[4,0] TOPIQUES - LIVRE QUATRIÈME : LIEUX COMMUNS DU GENRE. [4,1] CHAPITRE PREMIER (121a) § 1. Après les lieux de l'accident, il faut étudier ceux qui sont relatifs au genre et au propre : ce sont en ces questions les éléments des définitions, bien que ce soient là des choses qu'examinent rarement ceux qui discutent. § 2. (15) Si l'adversaire a posé le genre de quelque objet, il faut d'abord regarder à toutes les choses qui sont de ce même genre, s'il y en a pas quelqu'une à laquelle il n'est pas attribué, comme on l'a fait pour l'accident : par exemple, si l'adversaire a posé que le bien est le genre du plaisir, il faut voir si quelque plaisir n'est pas bon ; car si cela est, il est clair que le bien n'est pas le genre du plaisir, le genre devant être attribué (20) à toutes les espèces qui sont au-dessous de lui. § 3. Ensuite, il faut voir si le genre prétendu, au lieu d'être attribué essentiellement, n'est pas un simple accident : par exemple, le blanc attribué à la neige; ou à l'âme, ce qui se meut par soi-même; car la neige n'est pas ce qui est le blanc, puisque le blanc n'est pas le genre de la neige, et l'âme n'est pas non plus ce qui se meut soi-même : mais c'est un accident (25) pour elle de se mouvoir, comme c'en est un souvent à l'animal de marcher ou d'être ce qui marche. On peut ajouter que ce prétendu genre, ce qui se meut soi-même, n'est pas une substance, mais qu'il paraît exprimer plutôt un sujet qui agit ou qui souffre: et de même pour le blanc; car cet attribut ne dit pas ce qu'est la neige substantiellement, mais il exprime sa qualité. Par conséquent, aucun de ces deux termes ne peut être attribué essentiellement au sujet. § 4. Il faut surtout regarder à la définition de l'accident, si elle convient bien au genre indiqué, comme pour les exemples cités plus haut; car une chose peut ou non se mouvoir soi-même, et de même être blanche ou ne pas l'être. Ainsi donc, aucun de ces attributs n'est genre, mais ils sont accidents, puisque nous avons appelé accident ce qui peut être ou n'être pas (35) à une chose. § 5. Il faut voir encore si le genre et l'espèce ne sont pas dans la même division, tandis que l'un est substance et l'autre simple qualité, ou l'un relatif, et l'autre qualité: par exemple, la neige et le cygne sont des substances, mais le blanc n'est pas une substance, ce n'est qu'une qualité; de sorte que de blanc n'est le genre ni de la neige, ni du cygne. (121b) Autre exemple : la science fait partie des relatifs; le beau et le bon sont des qualités, de sorte que ni le beau ni le bon ne sont le genre de la science; car il faut que les genres des relatifs soient eux-mêmes des relatifs : par exemple, pour le double, le multiple étant le genre (5) du double est lui-même un relatif. En un mot, il faut que le genre soit compris sous la même division que l'espèce: si l'espèce est substance, le genre le sera aussi ; et si l'espèce est un qualitatif, le genre sera aussi qualitatif; et, par exemple, si le blanc est qualitatif, la couleur le sera aussi; et ainsi du reste. § 6. (10) En outre, il faut voir s'il y a nécessité ou simple possibilité que le genre participe à ce qui est supposé dans le genre. Le mot participation doit s'entendre dans le sens de recevoir la définition de ce qui est partagé. Il est donc évident que les espèces participent aux genres, mais que les genres ne participent point aux espèces; car l'espèce reçoit la définition du genre, mais le genre ne reçoit pas la définition de l'espèce. Il faut donc examiner (15) si le genre indiqué participe ou peut participer à l'espèce: par exemple, si l'on donne quelque chose comme genre de l'être ou de l'un, il en résultera que le genre participera à d'espèce; car l'être et l'un sont des attributs de toute chose, de sorte que leur définition l'est aussi. § 7. (20) De plus, il faut voir si l'espèce donnée pour une certaine chose est vraie, tandis que le genre ne l'est pas : par exemple, si l'on suppose que d'être ou la science soit le genre du probable ; car le probable pourra être attribué à ce qui n'est pas. Beaucoup de choses qui ne sont pas pourront être probables, mais il est évident que l'être et la science ne peuvent être attribués à ce qui n'est pas. Donc l'être, (25) non plus que la science, ne sont le genre du probable; car pour les choses auxquelles l'espèce est attribuée, il faut que le genre le leur soit aussi. § 8. A l'inverse, il faut voir si ce qui est posé dans le genre ne peut participer à aucune des espèces; car il est impossible que ce qui ne participe à aucune espèce participe au genre, à moins qu'il ne soit une des espèces de la première division (30) ; car ce sont celles-là seulement qui participent au genre. Si donc l'on a supposé que le mouvement est le genre du plaisir, il faut regarder si le plaisir n'est ni destruction, ni altération, ni aucun autre des mouvements connus; car alors il est évident qu'il ne participe à aucune des espèces et qu'il ne participe pas non plus du genre, parce qu'il y a nécessité que ce qui participe du genre doit participer (35) aussi de l'une des espèces. Donc, le plaisir ne peut être une espèce de mouvement, puisqu'il n'est pas un des mouvements individuels, c'est-à-dire, l'un des individus qui sont sous l'espèce du mouvement. C'est qu'en effet les individus participent à la fois au genre et à d'espèce; par exemple, un individu homme participe de d'homme et de l'animal. § 9. (122a) Il faut voir de plus si ce qui est placé dans le genre n'est pas plus étendu que le genre, comme par exemple, le probable est plus étendu que l'être; car ce qui est et ce qui n'est pas sont des probables. Donc, le probable n'est pas une espèce de l'être; car toujours le genre est plus étendu que l'espèce. § 10. Il faut regarder de plus, si le genre (5) et l'espèce sont faits d'étendue égale et par exemple, si d'attributs qui sont à tout, l'un n'est pas fait genre et l'autre espèce, comme l'être et l'unité et l'un sont attributs de tout. Donc, celui-ci n'a pas le genre de celui-là, puisqu'ils sont d'extension parfaitement égale. Et de même si l'on a supposé subordonnés entre eux le primitif et le principe; car le principe est le primitif et le primitif (10) est le principe: donc ces deux choses sont identiques, et l'une n'est pas du tout le genre de l'autre. Le point essentiel à bien savoir dans tout ceci est que le genre est plus large que l'espèce et que la différence; car la différence aussi est moins large que le genre. § 11. (15) Il faut voir encore si le genre énoncé n'est pas ou peut ne pas paraître le genre d'une des choses non différentes en espèce; et quand on établit la thèse, il faut voir s'il est le genre de l'une de ces choses; car le genre est le même pour toutes les choses non différentes en espèces. Si donc on montre qu'il est de genre de l'une, on aura montré qu'il l'est de toutes; et si l'on montre pour une seule qu'il n'en est pas le genre, on aura montré qu'il ne l'est d'aucune. Par exemple, si après avoir posé les lignes indivisibles, on dit que l'insécable est leur genre, (20) on se trompe; car ce genre n'est pas celui des lignes qui sont divisibles, bien quelle soient sans différences quant à l'espèce, puisque toutes les lignes droites n'ont entre elles aucune différence spécifique. [4,2] CHAPITRE II. § § 1. Il faut voir encore s'il n'y a pas quelque autre genre de l'espèce (25) donnée que n'embrasse pas le genre indiqué, et qui ne soit pas sous lui : par exemple, si l'on a posé que la science soit le genre de la justice; car la vertu est aussi le genre de la justice, et aucun de ces genres ne comprend l'autre. Donc, la science n'est pas le genre de la justice; car il semble que quand une espèce est sous deux genres, l'un doit être compris dans (30) l'autre. Toutefois, ceci offre quelque difficulté dans certains cas: par exemple, quelques-uns croient que la prudence est à la fois une vertu et une science, et pourtant aucun de ces genres n'est compris dans l'autre. Il est vrai que tout le monde n'accorde pas que la prudence soit une science ; mais si l'on accorde que cette assertion soit exacte, il semble nécessaire (35) que les genres d'une même chose soient subordonnés entre eux, ou que tous deux soient compris sous un même genre, comme c'est le cas pour la vertu et pour la science; car toutes deux sont sous le même genre, puisque l'une et l'autre sont possession et disposition. Il faut donc voir si aucune des deux n'appartient au genre indiqué; car (122b) si les genres de toutes deux ne sont pas subordonnés entre eux, ou si toutes les deux ne sont pas comprises sous un même genre, le genre indiqué n'appartient pas au sujet. § 2. Il faut regarder aussi le genre du genre donné, et ainsi pour tous les genres supérieurs et s'assurer qu'ils sont tous attribués à l'espèce (5) et qu'ils lui sont attribués essentiellement; car il faut que le genre supérieur puisse être attribué essentiellement à l'espèce. S'il y a quelque part discordance, c'est évidemment que le genre indiqué n'est pas genre véritablement. A l'inverse, il faut voir si le genre participe à l'espèce, soit ce genre même, soit quelqu'un des genres supérieurs; car le terme supérieur ne peut participer à aucun des inférieurs. Il faut donc, quand on réfute (10) une proposition, s'y prendre comme on l'a déjà dit. Quand on l'établit, et qu'il est reconnu que le genre indiqué est bien à l'espèce, mais qu'il y a doute s'il y est comme genre, il suffit de montrer que l'un des genres supérieurs est attribué essentiellement à l'espèce : car du moment qu'un seul est attribué essentiellement, tous les autres, soit au dessus soit (15) au dessous de lui, s'ils sont attribués à l'espèce, le seront essentiellement. Donc, le genre donné est attribué essentiellement aussi. Pour se convaincre que l'un des genres étant attribués essentiellement, tous les autres, pourvu qu'ils soient attribués, le sont essentiellement aussi, il faut recourir à l'induction. Mais si l'on doute absolument que le genre indiqué (20) soit bien au sujet, il ne suffirait plus de montrer qu'un des genres supérieurs est attribué à l'espèce essentiellement: par exemple, si l'on a soutenu que la translation soit le genre de la marche, il ne suffit pas de montrer que la marche est un mouvement pour montrer aussi que c'est une translation, puisqu'il y a encore d'autres mouvements qu'elle; mais il faut montrer (25), en outre, que la marche ne participe d'aucun des mouvements placés sous la même catégorie, si ce n'est de la translation. En effet il y a nécessité que ce qui participe du genre participe aussi de quelqu'une des espèces placées sous la première division. Si donc la marche ne participe ni de d'accroissement, ni de la diminution, ni d'aucun des autres mouvements; il est évident qu'elle participe à la translation, et (30) par conséquent que la translation est le genre de la marche. § 3. A l'inverse, pour les choses où l'espèce indiquée est réellement attribuée comme genre, il faut voir si le genre donné est attribué essentiellement à toutes les choses auxquelles l'est aussi l'espèce; et de même pour tous les termes supérieurs au genre. S'il y a quelque discordance, il est évident que ce (35) n'est pas le genre vrai qui a été donné; car si c'était le genre, tout ce qui est au dessus et lui-même, seraient attribués essentiellement à toutes les choses auxquelles l'espèce est attribuée essentiellement aussi. On pourra donc, quand on renverse la proposition, se servir de cette considération, que le genre n'est pas attribué essentiellement aux choses mêmes dont l'espèce est un attribut essentiel. Mais quand on établit la proposition, on ne peut se servir que du cas où le (123a) genre est attribué essentiellement; car alors et le genre et l'espèce seront attribués essentiellement au même sujet : de sorte que le même sujet est sous deux genres. Donc nécessairement ces deux genres sont subordonnés entre eux. Si donc, on a montré que ce qu'on veut établir (5) comme genre n'est pas sous d'espèce, il est évident que l'espèce sera sous lui, et l'on aura prouvé que ce terme est bien le genre. § 4. Il faut regarder aussi aux définitions des genres et voir si elles s'accordent avec l'espèce donnée, et avec tout ce qui participe de cette espèce; car il faut nécessairement que les définitions des genres soient attribuées à l'espèce et à tout ce qui participe (10) de l'espèce. Si donc il y a quelque part discordance, il est évident que ce n'est pas le genre véritable qui a été donné. § 5. Il faut voir encore si l'on a donné la différence comme genre; par exemple, si l'on dit que l'immortel est genre de la divinité : l'immortel n'est que la différence de l'animal, puisque parmi les animaux les uns sont mortels et les autres immortels. Il est donc clair (15) qu'on s'est mépris; car la différence ne peut être genre de quoi que ce soit. Et ce qui fait bien voir que cela est vrai c'est que toute différence exprime non pas la substance mais bien plutôt la qualité, comme le terrestre et le bipède. § 6. On s'est également mépris si on a placé la différence dans le genre comme espèce : par exemple, si l'on dit que l'impair est ce qu'est le nombre; car c'est une différence des nombres que l'impair, ce n'en est pas (20) une d'espèce. Bien plus, la différence ne paraît même pas participer au genre; car tout ce qui participe au genre est toujours espèce ou individu; et la différence n'est ni espèce ni individu. Il est donc évident que la différence ne participe pas au genre. Donc aussi l'impair est non une espèce, mais une différence, puisqu'il ne participe point au genre. § 7. (25) II faut voir également si l'on a placé le genre dans l'espèce : et, par exemple, si l'on a appelé la contiguïté continuité, et le mélange combinaison, ou comme fait Platon qui définit la translation le mouvement dans l'espace. Ce sont autant d'erreurs; car la contiguïté n'est pas continuité : tout au contraire, c'est la continuité qui (30) est continuité. En effet tout contigu n'est pas continu, tandis que tout continu est contigu. Et de même pour le reste; car tout mélange n'est pas combinaison ; ainsi le mélange de choses sèches n'est pas une combinaison, pas plus que changement dans respect n'est une translation : et par exemple, la marche ne paraît pas être une translation : la translation ne peut guère se dire que des objets qui passent involontairement d'un lieu à un autre, comme cela arrive pour les choses (35) inanimées. Il est donc évident que, dans tous les cas qu'on vient de citer, l'espèce est plus large que le genre, tandis qu'il en doit être tout à l'opposé. § 8. On peut encore s'être trompé à l'inverse, si l'on a placé les différences dans l'espèce : par exemple, si l'on a dit que l'immortel est dieu; car alors l'espèce sera aussi large et même (123b) plus large que la différence; or la différence est toujours aussi large ou plus large que l'espèce. § 9. L'on peut aussi avoir placé le genre dans la différence : et, par exemple, avoir dit que la couleur est ce qui fait distinguer les choses, et que le nombre est ce qui est impair. § 10. On peut même encore avoir posé le genre comme différence, et l'on peut avoir fait une proposition comme celle-ci, par exemple : que le mélange est une différence de la combinaison, ou (5) le changement dans l'espace une différence de la translation. Il faut appliquer à tous les cas analogues le même procédé; car les lieux sont communs à tous. Il faut toujours que le genre soit plus large que la différence, et qu'il ne participe pas de la différence; mais en le donnant ainsi qu'on l'a fait dans les exemples indiqués plus haut, ces deux règles cessent d'être possibles; car le genre alors sera moins large (10), et il participera de la différence. § 11. De plus, si aucune des différences du genre n'est attribuable à l'espèce donnée, le genre non plus n'y sera point attribué : par exemple, ni le pair ni l'impair ne sont attribués à l'âme, non plus que le nombre, par conséquent. § 12. Il faut voir encore si l'espèce donnée est naturellement (15) antérieure au genre, et si elle détruit le genre, quand elle est elle-même détruite; car il en devrait être tout le contraire: c'est qu'alors on n'a pas donné le vrai genre. § 13. Il faut voir de plus si l'on petit laisser de coté le genre ou la différence pour l'espèce : par exemple, pour l'âme, le mouvement; et pour l'opinion, le vrai et le faux; car alors aucun des deux termes indiqués ne serait ni genre, ni différence, puisque le genre et la différence suivent toujours l'espèce tant que l'espèce elle-même subsiste. [4,3] CHAPITRE III. § 1. Il faut encore examiner si ce qui est dans le genre participe ou peut participer de l'un des contraires du genre; car alors une même chose pourrait avoir les contraires, puisque le genre ne défaillit jamais, et qu'ainsi il participe ou peut participer au contraire. § 2. Il faut voir, en outre, si l'espèce n'est pas doué de quelque qualité qui ne peut absolument point être a ce qui est sous (25) le genre : par exemple, l'âme est douée de la vie, mais aucun nombre ne peut vivre; aussi l'âme n'est pas une espèce de nombre. § 3. Il faut examiner encore si l'espèce est homonyme au genre, en se servant pour découvrir l'homonymie des procédés indiqués plus haut; car le genre et l'espèce sont synonymes. § 4. (30) Comme il y a toujours plusieurs espèces dans un genre, il faut voir s'il n'est pas impossible qu'il y ait une seconde espèce du genre dénommé; car s'il n'y en a pas, il est clair que le terme indiqué ne peut pas du tout être genre. (124a) § 5. Il faut voir encore si ce n'est pas un terme purement métaphorique qui a été donné comme genre, comme lorsqu'on dit, par exemple que la prudence est une harmonie; car tout genre (35) est attribué proprement à ses espèces: or, l'harmonie est attribuée non point proprement, mais seulement par métaphore, à la prudence; en effet toute harmonie n'est que dans les sons. § 6. II faut voir encore s'il n'y a pas quelque contraire à l'espèce : et cet examen peut se faire de plusieurs façons. § 7. D'abord, on doit voir si le contraire est dans le même genre, quand il n'y a pas de contraire au genre; car il faut que les contraires soient dans le même genre, s'il n'y a pas de contraire au genre. S'il y a un contraire au genre, il faut voir si le contraire est dans le genre contraire ; car il faut que le contraire soit dans le genre contraire, s'il y a quelque contraire au genre; et c'est par l'induction qu'on pourra s'en assurer dans chaque cas. § 8. De plus, il faut voir si le contraire de l'espèce n'est dans aucun genre, attendu qu'il est genre lui-même, comme le bien ; car, si ce terme n'est pas dans un genre, le contraire de ce terme n'y sera pas non plus : mais il sera genre lui-même, et c'est ce qui a lieu pour le bien et le mal; car aucun de ces deux termes n'est dans un genre, mais tous les deux sont genres. § 9. On peut examiner encore si le genre et l'espèce ne sont pas l'un et l'autre contraires à quelque terme : et si pour les uns il y a intermédiaire et si pour les autres il n'y en a pas; car s'il y a quelque intermédiaire pour les genres, il y en a pour les espèces: et si pour les espèces, il y en a pour les genres, comme pour la vertu et le vice, la justice et l'injustice ; car il y a des intermédiaires pour les deux. On objecte à cela qu'il n'y a pas d'intermédiaire entre la maladie et la santé, bien qu'il y en ait entre le mal et le bien. § 10. On peut rechercher s'il y a quelque intermédiaire à la fois et pour les genres et pour les espèces, sans que ce soit de la même manière : pour les uns comme négation, et pour les autres comme sujet; car il est probable à première vue que les intermédiaires seront de la même manière pour les deux, comme pour la vertu et le vice, la justice et l'injustice. En effet pour tous les deux les intermédiaires sont négatifs. § 11. Quand il n'y a pas de contraire au genre, il ne faut pas regarder seulement si le contraire est dans le même genre, il faut regarder encore si l'intermédiaire y est; car là où sont les extrêmes, là aussi sont les moyens, comme pour le beau et le noir, puisque la couleur est le genre des deux extrêmes et de toutes les couleurs intermédiaires. On objecte que le défaut et l'excès sont dans le même genre; car tous les deux sont dans le mal: et que la modération qui en est l'intermédiaire est non dans le mal, mais dans le bien. § 12. Il faut voir en outre si le genre est contraire à quelque terme, tandis que l'espèce ne l'est à aucun; car si le genre est contraire à quelque terme, l'espèce l'est aussi, comme la vertu et le vice, la justice et l'injustice. Et si l'on examine d'autres cas, on verra qu'il en est bien de même. Une objection peut se tirer de la santé et de la maladie; car, absolument parlant, la santé est contraire à la maladie : mais telle maladie particulière, qui est une espèce de la maladie, n'est contraire à rien; par exemple, la fièvre, I'ophthalmie, ou telle autre maladie. § 13. (124b) Quand on réfute, voilà tout ce qu'il faut examiner; car si les conditions qu'on a dites n'ont pas été remplies, il est clair que ce n'est pas le genre qui a été donné. § 14. Quand on établit la proposition, il y a trois manières de procéder : § 15. D'abord il faut voir si le contraire de l'espèce est bien dans le genre indiqué, quand il n'y a pas de contraire à ce genre; car si le contraire est dans ce genre, il est clair que l'objet en discussion y est aussi. § 16. Et il faut voir encore si le terme intermédiaire est dans le genre indiqué; car là où est le terme moyen, là aussi sont les extrêmes. § 17. Et de plus, s'il y a quelque contraire au genre, il faut examiner si le contraire est dans le genre contraire; car, s'il y est, il est clair que l'objet proposé est aussi dansé genre proposé. [4,4] CHAPITRE IV. § 1. Il faut regarder aussi aux cas et aux conjugués, s'ils se suivent pareillement, soit qu'on réfute la thèse, soit qu'on l'établisse; car c'est à la fois que l'attribut est ou n'est pas à un seul ou à tous : par exemple, si la justice est une science, justement sera savamment et le juste sera savant; mais si l'une de ces choses n'est pas, il n'en saurait être non plus une seule des autres. § 2. Il faut regarder, en outre, aux choses qui sont entre elles dans un rapport semblable : par exemple, le rapport de l'agréable au plaisir est tout à fait pareil à celui de l'utile au bien; car des deux côtés l'un est ce qui produit l'autre. Si donc le plaisir se confond avec le bien, l'agréable se confondra avec l'utile. Il est donc clair que le plaisir produit le bien puisque le plaisir est un bien. § 3. Même remarque pour les générations et destructions des choses : par exemple, si bâtir c'est agir, avoir bâti ce sera avoir agi; et si apprendre c'est se souvenir, avoir appris ce sera s'être souvenu; et si être dissous c'est être détruit, avoir été dissous ce sera avoir été détruit; et la dissolution sera une sorte de démolition. § 4. Même remarque encore pour les choses qui produisent et qui détruisent. De même aussi pour ressemblances des choses et les usages; et, en général, soit qu'on réfute, soit qu'on établisse, il faut regarder à la lumière des ressemblances, quelles qu'elles soient, comme nous venons de le dire pour la génération et la destruction des choses. Si ce qui détruit est dissolvant, être détruit sera aussi être dissous; et si générateur est produire, être engendré ce sera être produit, et la génération sera une production. Et de même pour les puissances et les usages des choses; car si la puissance est disposition, pouvoir sera aussi être disposé; et si se servir de quelque chose est une action, se servir ce sera agir, et s'être servi, avoir agi. § 5. Si l'opposé de l'espèce est privation, on peut réfuter la thèse de deux manières : d'abord, si l'opposé est dans le genre indiqué; car, ou la privation n'est jamais absolument dans le même genre, ou du moins n'est pas dans le dernier genre : par exemple, si la vue est dans le dernier genre, dans la sensation, l'aveuglement ne sera pas sensation. En second lieu, si la privation est à la fois l'opposé du genre (125a) et de l'espèce, et que l'opposé ne soit pas dans le genre opposé, le genre indiqué n'est pas non plus dans le genre indiqué. Il faut donc, quand on réfute la thèse, se servir de ces moyens. Mais, quand on l'établit, il n'y en a qu'un seul; car si l'opposé est dans l'opposé, l'objet en question sera aussi dans l'objet en question : par exemple, si l'aveuglement est une sorte d'insensibilité, la vue sera une sorte de sensation. § 6. Il faut examiner dans un sens contraire les négations, comme on l'a dit pour l'accident : par exemple si l'agréable se confond avec le bien, ce qui n'est pas bien n'est pas agréable; car s'il n'en était pas ainsi, il y aurait quelque chose qui ne serait pas bon et qui serait cependant agréable. Mais il est impossible qu'il y ait quelque chose de non bon qui soit agréable, puisque le bien est le genre de l'agréable. En effet toutes les fois que le genre n'est pas attribué, aucune des espèces ne l'est davantage. II faut faire le même examen quand on établit la thèse; car, si ce qui n'est pas bon, n'est pas agréable, l'agréable est bon ; et par conséquent, le bon est le genre de l'agréable. § 7 Si l'espèce est un relatif, il faut regarder si le genre aussi en est un; car si l'espèce est un relatif, le genre aussi en sera un, comme pour le double et le multiple, qui tous deux sont des relatifs. Mais le genre doit être un relatif, sans que l'espèce en soit nécessairement un; car la science est un relatif, et la grammaire n'en est pas un. Ou bien la règle posée plus haut n'est-elle pas fausse? La vertu, en effet, est ce qu'est le bon, ce qu'est le beau, et la vertu est un relatif, tandis que le beau et le bon ne sont pas des relatifs, mais des qualités. § 8. Il faut aussi regarder si l'espèce n'est pas dite pour elle-même et pour le genre, relativement à la même chose: par exemple, si le double est dit le double de la moitié, il faut aussi que le multiple soit dit de la moitié : sinon, le multiple ne serait plus le genre du double. § 9. Il faut voir encore si l'espèce n'est pas dite relativement à la même chose et pour le genre et pour tous les genres du genre : car si le double est relatif à la moitié, le multiple l'est aussi, le surpassant sera relatif à la moitié; et d'une manière générale tous les genres supérieurs seront relatifs à la moitié. On objecte qu'il n'est pas nécessaire que l'espèce soit relative à une même chose, en soi et pour le genre; car la science est dite la science de ce qui est su, mais la possession et la disposition sont dites possession et disposition, non de ce qui est su, mais de l'âme. § 10. De plus, il faut voir si le genre et l'espèce sont exprimés d'une façon égale dans les cas des mots: par exemple, s'ils sont dits à quelqu'un, de quelqu'un ou de toute autre façon; car le genre doit suivre l'espèce. Ainsi ce qui est pour le double est aussi pour les genres supérieurs : de même que le double est le double de quelque chose. Et pour la science, elle est aussi la science de quelque chose, (125b) ainsi que ses genres, comme la disposition et la possession. On peut objecter qu'il n'en est pas toujours de cette façon; car l'opposé et le contraire sont opposés et contraires à quelque chose, tandis que l'autre, qui en est le genre, est non pas autre à quelque chose, mais autre que quelque chose : en effet on dit que telle chose est autre que telle chose. § 11. De plus, il faut voir si les relatifs exprimés d'une façon égale dans les cas des mots, ne sont pas également réciproques comme pour le double et le multiple; car chacun d'eux est dit le double, le multiple de quelque chose, soit en eux-mêmes, dans leurs termes réciproques. Ainsi la moitié et le sous-multiple sont dits la moitié et le sous-multiple de quelque chose; et de même pour la science et pour la perception; car elles sont la science et la perception de quelque chose, et sont exprimées également dans leurs termes réciproques; ainsi ce qui est su, ce qui est perçu, est su, est perçu par quelqu'un. Si donc, il n'y a pas pour l'un des termes une égale réciprocité, il est clair que l'un n'est pas le genre de l'autre. § 12. De plus, il faut voir si le genre et l'espèce sont relatifs à un nombre égal de choses; car l'un et l'autre semblent devoir se dire également, et pour un même nombre de choses, comme pour la donation et le don; ainsi la donation est dite donation de quelqu'un ou à quelqu'un , et le don est le don de quelqu'un et à quelqu'un; le don est le genre de la donation, la donation étant un don irrévocable. Mais pour certaines choses le genre et l'espèce ne sont pas également étendus; car le double est le double de quelque chose, mais le surpassant et le plus grand sont surpassant quelque chose et de quelque chose, plus grand est plus grand que quelque chose et de quelque chose ; car tout ce qui surpasse et est plus grand surpasse quelque chose et de quelque chose, et est plus grand que quelque chose et de quelque chose. Donc, ces termes ne sont pas les genres du double, puisqu'ils ne sont pas relatif à autant de choses que l'est l'espèce. Ou bien il n'est pas vrai généralement de dire que le genre et l'espèce sont relatifs dans une étendue égale. § 13. Il faut voir encore si l'opposé est bien le genre de l'opposé : par exemple, si le multiple est le genre du double, et si le sous-multiple l'est de la moitié; car il faut que l'opposé soit le genre de l'opposé. Si donc on avance que la science est la sensation, il faudra aussi que ce qui est su soit sensible, mais cela n'est pas; car tout ce qui est su n'est pas sensible, et il y a certaines choses purement intellectuelles que l'on sait. Donc le sensible n'est pas le genre de ce qui est su, et s'il ne l'est pas, la sensation n'est pas non plus le genre de la science. § 14. Puisque, parmi les relatifs, les uns sont nécessairement dans les choses ou du moins près des choses relativement auxquelles ils sont dits : par exemple, la disposition, la possession et la commensurabilité; car il n'est pas possible que ces trois relatifs soient dans d'autres choses que dans celles dont ils sont les relatifs; et comme d'autres relatifs au contraire ne sont pas nécessairement dans les choses dont ils sont les relatifs? mais y peuvent seulement être: par exemple, si l'âme est une chose qu'on peut savoir, car il n'y a aucun obstacle à ce que l'âme ait la connaissance d'elle-même: mais cela n'est en rien nécessaire, puisque cette même science peut fort bien être aussi dans une autre chose (126a) : comme enfin d'autres relatifs ne peuvent absolument point être dans les choses dont ils sont les relatifs; par exemple, le contraire n'est jamais dans le contraire, non plus que la science dans ce qui est su, à moins que ce qui est su ne soit l'âme même de l'homme: il s'ensuit qu'il faut examiner si l'adversaire a placé une chose qui a cette qualité de relatif dans un genre qui n'a pas cette qualité. Par exemple, si l'on a dit que la mémoire est la permanence de la science; car toute permanence est dans l'objet permanent et dans ce qui le concerne, de sorte que la permanence de la science est dans la science, et que la mémoire est dans la science, puisque c'est la permanence de la science; mais cela n'est pas possible; car toute mémoire est dans l'âme. Du reste, ce lieu qu'on vient de dire est commun aussi à l'accident : il n'y a pas de différence à dire que la permanence est le genre de la mémoire, ou de dire que la permanence est un accident pour elle; car de quelque façon que la mémoire soit la permanence de la science, cette même définition lui conviendra toujours. [4,5] CHAPITRE V. § 1. De plus, si l'on a placé la faculté dans l'acte ou l'acte dans la faculté, ce qu'on a pris pour genre s'est pas véritablement genre : par exemple, si l'on a dit que la sensation était un mouvement dans le corps; car la sensation est une faculté : mais le mouvement est un acte. Et de même, si l'on a dit que la mémoire est une faculté susceptible de recevoir la perception; car aucune mémoire n'est faculté, elle est bien plutôt un acte. § 2. On se trompe encore en plaçant la faculté dans la puissance qui en est la suite : par exemple, si l'on dit que la douleur est une réfrénation de la colère, et que la justice et le courage sont la réfrénation de sentiments cupides et craintifs; car il suffit alors d'être impassible pour être courageux et doux : tandis que l'homme qui se modère est celui qui est ému et ne se laisse pas entraîner. Peut-être, du reste, cette puissance est-elle la suite de l'un et de l'autre état, de sorte que l'homme maître de soi, souffre, n'est pas entrainé, et sait résister. Mais même n'est pas l'essence ici du courage et là de la douleur; l'essence de l'un et de l'autre, c'est de ne pas se laisser émouvoir par de telles passions. § 3. Parfois on prend la conséquence, quelle qu'elle soit pour le genre : par exemple, la douleur pour le genre de la colère, et la perception pour celui de la certitude. Il est bien vrai que toutes deux suivent d'une certaine manière les espèces indiquées : mais aucune d'elles cependant n'en est le genre. En effet l'homme en colère ne s'est mis en colère qu'après que la douleur ne vienne l'atteindre; et ce n'est pas la colère qui est cause de la douleur, mais bien la douleur qui l'est de la colère; donc, absolument parlant, la colère n'est pas la douleur. Et par le même motif la certitude n'est pas la perception ; car on peut bien avoir la même perception sans avoir de certitude: mais cela ne se pourrait pas si la certitude était une espèce de la perception. En effet il n'est pas possible qu'une chose demeure la même si on la change tout à fait d'espèce. Ainsi, ce même animal ne saurait être tantôt homme et tantôt ne l'être pas. Mais si l'on prétend que nécessairement celui qui perçoit a une certitude aussi, la perception et la certitude seront prises (126b) comme égales, de sorte que de cette façon encore il n'y aurait plus de genre; car il faut que le genre soit toujours plus large que l'espèce. § 4. Il faut voir encore si les deux ne peuvent pas être naturellement dans un seul et même objet; car là où est l'espèce là est le genre : par exemple, là où est le blanc, là aussi est la couleur; et là où est la grammaire, là aussi est la science. Si donc on appelle la honte crainte, et la colère douleur, il en résultera que l'espèce et le genre ne sont pas dans le même objet; car la honte est dans l'âme raisonnable, la crainte dans l'âme passionnée, et la douleur dans l'âme concupiscible; car c'est là aussi qu'est le plaisir, tandis que la colère est dans la partie passionnée. Donc, ce ne sont pas les vrais genres qui ont été indiqués, puisqu'ils ne peuvent être naturellement dans les mêmes objets que les espèces. Et de même pour l'amitié, si on la place dans la partie concupiscible, elle cessera d'être un acte volontaire, tandis que toute volonté est dans la partie raisonnable. Ce lieu, du reste, est utile même aussi pour l'accident; car l'accident et la chose à laquelle il appartient sont dans le même objet, de sorte que s'ils ne paraissent pas y être, il est évident que l'accident a été mal indiqué. § 5. On s'est encore trompé si l'espèce ne participe qu'en partie au genre indiqué; car le genre ne paraît pas pouvoir être possédé en partie par l'espèce. Ainsi, l'homme n'est pas animal en partie, la grammaire n'est science en partie: et de même pour le reste. Il faut donc examiner si le genre n'est pas possédé seulement en partie par quelques termes. Et, par exemple, si l'on dit qu'animal est ce qui est senti ou ce qui est vu; l'animal est bien en partie sensible et visible, et c'est par son corps qu'il est sensible et visible; mais non par son âme. Donc, le sensible et le visible ne peuvent être les genres de l'animal. § 6. On ne s'aperçoit pas non plus quelquefois qu'on met le tout dans la partie, comme lorsqu'on appelle animal un corps animé; mais la partie ne peut point être attribuée au tout. Donc le corps ne saurait être le genre de l'animal, puisqu'il en est une partie. § 7. Il faut voir encore si l'adversaire n'a point dans la connaissance et dans le possible, quelque chose qui soit à reprendre ou à fuir ; par exemple, s'il a appelé sophiste celui qui peut tirer un lucre de sa sagesse apparente, ou calomniateur celui qui peut calomnier en secret et semer la haine entre les amis, ou voleur celui qui peut voler les choses d'autrui. En effet, aucun de ces gens n'est qualifié de ce nom uniquement parce qu'il peut être tel. Dieu et l'homme vertueux peuvent aussi malfaire, mais ne sont pas tels cependant; car on n'appelle méchants que ceux qui le sont volontairement. C'est que toute puissance est chose à désirer: les puissances même du mal sont désirables aussi, et voilà pourquoi nous disons que Dieu et l'homme vertueux les possèdent; car ils peuvent faire (127a) le mal. Ainsi donc, la puissance ne saurait être le genre de rien de blâmable; sinon, il en résulterait que quelque chose de blâmable serait à désirer, et que certaine puissance serait blâmable. § 8. Il faut aussi voir si l'adversaire n'a pas donné comme puissance ou possible, ou simplement comme pouvant produire quelque chose, une des choses précieuses ou désirables en soi; car toute puissance, tout possible, toute chose qui agit, n'est désirable qu'en vue d'une autre chose. § 9. Ou bien si l'adversaire a placé dans un seul genre une chose qui est dans deux ou plusieurs genres; car il y a certaines choses qu'on ne saurait place dans un seul genre; par exemple, le menteur et le calomniateur. En effet, l'intention avec la puissance ou la puissance sans l'intention ne suffisent point pour faire ni le menteur ni le calomniateur; il n'y a de menteur et de calomniateur que celui qui réunit les deux choses. Donc, il ne faut pas placer les deux choses indiquées ici dans un seul genre, il faut les mettre dans deux genres. § 10. Quelquefois aussi on donne réciproquement le genre pour la différence et la différence pour le genre ; par exemple, la stupéfaction pour un excès d'admiration, et la certitude pour une violence de conception. Mais ni l'excès ni la violence ne sont le genre : ce n'est que la différence; car la stupéfaction paraît être une admiration excessive, et la certitude une conception violente. Donc, l'admiration et la conception sont le genre, comme l'excès et la violence sont la différence. De plus, si l'on prenait l'excès ou la violence pour genres, les choses inanimées elles-mêmes éprouveraient certitude et stupéfaction. En effet, la violence de chaque chose et l'excès sont à ce dont ils sont l'excès et la violence. Si donc la stupéfaction est un excès d'admiration, la stupéfaction sera à l'admiration, de sorte que l'admiration sera stupéfaite : et de même la certitude sera à la conception, s'il y a une violence de conception, de sorte que la conception aura la certitude. II arrivera encore, si l'on prétend qu'il en est ainsi, que la violence est violente, que l'excès est excessif; car il y a une attitude violente. Si donc la certitude est violence, la violence sera violente. Et de même aussi il y a une stupéfaction excessive: si donc la stupéfaction est excès, il y aurait un excès excessif. Mais ni l'une ni l'autre de ces choses ne semble vraie, de même que le mouvement n'est pas le mobile, non plus que la science n'est ce qui est su. § 11. On se trompe encore en plaçant la modification dans le genre même qui est modifié : par exemple, quand on dit que l'immortalité est une existence éternelle ; car l'immortalité paraît être une modification ou une circonstance de l'existence. Mais évidemment l'assertion précédente ne deviendrait vraie que si l'on accordait que de mortel on peut devenir immortel; car personne ne dirait alors qu'il prend une autre existence, mais seulement qu'à cette même existence il arrive quelque modification (127b) ou quelque circonstance nouvelle. Donc l'existence n'est pas le genre de l'immortalité. § 12. En outre, on se trompe si l'on dit que le genre de la modification est l'objet même dont il y a modification : par exemple, si l'on dit que le vent c'est l'air agité; car le vent est plutôt l'agitation de l'air. C'est en effet toujours le même air, soit qu'il soit agité, soit qu'il reste en repos. Donc, absolument parlant, le vent n'est pas l'air; car alors il y aurait vent même quand l'air ne serait pas agité, puisque le même air subsiste qui tout à l'heure était le vent. Et de même pour toutes les autres erreurs de ce genre. Mais si, dans l'exemple précédent, on peut accorder que le vent soit de l'air agité, il ne faudrait pas admettre des assertions de ce genre pour toutes les choses dans lesquelles le genre indiqué n'est pas le véritable; on ne pourrait les admettre que pour le cas où le genre donné est attribué avec vérité. § 13. En effet, dans quelques cas, ce genre ne semble pas être vrai; par exemple, pour la boue et la neige : ou peut dire que la neige est de l'eau coagulée, et que la boue est de la terre mêlée à l'humide; mais la neige n'est pas de l'eau et la boue n'est pas de la terre; donc, ni l'un ni l'autre des genres indiqués ne sont vraiment genres; car il faut que le genre soit toujours vrai pour toutes les espèces. Et de même on ne peut dire que le vin soit de l'eau tournée, comme Empédocle prétendait que c'était « de l'eau tournée dans le bois: » c'est qu'absolument parlant, le vin n'est pas de l'eau. [4,6] CHAPITRE VI. § 1. De plus, il faut voir si ce qui est donné comme genre n'est absolument le genre de rien; car il est clair alors qu'il n'est point non plus le genre de ce dont il s'agit. Il faut remarquer aussi que les choses participant au genre donné ne doivent différer en rien spécifiquement ; par exemple, les choses blanches : entre elles il ne peut y en avoir une qui diffère en espèce; or les espèces de tout genre sont différentes; donc le blanc ne serait le genre de rien. § 2. En outre, l'adversaire s'est trompé s'il a pris pour genre ou différence un attribut commun à tout; car il y a plusieurs attributs qui appartiennent à tout, ainsi l'être et l'unité sont des attributs qui suivent toutes choses. Si donc on a donné l'être comme genre, il est clair que ce serait le genre de tout, puisqu'il est attribué à tout; mais le genre n'est attribué uniquement qu'aux espèces; donc, l'un lui-même serait une espèce de l'être. Il en résulterait alors que l'espèce serait attribuée à toutes les choses auxquelles le genre est attribué, l'être et l'unité étant absolument attribués à tout, tandis qu'il faut toujours que l'espèce soit attribuée moins largement que le genre. Si l'on a pris pour différence un attribut qui appartient à tout, il est évident que la différence sera ou égale ou plus large que le genre; car si le genre est un des attributs qui appartiennent à tout, la différence lui est égale; et si le genre n'est pas un attribut applicable à tout, la différence est prise plus largement que lui. § 3. (128a) En outre, il faut voir si le genre indiqué est placé dans l'espèce subordonnée, comme le blanc pour la neige; car alors il est clair que ce n'est pas le genre véritable, le genre ne pouvant être que l'attribut de l'espèce subordonnée. § 4. Il faut voir encore si le genre n'est pas synonyme à l'espèce ; car le genre est attribué synonymiquement à toutes les espèces. § 5. Il faut voir si lorsqu'il y a un contraire au genre et à l'espèce, on n'a point placé le meilleur des contraires dans le genre pire; car il faudra que le terme restant soit dans le genre restant, puisque les contraires sont dans des genres contraires: et ainsi le meilleur sera dans le pire, et le pire dans le meilleur, tandis que le genre meilleur paraît devoir appartenir aussi au meilleur. § 6. L'adversaire s'est trompé si un même objet, étant dans un rapport pareil avec deux autres, il l'a placé dans le pire et non dans le meilleur: si, par exemple, il a dit que l'âme est essentiellement un mouvement ou un mobile; l'âme est en effet également susceptible de repos et de mouvement : et si le repos est meilleur, il fallait placer le genre de l'âme dans le repos. § 7. Puis aussi, on peut tirer des arguments du plus et du moins, quand on réfute, si le genre reçoit le plus et que l'espèce ne le reçoive pas, soit elle-même, soit ce qui s'y rapporte; par exemple, si la vertu reçoit le plus, la justice et le juste le recevront aussi ; car tel homme est dit plus juste que tel autre. Si donc le genre donné reçoit le plus et que l'espèce ne le reçoive, ni elle-même ni ce qui s'y rapporte, c'est que le terme désigné n'est pas le genre véritable. § 8. En outre, si ce qui paraît être plus ou également n'est pas le genre, il est clair que le terme qui a été indiqué ne l'est pas non plus. Ce lieu est utile surtout dans les cas où les attributs essentiels de l'espèce sont plusieurs, et qu'on n'a pas déterminé nettement et qu'on ne peut pas dire quel est le genre véritable: par exemple, la douleur et le sentiment du mépris paraissent être essentiellement attribuées à la colère ; car l'homme courroucé a de la douleur et croit être méprisé. § 9. La même considération est applicable si l'on compare quelqu'autre espèce à l'espèce; car si ce qui paraît être plus ou également dans le genre donné n'est pas dans le genre, il est clair que l'espèce donnée n'est absolument pas non plus dans le genre. § 10. Il faut donc, quand on réfute, procéder comme on vient de le dire. § 11. Mais quand on établit la proposition, (128b) si le genre et l'espèce donnés admettent le plus, ce lieu n'est pas applicable; car si tous deux le reçoivent, rien n'empêche que l'un ne soit pas le genre de l'autre. Ainsi, le beau et le blanc reçoivent le plus, et cependant l'un n'est pas le genre de l'autre. § 12. Mais la comparaison des genres et des espèces entre elles est utile; ainsi, du moment que telle chose et telle autre sont également genres, si l'une est genre, l'autre le sera aussi. Et de même s'il s'agit de plus et de moins : par exemple, si la force est plus le genre de la modération que la vertu, et que la vertu soit genre, la force le sera aussi. § 13. On pourra dire encore la même chose pour l'espèce; car si telle chose et telle autre chose sont également l'espèce de la chose proposée, du moment que l'une est espèce, l'autre aussi le sera : et si ce qui paraît être moins, est espèce, le plus le sera aussi. § 14. Il faut voir encore, quand on établit la proposition, si le genre est attribué essentiellement aux choses pour lesquelles il est indiqué, quand l'espèce indiquée n'est pas seule, mais qu'il y en a plusieurs et des différentes : il est clair alors que c'est bien le genre qui a été indiqué. Mais s'il n'y a qu'une seule espèce et donnée, il faut voir si pour les autres espèces le genre est attribué essentiellement; car alors il arrivera qu'il sera attribué et à plusieurs choses et à des choses différentes, et que par conséquent on devra le reconnaître pour genre. § 15. Puisque quelques-uns croient aussi que la différence est attribuée aux espèces essentiellement, il faut séparer le genre de la différence en se servant des procédés indiqués plus haut; d''abord parce que le genre est toujours plus large que la différence, ensuite parce qu'il vaut mieux prendre le genre que la différence dans la définition essentielle ; car si l'on dit que l'homme est animal, on montre par là plus ce qu'est l'homme qu'en disant qu'il est terrestre; et enfin parce que la différence exprime toujours la qualité du genre, et que le genre n'exprime pas celle de la différence: car lorsqu'on dit terrestre, on désigne un animal qui a telle qualité, tandis que quand on dit animal, on ne désigne pas un certain être terrestre. C'est donc ainsi qu'il faut séparer la différence du genre. § 16. Puis donc que le musicien, en tant que musiricien, paraît être savant, et que la musique paraît être une science; et puisque, si ce qui marche se meut par le marcher, la marche est une sorte de mouvement, il faut voir dans quel genre on veut établir la proposition , de la manière suivante : par exemple, si l'on veut prouver que la science est ce qu'est la certitude, il faut voir si celui qui sait, en tant qu'il sait, est certain; car il est clair alors que la science est une sorte de certitude. Et ii en est de même pour tous les cas analogues. § 17. Et en outre, comme il est bien difficile quand une chose en suit toujours une autre sans lui être réciproque, (129a) de ne pas la considérer comme son genre, il faut, lorsque telle chose suit telle autre toute entière, sans que cette autre suive la première toute entière; comme par exemple, le repos suit le calme de l'air, et le divisible suit le nombre, sans que l'inverse soit vrai, puisque tout divisible n'est pas nombre, et que tout repos n'est pas le calme dans l'air; il faut, dis-je, quand on argumente soi-même, admettre que le terme qui suit toujours est genre, quand l'autre ne lui est pas réciproque. § 18. Mais lorsqu'un adversaire veut procéder ainsi, on ne doit pas y acquiescer dans tous les cas; et l'objection qu'on peut lui faire, c'est que le non-être suit tout ce qui naît, car ce qui naît n'est pas, mais ne lui n'est pas réciproque, puisque tout non-être ne naît pas : et que par conséquent le non-être n'est pas le genre de ce qui naît; car, absolument parlant, le non-être n'a pas d'espèces. § 19. Il faut donc traiter le genre ainsi qu'on vient de le dire.