[21] XXI. RIEN de grand et d'illustre que n'aient fait et puissent faire les Femmes, également comme les hommes. MAIS afin que personne ne doute que les femmes ne puissent faire tout ce que les hommes ont jamais fait, nous allons prouver par plusieurs exemples, que les hommes n'ont jamais rien fait de grand et de remarquable, en quel genre d'action que ce soit, que les femmes n'aient fait les mêmes choses avec autant d'éclat et de succès. Et premièrement, dans le Sacerdoce, plusieurs femmes, parmi les païens, s'y sont acquis un grand nom, comme Mélisse, prêtresse de Cybèle; son nom a été dans la suite toujours donné aux prêtresses, qu'on a appelées Mélisses. Nous trouvons encore Hypecaustrie, prêtresse de Minerve, Mera, prêtresse de Vénus, Iphygénie, prêtresse de Diane; et toutes les femmes consacrées à Bacchus, lesquelles avaient plusieurs noms; on les appelait les Thyades, les Ménades, les Bacchantes, les Eliades, les Mimallenides, les Ædonides, les Euthyades, les Basarides, et les Triaterides. Chez les Juifs, Marie, soeur de Moïse, entrait dans le sanctuaire avec Aaron, et on la regardait comme consacrée au service de Dieu. Dans la religion chrétienne, quoique les fonctions du Sacerdoce ne se confient point aux femmes, l'histoire nous apprend cependant qu'une femme ayant déguisé son sexe, parvint jusqu'à la dignité de souverain pontife. Tout le monde connaît la sainteté de nos abesses et de nos religieuses, que les auteurs anciens ne dédaignent pas d'appeler prêtresses. Plusieurs femmes, parmi les peuples de toutes sortes de religions, se sont rendues recommandables par le don de prophétie. Telles sont Cassandre, les Sybilles, Marie, soeur de Moïse, Débora, Holda, Anne, Elisabeth, les quatre filles de Philippe; et plusieurs autres, dans des temps moins reculés, comme sainte Brigitte et Hildegarde. Plusieurs femmes, entre autres Médée, ont encore excellé dans la magie, qui est la connaissance des bons ou des mauvais démons; elles ont fait des choses plus surprenantes que n'en a fait Zoroastre même, qu'on dit être le premier qui se soit appliqué à cette science. Combien y en a-t-il qui ont fait des progrès inconcevables dans la philosophie ? Telles ont été Théano, la femme de Pythagore; et Dama sa fille, qui s'acquit un grand renom, en développant et expliquant les opinions de son père. Nous voyons encore Aspasie et Diotime, qui furent disciples de Socrate; Mantinée, Philasie, et Axiochie qui écoutèrent Platon. Plotin parle avec éloge de Gemime et d'Amphiclée. Lactance fait mention de Themiste. L'Église catholique fait l'éloge de sainte Catherine, qui surpassa en science tous les philosophes de son temps. Il ne faut pas oublier la reine Zénobie, qui fut disciple du philosophe Longin; à cause de ses grands progrès dans les sciences, elle fut surnommée Ephemisse. Nichomaque a traduit ses excellents ouvrages. Mais passons à la poésie et à l'éloquence. Il s'offre d'abord Armesie, surnommée Androgenie, Hortensie, Lucrèce, Valère, Copiole, Sapho, Corine, Cornificie, Romane, Erine, Talle ou Tesbie, qu'on a surnommé faiseuse d'épigrammes. Salluste fait mention de Sempronie. Les Jurisconsultes allèguent Calpurnie; et si ce n'est qu'il est peu d'usage aujourd'hui que les femmes s'appliquent aux belles lettres, il y aurait un nombre infini de femmes qui fleuriraient et brilleraient plus que les hommes. [22] XXII. Les Femmes savent toutes choses naturellement. Que dirai-je de ce bienfait particulier de la nature, par lequel les femmes surpassent aisément et sans étude, ceux mêmes qui sont maîtres dans chaque art ? Les grammairiens ne se vantent-ils pas d'être les maîtres du beau langage ? Mais nos nourrices et nos mères savent mieux nous apprendre notre langue, que ne feraient les grammairiens. Cornélie n'a-t-elle pas formé à l'éloquence, les Gracches ses enfants? Syles, fils d'Aripithe, roi de Scythie, n'a-t-il pas appris de sa mère la langue Grecque ? Les enfants qui sont nés dans des colonies fort éloignées, n'ont-ils pas toujours conservé la langue de leurs mères ? C'est pour cette raison que Quintilien avertit si soigneusement, qu'on prenne garde de donner aux enfants des nourrices, qui aient quelqu'éducation; afin que les enfants apprennent à parler comme il faut. Les poètes, dans leurs jeux d'esprit, dans leurs fables, et les dialecticiens, dans leurs disputes puériles et leur babil sans fin, ne se voient-ils pas surpassés par les femmes ? Il n'y a point encore eu d'orateur assez persuasif et assez heureux, qui ait mieux attrapé l'art de persuader, que la moindre femme ; quel est l'arithméticien assez fin pour tromper une femme par ses faux calculs, lorsqu'il lui paye ses dettes? Quel est le musicien qui ait la voix plus douce et plus agréable que celle de la femme ? Des femmes de la campagne, ne surpassent elles pas souvent, par leurs prédictions et leurs pressentiments de ce qui doit arriver, les philosophes, les mathématiciens, et les astrologues ? Une femme de néant a souvent fait de plus belles cures que des médecins célèbres. Isocrate, qui fut le plus sage de tous les hommes, ne dédaigna pas, quoique dans un âge avancé, d'apprendre quelque chose d'une femme nommée Aspasie, comme le rapporte Pithion. Apollon pareillement fût enseigné par Priscille. [23] XXIII. Prudence et sagesse des Femmes. QUE si l'on désire des exemples de la prudence des femmes; nous trouvons Opis, parmi les déesses; Plotine, femme de Trajan, Amalasonte, reine des Ostrogoths, Emilie, femme de Scipion : on y peut ajouter la prudente Débora, et la femme de Labidoth, laquelle, comme on lit dans le livre des Juges, conduisit quelque temps le peuple d'Israël, et jugeait toutes les constestations des particuliers : Barach ne voulant point donner bataille, cette femme fut choisie pour commander les armées, elle attaqua l'ennemi, le battit, le mit en fuite et remporta une victoire signalée. On lit encore dans le livre des Rois, qu'une femme nommée Athalie régna dans Jérusalem, et jugea le peuple pendant sept ans. On voit Sémiramis, après la mort du roi Ninus, juger les peuples pendant quarante ans. Toutes les Candaces tinrent le gouvernement de l'Ethiopie, avec prudence et beaucoup d'éclat; il en est parlé dans les actes des apôtres ; et Joseph l'historien, raconte d'elles des choses admirables. Il ne faut pas oublier cette reine de Saba, nommée Nicaule, laquelle vint des extrémités de la terre, pour entendre la sagesse de Salomon. Cette femme, selon le témoignage de Jésus-Christ, condamnera un jour les hommes de Jérusalem. Nous connaissons encore la grande sagesse de Tochnides; cette femme embarrassa David par ses interrogations; elle l'avertit de son devoir d'un manière énigmatique, et elle l'adoucit par l'exemple de Dieu, qu'elle lui proposa. Nous ne citerons plus qu'Abigail et Bethsabée, dont la première délivra son mari de la colère de David, qu'elle épousa après la mort de Nabal ; et l'autre obtint par sa prudence le royaume pour Salomon son fils. [24] XXIV. Hauts Faits, et Bravoure des Femmes. LES femmes se sont encore illustrées par plusieurs savantes découvertes; telles sont Isis, Minerve et Nicortrate : d'autres ont fondé des empires et des villes, comme Sémiramis, qui commandait à tout l'univers; comme Didon et les Amazones. Les femmes se sont aussi distinguées dans les combats, entre autres Chomiris, reine des Massagotes, laquelle défit Cyrus, roi des Perses. Camille, du pays des Volsques, et Valisce, de Bohême, qui ont été deux puissantes reines. Les Pandes des Indiens, les Amazones, les Candaces, les femmes de Lemnos, de Perse et de plusieurs autres pays. L'Histoire fait encore mention de plusieurs femmes illustres qui, par leurs courageuses entreprises, ont sauvé leur patrie, qui était près de sa ruine. Judith est de ce nombre. Voici comme la loue saint Jérôme : "Regardez la veuve Judith, qui est un exemple de chasteté ; ne cessez point de lui donner des louanges". Il la propose pour modèle, non seulement aux femmes, mais même aux hommes, parce que Dieu, qui récompense la chasteté, lui a donné un courage si grand, qu'elle a vaincu celui qui ne l'avait pas été jusqu'alors, et qu'elle a terrassé un ennemi formidable. Nous lisons encore qu'une certaine femme pleine de sagesse, appela Joab, et lui mit entre les mains la tête de Siba, l'ennemi de David; afin qu'on épargnât la ville d'Abela, qui était la ville la plus considérable des Israélites. Une autre femme, en jetant d'une fenêtre un morceau d'une meule de moulin, écrasa la tête d'Abimelech. Dieu se servit de cette femme pour punir ce malheureux, parce qu'il avait péché contre le Seigneur, et qu'il avait affligé son père, en faisant égorger, sur la même pierre, ses soixante et dix frères. Nous voyons Esther qui, devenue l'épouse du roi Assuérus, délivre son peuple d'une mort honteuse et lui procure beaucoup de gloire. Les Volsques tenant la ville de Rome assiégée, sous le commandement de Cn. Martius Coriolan, Véturie sa mère, qui était fort âgée, conserva la ville, en faisant une réprimande à son fils. Arthémise, se voyant accablée par les Rhodiens, défit leur flotte, s'empara de leur île et éleva dans la ville de Rhodes une statue, qui exprimait sa haine contre les habitants de cette ville. Mais qui pourra donner assez de louanges à cette fille, qu'on appelle la Pucelle d'Orléans, qui, quoique d'une basse extraction, s'est cependant rendue très illustre. L'an 1428, les Anglais ayant pénétré bien avant dans la France, cette fille, comme une nouvelle Amazone, prit les armes, se mit à la tête de nos armées, et combattit avec tant de courage et de bonheur, qu'après avoir vaincu les Anglais dans plusieurs combats, elle reconquit le royaume des Français, qui était presque tout perdu. Pour conserver le souvenir de cette éclatante action, on a élevé à cette fille valeureuse une statue à Orléans, sur le pont de la Loire. Je pourrais tirer des histoires des Grecs, des Latins, et des autres peuples, tant anciennes que nouvelles, une infinité d'exemples de cette sorte ; mais cela me mènerait trop loin : j'ai dessein d'être court. En effet, Plutarque, Valère, Bocace et plusieurs autres, rapportent grand nombre d'histoires de femmes qui se sont rendues recommandables. C'est pourquoi il reste encore plus de choses à dire à la louange des femmes, que je n'en ai dit. D'ailleurs, je ne suis pas assez présomptueux pour m'imaginer pouvoir renfermer dans un si petit ouvrage tout ce qu'il y a de belles qualités et de vertus dans les femmes. Car qui serait assez habile pour développer et mettre dans son jour, tout ce qu'il ya de louable en elles : elles de qui nous tenons l'être, par qui le genre humain se perpétue éternellement, et enfin par qui se maintiennent les familles et la république entière. [25] XXV. Marques d'honneur rendues à la Femme. LE fondateur de la ville de Rome, persuadé que son empire ne durerait guère s'il n'y avait des femmes, et voyant qu'il n'en avait point, ne fit pas difficulté de s'engager dans une guerre cruelle avec les Sabins, en leur enlevant leurs filles. Les Sabins se rendirent maîtres du Capitole; les deux peuples se livrèrent un sanglant combat dans la place publique ; mais les femmes s'étant mises entre les deux armées, le combat cessa; les Romains firent la paix avec les Sabins et lièrent amitié ensemble. C'est pourquoi Romulus donna aux Curies les noms de ces filles, par lesquelles il divisa son peuple ; et les Romains demandèrent qu'on mît, par exception, dans les tables publiques, que la femme ne moudrait point le blé, et ne ferait point la cuisine. On défendit que la femme reçût rien de son mari, ni le mari de sa femme comme un présent; afin qu'ils sussent que tout était commun entre eux. C'est pourquoi, dans la suite, l'usage était que ceux qui introduisaient l'épouse, lui faisaient dire à son époux : "où vous êtes, j'y suis" : comme si elle eût dit, où vous êtes seigneur et maître, je suis maîtresse. Ensuite, après l'expulsion des rois, les Volsques, sous le commandement de Coriolan, s'étant avancés jusqu'à la cinquième pierre, ils en furent chassés par le moyen des femmes. En reconnaissance de ce bienfait on consacra un temple magnifique à la bonne fortune des femmes. De plus, par arrêt du Sénat, on déféra aux femmes plusieurs marques d'honneur et de gloire : entre autres, il fut ordonné que les hommes leur céderaient toujours le côté le plus élevé et le plus honorable dans les rues : on leur permit encore de porter des habits de pourpre avec des franges d'argent, de s'orner de diamants, de boucles d'oreilles, de bagues et de colliers. Les empereurs, dans la suite, ont eu soin que, lorsqu'il y aurait défense en quelque lieu de porter certains habits ou certaines parures, ces lois ne regardassent jamais les femmes. On leur a donné droit aux successions et aux héritages. Les lois ont encore permis qu'on accompagnât les funérailles des femmes, de discours et d'éloges funèbres, comme on fait à celles des grands hommes. Nous voyons que n'y ayant pas assez d'argent dans Rome, pour satisfaire au voeu de Camille, qui avait promis un présent considérable à Apollon de Delphes; les femmes donnèrent, de leur plein gré, tous leurs joyaux. Nous voyons encore dans la guerre qu'avait Cyrus contre Astyage, que l'armée des Perses étant mise en fuite, elle se rallia, piquée par les reproches des femmes, revint au combat, et: remporta une illustre victoire; en reconnaissance de quoi Cyrus ordonna que les rois de Perse, en entrant dans la ville, donneraient à chaque femme une pièce d'or : ce qu'Alexandre fit les deux fois qu'il entra dans cette ville ; Cyrus ordonna encore qu'on donnerait le double aux femmes enceintes. Les femmes ont donc été comblées de marques d'honneur, dès le temps des plus anciens rois des Perses, et dès la naissance de l'Empire romain. Les empereurs mêmes n'ont pas eu de moindres égards pour elles ; c'est pourquoi l'empereur Justinien a cru devoir consulter sa femme sur toutes les lois qu'il établissait. Une desquelles dit : que la femme brille de la gloire de son mari ! qu'elle soit couverte de son éclat! afin qu'autant que le mari sera élevé en honneur et en dignité, sa femme le soit aussi avec lui. C'est pour cela que la femme d'un empereur est appelée Impératrice; la femme d'un roi a le titre de reine ; celle d'un prince, celui de princesse, quelle que soit sa naissance. Et Ulpian dit encore : Le prince, c'est-à- dire, l'empereur, n'est pas soumis aux lois ; mais Augusta qui est l'épouse de l'empereur, quoi qu'en elle-même elle y soit soumise, cependant l'empereur lui communique et partage avec elle ses privilèges. C'est pour cette raison qu'il est permis aux femmes de condition d'opiner et de juger dans des affaires, de faire arrêter gens à leur service, et de décider des contestations agitées entre leurs vassaux. C'est encore pour cela qu'une femme peut avoir ses domestiques, de même que son époux. Elle peut même être arbitre dans des différends de personnes qui ne lui appartiennent pas. La femme peut même faire porter son nom à sa famille; de sorte que les enfants mâles aient le nom de la mère et non celui du père. [26] XXVI. Privilèges accordés à la Femme par les Lois. Les femmes ont encore de grands privilèges dans ce qui regarde leur dot. Les lois sont expresses là-dessus en différents endroits du corps du Droit. Il est même ordonné, pour la sûreté des femmes et afin que leur réputation ne soit point flétrie, qu'aucune d'elles ne peut être mise dans les prisons pour dettes civiles ; bien plus, la loi menace de mort le juge qui l'aurait fait emprisonner. Si une femme est soupçonnée d'avoir fait quelque faute, la loi ordonne qu'on la mette dans un couvent, ou qu'on laisse à des femmes le soin de la faire enfermer : la raison de cela est, comme l'insinue la loi, que la femme est meilleure que l'homme, parce que, pour une même faute, il est beaucoup plus répréhensible qu'elle. Azo, dans sa Somme, et le spéculateur, touchant les renonciations, rapportent plusieurs autres privilèges accordés aux femmes. [27] XXVII. Las Femmes sont capables de tout ; l'Histoire en fait foi. Nous voyons encore que Lycurgue et Platon, ces anciens législateurs, ces chefs de la république, ces hommes illustres par leur sagesse, leur savoir et leur prudence, convaincus, par les lumières de la philosophie, que les femmes ne sont pas moindres que les hommes, par l'excellence de leur esprit, la force de leur corps et la dignité de leur nature ; nous voyons, dis-je, ces hommes, les plus sages de l'antiquité, ordonner que les femmes s'exerçassent, comme les hommes, à la lutte et aux autres exercices du corps ; qu'elles apprissent la discipline de la guerre, à tirer de l'arc, à jeter des flèches, à se servir de la fronde, à lancer des pierres, à combattre, armées, soit à pied soit à cheval, à disposer un camp, à ranger une armée en bataille, à la conduire. En un mot, ils voulaient que tous les exercices des hommes fussent communs aux femmes. Si nous lisons d'anciennes histoires dignes de foi, nous y verrons les hommes de la Gétulie, de la Bactriane, aujourd'hui le Chorozan, et de la Galice en Espagne, croupir dans la mollesse et l'oisiveté, tandis que les femmes cultivent la campagne, bâtissent des maisons, font les affaires, montent à cheval, font la guerre, et prennent tous les soins qui sont parmi nous le partage des hommes. Dans la Cantabre, aujourd'hui la Biscaie, les hommes apportaient leur dot en se mariant, les soeurs faisaient les mariages de leurs frères, et les filles étaient les premiers héritiers. Parmi les Scythes, les Thraces et les Gaulois, les femmes et les hommes faisaient conjointement toutes choses ; les femmes traitaient de la paix et de la guerre; et elles avaient leur voix dans les jugements et les délibérations. Le traité des Celtes avec Annibal en est une preuve; et le voici : Si quelqu'un des Celtes se plaint d'avoir reçu des torts de la part de quelque Carthaginois, les magistrats et les généraux des Carthaginois, qui se trouveront en Espagne, en seront juges ; mais si un Celte a fait quelqu'injustice à un Carthaginois, les femmes en seront juges. [28] XXVIII. L'état où est la Femme aujourd'hui, est par usurpation de ses droits. Mais la tyrannie et l'ambition des hommes ayant pris le dessus, contre l'ordre du créateur et l'institution de la nature, la liberté, qui avait d'abord été accordée aux femmes, leur est ôtée aujourd'hui, me direz-vous, par les lois; l'usage universel de tous les peuples y est opposé, et la manière dont on élève les femmes les en éloigne. En effet, à peine une fille est-elle née, on la tient renfermée dans la maison, sans l'occuper à rien de solide ou de sérieux ; et comme si elle n'était pas capable de plus grandes choses, on veut qu'elle fasse son unique occupation de son fil et de son aiguille. A-t-elle atteint l'âge de puberté, on la met sous la dure domination d'un mari, ou on la renferme, pour toute sa vie, dans un monastère. Les lois l'éloignent de toutes les charges publiques. Quelque esprit qu'elle ait, on ne lui permet point de parler dans le barreau, on ne lui accorde aucune juridiction, aucun droit d'arbitre, d'adoption, d'opposition; on ne lui confie nulle affaire : on ne la reçoit point pour tutrice ou curatrice; elle ne peut se mêler ni de testaments, ni d'affaires criminelles. On interdit la prédication aux femmes, quoique l'écriture dise dans Joël : vos filles prophétiseront ; et que, du temps des apôtres, elles enseignassent publiquement, comme il est dit d'Anne, des filles de Philippe et de Priscille. Mais les derniers législateurs ont été bien différents des premiers; ils ont regardé les femmes comme beaucoup au-dessous des hommes. Les femmes doivent cependant se soumettre à ces lois, comme les vaincus sont obligés de céder à l'autorité des vainqueurs. Ce ne sont point les lois de la nature, ni du créateur, ni encore moins la raison qui les y obligent ; mais une malheureuse coutume, une fatale éducation, leur sort malheureux et un hasard injuste les y engagent. [29] XXIX. I.e Femme n'est point faite pour obéir à l'homme. Mais il y a des hommes qui veulent faire servir l'Écriture à les disculper de la tyrannique autorité qu'ils ont prise sur les femmes : ils croient leur domination bien établie sur ces paroles que Dieu adressa à Eve après sa chute. "Tu vivras soumise à ton mari, et il dominera sur toi". Ils ont ces mots continuellement dans la bouche. Si on leur répond que Jésus-Christ a levé cette malédiction, ils répliqueront aussitôt par ce passage de saint Paul : "Que les femmes soient soumises à leurs maris; que les femmes se taisent dans l'église". Mais quiconque connaît un peu le style de l'Écriture, et ses manières de parler, verra aisément que ces passages ne nous sont contraires qu'en apparence. Car c'est l'ordre de la discipline ecclésiastique, que les hommes soient préférés aux femmes dans le ministère sacré, de même que les Juifs étaient préférés aux Gentils dans l'ordre des promesses ; mais Dieu ne fait acception de personne : il n'y a en Jésus-Christ ni mâle, ni femelle, mais une nouvelle créature. Et, de plus, tous ces airs d'autorité n'ont été permis à l'homme qu'à cause de la dureté de son coeur; de même qu'il a été permis aux Juifs de répudier leurs femmes ; mais tout cela ne blesse en rien la dignité de la femme, et même les femmes redressent souvent les hommes, lorsqu'ils se trompent. La reine de Saba ne jugera-t-elle pas un jour les hommes de Jérusalem ? Les hommes donc qui, étant justifiés par la foi, ont été faits les enfants d'Abraham, c'est-à-dire, les enfants de la promesse, sont soumis à la femme, et ils sont obligés d'obéir à l'ordre que Dieu donna à Abraham : "Faites tout ce que vous dira Sara votre femme". [30] XXX. Récapitulation et Conclusion de ce Traité. FAISONS l'abrégé de tout ce traité. Nous y avons prouvé la grandeur et l'excellence des femmes au-dessus des hommes, par le nom donné à la première femme, par l'ordre du temps auquel elle a été créée; par le lieu de sa formation, par la matière dont elle a été faite : nous l'avons encore montré par des preuves tirées de la religion, de la nature des lois humaines, par différentes autorités, par plusieurs raisons, et par une infinité d'exemples. Mais il faut convenir que nous n'en avons pas tant dit, qu'il n'en reste encore beaucoup plus à dire. Je n'ai point entrepris de faire ce traité par vanité, ou pour m'attirer des louanges; mais par devoir et par amour de la vérité; craignant qu'en gardant un silence criminel, je ne privasse le beau sexe des louanges qui lui sont dues, et ne devinsse ainsi très coupable d'avoir enfoui le talent que j'avais recu ; ayant connu, mieux qu'un autre, les raisons de la grandeur et de l'excellence des femmes. Si quelqu'un, plus exact que moi, trouvait des preuves nouvelles qui pussent embellir ce traité; loin de le regarder comme un critique mordant, je lui saurais gré de m'avoir secondé, et d'avoir rendu, par ses lumières et ses recherches, ce petit ouvrage plus complet et plus riche. Je le finis ici brusquement, car je craindrais qu'il n'eût enfin une longueur excessive.