LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE PREMIER. Ordre des matières que l'auteur Ta traiter. Il nous parait convenable d'aborder maintenant la discussion du martyre et de la perfection. Tout ce que comporte la matière présente rentrera dans le cadre de ces deux questions, où la philosophie apparaitra comme un devoir pour l'homme et pour la femme, qu'ils soient libres ou esclaves. La discussion qui roulera ensuite sur la foi et l'examen venant à se terminer, nous arriverons aux symboles, afin de montrer sommairement, après les rapides conclusions de notre partie morale, de quel secours a été pour les Grecs la philosophie barbare. A ce tableau mis sons les yeux du lecteur, succédera, dans le but de réfuter à la fois les Grecs et les Juifs, une exposition abrégée des Écritures ; puis viendront les développements que nous aurions voulu compléter dans un chapitre d'avant-propos, mais que nous n'avons pu renfermer dans les mélanges précédents, dominé que nous étions par l'abondance des matières à laquelle il a fallu sacrifier. Quand nous aurons atteint, selon nos forces, le but que nous nous proposons, il sera temps de passer en revue les opinions sur les principes naturels, telles que les Grecs et les autres barbares nous les ont transmises, et d'engager ensuite la discussion contre les principales doctrines des philosophes. Par une conséquence naturelle, un rapide coup-d'œil sur la théologie nous conduira aux traditions prophétiques, afin que les Écritures, sur la parole desquelles nous avons cru, une fois reconnues authentiques et revêtues d'une autorité toute divine, nous servent comme de point de départ pour éconduire pas à pas les hérésies, et prouver à chacune d'elles qu'il n'y a qu'un seul et même Dieu, un Seigneur tout-puissant, proclamé sans imposture par la loi, par les prophètes et par le bienheureux Évangile. Là, des luttes fréquentes contre les partisans de l'opinion contraire, attendent naturellement un écrivain dont tout le plan est de détruire, dans ses ouvrages, les énormités qu'introduisent les sectaires, et de les convaincre, en dépit d'eux-mêmes, par le moyen des Écritures. Notre tâche ainsi remplie dans son intégrité, dès que nous aurons répondu aux besoins du moment par tels commentaires que nous inspirera l'Esprit (car les prolégomènes sont indispensables pour arriver à la vérité ), alors nous aborderons la véritable théorie gnostique de la nature, initiés déjà aux mystères de moindre importance avant d'arriver aux grands mystères , afin que dans la purification et la manifestation complète des principes préliminaires, rien ne fasse plus obstacle à la divine interprétation des choses saintes. La théorie de la nature, conforme aux règles de la vérité, oU pour mieux dire l'initiation aux secrets de l'univers, qui s'acquiert par la tradition gnostique, s'élève de la théorie cosmogonique à la contemplation de Dieu. Voilà pourquoi nous reportons, à bon droit, le berçeau de la tradition à la création décrite par les prophètes, en rappelant sur notre chemin les doctrines des héterodoxes , pour les confondre, s'il nous est possible. Mais tous ces développements toucheront bientôt à leur terme, avec la grâce de Dieu, et suivant sou inspiration. Entrons maintenant dans notre sujet, et achevons ce qui nous reste à dire sur la morale. CHAPITRE II. Pourquoi l'auteur a donné au présent livre le nom de Simmatei Nos commentaires, ainsi que nous l'avons déjà écrit pour les lecteurs ignorants et armés de reproches, continuent de ressembler à des tapisseries de représentations diverses, où le discours passe continuellement d'un sujet à un autre sujet, promettant une chose et concluant par une autre. « Le mineur, « dit Héraclite, qui cherche de l'or dans les entrailles de la • terre, creuse beaucoup pour trouver peu. » Ceux, au contraire, qui sont l'or de la terre, pour ainsi parler, et qui fouillent pour trouver ce qui leur ressemble, trouveront beaucoup en remuant peu de terre; car ce livre rencontrera un lecteur pour le comprendre ! Nos Stromates sont donc dans la main de l'homme, que la raison peut guider au travers de ses recherches, an auxiliaire pour la mémoire et pour la manifestation de la vérité. Mais ils ne dispensent pas le lecteur de mettre lui-même la main à l'œuvre, et d'ajouter ses réflexions aux nôtres, puisqu'au voyageur qui s'engage dans Une route inconnue, il suffit de signaler la véritable route qui le conduit au terme de Ht course. A lui de marcher ensuite sans guide, et de discerner le reste de son chemin par ses propres lumières. Un esclave consulta, Jadis, la prêtresse de Delphes, pour savoir par quel moyen il plairait à son maitre ; la Pythie lui répondit : « Tu « trouveras, si tu cherches. » Toutefois, il me semble que la découverte du beau, qui est caché, n'est pas sans fatigues ni difficultés. « On n'arrive à la vertu que par la sueur; le sentier par le« quel on monte à elle, est long et taillé à pic. L'entrée en est « âpre ; mais lorsqu'on arrive sur la hauteur, il devient facile, « quelque pénible qu'il ait été d'abord '. » Oui, elle est vraiment étroite et resserrée la voie du Seigneur, et le royaume de Dieu appartient à ceux qui le ravissent. Voilà pourquoi le Seigneur uous dit : « Cherchez, et « vous trouverez, » si vous marchez, sans jamais vous en écarter, dans la route vraiment royale. Il ne faut donc pas s'étonner que cet ouvrage, semblable à un champ où croissent toutes sortes de plantes, selon le langage de l'Écriture, rassemble dans un petit espace une grande quantité de semences fécondes. Il suit de là que nos commentaires portent le titre • Hériodc. qui leur convient véritablement, faits à l'image de cette antique offrande que composaient tant d'objets divers et dont Sophocle a dit : « Il y avait une.toison de brebis, une libation de vin, des « raisins soigneusement conservés, des fruits de toute nature, « des vases pleins d'huile d'olive, et des rayons du miel le plus « brillant,édifice de cire qu'avait bâti l'industrieuse abeille. » Ainsi donc, nos Stromates, pour me servir de la comparaison que Timoclès le comique met dans la bouche de son jardinier, produisent, comme un champ fertile, des figues, de l'huile, des figues sauvages et du miel. Cette heureuse fécondité fait dire à son maître : « Tu veux parler, sans doute, du rameau d'olivier que l'on « dépose devant le temple, mais non d'un champ cultivé. » C'est qu'en effet, les enfants d'Athènes avaient coutume de chanter ces vers : « Le rameau d'olivier produit des olives, des figues et des « pains nourrissants, du miel dans nos cotyles ', et de l'huile « pour assouplir nos membres. » Il faut souvent, comme le vanneur qui a démêlé le bon grain de la paille, passer le froment au crible et le purger de ses immondices. CHAPITRE HT. En quoi consiste la véritable excellence de l'homme. La plupart des hommes, par la mobilité et l'emportement de leurs idées, ressemblent aux saisons orageuses. Ecoutezles : « L'incrédulité est la mère des biens ; la foi est la mère « des maux ! « Que dit Épicharme? « Souviens-toi de ne pas « croire ; c'est le nerf de l'intelligence. » Fort bien ! Mais d'abord, ne pas croire à la vérité, c'est la mort; de même qu'y croire, c'est la vie. Tout au contraire, croire au mensonge et 1 Mesure de capacité chez les Grecs. Le cotyle répondait à nutrit demi-setier. repousser la vérité, creuse sous les pas de l'homme un abime où il tombe. Il en va de même de la continence et de l'inconnence. L'une est une œuvre de vie, l'autre une œuvre de mort; s'abstenir de toute injustice est le commencement du salut. Aussi le sabbat me semble-t-il, en recommandant l'abstinence de tout mal, désigner indirectement la continence. Sinon, en quoi l'homme serait-il différent de la brute; et d'autre part, en quoi les anges de Dieu seraient-ils plus sages que l'homme? • Vous l'avez, pour un peu de temps, placé au-dessous des « anges, » s'écrie le roi prophète. Personne, en effet, n'applique au Seigneur ce passage, bien que le Seigneur aussi ait revêtu la chair, mais au parfait gnostique, abaissé au-dessous des anges, du côté de cette vie qui passe et par son enveloppe terrestre. La sagesse, à mon avis, n'est donc pas autre chose que la science, puisque la vie ne diffère pas de la vie. En effet, pour la nature humaine, c'est-à-dire pour l'homme, et pour tous les êtres qui, avec lui, ont été élevés jusqu'à l'immortalité , vivre, c'est contempler et s'abstenir, quoique l'un soit supérieur à l'autre. Telle est la haute signification que je donne aux paroles de Pythagore, quand il dit : « Dieu seul est • sage. » L'apôtre aussi, dans une épitre aux Romains, écrit ces mots : « Mystère découvert à tous les peuples, afin qu'ils « obéissent à la foi, et connu de Dieu, seul sage, par Jesus« Christ. » C'est à cause de l'amour qui l'unissait à Dieu que Paul se nommait philosophe. « Aussi Dieu parlait-il à Moïse, • comme un ami parle à son ami, » dit l'Kwiturc. Le vrai, que Dien contemple sans ombres, engendre aussitôt la vérité, et le gnostique est l'ami de la vérité. « Va trouver la fourmi, ô • paresseux, et fais-toi l'élève de l'abeille. « Si chaque nature a ses fonctions spéciales; s'il en va ainsi du Lœuf, du cheval, du chien, quelle tâche particulière assignerons-nous à l'homme ? L'homme, selon moi, c'est le centaure fabuleux de la Thessalie, composé d'un élément animal et d'un principe raisonnable, je veux dire d'une âme et d'un corps. Le corps s'occupe des choses d'ici-bas et se courbe vers la terre. L'âme s'élance jusqu'à Dieu; éclairée par la philosophie véritable, travaillant de toutes ses forces à s'affranchir de l'empire du corps, et à répudier la peine et la crainte, quoique nous ayons prouvé plu haut que la patience et la crainte sont les compagnes de la vertu, l'âme se hâte d'aller rejoindre là-haut ses sœurs divines. Bien que la loi apporte la connaissance du péché, comme le veulent les détracteurs de la loi, et que le péché fût dans le monde ;< v aut• • l'introduction de la loi ; nous leur répondons : « Sans la loi, le péché était mort. » En effet, enlever le péché, cause de la crainte, n'avez-vous pas enlevé du même coup la crainte elle-même ; à plus forte raison aurez-vous supprimé le châtiment, quand le principe du mauvais désir n'existera plus. « La loi n'est pas établie pour le juste, » dit l'Écriture. Elles sont donc vraies les paroles d'Héraclite : « Les hommes eus- sent à jamais ignoré le nom de justice, s'il n'y avait pas eu « de crimes. » Suivant Socrate : « La loi n'a pas été faite pour • les hommes de bien. » Les détracteurs de la loi n'ont pas compris davantage ces paroles de l'apôtre : « Celui qui aime son prochain, ne lui fait « point de mal. » En effet, ces prohibitions divines : « Vous •••• ne tuerez point; vous ne commettrez point d'adultère; vous « ne déroberez point, » et les autres défenses semblables sont comprises dans cette parole : « Vous aimerez votre prochain « comme vous-même. » Voilà pourquoi le Seigneur nous dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, et le pro« chain comme toi-même. » Mais, puisque l'homme qui aime son prochain ne lui fait point de mal, et que l'ensemble des commandements est renfermé dans cette parole abrégée : * Ai« mez votre prochain ; » il s'ensuit que les préceptes qui suscitent la crainte, engendrent l'amour et non la haine. La loi, mère de la crainte, n'est donc pas un trouble ni une maladie de l'âme. La loi est donc sainte et vraiment spirituelle, selon les paroles de l'apôtre. Une fois que nous connaissons la nature du corps et l'essence de l'âme, il reste, ce nous semble, à bien comprendre quelle est la lin de l'un, quelle est la fin de l'autre, et à ne pas regarder la mort comme un mal. * Lorsque vous étiez esclaves • du péché, dit l'apôtre, vous étiez dans une fausse liberté à • l'égard de la justice. Quel avantage trouviez-vous donc • alors dans ces désordres dont vous rougissez maintenant? • Ils n'ont pour fin que la mort. Aujourd'hui que vous êtes « affranchis du péché, le fruit que vous en tirez est votre > sanctification, et la fui sera la vie éternelle. Car la mort est > la solde du péché ; la grâce de Dieu, au contraire, est la vie • éternelle, en Jésus-Christ notre Seigneur. » Nous commençons donc à le voir, la mort est l'union de l'âme pécheresse avec le corps ; et la vie réelle, c'est la séparation de l'âme d'avec le péché. Mais dans ce divorce, nous rencontrons à chaque pas les retranchements et les fossés du désir, les tourbillons de la colère, les gouffres des appétits charnels. Il faut les franchir résolument, et nous dérober à tous les pièges dressés devant nom, si nous voulons parvenir à contempler Dieu face à face, et non point seulement comme dans un miroir. « Jupiter, à la voix retentissante, enlève à l'homme que la « nécessité a courbé sous le joug de l'esclavage, la moitié de la « vertu. » Le nom d'esclaves, attaché par flétrissure à tous ceux qui sont dans les liens du péché et vendus au péc/ié, [à tous ceux qui se prostituent aux plaisirs, à tous ceux qui aiment leur corps, est familier à l'Écriture-Sainte; et à ses yeux, ces infortunés qui s'assimilent aux animaux, chevaux enflammés, hennissant après la femme du prochain, sont moins des hommes que des brutes. Dans son langage symbolique, le voluptueux est l'âne lascif; le ravisseur du bien d'autrui est le loup féroce; l'Imposteur, le serpent. Ainsi donc, la séparation spirituelle de l'âme d'avec le corps, sur laquelle le philosophe médite pendant tout le cours de sa vie, éveille au fond de son cœar un vif désir de connaissance, pour qu'il soit à même de supporter la mort naturelle, qui est la rupture des liens par lesquels l'âme est unie au corps. « Le monde est crucifié pour * moi, dit l'apôtre ; et je suis crucifié pour le monde. Mais « moi, bien que je sois encore revêtu de la chair, je vis déjà « comme dans le ciel. » CHAPITRE IV. Éloge du martyre. Voilà pourquoi le Gnostique, empressé d'obéir, cède volontiers la dépouille du corps à qui la lui demande ; voilà pourquoi, retranchant autour de lui toute affection charnelle, sans provoquer le tentateur, mais châtiant, ce nous semble, et réprimant ses insolences, « de quelque haute fortune, de quel« que degré de félicité qu'il lui faille descendre, » comme le dit Empédocle,il abandonne sans regret ces biens et retourne prendre place au milieu du reste des hommes. D'abord, il se rend à lui-même le témoignage qu'il est sincèrement fidèle à Dieu; en second lieu, il rend témoignage contre le tentateur en lui prouvant que sa jalousie s'attaque inutilement à celui qui est fidèle par la charité ; il rend enfin ce temoignage au Seigneur qu'il y a au fond de sa doctrine une force de persuasion si énergique, que la crainte de la mort elle-même ne le poussera jamais à l'apostasie. De plus, il donne à la vérité de la prédication la sanction d'un fait, par la manifestation publique de la puissance du Dieu vers lequel il aspire à remonter. Admirez comment ce généreux athlète prêche éloquemment l'amour, en s'unissant par la reconnaissance aux vertus célestes, ses sœurs, et surtout en couvrant de confusion les infidèles par le vu;. précieux qu'il répand. Retenu par la crainte salutaire du précepte, il refuse de renier le Christ afln de rendre témoignage à la crainte. Et remarquez-le bien, il ne vend pas sa foi dans l'espérance de la couronne qu'on lui prépare ; c'est uniquement par amour pour Dieu qu'il sortira de cette vie, la joie dans le cœur, des actions de grâce sur les lèvres, et pour celui qui lui a fourni un motif de prendre son vol vers les cieux , et pour celui qui a tramé des machinations contre ses jours. Il les remercie l'un et l'autre de lui avoir offert, ce qu'il n'aurait jamais recherché par lui-même, l'honorable occasion de se manifester tel qu'il est, à son bourreau par l'énergfe de sa patience, à son Dieu par l'ardenr de sa charité. Divine charité ! Par elle le martyr, même avant sa naissance, était déjà présent aux yeux du Seigneur, qui contemplait d'avance son dévouement et son immolation ! Aussi voyez-le plein d'une juste confiance se hâtant d'aller rejoindre le Seigneur qu'il aime, pour lequel il a livré son corps et sa vie, ainsi que le calculaient ses juges de la terre, et grâce à la ressemblance de sa passion avec celle du Christ, salué par lui de ces mots flatteurs : « 0 mon frère bien aimé, » suivant l'expression du pocte. Quant à nous, nous donnons au martyre le nom de Consommation, non pas, parce qu'il termine la vie de l'homme, comme l'entend le vulgaire, mais parce qu'il achève et consomme l'œuvre do la charité. Les anciens Grecs aussi célèbrent par des chants de triomphe le trépas de ceux qui ont succombé sur le champ de bataille. Ce n'est pas qu'ils conseillent par ces hommages une mort violente, c'est que le brave qui meurt à la guerre s'est retiré de la vie sans craindre la mort, brisé dans son corps avant que l'âme pût se troubler et défaillir, comme il arrive ordinairement aux hommes dans les maladies; car ils sortent de la vie lâchement et avec le désir de vivre. Aussi leur âme, au lieu d'être pure quand elle se dégage de sa prison mortelle, emporte avec elle le cortège de ses désirs, comme des stigmates de plomb, à moins que ce ne soient des hommes de courage et de vertu. Toutefois, parmi ceux qui meurent dans les combats, il en est aussi qui menrent avec des désirs, et avec toute la faiblesse qu'ils eussent manifestée, s'ils eussent séché et se fussent éteints dans la maladie. Si le martyre consiste à rendre témoignage à Dieu, toute âme qui règle sa vie, d'après la connaissance de Dieu et obéit fidèlement aux préceptes, est martyre par sa vie et par ses discours. Qu'importé la manière dont elle est délivrée de sa prison terrestre ? Au lieu de sang, elle répand sa foi pendant sa vie entière et à l'instant de sa mort. Le Seigneur ne dit-il pas dans l'Évangile : « Quiconque aura quitté son père ou sa • mère, on ses frères, etc, à cause de mon Évangile et de mon « nom, est heureux? » Ce n'est pas le martyre, dans la simple acception du mot, mais le martyre spirituel, que le Seigneur nous enseigne, le martyre du Gnostique, qui consiste à gouverner sa vie d'après la règle de l'Évangile, par amour pour Dieu. Car ces deux mots, la science de mon nom , l'intelligence de mon Évangile, désignent plus qu'une vaine et stérile appellation; ils indiquent la connaissance réelle, et ce martyre efficace par lequel on abandonne non-seulement la famille terrestre, mais encore tons les biens d'ici-bas, libre de toute passion et de tout désir. Cette mère qu'il faut quitter est, dans un sens allégorique, la patrie et le sol nourricier ; par le mot pères, l'Écriture entend les règlements de la vie civile, an-dfssus desquels la grande âme du juste doit s'élever avec actions de grâces, pour mériter les faveurs de Dieu, et conquérir une place à la droite du sanctuaire, comme ont fait les apôtres. Pois vient Héraclite qui dit : « Les victimes de Mars sont en honneur auprès des dieux et « des hommes ». Platon écrit dans le cinquième livre de sa République : « Parmi les combattants qui meurent à la guerre, celui d'entre « eux qui succombe avec gloire, ne le placerons-nous pas au « premier rang dans la race d'or ? Il est certainement le pré« mier. » La race d'or est la postérité des dieux qui peuplent le ciel, la sphère immobile, et qui ont la plus grande part dans la direction des choses humaines. Mais quelques hérétiques, faute de bien comprendre le 9dgneur, nourrissent une impie et lâche affection pour l'existence , et soutiennent que le véritable martyre n'est autre chose que la connaissance de Dieu. Sur ce point nous sommes d'accord ; mais ils traitent d'assassin et d'homicide de lui-même, le Chrétien qui a confessé Dieu par son trépas. Ils mettent encore en circulation d'autres sophismes de même force que leur a suggérés la lâcheté. Nous les réfuterons lorsque le moment en sera venu ; car ils sont eu dissidence avec nous sur les principes. D'autres, et il en est quelques-uns de ce nombre, mais qui ne sont pas Chrétiens puisqu ils n'ont rien de commun avec nous que le nom, d'autres cherchent la mort à dessein, courent resotament au devant du bourreau, et manifestent, par haine contre le Créateur, les malheureux ! une brutale impatience de mourir. Voilà, nous le proclamons, les homicides d'eux-mêmes: leur trépas n'est pas un martyre, quoique leur supplice soit ordonné par l'État. Ils ne possèdent point le sceau du martyre selon la foi, puisque, ignorants du vrai Dieu, ils se livrent d'euxmêmes aune mort stérile, pareils aux Gymnosophistes indiens qui se précipitent follement dans les flammes. Mais, à ces faux Gnostiques dont l'impiété se déchaine contre le corps, apprenonsleur que l'harmonie et la santé de nos organes contribuent à développer les heureuses dispositions de notre esprit. Voilà pourquoi Platon, dont les hérétiques invoquent à grands cris le témoignage, de préférence à tout autre, parce qu'ils le croient l'ennemi de la génération, écrit dans son troisième livre de la République: « Pour étabir l'harmonie entre le corps et l'âme il « faut prendre soin du corps par lequel doit vivre et vivre hon« nétement le héraut public de la vérité.» C'est qu'en effet nous n'arrivons au sommet de la connaissance que par le chemin de la vie et de là santé. L'homme ne pouvant s'élever à cette hauteur sans posséder ces éléments indispensables, ni exécuter autrement que par eux tout ce qui l'achemine vers la connaissance, comment n'applaudirait-il pas au bien-être? C'est donc par le moyen de la vie que nous nous établissons dans le bien-être de la vie ; et qu'après nous être exercés par le corps à ce bien-être, ne-us passons à l'état d'immortalité. CHAPITRE V. Du mépris de la douleur, de la pauvreté, et des autres maux qui concernent le corps. Les Stoïciens professent aussi des maximes étranges. A les entendre, l'âme n'est assujettie en rien aux affections corporelles ; les maladies ne la disposent pas plus au vice, que la santé à la vertu ; ces deux états sont indifférents. Mais Job, par l'éclat de sa foi et sa fermeté d'âme, précipité de la richesse dans I "indigence, de l'illustration dans l'Obscurité, de la beauté dan* la difformité, de la santé dans la maladie, nous est proposé comme un excellent modèle, quand il confond le tentateur, bénit son créateur, supporte l'abaissement comme il avait supporté la gloire ; preuve admirable que le gnostique, au milieu de toutes les vicissitudes humaines, est capable de vertu. L'apôtre nous fait voir que les beaux exemples des anciens justes, sont placés devant nos yeux, comme des images qui nous excitent à réformer notre vie. « En sorte, dit-il, que mes chaines « sont devenues célèbres à la cour de l'empereur, et partout « ailleurs pour la gloire de Jésus-Christ; et que plusieurs de n nos frères, encouragés par mes liens, sont devenus plus bar« dis à annoncer la parole de Dieu, sans aucune crainte. *< L'apôtre avait raison. Les martyrs sont aussi des modèles de conversion, glorieusement sanctifiés. « Tout ce que dit l'Écri« turc a été écrit pour notre instruction, afin que, par lapa« tieuce et la consolation dont les Écritures nous offrent des « exemples, nous concevions l'espérance d'être consolés. » L'âme, toutefois, quand la douleur s'avance, parait reculer devant elle et attacher un grand prix à être délivrée des angoisses présentes. Il est constant que, durant cette crise, le désir d'apprendre sommeille, et que les autres vertus sont négligées. Nous ne voulons pas dire que la vertu elle-même souffre, la vertu ne peut être malade. Mais l'homme que se disputent la vertu et la maladie est aux prises avec une douleur poignante. S'il n'a point encore acquis la fermeté d'âme qui sait se contenir, et ce haut courage qui domine l'adversité, il est chassé de son poste. N'avoir point su résister au choc, c'est avoir déserté son drapeau. Il en est de même de la pauvreté. Elle arrache l'âme à sa vie nécessaire, je veux dire, à la contemplation, et au virginal éloiguement de tout péché, pour contraindre l'homme qui n'a pas consacré par l'amour toute sa personne au service de Dieu, de gagner par le travail de quoi alimenter le corps. La bonne santé, au contraire, et l'abondance des choses nécessaires au soutien de la vie matérielle, maintiennent libre et indépendante, l'âme qui sait user sagement des biens terrestres. « Ces person* nes-là, dit l'apôtre, souffriront dans leur chair des afflic« tions et des peines. Je voudrais vous les épargner ; car je « veux que vous soyez libres de toute inquiétude, pour vous « porter à ce qui est le plus saint, et qui vous donne un moyen « plus facile de prier le Seigneur sans obstacle. » Il faut donc s'occuper de ces besoins matériels, non par rapport à eux-mêmes, mais dans l'intérêt du corps. Et si l'on prend soin du corps, c'est à cause de l'âme, pour laquelle tout s'exécute. Tel est le motif qui oblige le zélateur de la vie gnostique à s'instruire de ce qui convient. Car, de ce qu'il existe des plaisirs illicites, la conclusion naturelle est que le plaisir n'est pas un bien ; sans quoi le bien pourrait paraitre un mal, et le mal un bien. De plus, s'il est des plaisirs que nous recherchons et des plaisirs que nous évitons, toute sorte de plaisir n'est donc pas un bien. Ce que je dis des plaisirs, je le dirai des douleurs ; nous supportons les unes, nous fuyons les autres. Qui nous éclaire dans le discernement et le choix ? La science. Par conséquent , le bien véritable ne sera pas le plaisir, mais la science, dans l'intérêt de laquelle nous choisissons certains plaisirs. C'est ainsi que le martyre court, par la douleur présente, à nne sainte volupté qu'embrasse son espérance. S'il y a douleur dans la soif; s'il y a plaisir à étancher sa soif, la souffrance antérieure est la cause de cette jouissance ; mais le mal ne peut jamais être la cause d'un bien ; donc, ni cette douleur, ni cette volupté ne sont un mal. Ainsi pensaient Simonide et Aristote. Ils ont écrit l'un et l'autre que le premier bien de l'homme est la santé; le second, la symétrie et la beauté du corps; le troisième, une fortune acquise par des voies légitimes. Et Théognis de Mégare : « Pour échapper à la pauvreté, Cyrnus, précipite-toi dans « la mer riche en poissons : précipite-toi du haut des roches « aériennes. » Au contraire, d'après Antiphane le comique. « Plutus frappe de cécité ceux qui lui arrivent plus clair« voyants que les autres. » Les poètes s'accordent à reconnaitre que ce Dieu est aveugle de naissance. « Et elle lui donna un li 1s qui n'a jamais vu la hnnière du « soleil, » dit Euphorion de Chalcis. « La richesse et la vie sensuelle qui l'accompagne sont une * mauvaise école pour former les hommes à la vigueur de l'a1« me, » dit Euripide, dans Alexandre. On connait cet adage : « La pauvreté a hérité de la sagesse par droit de parenté. • Mais l'amour des richesses ne subjuguera pas seulement la rigide Lacédémone, il asservira toute autre cité. C'est que la véritable monnaie des mortels n'est pas l'or ou l'argent ; audessus d'eux, il y a la vertu, dit Sophocle. CHAPITRE VI. De quelques sources de beatitudes. Notre divin Sauveur a classé parmi les choses qui appartiennent à la fois à l'esprit et au corps, la pauvreté, la richesse, et tout ce qui rentre dans cette catégorie, en disant: « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice! » Il nous enseigne clairement que le martyr est de toutes les conditions. Le martyr a-t-il été réduit à l'indigence à cause de la justice? Il rend témoignage que la justice à laquelle il s'est dévoué, est un bien. A-t-il faim; a-t-41 soif pour ia justice? 11 rend témoignage que la justice est le premier des biens. Est-il dans les pleurs et dans les gémissements pour la justice? Nouveau témoignage de l'excellence et de la beauté de la loi. De même donc que le Seigneur dit : « Bienheureux ceux qui « souffrent persécution; » de même, il dit : « Bienheureux « aussi ceux qui ont faim ou soif pour la justice ; » approuvant de la sorte un désir légitime que la faim elle-même n'a pu étouffer ! « Heureux encore ceux qui ont soif de la justice elle« même! Heureux aussi les pauvres, soit à'esprit, soit de « biens, » s'ils sont pauvres, bien entendu par amour delà justiee. Ce n'est donc pas la pauvreté en elle-même que le Seigneur bénit, mais celle qui, par amour de la justice, a foalé aux pieds les richesses du monde pour conquérir le trésor véritable. De même eneore, il dit : « Heureux « ceux qui, par chasteté, se sont gardés purs de corps et d'es • prit ! Heureuses les âmes nobles et illustres qui, par une pra • tique constante de la justice, ont été élevées au privilège de « l'adoption, et qui, conséquemment, ont reçu le pouvoir de « devenir enfants de Dieu, avec la puissance de marcher sur « les serpents, sur les scorpions, et de subjuguer les démons et « les forces de l'adversaire! » Pour le dire en un mot, c'est en s'exerçant aux combats du Seigneur que l'âme arrive à se détacher avec jcie du corps, puisqu'eu effet elle s'arrache à ses liens pour se transporter ailleurs. « Celui qui aime son âme, la • perdra; et celui qui l'a perdue la trouvera; » pourvu toutefois que nous étayions notre fragilité sur l'incorruptibilité de Dieu. Or, la volonté de Dieu est que nous le connaissions : par là, nous participerons à son incorruptibilité. Celui donc, qui reconnait les souillures de son âme au flambeau de la pénitence, perd ccife dîne pécheresse qu'il arrache au péché, pour lequel il vivait; mais, après l'avoir perdue, il la trouve" impose, il faut les supporter, avec résignation et en sortir « courageusement. Rien de ce qui est nécessaire n'est intolérable « aux mortels. » Mais ceux qui tendent vers la perfection ont pour but la vérité, (la Gnose ) qui s'appuie sur cette trinité sainte, la Foi , l'Espérance, la Charité; « la dernière est la « plus excellente des trois. » Oui, certes, dit l'apôtre, tout est « permis, mais tout n'est pas expédient. Tout est permis, mais « tout n'édifie pas. » Et ailleurs : « Que personne ne cherche « seulement sa propre satisfaction, mais encore le bien des an« tres, afin que l'on puisse en même temps faire et enseigner, « édifiant et bâtissant sur ce qu'on édifie. » Que la terre et tout ce qu'elle contient soit au Seigneur, c'est un point indubitable et hors de toute controverse; mais on ne doit point scandaliser la conscience de celui qui est faible. « Quand je dis la « conscience, je ne parle point de la vôtre, mais de celle d'au* trui; car pourquoi m'exposerais-je à faire condamner par la « conscience d'un autre, cette liberté que j'ai de manger de « tout ! si je prends avec action de grâces ce que je mange, « pourquoi ferais-je mal parler de moi pour une chose dont je « rends grâce à Dieu ? Soit donc que vous mangiez ou que vous « buviez, quelque chose que vous fassiez, faites-le toujours pour « la gloire de Dieu. En effet, quoique nous marchions dans la « chair, les armes avec lesquelles nous combattons ne sont point « charnelles, mais puissantes en Dieu pour détruire les forte« resses ennemies et renverser les raisonnements humains et « tout ce qui s'élève avec orgueil contre la science du Seigneur.» Couvert de ces armes, le véritableGnostique s'écrie : Seigneur, fournissez moi l'occasion de combattre, et recevez cette manifestation que je vous dois. Qu'il vienne cet ennemi redoutable. Fort de mon amour pour vous, je méprise tous ses assauts. « Carde toutes les choses humaines, la vertu est la seule qui « ne reçoive pas du dehors son salaire : elle est à elle-même sa « plus noble récompense. » « Revêtez vous donc, comme élus de Dieu, saints et bien« aimés, d'entrailles de miséricorde, de bonté, d'humilité, de « modestie, de patience; mais surtout ayez la charité, qui est « le lien de la perfection. Faites régner dans vos cœurs la paix de « Jésus-Christ, à la quelle vous avez été appelés, pour ne faire « qu'un corps, et soyez reconnaissants, » vous qui, retenus encore dans la chair, vous reposez déjà, comme les anciens justes, dans la tranquillité de l'âme et le calme des passions. CHAPITRE Vin. Dans l'Eglise, les hommes, les femmes, les esclaves, tous sont candidats du martyre. Les JEsopiens, les Macédoniens et les Spartiates n'étaient pas les seuls qui supportassent avec courage les tortures, comme nous le dit Eratosthène dans son livre Des biens et des maux. En effet, Zénon d'Élée, qu'on avait appliqué à la question pour lui arracher un secret, résista au supplice sans rien déclarer. Il y a mieux ; sur le point d'expirer, il se coupa la langue de ses dents, et la cracha au visage du tyran, Néarque selon les uns, Démyle selon les autres. Théodote le pythagoricien , et Paul, disciple de Lacyde, en firent autant, ainsi qu'on le voit dans l'ouvrage de Timothée de Pergame, intitulé : Courage des Philosophes, et aussi dans les Éthiques d'Achaïque. Citons encore le romain Posthumius. Prisonnier de Peucétion, non-seulement il garda dans les tortures le secret qui lui avait été confié, mais plongeant sa main dans le feu comme s'il l'eût étendue sur un vase, il resta impassible et dans la même attitude. Je ne veux pas rappeler l'héroïque exclamation d'Anaxarque sous les pilons de fer d'un tyran : « Broie le sac d'Anaxar« que, disait-il ; pour Anaxarque, tu ne le broieras pas. » Ainsi donc l'espérance de la béatitude, et l'amour que nous avons pour Dieu, demeurent libres et sans plaintes comme sans murmures au milieu des vicissitudes de la vie. Que l'espérance et . l'amour tombent au milieu des animaux les plus féroces, qu'ils soient consumés par la flamme dévorante, qu'ils soient aux prises avec les instruments de mort des bourreaux, attachés à Dieu par des liens indissolubles, ils s'élèvent sans avoir jamais connu la servitude vers les demeures du ciel, abandonnant aux hommes la dépouille du corps, la seule chose sur laquelle ceux-ci aient quelque pouvoir. Une nation barbare qui n'est pas étrangère à la philosophie, élit chaque année, dit-on, un des siens pour l'envoyer en députation auprès du demi-dieu Zamolxis, autrefois disciple et ami de Pythagore. Celui qui a été jugé le plus digne est immolé, tandisqne ceux qui ont brigué le même honneur, mais sans l'obtenir, s'affligent d'avoir été rejetés d'un sacrifice que couronne la béatitude. L'église entière est pleine de fidèles, soit hommes courageux, soit chastes femmes, qui, pendant tout le cours de leur vie, ont médité sur la mort par laquelle nous revivons en JésusChrist. Quiconque règle sa conduite sur nos croyances et nos mœurs, qu'il soit barbare, grec, esclave, vieillard, enfant ou femme, peut connaitre la véritable philosophie, même sans le secours de l'étude et des lettres ; car la sagesse est le partage de tous les hommes qmi l'ont embrassée. Un point avoué parmi nous, c'est que la nature, la même dans chaque individu, est capable des mêmes vertus. Assurément H ne parait pas que la femme, en ce qui touche l'humanité, ait une nature, et que l'homme en ait une autre. Il y a évidemment dans tous communauté de nature, et par conséquent communauté de vertu. Que si la tempérance, la justice , et les autres vertus qui en dérivent , sont exclusivement les vertus de l'homme, dès lors il n'appartient qu'à l'homme seul d'être vertueux; voilà la femme condamnée nécessairement à l'injustice et à l'intempérance. Mais cela est honteux, même à dire. La tempérance, la justice, et généralement les autres vertus, réclament les efforts communs de la femme aussi bien que de l'homme, de l'esclave ou du citoyen, puisqu'il n'y a, le fait est avéré, qu'une seule et même vertu pour une seule et même nature. Nous ne voulons pas dire toutefois que la femme, en tant que femme, ait la même organisation que l'homme. La Providence a établi, pour l'avantage mutuel des deux sexes, une certaine différence, en vertu de laquelle l'un est la femme, et l'autre l'homme. Nous disons donc que la conception et l'enfantement appartiennent à la femme, eu tant que femelle, mais non en tant que membre de la famille humaine. Si aucune différence ne séparait l'homme de la femme, l'un et l'autre agiraient de même, seraient affectés de même. Égale de l'homme sous le rapport de l'âme, la femme peut donc s'élever à la même vertu ; mais considérée dans sa structure particulière, son lot est de concevoir, d'enfanter , et de surveiller l'intérieur de la maison. « Car je veux, « dit lapôtre, que vous sachiez que Jésus-Christ est le chef de « tout homme, et que l'homme est le chef de la femme. « L'homme n'a point été tiré de la femme, mais la femme a « été tirée de l'homme. Toutefois, ni la femme n'est point « sans l'homme, ni l'homme n'est point sans la femme, en « notre Seigneur. » Ainsi, de même que nous disons à l'homme : sois tempérant, triomphe des plaisirs ; de même nous disons à la femme de pratiquer la tempérance, et de s'exercer à lutter contre les plaisirs. Que nous conseille l'apôtre ? « Or je vous « dis : Conduisez-vous selon l'esprit, et vous n'accomplirez « point les désirs de la chair, car la chair s'élève contre l'es« prit et l'esprit contre la chair. » « L'esprit et la chair sont donc opposés l'an à l'autre, non pas de la même manière que le mal est opposé au bien, mais comme des antagonistes qui se combattent utilement. L'apôtre ajoute : « De sorte que vous < ne faites pas les choses que vous voudriez. Or il est aisé de • connaître les œuvres de la chair, qui sont la fornication, l'iin. « pureté, la luxure, l'idolâtrie, les empoisonnements, les inimi« tiés, les discussions, les jalousies,les animosités, les querelles, « les divisions, les hérésies, les en\ies, les ivrogneries, les dé • hanches, et autres crimes semblables. Je vous l'ai déjà dit, et « je vous le répète encore, ceux qui les commettent, ne possè•• deront point le royaume de Dieu. Mais les fruits de l'esprit « sont la charité, la joie, la paix , la patience, l'humanité, la • continence, la bonté, la foi et la douceur» Ce mot, chair, désigne les pécheurs, sans doute, de même que le mot esprit, designe les justes. De plus, il faut nous armer de courage, pour nous établir dans la résignation et la patience, afin que si « quelqu'un nous frappe sur une joue , nous présentions l'au« tre, et que si quelqu'un nous enlève notre manteau, nous • lui abandonnions aussi notre tunique, » réprimant ainsi notre colère par la fermeté de l'âme. Nous n'exerçons pas les femmes aux vertus guerrières, pour ni faire d'autres amazones, puisque nous voulons que les hommes euvmémes soient pacifiques. On nous dit cependant que les femmes sarmates vont à la guerre comme les hommes ,' que les femmes des Saces paraissent sur le champ de bataille, lançant des flèches derrière elles, dans une fuite simulée, et à côté de leurs époux. Je sais encore que les femmes voisines de l'lbérie, partagent les travaux et les fatigues de l'homme qu'elles n'interrompent même pas pendant leur grossesse, ou sur le point d'enfanter. Souvent même, au plus fort du travail, la femme accouche, relève son enfant et le porte chez elle. Les femmes surveillent la maison comme les hommes, chassent comme eux, mènent paître les troupeaux comme « La Crétoise quoique enceinte, s'élançait rapidement sur « les pas d'un cerf.» La véritable philosophie est donc un devoir pour les femmes comme pour les hommes, bien que les hommes par leur supériorité occupent partout le premier rang, à moins qu'ils ne s'énervent dans la molesse. La discipline et la vertu sont donc nécessaires à l'espèce humaine, s'il est vrai qu'elles tendent au bonheur. Dès lors, comment ne point blâmer Euripide de ses emportements sur ce point? Écoutez.le ! ici, «Toute femme « est plus méchante que son mari, celui-ci eût-il épousé la pins « vertueuse des femmes; là, toute femme sage et prudente est « l'esclave du mari; celle qui n'est ni sage ni prudente, Um. « porte en folie sur son époux.» « Rien de meilleur, ni de plus désirable que le bonheur de « deux époux, unis dans les mêmes sentiments et rassemblés « sous le même toit.» Toutefois la tête est ce qui a le commandement : « Si le Sa« gneur est la tête, le chef de l'homme, et l'homme le chef de « la femme,» l'homme est le maître de la femme, comme étant - l'image et la gloire de Dieu.» C'est pourquoi l'apôtre dit aussi dans sou épître aux Éphésiens : « Soumettez-vous les uns aux « autres dans la crainte de Dieu : que les femmes soient [sou * mises à leurs maris, comme au Seigneur, parce que le mari « est le chef de la femme, comme Jésus-Christ est le chef de « l'Église, qui est son corps, et dont il est aussi le Sauveur. « Comme l'Église est donc soumise à Jésus-Christ, de même « aussi les femmes doivent être soumises en tout à leurs maris. « Et vous, maris, aimez vos femmes, comme Jésus-Christ a « aimé l'Eglise. C'est ainsi que les maris doivent aimer leurs « femmes comme leur propre corps. Celui qui aime sa femme « s'aime soi-même ; car, jamais personne n'a haï sa propre « chair.» L'apôtre dit encore pareillement dans son épitre aux Colossiens : « Femmes, soyez soumises à vos maris, comme il « le faut, en ce qui est selon le Seigneur ; maris, aimez vos « femmes et ne leur soyez point amers. Enfants, obéissez en « tout à vos pères et à vos mères; car cette soumission est « agréable au Seigneur. Pères, n'iritez point vos enfants de « peur qu'ils ne tombent dans l'abattement. Serviteurs, obéis« sez à tous ceux qui sont vos maitres suivant la chair, ne « les servant pas seulement lorsqu'ils ont l'œil sur vous, « comme si vous ne pensiez qu'à plaire aux hommes, mais « avec simplicité de cœur et crainte du Seigneur. Faites de bon « cœur tout ce que vous ferez, comme le faisant pour le Sei« gneur et non pour les hommes, sachant que vous recevrez « du Seigneur le salaire de l'héritage : vous servez le Seigneur « Jésus-Christ. Car, celui qui agit injustement recevra la peine « de son injustice, et Dieu ne fait point acception des per« sonnes. Maitres, rendez à vos serviteurs ce que l'équité et la « justice demandent de vous, à la pensée que vous avez aussi « bien qu'eux un maitre dans les cieux, où il n'y a ni gentil, < ni juif, ni circoncis, ni incircoucis, ni barbare, ni scythe, • ni esclave, ni homme libre, mais où Jésus-Christ est tout en « tous; or l'Église de la terre est l'image de l'Église du ciel.» Voilà pourquoi nous demandons dans nos prières « que la vo« lonté de Dieu soit faite aussi sur la terre comme dans le ciel. Revêtons-nous donc d'entrailles de miséricorde, de bonté, « d'humilité, de modestie, de patience, nous supportant mu • tuellement, nous pardonnant les uns les autres les sujets de « plainte que nous pouvons avoir ; comme le Seigneur nous a « pardonné, pardonnons-nous aussi de même. Mais la charité « est au-dessus de tout cela; elle est le lien de la perfection. < Faites régner dans vos cœur la paix de Jésus-Christ, à la« quelle vous avez été appelés pour ne faire qu'un corps, et « soyez reconnaissants.» Rien n'empêche, en effet, que nous ne répétions souvent le même texte sacré, pour confondre Marcion, si toutefois il est capable de se repentir, et de se convaincre que tout fidèle doit être reconnaissant envers le Créateur qui nous a appelés, et nous a prêché l'Évangile par l'incarnation du Verbe. Par là donc nous est clairement démontrée l'unité qui nait de la foi, et de plus quel est le caractère de la perfection. Aussi, eu dépit de quelques docteurs, et malgré leur opiniâtre résistance, la femme et l'esclave, eussentils à redouter des supplices de la part d'un époux ou d'un maître, pratiqueront la véritable philosophie.il y a mieux :que l'homme libre soit menacé de la mort par un tyran, qu'il soit traduit devant les tribunaux, et traîné aux derniers supplices, qu'il y ait danger pour lui de tout perdre, jamais on ne le détachera, n'importe les moyens, de l'adoration du vrai Dieu; jamais la femme, demeurât-elle avec un mari pervers; jamais le fils, eût-il un père dépravé; jamais l'esclave, appartînt-il à un maître cruel ; ne manqueront de courage pour suivre la vertu. S'il est beau et glorieux à l'homme de mourir pour la vertu, pour la liberté, pour lui.même, le même acte est beau et glorieux pour la femme. Ce n'est pas là un privilège accordé à la nature masculine; c'est le droit de tout ce qui est bon. Tout vieillard donc, tout jeune homme, toute femme, tout esclave qui obéit aux préceptes, vivra dans la foi, et au besoin mourra pour la foi, je me trompe, se vivifiera par sa mort. JNous savons que plus d'un fils, plus d'une femme, plus d'un esclave, est arrivé au dernier degré de la perfection, malgré un père et une mère, malgré un époux, malgré un maître. Vous tous qui êtes décidés à vivre pieusement, il ne faut pas que votre zèle s'éteigne ou se ralentisse à l'aspect des obstacles. Loin de là; redoublez d'ardeur et luttez avec courage de peur que votre défaite ne vous enlève à vos résolutions , les meilleures et les plus indispensables. Que l'on puisse un instant mettre en question lequel il vaut mieux d'entrer en partage du Tout-puissant, ou de choisir les ténèbres du démon, je ne le pense pas. Les choses que nous faisons en considération des autres, nous les faisons toujours, les yeux fixés sur l'intérêt de ceux en faveur de qui nous travaillons, et n'ayant d'autre règle que de leur être agréables. Mais dans les choses que nous faisons plûtot pour nous que dans un intérêt étranger, nous y apportons un zèle qui ne se dément pas, qu'elles aient ou qu'elles n'aient pas l'approbation d'autrui. Que si quelques biens, dont la possession est indifférente en soi, paraissent cependant mériter qu'on en poursuive l'acquisition malgré les résistances et les difficultés, à plus forte raison faudra-t-il rendre des combats pour la vertu, sans autre considération que celle du beau et du juste, sans nous inquiéter de ce qui se dit autour de nous. Elles sont donc belles les paroles qu'Epicure adressait à Ménœcée quand il lui écrivait : « Jeune, livrez-vous • sans retard à la philosophie ; vieillard, ne vous lassez pas • de la philosophie; car il n'est jamais ni trop tôt, ni trop tard « pour acquérir la santé de l'âme. Dire que le temps de la phi" losophie n'est pas encore venu pour soi, ou bien qu'il est • passé, c'est dire à peu près que le temps de la félicité n'est • pas encore venu ou qu'il est déjà passé. La philosophie est « donc nécessaire à la jeunesse comme à la vieillesse; à celle« ci, pour qu'en vieillissant, elle rajeunisse par les vertus, grâce « au mérite de ses actions passées ; a la jeunesse, afin qu'elle • soit a la fois jeune et vieille par le calme et la sécurité de « l'avenir. » CHAPITRE IX. L'auteur rassemble et explique ce que le Christ a dit sur les avant.iyos du martyre. Le Seigneur a dit formellement du martyre, (nous allons réunir ici les divers passages semés ça et là, qui ont trait à cette matière) ; le Seigneur a dit formellement : « Or, je vous le dé« clare, quiconque me confessera devant les hommes,le Fils de « l'homme le confessera devant les anges de Dieu. Mais celui • qui me renoncera devant les hommes, je le renierai lui« même devant les anges ; car celui qui rougit de moi et de mes « paroles, au milieu de cette race adultère et pécheresse, le • Fils de l'homme rougira aussi de lui, lorsqu'il viendra ac • compagné de ses anges, dans la gloire de son Père. Qnicon« que donc m'avouera devant les hommes, moi aussi je J'a« vouerai devant mon père, qui est dans les cieux. — Quand « on vous conduira dans les synagogues ou devant les magis« trats, ne vous inquiétez pas comment vous répondrez, ni de • ce que vous direz; car le Saint-Esprit vous enseignera au « même instant ce qu'il faudra dire. » Héracliou, le disciple le plus renommé de Valentia, voulant expliquer ce passage, dit que l'on confesse le Seigneur de deux manières ; l'une par la foi et les actes, l'autre par la parole. Le témoignage que l'on rend au Seigneur par la parole , ert surtout celui que l'on rend devant les puissances de la terre. « Pln« sieurs, poursuit-il, pensent que c'est là l'unique témoignage. * lls se trompent grossièrement. Les hypocrites aussi peuvent « confesser le Seigneur de cette manière; mais nulle port on ne « trouvera la preuve que ce texte comporte un sens si rigou« reux. Les élus n'ont pas tous confessé le Seigneur par lapa•• role et ne sont pas tous morts pour son nom. De ce nombre « sont Mathieu, Philippe, Thomas, Lévi, et beaucoup d'an« tres. Le témoiguage public et solennel, loin d'être impose a « tous, est une faveur spéciale et de circonstance. Mais le té« moignage que l'on rend au Christ par des œuvres et des ac« tes conformes à la foi que nous avons en lui, voilà le témoi« gnage général, universel ; à ce témoignage universel, vient « s'adjoiudre le témoignage particulier, celui que l'on rend en « face des puissances, quand ll le faut, et que la raison le de« mande. Coûtera-t-il beaucoup au fidèle de confesser, par la <• sincérité de la parole, celui qu'il confessait déjà par la sin« cérité de l'affection ? Remarquons-le bien, c'est avec une « haute sagesse que le Seigneur a dit de ceux qui lui rendent « témoignage : « Ceux qui me confessent, » et de ceux qui « apoistasient ; « Ceux qui ma renoncent i » car ces derniers * auraient beau le confesser de bouche, ils le renoncent en « effet, dès qu'ils ne le confessent pas par leurs actes. Ceux-la « seuls confessent son nom , qui vivent dans le témoignage et « dans les actes qu'il approuve, en(sorte que c'est lui-même qui « confesse dans leur personne , parce qu'il habite en eux et « qu'ils habitent en lui. Voilà pourquoi il ne peut jamais se re * noucer lui-même. Ceux qui le renoncent, ce sont ceux qui « n'habitent pas eu lui. Examinez bien ses paroles, il n'a pas dit : « Celui qui renoncera en moi, mais celui qui me renoncera, « puisque tout homme qui est en lui ne le renonce jamai*. « Quant à ces mots i devant les hommes, il faut les entendre « et des hommes qui cherchent le salut, et des païens qui nous « poursuivent. Témoignage de conduite devant ceux-là ; té• moignage de conduite et de parole devant ceux-ci. Voilà « pourquoi ils ne peuvent jamais renoncer le Seigneur. Ceux « qui le renoncent, ce sont ceux qui n'habitent pas en lui. » Ainsi parle Héraclion; et dans le reste du passage, il semble s'accorder avec nous. Mais il a oublié un côté de la question. Il ne songe pas que si, sans avoir jamais confessé le Christ devant les hommes, soit par ses actions, soit par ses paroles, il arrive néanmoins qu'on le confesse par la parole devant les juges, sans faillir au milieu des tortures jusqu'à la dernière heure, on atteste par là que l'on croit en lui du fond du cœur. Cette disposition généreuse, que la mort n'a pu altérer, efface jusque dans leurs principes, tous les vices que tes désirs charnels engendraient en nons. C'est comme une pénitence en action, qui se grossit soudain dans les derniers moments, et nu éclatant témoignage rendu au Seigneur par la bouche qui le confesse. Mais si l'esprit du Père rend témoignage en nous, comment, an dire d'Héraclion, seraient-ils encore des hypocrites, ceux qui confessent le Seigneur par la parole seulement? A quelquesuns, s'il le faut, il sera donné de justifier la foi par leurs, discours, afin que leur martyre et leur témoignage soient utiles à la communauté. Les membres de l'Eglise sont fortifiés par leur courage. Ceux des Gentils qui ont cherché la voie du salut avec un zèle ardent, admirent et sont attirés à la foi; tout le reste demeure frappé d'étonnement et d'admiration. Confesser le Seigneur est donc un devoir absolu, puisqu'il est en notre pouvoir de l'accomplir : faire l'apologie de la religion et la défendre par ses paroles, n'est pas un devoir absolu, puisqu'il n'est pas toujours en notre pouvoir de l'accomplir. « Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. » Est-il un homme d'un jugement sain, qui ne préfère à l'esclavage du démon la royauté en Dieu ? Assurément il en est « qui font pro« fessionde connaitre Dieu, dit l'apôtre; mais ils le renoncent « par leurs actions, étant abominables et incapables de toute « bonne oeuvre. " Ceux qui :;c bornent à ce témoignage, auront iiu moins, à lexpiration île leur \ie, une bonne œuvre a présenterai! Seigneur. Le martyre est donc un baptême glorieux qui lave tous les péchés. On lit dans le Pasteur : « Vous échap« perez à celle bote féroce, si votre cœur est pur et sans tache.» Que dit le Seigneur lui-même ? « Satan a désiré te passer au « crible, et moi j'ai prié pour toi. » Le Seigneur seul a bu le calice, pour purifier et les bommes qui lui dressaient des pièges , et ceux qui ne le connaissaient pas encore. A son exemple, les apôtres, en leur qualité de gnostiques et de parfaits véritables , ont souffert pour les églises qu'ils ont fondées. Il suit de làque les guostiques, fidèles imitateurs des apôtres, doivent se préserver de tout péché et aimer le prochain par amour pour Dieu, afin que si le danger les appelle, ils supportent sans scandale les épreuves qui les affligeront, et qu'ils boivent le calice du Seiyneur pour son église. Il est donc vrai, tous ceux qui par leurs actions pendant leur vie, tous ceux qui par leurs discours devant les juges, confessent le nom du Christ, qu'ils cedent aux mouvements de l'espérance ou de la crainte, valent mieux que ceux qui confessent le salut des lèvres seulement ; mais que le Chrétien s'élève jusqu'à la charité, martyr bienheureux, martyr consommé, il a rendu par le Seigneur un témoignage parfait aux commandements et à l'auteur des commandements. Il a prouvé qu'il est le frère de Notre-Seigneur en le chérissant, en se livrant lui-même pour Dieu sans réserve, en restituant avec amour et reconnaissance le dépôt à la garde duquel il était préposé, en rendant à Dieu l'homme que Dieu redemandait. CHAPITRE X. L'auteur reprend arec sévérité! ceux qui se livraient d'eux-nirme? aux persécuteurs. « Qotmd on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une • autre. » Le Seigneur ne nous conseille pas ici la fuite, parce que endurer la persécution serait un mal ; il ne veut pas non plus, qu'en fuyant, nous cédions à la crainte de la mort. Quel est donc son dessein ? Que nous ne soyons pour personne les auteurs ni les complices d'un mal, ni pour nous-mêmes, ni pour le persécuteur, ni pour le bourreau. Car il somme, pour ainsi dire, chacun de nous de veiller à sa conservation. Désobéir, c'est agir en téméraire, et se jeter imprudemment au milieu dn péril. Si celui qui met à mort la créature de Dieu pèche envers Dieu, celui qui se livre volontairement aux juges est complice dn meurtre. Tel est l'homme qui, au lieu d'éviter la persécution, court audacieusement au-devant de la persécution. Tel est l'homme qui seconde, autant qu'il est en lui, la méchanceté du persécuteur. A-t-il appelé sur lui son courroux ? il en est responsable; il a provoqué la bête féroce. J'en dis autant, s'il fournit quelque matière à un combat, à un dommage, à un procès, ou bien à des inimitiés : il déchaine la persécution. C'est dans ce but qu'il nous a été prescrit de ne rien retenir par de vers nous des choses de ce monde, mais « d'abandonner notre « tunique à celui qui nous enlève notre manteau. » Le Seigneur * n'a pas seulement voulu que nous demeurassions libres de tout * attachement immodéré; il a craint qu'en revendiquant ces biens terrestres, nous n'exaspérassions contre nous ceux qui nous en disputent la possession, et que nos résistances ne les excitassent à blasphémer le nom chrétien. CHAPITRE XL Réponse à cette objection : Dieu prend soin de vous ; pourquoi êtes-vous dans la souffrance? « Si Dieu prend soin de vous, pourquoi la persécution et la « mort vous frappent-elles? Ou bien est-ce lui qui vous livre à « ces tribulations, s'écrient nos adversaires? — Nous ne pensons pas que la volonté du Seigneur soit que nous tombions jlans l'adversité. Mais nous nous souvenons qu'il nous a prédit que dans les temps à venir, nous serions persécutés, mis à mort et attachés à la croix pour son nom. Que nous fussions persécutés, telle n'a pas été sa volonté ; mais il nous a signalé d'avance les tribulations auxquelles nous serions exposés, afin de nous exercer, par la révélation anticipée de nos épreuves, à la patience et à la résignation auxquelles il a promis l'héritage. Encore est-il que nous ne sommes pas les seuls à mourir : des milliers de condamnés périssent à côté de nous. — Fort bien, poursuit-on; mais ces condamnés sont des malfaiteurs, ils sont punis justement. — Ainsi donc, nos adversaires rendent un involontaire témoignage à notre justice. On nous immole injustement à la justice ! Mais la violence du juge ne renverse pas la providence de Dieu. Il faut que le juge soit maitre de sa sentence. Convient-il que, pareil à un instrument dont on presse les cordes inanimées, il obéisse à une cause étrangère, et reçoive d'ailleurs ses impressions? Voilà pourquoi celui qui nous juge, est interrogé a, son tour sur ses jugements, sur l'usage de sa liberté et sur la fermeté d'âme qu'il a opposée aux menaces. Noih sommes innocents, et le juge nous poursuit comme des violateurs de la loi et des criminels, parce qu'il ne connait pas nos actions, parce qu'il ne veut pas les connaitre. Loin de là; il se laisse entrainer à d'aveugles préventions, ce qui fait qu'il tombe lui-même sous le jugement de Dieu. On nous persécute donc, non pas que l'on nous ait convaincus de quelque crime, mais sur la vaine opinion que nous sommes nuisibles au monde, par cela seul que nous sommes Chrétiens. On nous persécute encore, parce que, non contents d'être Chrétiens pour nous-mêmes, notre conduite est une prédication qui engage les autres à nous imiter. — Mais pourquoi ne vous vient-il aucun secours dans le feu des persécutions, s'écrient encore nos adversaires? — Nous n'éprouvons aucun dommage, au moins en ce qui nous touche personnellement. Délivrés par la mort, nous prenons notre vol vers le Seigneur, et cette transformation ne nous affecte pas plus que le passage d'une période de la vie à une antre période. Avec un peu de sagesse, nous devons de la reconnaissance à ceux qui nous fournissent l'occasion d'un prompt départ, pourvu que ce soit l'amour de Dieu qui soutienne notre martyfe. Si telles n'étaient pas nos dispositions , la multitude ne verrait en nous que des scélérnts. Que si elle connaissait elle-même la vérité, tous les hommes se jetteraient dans les voies du Christianisme, et dès lors il n'y aurait plus d'élection. Mais non ; notre foi « étant la lumière du « monde, » atteste l'incrédulité de la foule. « En effet, ni Any« ras, ni Mélitus ne me feront aucun mal; ils ne le peuvent, « car je ne crois pas qu'il soit au pouvoir du méchant de nuire « à l'homme de bien *. » C'est pourquoi chacun de nous peut s'écrier avec confiance : « Le Seigneur est avec moi ; je ne « craindrai pas. Que peut l'homme contre moi ? Les âmes des « justes sont dans la main de Dieu , et le supplice ne les at • teint pas. » CHAPITRE XII. Réfutation de Bnsilule qui regarde le martyre comme une sorte de supplice me'rité par les prévarications précédentes. Basilide , dans le vingt-troisième chapitre de ses Exegétiques, avance la proposition suivante, à l'occasion de ceux qui subissent le martyre. « Je le déclare , tous ceux qui sont en butte • à ce que je nomme les afflictions, sans doute pour avoir failli à « leur insu dans d'autres épreuves, sont amenés à ce bien par une « bonté providentielle. Elle permet qu'ils soient traduits devant • les tribunaux , pour des motifs tout différents, afin qu'ils ne « soient pas , comme des condamnés ordinaires , livrés au sup« plice pour des délits incontestables , ni chargés d'opprobres, «"comme l'adultère ou le meurtrier. On ne les accuse que d'être « Chrétiens , ce qui les console de leurs douleurs , ou pour » mieux dire, en détruit même jusqu'à l'npparence. Si quelque « fidèle est livré aux tourments , sans avoir commis aucune Maton , Apologie de « faute, ce qui est rare, il ne pourra point imputer ce qu'il « souffre à la malice et à la perversité des puissances ; il souf« frira comme souffre l'enfant qui paraît n'avoir pas péché. • Basilide ajoute un peu plus bas : « De même donc que l'enfant « qui n'a pas péché auparavant, ou du moins qui n'a eom« mis par lui-même aucune faute, par cela même qu'il porte « en lui le germe du péché , gagne à être livré à la souffrance, « quoique la souffrance lui fasse sentir ses durs aiguillons ; de « même, s'il se rencontre un homme parfait qui souffre ou qui « ait souffert, sans avoir jamais prévariqué par lui-même, ses « souffrances partiront du même principe et auront le même « caractère que celles de l'enfant. Il a en lui-même la faculté « qui pèche; s'il n'a point failli, l'occasion seule lui a manqué. « Il ne faut donc point lui tenir compte de son apparente inno« cence. Pourquoi cela ? Tout homme qui a la volonté de corn« mettre un adultère, est adultère, bien qu'il n'ait pas con« sommé l'adultère ; tout homme qui a la volonté de commettre « un meurtre, est meurtrier, bien qu'il n'ait pas consommé le « meurtre; il en va de même de ce prétendu juste qui n'a pas « péché. Du moment que je le vois souffrir, ne fût-il coupable « d'aucun méfait, je le déclare méchant, par cela seul qu'il « avait en lui la volonté de pécher. Eu effet, on me fera dire « tout au monde, avant de me contraindre à taxer de cruauté « la Providence. » Plus bas encore, Basilide parle ouvertement du Seigneur comme d'un homme : « Si, laissant de côté tout ce « qui précède, vous essayez de me confondre, en vous appuyant « de certains noms; si vous me dites, par exemple : un tel a « souffert, donc un tel a péché ; je vous répondrai, avec votre « permission: il n'a pas péché, mais il était semblable à l'enfant « qui souffre. Que si vous me pressez plus vivement encore, « j'ajouterai : citez-moi l'homme que vous voudrez , il est .- homme, et Dieu est juste; car nul, ainsi qu'il a été dit, ne « sortit pur d'une source impure. » Basilide s'étaye de ce principe, que les âmes ayant péché dans une vie antérieure reçoivent ici-bas le châtiment de leurs péchés; l'âme de l'élu est punie par la gloire du martyre^eelle de tout autre, est purifiée par le supplice qui lui est propre. Cet échafaudage tombe, quand on fait réflexion qu'il est en notre pouvoir de confesser le Christ, et de subir ou non le châtiment du martyre. Pour quiconque renie le Seigneur, la Providence de Basilide n'existe plus. Héponds-moi, Basilide ! voici li Chrétien qui a été arrête. Est-ce par la volonté ou non de la Providence que ce captif rendra témoignage et sera puni ? S'il renie le Seigneur, il ne sera pas châtié. Que devient alors l'expiation? Le confesseur descend-il dans l'arène pour rendre témoignage? Il rendra témoignage malgré lui. Mais comment la gloire et les palmes de l'éternité peuvent-elles être la récompense d'un martyre, où le Seigneur a été confessé sans que la volonté y ait eu part ? Dira-t-on, au contraire, que la Providence n'a pas permis que celui qui voulait pécher consommât la faute ? C'est lui imputer du même coup une double injustice; d'abord, elle ne délivre pas l'infortuné que l'on traîne à la mort à cause de la justice, ensuite elle vient en aide à celui qui avait la volonté de prévariquer. Le premier agit d'après sa propre inpulsion. Le second, enchaîné dans sa volonté perverse et injustement favorisé, ne peut en venir aux actes qu'il a résolus. Disons-le sans hésiter, il est impie, le téméraire qui déifie Satan et ose transformer le Seigneur en homme pécheur. Lorsque le démon nous tente, sachant bien ce que nous sommes, mais ignorant si nous résisterons, avec le désir néanmoins de ruiner notre foi, il essaie de nous attirer à lui. Son pouvoir ne va pas plus loin. La Providence s'est proposé un triple but. Elle veut que nous nous sauvions par nos propres efforts, la loi étant là pour nous aider; elle veut que le tentateur soit couvert de honte par l'échec qu'il reçoit ; elle veut enfin que la foi de ses serviteurs se fortifie par ces exemples, et que la lumière arrive dans la conscience des infidèles que l'héroïsme des martyrs a déjà frappés d'admiration. Mais si le martyre est une rémunération, obtenue par le supplice, il en va de même de la foi et de la doctrine, causes du martyre. La foi et la doctrine sont donc les auxiliaires du supplice. Connaissez-vous assertion plus absurde ? L'âme passe-t-elle d'un corps dans nn autre corps ? Quelle est l'intervention du démon? nous traiterons deces matières en leur temps. Pour le moment, ajoutons cette réflexion à ce que nous avons déjà dit. Que devient désormais la foi, si le martyre n'est plus que la punition de fautes commises dans une vie antérieure? Que devient cet amour de Dieu, qui endure la persécution et persévère à cause de la vérité? Que devient le mérite du confesseur ? Que devient l'infamie de l'apostat? A quoi sert encore de régler sa conduite, de crucifier ses désirs, et de n'avoir haï aucune créature ? Mais si, d'après le témoignage de Basillde lui-même, l'un des caractères de la volonté divine dont nous parlons est de tout aimer, parce que les parties d'un tout conservent des rapports de relation et d'harmonie avec l'ensemble ; si un autre caractère est de ne rien désirer, et un troisième de ne rien haïr, qu'arrive-t-il ? Que les bûchers s'allument par la volonté de Dieu. Doctrine impie ! Ce n'est point par la volonté de son père que notre Seigneur a souffert ; ce n'est point par la volonté de Dieu que les Chrétiens sont persécutés. De deux choses l'une, ou la persécution est un bien, endurée à cause de la volonté de Dieu, ou les persécuteurs et les bourreaux sont innocents. Et pourtant rien n'arrive dans la création sans la volonté du maître de l'univers. Il reste donc à dire, pour tout renfermer en un mot, que ces choses arrivent parce que Dieu ne s'y oppose pas. Cette explication seule peut accorder la providence et la bonté du Tout-Puissant. Il ne faut donc pas s'imaginer que ce soit Dieu lui-même qui nous suscite de sa propre main nos afflictions ; loin de nous cette pensée ! mais il convient de croire que Dieu n'arrête pas la main de ceux qui nous les préparent, et qu'il fait sortir le bien de la violence de nos ennemis. « Je « détruirai les murailles, dit le Seigneur, et elles seront foulées « aux pieds. » Car tels sont les enseignements que la Providence nous donne, dans les autres, pour leurs péchés personnels, dans le Christ et les apôtres, à cause de nos péchés. « La « volonté de Dieu, dit l'apôtre, est que vous soyez saints, que « vous évitiez la fornication,- que chacun de vous sache fossé « der le vase de son corps saintement et honnêtement, ne sui« vant pas les mouvements de la concupiscence, comme font » les Gentils, qui ne connaissent point le Seigneur; et que sur« tout en cela personne ne passe les bornes, ni ne fasse tort à « son frère, parce que le Seigneur est le vengeur de tous ces pé« chés, comme nous l'avons déjà prédit et témoigné . Car Dieu « ne vous a point appelés pour être impurs, mais pour être « saints. Celui doue qui méprise ce que je viens de dire, mé« prise non pas un homme, mais Dieu même qui nous a donné « son Saint-Esprit. » C'est donc pour notre sanctification que Dieu n'a pas empêché notre Seigneur de souffrir; mais si quelque disciple de Basilide allègue pour sa justification que le martyr subit la peine de péchés commis avant le passage de l'âme dans le corps ; qu'il recueillera plus tard les fruits de sa moralité ici-bas, et qu'ainsi va le gouvernement de l'univers, nous demanderons au sectaire si la rémunération alors sera dispensée d'après les vues de la Providence. Si elle n'émane pas de la loi divine, le monde n'est plus une carrière de purifications, et tout l'échafaudage des Basilidiens croule sous leurs pieds. Soutiennent-ils, au contraire, que les purifications émanent de la Providence? dès lors les châtiments en émanent aussi. Or, la Providence de Basilide, bien qu'elle reçoive de l'Archon suprême son premier mouvement, a été mêlée anx substances par le Dieu de l'univers, au moment même de leur création. Dans ce système, les Basilidiens sont réduits à confesser, ou que la punition n'est pas injuste, et alors les juges qui condamnent, lus bourreaux qui torturent les martyrs, ont la justice de leur côté ; ou bien que les persécutions découlent directement de la volonté divine. La peine et la crainte, au lieu d'être comme ils le prétendent, un accident essentiel aux choses, ainsi que la rouille s'attache au fer, ne surviennent donc à l'âme que par suite de la volonté qui lui est propre. Il nous resterait à développer plus longuement cette matière. Nous renvoyons les détails à un moment plus favorable. CHAPITRE XIII. Refutation du .système de Valentin sur l'abolition de la mort. Valentiu s'exprime en ces termes dans une homélie : » Vous « êtes immortels dès l'origine; vous êtes les fils de la vie « éternelle, et vous avez voulu répartir la mort entre vous, « afin de la dépenser, de la détruire, et que la mort mou« rût en vous et par vous. Supposez le monde en ruines; « pour vous, vous n'éprouveriez point la dissolution; vous « êtes les rois de la créature, et vous avez pouvoir sur l'em« pire de la mort. » Valentin suppose, avec Basilide, une élection par droit de naissance, et une race privilégiée qui descend sur notre terre pour exterminer du milieu des hommes la mort, œuvre funeste du mauvais principe qui a créé le monde. Voilà pourquoi le sectaire s'appuie de cette parole de la Genèse : « Nul homme « ne verra la face de Dieu sans mourir, » pour soutenir que Dieu est l'auteur et la cause de la mort. C'est du moins ce qu'il insinue quand il dit : « Autant l'image est inférieure an « modèle vivant, autant le monde est au-dessous de M •;: « vivant. Quelle est donc la cause de l'image? La majesté du « modèle qui a fourni au peintre le type, afin que la gloire en « resplendit par le nom qu'il lui communique. En effet, ce « n'est point d'après sa propre vertu que l'image a été repro« duite; le nom de la figure que reproduit l'image supplée à « l'imperfection de l'œuvre. Ce qu'il y a d'invisible en Dieu « nous explique le monde corporel. » Comme le Créateur est appelé dans l'Écriture Dieu et Père, Valentin le nomme image du vrai Dieu et prophète; il transforme en peintre la sagesse, qui reproduit l'image pour glorifier l'invisible. « Les êtres qui « naissent de l'accouplement, voilà lesplérômes, dit-il; ceux .< qui procèdent d'un seul principe, ne sont que des images. • « Mais puisque les substances visibles n'appartiennent pas au « Dien invisible, l'âme, substance intermédiaire, c'est-à-dire « différente; est donc l'émanation d'un esprit différent, une « insufflation qui la fait âme et image de l'esprit. » En un mot, les Valentiniens prétendent que leurs inventions sur le Démiuryue, rival du Créateur, ont été exprimées d'avance par une image sensible dans le passage où la Genèse raconte la création de l'homme. Il y a mieux : ils font descendre jusqu'à eux cette ressemblance, affirmant que ce souffle dont l'esprit, d'une nature différente, les a remplis, était inconnu au Démiuryue. Lorsque nous viendrons à prouver qu'il n'y a qu'un seul et même Dieu, proclamé par la loi, les prophètes et l'Évangile, nous combattrons ces doctrines : cette question est dominante. Pour le moment, allons au plus pressé. S'il est vrai que la race privilégiée soit descendue pour détruire la mort, ce n'est donc pas le Christ qui l'a détruite, à moins qu'on ne lui donne la même essence qu'aux membres de la race favorisée. Mais s'il l'a anéantie pour qu'elle n'atteignît point la race privilégiée, les membres de cette race, émules qu'ils sont du Démiurgue, et d'après la formule de leurs dogmes, soufflant dans leur image la vie supérieure de l'âme, dont l'essence est intermédiaire, ne détruisent donc pas la mort, quand même ils feraient intervenir ici la Mère pour cette destruction. Ou bien, s'ils soutiennent que c'est de concert avec le Christ qu'ils livrent assaut à la mort, qu'ils confessent ouvertement ce dogme mystérieux, puisqu'ils ne craignent pas d'attaquer la divine puissance du Démiurgue, en réformant ses créatures comme s'ils lui étalent supérieurs, et en s'efforçant de sauver de la dissolution cette image charnelle, que lui-même n'a pu affranchir de la corruption. A ce compte, le Seigneur aussi serait d'une nature meilleure que le dieu Démiurgue ; or, quel fils a jamais lutté contre son père, et cela entre dieux? Mais que le Seigneur tout-puissant, que le Démiurgue, ou Créateur de toutes choses, soit le père du fils, nous remettons à le prouver dans la discussion où nous combattrons l'hérésie, suivant notre promesse, en montrant qu'il n'y a qu'un seul et même Dieu, proclamé par le L'apôtre, eu nous exhortant à la patience dans les afflictions, nous dit : « Cela vient de Dieu, qui vous a fait la « grâce, non-seulement de croire en Jésus-Christ, mais en« core de souffrir pour lui, et qui vous a engagés dans le « même combat où Tous m'avez vu et où vous avez appris « que je suis encore. Si donc il y a quelque consolation en « Jésus-Christ ; s'il y a quelque douceur et quelque soulage« ment dans la charité; s'il y a quelque union dans la partiel« pation du même esprit ; s'il y a quelque tendresse et quelque « compassion parmi nous, rendez ma joie parfaite, restant « tous unis, n'ayant tous qu'un même amour, un même esprit « et les mêmes sentiments. Mais si, après avoir offert à Dieu « le sacrifice de votre foi, il faut que mon sang soit répanda « sur la victime, j'en aurai de la joie, et je m'en réjouirai « avec vous tous. » Je le demande, comment le même apôtre, après avoir dit aux Philippiens qu'ils participent de sa grâce, les appellerait-il hommes unis dans le même esprit et organisations animales? De même, plus bas, quand il parle de laimême et de Timothée : « Je n'ai personne, écrit-il, qui soit an« tant uni avec moi d'esprit et de cœur, ni qui se montre plus « sincèrement prêt à prendre soin de ce qui vous touche ; car « tous cherchent leurs propres intérêts et non ceux de Jésus« Christ. » Que les hérétiques, nommés pins haut, ne nous fassent donc plus l'injure de nous appeler organisations animales, (psychiques). J'en dis autant aux Phrygiens; car ils attachent cette même flétrissure à ceux qui ne croient'pas à la nouvelle prophétie. Nous réfuterons leur doctrine lorsque nous traiterons de la prophétie. Il faut donc que l'homme parfait s'exerce à la charité, et par elle s'élève jusqu'à l'amitié de Dieu, en accomplissant ses préceptes par amour pour lui. Quand le Seigneur nous enjoint d'aimer nos ennemis, il ne nous recommande pas d'aimer le mal, l'impiété, l'adultère, le vol, mais d'aimer le voleur, l'impie, l'adultère, non pas en tant qu'ils pèchent et qu'ils couvrent d'ignominie la dignité d'homme, mais en tant qu'ils sont hommes et l'œuvre clé Dieu. Le péché est indubitablement un acte, il n'est pas une substance. Voilà pourquoi il n'est pas l'ouvrage de Dieu. Nous disons que les pécheurs sont ennemis de Dieu ; pourquoi ? parce qu'ils sont les ennemis des préceptes contre lesquels ils se révoltent. Par une raison contraire, nous nommons amis de Dieu ceux qui se soumettent aux commandements. Amis donc, à cause des liens volontaires qui unissent ceux-ci à Dieu ; ennemis, à cause de l'éloignement volontaire qui les sépare de Dieu. L'inimitié et la haine n'existeraient point sans l'existence d'un ennemi et d'un pécheur. « Tu ne désireras point. » Ce commandement, ainsi que l'ont pensé les hérésiarques qui distinguent du premier dieu le Démiurgue ou créateur, ne nous défend pas de désirer les choses désirables, en tant qu'elles seraient étrangères et du domaine de l'autre dieu. Ce commandement ne flétrit pas davantage la génération, comme si elle était un acte abominable ; c'est là une doctrine impie. Nous disons que les choses du monde nous sont étrangères, non qu'elles soient déshonnêtes et mauvaises en elles-mêmes, non qu'elles n'aient rien de commun avec le Dieu, maître de l'univers, mais parce que, hommes d'un jour, nous ne vivons pas éternellement au milieu d'elles. Envisagées sous le rapport de la possession, elles nous sont étrangères, puisqu'elles nous échappent pour passer aux mains de nos successeurs ; sous le rapport de l'usage, elles sont à chacun de nous, puisque c'est pour nous qu'elles ont été créées, dans la mesure toutefois où il est nécessaire que nous soyons mêlés à elles pendant notre apparition ici-bas. Il faut donc user dans les limites de la nature des choses dont le précepte nous éloigne sagement, nous tenant en garde contre tout excès et contre tonte affection aux biens matériels. .CHAPlTRE XIV. H faut aimer jusqu'à ses ennemis. L Jusqu'où s'étend la bonté? Le Seigneur va nous répondre : • Béuissez ceux qui vous maudissent, et priez pour ceux qui « vous persécutent et vous calomnient. " Il poursuit dans le même sens, puis il ajoute : « Afin que vous soyez les enfants « de votre père qui est dans les cieux, » désignant ainsi la ressemblance par laquelle nous nous rapprochons de Dieu. « Hâtez« vous, dit-il ailleurs, de vous réconcilier avec votre adver« saire pendant que vous êtes en chemin avec lui. » L'afftrrsaire dont il est ici question n'est pas ce corps, comme le veulent quelques-uns, mais le démon et ceux qui lai ressemblent; le démon qui fait route avec nous par l'intermédiaire des hommes qui reproduisent ici-bas sa perversité. Que nous ne courions pas au devant des maux les plus cruels, quand nous appartenons de bouche aux œuvres du Christ, tandis que nos actes appartiennent réellement au démon, c'est chose impossible. Il est écrit : « De peur que peut-être votre adversaire ne « vous livre au juge, et que le juge ne vous livre au ministre « impie de l'empire du démon. » Car je suis assuré que ni la mort « celle que donnent les persécuteurs ; » ni la vie, « celte « du temps ; » ni les anges, « les anges rebelles ; » ni les principautés , » la principauté de Satan est la révolte qu'il a préférée; telles sont les principautés qui relèvent de ces puissances des ténèbres; « ni les choses présentes, » au milieu desquelles nous sommes pendant le cours de la vie, telles que l'espérance du soldat et le gain du trafiquant ; « ni tout ce qu'il y a de plus « haut ou de plus profond, ni aucune autre créature, » ne saurait triompher dans les actes particuliers à l'homme, de la foi de celui qui agit dans l'exercice de sa volonté. La créature est appelée ici du même nom que l'acte humain comme étant notre ouvrage. Un tel acte donc « ne pourra jamais nous séparer de « l'amour de Dieu, « Jésus-Christ notre Seigneur. » Vous avez l'abrégé du martyr gnostique. CHAPITRE XV. Fuyez le scandale. « Nous savons, dit l'apôtre, que nous avons la science cora » mune qui s'occupe des choses à la portée de tous, et qu'il « n'y a pour nous qu'un seul Dieu. » L'apôtre écrivait ces mots à des Mêles; aussi, ajoute-t-il : « Mais tous ne sont pas éclai • Tés « des lumières qui ne sont transmises qu'à un petit nombre. Suivant quelques interprètes, il ne faut pas divulguer à tous la connaissance des viandes immolées aux idoics, « de peur « que notre liberté ne soit aux faibles une occasion de faillir, « car notre science perdrait notre frère encore faible. <• S'il en est qui disent : « Il faut acheter tout ce qui se vend dans les « marchés, « ajoutant par voie d'interrogation ces mots : « que « vous demandiez on que vous ne demandiez pas; » c'est donner au texte une interprétation ridicule. L'apôtre a dit : « Man« gez de toutes les viandes que l'on vend, sans vous informer « de rien par scrupule de conscience, » à l'exception toutefois des viandes qui sont nommées dans l'épître catholique des apôtres réunis. Cette épîtrc catholique, revêtue de la sanction du Saint-Esprit, a été insérée dans les Actes des apôtres et portée aux fidèles par le ministère de Paul lui-même. « II est nécessaire » que vous vous absteniez des victimes sacrifiées aux idoles, « dit-elle, et du sang, et des chairs étouffées et de la forniea« tion, toutes choses dont vous ferez bien de vous garder. » Aussi Paul dément-il ainsi une pareille explication : « N'avons« nous pas le droit de boire et de manger? n'avons-nous pas le « pouvoir de mener partout avec nous une femme qui soit notre « sœur en Jésus-Christ, comme font les autres apôtres, et les • frères du Seigneur, et Céphas ? Cependant nous n'avons point « usé de ce pouvoir, et nous souffrons tou:; pour n'apporter à « l'Evangile de Jésus-Christ aucun obstacle, » ou bk'n, en transportant avec nous un fardeau embarrassant, lorsque uous devons être prêts à tout appel ; ou bien, parce que servant d'exemple à ceux qui veulent vivre dans la tempérance, nous ne sommes pas faits pour dédaigner ce qu'on nous sert, ou pour lier d'imprudentes relations avec une femme. Loin de là: il convient surtout à ceux qui sont chargés d'un ministère si relevé, de présenter à ceux qu'ils enseignent un modèle de pureté. « Voilà pourquoi, poursuit l'apôtre, libre à l'égard de » tous, je me suis fait le serviteur de tous, pour les gagner « tous. Tous les athlètes vivent dans une grande continence, « Mais la terre et tout ce qu'elle contient est au Seigneur. A « cause de la conscience, il faut donc s'abstenir de toutes les « choses dont l'abstinence est ordonnée. Quand je dis, la « conscience, je ne parle pas de la vôtre ; » elle a ses lumières et sa connaissance, je parle de celle du prochain. Abstenezvous donc, de peur que votre frère ne soit mal édifié par ignorance, en imitant ce qu'il ne connaît pas, ou que le mépris ne prenne chez lui la place des sentiments élevés. « Pourquoi « m'exposerai-je à faire condamner par la conscience d'un autre « cette liberté que j'ai de manger de tout? Si je prends avec « action de grâces ce que je mange, pourquoi ferai-je mal par« ler de moi pour une chose dont je rends grâces à Dieu ? « Quelque chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de K Diea ; » tout, e'est-à-dire les choses que permettent les règles de la foi. CHAPITRE XVI. Explication de plusieurs passages des Écritures sur la constance, la patience et la charité des martvrs. « Il faut croire de cœur pour obtenir la justice, et confesser « de bouche pour obtenir le salut. De là cette promesse de l'E« criture : Tous ceux qui croient en lui ne seront pas confon« dus. Cette parole est la parole de la foi que nous prêchons, « parce que je vous confesse de bouche que Jésus est le Sei« gneur. Et si vous croyez de cœur que Dieu l'a ressuscite « après sa mort, vous serez sauvés. » Il est évident que l'apôtre fait ici le portrait de la justice parfaite, dont la plénitude réside dans les œuvres et dans la contemplation. « Il faut donc «bénir ceux qui nous persécutent. Bénissez-les, dit l'apôtre, et « gardez-vous bien de les maudire ; car notre gloire, c'est le té« moignage de notre conscience d'avoir connu Dieu dans la « pureté et dans la sincérité du cœur, » manifestant dans une occasion de peu d'importance, les œuvres de la charité, et prouvant qne nous « avons vécu en ce monde, non pas selon la « sagesse de la chair, mais selon la grâce de Dieu. » Ainsi s'exprime l'apôtre sur la connaissance ; mais il appelle, dans sa seconde Epitre aux Corinthiens, bonne odeur de la connaissance, la doctrine commune de la foi. «Car, pour la plupart, « jusqu'à ce jour, lorsqu'ils lisent l'ancien Testament, le même « voile demeure sans être levé, parce qu'il ne le peut être que « par leur conversion à Jésus-Christ.» Voilà pourquoi le Seigneur a découvert à ceux qui peuvent la voir, la résurrection de cette vie qui rampe sur le ventre, mais résurrection dont le principe est encore enseveli dans la chair. C'est de là aussi qu'il a nommé, « race de vipères, » ceux qui rampent tristement sur la terre, les voluptueux, les dissolus, les intempérants, et tous ceux qui, livrés aux désirs du monde, se déchirent réciproquement la tête. « Mes petits enfants, n'aimons ni de parole ni de « langue, » dit Jean, pour nous enseigner à être parfaits ; « a i « mons parles œuvres et en vérité. Par là, nous connaitrons • que nous sommes enfants de la vérité. » Mais si « Dieu est « amour, » et que l'amour soit aussi la piété, .< la crainte n'est « pas où est l'amour ; mais l'amour parfait chasse la crainte, et « l'amour que nous avons pour Dieu, consiste à garder ses » commandements. » Ailleurs, il est encore écrit pour celui qui aspire à devenir gnostique : « Soyez l'exemple des fidèles dans « vos discours, dans votre conduite avec le prochain, par vo« tre charité, votre foi et votre chasteté. » C'est que, selon moi, la charité parfaite se distingue de la foi commune. Or, le divin apôtre nous trace en ces termes la règle du gnostique : « J'ai appris à être content de l'état où je me trouve. Je » sais vivre dans la pauvreté et dans l'abondance. Ayant tout « éprouvé, je suis fait à tout, aux bons traitements et à la faim, « à l'abondance et à l'indigence. Je puis tout en celui qui me « fortifie. » Ailleurs, s'adressant à d'autres, Paul ne craint pas « de les confondre en ces termes : « Or, rappelez en votre mé« moire le premier temps, où après avoir été éclairés, vous « avez soutenu de grands combats et de grandes afflictions, « exposés d'un côté, au monde par les injures et les mauvais « traitements que vous avez reçus, et de l'autre, participant « aux tribulations de ceux qui souffraient de semblables indi« gnités. Car vous avez compâti à mes chaînes, et vous avez « vu avec joie tous vos biens enlevés, sachant que vous avez « des biens meilleurs, et qui ne périront jamais. Ne perdez « donc pas la confiance que vous avez, et qui doit recevoir « une grande récompense; car la patience est nécessaire, afin « que faisant la volonté de Dieu, vous obteniez l'effet de ses « promesses. Encore un peu de temps, dit le Seigneur, et « celui qui doit venir, viendra, et il ne tardera point. En « attendant, le juste qui m'appartient vit de la foi. Que s'il s'é« loigne, il ne me sera plus agréable. Mais nous, nous n'a« vons garde de nous retirer pour notre perte, loin de là; « nous demeurons fermes dans la foi pour le salut de nos « âmes. « L'apôtre nous met ensuilc sous les yeux une réunion de modèles inspirés et soutenus par Dieu. « Ne se sont-ils pas illas« très'dans la foi par la patience, ceux qui ont souffert les « outrages, les fouets, les chaînes et les prisons ? Ils ont été la« pidés, ils ont été mis aux plus rudes épreuves, ils sont morts « par le tranchant du glaive; ils ont mené une vie errante, « couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, aban« donnés, affligés, persécutés, eux dont le monde n'était pas » digne; errant dans les déserts et dans les montagnes, sere« tirant dans les antres et dans les cavernes de la terre. Et « tous ceux que leur foi a rendus si recommandables, n'ont « point reçu l'effet des promesses de Dieu. « Il faut comprendre cette phrase en y sous-entendant le mot seuls, exprimé tacitement. C'est pourquoi l'apôtre ajoute : « Dieu ayant voulu, « par une faveur particulière pour nous, car il est bon, qu'ils « ne reçussent qu'avec nous l'accomplissement de leur félicité. « Nous donc, puisque nous sommes environnés d'une si « grande nuée de témoins, nuée sainte et transparente, déga« geons-nous defont ce qui appesantit, et des liens du péché; « courons par la patience dans la carrière qui nous est ouverte, « jetant les yeux sur Jésus, l'auteur et le consommateur de la « foi. » Bien que l'apôtre ait déjà dit clairement qu'il n'y a « qu'un seul et même salut dans le Christ, pour les justes qui l'ont précédé comme pour nous, néanmoins, parlant aussi de Moïse, il ajoute : « Il pensait que l'opprobre de Jésus-Christ est « uu plus grand trésor que toutes les richesses de l'Égypte, « parce qu'il envisageait la récompense. Par la foi, il quitta « l'Egypte sans craindre la fureur du roi ; car il demeura ferme » comme s'il eût vu l'Invisible. » La divine Sagesse dit des martyrs: « Ils ont semblé mourir aux yeux des insensés, et « leur fin a été estimée une affliction, et leur sortie du milieu » de nous un anéantissement ; mais ils sont en paix, et si de« vant les hommes ils ont souffert des tourments, leur espé« rancc est pleine d'immortalité. » Puis, afin de nous enseigner que le martyre est une purification, la Sagesse ajoute: « Leur affliction a été légère, et leur récompense sera grande, « parce que Dieu lus a tentés, « c'est-à-dire, a permis qu'ils fus« sent tentés, pour les mettre eux-mêmes à l'épreuve, et pour « couvrir de confusion le tentateur, » «et il les a trouvés di« gnes de lui, » c'est-à-dire, d'être appelés ses fils. « Il les a « éprouvés comme l'or dans la fournaise, et les a recus comme « un holocauste, et ils resplendiront au jour qu'il les visitera, « et ils brilleront comme la flamme qui court dans le chaume « aride. Ils jugeront les nations et ils domineront les peuples, « et leur Seigneur régnera à jamais. » CHAPITRE XVII. Passages de l'épitre de saint Clément, pape, aux Corinthiens, cites à l'appui de ce qui précède. L'apôtre Clément,dans son épitre aux Corinthiens, nous trace aussi une sorte de portrait du Gnostique. « De tant d'étran« gers qui se rendaient en foule dans vos murs, qui ne se « sentait frappé de cette foi vive, inébranlable et ornée de « toutes les vertus qui étaient en vous ? qui n'admirait cette « piété envers Jésus-Christ si pleine de douceur et de sagesse ? » qui ne louait ces mœurs libérales et magnifiques que vous « faisiez éclater dans l'exercice de l'hospitalité? qui enfin ne « publiait partout que vous étiez heureux par l'étendue et la « certitude inébranlable de vos connaissances ? En effet, vous « vous conduisiez en toutes choses sans aucun égard à la qna« lité des personnes, et vous marchiez avec fidélité dans les - voies du Seigneur, etc.» L'apôtre ajoute en termes encore plus formels : « Ayons toujours les yeux fixés sur ces hommes « qui lui ont rendu un culte digne de sa gloire et de sa magni« licence. Considérons Enoch, qui ayant plu à Dieu par son « obéissance, a été transporté au ciel ; TNoë qui, pour avoir cru, « fut sauvé du déluge, et Abraham, qui, pour récompense « de sa foi et de son hospitalité, fut appelé ami de Dieu et père « d'Isaac. Ce n'est pas tout ; Loth, recevant le prix de sa foi et « de l'hospitalité qu'il exerça, sort de Sodome sans aucun mal. « La courtisane Bahab est garantie de l'anathème général à « cause de sa foi et de son hospitalité. Soyons les imitateurs de « ceux qui, revêtus de peaux de chèvres et de brebis, allaient « partout, prédisant le règne de Jésus-Christ. Tels furent les « saints prophètes Ëlie,Ëlizée, Ézéchiel et Jean. Abraham qui « reçut un glorieux témoignage, et fut appelé l'ami de Dieu, à « cause de la générosité de sa foi, loin de s'énorgueillir de sa « gloire, s'écrie dans les sentiments d'une humilité profonde: « Je ne suis que cendre et que poussière. Voici ce que rÉcri« ture dit de Job : Job était un homme juste, simple, droit de « cœur, servant Dieu et fuyant le mal. » Toutefois celui qui, par l'héroïsme de sa patience, triompha du tentateur; celui qui rendit témoignage à Dieu et auquel Dieu rendit témoignage à son tour, s'accuse lui-même avec humilité : « Personne n'est « exempt de souillures, n'eût-il vécu qu'un seul jour. » Moïse, qui a été trouvé fidèle dans toute la maison de Dieu, répondit à la voix qui lui parlait du milieu du buisson ardent : « Qui « suis-je, pour que vous m'envoyiez ? J'ai la langue trop fai« blé et la voix trop tardive, pour qu'une bouche humaine « soit l'interprète de la parole divine. » Il ajoute : « Je suis la de l'eau qui bout. Dieu résiste aux superbes et donne « sa grâce aux humbles. » Mais que dirons-nous de David, à qui Dieu rend un si illustre témoignage : « J'ai trouvé un homme * selon mon cœur, David, fils de Jessé; je l'ai sacré roi pour « l'éternité? » Et lui-même parle ainsi à Dieu : « Ayez pitié de » moi, mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde, et « selon la multitude de vos bontés, effacez mon iniquité. La • vez-moi de plus en plus de mes souillures et purifiez moi de « mon péché. Car je connais mon iniquité, et mon crime est « toujours devant moi. » Puis, faisant allusion au péché qui n'est point soumis à la vindicte de la loi, il ajoute , avec l'humilité d'un Gnostique : « J'ai péché contre vous seul ; j'ai fait le mal « en votre présence. » L'Écriture ne dit-elle pas quelque part : « L'esprit de Dieu est un flambeau qui pénètre les cœurs, » et pins nous nous élevons vers la connaissance, en marchant dans les sentiers de la justice, plus l'esprit de lumière est près de nous. C'est ainsi que le Seigneur s'approche des justes, et que rien ne lui est caché de nos pensées et de nos plus secrètes réflexions. Et quel est cet esprit de lumière ? Jésus-Christ notre Seigneur qui, par sa toute-puissante volonté, scrute nos cœurs, et dont le sang a été notre sanctification. Respectons donc ceux qui nous sont préposés; honorons les vieillards; élevons les jeunes gens dans la crainte de Dieu. Bienheureux, en effet, celui qui enseigne et qui accomplit, comme il convient, les préceptes du Seigneur! C'est la marque d'un esprit élevé et adonné à la contemplation de la vérité. Instruisons nos femmes à pratiquer le bien, en se rendant aimables par la pureté de leurs mœurs; en montrant dans toute leur conduite une doucenr parfaite ; en modérant par le silence l'excès de leurs paroles, en faisant voir envers tous ceux qui craignent Dieu véritablement, une charité toujours égale. Que nos enfants soient élevés selon les maximes de Jésus-Christ; qu'ils apprennent combien l'humilité est puissante auprès de Dieu ; de quel prix est à ses yeux cette chnrité pure et sans tâche; combien sa crainte est bonne, honorable et salutaire à tous ccux*qni marchent devant lui dans la sainteté et dans la pureté. Je le répète, le Seigneur pénètre nos pensées et nos desseins; car son esprit est eu nous et il le retire quand il lui plait. La foi que nous avons en Jésus-Christ nous rend toutes ces vérités certaines. « Venez mes « enfants, écoutez-moi, dit-il, je vous enseignerai lacraintt « du Seigneur. Quel est l'homme qui veut la vie et qui soupire « après les jours de bonheur? » Puis le Seigneur explique le mystère de la gnose, renfermé dans les nombres sept et huit. « Préservez votre langue de la calomnie, et vos lèvres des « discours artificieux. Éloignez-vous du mal et pratiquez le « bien ; cherchez la paix et poursuivez-la sans relâche. » En effet, quand le Seigneur nous recommande aussi de nous abstenir du mal et de faire le bien, il nous désigne la connaissance (gnose)) dont la perfection réside dans les œuvres et dans les paroles. « Les yeux du Seigneur sont ouverts sur les " justes. Ses oreilles sont attentives à leurs cris ; mais le regard « de sa colère est sur ceux <|iii font lejnal, il efface de la terre « jusqu'à leur souvenir. Lu juste a poussé des cris, et le Seigneur « l'a exaucé, et il l'a délivré de tous ses maux. La multitude des « douleurs attend l'impie; mais la miséricorde investira celui « qui espère dans le Seigneur. Qu'est-ce à dire? la multitude des « miséricordes environnera celui dont l'espérance est pure et « légitime. Car il est écrit dans l'épitre aux Corinthiens : C'est « par Jésus-Christ que notre esprit, doué d'intelligence et obs« curci auparavant sous d'épaisses ténèbres, s'est comme re« nouvelé à la présence de cette lumière. C'est enfin par loi « que Dieu a voulu nous donner ici-bas un avant-goût de l'im« mortalité. » Clément, afinde nous montrer plus clairement encore la nature de cette gnose, ajoute : « Puisque noos ne « pouvons douter de toutes ces vérites, nous devons, les re« gards plongés dans les profondeurs de la divine sagesse, • accomplir les commandements du maitre selon la forme et « et le temps propres à chacun d'eux. Que le sage fasse éclater « sa sagesse, non par de vains discours, mais par de bonnes « œuvres. Que celui qui est humble ne se rende point téraoi« gnage à lui-même, mais qu'il laisse aux autres le soin de le « lui rendre. Que celui qui conserve son corps dans la pureté « n'en soit pas plus vain pour cela, reconnaissant qu'il tient .< de Dieu seul le don de la continence. Ainsi, mes frères, « vous le voyez, plus est grande la science que nous avons « recue, plus le péril que nous courons est grand et mani « feste. » CHAPITRE XVIII. De la charité. — Réprimez les mauvais désirs. D'après Clément, les honorables et pures inspirations de notre charité cherchent l'utilité commune, soit qu'elle rende témoignage, soit qu'elle instruise le prochain par ses actions, soit qu'elle l'enseigne par ses paroles écrites ou non. Aimer Dieu et le prochain, voilà ses fonctions. « Elle nous élève à « une hauteur au-dessus de tous les discours humains. La cha« rité couvre la multitude des péchés; la charité souffre tout « et attend avec patience l'accomplissement des promesses ; la « charité nous unit étroitement à Dieu, elle fait tout avec un « esprit de concorde; c'est par la charité que les élus de Dieu « ont été consommés dans le bien. Sans la charité, rien ne « peut plaire à Dieu. Enfin, telle est son excellence, que nos « faibles discours ne sauraient vous la définir. Qui peut être « capable de posséder ce don précieux, sinon ceux que Dieu « en a jugés et rendus dignes ? » Paul n'est pas moins précis : « Quand je livrerais mon corps, « dit-il, si je n'ai point la charité, je ne suis plus qu'un airain « sonnant et une cymbale retentissante. » Comme s'il avait dit : Si ce n'est ni par le choix de ma volonté, ni par un amour raisonné que j'endure le martyre; au contraire, si c'est par un mouvement de crainte, et dans l'espoir de la récompense promise que je remue les lèvres pour confesser le Seigneur, je ne suis plus qu'un homme vulgaire, un instrument d'où s'échappe le nom de Dieu ; mais je ne le connais pas. Il y a, en effet, un peuple qui aime le Seigneur du bout des lèvres; il y en a un autre qui livre généreusement sou corps aux flammes du bûcher. « Et quand je distribuerais toutes mes richesses « pour nourrir les pauvres, ajoute l'apôtre, si, au lieu d'élle « guidé par cette bienfaisance qui a sa source dans la charité, « j'avais en vue la recompense qui vient de l'homme auquel « j'ai rendu service, ou qui vient du Seigneur, dont les pro« messes sont écrites ; et quand j'aurais toute la foi possible, « jusqu'à transporter les montagnes, jusqu'à dépouiller entiè« rement les passions qui obscurcissent l'intelligence humaine, « si ce n'est pas par la charité que je suis fidèle au Seigneur, « je ne suis rien; « c'est-à-dire que, comparé avec le juste qui rend témoignage à la foi selon les principes de la sagesse (gnose), « je reste obscur et confondu avec la foule. » Toutes les générations qui se sont succédées depuis Adam jusqu'à nous, ont été effacées de dessus la terre. Mais pour ceux qui, par la grâce de Jésus-Christ, ont été consommés dans la charité, ils possèdent l'héritage des saints, comme il paraitra au jour où Jésus-Christ viendra juger le monde et entrer dans son règne '. La charité empêche de faillir. Que si un de ceux qui possèdent ce trésor, tombe dans quelque faute, par les suggestions du tentateur et sans le vouloir, pénitent comme David, il s'écriera : « Je confesserai hautement le Seigneur; et ce sa« criflce lui sera plus agréable que l'immolation d'un taureau « dans la jeunesse de sa force. Que les pauvres voient et qu'ils « tressaillent ! car Dieu dit : Offrez à Dieu un sacrifice de « louanges, et rendez au Seigneur vos hommages. Invoquez« moi au jour de la détresse, et je vous délivrerai et vous « me glorifierez. Le sacrifice que Dieu demande est une âme « brisée de douleur. » Dieu aussi est appelé amour, parce qu'il est bon. La charité qui émane de lui ne souffre point que l'on nuise au prochain, soit en lui faisant tort le premier, soit en lui rendant outrage pour outrage. Pour tout dire en un mot, imitatrice de Dieu, elle répand ses bienfaits sur tous indistinctement. « La charité, « comme le Christ, est donc la plénitude de la loi ; » c'est-àdire, la présence toujours agissante du Seigneur qui nous aime; 1 Saint/Clément pape. c'est-à-dire encore, cette doctrine et cette vie d'amour que le Christianisme enseigne et pratique d'après le Rédempteur. Jadis le commandement disait au nom de la crainte : Tu ne seras point adultère ; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain. Aujourd'hui, c'est la charité qui perfectionne le précepte. Il n'est pas indifférent que l'action soit accomplie par crainte, ou perfectionnée par la charité; qu'elle vienne de la foi ou qu'elle soit inspirée par la ynosc. Il est donc juste qu'il y ait divers degrés dans les récompenses. Pour le véritable Gnostique, il en a été préparé « que l'œil n'a point vues, que « l'oreille n'a point entendues, et que le cœur de l'homme n'a « jamais conçues. » Quant à celui qui s'est 'borné à croire, le Seigneur lui promet le centuple de ce qu'il a quitté. Avouonsle, cette promesse est à la portée de toutes les intelligences. A ce propos, je me rappelle qu'un soi-disant Gnostique expliquait singulièrement ce passage : « Et moi je vous dis « que quiconque aura regardé une femme avec convoitise, a « déjà commis l'adultère. » Le Seigneur ne nous condamne pas sur le simple désir, disait l'interprète, mais seulement si l'acte qui en est la conséquence, allant au-delà du désir, par la violence du désir, se consomme dans la convoitise. Dans les songes, nul doute que le désir ne se serve à la fois et de la vision et du corps même. Les écrivains qui ont recueilli des anecdotes , rapportent cette sentence du juste Bocchoris. Un jeune homme, épris d'amour pour une courtisane, la détermina, d'après un salaire convenu, à venir le trouver le lendemain. 11 arriva qu'un songe livra d'avance la jeune fille à ses désirs. Sa passion ainsi assouvie contre sou espérance, il interdit sa porte à son amante, lorsqu'elle se présenta selon leurs conventions. A la nouvelle de ce qui avait eu lieu, la jeune fllle éconduitc réclamait le salaire promis, sur l'allégation qu'elle avait ainsi contenté les désirs du jeune homme. Il fallut plaider devant le juge. Celui-ci, après avoir ordonné au jeune homme d'étendre en plein soleil la bourse qui contenait le prix de la honte, enjoignit à la courtisane d'eu prendre l'ombre, condamnant ingénieusement le défendeur à rendre le simulacre du prix pour le simulacre de la possession. Que l'âme, ébranlée par une vision, s'y attache pendant le sommeil, voilà le songe; mais l'homme qui regarde, avec un œil de convoitise, poursuit tout éveillé une vision qui n'a rien de fantastique. Le crime commence, non pas, suivant notre prétendu Gnostique, aussitôt qu'avertie par l'œil, la pensée conçoit la fornication ou l'adultère; c'est là l'œuvre du désir en tant que désir; le crime commence quand on regarde la beauté du corps, dit le Verbe, et que la chair parait belle au point de vue du désir. Vous avez contemplé avec l'œil de la chair et du péché : votre admiration est coupable. Au contraire, regardez-vous la beauté avec une chaste affection, alors vous oubliez la beauté de la chair pour celle de l'âme; vous n'admirez le corps que comme une statue, vous élevant par cette beauté terrestre jusqu'à l'ouvrier lui-même et jusqu'à ce qui est réellement beau, montrant aux anges qui gardent les avenues du ciel le sceau de la sainteté, le caractère lumineux de la justice, qu'est-ce à dire? l'empreinte d'une conscience bien réglée et agréable à Dieu, la manifestation radieuse des vertueux sentiments dans lesquels tressaille une âme, heureuse d'être le sanctuaire du Saint-Esprit. La voilà bien cette gloire qui rayonnait sur le visage de Moïse et dont le peuple ne pouvait supporter l'éclat. C'est pourquoi le serviteur de Dieu la couvrit d'un voile devant les yeux charnels de la multitude. Les hommes qui emportent avec eux le bagage de la terre, sont arrêtés par les préposés de la douane céleste, et dépouillés des affections humaines dont ils arrivent chargés. Il n'en va pas de même de ceux qui ont jeté loin d'eux cette contrebande du siècle : riches des trésors de la connaissance et de la justice qui consiste dans les œuvres, les anges les laissent passer au milieu d'un concert de bénédictions, et les proclament bienheureux, leurs personnes et leurs œuvres. « Et les feuilles ne tomberont point; » c'est-à-dire les feuilles de l'arbre de la vie, « qui a crû près du courant des eaux. * Le juste est comparé aux arbres chargés de fruits et non pas seulement aux victimes dont le parfum monte vers les cieus. Or, de même que, sous l'empire de la loi, des lévites étaient chargés spécialement d'examiner les victimes et d'en remarquer les défauts, de même les esprits exercés démêlent aisément le désir légitime d'avec le désir criminel. Ils rattachent ce dernier à la volupté et à l'intempérance, parce qu'il est contraire à la raison ; ils rangent le premier dans la classe des choses que la loi de la nature a rendues nécessaires, attendit qu'il a la raison pour principe et pour régulateur. CHAPITRE XIX. La femme peut atteindre comme l'homme à la perfection. Exemples divers. L'homme et la femme sont admis également à cette perfection. Moïse, après avoir entendu ces paroles sortir de la bouche de Dieu : « Je te l'ai dit et je te le répète ; je vois que ce peuple « est indocile ; laisse-moi l'exterminer, j'effacerai son nom de « dessous le ciel, et je t'établirai sur un autre peuple, qui • sera plus grand et plus admirable que celui-ci ; » Moïse, consultant moins son intérêt privé que le salut commun, répond avec d'instantes prières : « N'en faites rien, Seigneur ; • pardonnez à ce peuple sa prévarication, ou effacez mon nom « du livre des vivants. » Admirable perfection dans cet homme, qui préférait mourir avec son peuple, plutôt que d'être sauvé tout seul ! Mais le dévouement de Moïse ne lui appartient pas à l'exclusion d'un autre sexe. Judith aussi, qui fut parfaite entre les femmes, voyant Béthnlie assiégée, se recommande aux prières des vieillards, pénètre dans le camp des étrangers , brave tous les périls pour délivrer sa patrie, et, dans l'énergie de sa confiance en Dieu, se livre aux mains de l'ennemi. Bientôt sa foi recevra sa récompense. Femme pleine de courage contre l'ennemi de Dieu, elle tranche la tête d'Holopherne. Voyez Esther, cette autre femme consommée dans la foi. N'arrache-t-elle pas Israël au pouvoir d'un despote et à la cruauté d'un satrape? Faible, isolée, n'ayant pour armes que ses jeûnes et ses pleurs, elle résiste à des milliers de mains chargées de fer, et l'ait révoquer par sa foi un décret tyrannique. Ce n'est pas tout; elle fléchit Assuérus, elle châtie Aman, et sauve Israël par la ferveur de la prière qu'elle adresse au Seigneur. Parlerai-je de Suzanne et de la sœur de Moïse ? l'une partageant lé commandement de l'armée avec le prophète, et la première entre toutes les femmes qui étaient renommées chez les Hébreux par leur sagesse; l'autre, bravant le supplice pour rester fidèle à sa virginale pureté, et, condamnée par des vieillards impudiques, marchant d'un pas intrépide à la mort, héroïque martyre de la chasteté. Suivant Dion le philosophe, une femme du nom de Lysidica était si pudique, qu'elle se baignait toujours avec sa tunique de dessous. Une autre, appelée Philotéra, lorsqu'elle entrait dans le bain, ôtait par degrés sa tunique à mesure que l'eau couvrait les parties nues de son corps, et après le bain, se relevant par dégrés, se couvrait de même. La fameuse athénienne Lééna ne supporta-t-elle point la torture avec un courage viril ? Initiée dans le secret d'un complot que tramaient contre Hipparque Armodius et Aristogiton, cette femme n'en révéla pas le moindre détail, quoiqu'on employât contre elle la plus horrible question. Mais voici que les femmes d'Argos, sous la conduite de Télésilla, général et poète à la fois, mettent en fuite, sans autre secours que leur présence, les Spartiates, si e.Npérimentés dans la guerre; tant cette femme avait su inspirer à ses compagnes le mépris de la mort ! L'auteur du poème intitulé la Danatde raconte la même chose des filles de Danaus : « Et aussitôt les filles de Danaus s'armèrent à la hâte sur les « rives du Nil, le fleuve au cours majestueux, etc. Les autres poètes célèbrent la rapidité d'Atalante à la chasse, l'amour maternel d'Anticlée, la tendresse conjugale d'Alceste, le courage de Macaria et des Hyacinthides. Mais quoi ? La pythagoricienne Théano ne s'éleva-t-elle pas assez haut dans la philosophie pour faire cette réponse à un de ses admirateurs ? «Le « beau bras, s'écria cet homme, après l'avoir considérée d'ua « œil curieux ! » « Oui, reprit-elle, mais il n'appartient pas à « tout le monde. « Ou rapporte encore de cette même Théano in 11 parole pleine de gravité. On lui demandait après combien de jours une femme qui avait dormi avec un homme pouvait assister aux fêtes de Cérès : « Si cet homme est son époux, à l'ins« tant même ; s'il ne l'est pas, jamais. » Thémisto de Lampsaque, fille de Zoïle, et femme de Léonte de Lampsaque, se livrait à la philosophie d'Epicure, comme Mya, fille de Théano, à la philosophie de Pythagore, comme Arignote, qui a écrit la vie de Denys. Les filles de Diodore, surnommé Saturne, excellèrent toutes dans la dialectique, ainsi que l'atteste Philon le dialecticien, dans son Ménexène. Yoici leurs noms qu'il nous a transmis : Ménexène, Argia, Théognis, Artémise, Pantaclée. Je me souviens d'une certaine Hipparchia, la Maronite, épouse de Cratés, membre de la secte des Cyniques, et en l'honneur de laquelle les Cynogamies furent célébrées dans le Pécile. La fille d'Aristippe, Arêté, la Cyrénaïque, enseigna la philosophie à Aristippe, qui reçut de cette circonstance le surnom de Métrodidacte ( instruit par sa mère.) Platon eut aussi pour disciples l'arcadienne Lasthénie et Axiothée de Phliase. Aspasie de Milet, dont les Comiques ont fait si grand bruit, ne fut pas inutile à Socrate pour la philosophie, ni à Périclès pour le rhétorique. Je passe les autres sous silence, de peur d'être trop long; je ne compte pas les femmes poctes, Corinne, Télésilla, Mya et Saphoj ni les femmes peintres,Irène, fille deCratmus, etAnaxandra, fille de Néalque, comme on le voit dans les Banquets de Didyme. La fille du sage Cléobule, roi des Indiens, ne rougissait pas de laver les pieds des hôtes que recevait son père. C'est ainsi que la femme d'Abraham, la bienheureuse Sara, prépara elle-même pour les anges des pains cuits sous la cendre; ainsi encore, chez les Hébreux, les jeunes filles du sang royal faisaient paitre les brebis. La Nausicaa d'Homère va laver elle-même à la fontaine. Une femme pudique doit donc commencer d'abord par déterminer son mari, s'il est possible, à marcher conjointement avec elle dans la route qui conduit à la béatitude. Ne peut-elle y réussir? qu'elle marche seule à la vertu, obéissant à son mari en toutes choses, ne faisant rien contre sa volonté, excepté dans ce qui touche à la vertu et au salut. Un homme qui chasserait de sa maison une épouse ou une servante, parce qu'elles suivent avec une sincérité non équivoque les préceptes divins, n'aurait d'autre but que d'éconduire la justice et la tempérance, pour appeler dans sa demeure l'injustice et l'intempérance. Homme ou femme, il est impossible d'être versé dans quelque science que ce soit, à moins d'avoir auparavant étudié, médité, pratiqué ; mais la vertu, nous le déclarons, ne dépend que de notre volonté. La violence et l'oppression peuvent bien nous arracher nos autres richesses; le bien qui est en nous-mêmes, jamais, employassent-elles pour nous le ravir la plus infatigable persistance. La vertu ! Elle est un don d'en haut ; nul autre que Dieu n'a pouvoir sur elle. Voilà pourquoi le vice de l'intempérance ne peut être attribué qu'à l'intempérant, et la tempérance ne peut être regardée que comme un bien propre à l'homme qui sait commander à ses désirs. CHAPlTRE XX. Devoirs d'une femme de bonnes mœurs. Euripide, en traçant dans les vers suivants le portrait d'une épouse qui aime son mari d'un amour «rave et honnête, lui donne ces conseils : « Quoi que dise un époux, il faut que sa compagne le trouve « bon, même quand il ne dirait rien de bon. Pour elle, elle met « tous ses soins à plaire à son époux. » Le même pocte dit ailleurs quelque chose de semblable : * Il est doux, aux jours de l'adversité, que la femme s'afflige « avec son mari, et prenne la moitié de ses douleurs et de ses » joies. » Puis, venant à peindre la douceur et la tendresse de la femme pour son mari quand les tribulations sont arrivées, il ajoute : « Je m'affligerai de ton affliction ; je partagerai tes chagrius, « de moitié dans tous tes maux. Et ailleurs : « Rien ne m'est dur de ce que je souffre pour toi. Il faut par« tager la bonne et la mauvaise fortune de ceux qu'on aime. « L'amitié, qu'est-ce autre chose ? » Voilà pourquoi aussi le mariage selon le Verbe est sanctifié, pourvu que le couple conjugal se soumette à la volonté de Dieu, et se conduise « avec un cœur sincère et une foi parfaite, l'âme « purifiée des souillures de la mauvaise conscience, et le corps « lavé dans l'eau pure, demeurant ferme dans la profession qu'il « a faite d'espérer ce qui a été promis, puisque l'auteur de la « promesse est fidèle. » Mais le bonheur du mariage, il ne faudra le placer ni dans les richesses, ni dans la beauté. Où donc réside-t-il ? dans la vertu. « La beauté d'une femme ne l'a jamais aidée à retenir le « cœur d'un époux, dit la tragédie. Au contraire, la vertu a été « utile à un grand nombre d'entre elles. » En effet, toute femme qui est bonne, une fois attachée à un époux, demeure strictement renfermée dans les devoirs de la pudeur. Puis le poète ajoute sous forme d'avertissement : « Le premier point est celui-ci : Tout homme, fût-il difforme, « doit paraître beau à sa femme, pour peu qu'elle ait d'in« telligence. Car ce n'est pas l'œil, mais l'intelligence qui « juge, etc. « L'Écriture a dit avec beaucoup de sagesse que la femme a été donnée par Dieu à l'homme comme une aide. De là, ses devoirs et son but. Elle opposera aux tribulations qui peuvent venir de l'époux, dans l'intérieur de la communauté, le remède d'une raison, à la fois forte et persuasive. Son époux refuse-t-il de se laisser convaincre, qu'elle s'efforce, autant qu'il est donné à la nature humaine, de se tenir à l'abri du péché, soit qu'il faille mourir, soit qu'il faille vivre, toujours fidèle au Verbe ; bien persuadée que, durant sa vie, ou à l'heure de sa mort, elle aura pour aide et pour appui, le Dieu dont l'assistance, en effet, ne manque jamais, le Dieu qui sauve dans le présent comme dans l'avenir ; le prenant pour guide de toutes Ses actions, estimant que ses devoirs sont la chasteté et la justice, sa fin dernière, l'obligation de plaire à Dieu. J'ouvre l'épltre que l'apôtre adresse à Tite. J'y lis ces sages conseils : « Les femmes avancées en âge , doivent faire voir dans tout leur extérieur une sainte rnodes« tie ; ne point médire, ne point s'adonner au vin, afin qu'elles « inspirent la sagesse aux jeunes femmes, leur apprenant à « aimer leurs maris et leurs enfants, à être prudentes, chastes, « sobres, vigilantes dans leur maison, bonnes, soumises à leurs « maris, de sorte que la parole de Dieu ne soit point exposée au « blasphème. » Mais plutôt, dit encore ailleurs l'apôtre, « tâchez « d'avoir la paix avec tout le monde, et la sainteté sans laquelle « personne ne verra Dieu. Prenez garde qu'il ne se trouve quel, que fornicateur, ou quelque profane comme Esaû, qui, pour « se rassasier une fois, vendit son droit d'aînesse ; que quelque « racine amère, poussant en haut ses rcjetons, n'étouffe la bonne « semence et ne souille l'âme de plusieurs. » Puis, comme pour ajouter le dernier trait à la question du mariage, l'apôtre ajoute : « Qu'en toutes choses le mariage soit respecté et que le « lit nuptial soit sans tache ; car Dieu condamne les fornicateurs « et les adultères. » Comme il n'y a qu'un seul et même but, qu'une seule et même lin pour l'homme ainsi que pour la femme, Pierre a dit du Chrétien parfait, dans sa première épître : « C'est * ce qui doit vous transporter de joie, maintenant même que « pour un temps si court, vous êtes affligés de plusieurs tenta« tions; afin que votre foi, affermie et beaucoup plus précieuse K que l'or périssable qui est éprouvé par le feu, se trouve digne « de louanges, d'honneur et de gloire, au jour de la révélation « de Jésus-Christ ; lui que vous aimez, quoique vous ne l'ayez « point vu, et en qui vous croyez, quoique vous ne le voyiez « point encore. C'est parce que vous croyez que vous serez coca • blés d'une joie ineffable et glorieuse, remportant le prix de « votre foi, qui est le salut de vos âmes. Voilà pourquoi Paul « aussi se glorifie d'avoir essuyé plus de travaux, reçu plus de « coups que personne, et de s'être vu souvent près de la mort, « tout cela à cause de Jésus-Christ. CHAPITRE XXI. Du Chrétien parfait, ou du véritable Gnostique. Ici, la perfection, à mon avis du moins, peut s'entendre de plusieurs manières, selon la nature de la vertu dans laquelle on excelle. Il y a la perfection de la piété, de la patience, de la chasteté, de la tempérance, des bonnes œuvres, du martyre et de la connaissance. Mais, être à la fois parfait dans chacune de ces vertus, je ne sais s'il est donné à aucun homme, du moins aussi longtemps qu'il est homme , excepté à celui qui a revêtu notre humanité, de réaliser cette sublime prérogative, même aux yeux de la loi considérée isolément. Quel sera donc l'homme parfait? celui qui fait profession de s'abstenir de tout mal. Telle est la voie qui mène à l'Évangile et à la pratique du bien. Mais la perfection gnostique, pour tout homme qui vit sous la loi, c'est de croire en outre à l'Évangile. Par lui, l'homme de la loi s'élève à la perfection. Moïse, qui vivait sous l'empire de la loi ancienne, a prédit qu'il fallait écouter avec ces dispositions, afin que nous recevions, suivant le langage de l'apôtre, le Christ, qui est l'accomplissement et la plénitude de la loi. Or, le Gnostique avance à grand pas dans l'Évangile, non pas seulement parce que la loi lui a servi d'échelon pour arriver au code nouveau, mais parce qu'il a entendu et compris la loi telle que l'a transmise aux apôtres, le Seigneur, qui est l'auteur des deux Testaments. Que s'il a réglé sagement sa vie, comme cela n'est point douteux, puisqu'il est impossible que \agnose marche péniblement dans le bien ; que si en outre, après un témoignage irrépréhensible rendu à Dieu, il est martyr, et martyr par amour, acquérant par cette confession la plus grande gloire que l'on puisse obtenir parmi les hommes, avec tous ces mérites, il ne sera pas encore proclamé parfait, tant qu'il sera dans la prison du corps. Ce titre auguste est réservé exclusivement au dernier acte de la vie, lorsque le martyr gnostique sera enfin parvenu à manifester au grand jour la perfection de ses œuvres dans leurs dernières conséquences ; lorsque, soutenu par la charité, éclairé par la sagesse, il aura consommé le sacrifice de son sang, et rendu à Dieu cet esprit qu'il en avait reçu. C'est à partir de ce moment qu'il est bienheureux, et qu'il est proclamé de droit consommé dans Injustice,» afin que ce qu'il y a de sublime parmi « nous soit attribué à la puissance de Dieu, et non pas à nous,* suivant l'apôtre. Seulement conservons la liberté et la charité. « Nous subissons toute sorte d'afflictions, mais nous n'en sommes « point accablés ; nous nous trouvons dans de grandes difficul« tés, mais nous n'y succombons pas. Nous sommes persécutés, « mais nous ne sommes pas abandonnés ; nous sommes renver» sés,maisnousnesommespasperdus.»Il faut,poursuit l'apôtre) « que ceux qui tendent à la perfection évitent de donner aucun « scandale, et qu'ils se rendent recommandables en toutes cho« ses, non aux hommes , mais ù Dieu ; » ajoutez : et qu'ils obéissent aussi aux hommes. La raison le veut, à cause des violences et des malédictions qu'entraînerait le refus. « Or, on se » recommande par une grande patience dans les maux, dans les « nécessités, dans les afflictions, sous les coups, dans les pri« sons, dans les séditions, dans les travaux, dans les veilles, « dans les jeûnes, par la pureté, par la connaissance, par une « douceur persévérante, par la bonté, par les fruits du Saint« Esprit, par une charité sincère, par la parole de vérité, par « la force de Dieu, afin que nous soyons des temples consacrés « à Dieu et purifiés de tout ce qui souille le corps et l'esprit. Et « je vous recevrai ; et je serai votre père, et vous serez mes fils « et mes filles, dit le Seigneur tout-puissant. Achevons donc, « dit l'apôtre, l'œuvre de notre sanctification dans la crainte de « Dieu. » Car, bien que la crainte engendre la tristesse, «je me « réjouis, non de ce que vous avez eu de la tristesse, mais de ce « que votre tristesse vous a portés à la pénitence. La tris« tcsse que vous avez éprouvée a été selon Dieu, de sorte qu'en « cela nous ne vous avons fait aucun tort. La tristesse qui est « selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable, au lieu « que la tristesse de ce monde produit la mort. Voyez, en effet, « ce qu'a produit en vons cette tristesse selon Dieu que vous « avez ressentie, quelle sollicitude! quel soin de vous justifier! « quelle indignation ! quelle crainte ! quel désir ! quel zèle ! « quelle ardeur pour punir le crime ! Vous avez montré par « toute votre conduite que vous étiez purs et irréprochables « en cela. » Tels sont les exercices préparatoires avant d'entrer dans la carrière gnostique. Mais, puisque le Tout-Puissant luimême « a fait les uns apôtres, les autres prophètes ; ceux-ci « évangélistes, ceux-là pasteurs et docteurs, afin qu'ils travail« lent à la perfection des saints, aux fonctions de leur minis« tère, à l'édification du corps de Jésus-Christ, jusqu'à ce que « nous parvenions tous à l'unité d'une même foi et d'une même « connaissance du fils de Dieu, à l'âge de l'homme parfait et de « la plénitude de Jésus-Christ ; » il faut nous efforcer de devenir hommes par la connaissance, de nous approcher le plus possible de la perfection, quoique retenus encore dans la chair. Nous y parviendrons si, unis ici-bas de cœur et de pensée avec Dieu, nous nous conformons à sa volonté, pour reconquérir le privilège de notre noblesse et de notre parenté sublimes, dans la plénitude du Christ en qui réside toute perfection absolue et consommée. Nous comprenons déjà pourquoi, comment, quand on est parfait aux yeux de l'apôtre, et quelles sont les différences qu'il établit entre les hommes parfaits. « Les dons du Saint-Es« prit qui se manifestent au dehors, dit-il ailleurs, sont dé« partis à chacun pour l'utilité de l'Église. L'un reçoit du Saint« Esprit le don de parler avec sagesse, l'autre reçoit du même « Esprit le don de parler avec science, un autre reçoit le don « de la foi par le même Esprit; un autre reçoit du même Esprit « le don de guérir les maladies; un autre, le don des miracles; « un autre, le don des prophéties ; un autre, le don de discer« ner les esprits; un autre, le don de parler diverses langues; • un autre le don de les interprêter. Or, c'est un seul et même « Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses • dons selon qu'il lui plait. » Puisque les choses se gouvernent ainsi, les prophètes sont parfaits dans la prophétie, les justes dans la justice, les martyrs dans le témoignage du sang, les autres dans la prédication. Nous ne voulons pas dire qn'ib soient étrangers à la pratique des vertus ordinaires ; mais ils excellent dans les vertus à la manifestation des quelles Dieu les a destinés. Je le demande, où est l'homme sensé qui dira, par exemple, que le prophète ne pratique pas la justice ? Et Is justes, tels qu'Abraham, n'ont-ils pas eu aussi le don de prophétie ? « A l'un, dit Homère, Dieu a donné la science des combats, « à l'autre, l'art de la danse; à celui-ci, la cythareet la douceur des chants. » Oui, chacun a son don particulier, selon qu'il l'a reçu de Dieu, l'un d'une manière, l'autre d'une autre. Toutefois les apôtres furent accomplis en tout. Parcourez leurs actions ; ouvrez leurs écrits, vous trouverez, si vous le voulez, la science, la vertu, la prédication, la chasteté, la prophétie. Il est bon de savoir néanmoins que Paul, bien qu'il appartienne à une époque plus rapprochée de nous, puisqu'il n'a paru dans l'apostolat qu'après l'ascension du Seigneur, se rattache par ses écrits à l'ancien Testament. C'est là qu'il s'inspire; c'est par là qu'il parle. La foi en Jésus-Christ et la connaissance de l'Evangile, voilà l'exposition et l'accomplissement de la loi. C'est pour cela qu'il a été dit aux Hébreux : « Si vous ne croyez pas « mes paroles, vous ne comprendrez pas. » Qnest-ce à dire ? S vous n'avez pas foi en celui dont l'avènement a été prédit et figuré par la loi, vous ne comprendrez pas l'ancien Testament que le sauveur explique par son incarnation. CHAPITRE XXII. Ni la crainte du supplice, ni l'espoir de la recompense no duivcnt être le mobile du vrai Gnostiquc. Il n'est guide que par l'amour du bien et du beau. envisages en eux-mêmes. Ainsi, l'intelligence et le discernement sont les traits qni caractérisent le Gnostique. Mais son œuvre ne se borne pns à s'abstenir de tout mal, ce n'est-là qu'un degré pour [s'élever plus haut, il faut encore qu'il ne se laisse jamais guider par la crainte. ll est écrit : « Où fuir, où me cacher de votre face? Si je monte « vers les deux, vous y êtes; si je me relire aux extrémités de • la mer, votre droite y est ; si je descends au fond des abîmes, « votre esprit y est. » Le Gnostique ne fait pas non plus le bien en vue de la récompense promise ; car il est dit : « Voici le Sei« gneur, et sa récompense est devant sa face ; il vient pour ren« dre à chacun selon ses œuvres. L'œil n'a point vu, l'oreille « n'a point entendu, et le cœur de l'homme n'a jamais conçu ce « qne Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment. » Quel sera donc le mobile du Gnostique? Le bien, ayant son principe dans l'amour, et le beau, considéré en lui-même ? « N'at-il pas été dit « au Seigneur par Dieu le Père : « Demande-moi, et je te don • nerailcs nations pour héritage? » Prière vraiment royale, qui nous enseigne à demander gratuitement au roi de l'univers le salut des hommes, afin que le Seigneur soit notre héritage et notre possession ! Au contraire, aspirer à la science qui est en Dieu, dans un but d'utilité quelconque, soit pour que telle chose arrive, soit pour que telle chose n'arrive pas, ce n'est pas là le propre du Gnostique. Il ne veut d'autre fin à la contemplation que la connaissance elle-même. J'oserai l'affirmer, ce n'est point en vertu du salut que l'homme, qui poursuit la connaissance pour cette science divine elle-même, embrassera la connaissance. En effet, l'intelligence devient, par un exercice continuel, l'intelligence permanente. Or, comprendre toujours forme l'essence du Gnostique, dont l'activité ne connaît ni rallentissement ni interruption ; et cette contemplation permanente produit chez lui une substance vivante. Voici une hypothèse : Si on proposait au Gnostique de choisir entre la connaissance de Dieu et le salut éternel, et que ces deux choses, absolument Inséparables, pussent se séparer, il choisirait, sans balancer un seul moment, la connaissance de Dieu, estimant qu'il faut préférer pour elle-même la faculté, inhérente à la foi, de s'élever à la connaissance par l'amour. Tel est donc le premier principe du bien chez l'homme parfait : il n'agit point dans une vue d'intérêt personnel. Mais a-t-il jugé que faire le bien est quelque chose de beau et de glorieux, l'ardente impulsion de son âme l'y portera constamment et avec énergie ? Vous ne le verrez point aujourd'hui vertueux, demain criminel ou indifférent : sa marche est régulière et affermie dans le bien. En outre, ce n'est ni pour la gloire, ni pour la bonne renommée, comme parlent les philosophes, ni en vue d'une récompense qu'il attend de Dieu ou des hommes, qu'il règle tout le cours de sa vie à l'image et à la ressemblance du Seignenr. Que si parfois, au bien que fait le gnostique, on répond par le contraire, oublieux des injures, il rejettera comme mauvaise toute pensée de rendre le mal pour le mal, au souvenir que Dieu se montre juste et bon pour les justes et pour les injuste. Le Seigneur dit à ceux qu'animent ces sentiments : « Soyez par« faits comme votre père céleste est parfait.» Le gnostique est mort dans sa chair; il n'y a plus que lui qui vive. Ce sépulcre de lui-même, il en a fait un temple saint qu'il a consacré au Seigneur, en élevant à Dieu son âme, autrefois sujette au péché. On ne peut plus dire qu'il soit continent; il est parvenu à une sorte d'impassibilité inaccessible aux passions humaines, et il attend que Dieu le revête de la forme divine. « Lorsque vous faites l'aumône, dit le Seigneur, que personne « n'en soit instruit, et quand vous jeûnez, parfumez-vous, afin « que Dieu seul le sache. » Tous les hommes doivent ignorer le bien que l'on fait. Le miséricordieux lui-même ne doit pas savoir qu'il est miséricordieux ; autrement, il serait miséricordieux parfois et parfois il ne le serait pas. Mais quand ce sera par habitude et par manière d'être qu'il exercera la bienfaisance, il se rapprochera de la nature du bien. Cette disposition intérieure se transformera chez lui en nature et en pratique assidue. N'espérons pas toucher par un premier et sublime essor le but marqué; il faut y arriver pas à pas, en parcourant toute la voie étroite. Ces mots : Être attiré par le Père, ne signifient pas autre chose que mériter de recevoir la vertu de la grâce qui vient de Dieu, afin d'avancer par elle sans obstacle dans la route difficile de la perfection. S'il arrive que l'élu soit en butte à la h,aine de quelque? hommes, il connaît leur ignorance, et il a pitié de leur aveuglement. C'est donc avec raison que la connaissance elle-même, animée par la charité, instruit l'ignorance à respecter dans chaque créature l'œuvre du Tout-Puissant. Si elle a appris à aimer Dieu, sa vertu, dès lors inamissible, l'accompagnera dans la veille, dans le sommeil, dans la vision, puisque ce qui est devenu une essence spirituelle ne sort pas de soi-même pour décheoir de ses conditions d'existence. Soit donc qu'on appelle la connaissance une nouvelle nature, soit qu'on la nomme une disposition intérieure, toujours est.il que la partie directrice de l'âme, par cela même qu'elle ne reçoit jamais de pensées étrangères, immuable dans son action, ne prend rien des formes variables qui passent devant elle, et ne poursuit en songe aucune de ces images qui reviennent la nuit préoccuper les esprits qu'elles ont ébranlés le jour. Voilà pourquoi le Seigneur nous recommande aussi de veiller, afin que notre âme ne soit jamais troublée par les passions, pas même en songe. Il veut que notre manière d'être pendant la nuit soit réglée comme pendant le jour, et que nous conservions notre sommeil pur et sans tache. La manière de ressembler à Dieu, autant du moins qu'il est en nous, c'est de maintenir notre esprit dans la constante application aux mêmes choses, disposition qui est au pouvoir de l'esprit en tant qu'esprit. Ses inconstances et ses variations accusent une trop grande ardeur pour les choses de la matière. Telle est la raison pour laquelle les Grecs, j'imagine, ont nommé la nuit bonne conseillère, parce que l'âme,dégagée alors de l'empire des sens,se replie sur elle-même pour appartenir tout entière aux inspirations de la sagesse. Voilà pourquoi encore les mystères se célèbrent la nuit, comme pourîlgwrer l'action par laquelle l'âme s'isole du corps pendant les ténèbres. « Ne nous laissons donc « point aller au sommeil, comme les autres; mais veillons et « soyons sobres; car ceux qui dorment dorment la nuit, et « ceux qui s'enivrent s'enivrent durant la nuit. Pour nous, • enfants du jour, soyons sobres, en prenant pour cuirasse « la foi et la charité, et pour casque l'espérance du salut." Ce que l'on dit du sommeil, il faut l'entendre aussi de la mort. L'un et l'autre état figurent la retraite de l'âme; la mort en est une image complète, le sommeil, une image affaiblie. Héracllte, au besoin, nous donnerait la même leçon: «La « mort, dit-il, touche au sommeil, puisque l'homme y est privé « de la lumière; dans le sommeil, la vie touche à la mort; « dans l'état de veille, la vie de l'homme qui est privé de la « vue, touche au sommeil.» «Bienheureux, en effet, suivant les « expressions de l'apôtre, ceux qui connaissent le Seigneur, « parce que l'heure est déjà venue de nous réveiller de notre « assoupissement. Car nous sommes plus près de notre salut « que quand nous avons reçu la foi. La nuit est déjà avancée « et le jour s'pproehe. Quittons donc les œuvres de ténèbres et « revotons-nous des armes de la lumière.» L'apôtre appelle métaphoriquement le Fils du nom de lumière et de jour; par une autre métaphore, les préceptes sont les armes de la lumière. Voilà pourquoi il nous est recommandé de ne nous présenter à l'autel pour le sacrifice et la prière que purifiés par les ablutions, lavés et couverts de riches vêtements. 11 faut encore voir un symbole dans ces prescriptions qui enjoignent d'orner l'extérieur. La purification véritable consiste à n'entretenir en soi que des pensées saintes. Ces ablutions légales, dont la tradition a passé de Moïse aux poctes profanes, figuraient aussi le baptême des Chrétiens. On Ht dans ces poètes : « Pénélope, après s'être purifiée dans l'eau expiatoire et « avoir revêtu des habits nouveaux, monte au temple pour y « prier.» — « Télémaque trempe ses mains dîrns la vague écu« mante de la mer, puis adresse une prière à Minerve. » Les Juifs avaient aussi coutume de se purifier à diverses reprises, en sortant du lit conjugal. Elle est donc pleine de sagesse cette parole : « Sois pur moins par l'eau que par l'esprit ; » car « c'est une pureté parfaite, j'imagine, que la pureté de l'esprit, la pureté des œuvres, la pureté des pensées, la droiture des paroles, et en dernier lieu, la virginité de l'âme jusque dans le sommeil. Nous sommes, si je ne me trompe, suffisamment purifiés par un repentir sincère et durable, lorsque, condamnant nos fautes précédentes, nous marchons en avant, éclairés dans notre intelligence et soulevant notre âme plongée dans la matière, pour la détacher des voluptés sensuelles et des péchés passés. S'il me fallait donner l'étymologie du mot science (en grec épistêm6},']v l'emprunterais au mot stasis, qui signifie station, repos, parce que la science arrête dans la réalité des choses notre esprit, tout à l'heure flottant et incertain. Le même mot a formé l'étymologie de la tol,(pistis) qui n'est que la station ou le repos de l'esprit dans ce qui est (péri to on stasis}. Pour nous, Chrétiens, nous aspirons à connaitre celui qui est juste, toujours et en toutes choses, qui, pour demeurer éternellement juste, n'a pas besoin de craindre les supplices portés par la loi, de redouter la haine de ses contemporains et des vengeurs de la vertu, de trembler enfin devant le péril auquel l'ont exposé ses crimes et ses bassesses. S'abstrnir de l'injustice par des motifs semblables, c'est être bon par crainte et non par choix. Kpicure dit que « le sage, ou du « moins celui qu'il regarde comme tel, ne voudrait jamais « commettre une injustice, quelque profit qu'il dût lui en re« venir; cnr il ne peut avoir la certitude qu'elle restera tou« jours secrète.» Ainsi donc, ô Epicure, ton sage ferait le mal, si on pouvait lui garantir qu'il ne sera point découvert. Voilà de tes dogmes pleins de ténèbres ! Il y a plus ; si l'on se tient éloigné de l'injustice, dans l'espoir des récompenses que Dieu réserve aux bonnes actions, on n'est pas même, dans ces dispositions, bon de son propre mouvement. Dans le premier cas, c'est la crainte, dans le second, c'est la récompense qui donne la justice, je me trompe, une ombre de justice. Que l'espérance qui attend l'homme par de là le tombeau doive être bonne pour les gens de bien, et fatale pour les méchants, ceux qui ont embrassé la philosophie barbare ne sont pas les seuls à le savoir. Les Pythagoriciens professent le même dogme, puisqu'ils proposent l'espérance pour but à ceux qui s'adonnent à la philosophie. Socrate dit dans le Phédon, « que les urnes des - hommes vertueux quittent ce monde avec l'espérance de « la félicité.» Puis , blâmant les méchants, il dit par opposi« tion:«Ils vivent dans une espérance mauvaise.«Héraclite est d'accord avec Socrate dans ce passage de son discours sur l'Homme : « Des choses que l'homme ne peut ni espérer ni « attendre lui sont réservées après sa mort. » Il était donc inspiré par Dieu l'apôtre qui écrit aux Romains : « L'affliction « produit la patience ; la patience , l'épreuve ; l'épreuve, « l'espérance, et cette espérance ne sera pas confondue. » En effet, la patience souffre en vue de l'espérance à venir. L'espérance signifie à la fois ce que l'on attend et la possession de la chose attendue. L'espérance, dans cette dernière acception, ne sera pas confondue, puisqu'elle n'aura plus rien de variable ni d'illusoire. L'homme qui obéit à la vocation pour elle-même, uniquement parcequ'il a été appelé, ne tend vers la connaissance ni par les menaces de la crainte, ni par l'attrait du plaisir. En retirera-t-il au dehors quelque fruit ou quelque délectation ? Il ne l'examine pas. Entraîné par l'amour de celui qui est réellement aimable, et conduit au devoir, il rend à Dieu un culte légitime. Supposez, si vous le voulez, que Dieu lui ait donné le pouvoir de faire impunément ce qui est défendu ; supposez qu'en retour de la violation de la loi, la félicité des bienheureux lui soit assurée; supposez même, ce qui est impossible, que ses actions doivent demeurer toujours un mystère pour Dieu, jamais il ne consentira à rien faire contre la raison, une fois qu'il aura embrassé ce qui est vraiment beau et désirable en soi-même, et par conséquent aimable et digne d'être recherché. Le bien, en effet, n'est pas dans l'entretien et la nourriture du corps. Notre Gnostique sait « que ce qui nous rend agréables à Dieu n'est « pas le manger, » ni le mariage, ni le célibat lorsqu'il est gardé par une aberration de l'intelligence, mais les œuvres vertueuses qui ont pour principe la lumière et la sagesse. S'il en était autrement, l'animal privé de raison aurait la tempérance, lorsqu'il ne touche point à la nourriture sous le bâton que son maître lève contre lui. Annuliez les promesses faites à ces prétendus hommes de bien ; écartez de leur tête le danger qui les menace, et à l'instant même vous verrez le fond de leur cœur. CHAPITRE XXIIl. le .vrai Gnostique s'abstient autant qu'il est en lui de tout ce qui flatte les sens ; et il sacrifie ces biens à des biens d'un ordre supérieur. En effet, ces hommes ne s'unissent pas assez étroitement à la nature des choses pour comprendre réellement, et avec les lainières de la gnose, que tout ce qui a été créé pour notre usage est bon, le mariage, par exemple, et la procréation des enfants, pourvu que l'on en use avec tempérance; mais qu'il est encore meilleur de se dégager des passions et de s'établir dans la vertu par sa ressemblance avec Dieu. Parmi les biens ou les maux qui viennent du dehors, ils s'abstiennent des uns, et nullement des autres. Il y a plus : dans les choses dont ils s'éloignent avec horreur, on les voit accuser la créature et le Créateur ; fidèles en apparence, le fond de leurs pensées est impie. Ce commandement : « Tu ne convoiteras pas, » n'a besoin ni de la nécessité qui provient de la crainte, et qui impose l'abstinence des choses agréables, ni de la récompense qui, par l'invitation de la promesse, engage à réprimer les désirs criminels. Ce n'est point à cause du précepte en lui-même, mais à cause de la promesse, que choisissent l'obéissance ceux qui obéissent à Dieu, en vue de ses rémunérations, et attirés par elles comme par un appât. Toutefois l'aversion pour les choses sensibles n'a pas pour conséquence de nous unir aux choses qui sont perçues par l'intelligence. Au contraire, l'union aux choses perceptibles uniquement à l'intelligence, détourne naturellement le Gnostique des choses sensibles, comme il convient à un homme qui, par le choix de ce qui est beau, a embrassé le bien avec pleine connaissance, qui bénit la génération et proclame la sainteté du Créateur, mais aussi bénit et sanctifie la ressemblance qui nous rapproche de Dieu. Il dira : «Cependant je • veux me délivrer du désir, Seigneur, afin de m'unir plus étroi« tement à vous. L'économie de ce monde est belle et les lois « qui régissent la création sont pleines de sagesse. Rien n'arrive « sans cause. Il faut que je vive, A Seigneur tout-puissant, « parmi les œuvres de vos mains. Mais, tout en demeurant au « milieu d'elles, je suis dans vous. Loin de moi la crainte, « afin que je puisse approcher de vos grandeurs ! Je veux me « contenter ici-bas de peu, tâchant d'imiter la justice de votre « élection, qui discerne le bien d'avec ce qui n'en a que les ap« parences. » Les saints et mystiques enseignements de l'apôtre nous apprennent quel est le choix vraiment agréable à Dieu. Ce choix consiste, selon lui, moins à répudier certaines choses comme mauvaises, qu'à estimer qu'il y a d'autres biens meilleurs que les biens ordinaires. Voici ses paroles : « Et ainsi, celui qui ma« rie sa fille, fait bien; mais celui qui ne la marie point, fait « encore mieux, la mettant à même de se porter à ce qui e& « plus saint, et de prier le Seigneur sans obstacle. » Or, nous le savons, les choses d'une acquisition difficile ue sont point nécessaires , tandis que les choses nécessaires ont été comme placées sous notre main par la bonté du Créateur. Aussi Démocrite a-t-il eu raison de dire que « la nature et la doctrine sont cho« ses presque identiques. » Nous en avons déjà indiqué la cause en peu de mots. En effet, la doctrine règle l'homme commii on accorde un instrument; en le façonnant de la sorte, elle lui crée une nouvelle nature; car il n'importe en rien que l'homme, tel qu'il est, soit l'ouvrage de la nature, ou qu'il ait été ainsi discipliné par le temps et la doctrine. Du Seigneur proviennent l'un et l'autre bien, l'un par la voie de la création, l'autre par la voie de la régénération et de la rénovation qui résultent de la nouvelle alliance. Le choix doit porter surtout sur ce qui est utile à la partie la plus noble de l'homme; or, la partie la plus noble de toutes est l'intelligence. Avec ces pensées, les choses réellement bonnes paraissent les plus agréables, et donnent d'elles-mêmes les fruits qu'on attend, je veux dire la sérénité de l'âme. « Ce« lui qui m'écoute reposera en paix avec confiance, et libre de « crainte. Aucun mal ne viendra le troubler. Confiez-vous en « Dieu de tout votre cœur et de tout votre esprit. »Par là, le vé ritable Gnostique est déjà un Dieu. « Je vous l'ai dit : Vous êtes • des dieux et les fils du Très-Haut. » Empédocle drille aussi dans les paroles suivantes les âmes des sages : • Enfin, les devins, les poctes et les médecins sont les pre • miers des mortels. Viennent-ils à quitter la terre, ils renais« sent dieux, et sont environnés des plus grands honneurs. » L'homme, envisagé dans son abstraction et d'une manière absolue, est conçu selon l'idée de l'esprit qui lui est uni. Il n'est pas créé sans forme dans le laboratoire de la nature où s'accomplit mystérieusement l'œuvre de la génération humaine, puisque l'être et la forme de l'être sont chose commune à tous. Quant à l'homme, pris individuellement, il reproduit dans son caractère le type qu'ont imprimé à son âme les objets de sa prédilection. C'est ce qui nous fait dire qu'Adam a été parfait, dans ce qui concerne l'organisation, puisque rien ne lui manqua de ce qui caractérise l'idée et la forme humaines. Il reçut son perfectionnement en même temps que la vie, et il fut justifié par l'obéissance. Voilà ce qui s'élevait graduellement eu lui à la maturité, je veux dire la faculté dont il était le maitre, autrement, son libre arbitre. Que sa volonté ait choisi, et qu'elle ait choisi l'objet défendu, la faute ne doit point en être imputée à Dieu. On distingue deux sortes de génération; celle des êtres qui sont engendrés, celle des choses qui adviennent. Le courage de l'homme , puisque l'homme est par sa nature sujet aux passions et aux troubles de l'âme, selon le langage usuel, affranchit de la crainte et rend invincible quiconque participe à ses mâles inspirations. La force du cœur est donc comme le satellite de l'esprit pour le maintenir dans la patience, la résignation et les autres vertus semblables. La tempérance et la prudence, avec ses salutaires effets, se rangent sous le chef du désir. Mais Dieu est impassible, sans colère, sans désirs j inaccessible à la crainte, sans qu'on puise dire qu'il ait des périls à éviter ; tempérant, sans qu'on puisse dire qu'il ait des désirs à maîtriser. La nature de Dieu, en effet, ne peut tomber dans aucun péril ; aucune crainte ne peut l'assaillir, de même qu'il ne peut avoir aucun désir ù réprimer. Cette parole de Pythagore : « Il faut que l'homme aussi devienne an, » est donc répétée chez noas avec son sens mystique. Dieu, en effet, étant un, il ne doit y avoir qu'un pontife de Dieu, à l'image de cette immuable essence d'où découlent tous les biens. Le Sauveur, en interdisant jusqu'au désir, a coupé dans sa racine la colère qui n'est au fond que le désir de la vengeance. En général, le désir, quel qu'il soit, renferme un élément de trouble et de passion. Tout homme qui est parvenu à maitriser les mouvements désordonnés de l'âme et participe en vertu de son innocence à la nature divine, s'élève à cette sublime unité. Semblable à ces marins qui ont jeté l'ancre, et qui, en voulant attirer à eux l'ancre tutélaire, se mettent eux-mêmes en mouvement vers elle, le véritable Gnostique, en s'efforçant par une vie parfaite d'attirer Dieu à lui, gravite lui-même à son insu vers la majesté divine. Qui sert Dieu se sert lui-même. Ainsi donc, dans la vie contemplative, c'est veiller à ses plus chers intérêts que d'adorer Dieu, et la plénitude de la purification introduit la sainteté de l'homme dans la contemplation de la sainteté par essence. En effet, la tempérance qui s'observe et se contemple elle-même, sans jamais se démentir, s'assimile à Dieu, autant du moins que l'assimilation est possible. CHAPITRE XXIV. De la cause et de la fia des peines infligées par Dieu. Du moment qu'une chose et son contraire, comme, par exemple, de philosopher ou de ne pas philosopher, de croire ou de ne pas croire, sont également entre nos mains, on peut affirmer que ces choses sont en notre pouvoir. Et pareillement, de ce que nous sommes maitres de deux choses contraires, il suit que ce qui est en notre pouvoir est possible. Par conséquent, il est en notre pouvoir d'accomplir ou de ne pas accomplir les préceptes. Il est donc juste que la louange et le blâme résultent de nos actes ; et le pécheur, puni pour les fautes qu'il a commises, est puni pour ses fautes uniquement. Les transgressions précédentes ont eu lieu ; il ne peut jamais advenir que ce qui a été n'ait jamais été. Le Seigneur remet donc les fautes commises, avant la foi, et il les remet, non pas pour qu'elles n'aient pas été commises, mais pour qu'elles soient comme non avenues. —• « La - rémission ne porte pas sur tous les péchés, s'écrie ici Basi« lide ; elle ne tombe que sur les transgressions involontaires « échappées à la surprise et à l'ignorance, » comme si c'était un homme et non pas un Dieu qui nous ouvrit le trésor de ses dons : L'Écriture-Saiute va répondre à l'hérétique : « Ton ini« quité m'a jugé semblable à toi. » Toutefois, quoique nous soyons punis pour des fautes volontaires, ce n'est pas ufln que les prévarications puissent n'avoir pas été commises, mais précisément parce qu'elles l'ont été, que nous sommes punis. La punition ne donne pas au coupable la possibilité de n'avoir pas failli, elle l'aide à ne plus faillir désormais ; elle dit en outre au prochain : Garde-toi de tomber dans la même faute. Dieu donc, dans sa bonté, nous châtie ici-bas pour trois raisons : d'abord pour que le châtiment rende meilleur celui qui en a été l'objet; en second lieu, pour que ceux qui peuvent être sauvés soient préparés d'avance au salut par l'exemple du prochain ; troisièmement, enfin, pour sauver du mépris la victime d'une injustice et empêcher le renouvellement de l'outrage. Nous distinguons deux modes de corrections, l'un qui emploie la doctrine, l'autre le châtiment qu'on appelle aussi mode coërcitif. 11 faut savoir encore qu'il n'y a de châtié que les transgressions après le baptême. Les fautes antérieures ont été remises ; les fautes postérieures ont besoin de purification. Il a été dit des incrédules • qu'ils ont été regardés comme la poussière que le vent balaie « à la surface du sol, comme une goutte d'eau qui tombe d'un « vase. » CHAPITRE XXV. La véritable perfection r«.-ide dans la conruis'-;.nce et dans l'amour de Dieu. « Heureux l'homme qui possède les règles de la science, q«4 « ne se propose pour but ni le dommage de ses concitoyens, ni « les œuvres de l'iujustice, mais qui contemple l'indéfectible « ornement de l'immortelle nature, et sait en quoi elle consiste, « pourquoi et comment elle est toujours inaltérable. Jamais la « pensée d'une action honteuse ne surgit dans ces sortes d'in« telligences. « Platon a donc eu raison de dire « que l'homme « adonné à la contemplation des idées vivra comme un Dieu « parmi les mortels. L'esprit est le siège des idées ; Dieu est le « siège de l'esprit. » Vous l'entendez ! Platon a dit de l'homme appliqué à la contemplation du Dieu invisible qu'il est un dieu vivant parmi les mortels. Dans le Sophiste, Socrate appelle aussi dieu son hôte d'Élée parce qu'il excelle dans la dialectique, et il le compare * à ces dieux qui, à la manière des hôtes étran« gers, vont de cité en cité. En effet, quand l'âme planant « au dessus de la matière, existe par elle-même de sa vie propre « et n'a de relations qu'avec le monde des idées, » ainsi que le Coryphée dans le Théétèle, l'homme, élevé jusqu'à la nature de l'ange, habite avec le Christ, et plonge dans la contemplation, méditant toujours la volonté de Dieu. Et véritablement : » Voilà le seul sage ; tout le reste voltige ça et là, comme « des ombres fugitives. » « Car les morts ensevelissent leurs morts. » C'est de là que Jérémie a dit : « J'entasserai dans la ville les cadavres des en« fants de la terre, que je frapperai dans mon indignation. » Dieu, ne pouvant être démontré, n'est point le principe de la science. Mais le Fils est à la fois, sagesse, vérité, science, enfin tout ce qui peut avoir avec elles un rapport de parenté. De plus, il possède la démonstration, et l'explication de toutes choses. Toutes les puissances de l'esprit ayant été créées une seule chose, convergent au même centre , le Fils. Il est infini dans chaque notion de ses puissances, bien qu'il ne soit pas réellement un, comme ce qui est un mathématiquement , ni multiple comme ce qui admet plusieurs parties, mais en tant qu'enveloppant tout dans son unité, et dès lors un étant toutes choses. Car il est le cercle de tontes les puissances qui se meuvent en lui et s'unissent dans une seule et même circonférence. Telle est la raison pour laquelle le Verbe a été appelé l'Alpha et l'Oméga, parce qu'il est le seul dont la fin est le commencement, dont le commencement est la fin, sans aucun intervalle, sans aucune dimension. Voila pourquoi croire au Verbe et par le Verbe, c'est arriver à l'unité, c'est-àdire, être uni au Verbe par des liens indissolubles. Au contraire, ne pas croire au Verbe, c'est tomber dans la duité, dans la division, dans le partage. C'est ce qui a fait dire au Seigneur : » Tout enfant étranger, incirconcis de cœur et de « chair, c'est-à-dire impur de corps et d'esprit, n'entrera pas « dans mon sanctuaire, ni tout étranger qui est au milieu des « enfants d'lsraël. Les lévites seuls y entreront. » Quels sont ces étrangers ? Ceux qui, au lieu de croire, veulent demeurer incrédules ? Il n'y a donc de véritables pontifes de Dieu que ceux qui mènent une vie pure. Aussi, parmi toutes les tribus qui se faisaient circoncire, celles-là étaient regardées comme les plus saintes, dont les fils recevaient, avec la consécration de l'huile, les fonctions de pontife, de roi, de prophète. Aussi le prophète leur recommande-t-il de ne pas toucher un cadavre, de ne pas entrer dans la chambre d'un mort, non pas que le corps soit chose perverse, mais parce que la désobéissance et le péché sont des œuvres de la chair inhérentes an corps, mortes avec lui, et par-là même abominables. Il n'a donc été permis au prêtre d'entrer dans la chambre d'un mort, que dans le cas où ce serait son père, sa mère, son fils ou sa fille, parce que les relations de la chair et du sang se bornent pour le prêtre aux rapports de filiation et de paternité. Les prêtres se purifient encore pendant sept jours, autant de jours que dura la création. Le septième, ils célèbrent le repos de Dieu ; le huitième, « ils présentent une oblation pour leur péché » comme il est écrit dans Ézéchiel. Par cette oblation, il faut entendre la promesse. Mais la purification parfaite, à mon avis, c'est la foi vraiment propitiatoire qui conduit par la loi et les prophètes à l'Évangile ; c'est la pureté qui consiste dans une obéissance entière, avec l'abandon et le détachement de toutes les c-hoscs terrestres jusqu'au jour où nous rendrons à lateire, pour la joie de notre âme, cette tente de l'humanité. Que ce soit donc à l'année qui ramène le sabbat suprême, tous les sept ans ; que ce soit anx sept cieux, dont quelques-uns font des degrés intermédiaires entre Dieu et nous; que ce soit enfin à la région errante, voisine du monde des intelligences, que le prophète fasse allusion par la huitaine, dont il a parlé, toujours est-il que le véritable Gnostique devra, selon lui, se dégager du monde sensible et avant tout, du péché. C'est pourquoi, pendant sept jours, des victimes sont immolées pour l'expiation de l'iniquité; il faut craindre encore qu'il n'en reste quelque trace, même quand ce septième jour achève sa révolution. Job, cet homme plein de justice , a dit: « Je suis sorti nu « du sein de ma mère, et j'y retournerai nu. » Il ne vent pas dire qu'il se retirera de ce monde sans richesses; la réflexion serait pauvre et vulgaire; mais, qu'à la manière du juste, il quittera la terre, sans vice, sans péché, et libre des honteux simulacres qui accompagnent toujours les hommes de l'iniquité. C'est ce que signifie encore cette parole": « Si vous ne « vous convertisez et ne devenez comme de petits enfants, « purs de corps et sains d'esprit, » en vous abstenant de toute œuvre mauvaise. Le Seigneur nous montre par la bouche de l'évangéllste qu'il nous veut tels que nous nous sommes relevés du sein de l'eau baptismale. Car une naissance succédant ainsi à nue autre naissance, aspire à nous enfanter progressivement à l'immortalité; « mnis le flambeau des impies s'éteindra. » Cette virginité de l'âme et du corps, que poursuit de toutes ses forces le Gnostique véritable, le sage Moïse, employant à propos la figure de la répétition, nous la fait connaitre, quand il décrit en ces termes la pureté intérieure et extérieure de Rébecca : » C'était une vierge belle et inconnue à tout le monde. » Or, Rébecca signifie Gloire de Dieu, et la gloire de Dieu c'est l'incorruptibilité. La véritable justice consiste à ne jamais faire tort aux autres, et à consacrer toute sa personne au Seigneur, comme un temple sanctifié. La justice ! Elle est la paix et la stabilité de la vie. Quand le Seigneur dit à la femme qu'il vient de rendre à la santé : « Allez en paix, » c'est à cette justice qu'il la renvoie. Salem signifie paix, et notre Seigneur prend le titre de roi de la paix. Melchisédech , roi de Salem, pontife du Très-Haut, offrant, en figure de l'Eucharistie, le pain et le vin sanctifiés, n'est pas autre chose que notre Seigneur. Il y a mieux : le mot de Melchisédech lui-même signifie roi juste. La justice et la paix sont donc synonymes. L'apostat Basilide est d'avis que la justice et la paix, sa fille, demeurent comprises dans la huitaine, mentionnée par le prophète. Mais, de ces explications trop naturelles élevons-nous à une interprétation morale plus ù la portée de tous ; cet examen suivra la discussion présente. C'est donc bien véritablement notre Sauveur qui nous initie aux saints mystères, scion le langage du poète tragique : « 11 voit qui le voit ; lui-même nous donne ses fêtes. » Et si vous demandez : « Ces fêtes dont vous parlez, de quelle nature sont elles? » L'hiérophante vous répondra : « Il n'est pas permis de révéler les"mystères à ceux qui ne « sont pas initiés. » Insistez-vous pour découvrir curieusement qucJles sont ces solennités? il vous sera répondu de nouveau : « Il ne vous est pas permis d'en pénétrer les mystères, quoi« qu'ils soient bien dignes de l'investigation humaine. Les fêtes « de ce Dieu repoussent loin d'elles l'artisan de l'iniquité. « Dieu, qui n'a pas eu de commencement, est le commencement et la fin de toutes choses. Tout ce qui est remonte à ce principe. En tant qu'essence, il est l'origine de toute faculté créatrice ; en tant que bon, de toute faculté morale ; en tant qu'intelligence, de toute faculté pensante et raisonnante. D'où il suit que celui-là est le seul maitre, qui seul est le fils du Très-Haut, du Père, de la sainteté infinie, le seul instituteur de l'homme. CHAPITRE XXVI. Comment le véritable Gnostiquc use du corps cl Jes choses de la terre. Nous connaissons maintenant l'impiété deces téméraires qui s'emportent contre la création et condamnent le corps, sans se rappeler que l'organisation de l'homme est droite, afln qu'il puisse contempler le ciel ; que le mécanisme de nos sens est dirigé vers l'acquisition de la connaissance ; qu'enfin la disposition de nos membres et de toutes les parties de nous-mêmes a été combinée pour la pratique du bien, mais non pour la volupté. De là vient que la maison de notre corps peut recevoir l'âme la plus précieuse aux yeux de Dieu, et qu'elle est jugée digne du Saint-Esprit par la sanctification intérieure et extérieure, achevée quelle est par la purification de Jésus-Christ. De plus, la conséquence réciproque des trois vertus se trouve dans le Gnostique, puisqu'il s'élève vers Dieu par la triple action de la morale, de la nature et de la raison. Car la sagesse est la science des choses divines et humaines ; la justice établit un harmonieux accord dans toutes les parties de l'âme; et la sainteté consiste à rendre à Dieu le culte qui lui est dû. Vous accusez la chair, dites-vous, et à cause de la chair, l'acte de la génération; et vous alléguez, à l'appui de votre condamnation, ces paroles d'Isaïe : « Toute chair n'est que de l'herbe, et toute la beauté « de l'homme ressemble à la fleur des champs. L'herbe s'est « desséchée ; la fleur est tombée; mais la parole du Seigneur « subsiste dans toute l'éternité. » Eli bien, écoutez le SaintEsprit lui-même. Il va expliquer par la bouche de Jérémie la question qui nous occupi. : « Je les disperserai comme la paille « qui est emportée par le vent dans le désert. Voilà le sort et « la part que j'ai réservée à ton incrédulité, dit le Seigneur; « et parce que tu m'as oublié et que tu as espéré dans le men« songe, moi aussi, j'exposerai devant tous ta nudité, et ton « ignominie paraîtra, et ton adultère, et tes hennissements de « débauche, etc. » Qui donc est désigné ici par la fleur des champs ? qui marche selon la chair ? quels sont les hommet charnels, selon l'expression de l'apôtre ? Ceux qui vivent dans le péché. En effet, que l'âme soit la partie la plus noble de l'homme, et le corps la partie inférieure, c'est un point avoué universellement. Mais ni l'âme n'est par sa nature un bien, ni le corps par sa nature un mal. De ce qu'une chose .n'est pas un bien, 'l ne s'ensuit pas directement qu'elle soit un mal : il est une classe de choses qui tiennent le milieu entre le bien et le mal. et ce que l'on rejette ou ce que l'on approuve rentre dans cette catégorie. Il fallait donc que l'homme, dont l'organisation tombe sous les sens, fût composé de principes différents, mais non opposés , le corps et l'âme. Les bonnes actions, comme étant d'une nature meilleure, se rapportent donc toujours à ce principe supérieur, auquel a été donnée la domination; les œuvres de la volupté et du péché découlent du principe inférieur, de l'esprit de péché. Mais l'âme du sage et du Gnostique, exilée un moment dans le corps, comme un voyageur eu pays étranger, use du corps avec une austère tempérance, et se garde bien de montrer pour lui trop d'indulgence ou d'affection, disposée à quitter ce pavillon corruptible, aussitôt que l'ordre de son rappel lui sera signifié. « Je suis une étrangère ici-bas, dit-elle avec Abr-a« ham, je suis une voyageuse parmi vous.» • Basilide a fondé sur ces paroles son dogme de l'élection privilégiée et d'une naissance supérieure à celle de ce monde. Dogme impie et menteur ! toutes les créatures sont l'ouvrage d'un seul et même Dieu : personne qui, par sa nature, soit étranger dans ce monde , puisqu'il n'y a qu'une nature comme il n'y a qu'un Dieu. L'élu toutefois vit ici-bas comme un étranger, sachant qu'il faut tout posséder, mais tout abandonner ensuite ; il ne dédaigne pas de toucher aux trois sortes de biens que reconnaissent les Péripatéticiens : il y a mieux, il use du corps comme un voyageur qui, parti pour une contrée lointaine,entre dans les hôtelleries et dans les maisons qu'il rencontre sur sa route, prenant soin des choses de ce monde et du toit qui l'abrite ; mais laissant tout, demeure, possession, usage,sans leur donner un moment de regret ; suivant avec un joyeux empressement les pas du guide qui l'emmène hors de la vie, ne se retournant jamais pour regarder derrière lui ce qu'il quitte, remerciant Dieu de son pèlérinage ici-bas, le bénissaut pour son rappel, et saluant avec amour la demeure qui lui a été préparée dans le ciel. •• Nous savons, dit l'apôtre, que si cette maison « terrestre où nous habitons vient à se détruire,Dieu nous don« nera dans le ciel une autre maison, une maison qui ne sera « point faite de main d'homme, et qui durera éternellement. C'est « pourquoi nous gémissons, désirant être revêtus de la gloire « qui est en cette maison céleste , si toutefois nous sommes trou« vés vêtus et non pas nus. Parce que nous marchons vers lui « par la foi, et que nous ne le voyons pas encore à découvert. « Et nous aimons mieux être séparés de ce corps pour jouir de « la vue de Dieu.» Nous aimons mieux ! ce dernier mot est un terme de comparaison : or, ou ne compare entre elles que les choses susceptibles de ressemblance. Ainsi, l'homme qui est plus courageux que les autres, est plus courageux que les hommes de cœur ; et très-courageux par rapport à celui qui n'a pas de courage. Voilà pourquoi Paul ajoute : « Toute notre ambition « est d'être agréables à Dieu, que nous vivions loin de lui, on « que nous soyons déjà en sa présence. » Agréables à Dieu ! c'est-à-dire au Dieu unique, auteur et créateur de toutes choses, du monde aussi bien que de ce qui est au-dessus de ce monde. , J'applaudis à ce mot d'Épicharme : « Si tu as été pieux du « fond du cœur, tu ne souffriras aucun mal après la mort. Ton « âme vivra éternellement là-haut. » Je n'applaudis pas moins à ces vers du lyrique : « Les âmes des impies sont emportées cà « et là sous la terre par un tourbillon de sanglantes tortures, et « elles sont comme assujetties à un joug inévitable de maux et « de supplices. Les âmes pieuses, au contraire, habitent le ciel, « et célèbrent par des hymnes d'allégresse le roi des bicnheu« reux. » Qu'on ne vienne donc plus nous dire que l'âme est envoyée du;ciel sur la terre, pour y subir une destinée indigne d'elle ; car Dieu fait tout pour le mieux. Mais l'âme qui a embrassé volontairement la vie la plus droite selon Dieu et selon la justice, échange la terre contre le ciel. Job, qui parvint à la connaissance, a donc raison de dire : » Je sais maintenant que » vous pouvez tout et que rien ne vous est impossible. En effet, « quel est celui qui m'apprend des choses que j'ignorais, des • merveilles que je ne connaisssaispas? Mais je n'ai que du mé • pris pour moi-même et je me regarde comme de la terre et de « la cendre. » Pourquoi cela? C'est que l'ignorant est sujet au péché, terre et cendre seulement, tandis que l'homme, parvenu à s'affermir dans la connaissance, et assimilé par elle à Dieu, autant qu'il est donné toutefois à la faiblesse humaine, marche des lors selon l'esprit, et conséquemment arrive à l'élection. Voulez-vous une nouvelle preuve que l'Écriture appelle du nom de terre les insensés et les rebelles à Dieu ? Le prophète Jérémie va vous la fournir dans ce qu'il dit de Joachim et de ses frères : « Terre 1 terre ! écoute la parole du Seigneur ; écris que « cet homme sera déposé ! » Voilà qu'un autre prophète élève aussi la voix : « Cieux, écoutez ! terre, prête l'oreille ! » Il appelle audition l'intelligence, et ciel l'âme du Gnostique dont l'unique soin est la contemplation des choses célestes et divines, et qui, par cette raison, est devenue Israélite. Par opposition, il flétrit du nom de terre celui qui a préféré l'ignorance et la dureté du cœur. Prête l'oreille.' Le prophète s'adresse ici aux organes de l'ouïe, donnant ainsi pour partage les sens à ceux .qui s'occupent des choses sensibles. C'est d'eux que le prophète Michée a dit : « Écoutez la parole du Seigneur, peuples • qui habitez avec les douleurs. » — « Point du tout, dit a l'é« pouse d'Abraham le Seigneur qui juge la terre ; car celui qui « ne croit point selon la parole de vie est déjà jugé. » On trouve aussi dans le livre des Rois le jugement et la sentence du Seigneur ainsi formulée : « Dieu exauce les prières « des justes ; il ne sauve pas les impies parce qu'ils refusent de « le connaitre. Dieu, en effet, ne peut rien faire qui répugne à « la raison. » A ces paroles que répondra l'hérésie, puisque l'Écriture déclare que ce Dieu tout-puissant est bon, et qu'il ne peut jamais être l'auteur du vice et de l'iniquité ? — S'ils n'out pas connu Dieu, l'ignorance est le principe de leur erreur. — Dieu ne peut rien faire qui répugne à la raison, répliquent les livres saints. « Car celui-ci, dit le prophète, est notre Dieu ; il « n'est pas d'autre Sauveur que lui. — Dans Dieu, point d'in« justice » suivant les expressions de l'apôtre. Le prophète nous enseigne encore clairement quelle est la volonté de Dieu et en quoi consiste le progrès gnostique. « Et « maintenant, Israël, qu'est-ce que le Seigneur votre Dieu de« mande de vous, sinon que vous craigniez le Seigneur votre « Dieu, et que vous marchiez dans toutes ses voies ? » Vous l'entendez ; il ne demande de vous qui avez le pouvoir de choisir l'œuvre du salut, rien autre chose sinon « que vous l'aimiez K et que vous ne serviez que lui seul. » Que veulent donc les Pythagoriciens, quand ils recommandent de prier à haute voix? Leur semble-t-il que Dieu ne puisse entendre ceux qui prient à voix basse ? Je n'en crois rien ; ils pensent que des prières, prononcées sans rougir devant un nombreux concours d'assistants, tic manqueront pas d'être justes. Quant à nous, nous traiterons un peu plus tard de la prière, lorsqu'il en sera temps. Nous devons faire des œuvres qui crient vers le Seigneur, ou « nous souvenir que nous marchons en plein jour. » — « Que vos « œuvres brillent. » — « Voici l'homme, et ses œuvres le pré« cèdent. Car vaici Dieu et ses œuvres. » Il faut que le Gnostique imite Dieu, autant qu'il lui est possible. Ne me souvient-il pas que les poctes, dans leurs écrits, nomment les élus des êtres semblables aux dieux en beauté ; ici, ils les font descendre d'une race divine; là, ils sont les égaux de Dieu ; plus loin, ils leur donnent une sagesse rivale de celle de Jupiter ; ils ont te prudence des dieux ; ce sont des êtres pareils aux dieux; que vous dirai-je, sinon que l'on reconnaît dans ces diverses qualifications le plagiat de ces paroles de Moïse : « A l'image « et à la ressemblance de Dieu ? » Écoutez Euripide : « Des « ailes d'or sont attachées à mes épaules ; j'ai chaussé le bro« dequin aîlé des Sirènes. Ainsi porté dans les airs, je traverse., rai les plaines du ciel, et j'irai m'entretenir avec Jupiter. • Pour moi, je supplierai l'esprit du Christ de me transporter dans ma Jérusalem chérie. Les Stoïciens aussi disent, « qu'à proprement parler, il n'y a « d'autre cité que le ciel; que les cités d'ici-bas ne sont pas des « cités véritables. Elles en portent le nom; la réalité leurman« que. » En effet, une cité me représente une chose bonne ; un peuple, une agrégation d'hommes vertueux, une multitude gouvernée par la loi, comme l'Église par le Verbe. La cité indestructible, que l'ennemi ne peut assiéger, que la tyrannie ne peut opprimer, c'est la volonté de Dieu s'accomplissant sur la terre comme dans le ciel. Les poctes nous donnent quelques traits de cette cité dans leurs ouvrages. Ces cités hyperboréennes, ces plaines d'Arimaspe, ces Champs-Élysées sont les républiques des justes. Nous savons aussi que « la république de Platon est « placée dans le ciel comme un modèle idéal. »