[8,0] LIVRE HUIT. [8,1] LETTRE I. A L’EMPEREUR JUSTINIEN, LE ROI ATHALARIC. Traduction : Jean Barbeyrac, Supplément au corps universel diplomatique du droit des gens..., Volume 1, 1739, p. 150. ON me blâmerait avec raison, Prince Très-clément, si j'étais peu empressé à tâcher d'avoir avec vous une Paix, que mes Pères ont recherchée avec tant d'ardeur. Et par quel endroit serais-je leur digne héritier, si je demeurais au-dessous d'une si grande gloire, dont ils m'ont fraié le chemin ? Les Grands de votre Empire, que vous honorez de la Pourpre, le Trône Impérial où vous êtes assis, ne vous donnent pas tant d'éclat, et ne vous élèvent pas si haut, que votre bienveillance répandue de toutes parts vous illustre. Pour nous, si nous n’en sommes pas frustrés, nous croirons qu’il ne manque rien à la perfection de notre règne. Votre piété d’ailleurs ne peut s’attirer de plus grands éloges, qu'en aimant ceux dont vous avez aimé autrefois les Pères. Car quiconque témoigne ne pas vouloir du bien aux Descendants, se fait soupçonner de n'avoir pas eu pour les Ancêtres des sentiments bien sincères. Que les animosités et les haines soient donc ensevelies avec les Morts : que la Colère s'étouffe, après que ceux qui l'ont excitée ne sont plus : mais l'affection ne doit pas s'éteindre avec ceux qu'on a aimés ; il faut au contraire en donner de plus grandes marques à celui qui n'a eu aucune part aux sujets de plainte dont le règne précédent peut avoir fourni l'occasion. Voyez, de quelle manière un Héritier mérite que vous en agissiez avec lui. Vous avez élevé mon Aïeul à la haute dignité de Consul, dans votre Ville. Vous avez fait le même honneur à mon Père, en Italie : et même, pour montrer combien vous souhaitiez la paix et la bonne union, vous l'avez adopté par les armes, quoi qu'il fût d'un âge presque aussi avancé que le vôtre. Il vous siéra mieux encore de me donner, à moi, qui suis si jeune, ce titre, dont vous avez honoré nos Pères vieux. Nous devons désormais nous regarder comme parents, et prendre l'un envers l'autre des sentiments tels que cette relation le demande. Selon les Lois de la Nature, qui est né de votre Fils, ne vous est point étranger. Je vous demande donc la Paix, non comme un Etranger, mais comme un de vos proches Parents. En adoptant mon Père, dès lors vous me reconnûtes pour votre Petit-fils. Regardez-moi aussi comme ayant acquis un Royaume en héritage. Cependant je tiens pour quelque chose de plus relevé et de plus avantageux encore que la Royauté, d'avoir les bonnes grâces d'un si grand Empereur, d'un Empereur du caractère dont vous êtes. Que le commencement de mon règne, et cela dans un âge si peu avancé, attire donc les regards favorables d'un Prince qui a si longtemps vécu : que mon enfance trouve du secours dans sa bonté : avec une telle protection, je me regarderai comme n'ayant pas entièrement perdu mes Pères. Faites en sorte que notre Royaume vous soit engagé par des liens de reconnaissance. Vous y régnerez d'autant plus, que ce sera votre affection qui vous fera obéir. C'est pourquoi nous avons jugé à propos d'envoyer tel et tel pour Ambassadeurs auprès de Votre Sérénité, afin que vous nous accordiez votre amitié sous les conditions et conventions qu'on fait que vos Illustres Prédécesseurs l'ont contractée avec notre Seigneur et Aïeul de bien heureuse mémoire. Je mérite même peut-être que vous comptiez encore plus sur ma sincérité, puisque mon âge la met hors de soupçon, et que je ne vous suis point étranger. Au reste, nous avons chargé nos susdits Ambassadeurs de vous dire de bouche certaines choses que nous vous prions d'effectuer, selon votre clémence ordinaire. [8,2] {sans correspondance} [8,3] LETTRE III. LE ROI ATHALARIC AU PEUPLE DE ROME. Si comme héritier au trône, un étranger vous eût accueillis, peut-être auriez-vous pu douter que ce successeur ait eu envie de manifester sa propre affection tout comme son prédécesseur. Je ne sais pas pourquoi, en vérité, mais n'ayant par conséquent aucune raison de haïr ceux qu'il avait aimés, ni de diminuer sa réputation en prenant une conduite opposée à la sienne, mais devant au contraire chérir la gloire de mon aïeul à l'égal de la sienne, je suis résolu à suivre son exemple et ses maximes. Il est préférable pour notre réputation, en effet, d’accorder le bien-être dû, ainsi que d'attribuer nombre d’avantages à ceux pour qui il manifesta une grande et longue bienveillance. Ceux qui succèdent aux princes sans gloire, réfléchissent moins et s’impliquent dans des actions de peu de valeur. Celui qui nous a précédé s'est par contre distingué, si bien que nous croyons juste de devoir continuer son œuvre remarquable. En conséquence, et que Dieu soit témoin de mes propos, nous vous rappelons une disposition de notre aïeul, monarque glorieux, ordre par lequel il avait institué dans notre royaume un très heureux consensus entre Goths et Romains, à tel point qu’il ne pût subsister un quelconque soupçon de discorde, vous assumerez par le biais de vos propres votes sous serment les engagements suivants: obéir avec grand plaisir à notre pouvoir, comme si notre aïeul ne vous eût jamais été soustrait par un destin inévitable; nous être fidèles non seulement en paroles, mais aussi par la profondeur des sentiments. Si vous accomplissez de bon gré, comme nous le supposons, des choses semblables, les porteurs de cette lettre ont ordre de vous promettre sous serment de pratiquer la justice, l’équité et la clémence qui nourrissent les peuples, de considérer les Goths et les Romains comme égaux en droit devant nous, de ne faire entre eux aucune différence, sinon celle qui résulte de ce que les Goths ont à supporter les fatigues de la guerre, pour l’utilité commune, tandis que vous, Romains, vous prospérez paisiblement dans Rome. Voyez, nous avons inauguré notre règne de la façon la plus clémente, en nous soumettant à un serment, pour que les peuples, dont notre glorieux aïeul a assuré la prospérité, ne puissent avoir ni doute, ni crainte. Voyez, nous restaurons la tradition, célèbre depuis des siècles, de votre Trajan; le prince, dont vous invoquez le nom dans vos serments, prête serment à vous-mêmes et nul ne peut être trompé par lui, puisqu'on ne peut mentir impunément, en invoquant son nom. Élevez maintenant vos cœurs et espérez, avec l’aide de Dieu, des destinées toujours meilleures, car après avoir commencé notre règne par un acte de bienveillance, nous aurons pour but dans l’avenir, la tranquillité publique qui plaît à Dieu. [8,4] {sans correspondance} [8,5] {sans correspondance} [8,6] {sans correspondance} [8,7] {sans correspondance} [8,8] {sans correspondance} [8,9] {sans correspondance} [8,10] {sans correspondance} [8,11] {sans correspondance} [8,12] LETTRE XII. LE ROI ATHALARIC A L’ILLUSTRE ARATOR. Traduction (partielle) : Claire Sotinel, Maurice Sartre, L'usage du passé, 2008. 1. Nous estimons que les affaires nécessaires doivent être parfaitement achevées ; nous l’avons prévu en sélectionnant pour la force militaire de l'Etat le magnifique Patrice Tulum, mais nous avons pensé lui associer un homme de la plus haute compétence littéraire. Car ceux qui disposent d’un pouvoir accru doivent avoir des conseillers avisés, afin que des mesures adéquates prises pour le bienfait de l'état ne soient pas contrecarrées par un manque d'hommes compétents. D'autres postes peuvent s'organiser de façon ordinaire, mais celui a pour souci la sécurité générale doit avoir un conseiller inégalé dans ses analyses. 2. En effet, on ne te considère pas encore très averti, même si tu as accédé jeune aux honneurs. Le domaine de la défense t’a formé; le sommet de mon jugement t’a désigné. Car mon intérêt littéraire trouvé en toi était si grand, que je ne pouvais pas permettre à ton génie de vieillir là-bas. Vous entrez au service de l'Etat, bien que vous pourriez agir comme avocat, et, bien que l'éloquence peut une fois que vous ont attiré à parler pour la défense, l'équité vous a alors incité à vous prononcer en tant que juge. Une éloquence doublée d'un fort caractère est d'une utilité certaine. Car, tout comme il est fatal qu’une personne intelligente puisse convaincre un homme à commettre un crime, on voit aussi un don salutaire quand la rhétorique est incapable de dépasser les limites de la vérité. 3. Mais, afin que je puisse à la place proclamer tes mérites par des exemples significatifs, c'est un plaisir de raconter cette ambassade solennelle, que tu as effectué, non pas en paroles conventionnelles, mais en un fleuve impétueux d'éloquence. En effet, lors de ton ambassade depuis les provinces Dalmates vers mon grand-père le roi {Théodoric}, tu as si bien exposé et les besoins des provinciaux et les mesures à prendre pour l'Etat que tu as parlé longuement sans lasser un homme consciencieux et très prudent. En effet, l'abondance de tes paroles lui procura un doux plaisir comme elles se répandaient, et, arrivé à la conclusion, on t’a demandé de continuer à parler. En motivant et en captivant l’audience, tu as fourni le meilleur effort d'un véritable orateur, même après avoir abandonné le travail d'un avocat. 4. De fait, tu as aussi été aidé par l’éloquence et la personnalité de ton père, dont le talent de rhéteur a permis ton éducation ; bien que tu n’aies pas manqué de livres d’anciens. Car c’était, à ce que je sais, un homme exceptionnel en lettres. Et, pour qu'on nous voie dire quelque chose de recherché à un savant, comme une tradition assez répandue le rapporte, Mercure, créateur de bien des arts, fut le premier, rappelle-t-on, à assembler {les lettres}, d'après le vol des oiseaux du Strymon. 5. Car, aujourd'hui encore, les grues, qui se rassemblent en escadrons, reçoivent cette disposition de la nature pour représenter les formes de l'alphabet. En les réduisant à un ordre convenable, par un mélange approprié de voyelles et de consonnes, on a inventé une voie pour les sens où la signification peut aller vers les sommets, et atteindre au plus vite le sanctuaire intérieur de la compréhension. Sur ce, l’auteur grec Hélénos a parlé beaucoup et bien, décrivant la nature et la forme des lettres dans un compte des plus précis, de sorte que la richesse de la littérature noble peut être comprise dans son origine même. 6. Mais pour revenir à mon propos, on peut donc supposer que tu as amélioré ton talent à l'exemple paternel, et sans que ton éloquence fleurisse sur le forum Romain. O heureux maître! ô élève fortuné ! qui a acquis par amour ce que d'autres apprennent par la terreur ! 7. En vérité, tu as découvert l’éloquence romaine là d’où elle ne provenait pas; la langue gauloise résonnait de toutes parts et la lecture de Tullius {Cicéron} t’a fait orateur. Où sont ceux qui prétendent que la littérature latine doit s’apprendre à Rome et nulle part ailleurs? Si les époques anciennes avaient fait cela, Caecilius aurait échappé au fardeau de la honte. En fait, ce jugement a perdu de sa force. La Ligurie aussi a envoyé son Tullius. 8. Examine en quelle valeur nous te tenons pour t’avoir attaché au conseil qui traite les arcanes de notre royaume. C’est pour cela que tu détiens le rang illustre de Comte des Domestiques, et que je te confie cet honneur. 9. Ainsi, tu peux à juste titre espérer de plus grandes récompenses de mes faveurs, car je m'attends à te trouver des qualités encore supérieures. Tu vois que les grandes affaires te sont confiées: tout ce que tu touches concerne le public. Car celui qui peut pécher contre tous les hommes, remporte la gloire s'il ne commet pas d’excès. [8,13] {sans correspondance} [8,14] {sans correspondance} [8,15] LETTRE XV. LE ROI ATHALARIC AU SENAT DE LA VILLE DE ROME. Traduction (partielle) : L. G. du Buat, Hist. ancienne des peuples de l’Europe, t. X. Nous apprenons avec le plus grand plaisir que dans l'élection de votre évêque vous vous êtes conformés au sentiment de notre aïeul. Il convenait que vous obéissiez au jugement d'un bon prince, qui, bien que d'une religion différente, avait cependant examiné cette affaire avec tant de maturité que son choix était tombé sur un sujet qui ne pouvait être désagréable à personne. Vous devez reconnaître par là combien il désirait ardemment que toutes les églises, de quelque religion qu'elles fussent, devinssent de plus en plus florissantes sous la dévotion de bons et dignes pasteurs. Vous avez donc reçu un homme qui par la grâce divine est en état de vous gouverner, et qui a mérité les éloges d'un grand roi après l'examen le plus scrupuleux. Que les démêlés qui ont précédé l'élection tombent dans l'oubli, ceux qui ont eu le dessous, n'ont point sujet d'en rougir, puisqu'ils n'ont été vaincus que par le prince. De fait, s’il aime le nouveau pontife sans ruse, il le fait sien. Alors pourquoi se chagriner quand les partisans du rival trouvent dans cet homme les qualités qu’ils espéraient? Ces contestations sont civiles, des guerres sans armes, des querelles sans haine; cette affaire est soutenue par les acclamations, non par les lamentations. Bien qu’une personne ait été écartée, les croyants cependant n’ont rien perdu en constatant que l’évêché désiré est occupé. En conséquence, avec le retour de votre envoyé, l’illustre Publianus, j’ai pensé plus raisonnable d’envoyer des lettres à votre assemblée. Et je suis certain que cela aussi vous réjouira: savoir que vous avez approuvé la recommandation de Théodoric m’a fait autant plaisir. [8,16] {sans correspondance} [8,17] {sans correspondance} [8,18] {sans correspondance} [8,19] {sans correspondance} [8,20] {sans correspondance} [8,21] {sans correspondance} [8,22] {sans correspondance} [8,23] {sans correspondance} [8,24] {sans correspondance} [8,25] {sans correspondance} [8,26] {sans correspondance} [8,27] {sans correspondance} [8,28] LETTRE XXVIII. A L’ILLUSTRE CUNIGAST, LE ROI ATHALARIC. La requête déplorable de Constantus et de Venerius a ému Notre Sérénité; ils se plaignent d’avoir été dépouillés par Tanca(nes) de leur propriété, un petit champ du nom de Fabricula, avec leur pécule; il leur a imposé, en vue d’empêcher à l'avenir de semblables exigences de force sur leurs biens, à eux des hommes libres, le statut de moindre esclave. Et voilà pourquoi Ta Magnitude, en conformité avec le présent décret, commandera à la personne susmentionnée de se présenter à ton tribunal; on y examinera la vérité entre les parties, et tu devras proférer une sentence selon ton tempérament. Car, bien que ce soit une affaire grave pour un maître de perdre ses droits, le fait de soumettre des hommes libres au joug de l’esclavage va à l’encontre de notre époque. S’ils le demandent, le bien saisi leur sera initialement restitué par le droit Momenti iura (possession temporaire), mais de telle façon qu’aucun parti ne se retire du procès. Cette violente anticipation des lois doit cesser, afin que cette affaire soit entendue et jugée par un magistrat, et soit le défendeur possède ses esclaves de façon certaine ainsi que les marchandises, soit il laissera ces hommes libres, indemnes eux et leur propriété. Car il suffit que nous renoncions à punir celui qui a osé porter atteinte à l’honneur. [8,29] LETTRE XXIX. AUX HONORABLES POSSESSEURS ET CURIALES DE LA CITE DE PARME, LE ROI ATHALARIC. Débouchage des cloaques de Parme dont doit se charger Genesius. Il est honorable de faire de bon cœur ce que l’on sait avoir été ordonné dans l’intérêt de votre ville ; car ce qu’il fallait entreprendre à vos propres frais, vous est en réalité offert moins cher. Grâce à Dieu, notre seigneur grand-père a fait couler une eau très salubre, puisque votre cité a pendant longtemps éprouvé la sécheresse. Il vous appartient maintenant de dégager avec empressement les bouches d’égouts, pour que la vague ne reflue pas, bloquée par un barrage d’ordures, poussée contre vos demeures, et qu’elle regroupe et jette sur vous les mêmes {ordures} qu’elle doive nettoyer. A cette tâche, bien que ce soit l’amour civique qui doive vous diriger, nous recommandons que le respectable Genesius s’en charge, afin que, si ce que nous ordonnons est fait de bonne grâce, vous nous poussiez à faire mieux. [8,30] LETTRE XXX. AU RESPECTABLE GENESIUS, LE ROI THEODORIC. Par amour pour votre cité, le seigneur de notre aïeul a certes édifié avec une générosité royale, un aqueduc d’un travail antique. Mais il ne sert à rien d'avoir introduit de l'eau en abondance dans les villes si l'on n'a pas à présent prévu une digestion adéquate des égouts, à la manière de l'organisme humain dont la santé est préservée par le principe suivant: tout ce qui est ingéré par la bouche est évacué par le relâchement d’une autre partie du corps. Pour cette raison, Ta Sublimité doit faire en sorte que les citoyens de Parme s’attachent avec ardeur à ce travail, afin de soigner consciencieusement les antiques conduites, qu’elles soient souterraines ou jointes aux trottoirs des rues. Ainsi, quand le flot se sera mis à couler de façon habituelle pour vous, il ne sera pas gêné par l’obstacle d’un dépôt de fumier, car l’onde n’a aucun charme si elle ne coule pas sans interruption et ne se dérobe toujours à la vue. En effet, elle qui rit, joliment agitée dans les ruisseaux, comme elle est laide dans les fossés ! Et un marais n’est ni agréable à regarder ni bon pour des bêtes de somme. C’est un très bel élément certes, mais quand il est conservé dans sa pureté naturelle. Sans lui, les champs sont pelés, les villes sont accablées par une sécheresse étouffante. Aussi est-ce avec raison que l'antique sagesse a puni de l'interdiction de l'eau ceux qu'elle jugeait devoir éloigner de la communauté civique. Voilà pourquoi il faut que tous s'appliquent en commun à une chose si utile, puisque celui qui ne se préoccupe pas de l'agrément de sa cité n'a pas un cœur de citoyen. [8,31] LETTRE XXXI. A L’ILLUSTRE SEVERE, LE ROI ATHALARIC. Traduction (partielle) : Claude-Joseph Perreciot, Histoire des conditions et de l'état des personnes en France et ..., t. II, 1790. I. Puisqu’en ayant siégé dans les conseils des préfets, tu as étudié, nous le savons, tout ce qui permet de maintenir le bon ordre dans l’Etat, tu sais parfaitement, érudit comme tu l’es dans les lettres, que les cités ne sont belles qu'autant qu'il s'y rassemble un peuple nombreux. En effet, c’est cela qui leur donne l'ornement de la liberté, et qui assure l'exécution des ordonnances du prince. Il a été donné aux bêtes sauvages de rechercher les campagnes et les forêts, mais aux hommes de choisir, par dessus tout, les foyers de leur patrie. Les oiseaux eux-mêmes volent en groupes, adoucis par de pacifiques dispositions : les grives au chant mélodieux aiment le rassemblement de leurs congénères, les bruyants étourneaux suivent sans relâche les armées de leurs semblables, les pigeons roucoulants affectionnent leurs propres troupes, et tout ce qui recherche une vie simple ne refuse pas l’agrément de la communauté. Au contraire les fiers éperviers, les aigles prédateurs qui braquent leurs regards perçants sur tout la gent ailée, affectionnent les vols solitaires, car les embûches rapaces ne réclament pas les rassemblements pacifiques : ils ambitionnent en effet une action solitaire, eux qui refusent de trouver leur proie en compagnie d’autrui. Elle est de même tout à fait détestable, cette volonté des mortels qu’on voit fuir le regard des hommes, et on ne peut rien croire de bon avec confiance d’un homme de la vie duquel on ne peut trouver aucun témoin. II. Combien il importe que les propriétaires et les curiaux du Bruttium retournent dans leurs cités. C'est être colons que d'habiter toujours la campagne. Que ceux-là se laissent séparer de la rusticité, à qui nous avons donné des honneurs, et à qui nous avons confié l'administration publique, par un jugement qui mérite d'être approuvé; ceci spécialement ils le doivent surtout dans un pays où croissent en abondance des agréments acquis sans effort, Cérès y prospère grâce à la fertilité, et Pallas se réjouit aussi avec elle d’une générosité sans mesure ; les plaines sont riantes grâce à leurs fertiles pâturages et elles sont hérissées de vignes ; le pays regorge de troupeaux variés et il s’enorgueillit surtout de son cheptel de chevaux. A la saison brûlante, les forêts restent en vérité si printanières que les animaux ne sont pas importunés par les aiguillons des mouches, et ils sont rassasiés par des quantités suffisantes d’herbe toujours verte, sur les crêtes des montagnes, coulent des ruisseaux très purs, et comme s'ils se gonflaient depuis les hauteurs, ils dévalent les cimes des Alpes. Ajoutons que, sur ses deux côtés, ce pays bénéficie copieusement des échanges commerciaux grâce à une dense activité maritime, si bien qu'il regorge à satiété de ses propres fruits et qu'il est aussi pourvu des comestibles étrangers, à cause de la proximité des rivages. Là, les paysans vivent, comme les habitants des villes, et les médiocres y sont dans l'abondance des hommes les plus puissants, en sorte que la plus petite fortune a aussi son superflu. III. C'est dans une telle province qu'ils ne veulent pas habiter les cités, quand ils avouent de l'aimer dans ses campagnes. A quoi leur sert d'être lettrés pour se cacher ? Dans leur enfance ils fréquentent les écoles, et à peine ils sont dignes de siéger dans les tribunaux, qu'ils se laissent oublier dans leurs demeures champêtres. Ils apprennent pour oublier, ils s’instruisent pour devenir négligents et, en aimant la campagne, ils n’apprennent plus à s’aimer eux-mêmes. Le savant recherche l’endroit où il pourra se manifester avec gloire, la personne avisée ne repousse pas l’affluence des hommes, car elle sait que c’est là qu’elle recueillera les louanges. Du reste, les vertus sont privées de renommée si leurs mérites sont ignorés parmi les hommes ; car qu'est-il, ce désir de fuir le rassemblement de ses concitoyens, quand on voit même certains oiseaux qui veulent partager la compagnie des hommes ? L’hirondelle, en effet, accroche son nid avec confiance aux pénates des mortels et, au milieu de ceux qui l’entourent, impavide, elle nourrit ses petits. Il est donc tout à fait honteux pour un noble d’élever ses enfants dans les déserts, alors qu’on voit des oiseaux confier leur progéniture à la multitude humaine. IV. Que les cités recouvrent donc leur ancienne splendeur et que personne ne préfère l'aménité des campagnes aux murs des anciens. Comment peut-on éviter pendant la paix, ce qu'on doit défendre au péril de sa vie. Et qui peut n'être pas bien aise de se rencontrer avec des nobles, de converser avec ses égaux, de fréquenter le forum, de vivre au milieu des arts honnêtes, de terminer soi-même ses propres affaires, comme interprète des lois, de jouer le jeu de Palamède, de se trouver aux bains avec ses camarades, de donner et de recevoir des repas? Et cependant on est privé de toutes ces choses quand on ne veut vivre qu'avec ses valets. Mais afin qu'on ne retombe pas dans la même habitude, après l'avoir condamnée, vous obligerez tant propriétaires que les curiaux de donner caution, chacun selon son bien, et en statuant une peine contre les transgresseurs, de la promesse qu'ils devront vous faire sur la foi et aux périls de leurs garants, d'habiter pendent la plus grande partie de l'année dans les cités, qu'ils auront choisies pour leur habitation. De cette manière les cités ne feront pas sans citoyens, et ceux-ci ne seront pas privés du plaisir d'habiter leurs terres. [8,32] LETTRE XXXII. LE ROI ATHALARIC AU REMARQUABLE SEVERE. Traductions partielles : Pierre Courcelle, Le site du monastère de Cassiodore, 1938 (www.persee.fr); François Lenormant, La Grande Grèce, 1881. Cette lettre réclame des poursuites contre les paysans qui ont volé les bêtes d'un voyageur de marque nommé Nymphadius. Le Sublime Nimfadius voyageait vers le comitat royal pour quelque affaire personnelle, quand, fatigué de son périple, il fit halte pour se reposer, et laissa paître ses bêtes de somme. {C’était} près de la fontaine Aréthuse, sise sur le territoire de Squillace, parce que ces lieux sont féconds en riches pâturages et présentent l'avantage d'être bien arrosés ; car il y a, dit-on, au pied des collines et au-dessus des sables de la côte, une plaine fertile où se fraie passage une large source sortant de joncs qui forment autour d'elle une sorte de couronne ; source pleine de charme et remarquable à la fois par les roseaux qui l'ombragent et par la propriété de ses eaux. Il y a en cet endroit des champs fertiles et des prairies verdoyantes, qui s'étendent au pied des collines jusqu'au sable de la plage marine; là sourd une abondante fontaine, dont les bords sont environnés de grands roseaux comme d'une couronne. L'ombrage des roseaux rend cette source délicieuse, mais elle se recommande surtout par une particularité merveilleuse. En effet, si un homme en visite les bords en se tenant dans le silence, il trouve les eaux de la fontaine tellement tranquilles qu'elles semblent dormir comme celles d'un étang, au lieu de courir. Mais si cet homme se met à tousser ou à parler à haute voix, aussitôt les eaux commencent à s'agiter comme sous l'action d'une force inconnue, son bassin bouillonne comme une marmite posée sur le feu. Silencieuse pour l'homme silencieux, elle répond à la voix humaine par son agitation et son bruit ; et l'on s'étonne d'en voir ainsi les eaux se mettre en mouvement sans qu'on les ait touchées. Puissance merveilleuse! Propriétés inouïes ! eaux déplacées par la voix de l'homme et répondant à leur langue comme si on les appelaient, ce qui signifie n’importe quel bruit ! On dirait un animal endormi qu'on réveille, et qui répond au bruit qui l'a tiré du sommeil. En effet, on lit que certaines sources jaillissent d'une manière si diversement prodigieuse que, en s’abreuvant à certaines d'entre elles, les animaux prennent des couleurs différentes ; d'autres sources blanchissent les troupeaux, tandis que d'autres encore, transforment en pierres des morceaux de bois se trouvant là. Aucun esprit, cependant, n’entend ces merveilles, car, comme nous le savons, ce qui ne s’applique qu’aux faits de la nature se situe au-delà de la compréhension humaine. Mais, pour revenir immédiatement à l'acte de la plainte, ledit Nimfadius déclare que, après s’être arrêté là, certains agriculteurs lui ont tendu des pièges, enlevant les chevaux: il est effrayant qu'un tel forfait rende le plaisir d’un tel endroit, inadapté aux impératifs de notre époque. Par conséquent, nous devons tester Ta Diligence à effectuer une enquête appropriée en conformité avec les lois, de par l’autorité de notre cour: cela afin de punir, selon la cause, le forfait commis. On recherchera les voleurs sans faire aucun bruit, on les laissera tranquilles dans leurs maisons, de sorte que lorsque le magistrat s’y fera entendre, leur esprit sera troublé, ils se hâteront de parler et seront confondus par leur terrible murmure. Ainsi, leurs eaux auront prédit le châtiment qu'ils méritaient. C’est donc pour eux une juste punition afin de rendre accessible un tel lieu. L'ordre rétabli suscite la curiosité des voyageurs, car un tel prodige, auxquels ils assistent, fait toujours plaisir à voir, il ne restera pas caché à la scélératesse des voleurs. [8,33] LETTRE XXXIII. LE ROI ATHALARIC AU RESPECTABLE SÉVÈRE Ordre au gouverneur de la Lucanie de réprimer les violences et les désordres qui se commettent dans un lieu où la superstition païenne et la religion attirent un grand nombre de marchands et d’étrangers. La foire de saint Cyprien. 1. Le souhait d’un homme avisé est de savoir ce dont il n’a pas connaissance, aussi est-il fou de cacher des faits prouvés, surtout à une époque où les excès peuvent être rapidement réprimés. De fait, par de nombreux témoignages, nous avons entendu parler de l’assemblée de Lucanie que l’ancienne superstition appelait Leucothée, en raison de la grande pureté et transparence de l’eau à cet endroit. C’est là que les biens des marchands ont souvent été pillés par des pratiques illégales et hostiles des paysans. Après cela, ceux qui sont venus religieusement honorer l’anniversaire de saint Cyprien et embellir de leurs marchandises la forme d’une vie civilisée sont repartis, tristes, honteux et les mains vides. 2. Il nous a paru pouvoir corriger cela par un remède simple et drastique. A la période mentionnée, Votre Respectabilité, associée aux propriétaires et tenants des diverses grands domaines, devra maintenir la tranquillité pour ceux qui se rassemblent là, en prenant des précautions à l’avance ; ainsi vous n’aurez pas à chercher et à punir les coupables de crimes violents. Si l’un des paysans, ou quelque autre personne d’ailleurs, est la source d’une maudite querelle, il devra être arrêté tout au début, et immédiatement puni à coups de trique. Ainsi, celui qui aura tenté d’abord de susciter un méfait sera puni de son forfait en public. 3. En effet, ce même rassemblement est à la fois une foire de grande renommée et elle est très profitable aux provinces avoisinantes. Car toutes les exportations remarquables de l’industrieuse Campanie ou du puissant Bruttium, ou de la Calabre riche en bétail, ou de la prospère Apulie, ainsi que les produits de la Lucanie elle-même sont déployés pour la gloire de ce magnifique commerce. En effet, vous faites bien de supposer qu’une telle quantité de marchandises provient de nombreuses régions. Car c’est là qu’on peut voir de vastes prairies verdoyantes côtoyer les plaisants étals de marché, des cabanes temporaires rapidement faites de belles branches feuillues, et une population joyeuse qui va et vient en chantant. 4. Bien qu’on ne puisse voir d’édifices publics à cet endroit, on peut cependant mesurer l’opulence d’une fameuse cité. Des garçons et des filles sont exposés, avec leurs particularités de sexe et d’âge, amenés au marché non comme esclaves mais libres : leurs parents font très bien de les vendre, à cause des avantages que ces individus retireront de leur servitude car il n’est pas douteux que la condition des personnes qu’on enlève à la charrue pour les employer dans les villes ne soit sensiblement améliorée. Pourquoi faire mention des vêtements, tissés avec une infinie variété de fils ? Inutile de parler des beaux animaux bien nourris de différentes espèces. Tout se vend à un prix tel que les acheteurs les plus réticents peuvent se laisser tenter. Aussi, avec une discipline digne d’éloges qui conserve l’ordre établi, personne ne quittera cette foire mécontent. 5. Cet endroit même s’étend en prairies délicieuses. Au bas de la très antique cité de Consilinum est situé dans le fond de la vallée un bourg du nom de Marcellianum, fondateur des fontaines sacrées. Une abondance d’eaux douces et transparentes jaillit ici, où le creux d'une voûte en forme de grotte naturelle déverse un flot d'une telle pureté qu’on supposerait qu’une piscine que l’on sait débordante est vide. Il est transparent jusqu’au fond, de sorte que pour le regard, il ressemble plus à de l'air qu’à un liquide. L'eau pure rivalise avec la lumière du jour, car quoi qu’on y jette peut se voir avec une clarté identique. 6. Un banc de poissons nage gaiement dedans. Ils viennent hardiment vers les mains de ceux qui leur donnent à manger comme s’ils savaient ne pas devoir être pris : car quiconque ose commettre un tel forfait encourra rapidement la vengeance divine. C’est une longue tâche de raconter les merveilles de cette fontaine. J’en viens à ce bienfait extraordinaire et au saint miracle. 7. Le matin qui précède la nuit sainte {de la Saint-Cyprien}, dès que le prêtre commence à prononcer la prière de baptême, et que le flot de la parole coule de sa sainte bouche, l'eau commence à s'élever au-dessus de sa hauteur accoutumée, non par son canal habituel, mais en masse. L’élément brutal se soulève selon son propre vouloir et se prépare miraculeusement à une sorte de dévotion solennelle, qui rend indubitable la consécration de la majesté divine. Elle couvre en général calmement cinq marches du puits, puis elle commence à enfler et on la voit monter jusqu'à la septième, ce qu’elle n'atteint jamais à quelque autre moment de l'année. C’est vraiment un miracle extraordinaire, que l'eau stagne ou enfle au son de la parole humaine, comme si la fontaine elle-même souhaitait écouter le sermon. 8. Que cette fontaine céleste soit vénérée par le sermon de tous les hommes ! Que la Lucanie ait son propre Jourdain ! L’une nous a donné le modèle du baptême, l’autre conserve le saint mystère célébré annuellement. Et donc, double avantage, le respect dû au lieu et l’utilité de la chose confèrent la sainte paix aux hommes, car tous jugeront maudit celui qui ose violer les joies d’un tel instant. Que mon décret soit lu et distribué au peuple, afin qu’ils ne pensent pas être autorisés à commettre un méfait qui resterait impuni.