[1,2] SECOND DEGRÉ. Considération de l'univers. Nous avons composé le premier degré de l'échelle d'ascension vers Dieu en considérant l'homme, qu'on peut appeler l'univers en raccourci; il s'agit maintenant; pour former le second degré, d'examiner cette énorme masse qu'on appelle le grand univers. A la vérité, si Grégoire de Nazianze dit que Dieu a placé l'homme comme un grand monde dans le petit monde; ce qui est vrai, si du monde nous en excluons les anges ; car l'homme est plus grand que tout le monde corporel, non par sa masse, mais par sa vertu : mais si dans le monde nous comprenons les anges, comme nous entendons le faire ici, l'homme est un petit monde placé dans le grand. Il y a donc de véritables merveilles dans ce grand monde qui renferme l'universalité. des êtres créés ; les plus remarquables sont leur grandeur, leur multitude, leur variété, leurs propriétés et leur beauté. Si, éclairés d'en haut, nous considérons attentivement ces merveilles; elles seront -un puissant secours pour élever notre âme à un tel point d'admiration pour ces grandeurs immenses, pour cette multitude et cette variété innombrables, pour leurs propriétés et leur beauté, qu'elle en restera comme extasiée; et, rentrée en elle-même, elle méprisera comme un vil néant tout ce qui ne se rapporte pas à Dieu. 1° Point de doute que l'univers ne soit grand, et tellement grand que l'Ecclésiastique nous dit: Qui a mesuré la largeur de la terre et la profondeur de l'abyme ? on peut aussi se faire une idée de cette vaste étendue de la terre seule, en considérant l'impossibilité où ont été les hommes qui ont vécu depuis tant de milliers d'années écoulées depuis la création, de la connaître entièrement, malgré les peines et les fatigues qu'ils se sont données pour en venir à bout. Mais qu'est cette masse de la terre comparée à la vaste étendue du ciel supérieur? elle n'est qu'un point, disent avec raison, les astronomes; car nous voyons les rayons solaires transmis aux étoiles opposées du firmament, indépendamment de la terre, placée entre deux, comme si elle n'existait pas. Et si une étoile quelconque du firmament, plus grande que toute la terre, comme le pensent ces savants, nous paraît cependant si petite, à cause de sa distance infinie, qui pourra comprendre la vaste étendue du ciel, où brillent tant de milliers de ces astres radieux? Si l'Ecclésiastique, parlant de la superficie et de l'étendue de la terre, a dit que sa largeur et sa profondeur étaient incommensurables, que dirait-il donc de la superficie extérieure du ciel et de sa profondeur depuis le plus haut des cieux jusqu'au fond des abymes ? Cette masse du monde matériel est tellement grande qu'elle échappe à la pénétration du génie le plus sublime, du penseur le plus profond. A présent souffrez, ô mon âme, que je vous interroge. Si le monde est si grand, que pensez-vous de la grandeur de celui qui l'a fait? vous répondrez sans doute avec le Prophète: Le Seigneur est grand, et sa grandeur n'a point de bornes. Mais écoutez Isaie : il demande qui est celui qui a mesuré les eaux dans le creux de sa main, et qui, la tenant étendue, a pesé les cieux, qui soutient de trois doigts toute la masse de la terre (Isaie, XL,12)? Sur ce passage, St. Jérôme, d'après la version d'Aquila, entend par "pugillum" le plus petit doigt, comme qui dirait que Dieu mesure toute l’eau qui est moindre que la terre d'un seul de ses doigts; qu'il en emploie trois pour porter la terre, et qu'il contient les cieux, plus grands que la terre et l’eau réunies dans la paume de sa main. Ce sont, il est vrai, des métaphores, puisque Dieu étant esprit n'a, à proprement parler, ni doigts, ni mains. Mais l'Ecriture montre assez par ces comparaisons que Dieu est infiniment plus grand que ses créatures, puisque, au témoignage de Salomon (II Par. 6.), le ciel ni les cieux des cieux ne peuvent le contenir; ce qui est tellement vrai que si Dieu créait un autre monde, et plusieurs mondes et même une infinité de mondes il les remplirait tous. Et ne pensez pas, ô mon âme, que Dieu remplisse le monde de manière qu'une partie de Dieu soit dans une partie du monde; et qu'il soit tout entier dans la totalité des êtres créés ; car Dieu n'a point de parties, et il est tout dans le monde et tout entier clans chaque partie du monde. D'où il suit qu'il est présent partout avec sa sagesse et sa toute puissance; aussi, pourvu que vous lui soyez fidèle, votre coeur n'aura rien à craindre, quand même des armées s'élèveraient contre vous. Que peut craindre en effet celui qui possède au-dedans de soi un père, un ami, un époux tout puissant, qui voit tout et qui nous aime avec ardeur? Mais si vos péchés font de votre Dieu un juge irrité, un ennemi tout-puissant, qui voit tout, et qui porte une main implacable au péché, vous devez craindre être saisie de frayeur, et ne vous donner aucun repos que vous n'ayez apaisé votre Dieu par une sincère pénitence, qui vous ouvrira le sein de sa miséricorde. 2° Voyons maintenant s'il est possible d'énumérer l'innombrable multitude des êtres que Dieu a formés ; on aurait plus tôt compté les grains de sable de la mer et les gouttes d'eau qu'elle renferme. Combien de métaux précieux d'or et d'argent, d'airain et de plomb, de pierres précieuses et de perles renfermés dans le sein de la serre et des eaux ? sur la terre que de genres; d'espèces et d'individus de toutes sortes d'herbes, de fruits et de plantes ? que de parties dans chacune d'elles? que de genres, d'espèces et d'individus d'animaux parfaits et imparfaits, de quadrupèdes, de reptiles et d'oiseaux ? Quelle variété admirable dans les poissons de la mer ? et qui pourrait les compter? Que dirons-nous de cette multitude d'hommes qui habitent le globe, dont il est dit (Ps. XI, 9), que Dieu les a multipliés selon la profondeur de sa sagesse? combien d'étoiles suspendues a la voûte des cieux ? combien d'esprits célestes dans le séjour du bonheur ? Les étoiles sont innombrables, dit l'écrivain sacré (Genèse XV); leur multitude est comparée aux grains de sable de la mer ; et Daniel, parlant des anges (Daniel, VII, 10.), dit qu'un million d'anges servaient Dieu, et mille millions assistaient devant lui. St. Thomas assure avec St. Denis que le nombre des anges surpasse celui de toutes les choses matérielles ; cette multitude presque infinie d'êtres, sortie des mains du Tout-Puissant, ne démontre-t-elle pas que l'essence divine renferme des perfections infinies ? En effet, Dieu a voulu que l'homme le connût par sas créatures, et parce qu'aucune d'elles ne pouvait représenter convenablement les perfections infinies du Créateur, il les a multipliées, donnant à chacune un certain degré de bonté et de perfection, afin qu'on pût juger de là de la bonté et des perfections de celui qui les renferme toutes dans son essence, en quelque sorte comme une pièce d'or équivaut à un grand nombre de pièces de cuivre. Servez-vous donc, ô mon âme, de tout ce que vous voyez, de tout ce que vous concevez d'admirable, pour vous faire une idée des perfections du Créateur, qui sont encore bien incomparablement au-dessus de tout ce que vous sauriez imaginer ; de cette manière les créatures qui sont devenues un filet où les pieds des insensés se sont pris : "Quae factae sunt... in muscipulam pedibus insipientium" (Sagesse, XIV,11), deviendront pour vous un sujet d'instruction, et contribueront à vous rendre meilleur. A l'aspect de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, vous direz dans le fond de votre coeur : Mon Dieu qui a promis de se donner à moi, si je le préfère à ces trésors, vaut infiniment mieux. En admirant les royaumes, les empires de ce monde, vous direz : Combien est plus précieux le royaume du ciel, qui doit durer éternellement, et que la souveraine Vérité a promis à ceux qui l'aimeraient ! Quand les voluptés et les délices de la chair commenceront à s'emparer de vos sens, vous leur opposerez les voluptés de l'esprit, et les délices de l'âme, si supérieures aux voluptés charnelles et aux délices du ventre ; ces dernières en effet nous sont offertes par la créature, mais c'est Dieu lui-même, le Dieu de toute consolation qui nous offre les autres, et celui qui a le bonheur de les goûter peut dire avec l'Apôtre : Je suis rempli de consolation, je suis comblé de joie parmi toutes mes souffrances. (II Cor. VII, 4) Enfin si, pour vous faire abandonner Dieu, on vous offre quelque chose de beau, de nouveau, d'insolite, de grand, de merveilleux, répondez avec assurance que votre Dieu possède sans contredit plus de perfections que tout ce que l'on vous offre, et qu'ainsi il ne vous est pas avantageux d'échanger de la monnaie de cuivre pour celle qui est en or, un morceau de verre pour des pierres précieuses, de petites choses pour des grandes, le certain pour l'incertain, et ce qui est éternel pour des choses temporelles. 3° Mais quelque admirable que soit cette multitude d'êtres dont nous venons de parler, et quelque grande que soit l'idée qu'elle nous donne des perfections de Dieu, je trouve plus admirable encore cette variété que Dieu a mise dans cette multiplication des êtres ; elle me donne plus de facilité pour m'élever à la connaissance de Dieu. Un cachet peut faire plusieurs figures semblables, les mêmes caractères peuvent former des lettres innombrables ; mais varier les formes presqu'à l'infini, comme Dieu l'a fait dans la création, voilà ce qui porte un caractère de divinité qui mérite de notre part l'admiration la plus étendue; passant sous silence les genres et les espèces qui sont si différentes et si diversifiées ; quelle variété ne peut-on pas remarquer dans les individus des herbes, des plantes, des fleurs et des fruits ! N'aperçoit-on pas une infinité de variations dans leurs figures, leurs couleurs, leurs odeurs, leurs goûts ? Ne remarque-t-on pas les mêmes choses dans les animaux ? Mais que dirai-je des hommes, puisque dans une armée nombreuse à peine en trouve-t-on deux qui se ressemblent ? La même variété est donc dans les étoiles et les anges ; car entre les étoiles l'une est plus éclatante que l'autre, comme le dit l'Apôtre (I Cor. XV,41 ), et St. Thomas affirme que quoique le nombre des Anges surpasse celui des choses corporelles, ils diffèrent cependant entre eux non-seulement par l'individualité du nombre, mais encore par leur forme spécifique. Élevez donc, à présent, ô mon âme ! vos regards intérieurs vers Dieu, en qui se trouve la raison de tous les êtres, et d'où découle, comme d'une source intarissable, cette variété presque infinie ; car Dieu n'aurait pu imprimer aux créatures cette innombrable variété de formes s'il ne les renfermait éminemment en lui. Aussi le grand Apôtre ne peut contenir son admiration : O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu, s'écrie-t-il, que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables (Rom. XI,33) ! C'est vraiment un puits d'une profondeur infinie où sont cachés des trésors de richesses, de science et de sagesse, seuls capables de produire cette admirable et étonnante variété. Saint François d'Assise, éclairé d'en haut, disait dans ses transports d'admiration : Mon Dieu et mon tout, "Deus meus et omnia". Il avait raison, car tous les différents biens qu'on trouve disséminés dans les créatures, sont réunis en Dieu d'une manière plus parfaite et plus élevée. Vous direz peut-être: Cela paraît vrai, mais nous voyons les choses créées de nos yeux, nous les touchons, nous les goûtons, nous en jouissons, tandis que nous ne voyons pas Dieu; nous ne pouvons ni le toucher, ni le goûter, ni le posséder ; et à peine le concevons-nous par la pensée, comme un objet placé bien loin de nous: il ne faut donc pas être surpris si nous sommes plus affectés des choses créées que de Dieu. Mais je vous répondrai que si vous avez une foi vive et agissante, et que vous persévériez dans cette foi, dans l'espérance et dans la charité, vous ne pouvez ignorer qu'après cette vie, qui s'enfuit comme une ombre, vous verrez véritablement et clairement Dieu tel qu'il est en lui-même, vous le posséderez et vous en jouirez beaucoup mieux et plus intimement que vous ne jouissez maintenant des choses créées. Écoutez le Seigneur lui-même qui vous dit: Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu. Écoutez saint Paul (I Cor. XIII,12 )qui ajoute : Nous ne voyons Dieu maintenant que comme en un miroir et en des énigmes; mais alors nous le verrons face à face. Écoutez saint Jean qui nous assure que nous serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel qu'il est (I Jean, 3). Je vous demande enfin si votre lot, dans le partage de ce monde, sera bien grand ? Vous ne le possédez pas tout, ni le tiers, ni le quart, à peine en avez-vous une très petite portion qu'il vous faudra, bon gré, malgré, abandonner dans peu de temps ; mais vous posséderez entièrement et éternellement Dieu, en qui sont toutes choses ; car Dieu est tout dans tous les saints, selon la doctrine de saint Paul, "Deus omnia et in omnibus". Il sera lui-même votre vie, votre nourriture, votre vêtement, votre habitation, votre gloire, vos richesses, votre joie, votre tout ; ajoutez encore que ce Dieu plein de bonté et de douceur ne veut pas vous priver de la consolation des créatures pendant votre pèlerinage, puisqu'au, contraire il les a toutes créées pour vous servir ; mais il veut que vous en usiez avec modération, sobriété et tempérance ; que vous en fassiez volontiers part aux pauvres ; que vous dominiez sur elles au lieu de vous en laisser dominer ; et que vous n'en usiez que pour vous élever jusqu'à lui. Pensez donc sérieusement s'il ne vaut pas mieux pour vous de vous contenter en cette vie des choses nécessaires, pour mériter de posséder dans l'autre votre Créateur, en qui sont renfermés tous les biens, que de vous tourmenter sans cesse ici-bas pour acquérir des biens temporels qui ne satisferont jamais vos désirs, et de vous voir privé tout-à-coup par la mort, et des biens temporels, et des biens éternels. Ajoutez encore que Dieu accorde à ceux qui l'aiment, dès cette vie même, de grandes consolations, et plus grandes que n'en trouvent les amateurs du siècle dans la possession des choses créées ; car il est écrit dans les psaumes : Je me suis souvenu de Dieu et j'ai trouvé ma joie dans ce souvenir.... Mettez votre joie dans le Seigneur, et il vous accordera les demandes de votre coeur... Aussi je me réjouirai dans le Seigneur, et lui dirai : Répandez, Seigneur, la joie dans l'âme de votre serviteur, parce que je tiens mon âme élevée en nous.... Et j'ajouterai avec l'apôtre : Je suis rempli de consolation, je suis comblé de joie parmi toutes mes souffrances (II Cor. VII,4). Assurément l'Apôtre ne veut pas dire que la tribulation procure la consolation, ni que la douleur procure la joie, car les épines ne produisent pas des raisins, et on ne recueille pas des figues sur les buissons ; mais il nous apprend que, pour adoucir nos souffrances, Dieu répand dans ses amis des consolations si pures, si parfaites et si solides, qu'on ne peut en aucune manière les comparer aux joies temporelles du monde. Concluez donc, ô mon âme, que c'est avoir tout trouvé que d'avoir trouvé Dieu, comme c'est avoir tout perdu que de le perdre. 4° Servons-nous maintenant des qualités que Dieu a mises dans les créatures pour nous élever à la connaissance des qualités infinies du Créateur. Il n'y a point de chose qui n'ait une propriété, une puissance et une efficacité admirable. Voyez avec quelle impétuosité la pierre, tombant d'en haut, se précipite vers son centre! Elle brise tout, rien ne lui résiste. L'Esprit-Saint, dans l'Apocalypse, voulant dépeindre l'impétuosité avec laquelle la grande Babylone, c'est-à-dire la masse des impies, sera, au jour du jugement, précipitée dans la profondeur de l'abîme, s'exprime ainsi : Alors un ange fort et puissant leva en haut une pierre semblable à une grande meule de moulin, et la jeta dans la mer, en disant : C'est ainsi que Babylone, cette grande ville, sera précipitée avec impétuosité, en sorte qu'elle ne se trouvera plus. L'eau qui coule si agréablement et avec une molle douceur sur la surface de la terre, si elle vient à s'irriter et à grossir dans les fleuves et les torrents, elle renverse et détruit tout, là cabane du laboureur, les remparts des cités, et les ponts les plus solides. Les vents qui soufflent quelquefois si agréablement, brisent les plus grands vaisseaux contre les écueils, déracinent et renversent les chênes antiques. J'ai vu (c'est Bellarmin qui parle) de mes propres yeux ce que je n'aurais jamais cru sur le rapport d'autrui, une grande masse de terre arrachée par un vent impétueux, et portée sur un village, en telle sorte qu'on voyait une fosse profonde là où la terre avait été enlevée, et ce village tout couvert et presque enseveli par la terre que le vent y avait apportée. Que dirons. nous du feu ? avec quelle vivacité une étincelle s'accroît au point de dévorer et consumer en un instant des villages et des forêts? "Ecce quantulus ignis quam magnan, silvam incendit" (Jacques 3.) ! Que de propriétés dans les plantes ! Quelle admirable vertu dans les pierres, et surtout dans l'aimant et le succin ? Parmi les animaux, les uns se font admirer par leur force prodigieuse, tels que le lion, l'ours, le taureau, l'éléphant ; les autres, quoique très petits, montrent une adresse étonnante, tels que la fourmi, l'araignée, l'abeille, le fourmi-lion. Je ne parle pas ici de la puissance des anges, des propriétés du soleil et des étoiles placés loin de nous; mais j'admire le génie de l'homme, qui a inventé les arts et les a perfectionnés à un tel point que souvent l'adresse semble le disputer à la nature. Élevez donc maintenant, ô mon âme, votre esprit vers Dieu, et considérez quelle doit être sa vertu, son efficacité, sa puissance ! "Quis similis tui in fortibus, Domine?" Sans le secours de personne vous opérez les plus grandes merveilles; heureux et seul puissant, vous êtes le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs. Eu effet, tout ce que les créatures ont de puissant, elles le tiennent de Dieu, et ne le conservent qu'autant qu'il plaît a Dieu. Quel autre que Dieu conserva Jonas dans le ventre de la baleine sans que les eaux de la mer, ni les dents de ce crustacée pussent lui nuire ? Quel autre que Dieu ferma la bouche aux lions affamés pour sauver Daniel? Quel autre que Dieu conserva les trois enfants dans la fournaise ardente ? Et n'est-ce pas encore Jésus-Christ, vrai Dieu, qui commanda aux flots de la mer irritée, et ramena subitement le calme ? "Tace, obmutesce ; et cessavit ventus, et facta est tranquillitas magna" (Marc IV). Oui, ce Dieu qui ne tient le pouvoir que de lui, dont la volonté est la puissance, et dont la puissance n'éprouve jamais d'obstacles ; ce Dieu, dis-je, a toujours eu en tous lieux, une puissance infinie, et toute la puissance des hommes ; comparée à la puissance de. Dieu, est non seulement peu de chose, mais un pur néant. "Omnes gentes quasi non sint, sic sunt coram eo, et quasi nihilum et inane reputatae sunt ei" (Isaie XL). Ne faut-il pas qualifier d'insensés tous ceux qui craignent les créatures et ne craignent pas le Tout-Puissant? Tous ceux qui s'appuient sur leurs forces ou sur celles de leurs amis, et ne se confient point en Dieu ? Si Dieu est pour nous, qui pourrait être contre nous, et si Dieu est contre nous, qui sera pour nous? Humiliez-vous donc, ô mon âme, sous la puissante main de Dieu; attachez-vous à lui par une piété sincère, et vous ne craindrez ni les hommes, ni les démons, ni aucune créature. Mais si vous avez abandonné la piété, si vous avez provoqué la colère de Dieu, ne prenez point de repos que vous n'ayez fait votre paix avec lui, car il est horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant (Hebr. X). 5° Il nous reste a examiner la beauté des choses créées dont le Prophète a dit : Seigneur, vous m'avez rempli de joie dans la vue de vus ouvrages (Ps. XCI, 4) ; et assurément un peu d'attention nous fera découvrir, dans les oeuvres de Dieu, autant de beauté que de bonté. Passant sous silence bien des perfections, attachons-nous à ce qui est jugé beau par le commun des hommes. On admire sans contredit une prairie verdoyante, un jardin bien cultivé, une forêt agréable, une mer tranquille, le cristal des fontaines, la majesté d'un fleuve, la régularité d'une ville, l'aspect du firmament tout parsemé d'étoiles. Quel plaisir encore de voir des arbres chargés de fleurs ou de fruits ; les différentes espèces de quadrupèdes, le vol des oiseaux, ou les poissons qui se jouent dans leur élément! Que dirai-je de la beauté des étoiles, de la lune, et surtout de cet astre radieux dont l'apparition cause une joie universelle ? (Mais les hommes auxquels nous nous adressons plus particulièrement, sont les plus enchantés de leur propre beauté. "Propter speciem mulieris multi perierunt" (Eccli. IX). Nous avons vu en gémissant des hommes sages dans tout le reste, tellement épris de la beauté des femmes, et des femmes tellement éprises, affolées pour des hommes, quoique bien élevées et d'un rang distingué, que les uns et les autres abandonnaient leurs affaires, leurs emplois, leurs enfants, leurs parents pour les suivre au péril même de leur vie et de leur salut éternel. Chacun sait ce qui concerne David, Salomon, Samson ; et l'histoire est remplie de pareils exemples. Si la beauté que Dieu a répandue dans les choses créées est si grande, combien pensez-vous, ô mon âme, que sera la beauté du créateur! car personne ne peut donner ce qu'il n'a point : et si les hommes, trompés par la beauté lu soleil et des astres, les ont pris pour des divinités, qu'ils conçoivent de là combien celui qui en est le dominateur doit encore être plus beau ; car c'est l'auteur de toute beauté qui donne l’être à toutes choses (Sagesse XIII,3). Nous connaissons l'infinie beauté de Dieu non seulement en considérant qu'il renferme éminemment la beauté des créatures, mais encore en ce qu'étant invisible pour nous durant notre pélerinage, néanmoins plusieurs saints l'ont tellement aimé qu'ils se sont concentrés dans des lieux déserts pour vaquer à sa contemplation, comme sainte Marie-Magdeleine, saint Paul, premier ermite, le grand saint Antoine, et une infinité d'autres dont Théodoret nous a conservé les noms dans son histoire religieuse. D'autres abandonnant leurs épouses, leurs enfants et tout ce qu'ils possédaient, se sont confinés dans des monastères pour y vivre sous la dépendance d'autrui, afin de jouir de l'amitié de Dieu. Enfin il en est qui se sont exposés avec joie aux plus cruelles douleurs, pour mériter la vision de l'infinie beauté de Dieu. Écoutez saint Ignace, martyr, dans son épître qu'il adresse aux Romains : Le feu, la croix, les bêtes, la dislocation des os, la division des membres et le brisement de tout le corps, et tous les tourments du démon peuvent venir fondre sur moi sans que je les craigne, pourvu que je jouisse de Jésus-Christ. "Tantum Christo fruar". Mais si la beauté de Dieu, seulement connue par la foi et l'espérance, excite un si ardent désir, que sera-ce lorsqu'elle se montrera sans voile et telle qu'elle est? Il arrivera alors qu'enivrés d'un torrent de délices, nous ne voudrons ni nous ne pourrons en détourner les yeux un seul instant. Est-il étonnant, après tout, que les anges et les âmes bienheureuses voient sans cesse la face du Père céleste sans en éprouver de dégoût ni d'ennui, puisque Dieu lui-même se complaît de toute éternité a contempler sa beauté, qu'il trouve son bonheur dans cette contemplation, qu'il ne désire autre chose, et que renfermé, pour ainsi dire, dans le cellier où il met son vin (Cant. II, 4), et dans le jardin où se trouvent toutes les délices, il n'en est jamais sorti et n'en sortira jamais durant l'éternité. Cherchez cette beauté, ô mon âme, nuit et jour soupirez après elle ; dites avec le Prophète : Mon âme a une soif ardente pour le Dieu vivant : quand irai-je paraître devant la face de mon Dieu. ? Dites avec l'Apôtre (II Cor. V, 8.) : Pleins de confiance, nous aimons mieux sortir de la maison de ce corps, pour aller habiter avec le Seigneur, que d'y demeurer plus longtemps, étant privés de ce bonheur. Du reste, ne craignez pas d'être souillés par un excès d'amour pour cette beauté; car l'amour de la beauté divine perfectionne le coeur, et ne le dégrade pas; le sanctifie et ne le souille pas. Entendez sainte Agnès dire avec transport : J'aime Jésus-Christ dont la Mère est vierge, et dont le Père est Dieu, en l'aimant je serai chaste, en m'approchant de lui je serai plus pure, en l'épousant je serai vierge. Mais si vous désirez vraiment de voir cette beauté incréée, il faut accomplir ce qu'ajoute l'Apôtre et faire consister toute votre ambition à lui être agréable, soit a présent que nous sommes éloignés de lui, soit lorsque nous serons en sa présence. Si Dieu vous plaît, il faut aussi que vous plaisiez à Dieu. A la vérité, quand nous serons dans la région des vivants, éclairés de sa splendeur, nul doute que nous ne plaisions a Dieu: "Placebo Domino in regione vivorum". Mais dans ce pélerinage nous nous souillons et nous nous entachons si facilement de la boue du péché, que l'apôtre saint Jacques n'a pas craint de dire que nous faisons tous beaucoup de fautes : "In multis offendimus omnes" ; et le prophète David, pour montrer, combien sont rares ceux qui vivent sans souillure, les appelle bienheureux: "Beati immaculati in via". Si vous désirez donc, ô mon âme, plaire a votre Bien-Aimé dans cette terre d'exil, il ne suffit pas de le vouloir, il faut encore, vous dit l'Apôtre, vous efforcer de lui plaire, c'est-à-dire, par un soin assidu et continuel éviter les souillures qui pourraient défigurer votre âme, et employer les mêmes soins et la même peine pour vous purifier de celles qui s'y seraient glissées. Ne voyez-vous pas quels soins prennent certaines femmes pour plaire à leurs maris ; les heures qu'elles emploient pour orner leur chevelure, pour embellir leur visage, pour faire disparaître les taches de leurs habits, et tout cela pour un homme mortel, qui, sous peu de jours, doit devenir la proie des vers. Jugez de là ce que vous devez faire pour plaire aux yeux d'un époux immortel qui vous voit sans cesse, et qui désire vous posséder sans tache et sans souillure. Il faut assurément faire tous vos efforts pour marcher en sa présence dans la sainteté et la justice : "In sanctitate et justitia coram ipso". Il vous faut éloigner, retrancher vigoureusement tout obstacle à la véritable sainteté et à la véritable justice, sans égard pour la chair et le sang, sans égard pour les discours et les jugements des hommes; car l'Apôtre vous dit que vous ne sauriez plaire en même temps à Dieu et aux hommes : "Si hominibus placere vellem, Christi servus non essem".