[9,0] DERNIÈRE LETTRE D'ABÉLARD À HÉLOÏSE. [9,1] Profession de foi. Ma soeur Héloïse, toi qui m'étais autrefois si chère dans le siècle et qui m'es aujourd'hui plus chère encore en Jésus-Christ, la logique m'a rendu odieux au monde. Des pervers qui pervertissent tout et dont la sagesse est toute occupée à nuire disent que je suis le plus habile de tous en logique, mais que dans mon commentaire sur Saint Paul, mon pied a trébuché. Ils vantent la pénétration de mon esprit ; ils me, refusent la pureté de la foi chrétienne ; c'est que ce me semble, ils ont été égarés dans leur jugement par l'opinion et non pas instruits par l'expérience. Je renonce au titre de philosophe, si je dois être en désaccord avec Saint Paul; je ne veux pas être un philosophe pour être séparé du Christ. [9,2] J'adore le Christ régnant à la droite du Père. Je presse dans les embrassements de la foi ce Christ dans la chair qu'il a empruntée au sein d'une vierge par l'opération du Saint-Esprit et dans la gloire de ses divins miracles. Et pour que toute crainte, toute inquiétude, toute incertitude soient bannies du fond de ton coeur, retiens bien ceci : j'ai fondé ma conscience sur cette même pierre sur laquelle le Christ a bâti son Église. Je vais te dire en peu de mots ce que j'ai écrit sur cette pierre. Je crois en Dieu, le Père, le Fils et le Saint Esprit, seul et vrai Dieu, qui admet la Trinité dans les personnes sans jamais cesser de conserver l'unité dans la substance. Je crois que le Fils est égal au Père en toutes choses, savoir : éternité, puissance, volonté et oeuvres. Je n'entends pas Arius qui poussé par un esprit pervers et même séduit par un esprit démoniaque, établit des degrés dans la Trinité, soutenant que le Père est le premier, le Fils le second, oubliant ce précepte de la Loi : «Vous ne monterez point par degrés à mon autel.» Car c'est monter par degrés à l'autel de Dieu que de placer une personne avant ou après l'autre dans la Trinité. Je reconnais que le Saint Esprit est consubstantiel et égal en toutes choses au Père et au Fils, et je l'ai souvent désigné dans mes écrits sous le nom de bonté suprême. Je condamne Sabellius qui, faisant du Père et du Fils une seule personne, pense que le Père a aussi souffert la Passion : de là le nom de Patripassionnistes. [9,3] Je crois aussi que le fils de Dieu a été fait fils de l'homme et que l'unité de sa personne réside dans deux natures. Je crois qu'après l'accomplissement de sa vie humaine, il a souffert, il est mort, il est ressuscité, il est monté au ciel et qu'il viendra juger les vivants et les morts. Je déclare aussi que tous les péchés sont remis dans le baptême; que nous avons besoin de la grâce pour commencer le bien et pour l'achever et que la pénitence relève ceux qui ont failli. Quant à la résurrection de la chair, à quoi bon en parler puisque je me glorifierais en vain d'être Chrétien, si je ne croyais pas à ma future résurrection. [9,4] Telle est la foi dans laquelle je suis assis et dont je tire la force de mon espérance. A l'abri de cette foi salutaire, je ne crains pas les aboiements de Scylla, je me ris des gouffres de Charybde, j'entends sans frémir les chants des sirènes. Si la tempête éclate, je ne suis pas renversé. Si les vents grondent, je ne suis pas ému. Je suis fondé sur une pierre inébranlable.