie, où par ses grandes actions il dissipa les soupçons que ses envieux avaient voulu jeter sur lui. Ainsi le peuple confirma ensuite le choix de l'armée et lui rendit son rang et tous ses honneurs. (3) Il se donna peu de temps après une grande bataille entre les Lacédémoniens et les Arcadiens, dans laquelle la victoire se déclara hautement pour les Lacédémoniens. C'est le premier avantage qu'ils eussent remporté depuis leur défaite à Leuctres; mais il fut singulièrement remarquable en ce que les Arcadiens y perdirent dix mille hommes sans qu'il y eut eu un seul Lacédémonien de tué. Aussi les prêtresses de Dodone avaient elles prédit que cette bataille ne coûterait pas une larme aux Lacédémoniens. (4) Mais les Arcadiens auxquels une semblable défaite avait rendu les Spartiates très redoutables, bâtirent sur un terrain avantageux une citadelle qu'ils appelèrent Mégalopolis, dans laquelle ils firent passer les habitants de vingt villages qui formaient auparavant deux cantons, qu'on appelait les Ménaliens et les Parrhasiens. Voilà le point où nous laissons les affaires de la Grèce. [15,73] XIX. EN Sicile, le tyran Denys qui avait sur pied une armée considérable et qui voyait les Carthaginois peu en état de défense, tant à cause des maladies contagieuses qui les avaient attaqués, que des peuples de la Libye qui s'étaient séparés d'eux, songea à porter la guerre dans leur pays. Mais comme il manquait de prétexte pour se déclarer leur ennemi, il supposa que les Carthaginois étaient venus faire des courses dans la Sicile. (2) Sur cette supposition levant une armée de trente mille hommes d'Infanterie et de trois mille chevaux, suivie de tout l'équipage dont elle avait besoin et soutenue d'ailleurs d'une flotte de trois cents voiles, il se jeta dans le territoire de la Sicile qui appartenait aux Carthaginois. Il en leva d'emblée Sélinonte et Entelle, dont il ravagea toutes les campagnes, et s'étant rendu maître d'Erice, il assiégea Lilybée. Mais comme cette place était défendue par une forte garnison, il fut bientôt obligé d'en lever le siège. (3) Apprenant ensuite que le feu avait pris à l'arsenal de la marine des Carthaginois et se flattant que tous leurs vaisseaux y avaient été brûlés, il ne crut pas avoir besoin d'employer contre eux toutes ses forces. Ainsi il se contenta de faire entrer cent trente de ses plus forts vaisseaux dans le port d'Eryce et fit repartir tous les autres pour Syracuse. (4) Cependant les Carthaginois firent aussi entrer subitement dans ce même port deux cents vaisseaux bien équipés qui prirent et emmenèrent la plupart de ceux de Denys lorsqu'on s'y attendait le moins. L'hiver survenant alors obligea les deux nations à faire aune trêve. Denys s'en revint et les Carthaginois s'en retournèrent. (5) Mais Denys tomba malade peu de temps après et mourut au bout de trente-huit ans de règne ou de tyrannie. Son fils succéda à sa puissance qu'il garda douze ans. [15,74] Il n'est point étranger à notre histoire de rapporter les circonstances de la mort du père et ce qui parut même l'avoir causée. Denys avait envoyé à Athènes une tragédie qui fut représentée aux fêtes de Bacchus et qui même y remporta le prix : un des acteurs du choeur se flatta d'une grande récompense de la part de Denys s'il lui annonçait le premier cette nouvelle. Il s'embarqua donc pour Corinthe où il trouva un vaisseau qui allait en Sicile, il se mit dedans, et le vent ayant été favorable, il arriva bientôt à Syracuse. Là il se présenta brusquement au tyran, auquel il annonça sa victoire. (2) Denys lui fit donner une grande récompense et se livrant à sa joie il fit aux dieux avec toute sorte de somptuosités les sacrifices de bonnes nouvelles. Traitant ensuite magnifiquement ses amis et s'abandonnant lui-même aux excès de la table et surtout du vin, il attaqua en lui les principes de la santé et de la vie, et s'affaiblit tous les nerfs par la quantité de liqueurs qu'il avait prise. (3) Il avait reçu depuis longtemps une réponse d'oracle par laquelle il lui avait été annoncé qu'il mourrait lorsqu'il aurait vaincu des adversaires supérieurs à lui. Il appliquait cet indice aux Carthaginois, qui en effet le surpassaient en force. C'est pourquoi aussi ayant été souvent en guerre contre eux, il avait plus d'une fois abandonné son avantage et s'était laissé vaincre volontairement pour ne pas tomber dans le cas de l'oracle, ou pour en éloigner le terme. (4) Mais il ne put parer avec toute son adresse l'arrêt de sa destinée : car étant très mauvais poète il vainquit par le jugement des Athéniens, des hommes qui le surpassaient beaucoup en cet art et confirma par le temps de sa mort les paroles de l'oracle. (5) Le jeune Denys montant à sa place assembla d'abord tout le peuple et le pria de lui conserver la bienveillance qu'il avait marquée pour son père auquel il fit ensuite de magnifiques funérailles. On déposa le corps dans la citadelle à l'endroit qu'on appelle la porte royale après quoi le jeune Denys succéda tranquillement à l'autorité de l'ancien. XIV. (4) ENVIRON ce temps-là le roi Artaxerxès, voyant toute la Grèce en division et en trouble, y envoya des ambassadeurs pour inviter toutes les villes à terminer leurs querelles et à rentrer en paix les unes avec les autres, aux conditions dont elles étaient auparavant convenues. Elles se portèrent volontiers à cette proposition ; et toutes ces villes, hors Thèbes seule, renouvelèrent l'ancien traité. Les Thébains prétendaient toujours que la Béotie ne composait qu'une seule et même république sous un seul et même gouvernement. Ainsi ils ne pouvaient s'accommoder d'une forme selon laquelle chaque ville donnait à part et comme de son chef sa signature et son serment. Exclus par là comme auparavant de la convention générale, ils demeurèrent seuls sous le nom particulier de province de la Béotie. (5) Les Lacédémoniens mécontents de cette exception opinèrent à les attaquer avec une armée nombreuse comme des ennemis communs. Dans le fond ils ne voyaient leur accroissement qu'avec une extrême jalousie et ils craignaient beaucoup que maîtres seuls de la Béotie entière, ils ne leur enlevassent à eux-mêmes avec le temps le commandement de la Grèce. Comme les Thébains passaient leur vie en des exercices perpétuels, ils acquerraient une prodigieuse force de corps ; et ayant d'ailleurs les inclinations extrêmement guerrières, ils ne cédaient en cette partie à aucun peuple de la Grèce. (6) Nous avons déjà parlé de la supériorité de leurs trois capitaines Épaminondas, Gorgias et Pélopidas sur d'autres qu'ils avaient encore et qui étaient excellents. La Ville de Thèbes s'était distinguée dès les temps héroïques par la gloire de ses fondateurs et dans routes les occasions où il avait fallu montrer de la prudence et du courage. Les Lacédémoniens se préparèrent donc sérieusement à la guerre et ils levèrent un grand nombre de troupes tant de leurs propres citoyens que de toutes les Villes qui étaient demeurées dans leur alliance. [15,75] 75 POLIZELE fut cette année archonte d'Athènes et les dissensions publiques empêchèrent qu'on n'élût à Rome de nouveaux magistrats. En Grèce, Alexandre de Phères, irrité par quelques raisons contre les habitants de Scotuse, les fit assembler tous en un même lieu, où les environnant de ses satellites il les fit égorger sans exception d'un seul, après quoi on jeta leurs cadavres dans le fossé qui entourait leur ville qu'il pilla ensuite. (2) D'un autre côté le Thébain Épaminondas entra à la tête de ses troupes dans le Péloponnèse où il subjugua les Achéens et quelques villes de leur voisinage et délivra Dymè, Naupacte et Calydon des garnisons qu'ils y avaient mises. Il passa de là dans la Thessalie où il tira Pélopidas des prisons d'Alexandre de Phères. (3) Les Phliasiens étaient alors assiégés par les Argiens mais ils furent dégagés par le général Charès que les Athéniens envoyèrent au secours des premiers à la tête d'une armée. Ce général, après avoir livré aux assiégeants deux combats où il demeura victorieux, s'en revint aussitôt à Athènes. [15,76] L'année suivante Cephisodore fut archonte d'Athènes et à Rome le peuple nomma quatre nouveaux tribuns militaires, L. Furius, P. Manlius, Servius Sulpitius et Servius Cornélius. Thémésion tyran d'Éretrie en Thessalie prit la ville d'Orope qui appartenait aux Athéniens mais il la reperdit bientôt après : car comme il sentait que les Athéniens avaient un grand avantage sur lui, il appela les Thébains à son secours et leur confia cette ville qu'ils gardèrent pour eux- mêmes. (2) Ce fut en ce même temps que les habitants de l'île de Cos se rassemblèrent dans la ville de même nom, qu'ils rendirent très superbe et très célèbre: car elle se remplit d'un grand nombre de citoyens : ils l'environnèrent de hautes murailles et y construisirent un port magnifique. Ses richesses se sont toujours accrues depuis, et par ses revenus publics, et par ceux des particuliers. En un mot on l'a mise au rang des plus fameuses villes du monde. (3) En cette même année le roi de Perse envoya de nouveaux ambassadeurs en Grèce pour inviter les différents peuples de cette nation à mettre fin à leurs guerres continuelles et à faire entre eux une paix durable. Ce fut là ce qui termina la guerre appelée laconique ou béotique, qui avait duré plus de cinq ans, à en placer le commencement à la bataille de Leuctres. (4) Il y eut dans le temps où nous sommes des hommes illustres par leurs talent et par leur savoir. Le rhéteur Isocrate par exemple et ses disciples tels qu'Aristote le philosophep, Anaximène de Lampsaque, Platon d'Athènes et ce qui restait encore des disciples de Pythagore, Xénophon l'historien qui est parvenu à une grande vieillesse. Car ayant été un des généraux du jeune Cyrus en son expédition de Perse, il a parlé de la mort d'Épaminondas qui arrivera peu après ce temps-ci, Aristippe, Antisthène et enfin le violent orateur Eschine de l'école de Socrate. Olympiade 103. an 4. 365 ans avant l'ère chrétienne. [15,77] Chion étant archonte d'Athènes les Romains élurent pour tribuns militaires Q. Servilius, Q. Servius, C, Veturius, A. Cornélius et M. Fabius. Quoique la paix eut été publiée par toute la Grèce, on apercevait des semences de guerre entre plusieurs villes et une fureur d'innover qui était extraordinaire. Les bannis de l'Arcadie partant de l'Élide où ils s'étaient réfugiés se saisirent d'un fort de la Triphylie qu'on appelle Lassion. (2) Les habitants de l'Arcadie et de l'Élide se disputaient depuis longtemps cette place et la possédaient tour à tour, suivant le degré de puissance où ils se trouvaient successivement. Elle était alors entre les mains des Arcadiens ; et les Éléens la leur enlevèrent sous prétexte de la justice qu'ils voulaient faire rendre aux bannis de l'Arcadie. (3) Les Arcadiens en colère envoyèrent d'abord des députés qui redemandèrent Lassion. Sur le refus qui leur fut fait de la leur rendre, ils eurent recours aux Athéniens, et avec les troupes que ceux-ci leur prêtèrent, ils se mirent en marche du côté de la citadelle. Comme les Arcadiens ainsi soutenus se trouvèrent les plus forts, les Éléens furent battus et perdirent en cette rencontre plus de deux cens hommes. (4) Ce fut-là le commencement d'une animosité et d'une guerre plus considérable entre les deux peuples : car les Arcadiens encouragés par leurs derniers succès se jetèrent dans l'Elide où ils enlevèrent Margane, Cronion, Cyparisse et Coriphase. (5) En Macédoine Ptolémée Alorites fut tué par trahison après un règne de trois ans par son frère Perdiccas qui lui succéda et qui régna cinq ans. [15,78] Timocrate étant archonte d'Athènes les Romains créèrent trois tribuns militaires, T. Quinctius , Serv. Sulpitius et Serv. Cornélius. Les Arcadiens et les habitants de Pise célébrèrent la cent-quatrième olympiade, dans laquelle Phocidès Athénien remporta le prix de la course. (2) A cette occasion ceux de Pise voulurent ressusciter une prérogative de leurs pays, qu'ils appuyaient d'anciennes merveilles et d'anciennes fables, selon lesquelles ils avaient seuls le droit de célébrer les jeux olympiques. Jugeant que les circonstances du temps étaient favorables pour faire valoir leurs prétentions, ils entrèrent en alliance avec les Arcadiens contre l'Elide, et se joignirent à eux pour attaquer les Éléens qui célébraient actuellement ces mêmes jeux. (3) Les Éléens marchèrent en armes contre leurs agresseurs et il se donna de part et d'autre un combat très vif, au spectacle duquel ceux qui s'étaient rassemblés pour les jeux assistèrent tranquillement, leurs couronnes sur la tête, et applaudissaient comme témoins indifférents aux belles actions qui se faisaient de part et d'autre. La victoire demeura enfin à ceux de Pise et ils présidèrent à la continuation des jeux dans le lieu même. Les Éléens supprimèrent depuis cette olympiade dans leurs annales, comme ayant été célébrée contre les lois de la justice. (4) En ce même temps le Thébain Épaminondas qui avait un grand crédit sur l'esprit de ses concitoyens les fit assembler et leur proposa de former une puissante marine, pour attirer à leur république l'empire de la mer. Dans ce discours prémédité depuis longtemps, il leur fit voir d'abord l'avantage et ensuite la facilité de cette entreprise fondée principalement sur ce que ceux qui ont la supériorité sur la terre sont en état de se la donner bientôt sur la mer. Il alléguait pour preuve de sa proposition l'exemple des Athéniens qui dans la guerre de Xerxès, ayant mis en mer deux cens vaisseaux, ne laissaient pas d'être subalternes aux Lacédémoniens qui n'en avaient que dix. Par ces raisons et par d'autres non moins convenables à son sujet, il persuada aux Thébains de se rendre les maîtres de la mer. [15,79] Le peuple ordonna par un décret que l'on construisît incessamment cent galères à trois rangs de rames et un arsenal composé d'autant de loges pour les recevoir ; on fit même proposer aux insulaires de Rhodes et de Chio, et aux citoyens de Byzance de prendre part à cette entreprise. Épaminondas député lui-même à ces villes, rencontra Lachès à la tête d'une flotte athénienne qui était considérable et qu'on envoyait pour s'opposer aux tentatives des Thébains. La rencontre d'Épaminondas mit Lachès en crainte et l'obligea de se retirer ; et le Thébain, ayant poursuivi sa route attira toutes ces villes à son parti. (2) Si ce grand homme avait vécu plus longtemps, les Thébains se seraient sans doute acquis suivant son projet l'empire de la terre et de la mer : mais étant mort peu de temps après à la bataille de Mantinée, non sans avoir assuré à sa patrie une victoire glorieuse, il sembla avait emporté avec lui dans le tombeau toute la fortune de Thèbes, comme nous le verrons bientôt plus en détail. (3) Pour lors les Thébains jugèrent à propos de se rendre maîtres d'Orchomène par les raisons que nous allons dire. Quelques bannis de Thèbes voulant changer en aristocratie le gouvernement populaire de leur patrie, engagèrent trois cents cavaliers d'Orchomène à favoriser leur dessein. (4) Car comme ces derniers avaient coutume de se rendre à Thèbes pour y passer en revue et pour y prendre l'ordre, ils résolurent entre eux de profiter de cette occasion pour faire réussir le projet qu'on leur avait communiqué. Plusieurs autres se joignirent à eux pour l'exécution dont on leur avait marqué le jour. (5) Mais quelques-uns d'entre eux se repentant de leur entreprise au moment qu'il fallait l'exécuter, allèrent tout découvrir aux béotarques et leur nommant les conjurés ils tâchèrent d'assurer leur vie par la déclaration qu'ils firent eux-mêmes de leurs complices. Aussitôt les chefs se saisirent des cavaliers d'Orchomène et, les ayant fait comparaître dans la place publique, le peuple les condamna tous à être égorgés : mais de plus il ordonna qu'on réduisit à l'esclavage tous les habitants d'Orchomène et que leur ville fut rasée. Les Thébains les haïssaient de longue main parce que dans les temps héroïques, ils payaient aux Minyens, dont Orchomène était la capitale, un tribut dont ils ne furent délivrés que par Hercule. (6) Jugeant donc que le temps de leur vengeance était venu et croyant en avoir un prétexte légitime, ils allèrent assiéger cette ville. Après en avoir fait mourir tous les citoyens capables de porter les armes, ils réduisirent à l'esclavage les enfants et toutes les femmes. [15,80] Ce fut environ ce même temps que les Thessaliens en guerre contre Alexandre de Phères, ayant été vaincus en plusieurs combats et ayant perdu une grande partie de leurs troupes, firent une députation aux Thébains pour les prier d'envoyer Pélopidas à leur secours. Ils savaient que ce général était personnellement irrité contre Alexandre qui l'avait détenu en prison, circonstance qui leur paraissait avantageuse pour eux indépendamment de sa capacité et de sa valeur. (2) Les Thébains s'étant assemblés pour recevoir les ambassadeurs, on écouta favorablement leur demande et sur le champ on donna dix mille hommes à Pélopidas, avec ordre de marcher sans délai au secours des Thessaliens. Le jour même qu'il partit à la tête de ses troupes, il arriva une éclipse de soleil. (3) Cet événement mit plusieurs des citoyens en inquiétude ; et quelque devins pronostiquèrent que ce départ ferait perdre à la ville son soleil. Ces propos qui énonçaient assez clairement la mort de Pélopidas, ne suspendirent point sa marche et il s'abandonna courageusement à sa destinée. (4) Dès qu'il fut arrivé en Thessalie, il apprit qu'Alexandre accompagné de plus de vingt mille hommes s'était saisi des postes les plus avantageux. Pélopidas dressa son camp vis-à-vis les ennemis et joignant à ses troupes les alliés des Thessaliens, il livra aussitôt bataille. (5) Alexandre comptait sur l'élévation de son terrain et Pélopidas ne consultant que son courage marcha droit à Alexandre. Celui-ci soutenu des plus braves de ses gens fit une défense vigoureuse, le combat devint sanglant et Pélopidas couvrit de morts un très grand terrain. Il assura la victoire à son parti en mettant les ennemis en déroute et en fuite. Mais il y perdit lui-même la vie et mourut héroïquement, percé de coups et couvert de blessures. (6) Alexandre qui perdait là une seconde bataille et qui se voyait déchoir tous les jours, fut obligé de rendre aux Thessaliens toutes les villes qu'il leur avait enlevées, et aux Béotiens, Magnésie et la Phtiotide Achéenne : en un mot, de se contenter de Phères sous le titre d'allié de Thèbes. [15,81] Cependant les Thébains qui avaient réellement remporté une victoire signalée, publiaient partout qu'ils avaient été vaincus eux-mêmes par la perte de Pélopidas, jugeant avec raison qu'aucun avantage particulier ne pouvait leur faire autant d'honneur qu'un tel citoyen. Il avait rendu en effet de très grands services à sa patrie et avait infiniment contribué à la réputation de Thèbes. Car dans l'entreprise qui fut faite par les Thébains chassés de Cadmée et dans laquelle ils réussirent à reprendre cette citadelle sur les Spartiates, tout le monde convient que le succès d'une expédition si glorieuse était dû tout entier à Pélopidas ; et que par là il fut la première cause de tous les avantages que sa nation remporta dans la suite sur ses ennemis. (2) Dans le combat de Tégée, lui seul entre tous les béotarques battit les Lacédémoniens, qui étaient les plus vaillants hommes de la Grèce et il eut la gloire du premier trophée qu'on eut encore élevé à l'occasion de leur défaite. Enfin à la bataille de Leuctres, il fut chef de la cohorte sacrée avec laquelle ayant marché le premier contre les Spartiates, il donna le branle à la victoire mémorable qui demeura alors aux Thébains. En rassemblant toutes ses expéditions contre Sparte, il avait commandé jusqu'à soixante et dix mille hommes, et il dressa un trophée à la porte même de cette ville dont jusqu'à lui les ennemis des Lacédémoniens ne s'étaient jamais approchés. (3) Dans l'ambassade dont il fut chargé auprès du roi de Perse, au sujet de la paix universelle de la Grèce, il prit les intérêts particuliers de la ville de Messène et obtint qu'elle serait rebâtie, comme elle le fut en effet par les Thébains eux-mêmes, trois cents ans après sa destruction. Envoyé enfin contre Alexandre de Phères qui avait bien plus de troupes que lui, il remporta d'abord une victoire complète sur cet adversaire et parvint lui-même à une mort aussi glorieuse que sa vie. (4) Il était d'ailleurs tellement chéri des citoyens et il leur avait paru si attaché à leurs intérêts, que depuis le retour des exilés à Cadmée , jusqu'à sa mort, il avait toujours été continué dans le titre et dans la fonction de béotarque, honneur qu'on n'avait fait à aucun autre de ses collègues. L'histoire devait cet éloge à la vertu d'un personnage qui a été loué par tous ceux qui ont connu son nom. (5) En ce temps-là Cléarque né à Héraclée, ville de Pont, aspira à la tyrannie et conçût le dessein de se rendre maître de sa patrie. Etant venu à bout de son entreprise, il se proposa à lui-même pour modèle l'ancien Denys tyran de Syracuse, qu'il imita en effet pendant les douze ans qu'il gouverna les Héracléotes. Cependant Timothée général des Athéniens suivi d'une armée de terre et d'une flotte assiégea et prit Torone et Potidée et porta ensuite du secours aux habitants de Cyzique assiégés de leur côté. [15,82] XXI. CHARICLIDES étant archonte d'Athènes les Romains firent consuls L. Aemilius Mamercus et L. Sextius Lateranus. Les Arcadiens usant de l'autorité qu'ils s'étaient acquise de force conjointement avec ceux de Pise, firent célébrer les jeux olympiques après s'être mis en possession du temple et de tous les trésors qu'il renfermait. Les citoyens de Mantinèe en particulier qui avaient appliqué à leurs propres usages une grande partie de ces trésors, travaillaient beaucoup à entretenir la guerre commencée contre les Éléens de peur que les conventions de la paix ne les obligeassent à rapporter ce qu'ils avaient pris. (2) Mais comme les autres Arcadiens penchaient pour la paix, cette différence d'avis fit naître la discorde entr'eux et les partagea en deux factions, dont l'une fut celle des Mantinéens et l'autre celle des Tégéates. (3) Leur animosité réciproque monta au point qu'ils résolurent d'en venir aux armes. La faction des Tégéates s'adressa aux Béotiens et les invita à la défense de leur cause. Les Béotiens nommèrent aussitôt Épaminondas pour leur chef et lui donnèrent des forces suffisantes pour soutenir les Tégéates. (4) Les Mantinèens alarmés d'un secours qui venait à leurs adversaires de la part des Thébains et, effrayés en particulier de la grande réputation d'Épaminondas, s'adressèrent de leur côté aux plus grands ennemis de Thèbes et envoyèrent une ambassade à Athènes et à Sparte pour engager ces deux villes à prendre leur parti. Elles fournirent l'une et l'autre assez de troupes pour faire du Péloponnèse le théâtre d'un grand nombre de combats, dont plusieurs furent considérables. (5) Les Lacédémoniens se jetèrent d'abord dans l'Arcadie qui leur était limitrophe. Épaminondas qui arrivait de son côté avec toutes ses forces n'était pas loin de Mantinèe lorsqu'il apprit que les Lacédémoniens ravageaient toutes les terres des Tégéates. (6) Jugeant là-dessus que Lacédémone était demeurée vide de défenseurs, il forma un dessein hardi et qui aurait eu de grandes suites, s'il avait été favorisé de la fortune. Il s'avança de nuit du côté de Sparte. Mais le roi Agis, qui se défiait des ruses d'Épaminondas, songea de bonne heure à les parer. Il envoya dès le jour même des Crétois grands coureurs aux citoyens qu'il avait laissés dans Lacédémone, pour les avertir de se tenir en garde contre les Thébains qui se disposaient à entrer dès la nuit suivante dans la Ville pour la piller et pour la détruire. Mais de plus il se mit lui-même en marche de ce côté-là avec toute la diligence possible ; ainsi que pour rassurer les esprits, il l'avait promis par ses coureurs. [15,83] L'avis qu'ils apportèrent à temps sauva Lacédémone du péril qui la menaçait : car Épaminondas était déjà à ses portes prêt à se jeter dedans. On peut certainement comparer ici la vigilance des deux chefs : mais celle du Lacédémonien fut la plus heureuse. (2) Épaminondas qui avait marché toute la nuit et fait même une longue traite, se trouva au point du jour au pied des murailles de Sparte. Mais Agésilas demeuré pour la garde de la ville et qui venait de recevoir l'avis apporté par les Crétois, se hâta de préparer tour pour la défense. (3) Il fit monter sur le haut des maisons les vieillards et les enfants qui commençaient à pouvoir porter les armes et leur ordonna de charger de là ceux qui s'efforceraient de pénétrer dans les rues. Mais prenant avec lui la jeunesse la plus florissante, il la distribua au dehors des murs dans tous les passages et dans toutes les avenues et ordonna aux uns et aux autres d'attendre chacun dans son poste l'arrivée de l'ennemi. (4) Épaminondas avait aussi partagé ses troupes en plusieurs corps ; et il prenait ses mesures pour les faire tous agir en même temps, lorsqu'il s'aperçut à la disposition des ennemis que son projet était découvert. Il divisa néanmoins son armée pour attaquer ces corps-de-gardes tous à la fois et chacun séparément. (5) Il ne se désista point du combat, qu'il n'eut réduit, après bien des pertes réciproques, les Spartiates à rentrer dans leurs murailles. Mais enfin comme on venait de tous côtés au secours des assiégés et que le jour lui manquait de plus en plus, il suspendit tout combat [15,84] et apprenant des prisonniers qu'il avait faits que les citoyens de Mantinée venaient en bon ordre au secours de Lacédémone, il se retira à quelque distance pour placer son camp. Il ordonna à toute son armée de repaître et de tenir des feux allumés jusqu'à l'aurore du lendemain. Alors ne laissant là qu'un petit nombre de cavaliers, il mena tout le reste de ses troupes contre Mantinée presque dépeuplée de ses habitants, qui étaient accourus la veille au secours de Lacédémone. (2) Il fit ce jour-là une marche forcée pour arriver le soir sous les murs de Mantinée surprise où il ne réussit pas pourtant mieux qu'à Sparte. Toute sa prévoyance ne put l'emporter sur la fortune qui lui fut contraire et qui lui arracha la victoire : car pendant qu'il s'approchait d'un côté de cette ville alors déserte, il venait de l'autre à Mantinèe un puissant secours de la part des Athéniens. Ce secours était composé de six mille hommes commandés par Hégéloque homme estimé parmi les siens. Celui-ci fit entrer dans la ville quelques soldats, mais il garda auprès de lui et mit même en ordre de bataille le plus grand nombre, comme s'attendant à un combat. (3) Dans un instant il vit paraître les armées des Spartiates et des Mantinéens. (4) Ceux-ci avaient outre cela pour troupes auxiliaires, ceux de l'Élide qui étaient pour eux, les Athéniens et quelques autres : ce qui faisait en tout vingt mille hommes d'infanterie et deux mille chevaux. Les Tégéates étaient soutenus par les meilleures troupes de l'Arcadie, de l'Achaïe, de la Béotie et du pays d'Argos, sans compter quelques autres alliés tant du Péloponnèse que d'ailleurs de sorte que leur armée montait à trente mille fantassins et à trois mille cavaliers. [15,85] Les deux partis étaient en présence bien déterminés à une action complète et décisive, lorsque les haruspices de Mantinée déclarèrent que les victimes promettaient la victoire à l'une & à l'autre armée. (2) A l'égard de l'ordre de bataille, les Mantinéens et les Arcadiens formaient la droite soutenus de près par les Lacédémoniens à côté desquels étaient encore ceux de l'Elide et de l'Achaïe, et plus loin les troupes dont on n'espérait pas un grand secours : la gauche était occupée par les Athéniens. Du côté des Thébains, ils formaient eux-mêmes leur gauche ayant auprès d'eux les Arcadiens de leur parti ; et ils avaient donné leur droite aux Argiens. Le milieu était occupé par des troupes de l'Eubée de la Locride, de Sicyone , par des Maliens, des Aenians, des Thessaliens mêmes et plusieurs autres alliés. La cavalerie s'avançait sur les ailes de part et d'autre. (3) Quand on se fut approché dans cette même disposition, les trompettes sonnèrent la charge, à laquelle il fut répondu par un cri général des deux armées qui se promettaient également la victoire. Le combat s'ouvrit par un choc des deux cavaleries, dont la valeur parut égale de part et d'autre. (4) La cavalerie athénienne s'élança la première sur la cavalerie Thébaine. Mais peu de temps après les Athéniens sentirent qu'ils avaient du dessous. Ce n'est pas qu'ils fussent inférieurs en courage aux Thébains, que leurs chevaux mêmes fussent moins vigoureux que ceux de l'armée ennemie, ou qu'ils ne fussent pas bien dressés. Car en tous ces points l'Attique ne le cédait point à la Béotie. Mais l'armée athénienne n'égalait point celle de Thèbes par le nombre, par l'adresse et par divers exercices militaires de ses alliés. Elle n'avait d'abord que très peu de gens de trait, au lieu que les Thébains en avaient tiré un très grand nombre de la Thessalie. (5) On y exerce les enfants dès le plus bas âge à ce genre de combat et par là ils sont d'un grand avantage dans les batailles. Ainsi les Athéniens, d'abord percés de flèches et accablés ensuite par la cavalerie thébaine, furent bientôt ébranlés et mis en fuite. (6) Cependant comme ils se retirèrent sans rompre les autres rangs de leur armée, ils ne donnaient point la victoire aux ennemis. Bien plus, ils ne se dérangèrent pas eux-mêmes en s'écartant : au contraire tombant sur le bataillon de l'Eubée et sur quelques soudoyés qu'Épaminondas envoyait pour se poster sur des hauteurs voisines, ils les tuèrent tous jusqu'au dernier. (7) La cavalerie thébaine ne se mit pas non plus à la poursuite des Athéniens qu'elle avait fait céder mais poussant son avantage sur la phalange qu'elle avait devant elle, son dessein était de renverser toute l'infanterie des adversaires : il se donna encore là un violent combat. Les Athéniens qui composaient cette infanterie furent aussi obligés de plier et ils étaient prêts à tourner le dos et à s'enfuir lorsque le commandant de la cavalerie des Éléens qui était derrière eux vint à leur secours (8) et attaquant vivement les Béotiens, fit changer la face du combat et procura aux Éléens la gloire d'avoir sauvé toute cette aile gauche qui allait être perdue sans eux. A l'aile droite les deux cavaleries opposées tinrent quelque temps la balance égale entre elles : mais bientôt le nombre et l'expérience des cavaliers de la Béotie et de la Thessalie l'emportèrent sur la faible résistance des Mantinéens qui se retirèrent enfin du côté de leurs phalanges. [15,86] Il s'agit maintenant du combat particulier de l'infanterie qui commença par une attaque et par une résistance égale et merveilleuse des deux côtés. On n'avait pas encore vu une armée de Grecs contre Grecs si nombreuse de part et d'autre, des généraux si illustres par leurs exploits précédents, ni des troupes plus exercées et plus aguerries : (2) c'étaient en un mot les Thébains et les Lacédémoniens, les hommes de leur temps les plus renommés pour les combats à pied, se trouvant alors opposés les uns aux autres, et résolus d'immoler leur vie à leur gloire. Ils employèrent d'abord les lances dont la plupart furent brisées par les coups mêmes qu'ils portaient, de sorte qu'on en vint bientôt à l'épée. (3) Mêlés alors les uns avec les autres et percés de coups portés réciproquement leur courage demeurait toujours le même et l'émulation qui soutenait les deux partis ne permettait point à la fortune de se déclarer pour l'un par préférence à l'autre. (4) Animés tous du désir de se distinguer par quelque action glorieuse, aucun d'eux ne pensait à sa propre vie. Épaminondas jugea que c'était à lui à faire pencher la balance. Aussitôt formant un gros des plus braves de son armée, il se jeta ainsi environné à travers la foule des ennemis. Pour donner l'exemples aux siens, il lança le premier un trait sur le commandant des Spartiates (5) et ensuite, soutenu et aidé par son corps d'élite, blessant les uns et effrayant les autres il rompit la phalange lacédémonienne. Alors les Lacédémoniens frappés de la hardiesse d'Épaminondas et beaucoup diminués de nombre par les efforts de son escorte, abandonnèrent le champ de bataille. Les autres troupes béotiennes se mirent encore à les poursuivre, et tuant toujours les derniers, elles couvrirent la campagne de morts. [15,87] Les Spartiates au désespoir de voir Épaminondas supérieur à eux se jetèrent tous sur lui. Ce général en butte à des coups sans nombre, évitait les uns parait les autres, et tirant les javelots de son propre corps, il les renvoyait à ceux qui les lui avaient lancés. Prêt enfin à remporter la victoire qu'il méritait, il reçut un coup mortel dans la poitrine. Ayant rompu le trait qu'il voulait tirer, le fer demeura dans la capacité et il tomba de dessus son cheval. Il y eut encore un grand combat autour de lui, et les deux partis voulant demeurer maîtres de sa personne, ce ne fut qu'avec bien de la peine que les Thébains plus robustes que les Spartiates le leur arrachèrent. (2) Ces derniers mêmes s'enfuirent mais les Thébains ne les suivirent pas loin et ils jugèrent plus à propos de s'assurer la possession des morts comme d'un gage de la victoire. Ainsi faisant sonner la retraite, ils rappelèrent au camp tous leurs soldats : et les deux armées, sans que l'on sut trop laquelle était réellement la victorieuse, dressèrent un trophée. (3) En effet les Athéniens qui avaient vaincu les Eubéens et les soudoyés à l'attaque des hauteurs voisines du champ de bataille, étaient là en possession des morts : et les Béotiens qui avaient battu les Spartiates, dont les corps leur étaient demeurés, s'attribuaient aussi la victoire. (4) Ainsi pendant quelque temps aucun des deux partis ne redemanda ses morts, pour ne point donner le signe ou l'aveu de la défaite. Mais enfin les Lacédémoniens remplirent les premiers ce devoir à l'égard des leurs et chacune des deux armées ensevelit les siens. (5) Cependant Épaminondas encore en vie avait été porté dans le camp et les médecins assemblés ayant décidé qu'il mourrait certainement dans l'opération où l'on tirerait le fer de sa plaie, il se disposa à une mort aussi glorieuse que sa vie. (6) Il appela d'abord son écuyer auquel il demanda si son bouclier était sauvé? Cet écuyer lui dit que oui, et le lui montra sur le champ. Il demanda ensuite auquel des deux partis la victoire était demeurée. L'écuyer répondit que les Thébains étaient vainqueurs. Il est donc temps de mourir, répliqua-t-il, qu'on tire le fer de ma plaie. Ses amis qui l'environnaient poussèrent aussitôt de grands cris, et quelqu'un d'entre eux ayant dit en versant des larmes ! Ha , Épaminondas vous mourez sans enfants; non, répondit-il, je laisse deux filles, la victoire de Leuctres et celle de Mantinée. Enfin il expira tranquillement dès qu'on eut tiré le fer sa plaie. [15,88] Pour nous qui nous sommes fait une loi d'accompagner d'un éloge convenable la mort des hommes illustres, nous mériterions un très grand reproche si nous ne rendions pas à celui-ci l'hommage qui lui est dû par tant de titres. Car il me paraît qu'il a surpassé tous les capitaines de son temps, non seulement par son intelligence et son expérience dans l'art militaire mais encore par la grandeur d'âme et l'esprit d'équité qui régnait en lui. (2) Et je ne crains pas de parler ainsi en pensant même aux grands hommes de son temps, tels qu'ont été Pélopidas le Thébain, Timothée, Conon, Chabrias et Iphicrate, tous quatre Athéniens, et enfin le Spartiate Agésilas qui a paru un peu avant eux. J'étends même la comparaison jusqu'aux siècles précédents où se sont élevés les guerres des Mèdes et des Perses, et je remonte jusqu'aux Solons, aux Thémistocles et aux Miltiades. Je n'excepte pas non plus Cimon, Myronidès, Périclès et quelques autres Athéniens. J'ajouterai même à ceux-là Gélon de Syracuse fils de Dynomène. (3) En effet, si quelqu'un veut comparer les vertus de ces grands hommes avec celles d'Épaminondas, il trouvera que ce dernier remporte de beaucoup sur ces illustres prédécesseurs. Chacun d'eux avait brillé par un avantage particulier : celui-ci les rassembla tous : la force du corps, la noblesse du discours, mais surtout l'élévation d'âme, le mépris des richesses, la douceur des moeurs. Cependant ce qui le distingua le plus fut le courage et la science militaire. (4) Tant qu'il vécut sa patrie eut la supériorité dans la guerre sur toute la Grèce : elle la perdit à sa mort et se vit déchoir de jour en jour jusqu'à ce qu'enfin par l'imprudence de ses généraux, elle tomba de degrés en degrés dans l'esclavage et arriva à sa destruction totale. [15,89] Après la mort de ce grand homme telle que nous l'avons racontée, les Grecs incertains de quel côté la victoire était demeurée, mais qui avaient donné des preuves égales de valeur de part et d'autre, lassés enfin de tant de combats et de périls, résolurent de traiter ensemble. Ils firent une paix etmême une alliance entre eux, dans laquelle les Messéniens furent compris. (2) Les Lacédémoniens par la haine implacable qu'ils portaient à ceux de Messéne , ne voulurent entendre à aucun accommodement où il s'agirait de cette ville et, seuls de tous les Grecs, ils demeurèrent exclus du traité. (3) A l'égard des écrivains : l'Athénien Xénophon termine son histoire grecque à la mort d'Épaminondas. Anaximène de Lampsaque, qui a écrit le premier une histoire suivie de la Grèce, en remontant à la généalogie des dieux et à l'origine du genre humain, termine aussi son ouvrage à la bataille de Mantinée et à la mort du héros de Thèbes. Son ouvrage, qui contient presque toutes les actions des Grecs et des Barbares, est divisé en douze Livres. Philistus qui a fait cinq ans de la vie du jeune Denys en deux livres, termine aussi son Histoire en cette année. [15,90] MOLON étant archonte d'Athènes on nomma pour consuls à Rome, L. Genutius et Q. Servilius. Les peuples de l'Asie voisins de la mer entreprirent de se soustraire à l'empire des Perses ; quelques-uns des satrapes et des commandants établis en ces provinces par le Roi Artaxerxès se révoltèrent contre lui. (2) En ce même temps Tachos roi d'Égypte arma contre les Perses et prépara contre eux un grand nombre de vaisseaux et de troupes de terre. Il attira à son parti et engagea dans son alliance plusieurs villes grecques et principalement Lacédémone. Les Spartiates étaient en particulier très mécontents de ce que le Roi avoir toujours insisté à faire comprendre les Messéniens dans la paix générale qu'il avait souvent proposée. Cette conspiration des Grecs contre les Perses engagea le Roi à faire de son côté les préparatifs convenables pour en prévenir les effets. (3) Il fallait armer en même temps, contre le Roi d'Égypte, contre les villes Grecques de l'Asie, contre les Lacédémoniens et contre ses propres satrapes ou commandants des provinces maritimes, devenus alors alliés de ses ennemis. Les plus considérables étaient Ariobarzane satrape de la Phrygie, qui à la mort de Mithridate s'était saisi de son royaume, Mausole gouverneur de la Carie et par là maître d'un grand nombre de villes et de forteresses, dont la principale était Halicarnasse munie d'une citadelle qui la rendait la capitale et le centre de la Carie ; et enfin Orontas et Autophradates, le premier satrape de la Mysie et le second de la Lydie. Les provinces de l'Ionie qui se soulevèrent avec eux furent la Lycie, la Pisidie, la Pamphylie, la Cilicie, la Syrie, la Phénicie, en un mot presque toutes les provinces maritimes. (4) Une défection si prodigieusement étendue faisait perdre au Roi la moitié de ses revenus et le reste ne suffisait point pour les frais de la guerre qu'il avait à soutenir. [15,91] Les rebelles choisirent unanimement Orontas pour leur généralissime. Celui- ci ayant accepté ce titre et touché tout l'argent qu'il fallait pour payer une année entière d'avance à vingt mille hommes, trahit aussitôt ses confédérés. Se flattant que son maître le comblerait de présents et le ferait satrape unique de toutes les côtes de l'Asie, s'il lui livrait les rebelles, il fit saisir tous ceux qui lui apportèrent l'argent qu'on lui avait promis et les envoya prisonniers à Artaxerxès. Il livra de même toutes les villes qu'on lui avait remises et les troupes étrangères déjà levées à des émissaires chargés par le Roi de les recevoir. (2) Il se fit une trahison à peu près semblable dans la Cappadoce, mais plus singulière dans ses circonstances. Artabaze un des généraux des troupes du Roi était entré avec de grandes forces dans cette province pour la remettre dans le devoir. Datamès qui en était satrape et un des révoltés, s'avança contre lui à la tête d'une grosse cavalerie de vingt mille fantassins qu'il soudoyait. (3) Le beau-père de Datamès qui commandait la cavalerie , voulant s'attirer les bonnes grâces du Roi et songeant pour l'avertir à sa sûreté , se détacha la nuit à la tête de ses escadrons et marcha du côté où campait Artabaze auquel il avoir fait savoir dès la veille son dessein et le temps auquel il devait l'exécuter. (4) Au moment que Datamès apprit cette défection, il assembla ses soudoyés et leur promettant des récompenses proportionnées au courage qu'ils marqueraient en cette occasion, il atteignit les transfuges dans le temps qu'ils se joignaient à l'armée du Roi et se jetant également sur les cavaliers qui le trahissaient et sur les troupes d'Artabaze qui recevaient ces traîtres, il fit main basse sur les uns et sur les autres. (5) Artabaze, qui ne comprenait rien dans cette aventure, soupçonna le beau-père de Datamès de lui avoir dressé une embuscade à lui-même et il ordonna à ses troupes de repousser ces cavaliers au lieu de les recevoir. Metrobarzane, c'était le nom de ce beau-père, attaqué ainsi des deux côtés et regardé de part et d'autre comme un traître tomba dans une cruelle incertitude et n'ayant pas même le temps de se reconnaître, il prit le parti de se défendre des deux côtés : ainsi combattant contre les uns et contre les autres, il fit d'abord un grand carnage. Cependant après une perte de plus de dix mille hommes dans ce mal entendu, Datamès fit sonner la retraite et cesser toute poursuite. (6) Entre les cavaliers déserteurs, les uns revinrent d'eux-mêmes à Datamès : ils obtinrent de lui le pardon de la faute que Metrobarnaze leur avait fait faire; mais environ cinq cens autres qui ne surent quel parti prendre furent environnés par les troupes du satrape et percés à coups de traits. (7) Datamès qui avait déjà une grande réputation en fait de guerre, l'augmenta beaucoup par la présence d'esprit et par la valeur qu'il avait marquée en cette occasion : de sorte qu'Artaxerxès qui eut bientôt la nouvelle de cet événement particulier, redouta encore davantage un rebelle si dangereux et pour se défaire de lui plus promptement, il le fit assassiner en secret. [15,92] D'un autre côté Rhéomithrès envoyé par les révoltés au roi Tachos en Égypte avec cinquante vaisseaux et cinq cens talents d'argent, s'arrêta dans une ville de l'Asie nommée Lucé et rassemblant là quelques-uns des chefs de son parti, il les fit saisir et les envoya liés au roi de Perse. Il rentra par cette trahison dans les bonnes grâces du Roi qu'il avait trahi lui-même. (2) A l'égard de Tachos il avait déjà préparé toutes choses pour la guerre dont il était menacé. Sa flotte montait à deux cents vaisseaux parfaitement bien équipés. Il avait tiré de la Grèce dix mille soudoyés hommes d'élite qu'il avait joints à quatre-vingts mille hommes d'infanterie égyptienne. Il donna le commandement de toutes les troupes étrangères au spartiate Agésilas, qui lui avait été envoyé par les Lacédémoniens mêmes à la tête de mille hommes pesamment armés, et qui était un général expérimenté et d'une haute réputation pour le courage et pour la science militaire. (3) Le roi d'Égypte confia sa flotte à l'Athénien Chabrias que sa république ne lui avait pas envoyé par un décret public, mais que sa propre inclination avait engagé au service de ce roi. Tachos voulut se réserver le commandement général de ses armées de mer et de terre ; et il ne suivit pas en ce point le sage conseil d'Agésilas qui l'invitait à demeurer dans l'Égypte comme dans le centre de ses états et de ne faire la guerre au dehors que par ses lieutenants. En effet, dès qu'il eut éloigné ses troupes et qu'il les eut fait camper lui-même dans la Phénicie, le commandant qu'il avait laissé en Égypte se détacha de son obéissance. Il députa même à Nectanebus fils de Tachos des confidents secrets pour lui persuader de venir incessamment se saisir du trône de son père en son absence, ce qui alluma une grande guerre. (4) Nectanebus qui avait suivi son père commandait sous lui les troupes égyptiennes et Tachos l'avait envoyé de la Phénicie où il campait avec son armée, jusque dans la Syrie pour y prendre quelques villes. (5) Dès qu'il eut reçu ses lettres du commandant de l'Égypte, il accepta la proposition qu'on lui faisait contre son père ; il commença à gagner les officiers et les soldats par des présents et par des promesses, et les ayant ramenés dans l'Égypte, il s'en rendit le maître par leur secours. [15,93] Tachos frappé de cette révolution n'hésita point à traverser l'Arabie pour aller trouver le Roi auquel il demanda pardon de la guerre qu'il venait de lui déclarer. Artaxerxès ne se contenta pas de lui pardonner mais il le nomma général dans la guerre qu'il faisait lui-même actuellement aux Égyptiens. Ce fut un peu après ce temps-là que mourut ce même roi de Perse Artaxerxès, en la quarante- troisième année de son règne. Il eut pour successeur Ochus qui régna vingt- trois ans. Celui-ci fut surnommé aussi Artaxerxès parce que le précédent ayant régné avec beaucoup de gloire, de tranquillité et de bonheur, ses sujets voulurent conserver sa mémoire dans la personne de ses successeurs et les obligèrent à porter le même nom que lui. (2) Dès que le roi Tachos, revenu de son voyage de Perse, eut rejoint Agésilas, Nectanebus qui avait rassemblé plus de cent mille hommes se mit en marche contre lui et provoqua son propre père à un combat dont sa couronne devait être le prix. Agésilas voyant le roi extrêmement alarmé et presque déterminé à ne pas se défendre, l'exhorta à prendre courage, en lui disant que la victoire dépendait bien plus de la valeur du chef que du nombre des soldats. Comme le roi ne se rendait point à ces exhortations, Agésilas fut obligé de se retirer avec lui dans une de ses plus grandes villes. (3) Les Égyptiens les y assiégèrent bientôt. Après avoir perdu beaucoup de monde dans leurs attaques et dans leurs assauts, les assiégeants environnèrent la place d'un mur et d'un fossé. Leur grand nombre leur fournit le moyen d'achever bientôt cet ouvrage quelque grande que fut son étendue. Ainsi les vivres commençant à manquer aux assiégés, Tachos perdit bientôt tout espoir. Mais Agésilas ranimant par ses discours les soldats qu'il commandait et faisant de nuit une vigoureuse sortie sur les ennemis, sauva contre toute espérance et les Grecs qu'il avait amenés, et les citoyens de la ville assiégée. (4) Comme les assiégeants étaient extrêmement nombreux et se voyaient dans une grande plaine, ils comptaient d'envelopper aisément la garnison sortie et de la passer toute entière au fil de l'épée. Mais Agésilas se postant dans une langue de terre où il était défendu par deux bras du fleuve, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, il attendit là le choc des assiégeants. (5) Déposé convenablement à son terrain et défendu par le fleuve même, il engagea le combat. Le grand nombre des assaillants leur devint inutile par la nature du lieu et les Grecs qui les surpassaient de beaucoup en valeur et en expérience militaire, tuèrent un grand nombre d'Égyptiens et mirent le reste en fuite. (6) Tachos recouvra aisément par ce succès son autorité sur ses peuples et Agésilas auquel il était redevable du rétablissement de sa couronne fut gratifié de présents très considérables. Cet illustre Spartiate revenant en sa patrie par Cyrène où il comptait de s'embarquer, mourut en cette ville d'Afrique ; son corps embaumé fut transporté à Lacédémone, où il fut enseveli dans le tombeau des rois avec tous les honneurs dus à son rang. [15,94] Voilà où en demeurèrent pour cette année les affaires de l'Asie. A l'égard du Peloponnèse, les Arcadiens qui avaient signé la paix entre eux après la bataille de Mantinée, n'observèrent que pendant un an les serments qu'ils avaient faits ; et ils recommencèrent la guerre. Il était porté par le traité de paix que chacun de ceux qui s'étaient trouvés à la bataille s'en retournerait dans le lieu de sa naissance. Or il était arrivé à l’occasion de troubles précédents que plusieurs habitants des villages d'alentour s'étaient réfugiés dans Mégalopolis pour y être plus en sûreté, quoi-u'ils ne quittassent qu'à regret leur demeure propre. Or comme chacun s'en retournait chez soi suivant les termes du traité de paix, les Mégalopolitains qui trouvaient leur avantage a cette multitude de citoyens qui rendait leur ville plus considérable, voulurent les obliger à revenir. (2) Il se forma là-dessus une véritable dissension, les habitants des petites villes ou bourgades demandèrent du secours à ceux de Mantinée, à d'autres Arcadiens, à la province même de l'Élide, en un mot à tous ceux qui avaient été de leur parti dans la bataille de Mantinée. La ville de Mégalopolis s'adressa de son côté aux Athénien qui y envoyèrent sur le champ trois mille hommes pesamment armés et trois cents cavaliers, les uns et les autres sous le commandement de Pammenès. (3) Ce général se rendit d'abord à Mégalopolis, d'où il alla ensuite contraindre les habitants des petites villes, en détruisant les unes et en faisant peur aux autres, de se réunir dans la grande. C'est la fin qu'eut cette prétention bien ou mal fondée des Mégalopolitains de vouloir être la seule ville de leur province, prétention qui y entretint longtemps un trouble fâcheux et qui ne fut terminée que par la violence. (4) L'historien Athanas de Syracuse commence en cette année l'Histoire de la vie de Dion qu'il a distribuée en treize livres. Mais il a renfermé en un seul l'intervalle de sept ans compris entre le point où Philistus en était demeuré et celui où il commence lui-même pour ne laisser aucun vide dans l'Histoire. Olympiade 104. an 4. 361 ans avant l'ère chrétienne. [15,95] Nicophème étant archonte d'Athènes Rome eut pour consuls C. Sulpitius et C. Licinius. Alexandre tyran de Phères envoya des brigantins et autres vaisseaux de piraterie aux îles Cyclades ; et s'étant par ce moyen emparé de quelques-unes, il en tira un grand nombre d'esclaves. S'embarquant à la tête des soudoyés pour l'île de Peparethe, il forma le siège de la ville principale. (2) Les Athéniens, protecteurs de ces insulaires, y avaient laissé Leosthène pour les défendre. Mais Alexandre alla d'abord attaquer une escadre athénienne qui avait été placée pour observer quelques soldats d'Alexandre descendus à Panorme. Le tyran, qui tomba tout d'un coup sur cette escadre, eut contre elle un succès inespéré : car non seulement il délivra d'un danger prochain les soldats qu'il avait à Panorme mais encore il enleva cinq galères athéniennes et une autre de Peparethe ; et de plus il lui resta de cette attaque six cents prisonniers. (3) Les Athéniens outrés de cette disgrâce condamnèrent Leosthène à la mort en qualité de traître et mirent tous ses biens à l'encan, après quoi ils envoyèrent Charès à sa place avec une nouvelle flotte. Celui-ci employa son temps à éviter les ennemis et à mécontenter les alliés. Car ayant été débarquer à Corcyre, ville attachée à la république, il y excita de violentes séditions dont s'ensuivirent même des massacres de citoyens et des pillages de maisons ; ce qui attira de plusieurs côtés de grandes malédictions au nom d'Athènes. (4) C'est à cette année que se termine l'histoire grecque de Dionysiodore et celle d'Anaxis, écrivains de la Béotie. Pour nous qui avons rapporté tout ce qui s'est passé jusqu'à l'entrée du règne de Philippe, nous terminerons ici ce quinzième livre, selon le plan que nous en avons donné en le commençant. Le livre suivant contiendra toutes les actions de ce roi depuis qu'il monta sur le trône jusqu'à sa mort, sans omettre les principales choses qui se sont passées durant cet intervalle dans les parties de la terre les plus connues.