[82,0] Sermon 82 (Sermon II.) Sur la vache, le bélier et la chèvre de trois ans , la tourterelle et la colombe. [82,1] Vous avez entendu, mes très chers frères, dans la lecture de l'écriture sainte que l'on vient de nous faire que le seigneur parlant à Abraham lui dit "Prenez une vache de trois ans, une chèvre de trois ans, et un bélier qui soit aussi de trois ans, une tourterelle et une colombe. Abram prenant donc tous ces animaux les divisa par la moitié (en les fendant depuis la tête jusqu'à la queue) et mit les deux parties qu'il avait coupées vis-à-vis l'une de l'autre (laissant un espace pour passer entre deux) mais il ne coupa pas les oiseaux. Or les oiseaux (de proie) venaient fondre sur ces bêtes mortes et Abram les en chassait. Mais lorsque le soleil se couchait, Abram fut surpris d'un profond sommeil et il tomba dans un horrible effroi, se trouvant comme tout enveloppé de ténèbres; lors donc que le soleil fut couché (et qu'Abram fut endormi) il se forma une obscurité ténébreuse; il parut un four d'où sortait une grande fumée (signes sensibles des maux que sa postérité devait souffrir) il vit dieu sous la figure d'une lampe ardente, qui passait au travers de ces bêtes divisées (pour confirmer l'alliance qu'il contractait avec lui)". Je désire, mes très chers frères, d'expliquer en peu de mots à votre charité autant que dieu m'en fera grâce ce que tout ce que tout cela signifie. Le seigneur avait dit à Abraham qu'il serait le père de plusieurs nations; aussi toutes les nations qui croient et qui croiront jamais en Jésus-Christ, quoiqu'elles ne soient pas nécessairement d'Abraham selon la chair, ne laissent pas d'être ses enfants par l'imitation de sa foi. Les juifs ayant dégénéré de la foi de leur origine, leur infidélité en a fait, d'enfants d'Abraham qu'ils sont selon la chair, des enfants du démon selon l'esprit, ce qui les a fait appeller race de vipères dans l'évangile; au contraire tous les gentils, par la sincérité de leur foi en Jésus-Christ, ont mérité d'être appellés les enfants d'Abraham. Ces nations nous sont ici représentées par cette vache, ce bélier et cette chèvre de trois ans ; par cette tourterelle et cette colombe; leur âge commun de trois ans signifie que les nations devaient croire le mystère de la sainte trinité, mais, quoique tous ceux qui sont dans l'église catholique disent qu'ils croient en la sainte trinité, ils ne sont pas tous pour cela des chrétiens spirituels ; il y en a aussi de charnels, qui ne craignent pas de commettre des péchés et même des crimes; comme donc ces deux espèces de chrétiens sont mêlés ensemble, c'est pour les représenter qu'Abraham eut ordre d'ajouter une tourterelle et une colombe aux trois autres animaux; car la tourterelle et la colombe représentent les spirituels et les trois autres animaux les charnels. [82,2] L'écriture nous dit qu'Abraham divisa ces trois animaux en deux et en plaça les parties ainsi divisées vis-à-vis l'une de l'autre mais qu'il ne divisa pas les oiseaux, ce qu'il faut bien remarquer. Pourquoi cette différence, mes frères, ceci sans doute n'est pas sans mystère dans l'église catholique : les spirituels ne sont pas divisés, les charnels le sont; ils sont opposés les uns aux autres, dit ailleurs l'écriture; or, ils sont divisés, opposés les uns aux autres, parce que les sensuels et les mondains, quoiqu'animés des mêmes passions, ont des intérêts différents et cherchent sans cesse à se supplanter les uns les autres; ainsi ils sont divisés, séparés les uns des autres, opposés les uns aux autres. Pour les spirituels, comme ils n'ont qu'un coeur et qu'une âme pour dieu, qu'ils n'ont tous qu'une même volonté, ils ne sont point divisés, ils ne sont point opposés les uns aux autres; semblables à ces oiseaux qu'ils représentent, comme nous l'avons dit, ce sont des tourterelles en chasteté, des colombes en simplicité. Car tous ceux qui, dans l'église catholique, sont animés de la crainte du seigneur, sont désignés sous ces beaux noms d'amateurs de la chasteté et de la simplicité et peuvent tous dire avec le psalmiste : "Qui me donnera des ailes comme à la colombe, je volerai et me reposerai" et encore : "la tourterelle a trouvé un nid pour y mettre ses petits en sûreté"; et, pendant que les charnels, divisés entre eux et en eux-mêmes, sont accablés dans ce monde sous le poids des chaînes de leurs passions, les spirituels, au contraire, s'élèvent déjà au-dessus de la terre par la pratique et l'amour des vertus : l'amour de dieu et l'amour du prochain, comme deux ailes, les élèvent vers le ciel et leur font dire avec l'apôtre : "pour nous, nous vivons déjà dans le ciel, comme en étant citoyens", et répondre, avec autant d'assurance que de foi, au prêtre lorsqu'il dit : "Élevez vos coeurs", nous les avons élevés vers dieu, ce qu'assurément peu de chrétiens, dans l'église, peuvent dire avec sincérité et vérité. Abraham, donc, ne divisa pas les oiseaux parce que les spirituels, qui n'ont qu'un coeur et qu'une âme, comme je l'ai déjà dit, ne peuvent être séparés du double amour de dieu et du prochain mais défient avec assurance toutes les créatures avec l'apôtre : "Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ", disent-ils, "sera-ce l'affliction, ou les angoisses, ou la persécution, etc.?" ce qu'il termine par assurer qu'aucune autre créature ne pourra jamais nous séparer de l'amour de dieu en Jésus-Christ notre seigneur. Voilà la différence qu'il y a entre ces deux espèces de chrétiens : les tourments même ne peuvent séparer les spirituels de Jésus-Christ et il ne faut quelquefois que des discours oisifs, des conversations inutiles pour en séparer les charnels. L'épée, la mort n'en sépare pas les premiers, les plus fâcheuses adversités n'intimident pas les spirituels, les délices de la prospérité amollissent les charnels: voilà ce que représentait Abraham en partageant en deux trois animaux et ne divisant pas les oiseaux. [82,3] "Mais, lorsque le soleil fut couché, Abram tomba dans un horrible effroi et une obscurité ténébreuse : il parut un four enflammé d'où sortait une grande fumée et une lampe ardente qui passait au trvers de ces bêtes qu'il avait divisées". Il était tard : cela signifie la fin du monde. Mais pourqoi l'écriture marque-t-elle si expressément que cette lampe ardente passait entre les divisions de ces bêtes immolées et qu'il n'est point dit qu'elle toucha les oiseaux ? d'où vient cette différence ? Je viens de vous le dire, mes frères, ces animaux figuraient toutes les nations, qui devaient croire en Jésus-Christ; dans ces nations, qui font profession de la foi, il y a des charnels et des spirituels, c'est-à-dire non seulement des bons maus aussi des méchants : c'est donc pour représenter d'avance ces deux espèces de chrétiens que ces animaux sont divisés, et cette lampe de feu qui passe entre ces divisions signifie ce que dit l'apôtre, que le jour du seigneur fera connaître (cette distinction) parce qu'il sera découvert par le feu et que le feu mettra à l'épreuve l'ouvrage de chacun. Ce four enflammé, d'où sortait une grande fumée, et cette lampe ardente représentaient donc le jour du jugement. Il n'est pas étonnant de voir Abraham, à la vue de ce grand jour, saisi de crainte, d'effroi et d'une obscurité ténébreuse; car, enfin, vous le savez, mes frères, et ce saint homme ne l'ignorait pas, qu'en ce jour terrible à peine le juste sera sauvé; comment donc l'impie et le pécheur paraîtront-ils devant le seigneur? En ce jour terrible, où nous sommes avertis qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents, des lamentations, des hurlements, des regrets inutiles et une repentance tardive et infructueuse; jour, auquel les fondements des montagnes seront ébranlés et toute la terre dévorée par un feu qui la consumera jusques dans les abîmes; jour, auquel, selon saint Pierre, l'ardeur du feu dissoudra les cieux et fera fondre tous les éléments; jour, auquel Jésus-Christ dit que les vertus des cieux seront ébranlées, que le soleil s'obscurcira, que la lune ne donnera plus sa lumière et que les étoiles tomberont du ciel; alors, mes frères, alors que deviendront les impies ? Que deviendront les ivrognes, les adultères, les médisants et les calomniateurs, les ravisseurs du bien d'autrui, les envieux, les superbes et les arrogants? Que diront-ils pour leur excuse ? Tant de fois avertis et surpris néanmoins par ce jour épouvantable, sans être préparés ? Au son éclatant dela trompette, à la voix de l'archange, encore plus éclatante, le monde entier fera retentir ses mugissements; le seigneur viendra dépeupler la terre, dit le prophète, la réduire comme un désert, en exterminer les impies; les criminels, les pécheurs seront précipités dans un étang de feu, la fumée de leurs tourments, dit l'écriture, s'élevera dans les siècles des siècles; que pendez-vous que sera alors la frayeur et le frémissement, l'obscurité et les ténèbres qui saisiront les criminels, les tièdes, les paresseux ? Réveillons-nous donc enfin de notre assoupissement, mes frères, pendant qu'il en est est encore temps et, pour n'être pas surpris par ce jour épouvantable, pour nêtre pas condamnés à ces supplices éternels, étudions, accomplissons, comme de bons et fidèles serviteurs, la volonté de nore maître, afin de n'être pas tourmentés en enfer pra ces flammes vengeresses, qui traverseront les charnels, figurés par ces animaux divisés, parce que eux-mêmes auront été partagés et divisés par les attraits et les intérêts opposés de différentes passions; mais qu'en ce jour terrible, figuré par ce four ardent et fumant, jour redoutable aux bons même, rassurés par l'amour et la pratique de la simplicité de la colombe et de la chasteté de la tourterelle, nous soyons élevés vers le ciel, par les ailes spirituelles de ces deux vertus et que nous soyons emportés sur les nuées, comme le dit l'apôtre, "pour aller dans les airs au devant de Jésus-Christ à qui appartient, avec le père et le saint esprit, tout honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen".