[2,48a] Parmi les faits privilégiés, nous placerons en vingt-quatrième lieu les faits de la lutte, que nous nommons aussi faits de prédominance. Ce sont ceux qui nous montrent la prédominance ou l'infériorité des forces les unes à l'égard des autres, et nous font connattre celles qui l'emportent et celles qui succombent. Les mouvements et les efforts des corps sont composés, décomposés et compliqués, tout comme les corps eux-mêmes. Nous proposerons d'abord les diverses espèces de mouvements ou de vertus actives pour rendre plus claire la comparaison de leurs puissances, et par là la nature et l'explication des faits de la lutte ou de prédominance. Premier mouvement; celui de résistance (antitypiae), qui appartient à chacune des parties de la matière, et en vertu duquel il est impossible de l'anéantir. Ainsi, nul incendie, nulle pression, nulle violence, nulle durée, nulle ancienneté ne peut réduire à rien une partie de la matière, quelque petite qu'elle soit, ne peut l'empêcher d'être quelque chose, et d'occuper un certain lieu, de se dérober à la nécessité qui la presse, en changeant ou de forme ou de place, et même, si le changement est impossible, en demeurant comme elle est. En un mot, quelque puissance que ce soit ne réduira jamais une molécule à n'être rien, ou nulle part. . C'est à ce mouvement qu'il faut rapporter cet axiome de l'école (qui désigne et définit les choses plutôt par leurs effets et leurs inconvénients que par les principes intimes:) "deux corps ne peuvent être ensemble dans un même lieu"; elle le désigne encore, en disant qu'il empêche que les dimensions se pénètrent. Inutile de proposer des exemples de résistance, puisqu'elle appartient à tous les corps. 2° Mouvement de liaison et de continuité (nexus), par lequel les corps se lient et s'enchaînent les uns aux autres, de telle sorte que le contact des parties de la matière ne peut être rompu en aucun point ; c'est ce que l'école appelle l'horreur du vide ("ne detur uacuum"). C'est ainsi que l'eau s'élève par la succion ou par les pompes; la chair à l'aide des ventouses; c'est ainsi que l'on voit dans un vase percé par le bas, l'eau demeurer immobile, et ne s'écouler qu'alors qu'on ouvre le vase par le haut, pour donner accès à l'air; on pourrait citer une infinité d'expériences semblables. - 3° Mouvement de réaction (libertatis), par lequel les corps, comprimés ou dilatés et tendus reviennent à leurs premières dimensions. Il y en a aussi des exemples à l'infini. On voit réagir l'eau comprimée, par le poisson qui nage; l'air, par l'oiseau qui vole; l'eau encore, par les coups des rameurs; l'air, par les ondulations des vents; les lames de métal dans les horloges. Un exemple curieux de réaction de l'air comprimé se voit dans les petites sarbacanes qui servent de jouet aux enfants; ils creusent un morceau d'aune ou de quelque autre bois assez doux; ils y font pénétrer, par les deux extrémités, une sorte de bourre, qui n'est autre qu'une racine pleine de suc; ensuite ils poussent à l'aide d'un piston la bourré d'une extrémité contre celle de l'autre; bientôt la seconde bourre s'échappe avec bruit, sous la pression de l'air, avant que la première, chassée par le piston, soit arrivée jusqu'à elle. Quant à la réaction inverse (contre l'expansion subie), on en voit des exemples, dans l'air qui reste à l'intérieur d'un oeuf de verre après la succion, dans les cordes, le cuir, les étoffes, qui reviennent à leur première étendue après une tension, à moins cependant que la longue durée de la tension ne les ait habitués à leurs dimensions nouvelles. L'école, pour distinguer ce mouvement, l'attribue à la forme de l'élément ("ex forma elementi"), ce qui est l'indice d'une pauvre physique; puisqu'un tel mouvement appartient non seulement à l'air, à l'eau, au feu, mais encore à tout ce qui a quelque consistance, comme le bois, le fer, le plomb, le drap, les membranes, etc.; tous ces corps ont leurs dimensions déterminées, et ne subissent pas facilement une extension un peu sensible. Le mouvement de réaction ayant lieu à tout instant, et produisant des effets à l'infini, n'importe beaucoup de le bien connaître et de le distinguer sûrement. Il y a des physiciens qui le confondent, par une inadvertance étonnante, avec les deux premiers mouvements, de résistance et de continuité, assimilant la réaction à la pression, au mouvement de résistance; la réaction à la tension, à celui de continuité : comme si les corps comprimés se dilataient, pour qu'il n'y ait pas pénétration des dimensions; comme si les corps tendus se resserraient, pour qu'il n'y ait pas de vide. Mais, si l'air se comprimait jusqu'au point d'acquérir la densité de l'eau, le bois, jusqu'à la densité de la pierre, il ne serait pas question pour les dimensions de se pénétrer; et cependant l'air et le bois subiraient une compression bien autrement forte que celle où la réduisent dans l'ordre actuel des choses nos plus puissants moyens; de même, si l'eau se dilatait jusqu'à n'avoir plus que la densité de l'air, ou la pierre celle du bois, il ne.serait pas question de vide; et cependant l'eau et la pierre auraient subi une extension bien supérieure à celle qu'elles comportent maintenant. Ainsi donc le mouvement de réaction ne peut se confondre avec les deux premiers, si ce n'est peut-être quand la compression et la tension sont parvenues à leurs limites. Ordinairement, les réactions se produisent bien en deçà des limites, et ne sont autre chose que la tendance des corps à se maintenir dans leurs dimensions naturelles (ou, si l'on aime mieux, dans leurs formes propres), et à ne pas s'en écarter subitement; tout écart, pour être durable, devant s'opérer par des voies douces et de manière à ce que les substances s'y prêtent d'elles-mêmes. Ce qu'il y a de très important à ce sujet, à cause des conséquences nombreuses du principe, c'est de bien inculquer dans l'esprit dss hommes, que le mouvement violent (auquel nous donnons le nom de mécanique, et que Démocrite, le dernier des philosophes dans la théorie des mouvements élémentaires, appelle mouvement de percussion) n'est autre chose que notre mouvement de réaction, du moins cette première espèce de réaction : dirigée contre la pression. En effet, voulons-nous pousser un corps, ou le lancer dans l'air, le mouvement n'aura pas lieu, si les parties touchées du mobile n'éprouvent d'abord une pression extraordinaire par le fait du moteur. Les parties se poussent les unes les autres, et le corps entier est emporté d'un mouvement, général, non seulement de progression mais de rotation; car c'est, ainsi seulement que les diverses molécules du mobile peuvent se soustraire à la contrainte, ou du moins la supporter plus aisément. Mais en voilà assez sur ce troisième mouvement. 4° Mouvement opposé au, précédent, et qui porte les corps à prendre des dimensions nouvelles (hyles). Par le mouvement de réaction les corps répugnent à changer de volume, à prendre de nouvelles dimensions, soit en se dilatant, soin en, se contractant (changements divers auxquels un même principe fait obstacle); ils y résistent, ils luttent, et s'efforcent de toute leur puissance, quand la modification est subie, à reprendre leurs dimensions premières. Au contraire, par ce nouveau mouvement, ils tendent à changer de dimensions, de sphère; non seulement cette tendance est naturelle et spontanée, quelquefois elle se déclare avec une énergie extrême, comme dans la poudre à canon. Les instruments d'un tel mouvement, non pas les seuls, mais les plus puissants, et ceux qui agissent dans le plus grand nombre de circonstances,, sont la chaleur et le froid. Exemple: l'air, dilaté par une simple tension, comme dans un oeuf de verre, après la succion, tend avec effort à reprendre son premier volume; faites-le chauffer, il tend au contraire à se dilater, il semble aspirer à une plus grande sphère, il s'y porte spontanément, comme s'il était destiné à cette nouvelle forme (pour employer le langage consacré) ; après une dilatation sensible, il ne tend pas à revenir à son premier volume, à moins qu'on ne l'y invite en le refroidissant; mais sous l'influence du froid, ce n'est pas un mouvement de réaction, c'est un second changement qui succède à un premier. De même l'eau soumise à la compression réagit; de toute sa force elle cherche à reprendre son premier volume. Survient-il un froid intense et prolongé; elle se transforme spontanément, elle se congèle; et si le froid continue toujours sans interruption, l'eau se change en cristal, ou en quelque matière semblable, et ne revient plus à son premier état. 5° Mouvement de continuité ("continuationis"). Ce n'est pas le mouvement de liaison ("nexus") par lequel deux corps s'attachent et s'unissent, mais celui de la continuité des parties dans une seule et même substance déterminée. Il est très certain que tous les corps répugnent à la solution de continuité, les uns plus, les autres moins, mais tous jusqu'à un certain point. Pour les corps durs (comme le verre, l'acier), la résistance à toute solution de continuité est très énergique; pour les liquides, où il semble que ce mouvement soit étouffé et même anéanti, on reconnaît cependant qu'il n'est pas absolument nul, qu'il y existe à un très faible degré, et qu'il se manifeste dans un assez grand nombre d'expériences ; par exemple, on peut l'observer dans les bulles, dans la forme sphérique de leurs gouttes, dans le filet délié de l'eau qui tombe des gouttières, dans la viscosité des corps gluants, etc. Cette répugnance des corps se manifeste surtout, lorsqu'on veut opérer sur leurs menus fragments. Par exemple, dans un mortier, lorsqu'on a broyé le corps jusqu'à un certain point, le pilon ne produit plus d'effet ; l'eau ne pénètre pas dans les fentes trop petites; l'air lui-même, malgré la subtilité singulière de sa nature, ne s'insinue pas du premier coup dans les pores des vases très solides; on ne l'y voit pénétrer qu'à la longue. 6° Mouvement, que nous appellerons mouvement de lucre ou d'indigence. Celui par lequel un corps, placé entre des substances hétérogènes et en quelque sorte ennemies, s'il trouve moyen d'éviter ces substances, et de s'unir à d'autres qui ont pour lui plus d'affinité (alors même que les dernières n'auraient cette affinité qu'à un degré médiocre), saisit immédiatement ces dernières, témoignant pour elles une préférence non équivoque ; un tel corps, dans ces circonstances, semble faire un profit (un lucre), et attester le besoin ou l'indigence qu'il avait de la matière saisie. Par exemple, l'or, ou tout autre métal réduit en feuille, n'aime pas à être plongé dans l'air ; en conséquence, s'il rencontre un corps tangible et solide (comme le doigt, du papier, etc.), il y adhère subitement, et ne s'en laisse pas facilement séparer. Le papier, le drap, les autres tissus, ne s'accommodent pas bien de l'air qui s'est insinué dans leurs pores; aussi, dès que l'occasion se présente, ils absorbent l'eau ou tout autre liquide, et expulsent l'air. Par la même raison le sucre, ou une éponge plongés en partie dans l'eau ou le vin, mais dépassant de beaucoup en hauteur le niveau du vase, absorbent peu à peu le liquide, et le font monter insensiblement jusqu'à leur sommet. La connaissance de ce mouvement fournit d'excellents procédés pour les décompositions et les dissolutions. Mettant à part les substances corrosives et les eaux-fortes, qui se frayent violemment un passage ; il suffit de chercher une matière qui ait plus d'affinité pour le corps à séparer, que celui-ci n'en a pour un troisième corps auquel il est actuellement et forcément réuni; à la seule présence de cette matière, le phénomène aura lieu, le corps à séparer s'unissant à ce qui l'attire, pour rejeter ce qui lui répugne. Ce n'est pas seulement au moyen du contact que s'opère le mouvement de lucre; car les phénomènes électriques (au sujet desquels Gilbert et d'autres après lui, ont inventé tant de chimères) ont tout simplement pour cause, la tendance de certain corps excité par un léger frottement, s'accommodant mal de l'air, et s'attachant à quelque matière tangible, s'il en est à proximité. 7° Mouvement par lequel les corps se portent vers les grandes masses de substance semblable nous le nommons mouvement d'agrégation majeure ("congregationis maioris") : ainsi les graves se portent vers la terre, les corps légers vers le ciel. L'école le nommait mouvement naturel; pourquoi? par des raisons très superficielles ou parce qu'on ne voit rien de frappant au dehors qui le produise (ce qui donnait à penser qu'il est inné aux corps) ; ou parce qu'il est perpétuel; ce qui n'a rien d'étonnant, puisque le ciel et la terre sont toujours là, tandis que les causes de la plupart des autres mouvements sont tantôt présentes, tantôt absentes. Voyant donc que ce mouvement est sans interruption, et qu'on peut le constater partout et toujours quand les autres cessent, l'école a jugé bon de le déclarer naturel et perpétuel, nommant les autres accidentels. La vérité est que ce mouvement a pour caractères, la faiblesse et la lenteur; et que (hors des masses énormes), il le cède aux autres mouvements, dès que ceux-ci se produisent. Et, quoiqu'il ait préoccupé à peu près seul, au détriment des autres, la pensée des hommes, on doit avouer qu'il est fort peu connu, et qu'une foule d'erreurs ont cours à son sujet. 8° Mouvement d'agrégation mineure ("congregationis minoris"), par lequel les parties homogènes d'un corps se séparent des hétérogènes, et se réunissent; par lequel aussi, des corps entiers se saisissent et s'embrassent en raison de leur similitude de nature, et souvent même, à travers une distance, s'attirent, s'approchent, s'assemblent. C'est ainsi que, dans le lait, la crème s'élève et surnage au bout d'un certain temps; que, dans le vin, la lie et le tartre se déposent. Ces phénomènes n'ont pas pour cause la légèreté ou la pesanteur, miais bien réellement la tendance des parties homogènes à se rejoindre et à s'agglomérer. Ce mouvement diffère du précédent (le mouvement d'indigence) en deux points : l'un, c'est que dans le mouvement d'indigence l'action principale vient de la répugnance des natures contraires et ennemies; tandis qu'ici (pourvu qu'il n'existe pas de lien, ni d'obstacle) les parties se réunissent, uniquement en vertu de leur convenance, et sans qu'il y ait besoin du stimulant d'une nature ennemie; l'autre, c'est qu'ici l'union des parties est plus étroite, comble si leur mutuelle convenance, étant toute spontanée, les unissait plus intimement. Par le mouvement d'indigence, les corps évitent quelque substance ennemie, et s'assemblent même sans affinité bien déclarée; par le mouvement dont nous parlons maintenant, les substances s'unissent, enchaînées par le lien d'une étroite ressemblance, et des éléments distincts se réduisent à une véritable unité. Ce mouvement a son effet dans tous les corps oomposés ; il se manifesterait facilement dans chacun d'eux; s'il n'était comprimé et empêché par les autres tendances des corps, et par des lois qui vont jusqu'à rompre la plus intime union. [2,48b] Ce mouvement rencontre un triple obstacle : la torpeur des corps; le frein que leur imposent d'autres corps plus puissants, des mouvements étrangers et différents. a : Torpeur des corps. Il est certain que les corps tangibles ont tous un certain degré de ce qu'on peut nommer paresse, et qu'ils répugnent au mouvement local ; il est certain qu'à moins d'une excitation, ils se tiendront dans l'état où ils sont, plutôt que de se mettre d'eux-rnêmes en meilleur état. Cette torpeur est combattue par trois moyens: ou par la chaleur, ou par l'action prépondérante de quelque corps en lien d'affinité, ou par une impulsion vive et puissante. En premier lieu, quant au secours que fournit la chaleur, c'est de là que vient ce principe : "la chaleur est ce qui sépare les parties hétérogènes, et unit les homogènes"; espèce de définition péripatéticienne dont Gilbert s'est moqué avec raison, disant que c'est comme si l'on définissait l'homme "ce qui sème du blé, et plante des vignes". C'est, en réalité, définir la chose par ses effets, et encore par certains effets tout spéciaux. Il y a plus : les effets spéciaux ici ne viennent pas directement de la puissance du calorique; la chaleur ne les produit que par accident (on le voit bien à ce fait que le froid en fait tout autant, comme nous le dirons plus tard) ; leur cause véritable c'est la tendance des parties homogènes à s'unir, tendance favorisée seulement par la chaleur qui dissipe cette torpeur, premier obstacle au mouvement dont nous parlons. Quant au secours que l'on tire de la force prépondérante d'un corps analogue, on le voit à merveille dans l'aimant armé, qui développe dans le fer le pouvoir de soutenir le fer, en raison de leur nature identique, après avoir secoué la torpeur du fer par la vertu magnétique. Enfin, quant au secours que fournit une vive impulsion, on peut l'observer dans les flèches de bois, dont la pointe est simplement de bois, et qui pénètrent plus profondément dans un arbre que si leur pointe était de fer, à cause de la similitude de substance; les flèches, par la rapidité de leur mouvement, rompant la torpeur de l'arbre. Nous avons déjà cité ces deux expériences dans notre aphorisme sur les faits clandestins. b : Frein qu'imposent à un corps d'autres coups plus puissants. Nous en voyons des exemples dans la décomposition du sang et des urines par le froid. Tant que ces substances sont pénétrées d'un esprit subtil, qui domine et maîtrise toutes leurs diverses parties, il n'est pas possible aux molécules homogènes de se réunir; mais lorsque cet esprit s'est évaporé, ou qu'il a été suffoqué par le froid, alors les parties homogènes délivrées de son frein se réunissent suivant leur tendance naturelle. C'est là ce qui explique pourquoi les corps qui contiennent un esprit âcre, comme les sels, par exemple, se conservent et ne se décomposent pas; le frein de cet esprit, dominant et impérieux, les maintenant sans cesse: -- Mouvements étrangers et différents. Exemple : l'agitation des corps, qui en empêche la putréfaction. Le principe de toute putréfaction, c'est l'agglomération des parties,homogènes ; de là viennent ces deux phénomènes, corruption de l'ancienne forme, génération d'une ferme nouvelle. La putréfaction, qui prépare les voies à la génération de la forme nouvelle, est précédée de la destruction de l'ancienne forme; et cette destruction n'est autre chose que l'agrégation des parties homogènes. Si le mouvement d'agrégation ne rencontre aucun obstacle, alors il s'ensuit tout simplement une décomposition ; si les obstacles se présentent, le phénomène tourne à la putréfaction qui n'est que le rudiment d'une génération nouvelle. Que si la substance est agitée fréquemment (ce dont il s'agit en ce moment), alors le mouvement d'agrégation (qui est faible, délicat, et ne s'opère qu'à l'abri des perturbations extérieures), s'embarrasse et cesse, comme nous le voyons dans une foule d'expériences : ainsi, l'eau sans cesse agitée ou l'eau courante ne contracte jamais de putréfaction; les vents empêchent l'air de devenir pestilentiel; les grains se conservent mieux dans nos greniers, quand on les agite et les retourne; en un mot, tout ce qui est agité par une impulsion extérieure, ne contracte pas facilement de putréfaction à l'intérieur. N'oublions pas ce genre de réunion des parties, d'où proviennent l'endurcissement et le desséchement. Lorsque l'esprit ou les parties humides converties en esprit, se sont exhalées d'un corps assez poreux (comme le bois, les os, les membranes, et autres semblables), alors les parties plus épaisses, par un redoublement d'effort, se rapprochent et se joignent, d'où résultent l'endurcissement et le desséchement. Suivant nous, la vraie cause de ce phénomène n'est pas tant le mouvement de continuité (l'horreur du vide), que le mouvement d'affinité et d'union naturelle dont nous parlons en ce moment. Il existe aussi, disons-nous, une attraction à distance; c'est un sujet assez rare d'observation; et cependant, moins rare qu'on ne le croit communément. Exemple: une bulle qui dissout une autre bulle; les purgatifs qui, par l'analogie de substance, tirent les humeurs; les cordes d'instruments différents, qui se mettent d'elles-mêmes à l'unisson ; et bien d'autres de ce genre. Nous estimons qu'il y a une vertu de cet ordre dans les esprits animaux ; mais elle est jusqu'ici complétement inconnue; du moins est-elle manifeste dans l'aimant et le fer aimanté. Mais pour parler des mouvements magnétiques, il faut nécessairement les distinguer en plusieurs espèces. Il y a, en effet, quatre vertus magnétiques, fort distinctes, et quatre espères d'opérations qu'il ne faut pas confondre, comme a fait jusqu'ici le vulgaire, saisi d'admiration et d'éblouissement: 1° mouvement d'attraction de l'aimant pour l'aimant, du fer pour l'aimant; du fer aimanté pour le fer; 2° mouvement qui résulte de la polarité et de la déclinaison magnétique; 3° mouvement de pénétration à travers l'or, le verre, la pierre, toutes les substances, en un mot; 4° mouvement par lequel l'aimant communique sa vertu au fer, sans le concours d'une substance interposée. En ce moment, nous ne parlons que de la première espèce de mouvements, c'est-à-dire de l'attraction. Il existe aussi une attraction fort remarquable du vif-argent et de l'or; on voit l'or attirer le vif-argent, même quand celui-ci est mêlé avec un onguent; et les ouvriers qui se trouvent ordinairement exposés aux vapeurs du vif-argent ont coutume de tenir dans la bouche un morceau d'or pour recueillir ces émanations, qui, sans cette précaution, envahiraient leur crâne et leurs os; après quelque temps de service, ce morceau d'or blanchit. Nous terminons ici ce que 'nous avions à dire du mouvement d'agrégation mineure. 9° Mouvement magnétique, qui, appartenant à la classe des mouvements d'agrégation mineure, mais opérant quelquefois à de grandes distances et sur des masses considérables, mérite à ce titre une investigation spéciale, surtout quand il ne commence pas par un contact, comme la plupart des autres mouvements; ne se termine pas non plus à un contact, comme le font tous les mouvements d'agrégation, et se borne à élever les corps ou à les enfler, sans rien produire de plus. S'il est vrai que la lune élève les eaux, et que sous son influence la nature voit se gonfler les masses humides ; si le ciel étoilé élève les planètes jusqu'à leur apogée ; si le soleil enchaîne les astres de Vénus et de Mercure, et ne leur permet pas de s'éloigner au delà d'une certaine distance; il semble bien que ces mouvements n'appartiennent ni à l'espèce de l'agrégration majeure, ni à celle de l'agrégation mineure, mais que, tendant à une agrégation moyenne et imparfaite, ils doivent constituer une espèce à part. 10° Mouvement opposé à celui de l'agrégation mineure, nous le nommons mouvement de fuite ("fugae"); c'est par lui que les corps fuient les substances qui leur répugnent, et, réciproquement, les mettent en fuite, qu'ils s'en séparent et refusent de se mêler avec elles. Quoique ce mouvement paraisse, dans certaines circonstances, n'exister que par accident, ou par conséquence, et se réduire ainsi au mouvement d'agrégation mineure, les parties homogènes ne peuvent s'unir qu'après avoir quitté et repoussé les hétérogènes; cependant, la vérité est que ce mouvement de fuite a une existence propre, et doit constituer une espèce distincte, parce que, dans un grand nombre de cas, le fait dominant, c'est la tendance à fuir et non pas la tendance à s'unir. On voit ce mouvement très manifeste dans les excrétions des animaux; on le voit aussi dans les répugnances de quelques sens, principalement de l'odorat et du goût. Une odeur fétide est repoussée tellement par l'odorat, qu'un mouvement d'expulsion se déclare par sympathie à l'orifice de l'estomac; une saveur amère et rebutante est repoussée tellement par le palais ou le gosier, que toute la tête est saisie d'un ébranlement, qui est le signe de l'aversion portée au comble. Ce ne sont pas là les seuls exemples du mouvement de fuite. On peut l'observer dans certaines antipéristases, comme celle de la région moyenne de l'air dont le froid habituel ne paraît être qu'une réjection de la nature essentielle du froid, repoussée de la région céleste; ainsi parait-il que les grandes chaleurs et les foyers ardents de certains lieux souterrains ne sont que des réjections de la chaleur surabondante, qui brûle l'intérieur du globe. La chaleur et le froid, quand ils sont en petite mesure, se détruisent mutuellement; mais quand ils sont en grande quantité, et en ce qu'on pourrait appeler armées réglées, ils se livrent bataille, et s'excluent l'un l'autre de leurs positions. On dit que le cinnamome et les autres substances odoriférantes, quand on les place près des latrines et des autres lieux fétides, gardent plus longtemps leur odeur, parce qu'ils répugnent à l'exhaler et à la confondre avec les émanations fétides. Le mercure, dont les molécules tendent à l'agglomération, en est empéché par la salive de l'homme, par la graisse de porc, par la térébenthine et autres matières analogues; plongez-y du mercure, la répugnance qu'il éprouve pour les natures hétérogènes devient pour lui le fait dominant, et l'on voit son mouvement de fuite pour ces milieux l'emporter sur la tendance de ses parties à s'unir; c'est ce que l'on appelle mortification du mercure. Vous observez que l'eau et l'huile ne se mêlent pas; ce n'est pas tant à cause de leurs densités différentes, que de leur répugnance mutuelle ; car l'esprit-de-vin, qui est plus léger que l'huile, se mêle fort bien avec l'eau. Où le mouvement de fuite se manifeste le mieux, c'est dans le nitre et dans les autres substances crues de cette espèce, qui ont horreur de la flamme, comme la poudre à canon, le vif-argent, et même l'or. Quant au mouvement par lequel le fer fuit l'un des pôles de l'aimant, Gilbert a fort bien vu que ce n'est pas un mouvement de fuite, à proprement parler, mais un effet de la conformité et de la tendance à prendre la situation respective la plus convenable. [2,48c] 11° Mouvement d'assimilation ou de multiplication de soi-même, ou encore de génération simple. Nous nommons génération simple, non pas celle des corps entiers, comme dans les familles végétales ou animales, mais celle des corps similaires. En vertu de ce mouvement, les corps convertissent en leur propre nature et substance d'autres corps, avec lesquels ils ont de l'affinité, ou qui du moins sont bien disposés et préparés à cette transformation. Ainsi la flamme se multiplie au moyen des exhalaisons et des corps huileux, et engendre de nouvelles flammes ; ainsi l'air se multiplie au moyen de l'eau et des corps aqueux et engendre de nouvel air ; l'esprit végétal ou animal se multiplie au moyen des petites parties, tant des corps huileux que des corps aqueux, qui sont ses aliments, et engendre de nouvel esprit ; les parties solides des plantes et des animaux, comme la feuille, la fleur, la chair, l'os, et autres de même genre, se multiplient au moyen du suc des aliments quelles s'assimilent, réparent ainsi leurs pertes, et augmentent leur substance. Car personne ne s'avisera d'extravaguer avec Paracelse, qui (la tête perdue par ses distillations) voulait que la nutrition s'opérât par voie de simple séparation, et que le pain, par exemple, recélât des yeux, des nez, des cerveaux, des foies ; les sucs de la terre, des racines,, des feuilles, des fleurs. Comme un artiste extrait d'une masse informe de pierre ou de bois, en détachant et rejetant le superflu, feuilles, fleurs, yeux, nez, pieds, mains, et autres membres; ainsi, disait-il, l'Archée, cet artiste intérieur, extrait des aliments, par voie de séparation et de réjection, chacun des membres, chacune des pièces de l'organisme. Laissons ces folies, et reconnaissons ce principe parfaitement établi, que chacune des parties, similaires ou organiques, dans les végétaux et les animaux, attire d'abord avec une certaine préférence les sucs des aliments qui lui sont homogènes, ou du moins analogues, se les assimile ensuite et les convertit en sa propre substance. Cette assimilation ou génération simple n'a pas lieu seulement pour les corps animés; les inanimés participent aussi à ce double mouvement, comme nous l'avons dit au sujet de la flamme et de l'air. Il y a plus; l'esprit mort qui est enfermé dans tous les corps tangibles, travaille perpétuellement à absorber les parties pesantes et à les convertir en nouvel esprit, qui ensuite s'exhale; ainsi s'explique la diminution de poids et le desséchement, comme nous l'avons dit ailleurs. En traitant de l'assimilation, il ne faut pas négliger cette espèce d'accrétion, que l'on distingue ordinairement de l'assimilation, et dont voici des exemples : la terre qui se durcit entre les cailloux et se change en une matière semblable à la pierre; l'écaille des dents qui devient une substance aussi dure que les dents elle-mêmes, etc. Suivant nous, tous les corps ont une tendance à s'assimiler d'autres corps, non moins qu'à s'unir à leurs homogènes; mais cette tendance à l'assimilation est empêchée tout comme l'autre, bien que ce soit par des obstacles différents. Quels sont ces obstacles? par quels moyens peut-on les lever? questions du plus haut intérét, parce que de leur solution dépend l'art d'écarter ou de restaurer la vieillesse. Notons encore que, par tous les mouvements exposés jusqu'ici, les corps tendent seulement à leur conservation, par celui-ci ils tendent à leur propagation. 2° Mouvement d'excitation, qui parait appartenir à l'espèce précédente (mouvement d'assimilation), et que, pour ce motif, nous confondons quelquefois, sous un même titre, avec le précédent. Par celui-ci comme par l'autre, le corps tend à s'étendre, à se communiquer, à se transmettre, à se multiplier; l'un et l'autre produisent à peu près les mêmes effets, mais le mode d'opérer et les sujets d'application sont différents. Le mouvement d'assimilation procède avec empire et puissance; il contraint la substance assimilée à prendre la nature de la substance assimilante. Le mouvement d'excitation, au contraire, procède par insinuation et presque à la dérobée; il invite et dispose le corps excité à prendre la nature de l'excitant. Le mouvement d'assimilation multiplie et transforme les corps et les substances; ainsi s'augmente la quantité de flamme, d'air, d'esprit, de chair; le mouvement d'excitation accroit et développe les puissances seulement : il en résulte plus de calorique, plus de magnétisme, plus de force putréfiante. Où ce mouvement se montre surtout, c'est dans les opérations de la chaleur et du froid. Si la chaleur se multiplie dans l'échauffement, ce n'est pas que la chaleur du foyer se transmette, à proprement parler; c'est que l'excitation des parties du corps échauffé détermine en lui cette espèce de mouvement qui constitue la chaleur, comme nous l'avons exposé dans notre première vendange sur la nature de la chaleur. C'est pourquoi la chaleur se développe beaucoup plus lentement et plus difficilement dans la pierre ou le métal que dans l'air, les parties de ces premières substances étant beaucoup moins disposées et moins propres au mouvement constitutif de la chaleur. Il est même vraisemblable qu'à l'intérieur de la terre, dans ses entrailles, il y a des substances qui répugnent complétement à s'échauffer, parce qu'en raison de leur extrême densité, elles sont dépourvues de cet esprit à l'aide duquel le mouvement d'excitation commence le plus ordinairement. De même, l'aimant détermine dans le fer la vertu magnétique, non pas en perdant une partie de sa vertu propre, mais en provoquant dans le fer des dispositions et des opérations conformes aux siennes, et cela par excitation. De même, le levain, la levure, la présure, certains poisons, produisent leurs effets dans la pâte, la bière, le fromage, le corps humain, non pas tant par le développement de puissance de l'excitant que par la prédisposition et la facile excitation de la substance travaillée. 13° Mouvement d'impression: il appartient aussi à l'ordre des mouvements d'assimilation ; c'est le plus subtil de tous ceux par lesquels la nature tend à se répandre. Nous avons cru devoir en faire une espèce à part à cause de la différence insigne qui le distingue des deux premiers. Le mouvement de simple assimilation transforme les corps, de telle sorte que, si l'on éloigne le premier moteur, tous les effets suivants n'en seront en rien modifiés. Il est facile de voir que, ni la première inflammation, ni la première vaporisation n'ont d'influence directe sur la flamme ou sur la vapeur produites ultérieurement dans la série des transformations suécessives. De même, le mouvement d'excitation dure, lorsque le premier moteur est éloigné, pendant un temps considérable; un corps échauffé garde sa chaleur loin du foyer; le fer aimanté garde sa vertu magnétique loin de l'aimant; ainsi en est-il de la pâte par rapport au levain. Mais le mouvement d'impression, quoique la nature par son moyen se communique et se répande, semble être toujours dans la dépendance du premier moteur. Otez ce moteur, vous supprimez le mouvement; aussi doit-on le considérer comme instantané, ou, tout au mieux, comme étant de durée fort courte. En conséquence, nous appelons les mouvements d'assimilation et d'excitation mouvements de la génération de Jupiter, parce que l'effet demeure, et le mouvement d'impression mouvement de la génération de Saturne parce que l'effet produit est tout aussitôt absorbé et dévoré. Où l'observation le découvre-t-elle? en trois choses : dans les rayons de lumière, la transmission des sons, et la communication magnétique. Otez la lumière, aussitôt disparaissent les couleurs et toutes les images. Faites cesser la percussion et la première vibration sonore qui en résulte, presque aussitôt le son est anéanti; quoique le son soit agité par le vent dans le milieu atmosphérique comme s'il flottait sur les ondes; cependant il importe de remarquer que le son lui-même ne dure pas autant que le résonnement. Quand on frappe sur une cloche, le son paraît se prolonger pendant un certain temps par là nous sommes induits à croire que le son, pendant tout ce temps, nage en quelque sorte et demeure dans l'air; ce qui est une erreur très grave. Le résonnement qui dure n'est pas un seul et même son, mais une série de sons successifs; ce qui le prouve, c'est la faculté d'étouffer le son en forçant tout à coup la cloche au repos; arrètez-en le mouvement, saisissez-là avec force, le son périt, notre oreille ne saisit plus rien. Il en est de même pour les cordes: après la première impulsion donnée à une corde, touchez-la du doigt si l'instrument est une lyre, touchez-la avec une plume si c'est une épinette, aussitôt le résonnement cessera. Pareillement, si vous ôtez l'aimant, le fer tombe. Il est vrai que les effets de la lune sur les eaux de la mer, et de la terre sur les corps graves ont de la durée; mais c'est que l'on ne peut ôter ni la lune ni le globe terrestre; si l'expérience négative, à ce double égard, était possible, la même loi se vérifierait. 14° Mouvement de configuration ou de situation par lequel les corps tendent, non plus, à se réunir ou à se séparer, mais à prendre les uns par rapport aux autres une certaine situation, et; à former dans l'ensemble des positions une certaine configuration. C'est un mouvement dont les opérations sont bien secrètes et sur lequel on ne sait presque rien jusqu'ici. En certains cas, il parait inexplicable, bien qu'en réalité, suivant nous, il n'en soit pas ainsi. Par exemple, demande-t-on pourquoi le ciel tourne plutôt d'orient en occident que d'occident en orient? pourquoi il tourne sur un axe dont les pôles sont situés dans telle ou telle région du ciel plutôt qu'en toute autre : il semble que ce soient des questiens déraisonnables, et qu'en ces matières il faille s'en tenir à l'expérience, se bornant à constater les choses telles qu'elles sont. Assurément, il y a dans la nature un certain nombre de faits élémentaires dont il est vain de rechercher les causes; mais ceux dont nous parlons maintenant n'appartiennent pas à cette catégorie. Ils ont pour cause, pensons-nous, une certaine harmonie ou corrélation des parties du monde sur laquelle les observations nous font actuellement défaut. Peut-on admettre, au lieu du mouvement des cieux, le mouvement de la terre d'occident en orient? Les mêmes questions se représentent : pourquoi la direction de ce mouvement ? pourquoi tels pôles et non pas tels autres? La polarité de l'aimant, la déclinaison magnétique appartiennent aussi à l'ordre de questions que nous soulevons. On remarque aussi, dans les corps naturels et artificiels, surtout dans ceux qui sont solides et non fluides, une certaine disposition des parties, une configuration, une direction des fibres que l'on doit s'appliquer à bien connaître si l'on veut, faire un bon usage de ces corps et en tirer tout le parti possible. Quant aux ondulations des liquides soumis à quelque pression, ondulations qui leur servent tant que la pression dure, à distribuer entre leurs diverses parties le fardeau de la contrainte pour le supporter plus aisément, nous les avons rapportées avec plus de justesse à cette sorte de tendance nommée mouvement de liberté. 15° Mouvement de transit, ou mouvement à travers les passages ("pertransitionis, secundum meatus"), par lequel les actions et les effets des corps traversent plus ou moins facilement le milieu qui les favorise ou qui leur fait obstacle. Tel milieu convient à la lumière, tel autre au son, tel autre à la chaleur et au froid, tel autre au magnétisme, et ainsi pour toutes les puissances naturelles et leurs opérations. 16° Mouvement royal ou gouvernemental par lequel certaines parties, du corps, prédominantes et maîtresses, tiennent les autres sous le frein, les domptent, les subjuguent, les ordonnent, les forcent à s'unir, se séparer, se mouvoir, s'arrèter, se disposer, non suivant les tendances de chacune, mais suivant les convenances générales et le bien propre de cette partie dominante ; c'est donc une sorte de pouvoir royal et de gouvernement que cette partie dominante exerce sur tout le reste du corps. Le mouvement dont nous parlons appartient par excellence à l'esprit animal qui règle et dirige les mouvements de toutes les parties, aussi longtemps qu'il conserve sa vigueur. On le reconnaît aussi à un degré inférieur dans les différentes matières, comme nous l'avons dit du sang et des urines, qui ne se décomposent pas, tant que l'esprit dans lequel les diverses parties sont mêlées et maintenues n'est pas ou exhalé ou suffoqué. Ce mouvement, d'ailleurs, n'est pas propre aux esprits seulement, bien que dans la plupart des corps les esprits dominent à cause de la rapidité de leurs mouvements et de leur facile pénétration. Toutefois, dans les corps plus denses qui ne sont pas remplis d'un esprit vif et puissant (comme est l'esprit du vif-argent, du vitriol), la domination appartient plutôt aux parties grossières, et, par cette raison, si l'on ne parvient par quelque progrès de notre industrie à vaincre cette domination, il faut désespérer de faire jamais subir une transformation aux corps de cette espèce. Qu'on ne nous accuse pas cependant de perdre de vue notre sujet présent; notre travail actuel sur les mouvements n'ayant d'autre but que de mettre en lumière leurs prédominances au moyen des faits de la lutte, on pourrait nous reprocher de classer parmi les autres mouvements celui de prédominance. Mais en faisant connaitre le mouvement royal, nous ne traitons pas de la prédominance des mouvements et des forces, nous parlons seulement de la prédominance de certaines parties sur le reste des corps. Et c'est cette prédominance qui constitue notre seizième espèce de mouvement. [2,48d] 17° Mouvement de rotation spontanée par lequel les corps qui aiment à se mouvoir et qui sont dans une bonne position jouissent en quelque sorte d'eux-mêmes, suivent leur propre trace et non pas d'autre, et semblent ne rechercher que leur propre embrassement. Trois états différents conviennent aux corps: où ils se meuvent sans terme, ou ils sont en repos, ou ils sont en mouvement vers un terme; et quand le terme est atteint, suivant leur nature, ils tournent sur eux-mêmes ou ils entrent en repos. Ceux qui sont bien placés et qui aiment à se mouvoir se meuvent circulairement d'un mouvement qui n'aura pas de fin; ceux qui sont bien placés et qui répugnent au mouvement se tiennent en repos; ceux qui ne sont pas bien placés se meuvent en ligne droite (qui est la direction la plus courte) pour rejoindre la masse de leurs homogènes et s'y unir. Quant au mouvement de rotation, il admet neuf différences caractéristiques : a. La 1ière, celle du centre autour duquel les corps se meuvent ; b. La 2e, celle des pôles sur lesquels ils tournent ; c. La 3e, celle de la circonférence ou de la grandeur de leur orbite, proportionnée à leur éloignement du centre; , d. La 4e, celle de la rapidité du mouvement, de la promptitude, ou de la lenteur de la rotation; e. La 5e, celle de la direction du mouvement; par exemple, les corps se meuvent d'orient en occident, d'occident en orient; f. La 6e, celle de la différence qui existe entre l'orbite et le cercle parfait, les courbes décrites admettant des écarts plus ou moins considérables relativement au centre; g. La 7e, celle de la différence qui existe entre l'orbite et le cercle parfait, les courbes décrites admettant des écarts plus ou moins considérables relativement aux pôles; h. La 8°, celle de la situation et de l'éloignement des écarts de l'orbite, relativement les uns aux autres; i. La 9° et dernière, celle des variations des pôles quand ils sont mobiles. Celle-ci n'intéresse la rotation que dans le cas où la variation des pôles a lieu circulairement. Le mouvement de rotation est considéré, suivant une opinion aussi générale qu'ancienne, comme le mouvement propre des corps célestes. Cependant un certain nombre d'astronomes, anciens et modernes, combattent très vivement cette opinion et attribuent la rotation au globe terrestre. Il serait peut-être beaucoup plus judicieux de combattre la théorie reçue en recherchant si le mouvement des corps célestes (supposez que la terre soit en effet immobile, et de plus que le point touché par nous en ce moment ne soit pas hors de controverse) ne se communique pas, d'abord aux confins du ciel et de la terre, et, mieux encore, à l'air et à l'Océan. Quant au mouvement de rotation que l'on observe dans les projectiles, comme flèches, dards, balles et autres semblables, ce n'est en réalité qu'une forme du mouvement de liberté. 18° Mouvement de trépidation. A l'entendre comme les astronomes, nous sommes peu disposé à l'admettre; mais pour un observateur scrupuleux de toutes les tendances de la nature, ce mouvement ne saurait être révoqué en doute, et nous devons lui donner une place à part. Il est comme la manifestation d'une captivité éternelle. Quand un corps n'est pas parfaitement placé eu égard à sa nature, et cependant qu'il n'est pas dans une situation décidément mauvaise, il s'agite continuellement; il ne peut garder un repos véritable; il n'aime pas sa position, mais il n'ose pas en sortir. On observe ce mouvement dans le coeur et dans le pouls des animaux; on le verrait assurément dans tous les corps dont la situation n'est précisément ni bonne ni mauvaise, qui essayent de sortir de gêne, mais sont repoussés et trahissent leur embarras par une trépidation continuelle. 19° Nous mettons au dix-neuvième et dernier rang une tendance à laquelle le nom de mouvement s'applique assez mal, bien qu'en réalité ce soit un mouvement incontestable; nous le nommons inertie, horreur pour le mouvement ("motum decubitus siue exhorrentia motus"). C'est ainsi que la terre se tient immobile ; ses extrémités se portant vers son milieu, non pas vers un centre imaginaire, mais vers le noyau d'une immense agrégation. Cest ainsi que toutes les agglomérations considérables répugnent au mouvement et n'ont qu'une tendance, celle d'échapper au changement, quoiqu'une infinité de causes les sollicitent et les provoquent au mouvement; cependant (autant qu'elles le peuvent), elles demeurent immuables. Quand elles sont contraintes au mouvement, elles se comportent de façon à reprendre aussitôt et leur premier état et le repos, en évitant de se mouvoir davantage. C'est pourquoi elles se montrent si agiles et se meuvent avec tant de rapidité; on voit que le moindre délai leur coûterait, et qu'il leur faut en finir. Nous ne pouvons observer les mouvements de cette espèce, que très imparfaitement et partiellement, car, auprès de nous, à la surface du globe, à cause de l'influence et de la chaleur continuelle des corps célestes, aucun corps tangible n'est à son maximum de condensation, et d'ailleurs ils sont tous pénétrés de quelque esprit. Nous avons ainsi dénombré et défini les diverses espèces ou les caractères essentiels des mouvements, des puissances actives, des tendances qui sont le plus généralement réparties; et, dans cet expose rapide, nous avons esquissé une partie du grand tableau de la nature. Nous admettons volontiers que notre analyse ne soit pas complète, ou que les traits de notre esquisse ne soient pas exactement conformes à la vérité des choses, ou qu'il soit possible de réduire toutes ces espèces à un plus petit nombre, pourvu toutefois qu'on ne veuille pas faire ici de divisions abstraites à la manière de l'école; que l'on ne dise pas, par exemple: les corps tendent, ou à leur conservation, ou à leur augmentation, ou à leur propagation, ou à la libre jouissance de leur état; que l'on ne dise pas, autre exemple : les mouvements des choses tendent à la conservation et au bien, soit de l'univers, comme les mouvements de résistance et de liaison; soit des grandes masses, comme les mouvements d'agrégation majeure, de rotation, d'horreur pour le changement; soit des formes spéciales; et ainsi du reste. Toutes ces divisions sont justes, assurément; mais elles ne sortent pas des entrailles mêmes de l'expérience; elles ne reproduisent pas fidèlement les traits de la nature; elles ne sont donc que spéculatives, et, à ce titre, médiocrement utiles. On en peut faire quelque usage cependant quand il s'agit, comme en ce moment pour nous, d'apprécier les prédominances des forces, et de chercher dans le domaine de l'observation les faits de la lutte. Parmi les mouvements que nous avons définis, il en est d'absolument irrésistibles; quelques-uns relativement aux autres, ont plus de puissance, ils empêchent, surmontent, gouvernent ; ceux-ci ont plus de portée; ceux-là plus de promptitude; d'autres ont le privilége d'animer, de fortifier, d'accroître, d'accélérer. Le mouvement de résistance est invincible, il a la force du diamant. Faut-il en dire autant du mouvement de liaison? c'est ce que nous ne voudrions pas encore décider, car nous ne savons pas certainement si le vide existe, ou n'existe pas, soit en zone de quelque étendue, soit disséminé dans les corps. Ce que nous savons, c'est que la raison alléguée par Leucippe et Démocrite pour l'existence du vide est radicalement fausse. Ils disaient que, sans le vide, les mêmes corps ne pourraient occuper tour à tour des espaces plus grands et plus petits. Or, la différence de volume s'explique fort bien dans la supposition de plis, naturels à la matière, qui tour à tour se ploie et se déploie dans l'espace sans qu'ils soit besoin de vide. On peut affirmer qu'il n'y à pas dans l'air deux mille fois plus de vide que dans l'eau (telle serait la proportion, si l'on adoptait leur principe). Une foule de preuves établissent ce que nous disons ici; qu'il nous suffise de mentionner la puissance de certaines substances aériformes. qui, selon Démocrite, devraient nager dans le vide, disséminées en menue poussière. . Les autres mouvements obtiennent et perdent tour à tour la prédominance, en raison de l'énergie du moteur; de la quantité de la masse, de l'impulsion, de la vitesse, des obstacles ou des facilités qu'ils rencontrent. Par exemple, un aimant armé attire et,tient, suspendu un morceau de fer soixante fois plus pesant, et dans cette mesure le mouvement d'agrégation mineure, remporte sur celui d'agrégation majeure; mais, cette mesure passée, le fer tombe. Un levier de telle force soulève une masse de tel poids; jusque-là le mouvement de liberté l'emporte sur celui d'agrégation majeure; passé ce poids, la mesure tombe. Un cuir, tendu jusqu'à certain point ne se rompt pas; jusque-là le mouvement de continuité l'emporte sur celui de tension; au delà de ce point, le cuir se rompt, et le mouvement de continuité a le dessous. L'eau coule per une fente de telle largeur; jusque-là le mouvement d'agrégation majeure l'emporte sur celui de continuité; supposez-vous la fente plus étroite, les rôles sont renversés; le mouvement de continuité l'emporte. Mettez dans une arme à feu de la poudre de soufre seulement, enflammez cette poudre, la balle ne sera pas chassée; ici le mouvement d'agrégation majeure l'emporte sur la tendance à se dilater ("motus hyles"). Mais dans la poudre à canon cette dernière tendance du soufre devient prépondérante, avec le secours d'une tendance semblable et du mouvement de fuite dans le nitre. Ainsi de même dans mille autres expériences. On doit voir, par ces exemples, avec quel soin il importe de rechercher en tous sujets les faits de la lutte, qui nous manifestent la prédominance des forces, et de calculer exactement les proportions suivant lesquelles les divers mouvements obtiennent et perdent tour à tour cette prédominance. Il ne faut pas examiner avec un moindre soin la manière dont les mouvements succombent; il faut savoir s'ils tombent et s'anéantissent, ou s'ils continuent à lutter sous le joug qu'ils subissent. La loi générale, c'est que dans la nature, autour de nous, il n'existe point de repos véritable, ni dans les composés, ni dans leurs parties; le Mouvement n'est jamais qu'apparent. Cette apparence est causée, ou par l'équilibre, ou par la prédominance des mouvements : par l'équilibre, comme dans les balances dont les plateaux s'arrêtent quand les poids sont égaux; par la prédominance, comme dans un vase percé par le bas, où l'eau reste en repos et demeure sans tomber, à cause de la prédominance du mouvement de liaison. Que l'on n'oublie pas, dans ce dernier cas, de rechercher, comme nous l'avons dit, jusqu'à quel point lutte le mouvement vaincu. Un lutteur terrassé et retenu par son vainqueur, bras et jambes empêchés, enchaîné, si l'on veut; ne peut-il tenter par toutes ses forces de se relever? Il échoue, ses efforts sont vains, cependant il n'en déploie pas moins toute son énergie. Pour résoudre le problème; et savoir si, en effet, dans les cas de prédominance, le mouvement vaincu est anéanti, ou si la lutte continue, bien qu'on ne l'aperçoive pas, il faudrait observer non pas les antagonismes, qui sont ordinairement secrets, mais les concours de forces où peut-être on verrait la nature se découvrir. Par exemple, que l'on expérimente avec une arme à feu; que l'on observe, après en avoir déterminé la portée, si le coup frappant au but est plus fort quand on tire de bas en haut (le but placé sur une éminence), alors, que le mouvement est unique, ou quand on tire de haut en bas (le but dans un fond), alors que la pesanteur concoure avec l'impulsion du projectile. Il faut encore recueillir avec soin les principes généraux que l'expérience nous découvre au sujet des prédominances. En voici des exemples : Plus le bien poursuivi est général, plus le mouvement est fort; ainsi, le mouvement de liaison qui intéresse le monde entier, est plus fort que le mouvement de pesanteur, qui intéresse seulement une partie du monde, l'ordre des corps denses. Les tendances relatives aux avantages particuliers ne prévalent pas sur les tendances qui vont au bien général, si ce n'est dans les petites quantités. Plût à Dieu que ces deux principes fussent observés dans les sociétés humaines comme ils le sont dans le monde matériel !