[8,2b] Exemple de cette portion de la doctrine des occasions éparses, tiré de quelques paraboles de Salomon. PARABOLE. 1. Une douce réponse rompt la colère. {Proverbes, XV, 1} EXPLICATION. Si la colère du prince ou de quelque autre supérieur s'allume contre vous, et que votre tour de parler soit venu; vous avez, suivant le conseil de Salomon, deux choses à faire : 1°. il recommande de faire une réponse, puis il veut qu'elle soit douce. Ce premier avis renferme trois préceptes: 1°. de se garder d'un silence qui sente la mauvaise humeur et l'opiniâtreté ; car tout l'effet d'un tel silence est de rejeter la faute sur vous ; il semble que vous n'ayez rien à répondre, ou qu'en secret vous taxiez votre maître d'injustice, comme si ses oreilles étaient fermées, même à une juste défense. En second lieu, veut-il dire, gardez-vous de remettre cette réponse, et de demander un autre temps pour votre défense; cette demande ferait naître contre vous le même préjugé que le premier parti, et vous sembleriez croire que votre maître ne se possède pas assez en ce moment; elle signifierait clairement que vous méditez quelque défense artificieuse, et n'avez rien à alléguer sur-le-champ. En sorte que le mieux est de faire d'abord un peu de réponse, et de hasarder un commencement de justification qui naisse de la chose même. 3°. C'est une réponse, une vraie réponse qu'il faut faire ; une réponse, dis-je, et non un simple aveu, ou un pur acte de soumission, mais une réplique qui tienne de l'apologie et de l'excuse. Toute autre conduite, en pareil cas, n'est rien moins que pure; à moins qu'on n'ait affaire à certaines âmes tout-à-fait généreuses et magnanimes, lesquelles sont fort rares; il faut enfin que cette réponse soit douce, et non rude ou choquante. PARABOLE. 2. Le serviteur prudent commandera au fils insensé, et il partagera l'héritage entre les frères. {Proverbes, XVII, 2} EXPLICATION. Dans toute famille où règne le trouble et la discorde, s'élève toujours quelque serviteur, ou autre ami, d'une condition inférieure, qui, se portant pour arbitre, accommode les différends de la famille, et pour lequel, à ce titre, et la famille toute entière, et le maître lui-même, ont beaucoup de déférence. Si cet homme n'a en vue que son propre intérêt, il fomente et aggrave les maux de la famille. Mais, s'il est vraiment fidèle et intègre, on lui a de grandes obligations; et cela au point qu'il peut, à juste titre, être regardé comme un frère, ou du moins avoir la procuration fiduciaire de l'héritage. PARABOLE. 3. L'homme sage, s'il s'amuse à quereller avec l'insensé, soit qu'il s'irrite, ou qu'il badine, ne trouvera point de repos. {Proverbes, XXIX, 9} EXPLICATION. On nous recommande souvent d'éviter tout combat inégal; en ce sens, qu'il ne faut point lutter avec des gens au-dessus de soi. Mais un avertissement non moins utile, c'est celui que nous donne ici Salomon, de ne point quereller avec des gens au-dessous de soi; on y trouve toujours beaucoup de désavantage; car, si on l'emporte, il n'en résulte aucune victoire ; et si l'on a le dessous, il n'en résulte qu'un grand affront : et cette querelle, on aurait beau vouloir n'en faire qu'un badinage, en y mêlant des airs de dédain et des termes méprisants, on n'en serait pas plus avancé, De quelque manière que nous nous y prenions, nous perdrons de notre considération, et nous aurons peine à nous tirer d'affaire. Ce sera bien pis, si cet homme avec lequel nous contestons, a quelque teinte de folie; je veux dire, s'il est quelque peu téméraire et insolent. PARABOLE. 4. Garde toi de prêter l'oreille à tous les propos qu'on peut tenir, de peur d'entendre ton serviteur disant du mal de toi. {Ecclésiaste, VII, 21} EXPLICATION. Il est incroyable combien cette inutile curiosité et cette excessive envie de savoir ce qu'on pense de nous, répand d'amertume sur notre vie; je veux dire, quand nous allons épiant tous ces secrets, dont la découverte ne fait que nous affliger, et n'avance point du tout nos affaires. Car, 1°. tout ce que nous y gagnons, c'est de l'inquiétude et du chagrin, tout en ce monde n'étant qu'ingratitude et perfidie. En sorte que si l'on pouvait faire acquisition d'une sorte de miroir magique, où l'on vit nettement toutes les haines dont on est l'objet, et tout ce qu'on machine contre nous, le mieux serait de le jeter ou de le briser ; car il en est de tous ces propos comme du murmure des feuilles, ils s'évanouissent bientôt. En second lieu, cette curiosité nous rend excessivement soupçonneux. Or, rien n'est plus préjudiciable à nos desseins ; cette défiance les compliquant excessivement, et y jetant de l'irrésolution. En troisième lieu, cette curiosité fixe le mal même, qui, sans cela, n'eût fait que passer; car il est dangereux d'exciter le dépit des hommes qui se sentent coupables; tant qu'ils s'imaginent qu'on ne les voit pas, il est aisé de les ramener; mais une fois qu'ils se voient démasqués, ils s'en vengent en faisant encore pis. Ainsi, c'est avec raison qu'on a regardé comme un trait de souveraine prudence le parti que prit Pompée de jeter au feu tous les papiers de Sertorius, sans les avoir lus lui-même, et sans avoir permis à qui que ce soit de les lire. PARABOLE. 5. La pauvreté arrive comme un voyageur, et l'indigence comme un homme armé. {Proverbes, VI, 11 et XXIV, 34} EXPLICATION. Cette parabole décrit élégamment la manière dont se ruinent les prodigues et les gens trop insouciants sur leurs affaires domestiques. Car d'abord ces causes qui nous obèrent, et qui entament notre fortune, viennent, pour ainsi dire, à pied et à pas lents, comme un voyageur; d'abord on ne les sent presque pas. Mais bientôt arrive en force l'indigence, semblable à un homme armé, avec une main si forte et si puissante, qu'il est impossible de lui résister ; et les anciens ont eu grande raison de dire, que ce qu'il y a de plus fort en ce monde, c'est la nécessité. {Euripide, Hélène, v. 514} C'est pourquoi il faut aller au-devant du voyageur, et se fortifier contre l'homme armé. PARABOLE 6. Celui qui instruit un railleur, se fait tort à lui-même; et celui qui reprend un impie, se fait une tache. {Proverbes, LX, 7} EXPLICATION. Cette parabole s'accorde avec ce précepte du Sauveur, par lequel il nous recommande de ne point semer nos perles devant des pourceaux. On y distingue l'acte du conseil positif de celui de la réprimande. On y distingue aussi la personne du railleur de celle de l'impie. On y distingue enfin les deux espèces de retours différents qu'on trouve avec eux. En effet, dans le premier, le seul retour est de perdre sa peine; et dans le dernier, on y gagne de plus une tache; car lorsqu'on s'amuse à instruire et à endoctriner un railleur, d'abord on perd son temps avec lui, puis les autres se moquent de vos efforts, regardant vos tentatives comme inutiles, et comme de la peine mal placée. Enfin, le railleur lui-même dédaigne la science qu'on lui a apprise : mais on court plus de risque encore en reprenant un impie; cet impie, qui non seulement n'écoute pas, mais qui de plus tournant, pour ainsi dire, ses cornes contre celui qui le redresse, et qui lui est déjà devenu odieux, ne manque pas de l'accabler d'invectives, ou du moins de l'accuser devant les autres. PARABOLE. 7. Le fils sage est pour son père un sujet de joie; et le fils insensé, un sujet d'affliction pour sa mère. {Proverbes, X, 1} EXPLICATION. Cette parabole distingue parmi les joies et les afflictions domestiques, celles qui sont propres au père et à la mère, au sujet de leurs enfants. En effet, le fils sage et rangé, est un sujet de joie, surtout pour le père, qui connaît mieux le prix de la vertu, et qui, par cette raison, est plus charmé de le voir enclin au bien. Il trouve de plus, dans l'éducation qu'il lui a donnée, un nouveau sujet de se féliciter; il se sait bon gré de l'avoir si bien élevé par ses préceptes et son exemple. Au contraire, la mère compatit davantage aux disgrâces du fils, parce que l'affection maternelle est plus tendre et plus molle, puis parce qu'elle se dit que c'est peut-être son excessive indulgence qui l'a ainsi corrompu et dépravé. PARABOLE. 8. La mémoire du juste sera accompagnée d'éloges, mais le nom de l'impie tombera en pourriture avec lui. {Proverbes, X, 7} EXPLICATION. Cette parabole fait une distinction entre la réputation des gens de bien et celle des méchants, en montrant ce que doivent être l'une et l'autre après la mort. En effet, quant aux gens de bien, cette envie qui attaquait leur réputation tant qu'ils vivaient, s'éteignant alors, leur nom va fleurissant, et leur gloire croissant de jour en jour. Quant aux méchants, si quelquefois leur réputation se soutient pendant quelque temps, par la faveur de leurs amis et de leur faction, bientôt à cette réputation d'un jour succède une longue infamie, et leur nom exhale, en quelque manière, une odeur fétide et repoussante. PARABOLE. 9. Celui qui met le trouble dans sa Maison, ne possédera que des vents. {Proverbes, XI, 29} EXPLICATION. Très utile avertissement par rapport aux dissensions et aux troubles domestiques; il est bien des gens qui, en faisant divorce avec leurs épouses, ou en déshéritant leurs enfants, ou en changeant fréquemment de domestiques, s'imaginent gagner beaucoup par ces changements, et se flattent qu'ils pourront par là se mettre l'esprit en repos, et que leurs affaires en iront mieux. Mais le plus souvent toutes ces espérances ne produisent que du vent; car ou après ces bouleversements les affaires n'en vont pas mieux, ou encore ces perturbateurs de leurs familles se jettent dans des embarras de toute espèce, ou n'éprouvent que de l'ingratitude de la part de ceux qu'ils ont adoptés et choisis, après avoir chassé les autres. De plus, cette conduite donne lieu à de mauvais bruits sur leur compte, et leur fait une réputation assez équivoque; et Cicéron n'a pas eu tort de dire, "que toute réputation vient de notre maison". {Quintus Cicéron, Essai sur la candidature, ch. 5} Or, ces deux espèces d'inconvénients, Salomon les désigne élégamment par cette expression, "posséder des vents". Et c'est avec raison qu'il compare aux vents ce que gagne celui dont l'attente est trompée, ou qui donne prise au caquet. PARABOLE. 10. La fin du discours importe plus que le commencement. {Ecclésiaste, VII, 8} EXPLICATION. Cette parabole relève une erreur très familière, non seulement à ceux qui font du discours leur principale étude, mais même aux hommes les plus sages. Voici en quoi elle consiste. La plupart des hommes s'occupent beaucoup plus du préambule et de l'entrée de leurs discours, que de l'issue. Ils méditent avec plus de soin leurs exordes et leurs avant-propos, que leurs péroraisons. Cependant ils devraient et ne pas négliger les premiers, et, portant encore plus leur attention sur les derniers, comme étant d'une toute autre importance, les tenir tout prêts et tout digérés, en considérant mûrement et prévoyant, autant qu'il est possible, de quelle conclusion ils pourront user, et comment cette fin pourra servir à mûrir et à avancer leurs affaires ; et ce n'est pas tout: non seulement il faut méditer avec soin ces épilogues et ces fins de discours, qui se rapportent aux affaires mêmes; mais il faut de plus prendre peine à imaginer quelque propos, qu'on puisse jeter avec autant de dextérité que d'urbanité, au moment où l'on prend congé. Deux conseillers que j'ai connus, deux hommes sans contredit du plus grand talent et d'une souveraine prudence, sur lesquels principalement portait le poids des affaires, avaient cela de propre et de familier, que chaque fois qu'ils conféraient avec leurs princes sur les affaires de ces derniers, ils ne terminaient pas l'entretien par ce qui tenait à l'affaire même en question; mais ils tâchaient de les distraire, en jetant quelque plaisanterie, ou quelque autre trait agréable. En un mot, comme dit le proverbe, "ils dessalent les saumons de mer dans de l'eau de rivière", {Érasme, Adages, III, 3, 26} et ce n'était pas le moins ingénieux de leurs expédients.