[7,0] VII. Des parents et de leurs enfants. [7,1] Cette joie si douce que les pères et lesmères éprouvent à la vue de leurs enfants, ou en pensant à eux, est toute intérieure et reste cachée, ainsi que les craintes et les afflictions qu'ils ressentent à leur sujet: ils ne peuvent exprimer leurs jouissances, et ils ne veulent pas découvrir leurs peines. Le plaisir de travailler pour ses enfants adoucit tous les travaux; mais aussi ils rendent les disgrâces plus amères et les chagrins plus cuisants. Ils multiplient les soins et les inquiétudes de la vie mais en même temps ils adoucissent l'idée de la mort et la rendent moins terrible ; se perpétuer par ses enfans (sa race) est un avantage, commun à l'homme et à la brute; rnais se perpétuer par sa réputation, par des services éclatants et d'utiles institutions, qui laissent un long souvenir, est une prérogative propre à l'homme. Aussi voit-on que les ouvrages les plus mémorables, et les plus beaux établissements, ont été faits par des hommes qui n'avaient point d'enfants, et qui semblaient s'être uniquement attachés à bien exprimer l'image de leur âme ou de leur génie; image qui devait leur survivre, quand celle de leur corps aurait été détruite. Ainsi, les hommes qui s'occupent le plus de la postérité, ce sont ceux mêmes qui n'ont point de postérité. Ceux qui ont les premiers illustré leur famille sont ordinairement un peu trop induulgents pour leurs enfans, qu'ils considèrent, non seulement nomme destinés à perpétuer leur race, mais encore comme héritiers de leurs glorieuses actions ou productions; ils les envisagent tout à la fois comme leurs enfants et comme leurs créatures. [7,2] Les pères et les mères qui ont un certain nombre d'enfants, ont rarement uneégale tendresse pour tous; il y a toujours quelque prédilection, souvent injuste et mal placée, surtout celle des mères: de là ce mot de Salomon: "un fils sage est pour son père un sujet de joie; mais un fils discole est pour sa mère un sujet de honte et d'affliction". {Proverbes, X, 1} On observe aussi dans une nombreuse famille, que le père et la mère ont plus d'égards pour les aînés, et que tel des plus jeunes fait leurs délices; au lieu que ceux qui sont au milieu sont comme oubliés, quoique assez ordinairement ils se tournent plus au bien que les autres. [7,3] L'avarice des pères ou des mères envers leurs enfants est un vice inexcusable ; elle les décourage, les avilit, les excite à tromper, les porte à fréquenter de mauvaises compagnies; puis, quand ils sont une fois maîtres de leur bien, ils donnent dans la crapule, ou dans un luxe outré, et se jettent dans des dépenses excessives qui les ruinent en peu de temps. La conduite la plus judicieuse que les pères et les mères puissent tenir à cet égard envers leurs enfants, c'est de retenir avec plus de soin leur autorité naturelle que leur bourse. [7,4] Une coutume très imprudente des pères et des mères, des instituteurs et des domestiques, c'est de faire naître et d'entretenir entre les frères, une certaine émulation, qui dégénère en discorde, lorsqu'ils sont dans un âge plus avancé, et trouble la paix des familles. Les Italiens mettent peu de différence, dans leur tendresse, entre les fils et les neveux, ou les autres proches parents; pourvu qu'ils soient du même sang qu'eux, ils ne s'embarrassent pas qu'ils soient de la ligne directe ou de la ligne collatérale ; et la vérité est que la nature n'y met pas beaucoup plue de différence; nous voyons même assez souvent tel individu qui ressemble plus à son oncle, ou à tout autre de ses plus proches parents, qu'à son propre père; ce qui paraît dépendre d'une sorte de hasard. [7,5] Il faut avoir soin de diriger de très bonne heure tout le plan de l'éducation vers l'état ou le genre de vie auquel on destine les enfants, et faire soi-même ce choix pour eux; car, dans cet âge si tendre, ils sont plus souples et plus dociles. Il n'est pas même absolument nécessaire de régler ce choix sur leurs dispositions naturelles, en supposant qu'ils réussiraient mieux dans le genre pour lequel ils ont le plus d'inclination. Cependant, lorsqu'on voit dans un enfant une aptitude, et une facilité extraordinaire pour certains genres d'études, d'exercices ou d'occupations, il faut alors suivre ses indications, au lieu de contrarier la nature et le penchant qui les y porte. Mais, généralement parlant, le plus judicieux précepte, à cet égard, est celui-ci : choisissez toujours le meilleur; puis l'habitude le rendra agréable et facile. [7,6] Parmi les enfants, ce sont ordinairement les cadets qui deviennent les meilleurs sujets; mais rarement (pour ne pas dire jamais) ils réussissent, lorsqu'on a, en leur faveur, déshérité leurs aînés.