[2,0] DES UNIONS ADULTÈRES. LIVRE SECOND. [2,1] CHAPITRE PREMIER. 1. Cher et pieux frère Pollentius, en réponse à votre lettre je vous ai adressé un assez gros volume au sujet des mariages qui se contractent du vivant d'un premier époux. Votre charité en a pris connaissance, et aussitôt vous avez ajouté à votre travail certaines additions dans le but de provoquer une nouvelle réponse de ma part. Je me disposais à vous satisfaire et à joindre mes observations à mon premier écrit pour n'en faire qu'un seul livre, quand j'appris, à mon grand étonnement, que, sur les instances de nos frères, mon travail avait vu le jour sans que l'on soupçonnât qu'il fût nécessaire d'y rien ajouter. Je me vois donc obligé de composer un nouveau volume en réponse à vos additions. Souvenez-vous qu'au lieu de les placer à la fin de votre volume, vous les avez arbitrairement intercalées dans le texte primitif. [2,2] CHAPITRE II. 2. La première de vos assertions, à laquelle je crois devoir répondre, a pour objet ces paroles de l'Apôtre : « Quant aux autres je leur dis, moi et non pas le Seigneur, que la femme ne doit pas se séparer de son mari; si elle s'en sépare, qu'elle reste dans la continence ou qu'elle se réconcilie avec son époux ». Vous argumentez sur ces mots : « si elle s'en sépare » ; au lieu d'admettre qu'il s'agit ici d'un mari convaincu d'adultère, auquel cas seulement la séparation est permise, vous supposez que l'Apôtre parle d'un mari chaste; voilà pourquoi, selon vous, il est prescrit à la femme de rester dans la continence, afin de pouvoir se réconcilier avec lui et de lui épargner le danger de l'incontinence et d'un second mariage si sa femme légitime refusait de se réconcilier. Mais s'il s'agit d'un époux convaincu d'adultère, vous affirmez que sa femme n'est plus tenue à rester dans la continence; elle le peut si elle le désire, mais elle ne viole aucun précepte en contractant un nouveau mariage. Vous en dites autant du mari; ainsi vous lui défendez de quitter sa femme si elle n'est pas coupable d'adultère; s'il s'en sépare, vous lui défendez un nouveau mariage afin qu'il puisse se réconcilier avec sa femme, à moins toutefois que celle-ci ne préfère la continence. En refusant de se réconcilier avec une femme restée chaste, il la porterait à l'adultère, puisqu'il l'exposerait à épouser un second mari du vivant du premier; mais si le mari se sépare parce que sa femme est coupable d'adultère, aucun précepte ne l'oblige à rester continent, et il ne sera nullement adultère en épousant une seconde femme du vivant de la première. L'Apôtre a dit : « La femme est liée pendant toute la vie de son mari ; si celui-ci vient à mourir, elle recouvre sa liberté, et peut se marier à qui elle veut (I Cor. VII, 10, 11, 39)». Or, vous pensez qu'on doit interpréter ces paroles en ce sens que si le mari viole la fidélité conjugale il doit être regardé comme s'il était mort et la femme comme si elle était morte; dès lors si l'un des deux se rend coupable d'adultère, l'autre est aussi libre de contracter un second mariage que si la mort réelle était survenue. [2,3] CHAPITRE III. 3. Telles sont les idées que vous énoncez; maintenant je vous pose cette question : Regardez-vous comme adultère l'homme qui épouse une femme devenue libre à l'égard de son premier mari? Je pense que vous ne portez pas la sévérité jusque-là. Or, toute femme qui, « du vivant de son mari s'unira à un autre homme, sera appelée adultère, car elle est liée pendant toute la vie de son époux». Otez ce lien qui l'unit à son mari vivant, et sans aucun adultère elle pourra épouser un autre homme. Si donc elle est liée pendant toute la vie de son mari, ce lien ne peut être brisé que par la mort. Mais, dites-vous, la fornication de l'un ou de l'autre des deux époux place le coupable dans un état identique à la mort; j'en conclus que la femme devient libre par cela même qu'elle commet l'adultère. Comment soutenir en effet que la femme est liée à son mari, tandis que celui-ci est parfaitement libre à son égard? Si donc par le fait même de la fornication elle a cessé d'appartenir à son mari, celui qui l'épousera de nouveau ne pourra être accusé d'adultère. [2,4] CHAPITRE IV. Voyez quelle absurdité de soutenir que l'on peut, sans adultère, épouser une femme adultère. Une infamie plus grande encore, c'est d'affirmer que la femme ne sera point adultère, puisqu'elle deviendra réellement l'épouse de son second mari. En effet, dès que l'adultère a rompu le premier lien conjugal, pourvu que le nouvel époux soit libre de son côté, il ne pourra plus être question de mariage adultère, ce sera l'union de deux époux légitimes. Mais où sera donc la vérité de cette parole : « La femme est liée pendant toute la vie de son mari? » Direz-vous que son mari n'est plus en vie? Mais, d'un côté , son âme n'est point séparée de son corps, et de l'autre il est innocent de cette fornication que vous assimilez à une mort véritable; et cependant sa femme a cessé d'être sa femme. Un tel langage n'est-il pas en opposition directe avec ce mot de l'Apôtre : « La femme est liée tant que vit son mari? » Sans doute, me direz-vous, peut-être, il vit, mais il a cessé d'être son mari, du moment que par la fornication sa femme a brisé le lien conjugal. Mais alors comment « du vivant de son mari la femme sera-t-elle appelée adultère si elle s'unit à un autre homme?» car, à vous en croire, il a cessé d'être son mari, et le lien conjugal a été rompu par l'adultère. L'Esprit-Saint nous dit qu'elle sera adultère si elle s'unit à un autre homme, du vivant de son mari; de quel mari s'agit-il, si ce n'est pas du sien? Mais s'il a cessé de l'être, ne disons donc plus qu'elle sera adultère si du vivant de son mari elle s'unit à un autre homme; puisqu'elle n'est plus mariée, qui peut, l'empêcher de se marier légitimement? Ne voyez-vous pas que c'est là contredire formellement la parole de l'Apôtre? Vous ne voulez pas de cette contradiction, mais elle découle nécessairement de vos principes. Si donc vous voulez échapper à la conclusion, changez les prémisses et ne dites plus que la fornication frappe de mort le mari ou la femme. 4. Voici donc l'enseignement véritable « La femme est liée tant que vit son mari », c'est-à-dire tant que son âme n'a pas quitté son corps; car « la femme, pendant la vie de son mari, lui reste unie par la loi. Mais si son mari vient à mourir», c'est-à-dire se dépouille de son corps, «elle recouvre toute sa liberté. Donc, pendant la vie de son mari elle sera appelée adultère si elle s'unit à un autre homme. Si son mari meurt, elle devient libre et elle ne sera pas adultère en se mariant de nouveau (Rom. VII, 2 et 3)». Ces paroles de l'Apôtre, si souvent répétées, sont la vérité, la vie, la justice et la clarté même. Aucune femme ne peut devenir l'épouse d'un autre homme qu'après que la mort véritable aura dissous le premier mariage; il ne s'agit pas ici de fornication. On peut donc licitement renvoyer une femme coupable d'adultère, mais le lien primitif subsiste dans toute sa force; et tout homme qui épouserait une femme ainsi renvoyée pour cause de fornication, deviendrait adultère par le fait même. [2,5] CHAPITRE V. De même que celui qui a reçu le baptême, s'il se rend coupable de quelque crime, est soumis aux rigueurs de l'excommunication et conserve le caractère du sacrement alors même qu'il ne serait jamais réconcilié avec Dieu; de même une femme peut être renvoyée pour cause de fornication, mais le lien conjugal n'en subsiste pas moins, et il subsisterait toujours lors même qu'aucune réconciliation n'aurait jamais lieu; ce lien ne cesse pour la femme que par la mort de son mari. Le fidèle frappé d'excommunication, dût-il jamais ne se réconcilier, ne sera jamais dépouillé du sacrement de la régénération parce que Dieu ne meurt point. Tenons-nous en donc au véritable sens de l'Apôtre et gardons-nous d'attribuer à l'adultère les effets de la mort corporelle, pour en conclure que sa femme peut contracter un nouveau mariage. Il est vrai, l'adultère donne la mort non pas au corps mais à l'âme, ce qui est pire; or, ce n'est pas de la mort de l'âme que l'Apôtre parlait quand il disait: « Si le mari est mort, la femme peut épouser qui elle voudra » ; il n'est ici question que de la mort physique et naturelle. Si le lien conjugal était brisé par l'adultère de l'épouse, il en résulterait cette infamie dont j'ai montré toute l'horreur, que la femme se trouverait libre par le seul fait de son crime; elle pourrait dès lors sans être adultère épouser un autre mari, puisque son adultère aurait rompu tous les liens qui l'unissaient à son premier mari. Une telle conclusion révolte non seulement un chrétien mais le sens commun, lequel proclame à sa manière la vérité de cette parole : « La femme est liée tant que vit son mari » ; ou, pour parler plus clairement, tant que son mari est présent dans son corps. Il faut en dire autant du mari à l'égard de sa femme. Veut-il donc la renvoyer? Qu'il se garde bien d'en épouser une autre s'il ne veut pas se rendre coupable du même crime que sa femme. De même si la femme abandonne son mari pour cause d'adultère, qu'elle s'abstienne d'en épouser un autre, car elle est liée pendant toute la vie de son mari; la mort seule de ce dernier peut lui permettre d'épouser un autre homme sans se rendre coupable d'adultère. [2,6] CHAPITRE VI. 5. Il vous paraît dur qu'un époux puisse se réconcilier avec l'autre époux coupable d'adultère; supposez la foi vive et rien ne sera plus facile. Pourquoi regarder encore comme adultères ceux que le baptême a régénérés ou que nous croyons guéris par la pénitence? Ces crimes pour l'expiation desquels la loi ancienne n'avait point de sacrifices, sont maintenant expiés par le sang du Nouveau Testament; voilà pourquoi il était alors si rigoureusement défendu à un homme de recevoir son épouse quand elle avait connu un autre mari. Nous lisons cependant que la fille de Saül, donnée d'abord à David pour épouse et livrée ensuite par son père à un autre mari, fut reprise par David, qui en cela ne désobéissait à la loi ancienne que pour préfigurer le Nouveau Testament (II Rois III, 14). Maintenant, depuis que Jésus-Christ a dit à la femme adultère : « Ni moi, je ne vous condamnerai pas, allez et ne péchez plus à l'avenir», qui ne comprend qu'en voyant le Seigneur pardonner, un mari doit pardonner aussi et ne plus reprocher l'adultère à celle qui en a fait pénitence et à qui la miséricorde divine a fait grâce? [2,7] CHAPITRE VII. 6. Mais cette conduite du Sauveur soulève l'indignation des infidèles; on trouve même des chrétiens de peu de foi ou plutôt ennemis de la vraie foi, qui craignant l'impunité pour leurs femmes, arrachent des exemplaires sacrés le récit de l'indulgence accordée par Jésus-Christ à la femme adultère. Mais a-t-il donné la permission de pécher, Celui qui a dit: « Désormais ne péchez plus? » ou bien pour éviter le scandale de ces malades, Dieu, le souverain médecin de nos âmes, devait-il refuser de guérir cette femme en lui pardonnant son péché? Gardons-nous de croire que ceux qui s'irritent de cette conduite du Sauveur, soient eux-mêmes d'une pureté sans tache et d'une austère chasteté : mettons-les plutôt au nombre de ceux à qui le Sauveur adresse ces mots: « Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». Ceux qui entendaient ces paroles, sentant tout à coup les tourments de la conscience, s'éloignèrent et cessèrent de tenter le Sauveur et de poursuivre cette femme adultère (Jean, VIII, 7-11). De nos jours au contraire nous en trouvons qui sont malades et qui repoussent le médecin, qui, coupables d'adultère sévissent contre leurs femmes adultères. Si on leur disait, non pas seulement en général: « Que celui d'entre vous qui est sans péché », mais d'une manière plus précise : que celui qui est innocent de ce péché, « lui jette la première pierre » ; peut-être cela leur donnerait-il à réfléchir et à reconnaître enfin qu'ils sont bien coupables de réclamer à grands cris la mort d'une femme adultère, eux qui seraient morts depuis longtemps pour le même crime, si Dieu ne les avait épargnés dans son infinie miséricorde. [2,8] CHAPITRE VIII. 7. Malgré ces sages paroles, ils s'obstinent dans leur coupable sévérité ; ils vont même jusqu'à s'irriter contre la vérité et répondent à peu près en ces termes: Mais nous sommes des hommes; la dignité de notre sexe ne se verrait-elle pas outragée, si le châtiment réservé aux femmes devait nous atteindre quand nous sortons des règles de la fidélité conjugale? Puisqu'ils sont si fiers d'être hommes, ne devraient-ils pas enchaîner plus virilement leurs concupiscences coupables? Puisqu'ils sont hommes, ne doivent-ils pas se rendre plus parfaitement les modèles de leurs femmes dans la pratique de cette vertu? Puisqu'ils sont hommes, ne doivent-ils pas être plus forts pour résister à la passion ? Puisqu'ils sont hommes, enfin, ne doivent-ils pas éviter avec plus de soin d'être les esclaves de la débauche de la chair? Et cependant ils s'indignent s'ils apprennent qu'on a infligé à des hommes le châtiment réservé aux femmes adultères; que n'avouent-ils plutôt que des châtiments plus sévères devraient frapper ceux qui ont plus de force pour vaincre et qui doivent conduire les femmes par l'exemple ? C'est aux chrétiens que je m'adresse, à ceux qui recueillent fidèlement cette parole : « L'homme est le chef de la femme (Eph. V, 23) » ; puisqu'ils se croient les chefs, qu'ils n'imposent donc aux femmes que l'obligation de les suivre, et dès lors que dans leurs actions ils ne tracent pas une voie où ils ne veulent pas être suivis par leurs femmes. Mais enfin puisqu'il leur déplaît de voir que l'homme est astreint aux mêmes règles de pudeur que la femme; puisqu'en cette matière en particulier ils préfèrent obéir aux lois du monde plutôt qu'à celles de Jésus-Christ, parce qu'à leurs yeux la législation civile semble mettre une différence en matière d'honnêteté entre l'homme et la femme, qu'ils lisent les décrets portés par l'empereur Antonin, quoique païen; ils y trouveront qu'un mari qui, dans ses moeurs n'a pas donné l'exemple de la chasteté, n'a aucun droit d'accuser sa femme du crime d'adultère, et que tous deux seront également punis s'ils sont tous deux convaincus du même crime. Voici les paroles de cet empereur telles que Grégorien nous les rapporte : « Mes lettres ne favoriseront aucun parti. Si vous êtes cause de la rupture du mariage, et que la nouvelle union d'Aspasie votre femme soit conforme à la loi Julia, en vertu du présent rescrit elle ne sera pas condamnée pour cause d'adultère, à moins que le fait ne soit bien constant. Les juges rechercheront avec soin si par une vie chaste vous avez porté votre femme à l'amour des bonnes moeurs. En effet, je regarde comme une profonde iniquité que l'homme exige de sa femme une retenue qu'il ne pratique pas lui-même; une telle conduite peut attirer la condamnation du mari, sans faire cesser toute poursuite, et, sous prétexte que le crime est réciproque, sans établir une sorte de composition entre les deux époux ». {CODICIS GREGORIANI FRAGMENTA (IIIe s.) LIBER DECIMVS QVARTVS. (Ad legem Iuliam de adulteriis et de stupro.)} Si l'honneur de la patrie terrestre exigeait de tels règlements ; quelle chasteté plus grande encore ne doit pas exiger la cité céleste et la société des Anges ? Concluons du moins que loin d'être plus excusable dans les hommes, l'impureté revêt en eux un caractère d'autant plus prononcé de malice et de honte, qu'ils se gonflent de plus d'orgueil et qu'ils se vantent avec plus de licence. Que les hommes cessent donc de s'indigner contre le pardon accordé par Jésus-Christ à la femme adultère : que plutôt ils reconnaissent le danger qui les menace et qu'ils viennent humblement chercher aux pieds du Sauveur le remède à la maladie qui les travaille. Ce qui s'est fait pour elle ne leur est pas moins nécessaire; puissent-ils recevoir la guérison de leurs adultères, s'arracher à ces crimes, louer la patience de Dieu à leur égard, faire pénitence, accueillir le pardon, et ne plus réclamer le châtiment pour les femmes, et pour eux l'impunité ! [2,9] CHAPITRE IX. 8. Après avoir pesé toutes ces considérations, on est facilement convaincu que dans le mariage la condition est commune, le mal commun, le danger commun, la blessure commune, le salut commun. Si cette conviction engendre l'humilité, elle rend glorieuse et facile la réconciliation entre époux après l'aveu et l'expiation de l'adultère, expiation fondée sur l'efficacité des clefs du royaume des cieux pour la rémission des péchés. Une fois réconciliée à Jésus-Christ, celle qui d'abord avait été renvoyée comme adultère ne méritera même plus le nom d'adultère. Mais aucun précepte n'oblige à cette réconciliation; le siècle peut même la condamner parce qu'il ne peut avoir l'idée de l'expiation des crimes par la vertu du sang innocent. Qu'on embrasse donc la continence à laquelle aucune loi ne peut s'opposer, et qu'on repousse la pensée de nouveaux adultères. Si, purifiée au moins par la miséricorde divine, la femme adultère ne peut obtenir la réconciliation avec son mari; pourvu qu'ils ne contractent aucun autre mariage qui serait un véritable adultère, nous n'avons rien à opposer. Il nous suffit de sauver ce principe : « La femme est liée tant que vit son mari». Conséquemment le mari est lié tant que vit sa femme. Ce lien est tel que toute autre alliance serait un véritable adultère. Si donc deux époux séparés contractaient mariage chacun de son côté, les quatre époux seraient quatre adultères. En effet, quoique le crime soit plus grand de renvoyer sa femme sans cause d'adultère et d'en épouser une autre - c'est de ce genre d'adultère que parle saint Matthieu - on ne doit pas moins croire à la vérité de ces paroles de saint Marc: « Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre commet contre elle un adultère; et si la femme abandonne son mari et en épouse un autre, elle est également adultère (Marc, X, 11, 12) ». Saint Luc n'est pas moins formel : « Tout homme qui abandonne sa femme et en épouse une autre est adultère, et celui qui épouse une femme renvoyée par son mari est adultère (Luc, XVI, 18) ». Dans le livre précédent nous avons suffisamment expliqué ces différents passages. [2,10] CHAPITRE X. 9. Vous me répondez: « Il n'est donné qu'à un petit nombre de vivre dans la continence; voilà pourquoi ceux qui ont renvoyé leurs épouses adultères, et qui ne se sentent pas capables de se réconcilier, se voient exposés à de si grands dangers que la loi de Jésus-Christ leur paraît non pas une loi humaine, mais une loi cruelle». - O mon frère, si vous me parlez des incontinents, je comprends qu'ils aient de longues plaintes à exhaler et qu'ils trouvent la loi de Jésus-Christ plus cruelle qu'humaine. Devons-nous donc, à cause d'eux, pervertir ou changer l'Evangile du Christ? Vous n'êtes ému que des plaintes de ceux qui renvoient leurs épouses convaincues d'adultère et n'ont pas le droit d'en épouser d'autres; et cela, dites-vous, parce que la continence n'est possible qu'à un petit nombre et qu'elle doit n'être l'objet que d'un conseil et non d'un précepte formel. De là vous concluez que si, après avoir renvoyé une femme adultère, on n'a pas le droit d'en épouser une autre, l'incontinence des hommes n'aura que trop lieu de se plaindre. Mais remarquez donc quel nombre d'adultères nous nous mettons dans la nécessité de laisser commettre, en accueillant ces murmures de l'incontinence. En effet, que faire si frappée dans son corps d'une maladie longue et incurable, une épouse se trouve impuissante pour toute relation conjugale? que faire si la captivité ou toute autre force majeure sépare les époux, le mari sachant que sa femme vit encore? Devra-t-on accueillir les murmures de l'incontinence et permettre l'adultère ? Le Sauveur interrogé sur le divorce n'a-t-il pas répondu qu'il n'était point permis et que c'est uniquement par égard pour la dureté de leur coeur que Moïse avait autorisé chez les Juifs le libelle de répudiation et la séparation pour n'importe quel motif? Comment la loi de Jésus-Christ ne déplairait-elle pas à des incontinents qui voudraient renvoyer leurs femmes quand elles sont querelleuses, insolentes, impérieuses, fastidieuses et désobéissantes quand il s'agit du devoir conjugal, et en épouser d'autres? Parce que l'incontinence a horreur de la loi de Jésus-Christ, faudra-t-il changer à leur gré cette loi? De plus si une femme abandonne son mari, ou un mari sa femme non pas pour cause de fornication mais pour cause de continence, et que la partie ainsi renvoyée soit victime de l'incontinence, pourra-t-elle sans adultère contracter un nouveau mariage? Si elle le peut, que devient la vérité de ces paroles : « Il a été dit : Si quelqu'un renvoie sa femme, qu'il lui donne un libelle de répudiation ; et moi je vous déclare que quiconque abandonne sa femme si ce n'est pour cause de fornication, la rend coupable d'adultère, et celui qui l'épouse est également adultère (Matt. V, 31, 32)? » Cette femme a été renvoyée, ce n'est pas elle qui a rompu le mariage; et comme la continence n'est donnée qu'à un petit nombre, elle cède à l'incontinence et se marie ; or ces deux nouveaux époux sont réellement adultères. Tous deux sont coupables, tous deux méritent la réprobation, la femme pour s'être mariée du vivant de son premier mari, et l'époux pour s'être uni à une femme dont le mari était vivant. Accusons-nous de barbarie cette loi du Sauveur qui frappe d'adultère et punit comme telle une femme que son mari a renvoyée sans aucune cause de fornication et qu'il a ainsi réduite à contracter un nouveau mariage, parce que la continence n'est le privilège que du petit nombre ? Pourquoi ne pas faire passer comme mort, au point de vue du mariage, celui qui en renvoyant injustement sa femme a ainsi rompu les liens du mariage? Comment pouvez-vous soutenir que tel époux qui, tout adultère qu'il soit n'a pas renvoyé sa femme, a brisé le lien conjugal, tandis que ce même lien n'est pas brisé par cet autre qui a renvoyé sa femme demeurée chaste ? Moi j'affirme que dans un cas comme dans l'autre le lien conjugal subsiste et lie la femme pendant toute la vie de son mari, fût-il chaste ou adultère. De là je conclus que toute femme renvoyée par son mari, adultère ou continent, est coupable d'adultère si elle se marie, et celui qui l'épouse est lui-même coupable de ce crime : car « la femme est liée tant que vit son mari ». Nous examinons les plaintes de l'incontinence. Quoi de plus juste que la plainte de cette femme qui nous dit : j'ai été renvoyée, ce n'est pas moi qui me suis séparée; et comme la continence n'est le privilège que d'un petit nombre, ne me croyant pas de ce petit nombre, je me suis mariée pour échapper à l'incontinence ; et voici que l'on m'accuse d'adultère parce que je me suis mariée ! Devant une plainte aussi légitime, n'allons-nous pas conclure qu'il faut changer la loi divine, pour soustraire cette femme à l'accusation d'adultère? Dieu nous en garde ! Mais, direz-vous, on a eu tort de la renvoyer puisqu'elle n'avait commis aucune fornication. Vous avez raison, et c'est pour caractériser le péché du mari que le Seigneur a dit : « Celui qui abandonne sa femme, si ce n'est pour cause de fornication, la rend coupable d'adultère ». Mais de ce que le mari a péché en la renvoyant, devons-nous conclure qu'elle n'a pas péché en contractant un nouveau mariage? Les plaintes de cette femme incontinente contre la loi de Jésus-Christ ne serviront qu'à lui attirer encore le châtiment de ses murmures. [2,11] CHAPITRE XI. 11. Examinons maintenant cette nouvelle objection que vous avez glissée dans un autre passage et à laquelle vous n'avez pas voulu répondre. Vous vous sentez tout ému et pris de compassion pour cet homme qui se voit .dans la nécessité d'avoir des relations avec une adultère, non pas par incontinence, mais dans des vues de génération, s'il ne lui est pas permis de la renvoyer et d'en épouser une autre, pendant que la première sera encore vivante. Vos émotions seraient légitimes si le second :mariage n'était pas un adultère, lors même -que la première femme encore vivante serait convaincue de fornication. Mais puisque ce second mariage est un véritable adultère, comme nous l'avons prouvé plus haut, pourquoi prétexter la génération? Avec ce prétexte on en viendrait à tolérer tous les crimes; doit-on, pour s'épargner la honte de mourir sans enfant, se priver de la vie éternelle? Les adultères eux-mêmes ne peuvent que reculer devant cette certitude de passer des bras de la mort naturelle dans les horreurs de la mort éternelle. En effet avec ce but de la génération, on devrait renvoyer non seulement les femmes adultères mais les épouses les plus chastes si elles étaient stériles, et en épouser d'autres. Vous repoussez vous-même une telle conséquence. [2,12] 12. Si donc le prétexte de l'incontinence n'est pas une excuse à l'adultère, combien moins doit-on en trouver un dans le désir de se créer une postérité? CHAPITRE XII. A cette faiblesse que nous appelons l'incontinence, l'Apôtre a opposé comme remède l'honnêteté du mariage. Au lieu de dire : si elle n'a pas d'enfant, qu'elle se marie, il a dit : « Si elle ne peut garder la continence, qu'elle se marie (I Cor. VII, 9) ». Si d'un côté on cède à l'incontinence en se mariant, de l'autre on trouve une sorte de compensation dans la génération des enfants. L'incontinence est un vice, le mariage n'en est point, et parce qu'il est un bien, il réduit l'incontinence à n'être qu'un mal véniel. Le but du mariage est donc la génération, c'est ce but que se proposaient les patriarches dans toutes leurs relations matrimoniales. De leur temps la propagation du genre humain était une nécessité, aujourd'hui ce n'en est plus une; alors, comme parle l'Ecriture, « c'était le temps d'embrasser », aujourd'hui « c'est le temps de s'éloigner des embrassements (Eccli. III, 5)». C'est à notre époque que l'Apôtre faisait allusion dans ces paroles : « Du reste, mes frères, le temps est court, que ceux qui ont des épouses soient comme n'en ayant point (II Cor. VII, 29) ». C'est donc aussi pour nous qu'il a été dit : « Saisisse qui peut saisir (Matt. XIX, 12) » ; mais que celui qui ne peut garder la continence se marie. Dans les premiers siècles du monde la continence se prêtait aux devoirs du mariage pour faciliter la propagation du genre humain ; aujourd'hui le lien conjugal n'est qu'un remède à l'incontinence ; de cette manière ceux qui ne peuvent garder la continence trouvent dans l'honnêteté du mariage un moyen d'échapper à la honte du crime et d'aider à la propagation des enfants. Pourquoi donc l'Apôtre n'a-t-il pas dit : si elle n'a pas d'enfant, qu'elle se marie ? C'est parce que de nos jours la propagation des enfants n'étant plus un besoin doit céder la place à la continence. Et pourquoi a-t-il dit : « Si elle ne peut garder là continence, qu'elle se marie? » C'est afin que l'incontinence ne la porte pas au crime. Si donc elle peut garder la continence, qu'elle ne se marie point et qu'elle renonce à la maternité. Dans le cas contraire le mariage sera le remède licite qui rendra honnête sa fécondité, et la protégera contre des crimes plus graves. Disons cependant que même dans le mariage légitime cette fécondité n'est pas toujours à l'abri du désordre; plusieurs en effet l'entravent par de coupables actions. Ainsi agissait Onas, fils de Juda, et le Seigneur pour ce crime le frappa de mort (Gen. XXXVIII, 8-10). C'est assez dire que la propagation des enfants doit être le but premier, naturel et légitime du mariage; ceux donc qui cherchent dans cet état le remède à la concupiscence doivent faire en sorte de ne pas voiler sous un extérieur légitime des désordres révoltants. C'est en parlant des incontinents que l'Apôtre disait : « Je veux que les plus jeunes se marient, qu'elles aient des enfants, qu'elles deviennent mères de famille, et qu'elles ne donnent aucune prise sur elles à l'ennemi de tout bien. Or quelques-unes sont retournées à Satan (II Tim. V, 14,15) ». En disant : « Je veux que les jeunes se marient », l'Apôtre se proposait de les prémunir contre les ruines entassées par la concupiscence. Voulant ensuite les détourner de ne penser qu'aux émotions maladives de la concupiscence, rappeler le bien propre du mariage et empêcher qu'il ne tombe sous les coups du mépris ou de la négligence, il ajoute aussitôt : « Je veux qu'elles aient des enfants et qu'elles soient mères de famille ». Quant à celles qui choisissent la continence, assurément elles choisissent la meilleure part; de quels soins dès lors ne doit-on pas l'entourer non-seulement pour se procurer ce bien supérieur au mariage, mais surtout pour éviter l'adultère ? L'Apôtre avait dit : « Si elle ne peut pas conserver la continence, qu'elle se marie; car il vaut mieux se marier que de brûler (I Cor. VII, 9) ». Il ne dit pas : il vaut mieux profaner son corps que de brûler. [2,13] CHAPITRE XIII. 13. A ceux qui craignent de se réconcilier avec leurs épouses adultères, mais guéries par la pénitence, nous n'avons qu'un avis à adresser : qu'ils gardent la continence. La femme est liée tant que vit son mari, qu'il soit chaste ou impudique; il commet donc l'adultère s'il en épouse une autre. Le lien subsiste lors même qu'une épouse serait répudiée par un époux chaste; à plus forte raison si l'épouse, sans en être séparée, se livre à la fornication. Une seule chose détruit le mariage, c'est la mort corporelle et non la mort spirituelle par l'adultère. Si donc une femme se sépare d'un mari infidèle et refuse de se réconcilier avec lui, elle doit s'abstenir de contracter un nouveau mariage; et si le mari s'est séparé de sa femme infidèle et refuse de se réconcilier avec elle, même après qu'elle a fait pénitence, qu'il garde la continence; ne fût-il pas disposé à embrasser par choix l'état le plus parfait, il est obligé de s'y soumettre pour échapper au crime. C'est le parti que je conseillerais, lors même que l'épouse serait en proie à une maladie longue et incurable, ou serait à une distance qui rendrait impossible toute relation conjugale; je le conseillerais enfin lors même que la femme, voulant vivre dans la continence, sans en avoir le droit, puisqu'elle n'a pas le consentement mutuel, se séparerait d'un mari resté fidèle. Car tout chrétien croit sans difficulté qu'un mari se rendrait coupable d'adultère, en formant des relations avec une autre femme, parce que la sienne est trop longtemps malade, trop longtemps absente, ou quelle désire vivre dans la continence. La femme renvoyée, fût-elle adultère, son époux commet le même crime en épousant une autre femme, car c'est sans aucune distinction qu'il a été dit : « Tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre, est adultère (Luc, XVI, 18) ». Si donc celui qui est libre du lien conjugal ne se sent pas porté à imiter la vie des saints, qu'il tremble du moins en face du châtiment réservé aux adultères ; si son amour n'est pas assez vif pour lui faire choisir la continence, que la crainte lui aide à comprimer la concupiscence. En effet, si là où il y a crainte il y a travail; là où était le travail, viendra l'amour. Ne nous confions pas à nos propres forces, mais joignons la prière à nos efforts, afin qu'en nous éloignant du mal nous soyons comblés de tous les biens. [2,14] CHAPITRE XIV. 14. Vous prétendez ensuite que refuser aux maris l'autorisation de contracter un nouveau mariage du vivant de leurs femmes convaincues d'adultère, c'est mettre ces maris dans la nécessité d'exercer contre elles jusqu'aux dernières violences et même de vouloir leur mort. Et pour peindre cette cruauté vous dites : « Je crois qu'un sens qui exclut la bonté et la piété ne peut être le sens à donner à une parole divine ». A vous entendre on dirait que les maris épargneraient leurs femmes adultères, s'il leur était permis d'en épouser d'autres, tandis qu'ils sont incapables de ménagement parce que ce droit leur est refusé. Je dis au contraire qu'ils doivent user de miséricorde envers ces femmes pécheresses, s'ils veulent eux-mêmes obtenir miséricorde pour leurs propres péchés. Cette conduite est plus nécessaire à ceux qui veulent, après avoir renvoyé leurs femmes adultères, vivre dans la continence. En effet, plus ils veulent être parfaits, plus ils doivent être miséricordieux; et comme ils ont besoin du secours de Dieu, la meilleure disposition pour obtenir ce secours, c'est de se montrer indulgents à l'égard de leurs femmes tombées dans l'iniquité. On ne saurait donc trop leur rappeler cette parole du Seigneur : « Que celui qui est sans péché, lui jette la première pierre (Jean, VIII, 7) ». Puisque nous parlons à des époux fidèles, nous ne leur disons pas : que celui qui n'est pas adultère, mais d'une manière plus générale : « Que celui qui est sans péché»; dire qu'ils sont sans péché, ce serait s'aveugler eux-mêmes et prouver que la vérité n'est pas en eux (I Jean, 1, 8). Si donc ils ne s'aveuglent pas, et que la vérité soit en eux, ils se garderont d'une sévérité exagérée. Dans l'intime conviction qu'ils ne sont pas sans péché, ils pardonnent afin qu'il leur soit pardonné, et ils ne sont pas fermés à tout sentiment de bonté et de piété. Il en serait autrement si la piété n'était excitée en eux que par la passion et non par la charité, s'ils n'avaient, pour pardonner, d'autre motif que la liberté de contracter un nouveau mariage et non le désir de se rendre à eux-mêmes le Seigneur propice. 15. Afin de leur inspirer à l'égard de leurs épouses adultères un pardon plus large, plus . généreux et plus chrétien, rappelons-leur ces paroles : « Pardonnez au prochain son injustice et vos péchés vous seront remis. Un homme peut-il conserver de la haine contre son frère et chercher sa guérison auprès de Dieu ? Il ne veut user d'aucune miséricorde à l'égard de son semblable, et il crie merci pour ses propres péchés ? Il n'est qu'une chair fragile, et il conserve de la colère ? « Qui donc prendra pitié de ses péchés ? (Eccli. XXVIII, 3, 5) » Nous lisons également dans l'Évangile: « Pardonnez et il vous sera pardonné (Luc, VI, 37) », afin que vous puissiez dire : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons les offenses qui nous sont faites (Matt. VI, 12) ». L'Apôtre ajoute : «Ne rendant à personne le mal pour le mal (Rom. XII, 17) ». Enfin si les nombreux passages de la sainte Ecriture sont impuissants à calmer la haine et la vengeance, qu'on se rappelle seulement que l'on est chrétien. [2,15] CHAPITRE XV. C'est là le véritable langage que nous devons tenir ; à quoi servirait-il de dire à ces époux : Contentez-vous de renvoyer ces femmes adultères et ne cherchez pas leur mort; vous trouverez dans celles que vous allez épouser une noble consolation à vos douleurs passées : si leur vie devait vous empêcher d'épouser d'autres femmes, vous auriez quelque raison de désirer leur mort ; mais puisqu'il vous est permis de contracter de nouveaux mariages, laissez vivre en paix vos premières femmes ? Un tel langage, confessez-le, n'aurait aucun des caractères de la persuasion chrétienne; d'abord parce qu'il est erroné, car, du vivant du premier époux, il n'est point permis de contracter un nouveau mariage ; et ensuite parce que la compassion que l'on parviendrait à soulever dans leur âme, aurait pour principe non point la charité chrétienne, mais la liberté de convoler à de nouvelles noces. Enfin je vous demande si dans l'ancienne lai ou même dans le droit romain vous trouverez quelque chose qui autorise un mari chrétien à tuer sa femme adultère ? Eût-il ce pouvoir, ce qu'il aurait encore de mieux à faire, ce serait de ne pas user de son droit de punir et de s'abstenir d'un nouveau mariage qui pour lui serait illicite. Si enfin il s'obstine à choisir l'un ou l'autre de ces deux partis, qu'il se borne à user de son droit, c'est-à-dire, de faire punir sa femme adultère, et qu'il s'abstienne de ce qui lui est défendu, c'est-à-dire, de se rendre coupable d'adultère du vivant de sa femme. Mais si, et c'est la rigoureuse vérité, il n'est pas permis à un chrétien de tuer sa femme adultère, mais seulement de la renvoyer, qui oserait pousser la démence jusqu'à lui dire: Faites ce qui ne vous est pas permis, afin de rendre licite ce qui vous est défendu ? La loi de Jésus-Christ défend tout à la fois et de tuer son épouse adultère et d'épouser une autre femme du vivant de la première; il faut donc s'abstenir à la fois de ce double crime et ne pas faire ce qui est illicite pour se rendre permis ce qui est défendu. Ayant à choisir entre l'homicide et l'adultère, il vaudrait mieux encore s'arrêter à l'adultère ; ce serait un moindre crime de contracter un nouveau mariage du vivant de sa première femme, que de verser le sang humain. Mais puisque ce sont là deux crimes formels, ils doivent être tous deux évités, sans qu'on s'arrête à commettre l'un pour l'autre. [2,16] CHAPITRE XVI. 16. Je sais ce que l'incontinence va nous opposer : celui qui renvoie sa femme adultère, qui lui permet de vivre et de son vivant en épouse une autre, reste perpétuellement dans l'état d'adultère, et ne fait de son crime aucune pénitence efficace puisqu'il refuse de le quitter; fût-il catéchumène, il ne serait point admis au baptême, puisque sa volonté reste attachée au mal; fût-il pénitent, il ne pourrait être réconcilié, tant qu'il n'aurait pas rompu avec sa mauvaise habitude. Supposez au contraire qu'il l'ait tuée, son péché serait un crime transitoire et accidentel, sa volonté n'y resterait pas engagée; le baptême dès lors l'en purifierait s'il est catéchumène; ou, si l'homicide a été commis après le baptême, il serait effacé par la pénitence et par la réconciliation. - Mais de là suit-il que ce qui aurait été un adultère n'est plus un adultère, ce qu'il eût été assurément si le coupable avait contracté un nouveau mariage du vivant de sa première femme? Mettons de côté ce genre d'adultère, et admettons d'abord que quiconque épouse la femme d'un mari encore vivant, répudiée par lui, sans l'avoir mérité par aucune fornication, commet assurément un adultère. Jugez alors sa position : s'il est catéchumène, il ne peut être admis au baptême ; s'il est déjà baptisé, il ne peut obtenir son pardon puisqu'il ne renonce pas à son péché; il ne lui reste qu'une chose à faire, s'il le peut, c'est de tuer le mari de celle qu'il a épousée ; de cette manière son crime sera lavé par le baptême, ou effacé par la pénitence; on ne pourra l'accuser de persévérer dans l'adultère, puisque la mort du mari aura rendu la liberté à la femme; son crime devient donc absolument transitoire, et il peut l'expier par la pénitence ou en être purifié par la régénération. Voilà, il me semble, la situation aussi bien dessinée que possible ; allez-vous donc en profiter pour accuser la loi de Jésus-Christ de porter les hommes à l'homicide, quand elle proclame qu'épouser une femme du vivant de son mari et répudiée par lui, sans cause de fornication, c'est commettre un adultère ? 17. Pour peu que nous pesions sérieusement nos paroles, nous pourrons encore enchérir sur la gravité de votre objection. En effet, pour vous autoriser à croire que l'on peut, sans être coupable d'adultère, épouser une femme renvoyée pour cause d'adultère, vous vous appuyez sur cette raison, « qu'en faisant de ces mariages autant d'adultères, on place les maris dans la nécessité de tuer leurs femmes infidèles, car s'ils les laissent vivre ils ne peuvent contracter de nouveaux mariages. Vous ajoutez : Il ne me semble pas, Père bien-aimé, qu'on puisse regarder comme divine une interprétation qui exclut la bonté et la piété ». Mais un adversaire se lève contre vous et vous déclare qu'il ne croira jamais que ce soit un adultère d'épouser une femme répudiée par son premier mari sans aucune cause de fornication ; en voici, dit-il, la raison, c'est que par là on inspire aux hommes la pensée de l'homicide, on place les nouveaux maris dans la nécessité de chercher des embûches, de soulever des calomnies, de recourir à toute sorte de crimes et d'accusations pour ôter la vie à leurs rivaux, et rendre ainsi leurs mariages légitimes, d'adultères qu'ils étaient. Il peut ajouter en s'adressant à vous : Bien-aimé frère, je ne puis regarder comme divine une interprétation qui non seulement exclut toute bonté et toute piété, mais qui excite puissamment à une indigne méchanceté et à une impiété cruelle. Car, que des maris tuent leurs femmes adultères, c'est un crime bien plus léger et bien plus tolérable que de voir des maris adultères tuer des épouses légitimes. Que pensez-vous de ce raisonnement? Pour ménager une vaine jalousie, devons-nous renoncer à défendre la vérité d'une parole divine ; ou bien devons-nous l'accuser de fausseté en soutenant qu'il ne peut y avoir adultère à épouser une femme qui a été répudiée sans cause de fornication, car autrement le second mari se verrait dans l'obligation de tuer son rival pour changer son adultère en un mariage légitime? Je sais que cette seconde opinion vous révolte et que vous ne souffrez point que pour ménager une vaine jalousie on accuse de dureté et de barbarie une loi portée par Jésus-Christ en toute justice et en toute vérité. Concluez donc aussi qu'il y a véritablement adultère à épouser une femme renvoyée pour cause de fornication, sans vous préoccuper aucunement de savoir si le second mari n'aura pas la pensée de tuer son rival pour légitimer son mariage. S'il en était autrement, pourquoi les ennemis de la foi chrétienne ne vous objecteraient-ils pas que votre doctrine amène les hommes à tuer leurs épouses quand elles sont d'un caractère difficile à supporter, en proie à une longue maladie et impuissantes aux relations conjugales; quand elles sont pauvres, stériles, difformes, et que de leur côté ils ont l'espoir d'en épouser d'autres, qui seront valides, riches, fécondes et belles? L'unique moyen pour eux de se tirer d'embarras, n'est-ce pas la mort? car ils ne peuvent renvoyer leur première femme que dans le cas de fornication ni en épouser une autre, sans se condamner à l'habitude de l'adultère qui les privera infailliblement ou du baptême, ou de la justification par la pénitence. Pour épargner le scandale de tant d'homicides, dirons-nous que l'on peut, sans adultère, renvoyer sa femme sans cause de fornication et en épouser une autre ? [2,17] CHAPITRE XVII. 18. Vous prétendez qu'un homme peut, sans adultère, renvoyer sa femme pour cause de fornication et en épouser une autre. Avez-vous pesé les conséquences de cette doctrine? Ne voyez-vous pas que vous autorisez les époux, quand ils ont des femmes qui leur déplaisent pour une foule innombrable d'autres raisons, à les faire tomber dans l'adultère, afin de rompre par là, vous le croyez du moins, le lien conjugal, et de se donner le droit de contracter un nouveau mariage? Quant au crime même qu'ils auront commis par cette pression exercée sur leur femme, ils en obtiendront la remise par le baptême ou par la pénitence, tandis qu'au contraire la grâce et le remède leur seraient refusés si, après avoir répudié sans cause de fornication, ils épousaient d'autres femmes. Mais, dira-t-on peut-être, si une femme est vraiment chaste, toute pression sera inutile pour la faire tomber dans le crime. S'il en est ainsi, que veulent donc dire ces paroles du Sauveur : « Tout homme qui renvoie sa femme sans cause de fornication, la fait tomber dans l'adultère (Matt. V, 33)? » Elle était chaste avec son mari, mais se trouvant renvoyée, elle subit tous les assauts de l'incontinence qui la pousse à un nouveau mariage et dès lors à l'adultère. Peut-être les choses n'en arriveront-elles pas à cette extrémité; toujours est-il que le mari a tout fait dans ce but, et le Seigneur lui imputera ce péché, lors même que la femme resterait chaste. Mais, hélas ! ne sait-on point combien sont rares les femmes qui montrent envers leurs maris assez de fidélité pour ne point rechercher d'autres époux quand elles se trouvent répudiées ? Des femmes qui vivent chastement dans le mariage, on en trouve un très grand nombre; mais se voient-elles renvoyées, elles ne diffèrent pas à contracter une nouvelle union. Si donc on accepte l'infaillible vérité de cette sentence : « Quiconque renvoie sa femme sans motif de fornication la précipite dans l'adultère » ; si d'un autre côté on vous croit sur parole quand vous affirmez qu'un homme dont la femme est adultère peut en épouser une autre, on conclura que le moyen pour un homme de se débarrasser de sa femme qui l'importune, c'est de la faire tomber dans l'adultère en la renvoyant malgré l'honnêteté de ses moeurs ; il pourra, quand elle sera devenue adultère, en épouser une autre. Ensuite, le baptême ou la pénitence viendront le purifier de son premier crime, et rien ne pourra empêcher sa justification, puisqu'il n'aura contracté son second mariage qu'après la dissolution du premier. Mais je déclare hautement que de pareilles machinations sont formellement criminelles, que le mari est responsable du crime commis par sa femme, et qu'il est lui-même coupable d'adultère quoiqu'il n'ait contracté mariage qu'après la fornication de sa femme. Il n'aura donc retiré aucun avantage d'avoir cru à votre parole plutôt qu'à la parole de Celui qui a dit sans aucune exception : « Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre se rend coupable d'adultère (Luc, XVI, 18) ». [2,18] CHAPITRE XVIII. 19. Cela posé, il ne reste plus à ceux qui comprennent ces paroles que de nous dire ce qui a été dit au Sauveur : « Si tel est l'état du mariage, pourquoi donc se marier? » Notre réponse sera aussi celle qui a déjà été faite : « Tous ne saisissent pas cette parole, il faut en avoir reçu la grâce. En effet, il en est qui sont eunuques en sortant du sein de leur mère, et il en est qui le sont par le fait des hommes; il en est enfin qui se sont rendus tels pour le royaume des cieux. Saisisse qui peut saisir (Matt. XIX, 10-12) ». Donc, que celui qui le peut, saisisse ce que tous ne peuvent saisir. Ce pouvoir n'appartient qu'à ceux à qui Dieu l'a conféré dans les secrets de sa miséricorde toujours juste. Parmi ceux qui se sont condamnés à la continence pour le royaume des cieux, il en est de l'un et de l'autre sexe qui n'ont jamais connu les œuvres de la chair; il en est d'autres qui après les avoir connues, soit licitement, soit illicitement, y ont renoncé avec courage. Parmi ceux qui en ont usé licitement, les uns n'ont pas dépassé les règles divines et se sont bornés absolument au mariage ; d'autres, en usant d'un mariage légitime, ont encore cherché au dehors des satisfactions à leur concupiscence. Après le mariage, ceux-là se condamnent à la continence pour le royaume des cieux, qui perdent leurs épouses par la mort, ou d'un mutuel consentement professent la continence. D'autres, réduits à la nécessité du divorce, par respect pour le commandement qui leur défend sous peine d'adultère de contracter un nouveau mariage, se condamnent aussi à la continence, non pas précisément dans l'espérance plus belle d'une récompense au ciel, mais bien pour éviter un crime qui leur en fermerait l'entrée pour toujours. Car ceux qui sans nécessité d'aucune sorte, mais seulement par amour pour la perfection se livrent à la continence, pourraient jouir au ciel, même en conservant la pudeur conjugale, d'une récompense qui serait moindre que celle de la virginité, mais qui aura aussi sa grandeur. Mais ceux qui embrassent la continence parce qu'ils craignent, du vivant de leurs épouses, de contracter un nouveau mariage, doivent entourer leur salut d'une sollicitude plus grande que ne le font d'ordinaire ceux qui ont embrassé la continence avec un amour plus volontaire et plus prononcé. Le ciel aussi leur est promis, s'ils évitent l'adultère; mais ils le commettront s'ils ne restent pas continents, car alors, du vivant de leurs premières épouses, ils s'uniront, non pas à d'autres épouses, mais à des adultères. Et si le ciel leur est fermé, où seront-ils si ce n'est là où le salut n'est pas? [2,19] CHAPITRE XIX. 20. Je m'adresse donc à eux, et leur rappelant ce qu'ils devraient faire si leurs épouses étaient en proie à une longue maladie , ou placées à une distance infranchissable, ou injustement obstinées à garder la continence, je leur dis hautement que c'est là ce qu'ils doivent faire si leurs épouses se déshonorent par l'adultère et s'attirent ainsi une trop juste répudiation. Qu'ils rejettent tout autre mariage , car ce ne serait plus le mariage, ce serait l'adultère. Je n'oublie pas qu'ici la condition est la même pour l'homme et pour la femme; de même que « la femme sera flétrie par l'adultère si du vivant de son mari elle s'abandonne à un autre homme (Rom. VII, 3) », de même le mari sera coupable d'adultère si du vivant de sa femme il en connaît une autre. Sans nier que le divorce qui n'est pas motivé par la fornication soit plus coupable, il est cependant toujours vrai de dire que « tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre , est adultère ». Qu'on ne s'effraie pas du fardeau de la continence ; il sera léger si on le porte pour Jésus-Christ, et on le portera pour Jésus-Christ si on s'inspire de la foi qui obtient de Celui qui commande l'accomplissement de ce qu'il ordonne. Qu'on ne se laisse point abattre devant cette pensée que la continence est le fruit de la nécessité et non le choix libre de la volonté. Est-ce que ceux qui l'ont embrassée volontairement ne s'en sont pas fait une véritable nécessité ? Peuvent-ils y renoncer sans se précipiter dans la damnation ? Que ceux donc pour qui la continence est une nécessité, fassent de cette nécessité un acte libre, et pour cela qu'ils se confient non pas en eux-mêmes, mais en Celui de qui procèdent tous les biens. Les uns ont embrassé la continence parce qu'elle est plus parfaite et mérite une gloire plus grande; les autres y ont trouvé un refuge et une dernière planche de salut ; que les uns et les autres persévèrent dans cette voie, qu'ils y marchent jusqu'à la fin, qu'ils s'embrasent de zèle, qu'ils multiplient leurs supplications, car là pour eux est le salut, qu'ils tremblent donc de tomber ; les derniers enfin ne doivent pas désespérer de parvenir à la gloire, s'ils restent fidèles par amour à cette continence que leur a imposée la nécessité. Il peut se faire, en effet, que par ses menaces et ses exhortations, par ses épreuves et ses consolations, le Seigneur change en mieux les affections humaines; que des époux s'éprennent avec tant d'ardeur des charmes de la continence, que quand le lien conjugal vient à se briser par la mort de l'autre époux, ils se refusent par voeu ce qui leur est permis par la loi, et ce qu'ils ont commencé par nécessité ils l'achèvent avec la plus parfaite charité. Ils obtiendront sûrement la récompense réservée aux époux qui d'un mutuel consentement ont voué la continence, ou à ceux qui en dehors du mariage ont choisi la virginité comme étant plus parfaite. Mais si leur continence n'exclut pas la pensée de contracter un nouveau mariage quand la mort de l'autre époux les aura rendus libres, leurs dispositions sont beaucoup moins parfaites et ils n'ont plus que le mérite de la pudeur conjugale en vertu de laquelle ils s'abstiennent de ce qu'ils feraient s'ils étaient libres. Pratiquer la continence dans cette intention, c'est donc trop peu pour obtenir les récompenses promises à la continence volontaire, mais c'est assez pour éviter l'adultère. [2,20] CHAPITRE XX. 21. Mes paroles, vous le savez, s'adressent aux deux sexes à la- fois; cependant j'avais principalement en vue les hommes qui s'appuyant sur leur supériorité à l'égard des femmes, se croient facilement dispensés de les égaler en pudeur. Qu'ils se souviennent qu'ils sont les chefs et que les femmes ne doivent avoir besoin que de suivre leurs exemples. Quand donc la loi défend l'adultère, chercher pour excuse à l'incontinence la faiblesse de la chair, c'est, sous le prétexte d'une impunité mensongère , ouvrir la porte à bien des ruines. Quelle chair ont donc les femmes pour mériter que les hommes leur refusent ce qu'ils se croient permis à eux-mêmes parce qu'ils sont hommes? Gardons-nous de croire que le sexe le plus noble doive trouver dans l'honneur qui l'entoure une compensation à ce qu'il perd en pudeur; l'honneur, s'il est juste, appartient à la vertu et non pas au vice. Les femmes n'ont comme nous qu'une chair fragile, et voyez cependant à quelle épreuve des maris mettent leur chasteté ! Ils voyagent quelquefois pendant de longues années loin de leurs femmes, et cependant ils exigent qu'elles se privent de tout commerce illicite, et qu'elles résistent, pures et sans taches, à toutes les ardeurs de la jeunesse. C 'est ce qui arrive en effet pour un grand nombre, surtout en Syrie, où des maris livrés à toutes les préoccupations du commerce abandonnent de jeunes épouses pour ne les retrouver quelquefois que dans la vieillesse. Que les maris conviennent donc que les obligations qu'ils imposent à autrui ne sont évidemment pas impossibles. Si la faiblesse des hommes était impuissante à les accomplir, que serait-ce de la faiblesse encore plus grande des femmes? 22. Quant à ceux qui ne font consister l'excellence des hommes que dans la liberté de pécher, lorsque nous faisons briller, à leurs yeux les terreurs de l'éternité pour les éloigner des mariages adultères, notre habitude est de leur proposer la continence des clercs dont plusieurs sont soumis malgré eux à porter le même fardeau de la continence et le portent courageusement jusqu'à la fin avec le secours de Dieu. Voici donc ce que nous leur disons : Que feriez-vous si les peuples usaient de violence et vous contraignaient à porter ce fardeau ? N'accompliriez-vous pas avec chasteté les fonctions qui vous seraient imposées ? n'auriez-vous pas la pensée de vous tourner vers Dieu pour implorer son secours et des forces auxquelles jusque-là vous n'avez jamais pensé ? Quant aux clercs, répondent-ils, ils trouvent une abondante compensation dans les honneurs dont ils sont comblés. Et la crainte, leur répliquons-nous, ne doit-elle pas être pour vous un frein plus puissant encore? En effet si beaucoup de ministres du Seigneur, appelés soudain à charger leurs épaules du fardeau redoutable, s'y sont soumis dans l'espérance de briller un jour avec plus d'éclat dans le royaume du Seigneur; avec combien plus de raison ne devez-vous pas éviter l'adultère et vivre dans la continence, vous qui êtes pressés par la crainte, non pas de moins briller dans le royaume de Dieu, mais de brûler dans les flammes éternelles ? Tel est à peu près le langage que nous essayons de tenir à ceux qui séparés de leurs femmes, soit parce qu'elles les ont quittés, soit parce qu'ils les ont renvoyées comme adultères, veulent contracter un nouveau mariage, en alléguant contre la défense l'infirmité de la chair. Mais fermons ce livre, il en est temps , et prions Dieu de les soustraire à la tentation de se séparer de leurs femmes; ou si cette séparation s'opère, de leur faire trouver dans ce divorce, et dans la crainte de la damnation éternelle, une occasion de pratiquer la chasteté avec plus de constance et plus de perfection.