LECTURE : Francis BACON (1561 - 1626) a le sentiment que la plupart des fables {anciennes} n'étaient pas de l'invention des poètes qui les ont publiées ou rendues célèbres, tels que Homère, Hésiode, etc. Francis Bacon, De la sagesse des anciens, Préface : ... Habemus etiam et aliud sensus occulti et inuoluti signum non paruum, quod nonnullae ex fabulis tam absurdae narratione ipsa et insulsae inueniantur, ut parabolam etiam ex longinquo ostentent, et ueluti clament. Quae enim probabilis est fabula, etiam ad uoluptatem et historiae similitudinem conficta existimari potest : quod autem nulli in mentem uenisset cogitare, aut narrare, id in alios usus quaesitum uidetur. Quale enim figmentum illud ; Iouem Metin in uxorem accepisse, eamque statim ut grauidam sensisset comedisse, unde ipse grauidus fieri caepit, et Palladem armatam ex capite peperit ? Equidem existimo nulli mortalium obuenire uel somnium tamextra cogitationis uias situm et monstrosum. Ante omnia illud apud nos maxime ualuit, et plurimum ponderis habuit, quod ex fabulis complures nullo modo nobis uidentur ab eis inuentae, a quibus recitantur et celebrantur, Homero, Hesiodo, reliquis ; si enim liquido nobis constitisset eas ab illa aetate atque illis auctoribus manasse, a quibus commemorantur et ad nos deuenerunt, nil magni certe aut excelsi ab huiusmodi origine nobis (ut nostra fert coniectura) exspectare aut suspicari in mentem uenisset. Verum, si quis attentius rem consideret, apparebit, illas tradi et referri tanquam prius creditas, et receptas, non tanquam tum primo escogitatas et oblatas. Quinetiam cum diuersis modis a scriptoribus fere coaeuis referantur, facile cernas, quod commune habent, ex ueteri memoria desumptum ; in quo uariant, ex singulorum ornatu additum. Atque haec res existimationem earum apud nos auxit, ac si nec aetatis, nec inuentionis poetarum ipsorum essent : sed ueluti reliquiae sacrae, et aurae tenues, temporum meliorum ; quae ex traditionibus nationum magis antiquarum in Graecorum tubas et fistulas incidissent. ... ... Ajoutez que dans quelques-unes de ces fables la narration est quelquefois si ridicule et si absurde que cette absurdité même démontre leur destination et leur sens allégorique; car lorsque la narration d'une fable n'a rien d'invraisemblable ni de choquant, on peut présumer qu'on ne l'a inventée que pour le simple amusement, et que dans cette vue on a tâché de donner au récit la vraisemblance historique. Mais lorsqu'on y voit des choses que personne ne se serait jamais avisé de raconter ni même d'imaginer, on peut en inférer qu'elles avaient une autre destination. De ce dernier genre est la suivante. Jupiter, disent les poètes, épousa Métis; sitôt qu'il la vit enceinte, il la dévora; il eut ensuite lui-même une sorte de grossesse, et, au terme ordinaire de l'accouchement, Pallas sortit de son cerveau toute armée. Il est clair qu'un conte si monstrueux, si extravagant et si éloigné de toutes les voies de la pensée humaine ne se serait pas présenté de lui-même à l'esprit mortel, pas même en songe. Une des considérations qui ont le plus contribué à confirmer notre sentiment sur ce point, c'est que la plupart des fables dont nous parlons n'étaient pas de l'invention des poètes qui les ont publiées ou rendues célèbres, tels que Homère, Hésiode, etc.; car s'il était bien prouvé que ces fictions appartenaient réellement aux poètes dont nous les tenons, une telle origine (autant que nous pouvons le présumer) ne nous annoncerait ni de grandes vues, ni un but fort élevé. Mais, pour peu qu'on les lise avec quelque attention, on reconnaitra aisément que ces poètes les rapportent comme ayant été adoptées et reçues dans des temps plus anciens, non comme nouvelles et comme étant de leur invention. De plus, des auteurs contemporains les uns des autres les rapportant de différentes manières, on doit en inférer que ce qu'elles ont de commun vient des temps plus anciens, et que leurs différences et leurs variations viennent des additions que les différents auteurs auront jugé à propos d'y faire pour les embellir et les rendre plus agréables; ce serait même cette dernière considération qui leur donnerait plus de prix à nos yeux, et qui nous déterminerait à les regarder, non comme des productions de ces poètes mêmes qui nous les ont transmises ni de leurs contemporains, mais comme d'augustes débris d'un siècle plus éclairé et comme une sorte de souffle léger qui, des traditions de quelques nations beaucoup plus anciennes, est venu pour ainsi dire tomber dans les trompettes et les flûtes des Grecs. ...