[50,0] SERMON L. LES RICHESSES D'INIQUITÉ. [50,1] 1. Les Manichéens cherchent à appuyer leurs calomnies sur le prophète Aggée ; ils critiquent odieusement ces paroles qu'il a prononcées au nom du Seigneur : « L'or est à moi, l'argent est à moi ; » et parce qu'ils s'attachent à comparer méchamment l'Évangile à l'ancienne loi, dans le but de montrer que les deux Testaments sont contraires et opposés l'un à l'autre, ils proposent la difficulté suivante: Il est écrit, disent-ils, dans le prophète Aggée : « L'or est à moi, l'argent est à moi, » et notre Sauveur, dans l'Evangile, appelle ces richesses une espèce d'iniquité. L'Apôtre à son tour parle ainsi de l'usage qu'on en fait : « La racine de tous les maux est l'avarice, écrit-il à Timothée ; aussi quelques-uns en s'y laissant entraîner, ont dévié de la foi et se sont engagés dans beaucoup de chagrins. » Ainsi présentent-ils la question, ou plutôt, ainsi accusent-ils les anciennes Écritures qui ont annoncé l'Évangile, en s'appuyant sur le même Évangile annoncé par elles. S'ils propossaient sérieusement la difficulté, peut-être se mettraient-ils en devoir de la résoudre, et en y travaillant ils pourraient y parvenir. [50,2] 2. Malheureux qu'ils sont, pourquoi ne comprennent-ils pas que le motif du Seigneur, en disant dans Aggée : « L'or est à moi, l'argent est également à moi, » est de rappeler à celui qui refuse de donner aux indigents, malgré l'obligation d'exercer la miséricorde, que Dieu lui commande de distribuer, non pas de son propre bien, mais du bien du Seigneur lui-même; et à celui qui fait l'aumône, qu'il ne la fait pas avec ce qui lui appartient, car au lieu de s'affermir dans la vertu en pratiquant la miséricorde il pourrait s'enfler de vanité et d'orgueil ? « L’or est à moi, dit-il, l'argent est également à moi » non pas à vous, ô riches de la terre. Pourquoi donc hésiter de donner au pauvre de qui m'appartient? ou pourquoi vous enorgueillir de donner de ce qui est à moi? [50,3] 3. Veux-tu connaître combien est juste ce Dieu à qui appartiennent et l'or et l'argent ? Ces richesses font le tourment de l'avare autant qu'elles aident le cœur compatissant. La divine justice distribue tout avec tant de sagesse, qu'elles servent soit à manifester les belles actions, soit à châtier l'iniquité. Oui, l'or, l'argent et tous les domaines de la terre sont également l'instrument de la bienfaisance et le supplice de la cupidité. En les accordant aux hommes de bien, Dieu montre combien de choses dédaigne leur âme dont toute la richesse est l'auteur même de richesse. Pour prouver en effet que l'on méprise une chose, il faut la posséder réellement. En la possédant pas, on peut sans doute la mépriser. Mais ce mépris est-il feint ou sincère? Dieu seul le sait puisqu'il voit le coeur ; quant aux hommes qui voudraient imiter ce mépris, ils ne peuvent en connaître la sincérité que par des actes de générosité. Lorsque d'un autre côté Dieu octroie ces biens aux méchants, il fait voir, par ces biens-même qu'il accorde, à quels tourments est réservée l'âme qui en dédaigne le généreux don. Il donne aux bons l'occasion de faire le bien; tourmente les méchants de la crainte d'essuyer des pertes; et si les uns comme les autres perdent leur or et leur argent, les premiers conserveront avec joie leurs trésors célestes, tandis que les seconds verront leur maison dépouillée des biens temporels et leur conscience plus dépouillée encore des richesses éternelles. [50,4] 4. A Lui donc qui sait faire un tel usage de l'or et de l'argent appartiennent réellement et l'argent et l'or. Parmi les hommes eux-mêmes le bon usage n'est-il pas un titre à posséder? Est-on en droit d'avoir ce qu'on ne sait employer avec justice? Et si l'on se prétend possesseur de ce que l'on retient sans aucun droit, on n'en est pas le possesseur légitime, mais l'impudent et injuste usurpateur. De là il suit que si l'on revendique avec raison, non pas ce qu'a envahi une injuste et folle cupidité, mais ce qu'on administre avec une autorité pleine de prudence et une modération pleine de justice, Dieu ne peut-il pas beaucoup mieux et avec plus de vérité soutenir que l'or et l'argent sont à lui? Car il les a créés dans son immense bonté, il sait les employer avec une souveraine justice, et sans son ordre ou sa permission personne ne peut posséder l'or et argent, ni les méchants pour le supplice de leur avarice, ni les bons pour l'exercice de leur bienfaisance; exercice limité, car ils ne peuvent ni créer les richesses, ni les reprendre ou les distribuer à leur gré dans le monde. [50,5] 5. Supposé que les méchants seuls aient en partage l'or et l'argent, on devrait croire que c'est un mal; et s'ils n'appartenaient qu'aux bons, on serait porté à les considérer comme un grand bien. D'un autre côté, si les méchants seuls en étaient privés, la pauvreté semblerait un grand châtiment; et si c'étaient les bons seuls, la même a pauvreté serait regardée comme le souverain bonheur. Veux-tu savoir qu'il peut être bon d'avoir de l'or? Les hommes de bien en ont. Veux-tu savoir aussi que ce n'est pas l'or qui te fait leur vertu? Les méchants possèdent aussi de l'or. Pour nous apprendre que pauvreté n'est pas malheur, il y a des pauvres heureux; et pour nous apprendre aussi que pauvreté n'est pas bonheur, il est des pauvres malheureux. Ainsi donc lorsque le Créateur suprême et gouverneur de toutes choses distribue aux hommes l'or et l'argent, il veut qu'on les regarde comme bons dans leur nature et dans leur genre, quoiqu'ils ne soient ni un grand bien ni le bien souverain, et que dans la place qui leur est faite ils excitent à louer le Seigneur de l'univers; il veut aussi que les bons sachent ne pas s'enorgueillir quand ils les ont en abondance, ni se laisser abattre quand ils en sont privés, et que les méchants soient aveuglés lorsqu'ils les possèdent, tourmentés quand ils les perdent. [50,6] 6. On ne saurait donc blâmer aucunement ce que Dieu a créé pour sa gloire, pour l'honneur des bons et pour le supplice des méchants. Dieu peut aussi avec la plus parfaite vérité, appeler sien non-seulement ce qu'il a établi avec la plus généreuse bonté, mais encore ce qu'il distribue avec la plus sage prévoyance. Si maintenant le Seigneur dans l'Évangile appelle ces choses des richesses d'iniquité, c'est pour faire entendre qu'il y a d'autres richesses qui sont le partage exclusif des hommes de bien et des justes, et que c'est l'iniquité qui donne aux premières le nom de richesses. La justice sait en effet qu'il existe d'autres trésors destinés à orner l'homme intérieur; c'est d'eux que par le bienheureux Pierre quand il dit : « Lequel est riche devant Dieu. » Ces dernières richesses sont appelées justes, parce qu'elles sont le lot des justes, de ceux qui les ont méritées ; et vraies, parce qu'en les possédant on n'est pas en proie à l'indigence. Les autres sont nommées injustes, non qu'il y ait injustice dans l'or et l'argent, mais parce qu'il est injuste de dire que ce sont des richesses, attendu qu'elles ne préservent pas du besoin. Chacun en effet n'éprouve-t-il pas des désirs d'autant plus ardents qu'il possède avec attachement de plus nombreux trésors? Et comment appeler richesses ce qui en s'accroissant fait croître les besoins, ce qui ne saurait s'augmenter pour ceux qui en sont avides, sans enflammer leur cupidité au lieu d'apaiser leur soif? Estimes-tu riche celui à qui il manquerait moins s'il possédait moins? Combien voyons-nous d'hommes qui se réjouissaient en faisant de petits profits lorsqu'ils étaient peu riches, et qui maintenant qu'ils possèdent de l'or et de l'argent véritables, mais de fausses richesses, refusent les gains médiocres qu'on peut leur offrir ! Tu les crois enfin satisfaits : tu te trompes. L'accroissement de leur opulence n'a fait que dilater leur avarice, que l'enflammer sans la calmer. Ils rejettent un verre d'eau, parce qu'il leur faut un fleuve. Ainsi donc, est-ce comme plus riche, est-ce comme plus indigent qu'il faut considérer cet homme qui a cherché à s'enrichir pour n'éprouver pas de besoins, et qui n'est devenu plus riche que pour en ressentir davantage? [50,7] 7. Ce n'est toutefois la faute ni de l'or ni de l'argent. Suppose en effet qu'un homme compatissant ait découvert un trésor : est-ce que par compassion il ne s'empresse pas de donner l'hospitalité aux voyageurs, de nourrir les affamés, de fournir des vêtements à qui en manque, d'aider les indigents, de racheter les captifs, de construire des Églises, de soulager les fatigués, d'apaiser les querelles, de réparer les naufrages, de soigner les malades, de répandre sur la terre ses richesses matérielles et d'enfermer au ciel ses trésors spirituels? Qui agit ainsi? L'homme miséricordieux et bon. Par quel moyen ? Avec l'or et l'argent. Pour le service de qui? De celui qui a dit : « L'or est à moi, l'argent est également à moi. » Maintenant donc, mes frères, vous voyez sans doute quel étrange aveuglement et quelle démence il faut pour reporter sur les choses dont on use mal le crime de ceux qui en abusent. Si on condamne l'or et l'argent, parce qu'il est des hommes corrompus par l'avarice qui au mépris des préceptes du Tout-Puissant s'attachent avec une passion détestable à ce qu'il a créé; on doit mépriser aussi toutes les autres créatures de Dieu, car, dit l'Apôtre, il est des hommes pervers « qui ont adoré et servi la créature, de préférence au Créateur, béni dans les siècles; » on doit condamner jusqu'à ce soleil, puisque ne voyant pas en lui une créature les Manichéens ne cessent de l'honorer et de l'adorer soit comme le Créateur, soit comme une partie de lui-même. Mais pourquoi ne l'accusent-ils pas? Ne voit-on pas souvent les procès les plus injustes occasionnés par le désir de donner aux appartements plus de soleil et de lumière? Ne voit-on pas fréquemment renverser des maisons pour faire pénétrer plus librement et plus largement les rayons du soleil par les fenêtres ? Ne voit-on pas ceux qui s'y opposent, tout fondés qu'ils soient sur les droits les plus incontestables, poursuivis d'implacables inimitiés? Si donc il arrive que pour obtenir plus de soleil un homme puissant opprime injustement et cruellement un homme faible, s'il le dépouille, s'il l'envoie en exil ou à la mort, est-ce la faute du soleil dont l'oppresseur cherche à profiter plus abondamment? N'est-ce pas plutôt l'abus coupable qu'il en fait? car en désirant pour ses yeux plus de lumière matérielle, il ferme à la lumière de la justice le secret de son coeur. [50,8] 8. Ceci doit faire comprendre à ces sectaires, si néanmoins ils en sont capables, qu'il ne faut condamner ni l'or ni l'argent, quoique l'or et l'argent servent souvent de matière aux contestations d'hommes avides; ou qu'ils doivent transporter leur accusations de la terre au ciel, des métaux brillants aux étoiles et jusques au soleil, dont l'iniquité se dispute la lumière en se livrant à des haines souvent éternelles. Ils doivent apprendre aussi quelle distance sépare la lumière visible de l'invisible lumière de la justice. Il peut se faire en effet que plus on désire jouir de la première, plus on soit aveuglé en présence de la seconde. Rien de créé ne saurait justifier l'homme; pour faire bon usage de toutes les; créatures il a besoin d'être sanctifié par le Créateur. Aussi tout en condamnant partout l'avarice comme le doit faire un juste juge, le Seigneur comme maître de la vérité montre l'usage que l'on doit faire des richesses terrestres, et il le montre à l'endroit même que les Manichéens prétendent opposer au Prophète. « Faites-vous des amis avec les richesses d'iniquité, » dit-il, ce qui signifie : Vous ne devez point conserver comme richesses ce qui est richesses d'iniquité; et vous pourrez user des trésors de la terre, vous en faire même des amis qui vous reçoivent dans les tabernacles éternels, si vous ne possédez pas ces sortes de richesses, c'est-à-dire si vous ne vous en estimez pas riches. Car vos richesses véritables, les richesses qui vous mettront à l'abri de tout besoin, n'ont rien de comparable aux biens de la terre. Mais pour mériter d'en jouir, il faut commencer par faire bon usage de ces biens qui ne sont ni à vous, ni richesses véritables, mais des richesses d'iniquité, puisqu'elles n'ôtent pas l'indigence et que l'iniquité seule les regarde comme richesses. Les pécheurs se croient par elles préservés de la pauvreté; pour vous, vous devez soupirer; après d'autres richesses, après les richesses véritables et qui vous appartiendront réellement. Mais « si vous n'avez pas été fidèles dans les richesses injustes, qui vous confiera les véritables? Et si vous n'avez pas été fidèles dans le bien d'autrui, qui vous donnera celui qui est à vous ? » [50,9] 9. Mais il est évident que selon leur habitude les Manichéens dénaturent le sens des prophéties. Si peu effectivement que l'on examine le contexte du passage dont ils abusent, on remarquera qu'il n'y est pas question de cet or et de cet argent qui font tourner la tête à l'avare, mais, et plutôt de l'or et de l'argent dont parle l'Apôtre quand il dit : « Si on élève sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses. » Ce même or et cet argent formaient le trésor mystérieux qui d'après le Sauveur fut trouvé dans un champ et qu'un homme merveilleusement et admirablement avare s'empressa d’acheter après avoir vendu tout ce qu'il possédait. N'est-ce pas effectivement le Seigneur qu'annonçait le Prophète; et dans son langage figuré, comme il l'est d'ordinaire, ne désignait-il pas l'époque du siècle nouveau, c'est-à-dire de l’Église, quand il disait : « Encore un peu de temps, et j'ébranlerai le ciel et la terre, la mer et l'aride; j'ébranlerai tous les peuples, et le Désiré de toutes les nations viendra, et je remplirai cette maison de gloire, dit le Seigneur des armées? L'or est à moi, l'argent aussi est à moi, dit le Seigneur des armées. La gloire de ce temple sera encore plus grande que celle du premier, dit le Seigneur des armées, et je donnerai la paix en ce lieu, dit le Seigneur des armées. » [50,10] 10. Si les Manichéens voulaient ne pas ressembler à ces chiens et à ces pourceaux auxquels il nous est interdit de jeter les choses saintes et les perles; s'ils demandaient pour recevoir, s'ils cherchaient pour découvrir et s'ils frappaient pour obtenir qu'on leur ouvrit; ne pourraient-ils pas, sans le secours d'aucun interprète et sous la conduite du Saint-Esprit, voir que ce passage s'applique manifestement au peuple nouveau, c'est-à-dire au peuple chrétien dont le grand prêtre est Jésus le Fils de Dieu ? Ils comprendraient surtout les paroles suivantes : « Encore un peu de temps, et j'ébranlerai le ciel et la terre, la mer et l'aride; j'ébranlerai tous les peuples et le Désiré de toutes les nations viendra. — Et le Désiré des nations viendra; » ces mots désignent le second avènement du Seigneur, quand il viendra avec gloire. Lors en effet qu'à son premier avènement il nous fut donné dans une chair mortelle par la Vierge Marie, il n'était pas le Désiré de toutes les nations, qui ne croyaient pas encore en lui. Mais en se répandant parmi tous les peuples, l'Évangile y allume le désir de le voir; car il a èt il aura partout des élus qui disent de tout coeur en le priant : « Que votre règne arrive. » Au premier avènement la miséricorde a préparé le jugement, qui donnera tant d'éclat au second avènement. Il fallait donc d'abord ébranler le ciel, ce qui arriva lorsque l'Ange annonça à Marie qu'elle concevrait le Fils de Dieu, lorsqu'une étoile conduisit les Mages pour l'adorer, et lorsque des Anges encore apprirent sa naissance aux bergers ; ébranler la terre, étonnée de ses miracles; ébranler la mer, c'est-à-dire le monde où frémissait le bruit des persécutions; ébranler l'aride, car ceux qui croyaient en lui étaient affamés et altérés de justice; ébranler enfin toutes les nations, car son Évangile devait courir de toutes parts. Après cela doit paraître le Désiré de toutes les nations, et il viendra effectivement, comme l'a prédit le prophète ; et cette demeure, c'est-à-dire l'Église, sera remplie de gloire. [50,11] 11. Il ajoute ensuite conséquemment : « L'or est à moi, l'argent aussi est à moi. » C'est que toute la sagesse, signifiée par l'or, c'est que « les paroles, les paroles pures du Seigneur, cet argent épuré, purifié jusqu'à sept fois, » c'est que tout cet argent et cet or ne sont point aux hommes mais au Très-Haut ; et si sa maison est remplie de gloire, c'est que celui qui se glorifie doit se glorifier dans le Seigneur. Pour faire rentrer au paradis l'homme qui en était sorti par orgueil, le grand prêtre qui habite cette maison mystérieuse a daigné se présenter comme un modèle d'humilité ; il l'atteste lui-même quand il crie dans l'Évangile : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. » Afin donc que dans cette maison, c'est-à-dire dans son Église, nul ne s'attribue orgueilleusement ce qu'il peut avoir de sagesse dans ses sentiments ou dans ses discours, avec quelle salutaire précaution le Seigneur dit à tous « L'or est à moi, l'argent aussi est à moi! » Par là s'accomplira ce qui suit: « et la gloire de cette dernière demeure sera plus grande que celle de la première. » Car la première demeure, ou les habitants de la Jérusalem terrestre, « ignorent la justice de Dieu, cherchent à établir la leur et conséquemment ne sont point soumis à la divine justice, » comme le dit l'Apôtre. Aussi considérez qu'en revendiquant la propriété de l'or et de l'argent, il leur a été impossible de parvenir à l'éternelle gloire de la dernière demeure. En disant, néanmoins : « La gloire de cette dernière demeure sera plus grande que « celle de la première; » le prophète indique que celle-ci n'a pas été sans quelque gloire. C'est de cette gloire que parlait l'Apôtre lui-même quand il disait : « Si ce qui disparaît a de la gloire, ce qui demeure en a bien davantage. » [50,12] 12. Le dernier verset de ce passage prophétique est celui-ci : « Et dans ce lieu je donnerai « la paix, dit le Seigneur des armées. » Que signifie dans ce lieu ? Ne dirait-on pas que le Seigneur montre du doigt quelque chose de terrestre, puisque les lieux ne peuvent contenir que des corps? On peut dont voir ici la résurrection générale des corps, laquelle fera le complément de la béatitude, car alors la chair ne convoitera plus contre l'esprit ni l'esprit contre la chair. En effet ce corps corruptible sera revêtu d'incorruptibilité, ce corps mortel d'immortalité. Il n'y aura plus dans nos membres de loi pour lutter contre la loi de l'esprit; car « en ce lieu je donnerai la paix, dit le Seigneur des armées. » [50,13] 13. S'il s'agit du mépris de l'or et de l'argent matériels, combien les prophètes n'en ont-ils point parlé? et qui a pu fermer assez l'oreille à la divine parole pour ignorer ce qu'ils en on dit? Les Manichéens, pour séduire les esprits, citent ce texte de l'Apôtre : « L'avarice est la racine de tous les maux, et en s'y laissant entraîner, plusieurs ont dévié de la foi et se sont engagés dans beaucoup de chagrins. » Mais serait-il facile de découvrir dans l'ancien Testament un livre où l'avarice ne soit pas condamnée et vouée à l'exécration ? Puisqu'il s'agit entre nous d'or et d'argent, pourquoi n'écoutent-ils pas cet oracle prophétique: « Ni leur or, ni leur argent ne pourront les délivrer au jour de la colère divine». Ne suffirait-il pas d'entendre ce passage avec de bonnes dispositions, de s'en pénétrer l'âme, pour renoncer entièrement aux séductions d'une félicité trompeuse, pour se jeter dans les bras de Dieu, se dépouiller du vieil homme et se revêtir d'immortalité? Mais pourquoi agiter plus longtemps cette question? Votre charité voit clairement, je n'en doute pas, que, devant les simples, les Manichéens s'appuient, non sur la vérité mais sur l'astuce, pour opposer une partie de l'Écriture à toute l'Écriture et les livres nouveaux aux livres anciens; et que, pour faire illusion aux ignorants, ils prennent des phrases isolées entre lesquelles ils s'efforcent de montrer quelque contradiction. Mais dans le nouveau Testament lui-même, il n'y a ni une épître apostolique, ni un livre évangélique qu'on ne puisse défigurer également; on peut dans le même livre montrer des pensées opposées s’il n'a le plus grand soin, en le lisant, d'étudier le contexte tout entier.