[2,0] MÉTÉOROLOGIE - LIVRE II. [2,1] CHAPITRE PREMIER. (353a.32) §1. Parlons maintenant de la mer ; et disons quelle en est la nature et par quelle cause une si grande masse d'eau est salée. Disons aussi comment elle s'est formée dès l'origine. 5 2. Les anciens et ceux qui s'occupent de théologie supposent qu'elle a des sources ; et c'est un moyen pour eux (353b) d'expliquer les principes et les racines de la terre et de la mer. Ils se sont peut-être imaginé que c'était là une manière de donner quelque chose de plus relevé et de plus tragique à leurs explications, sur cette partie de l'univers si considérable à leurs yeux ; et ils ont cru que le ciel tout entier n'était composé qu'en faveur de ce point au tour duquel il était constitué, et qui serait le plus important et le principe de tout le reste. § 3. Mais des gens plus sages, au sens d'une sagesse purement humaine, expliquent la formation de la mer en disant que dans le principe, la terre tout entière et ce qui l'environne était liquide, et qu'une partie desséchée par le soleil, et se vaporisant, a causé les vents et les mouvements divers du soleil et de la lune, et que l'autre partie qui resta devint la mer. Aussi ajoutent-ils que la mer en se desséchant diminue de volume, et qu'à la fin elle se desséchera tout entière. § 4. Quelques-uns de ces philosophes disent aussi que la terre échauffée par le soleil produit une sorte de sueur, et que c'est là ce qui rend la mer salée ; car la sueur, à les entendre, est salée. § 5. D'autres prétendent que c'est la terre qui est cause de la salure de la mer ; car de même que l'eau qui filtre à travers la cendre devient salée, de même aussi la mer le devient, parce que la terre se mêle à elle avec des propriétés analogues. § 6. Mais sans aller plus loin, il faut faire voir qu'il est impossible, d'après les faits, que la mer ait des sources. Parmi les eaux que nous voyons à la surface de la terre, les unes sont courantes, les autres sont stagnantes. Toutes celles qui coulent viennent de sources ; et nous avons dit antérieurement qu'il faut entendre par source non pas une sorte de vase d'où s'écoulerait l'eau qui y aurait été conservée d'abord, mais qu'il faut entendre un premier point où se réunit toujours l'eau qui s'accumule. § 7. Parmi les eaux stagnantes, les unes ne sont que des amas, des dépôts, comme les étangs par exemple et les marais, ne différant d'ailleurs que du plus au moins ; d'autres proviennent de sources ; et celles-là sont toutes obtenues par le travail de l'homme, comme ce qu'on appelle les eaux de puits ; car pour celles qui coulent, il faut toujours que la source soit plus élevée que le lit du courant. § 8. Ainsi donc il y a des eaux qui coulent toutes seules, ce sont celles des sources naturelles et des fleuves ; les autres au contraire ont besoin des travaux de l'art, qui les crée. Telles sont les différences des eaux, et il n'y en a pas d'autres. § 9. Ces points une fois fixés, nous disons qu'il est impossible que la mer ait des sources. On ne saurait en effet la ranger dans aucune des espèces que nous venons d'indiquer. Elle ne coule pas ; elle n'est pas non plus faite de main d'homme. Mais toutes les eaux provenant de sources sont de l'une ou l'autre façon ; et nous ne pouvons jamais voir une aussi grande masse d'eau stagnante par elle-même qui vienne de source. § 10. (354a) Il faut ajouter qu'il y a plusieurs mers qui n'ont entre elles aucune communication. Si la Mer Rouge paraît communiquer de proche en proche avec la mer qui est en dehors des Colonnes, la mer d'Hyrcanie, et la mer Caspienne en sont tout à fait isolées ; tout le tour en est habité, et si ces deux mers avaient leurs sources quelque part, on les aurait certainement découvertes. § 11. La mer, il est vrai, paraît couler quand les lieux sont rétrécis, là où la terre environnante resserre tout-à-coup dans un petit espace une vaste étendue d'eau ; et ce qui le fait croire, c'est l'agitation en sens divers qu'elle a toujours dans ces endroits. Mais on ne voit jamais rien de pareil en pleine mer, tandis que dans les lieux où la mer n'occupe plus qu'un petit espace à cause du rapprochement des terres, il faut nécessairement que l'agitation y paraisse considérable, bien qu'elle soit fort petite en haute mer. § 12. La mer qui est en dedans des Colonnes d'Hercule coule à cause de la concavité de la terre et aussi à cause de la multitude des fleuves ; car le Palus Méotide coule dans le Pont, comme celui-ci coule dans la Mer Égée. Mais dans toutes les autres mers en dehors de celles là, le phénomène est beaucoup moins sensible. § 13. S'il est plus apparent dans ces mers, c'est d'abord qu'elles reçoivent beaucoup de fleuves ; car il coule plus de fleuves dans le Pont-Euxin et le Palus Méotide que sur tout autre surface beaucoup plus grande de terre ; et c'est aussi que la profondeur de l'eau y est moindre. En effet, la mer paraît de plus en plus profonde. Le Pont l'est plus que le Palus Méotide, la mer Égée plus que le Pont, la mer de Sicile plus que la mer Égée ; et ce sont la mer de Sicile et la mer de Tyrrhénie qui sont les plus profondes de toutes. § 14. Au contraire, les parties qui sont en dehors des Colonnes sont peu profondes à cause de la boue qui s'y rassemble, et le vent n'y souffle pas, sans doute parce que la mer y est comme dans un fond. § 15. De même donc qu'en particulier les fleuves coulent des lieux hauts, de même aussi en général pour toute la terre, le cours le plus abondant des eaux vient surtout des parties les plus élevées, qui sont au nord. Il en résulte que parmi les mers les unes sont peu profondes à cause du déversement qui s'y produit, mais que les mers extérieures le sont davantage. § 16. Ce qui paraîtrait prouver aussi que les parties hautes de la terre sont bien au nord, c'est que la plupart des anciens météorologistes ont cru que le soleil se retirait non pas sous la terre, mais derrière la terre, en ce lieu où il disparaissait, et faisait la nuit à cause de l'élévation même de la terre dans le nord. § 17. Voilà ce que nous avions à dire pour montrer qu'il n'est pas possible que la mer ait des sources, et comment il se fait qu'elle semble quelquefois couler. [2,2] CHAPITRE II. § 1. (354b) Il faut traiter maintenant de la formation de la mer, si toutefois elle a jamais été formée, et de la cause qui donne à son goût cette salure et cette amertume. § 2. Ce qui a fait que les anciens ont imaginé que la mer est le principe et le corps de la masse des eaux tout entière, le voici : c'est que de même que pour tous les autres éléments, il y a une masse réunie et un principe qui est principe par sa quantité même et dont les parties divisées se modifient et se mêlent au reste des éléments, par exemple la masse du feu étant dans les régions supérieures, celle de l'air venant après la région du feu, et enfin le corps de la terre, autour duquel tous ces éléments sont évidemment placés ; de même il parut fort naturel de croire que les recherches sur l'eau devaient être faites tout à fait dans la même voie. § 3. Or il ne semble pas que pour l'eau, il y ait un corps réuni en masse comme pour les autres éléments, autre que la masse immense de la mer. La masse des fleuves en effet n'est pas réunie ; de plus elle n'est pas stable, et elle semble en quelque sorte se produire tous les jours. § 4. C'est donc en discutant ce doute qu'on a été amené à croire que la mer est le principe de tous les liquides et de l'eau tout entière. C'est là aussi ce qui a fait dire à quelques philosophes que non seulement les fleuves coulaient dans la mer, mais aussi qu'ils découlaient d'elle; car l'eau salée en se filtrant devient potable et douce. A cette théorie, on peut opposer une question qui la détruit, et demander comment il se fait que cet amas d'eau n'est pas potable, s'il est vrai que toute l'eau en vienne, et comment il est salé? La cause de cette question en sera du même coup la solution ; et pour la résoudre, il faut reprendre avec soin la première Opinion qui vient d'être indiquée sur la mer. § 5. L'eau est répandue autour de la terre qu'elle enveloppe, de même qu'autour de l'eau, il y a la sphère de l'air, et autour de l'air, la sphère dite du feu. Cette sphère est le dernier des éléments, suivant les opinions les plus généralement reçues et suivant la nôtre. Le soleil faisant sa révolution de la manière qu'on sait, et ces causes produisant le changement des choses, leur génération et leur destruction, il arrive que la partie la plus légère et la plus douce est enlevée chaque jour, et est portée, divisée et vaporisée dans la région supérieure ; et là, se condensant par le froid, elle est ramenée de nouveau sur la terre. § 6. C'est là ce que la nature se propose toujours de faire, ainsi qu'on l'a dit antérieurement. Aussi, se moque-t-on aujourd'hui de ces anciens philosophes qui croyaient que le soleil se nourrit d'humidité. § 7. Quelques-uns même (355a) soutiennent que c'est là aussi ce qui produit les mouvements du soleil, attendu que les mêmes lieux ne peuvent pas toujours lui fournir sa nourriture ; et que sans ces déplacements indispensables, il courrait risque de périr. § 8. Ainsi le feu que nous voyons ici-bas, ajoutent-ils, vit tant qu'on l'alimente; et l'humide seul peut servir d' aliment au feu ; de même la partie soulevée de l'humide va jusqu'au soleil, ainsi qu'elle se rend par une marche pareille à la flamme qui seul songe à sa propre conservation, et que tous les autres astres négligent la leur, eux qui sont à la fois si nombreux et si immenses. Ces philosophes commettent ici la même erreur que ceux qui prétendent que, dans le principe, la terre elle-même étant liquide et le monde qui l'entoure venant à être échauffé par le soleil, l'air se forma, que le ciel tout entier se développa, et que le soleil causa les vents et commença les révolutions qui lui sont propres. § 9. Mais ici il n'y a point une similitude réelle. La flamme n'est qu'une perpétuelle succession de l'humide et du sec ; elle se produit ; mais elle ne se nourrit pas ; car elle ne reste pas pour ainsi dire un seul instant la même. Mais ceci est tout à fait impossible pour le soleil, puisque nourri de la façon que nos philosophes prétendent, le soleil serait neuf non seulement tous les jours suivant l'opinion d'Héraclite, mais encore il serait à tout instant et continuellement nouveau. § 10. De plus, cette attraction de l'humide par le soleil est semblable à l'eau que le feu échauffe. Puis donc que le feu qui brûle sous cette eau n'est pas nourri par elle, il était naturel de supposer que le soleil ne se nourrit pas davantage, quand même en échauffant l'eau en masse il viendrait à la vaporiser tout entière. § 11. Il est absurde en outre de supposer que le soleil est quantité ; mais il ne paraît pas que l'eau soit utile pour l'entretenir. § 12. Car il est de toute évidence que toujours nous voyons retomber l'eau qui a été élevée. Si ce n'est pas dans l'année même, si ce n'est pas dans le même pays, cependant tout ce qui a été pris revient dans certaines périodes fixes, de telle sorte que les sphères supérieures n'en sont pas nourries, comme on le dit, et que certaine. partie de l'air ne subsiste pas après sa formation, tandis qu'une autre partie retournerait en eau pour se dissoudre ; mais qu'au contraire c'est la massé entière de l'air qui se dissout toujours également et se transforme en eau. § 13. La partie potable et douce est donc enlevée tout entière à cause de sa légèreté ; la partie salée demeure à cause de son poids, mais non point dans le lieu qui lui est propre. C'est du reste avec raison qu'on a élevé des doutes sur ce point, et c'en est bien là la solution ; car il serait peu rationnel (355b) de penser que l'eau n'a pas aussi son lieu comme les autres éléments. En effet, le lieu que nous voyons occupé par la mer est bien plutôt le lieu de l'eau que de la mer elle-même. § 14. Ce qui fait qu'il semble être le lieu de la mer, c'est que la partie salée y demeure à cause de son poids, tandis que la partie douce et potable s'élève à cause de sa légèreté. Il en est de même dans le corps des animaux ; car bien que la nourriture qui y est ingérée soit douce, toutefois le dépôt de la nourriture liquide et l'excrément paraissent amers et salés, parce que la partie douce et potable est attirée dans les chairs par la chaleur naturelle, aussi bien que dans toutes les autres parties, suivant la composition de chacune d'elles. § 15. De même donc que pour le corps des animaux, il serait absurde de croire que l'intestin n'est pas le lieu de la nourriture potable, parce qu'elle y disparaît vite, mais qu'il est le lieu de l'excrément, parce que l'excrément y reste, et que ce serait là se tromper grossièrement, de même aussi dans les faits qui nous occupent. Par conséquent, la mer est bien, comme nous le disons, le lieu de l'eau. § 16. Ce qui fait aussi que tous les fleuves se jettent dans la mer, ainsi que toute l'eau qui existe dans le monde, c'est que l'écoulement a lieu vers la partie la plus creuse ; et c'est la mer qui occupe cette place de la terre. Mais une partie de l'eau est bien vite entièrement enlevée par le soleil ; une autre partie demeure par la cause que j'ai indiquée. § 17. Quant à la vieille question de savoir ce que devient cette prodigieuse masse d'eau, des fleuves innombrables et intarissables s'écoulant chaque jour dans la mer, sans qu'elle en paraisse augmenter, rien d'étonnant qu'on se soit posé cette question; rien de difficile à la résoudre en observant les faits. § 18. Une masse d'eau, soit étendue sur une vaste surface, soit accumulée, ne se dessèche pas en un temps égal ; mais il y a ces différences que tantôt elle demeure le jour tout entier, tandis que d'autres fois, comme l'eau d'une coupe répandue sur une large table, elle vient à disparaître aussi vite que la pensée. § 19. C'est là précisément ce qui arrive aussi pour les fleuves ; comme ils coulent perpétuellement et d'une manière continue, tout ce qui arrive dans un lieu vaste et étendu se dessèche vite et insensiblement. § 20. Mais ce qui est dit des fleuves et de la mer dans le Phédon est absolument impossible. Il y est affirmé en effet que tous les fleuves se réunissent sous la terre et se mêlent les uns aux autres ; que le principe et la source de toutes les eaux, (356a) c'est ce qu'on appelle le Tartare, grande masse d'eau placée au centre et de laquelle proviennent toutes les eaux, tant celles qui courent que celles qui ne courent pas ; que cette masse d'eau fait l'écoulement de chacun des fleuves, parce que ce principe ou cette cause est dans une perpétuelle agitation ; qu'elle n'a pas de situation fixe et qu'elle tourne sans cesse autour du centre ; § 21. que c'est par son mouvement en haut et en bas qu'elle remplit tous les cours d'eau ; qu'il y a des eaux qui sont stagnantes dans bien des lieux, comme la mer que nous voyons sur notre terre, mais que toutes les eaux sont ramenées circulairement à l'origine d'où elles ont commencé à couler, plusieurs y revenant par le même lieu, d'autres y revenant par le lieu opposé à leur effusion, et par exemple revenant d'en haut après être parties d'en bas; que les eaux ne descendent que jusqu'au centre; que le reste de leur course se dirige toujours en haut, et qu'enfin l'eau retient toujours le goût et la couleur de la terre par laquelle elle a passé. § 22. Mais alors les fleuves ne coulent pas toujours de la même façon d'après cette théorie. En effet, puisqu'il retournent vers le centre d'où ils sont sortis, ils ne couleront pas plus d'en haut que d'en bas ; ils couleront uniquement de la partie où le Tartare écumant portera ses flots ; et si cela arrivait, il faudrait alors que, selon le proverbe, les fleuves remontassent leur cours ; ce qui est tout à fait impossible. § 23. De plus, d'où viendra cette eau qui arrive et qui est entraînée tour à tour ? Il faut nécessairement qu'elle soit déplacée tout entière, puisque la masse doit rester toujours égale, et qu'il doit en retourner au principe tout autant qu'il en sort. Cependant nous voyons tous les fleuves qui ne se jettent pas les uns dans les autres, aller finir à la mer. Aucun ne se jette dans la terre ; et si quelques-uns y disparaissent, c'est pour se remontrer bientôt. § 24. Les grands fleuves sont ceux qui coulent longtemps dans une vallée, parce qu'ils y reçoivent beaucoup de cours d'eau et que leur marche se trouve retardée par le lieu et par sa longueur. C'est là ce qui fait que l'Ister et le Nil sont les deux plus grands fleuves qui se jettent dans cette mer. § 25. D'autres auteurs ont donné encore bien d'autres explications sur les sources de chacun des fleuves, qui se réunissent pour ne former qu'un seul cours d'eau. Mais toutes ces explications sont insoutenables, surtout si l'on prétend faire sortir la mer du Tartare. § 26. Nous en avons assez dit pour faire voir que la mer est le lieu de l'eau et non pas de la mer elle-même, pour expliquer comment on ne voit la partie de l'eau qui est potable que sous forme d'eau courante, comment l'autre partie de l'eau stationne, et comment la mer est plutôt la fin que le principe de l'eau, de même que dans les corps organisés l'excrément vient de toute la nourriture et particulièrement de la nourriture liquide. [2,3] CHAPITRE III. § 1. Il faut maintenant traiter de la salure de la mer, et nous demander si la mer est toujours la même, ou bien si à une certaine époque elle n'existait pas, et si à une autre époque elle ne cessera point d'exister, opinion que soutiennent quelques philosophes. § 2. D'abord un point sur lequel tous sont d'accord, c'est que la mer a eu un commencement, si l'on admet que le monde entier a commencé ; car tous semblent reconnaître qu'elle a dû être formée en même temps que le monde ; et la conséquence évidente de ceci, c'est que si le monde est éternel, il faut croire que la mer l'est tout aussi bien que lui. µ § 3. Mais s'imaginer, comme le fait Démocrite, que la mer diminue sans cesse de quantité et qu'à la fin elle disparaîtra, c'est là une opinion qui paraît tout à fait à la hauteur des fables d'Ésope. Car c'est ainsi qu'Ésope nous raconte que Charybde ayant deux fois englouti les eaux dans son gouffre, d'abord fit apparaître les montagnes, puis ensuite les îles, et qu'à la fin elle desséchera la terre tout entière par une troisième absorption. § 4. Il convenait parfaitement au fabuliste de nous débiter ce conte pour se venger du nocher contre lequel il était irrité ; mais ce procédé convient moins à ceux qui cherchent la vérité; car quelle que soit la cause qui dans le principe a fait demeurer la mer telle qu'elle est, soit le poids de ses eaux, comme quelques-uns le soutiennent, explication qui se présente tout d'abord pour peu que l'on observe, soit toute autre, il est évident que la même loi doit nécessairement être cause que la mer demeurera de la même manière pendant tout le reste des temps. § 5. De deux choses l'une en effet : ou bien il faut soutenir que l'eau enlevée par le soleil ne reviendra pas sur la terre ; ou si elle revient, il faut reconnaître nécessairement que ce phénomène aura lieu toujours, ou du moins jusqu'à ce que la mer ait diminué de cette quantité, et que la portion potable qui a été antérieurement enlevée reviendra aussi de nouveau. Ainsi la mer ne se dessèche jamais ; car cette partie qui s'est d'abord en allée, se hâtera de redescendre en masse égale; et ce qu'on dit pour une fois seulement se répété évidemment autant de fois qu'on voudra. § 6. Que si l'on prétend arrêter le soleil dans sa course, quel sera dès lors le corps qui desséchera la mer? Mais si on le laisse poursuivre sa révolution circulaire, il est clair, comme nous l'avons exposé, qu'en s'approchant il enlèvera toujours la partie potable, et qu'on s'éloignant il la laissera retomber de nouveau. § 7. Ce qui peut avoir donné naissance à cette opinion sur la mer, c'est qu'on a pu observer que bien des lieux sont aujourd'hui plus secs qu'ils ne l'étaient jadis. Mais nous avons dit quelle est la cause de ce phénomène, et qu'une abondance excessive d'eau survenant à certaines époques, ce n'était là qu'une modification de l'eau et de ses parties, et non pas du tout un changement dans la masse totale qu'elle forme. § 8. Puis ensuite il arrivera tout le contraire ; et (357a) après que l'eau se sera produite, elle se desséchera de nouveau, de telle façon que nécessairement le phénomène se répète en un cercle perpétuel. C'est qu'en effet il est plus rationnel de supposer que les choses se passent ainsi, plutôt que de croire que c'est le ciel entier qui vient à être bouleversé par ces phénomènes. Mais vraiment déjà notre discussion s'est arrêtée sur ces points plus longtemps qu'ils ne le méritent. § 9. Quant à la salure de la mer, ceux qui la font naître tout d'un coup, et d'une manière générale ceux qui la font naître, sont dans l'impossibilité d'expliquer comment la mer est salée. En effet, soit que de toute l'eau répandue sur la terre et enlevée par le soleil, ce qui reste soit devenu la mer, soit qu'il y ait eu dans cette masse énorme d'eau, qui d'abord était douce, un suc particulier qui vint du mélange d'une terre ayant ce goût, il n'est pas moins certain que la mer a dû être salée dès le principe, l'eau vaporisée revenant ensuite et en quantité égale. Ou bien, si la mer n'a pas été salée dès le principe, elle n'a pas pu l'être plus tard davantage. § 10. Or, si elle l'était également dès l'origine, il reste toujours à en dire la cause, et en même temps à expliquer, si alors elle n'a pas été vaporisée aussi, comment il se fait qu'elle n'éprouve plus aujourd'hui la même action. De plus, quand on attribue la salure de la mer à la terre qui y est mêlée, ou parce que, dit-on, la terre a des saveurs de tous genres, et qu'apportée par les fleuves dans la mer elle la rend salée en s'y mêlant, quand, dis-je, on soutient cette opinion, on devrait bien voir qu'il est alors impossible de comprendre que les fleuves ne soient pas salés comme la mer. § 11. Comment serait-il possible en effet que dans une grande masse d'eau le mélange de cette terre fût si parfaitement sensible, et qu'il ne le fût pas dans chaque partie de cette même eau ? Car, évidemment, la mer n'est que toute l'eau fluviale ; elle ne diffère absolument des fleuves qu'en ce qu'elle est salée, et cette salure n'affecte les fleuves que dans le lieu où tous se réunissent en masse. § 12. Il n'est pas moins ridicule de s'imaginer qu'on dise quelque chose de clair, en soutenant, comme Empédocle, que la mer est la sueur de la terre. En poésie, des explications de cette sorte peuvent bien sembler suffisantes ; car la métaphore est éminemment poétique ; mais elles sont évidemment insuffisantes pour faire connaître la nature. § 13. On ne fait pas même voir, par cette théorie, comment d'une boisson douce provient une sueur salée, et si c'est seulement par la disparition de la partie la plus douce, ou si c'est par le mélange de quelque autre corps, comme il arrive pour les eaux qui ont filtré dans la cendre. La cause paraît être ici tout à fait la même que pour la sécrétion qui se forme dans la vessie ; elle est amère et salée, bien que la boisson ingérée et le liquide qui se trouve dans les aliments, (357b) soient doux. § 14. Si donc, de même que l'eau filtrée dans la cendre devient amère, de même les deux matières le deviennent aussi, l'urine, parce qu'elle reçoit, par le mouvement descendant des liquides et par leur agglomération, une propriété analogue à celle de la saumure qui se dépose au fond des vases, et la sueur, cette même propriété, qui est extraite des chairs, comme si l'humide qui sort entraînait hors du corps quelque chose de pareil en le lavant, il est clair aussi que la portion de terre qui vient se mêler au liquide est cause de la salure de la mer. § 15. Dans le corps, cette matière n'est que le résidu de la nourriture qui n'a pas été digérée. Mais il reste à dire comment elle se trouve dans la terre. § 16. D'abord, et d'une manière générale, comment est-il possible que, de la terre desséchée et échauffée, une si grande masse d'eau ait pu être sécrétée? Car il faudrait que ce ne fût qu'une très petite partie de ce qui a été laissé dans la terre. De plus, pourquoi aujourd'hui lorsque la terre vient à se dessécher, soit en grand soit en petit, ne sue-t-elle pas encore? Car l'humidité et la sueur sont toujours amères ; et si la terre suait jadis, il faudrait qu'elle suât encore aujourd'hui. § 17. Or ce n'est pas là du tout ce qu'on observe. Quand la terre est sèche, elle s'humidifie ; et quand elle est humide, elle n'éprouve rien de pareil. Comment est-il donc possible qu'à l'époque de la première formation, la terre étant humide, elle soit venue à suer lorsqu'elle a séché? § 18. Il est beaucoup plus probable, comme quelques-uns le soutiennent, que la plus grande partie de l'humide ayant disparu et étant vaporisée par le soleil, ce qui resta fut la mer ; mais il est impossible que là terre sue quand elle est humide. § 19. Ainsi donc tout ce qu'on a dit sur la salure de la mer semble aller tout à fait au rebours de la raison ; mais pour nous, nous traiterons cette question en reprenant le même principe qu'au début. § 20. Nous avons établi que l'exhalaison est double, l'une humide, l'autre sèche ; et l'on doit évidemment penser que tel est aussi le principe de ces phénomènes. C'est de là encore que nous partirons pour résoudre cette question qu'il nous faut nécessairement discuter avant tout, à savoir si la mer subsiste en gardant ses parties toujours les mêmes en nombre, ou bien si ses parties sont dans un continuel changement d'espèce et de quantité, comme le sont les parties de l'air, de l'eau potable et du feu. § 21. Chacun de ces éléments en effet change perpétuellement ; mais l'espèce de la masse totale de chacun subsiste, comme le flux des eaux qui coulent et le flux de la flamme. Or il est évident et l'on doit parfaitement admettre qu'il est impossible que la loi de tous ces éléments ne soit pas la même. Évidemment ils ne diffèrent que par la lenteur ou la rapidité (358a) du changement ; mais il y a pour tous production et destruction, et le changement s'applique régulièrement à tous sans exception. § 22. Ceci posé, il faut essayer d'expliquer aussi la salure de la mer. Il est clair d'après beaucoup d'indices que ce goût doit provenir du mélange d'une certaine matière. Ainsi dans les corps, la partie la moins digérée est salée et amère, comme nous l'avons dit, et c'est la sécrétion de la nourriture liquide qui est la moins digérée ; or, tout résidu a cette qualité ; mais c'est surtout celui qui se fait dans la vessie. § 23. La preuve, c'est que ce résidu est très léger, tandis que toutes les choses cuites s'épaississent naturellement. Le résidu qui est ensuite le plus léger, c'est la sueur; et dans tous les cas, c'est le même corps sécrété qui produit ce goût de salure. Il en est de même dans les objets qui sont brûlés ; car la partie que ne consume pas la chaleur, devient ici le résidu dans les corps organisés, et là de la cendre, dans les substances brûlées. § 24. C'est là ce qui a porté quelques philosophes à faire venir la mer de la combustion de la terre. Il est absurde de s'exprimer ainsi ; mais il est bien vrai que la salure de la mer vient réellement de cette espèce de terre. Ce qui se passe en effet dans les cas que nous venons de citer, doit se passer aussi pour le monde entier ; et d'après ce qu'on voit pour les phénomènes que la nature produit et qui s'accomplissent suivant la nature, il faut croire que, de même que pour les corps comburés le résidu est une terre de ce genre, de même aussi pour l'exhalaison totale dans l'exhalaison sèche. § 25. C'est elle en effet qui fournit également la plus grande partie de cette masse immense. Or, l'exhalaison humide et l'exhalaison sèche venant à se mêler, ainsi que nous l'avons dit, lorsqu'elles se changent en nuages et en eau, il faut nécessairement qu'elles renferment en elles quelque partie de cette propriété. Alors cette propriété se trouve transportée dans les pluies, et descend avec elles ; et tous ces phénomènes se passent suivant un certain ordre, autant du moins que l'ordre peut intervenir dans ces faits-là. voilà donc quelle est l'origine de la salure dans l'eau de la mer. § 26. C'est là aussi ce qui fait que les pluies du sud et les premières pluies d'automne sont plus salées; car le vent du sud, par son étendue et sa force, est le vent le plus brûlant ; il souffle de lieux secs et chauds, et par conséquent avec peu de vapeur, ce qui le rend chaud également. § 27. Car bien qu'il ne soit pas tel de sa nature, et qu'il soit froid là où il commence à souiller, néanmoins à mesure qu'il s'avance, comme il ramasse avec lui une grande quantité d'exhalaison sèche des lieux voisins, il devient chaud. Le vent du nord qui souffle de lieux humides est chargé de vapeurs, ce qui le rend froid ; mais parce qu'il repousse les nuages, il est serein dans ces lieux, tandis qu'il amène la pluie dans les lieux contraires. C'est de même aussi que le vent du midi est très serein dans les contrées de la Libye. § 28. Il y a donc beaucoup de cette substance dans la pluie qui tombe, et les eaux de l'automne sont salées ; car il faut nécessairement que les parties les plus lourdes tombent les premières, de sorte que celles où il y a une forte quantité de cette espèce de terre, tombent aussi le plus vite. § 29. C'est là en outre ce qui fait que la mer est chaude; car tous les corps qui ont été comburés recèlent en eux de la chaleur en puissance. On peut vérifier ceci sur la poussière, sur la cendre et sur l'excrétion des animaux, sèche ou humide ; et l'excrétion des animaux dont l'estomac est le plus chaud, est aussi la plus chaude. § 30. C'est encore par cette cause que la mer devient toujours plus salée. Avec l'eau douce, une certaine partie de la mer est sans cesse enlevée ; mais cette partie est d'autant plus petite que dans la pluie la portion salée et amère est moindre que la portion douce ; et c'est ce qui fait qu'en somme il s'établit toujours une sorte d'égalité. § 31. C'est d'après l'expérience que nous soutenons qu'en se vaporisant l'eau devient potable, et que la partie vaporisée ne se résout pas en eau de mer lorsqu'elle se condense de nouveau. Il y a bien d'autres phénomènes du même genre. Ainsi le vin et toutes les autres liqueurs, lorsque après s'être vaporisés ils redeviennent liquides, sont de l'eau ; car toutes ces substances ne sont que des modifications de l'eau produites par un certain mélange ; et quelle que soit la chose ainsi mélangée, elle donne au résultat son goût particulier. § 32. Du reste, nous reviendrons sur ce sujet dans une occasion qui sera plus convenable. Qu'il nous suffise de dire ici qu'une fois la mer étant telle qu'elle est, il y a toujours une partie enlevée en haut qui devient potable, et qui, après s'être modifiée en une autre substance, retombe d'en haut sous forme de pluie, qui n'est plus ce qui a été d'abord enlevé, et que cette substance, par sa pesanteur, reste placée en dessous de la partie potable. § 33. C'est là ce qui fait que la mer ne disparaît jamais non plus que les fleuves, si ce n'est dans certains lieux particuliers ; et ce déplacement doit nécessairement arriver pour la mer aussi bien que pour la terre ; car les parties de la terre, ni celles de la mer ne restent pas toujours dans le même état. Mais c'est seulement la masse totale de l'une et de l'autre qui demeure ; et c'est là ce qu'il faut également supposer pour la terre. § 34. Ainsi donc, telle partie de la mer s'élève, telle autre au contraire redescend avec la pluie ; et les substances qui surnagent à la surface et celles qui s'enfoncent de nouveau, changent sans cesse réciproquement de place. § 35. Ce qui prouve bien que la salure de la mer tient à la mixtion de quelque substance, c'est tout ce que nous venons de dire d'abord, et ensuite l'expérience suivante. Si l'on place dans la mer un vase de cire modelé à cet usage, en en bouchant l'ouverture avec des matières que la mer ne puisse pénétrer, ce qui passe au travers des cloisons de la cire est de l'eau potable. § 36. La partie terreuse est repoussée comme par un crible, ainsi que ce qui par son mélange doit produire la salure. C'est cette partie aussi qui fait le poids et l'épaisseur de l'eau de mer, laquelle est plus lourde que l'eau bonne à boire. § 37. Son épaisseur est assez considérable pour que des navires qui, avec le même poids de chargement, sont presque submergés dans les fleuves, n'ont, une fois sur mer, que le chargement convenable pour bien naviguer. Aussi l'ignorance de ce fait a-t-elle souvent causé bien des dommages, parce que des navires étaient trop pleins en arrivant dans les fleuves. § 38. Ce qui prouve bien que l'épaississement de la mer tient au mélange de quelque substance particulière, c'est l'expérience qui suit. Si l'on rend de l'eau saumâtre en y mêlant beaucoup de sel, on voit que les oeufs peuvent y surnager quoiqu'ils soient pleins ; car l'eau alors devient une espèce de boue. La mer a, dans sa masse, quelque chose d' également corporel ; et c'est là aussi ce qu'on fait dans les saumures. § 39. S'il est vrai, comme quelques-uns le racontent, qu'il y a dans la Palestine un lac de telle nature que si l'on y jette un animal ou un homme garrotté, il y surnage et ne s'enfonce pas sous l'eau, ce serait un témoignage de plus de ce que nous disons ici; car on assure que l'eau de ce lac est tellement amère et tellement salée qu'aucun poisson n'y peut vivre, et qu'il suffit d'y agiter les vêtements en les y trempant pour les nettoyer. § 40. Tous ces faits ne font que confirmer ce que nous avons avancé en disant que c'est un corps spécial qui produit la salure, et que le principe qui compose ce corps est terreux. § 41. Ainsi, dans la Chaonie, il y a une source d'eau assez fortement salée qui s'écoule dans un fleuve voisin, dont l'eau est douce, mais qui n'a pas de poissons. Les habitants du lieu, comme leurs descendants le rapportent, préférèrent que la source leur produisit du sel plutôt que des poissons, quand Hercule, revenant de conduire les boeufs d'Érysthée, leur permit de choisir l'un ou l'autre. En effet, il suffit de faire chauffer cette eau et de la laisser reposer pour qu'après qu'elle est refroidie, et que la partie liquide s'est évaporée avec la chaleur, il se forme du sel, qui n'est point. compact, mais qui est mou et léger comme de la neige. § 42. Ces sels sont plus faibles que les autres ; car il en faut une plus grande quantité pour saler, et ils n'ont pas une couleur aussi blanche. § 43. Il se présente un autre fait de ce genre dans l'Ombrie. (359b) En effet, il s'y trouve un lieu où poussent une sorte de roseau et de jonc, que l'on brûle et dont on jette la cendre dans l'eau qu'on fait bouillir ; lorsqu'elle est bien réduite par le feu, elle donne une quantité de sel assez notable. § 44. Tous les cours d'eau de fleuves ou de sources qui sont salés, ont dû, pour la plupart, être chauds autrefois, selon toute probabilité ; puis ensuite le principe du feu s'est éteint ; mais la terre au travers de laquelle ils filtrent est comme de la poussière et de la cendre. § 45. Il y a dans bien des endroits des sources et des cours d'eau qui ont toute espèce de goûts ; et il faut pour toutes en rapporter la cause à la force du feu qui y est ou qui y a été. Car la terre, selon qu'elle est plus ou moins brûlée, prend toutes les couleurs et toute sorte de goûts. § 46. La terre en effet s'imprègne des qualités de l'alun, de la chaux et de bien des corps semblables ; ces qualités diverses changent la nature des eaux douces qui les traversent en filtrant, et les rendent acides comme dans la Sicanie de Sicile. Il se forme en effet dans ce lieu une saumure dont on se sert en guise de vinaigre pour certains mets. § 47. Il y a encore une source d'eau acide près de Lyncus ; et en Scythie on a trouvé une source saumâtre ; l'eau qui s'en écoule donne de l'amertume à tout le fleuve dans lequel elle se jette. Ces causes de la différence des eaux sont parfaitement évidentes. Mais nous avons traité dans un autre ouvrage spécial des différents goûts qui se forment suivant les différents mélanges. § 48. Voilà donc à peu près tout ce que nous avions à dire sur les eaux, et sur la mer, pour faire connaître par quelles causes elles se maintiennent telles qu'elles sont, ou viennent à changer. Nous avons expliqué aussi quelle en est la nature, et nous avons dit quels sont les phénomènes naturels qu'elles produisent ou qu'elles souffrent. [2,4] CHAPITRE IV. § 1. Parlons des vents en partant de ce principe que nous avons antérieurement énoncé, à savoir qu'il y a, ainsi que nous le disions, deux espèces d'exhalaisons : l'une humide, et l'autre sèche. La première est appelée vapeur ; l'autre dans sa totalité n'a pas reçu de nom. Mais en considérant les phénomènes particuliers, il sera nécessaire de l'appeler d'une manière générale une sorte de fumée. § 2. L'humide n'existe point sans le sec, ni le sec sans l'humide. Tous ces termes s'adressent d'ailleurs à l'état le plus élevé du phénomène. § 3. Le soleil marche circulairement, et quand il s'approche de la terre, il attire par sa chaleur l'humidité; mais quand il s'éloigne, la vapeur qui a été enlevée se condense derechef en eau par le refroidissement. Aussi y a-t-il plus de pluie en hiver qu'en été, plus dans la nuit que dans le jour. Mais on ne s'en aperçoit pas, parce qu'on remarque moins les pluies nocturnes que les pluies qui ont lieu dans le jour. L'eau qui tombe se répartit et filtre tout entière dans la terre. § 4. Or il y a dans la terre beaucoup de feu et une grande chaleur ; et le soleil attire, non seulement l'humide qui est à la surface, mais aussi il dessèche par sa chaleur la terre elle même. § 5. Or l'exhalaison étant double, ainsi que je viens de le dire, l'une de vapeur, l'autre de fumée, il faut nécessairement que les deux se produisent. De ces deux exhalaisons, l'une qui a plus d'humide est l'origine de l'eau qui tombe en pluie, comme on l'a vu plus haut ; l'autre qui est sèche est le principe et l'élément naturel de tous les vents. § 6. On peut voir par l'observation même des faits qu'il faut nécessairement que les choses se passent ainsi. D'abord il faut de toute nécessité que l'exhalaison diffère ; et de plus, le soleil et la chaleur qui est dans la terre peuvent non seulement produire tous ces phénomènes, mais doivent nécessairement les produire. § 7. Puisque l'espèce de l'une et de l'autre exhalaison est distincte, il faut qu'elles diffèrent ; et la nature du vent et celle de l'eau de pluie ne sont pas identiques, comme quelques-uns l'affirment, en soutenant que c'est le même air qui, en mouvement, est le vent, et qui, en se condensant de nouveau, fait la pluie. § 8. Ainsi l'air, comme nous l'avons dit dans nos recherches antérieures à celle-ci, se forme de ces divers éléments. La vapeur est humide et froide. D'abord il est facile de comprendre qu'elle soit humide, puisque venant de l'eau, elle est froide par sa propre nature, comme l'est aussi l'eau non échauffée. Quant à la fumée, elle est chaude et sèche. Ainsi donc l'air est composé de deux parties qui, en quelque sorte, se rejoignent; et il est à la fois humide et chaud. § 9. Mais il est absurde de supposer que cet air répandu autour de chacun de nous est du vent quand il est agité, et qu'il y a du vent selon le côté d'où il se trouve mis en mouvement, au lieu de croire qu'il en est ici comme pour les fleuves. Ainsi de même que nous n'admettons pas qu'il y ait fleuve par cela seul qu'il y a de l'eau qui coule, même en grande quantité, mais qu'il faut en outre que cette eau qui coule vienne d'une source, de même aussi pour les vents, puisqu'une grande quantité d'air qui n'a ni principe ni source pourrait recevoir un mouvement par une puissante impulsion. § 10. Le faits témoignent de la vérité de cette théorie. Comme il y a perpétuellement une exhalaison plus ou moins forte, plus ou moins grande, (360b) il y a perpétuellement aussi dans chaque saison des nuages et des vents, selon des changements naturels. Mais comme parfois c'est l'exhalaison vaporeuse qui est plus considérable, parfois la sèche et la fumeuse, il en résulte que les années sont tantôt pluvieuses et humides, et tantôt venteuses et sèches. § 11. Il arrive donc quelquefois que les sécheresses et les pluies sont tout ensemble abondantes et répandues dans toute la continuité d'un pays ; parfois elles n'ont lieu que dans des parties seulement ; souvent une contrée reçoit tout alentour les pluies ordinaires de la saison ou même davantage ; et pourtant dans une de ses parties, il y a sécheresse. § 12. Souvent au contraire, toute la contrée environnante n'ayant reçu que peu de pluie, ou plutôt même étant à sec, il arrive que telle partie reçoit à elle seule une masse d'eau considérable. En voici la cause : il semble bien en effet qu'un même phénomène devrait affecter d'ordinaire la plus grande partie du pays, puisque les lieux qui se touchent sont dans une même position par rapport au soleil ; mais c'est qu'ils ont quelque différence spéciale. § 13. Parfois cependant c'est dans cette partie même que l'exhalaison sèche a été la plus considérable, tandis que l'exhalaison vaporeuse l'était davantage dans une autre ; ou bien, à l'inverse. § 14. Ce qui peut encore produire ce phénomène, c'est que l'une et l'autre exhalaison tombent, en se déplaçant, sur l'exhalaison de la région qui est contiguë ; et par exemple l'exhalaison sèche s'écoule dans la région qui lui est propre, tandis que l'humidité s'écoule vers la région voisine ; ou bien même elle est poussée par les vents dans quelque place éloignée. Parfois l'une des exhalaisons demeure en place, et l'exhalaison contraire en fait autant. § 15. Cela se répète plusieurs fois ; et de même que pour le corps, la cavité supérieure étant sèche, celle d'en bas est dans un état contraire, ou celle-ci étant sèche, celle d'en haut est humide et froide, de même les exhalaisons se permutent et changent de place. § 16. On peut remarquer encore qu'après les pluies, le vent souille le plus souvent dans les lieux où tombe la pluie, et que les vents cessent dès que la pluie vient à tomber. § 17. Ces phénomènes se produisent nécessairement d'après les principes qui viennent d'être indiqués. Ainsi, quand il a plu, la terre, séchée par la chaleur qui est en elle et par la chaleur qui vient d'en haut, transpire des vapeurs, c'est là le corps du vent; et quand cette sécrétion a lieu, les vents soufflent. Puis quand ils cessent parce que la chaleur, qui se sécrète toujours, est portée dans la région supérieure, la vapeur refroidie se condense et devient de l'eau. § 18. (361a) Lorsque les nuages sont rassemblés dans un même lieu, et que le froid environnant les pénètre, l'eau se forme et refroidit l'exhalaison sèche. Ainsi les pluies en tombant abattent les vents; et quand les vents s'apaisent, les pluies se produisent par des causes semblables. § 19. C'est encore cette même cause qui fait que les vents viennent le plus souvent du plein nord et du midi, parce qu'en effet la plupart des vents viennent de l'un ou l'autre point. § 20. C'est que ce sont là les seuls lieux que le soleil ne parcourt pas ; mais il s'en approche ou il s'en éloigne, toujours porté vers le couchant ou vers l'orient. Aussi les nuages se forment sur les côtés ; et quand le soleil s'approche il y a évaporation de l'humide ; et quand il s'éloigne vers le lieu contraire, il y a des pluies et des frimas. § 21. C'est par le mouvement qui porte le soleil vers les Tropiques, et qui l'en écarte, que se forment l'été et l'hiver ; et que l'eau est enlevée en haut et revient ensuite. § 22. Comme il tombe la plus grande quantité de pluie dans les lieux vers lesquels marche le soleil et desquels il s'éloigne, c'est-à-dire le nord et le sud, il faut nécessairement que là où la terre reçoit le plus d'eau, là aussi l'exhalaison soit la plus considérable, à peu près comme il sort plus de fumée des bois verts. Or, comme cette exhalaison même est le vent, il est tout naturel que ce soit aussi de là que soufflent les vents les plus fréquents et les plus forts. § 23. On appelle ceux qui viennent du nord des aquilons, et ceux qui viennent du midi, des austers. Leur direction est oblique ; car ils soufflent autour de la terre, tandis que l'exhalaison se produit en ligne droite, parce que tout l'air circulaire suit en masse cette direction. § 24. C'est là ce qui fait qu'on peut être en doute sur l'origine des vents et se demander si c'est d'en haut ou d'en bas qu'ils viennent ; car le mouvement vient d'en haut, et il a lieu avant qu'ils ne soufflent ; l'air alors s'éclaircit, s'il y a des nuages ou du brouillard. Cela prouve en effet que le principe du vent est mis en mouvement avant même que le vent proprement dit ne soit parfaitement sensible, comme si les vents tiraient leur origine d'en haut. § 25. Mais comme le vent n'est qu'une certaine quantité de l'exhalaison sortie de la terre sèche, et qui se meut autour de la terre, il est évident que le principe du mouvement vient d'en haut, et que celui de la matière du vent et de sa génération vient d'en bas ; car là où s'écoulera ce qui s'élève, de là viendra la cause, puisque c'est la révolution des matières plus éloignées qui domine la terre. Mais en même temps le mouvement d'ascension d'en bas se fait en ligne droite ; et toute chose a d'autant plus de force qu'elle est plus proche; mais évidemment le principe de la génération des vents (361b) vient de la terre. § 26. On peut du reste se convaincre par l'observation des faits que les vents se forment de plusieurs exhalaisons réunies peu à peu, de même que les sources des fleuves se forment par les suintements de la terre ; car à leur point de départ les vents sont toujours les plus faibles ; mais à mesure qu'ils avancent en prolongeant leur course, ils soufflent avec plus d'éclat et de force. § 27. De plus les régions septentrionales sont en hiver calmes et sans aucun vent sur les lieux mêmes ; mais le vent qui en souffle d'abord faiblement et sans qu'on le sente, à mesure qu'il s'avance en dehors de ces lieux devient un vent de plus en plus éclatant et sensible. § 28. Nous avons donc expliqué quelle est la nature du vent, et comment il se forme ; nous avons parlé des sécheresses et des inondations de pluies. Nous avons dit encore pourquoi les vents s'apaisent et se forment après les pluies, et pourquoi la plupart des vents sont ou du nord ou du midi ; enfin nous avons traité de leur marche. [2,5] CHAPITRE V. § 1. Le soleil apaise tout à la fois les vents et les fait lever. Ainsi il dissipe les exhalaisons qui sont faibles et peu nombreuses, et il dissout par la chaleur plus forte qu'il possède, la chaleur moindre qui est dans l'exhalaison. De plus, en desséchant la terre, il prévient la sécrétion avant qu'elle ne s'accumule, de même que, si dans un feu violent on jette une petite quantité de combustible, il peut souvent y être consumé avant de faire la moindre fumée. § 2. C'est donc par ces causes que le soleil abat les vents, et qu'il les empêche de se former, les abattant parce qu'il consume l'exhalaison, et les empêchant de se former par la rapidité de la dessiccation. C'est là ce qui fait qu'il y a absence de vent d'ordinaire au lever d'Orion, et jusqu'à l'époque des vents étésiens et des précessions. § 3. En général, les calmes tiennent à deux causes : ou bien c'est que l'exhalaison est éteinte par le froid, comme lorsqu'il y a une forte gelée, ou bien c'est qu'elle est dissipée par la chaleur. La plupart des calmes ont lieu dans les saisons intermédiaires, soit que l'exhalaison ne soit pas encore formée, soit que l'exhalaison qui s'est faite soit déjà dissipée, et qu'une autre ne soit pas encore venue prendre sa place. § 4. Mais Orion, quand il se couche, comme lorsqu'il se lève, semble être incertain et défavorable, parce que sa disparition ou son apparition tombe à l'époque du changement de saison, soit en été, soit en hiver ; et la grandeur de l'astre fait que cette indécision dure plusieurs jours. Mais les changements en toutes choses sont accompagnés de désordres, à cause de leur indétermination. § 5. Les vents étésiens soufflent après les solstices et le lever du Chien ; et ils ne soufflent point autant, ni lorsque le soleil (362a) est le plus rapproché ni lorsqu'il est le plus éloigné de nous. Ils soufflent le jour et s'apaisent la nuit ; et la cause en est que le soleil, lorsqu'il est proche, sèche rapidement l'exhalaison avant même qu'elle ne se forme. § 6. Mais pour peu qu'il s'éloigne, la chaleur et l'exhalaison deviennent alors modérées, de sorte que les matières coagulées se liquéfient, et que la terre desséchée, et par sa chaleur propre et par celle du soleil, fume et s'évapore ; à la nuit ils tombent, parce que les coagulations cessent de fondre à cause du froid des nuits. Or, un corps coagulé et tout corps qui n'a pas quelque chose de sec, ne s'évapore pas; mais lorsqu'un corps sec a de l'humidité, il s'échauffe et se vaporise. § 7. Quelques-uns se sont demandé pourquoi les vents du nord sont continus, ceux du moins que nous appelons étésiens, après le solstice d'été, et pourquoi les vents du midi ne le sont pas de même, après le solstice d'hiver. Il n'y a rien là qui ne soit parfaitement explicable. Les vents qu'on appelle les vents blancs du midi (sud-sud- ouest) viennent bien dans la saison opposée. Mais ils ne sont pas aussi continus ; et dès lors comme on les sent à peine, c'est ce qui peut donner lieu au doute. § 8. La cause en est que le vent du nord souffle des contrées placées sous la grande Ourse, lesquelles sont pleines d'eau et d'une masse de neige; et quand ces masses sont fondues par le soleil, les vents étésiens soufflent plus violemment après les solstices d'été qu'à l'époque même du solstice. C'est aussi de cette même façon que se manifestent les fortes chaleurs, qui ont lieu non pas lorsque le soleil est le plus rapproché du nord, mais lorsqu'il y a plus de temps qu'il échauffe et qu'il en est encore assez proche. § 9. C'est encore par la même cause que les vents Ornithies soufflent après le solstice d'hiver ; car ces espèces de vents ne sont que des étésiens affaiblis ; or ils soufflent plus tard et moins fort que les vents étésiens ordinaires. Ce n'est que le soixante- dixième jour qu'ils commencent à souffler, parce que le soleil qui est alors éloigné a moins de force. S'ils ne soufflent pas non plus d'une manière continue, c'est que les matières qui sont à la surface et qui sont faibles, sont plus dissoutes, et que les matières qui sont alors coagulées ont besoin de plus de chaleur pour se fondre. Aussi ne soufflent-ils que par intervalles, jusqu'à ce que de nouveau les vents étésiens ordinaires soufflent au solstice d'été ; car c'est surtout à partir de cette époque que le vent souffle sans aucune interruption. § 10. Le vent du midi souffle du solstice d'été ; mais il ne vient pas de l'autre pôle; car on peut faire deux sections de la terre habitable, l'une tournée vers le pôle supérieur qui est le nôtre, la seconde vers l'autre pôle et vers le midi, et qui a la forme d'un tambour. (362b) Les lignes menées du centre de la terre lui donnent cette figure en la coupant, et forment deux cônes, dont l'un a pour base le tropique, et dont l'autre a pour base la ligne qui est constamment visible, leur sommet étant au centre de la terre. § 11. Tout de même vers le pôle inférieur, deux autres cônes forment les sections de la terre. Ce sont les seules parties qui puissent être habitées, et elles ne sont pas au- delà des tropiques ; car l'ombre ne serait plus tournée vers le nord ; et maintenant ces lieux deviennent inhabitables, avant même que l'ombre ne manque ou ne tourne au midi. Du reste, c'est le froid qui rend inhabitables les régions placées sous la grande Ourse. § 12. La Couronne va aussi jusque dans ce lieu ; car elle semble être au-dessus de nos tètes, quand elle est dans le cercle méridien. § 13. C'est pourquoi les dessins qu'on fait aujourd'hui des grandes régions de la terre sont vraiment ridicules. On représente la partie de la terre habitée comme ronde ; et cela est impossible, et d'après les faits observés et d'après le simple raisonnement. La raison démontre que la partie habitable est limitée en latitude, et cette partie peut être regardée comme circulaire par la température mélangée qui y règne. En effet la chaleur et le froid ne sont pas excessifs en longitude ; mais ils le sont en latitude, de sorte qu'on peut la parcourir tout entière en ce premier sens, si l'immensité de la mer n'en empêche pas quelque part. C'est ce que prouvent les faits observés dans les voyages par mer et par terre. § 14. La longitude en effet l'emporte de beaucoup en longueur sur la latitude ; et la ligne qui s'étend des colonnes d'Hercule jusqu'à l'Inde, est en longueur dans la proportion de plus de cinq à trois relativement à la ligne qui va de l'Éthiopie au Palus Méotide et aux dernières contrées de la Scythie, si l'on calcule les navigations et les voyages terrestres, avec la sorte d'exactitude que comportent les faits de ce genre. § 15. Cependant nous savons qu'en latitude nous connaissons la terre habitable jusqu'aux parties qui ne le sont plus. D'une part, elle ne peut être habitée à cause du froid ; et d'autre part, à cause de la chaleur. Mais les parties qui sont en dehors de l'Inde et des Colonnes d'Hercule ne semblent pas, à cause de la mer, pouvoir se rejoindre de telle sorte que toute la terre habitable soit absolument continue. § 16. Il n'en est pas moins nécessaire qu'il y ait un certain lieu qui soit, par rapport à l'autre pôle, comme le lieu que nous habitons est par rapport au pôle qui est au dessus de nous; et il est évident que la situation des vents, ainsi que tout le reste, y sera déterminée d'une manière analogue. Ainsi, de même qu'il y a ici un vent du nord, de même il doit y avoir pour ces lieux aussi un certain vent qui vient de l'Ourse, qui y est aussi placée; mais ce vent ne peut venir jusqu'ici, puisque notre vent du nord ne parcourt même pas toute la partie de la terre (363a) habitable où nous sommes. § 17. Le vent du nord en effet est comme une émanation locale (jusqu'à ce que l'aquilon souffle sur la partie de la terre que nous habitons ). Mais comme cette partie de la terre habitable est située vers le nord, ce sont presque toujours les vents du nord qui y soufflent. § 18. Et pourtant, même dans cette région, le vent du nord faiblit et ne peut pas aller bien loin, puisque dans la mer méridionale, qui est en dehors de la Libye, soufflent toujours, en se succédant sans cesse les uns aux autres, les vents d'est et les vents d'ouest, comme soufflent pour nous les vents du nord et les vents du sud. § 19. Il est donc évident que notre vent du midi n'est pas le vent qui souffle de l'autre pôle; et si le vent du sud n'est pas ce vent-là, ce n'est pas non plus celui qui souffle du solstice d'hiver ; car il faudrait qu'il y en eût un autre qui soufflât du solstice d'été, ce qui rétablirait alors l' équilibre ; mais il n'en est point ainsi. Il n'y a en effet qu'un seul vent évidemment qui souffle de ces lieux, de sorte qu'il faut nécessairement que le vent du midi soit le vent qui souffle de la région brûlante . § 20. Ce lieu à cause de la proximité du soleil n'a pas d'eaux et d'éléments qui, par leur condensation, paraissent produire les vents étésiens. Mais comme ce lieu est beaucoup plus vaste et plus étendu, le vent du midi qui en vient est beaucoup plus fort, beaucoup plus fréquent, en même temps que plus desséchant que le vent du nord ; et il s'étend plus ici que ce dernier ne s'étend là-bas. § 21. Nous avons dit quelle est la cause de ces vents, et quels sont les rapports des uns aux autres. [2,6] CHAPITRE VI. § 1. Il nous faut expliquer maintenant quelle est la position des vents divers, quels sont les vents qui sont contraires entre eux, quels sont ceux qui peuvent souffler à la fois, et ceux qui ne le peuvent pas, quelle est la nature des vents et quel en est le nombre ; et nous traiterons en outre de tous les détails qui n'ont pu être exposés dans les Questions particulières. § 2. Pour bien comprendre ce que nous dirons de leur position, il faut nous suivre sur le dessin ci-joint. Afin de rendre ceci plus clair, nous avons tracé le cercle de l'horizon ; et voilà pourquoi nous le faisons rond. Mais il faut se figurer en outre qu'il ne s'agit ici que d'une seule de ses sections, celle qui est habitée par nous ; car on pourra la diviser de la même façon. § 3. Rappelons-nous d'abord que les choses contraires par le lieu sont celles qui, par le lieu qu'elles occupent, sont les plus éloignées l'une de l'autre, de même que les choses contraires en espèce sont les plus éloignées en espèce aussi. Or les choses les plus éloignées suivant le lieu sont celles qui sont entre elles opposées diamétralement. § 4. Soit donc A pour l'occident équinoxial; (363b) et le lieu contraire, B, l'orient équinoxial. Sur un autre diamètre coupant celui-ci à angle droit, soit G le nord ; et le point contraire en sens contraire, H, le midi. F sera l'orient d'été, comme E sera l'occident d'été, D l'orient d'hiver, et C l'occident d'hiver. De F, menez un diamètre en C, et de D en E. § 5. Puisque les points les plus éloignés suivant le lieu sont ce qu'on appelle les contraires suivant le lieu, et que les points les plus éloignés le sont suivant le diamètre, il en résulte nécessairement que les vents sont contraires les uns aux autres, quand c'est suivant le diamètre qu'ils sont opposés entre eux. § 6. Voici les noms que l'on donne aux vents selon la position des lieux : vent d'ouest, zéphyre, celui qui vient de A ; c'est l'occident équinoxial. Le concontraire de celui-là, l'Aphéliote, souffle de B ; car B est l'orient équinoxial. Le Borée et le vent de l'Ourse soufflent de G ; car c'est là qu'est la grande Ourse. Le vent contraire à celui-là, le vent du midi, souffle de H. C'est du midi qu'il souffle, et H est contraire à G ; car il lui est diamétralement opposé. § 7. De F, c'est le Coecias qui souffle, (le vent du nord-est) ; car c'est l'orient d'été. Le contraire du Caecias n'est pas celui qui souffle de E, mais celui qui souffle de C, le Lips, (le vent du sud-ouest) ; car il souffle de l'occident d'hiver, et il lui est contraire, puisqu'il lui est diamétralement opposé. De D vient l'Eurus (vent du sud-est) ; car il souffle de l'orient d'hiver, et il se rapproche du vent du sud ; et c'est là ce qui fait qu'on dit que les vents du sud-sud-est soufflent souvent. Le contraire de celui-là n'est pas le vent qui souffle de C, le Lips (vent du sud-ouest), mais celui qui vient de E, et que l'on appelle tantôt Argeste, tantôt Olympias, tantôt Sciron ; car ce veut souffle de l'occident d'été, et c'est le seul qui soit diamétralement opposé au vent de sud-est. § 8. Tels sont donc les vents qui sont opposés les uns aux autres diamétralement, et qui ont des contraires. Il y en a encore d'autres où les directions ne sont pas contraires aussi précisément. Ainsi de I, souffle le vent qu'on appelle Thrascias, et qui tient le milieu entre l'Argeste et le vent du nord. De K souffle celui qu'on appelle le Mésés ou Moyen, et qui l'est en effet entre le Ceecias (le nord-est) et le nord. Le diamètre IK est à peu près suivant le cercle qui est toujours visible ; mais il n'y est pas tout à fait exactement. § 9. Or il n'y a pas de contraires pour ces vents, ni pour lé Thrascias ni pour le Moyen ; car il faudrait pour le Moyen qu'il en soufflât un de M, qui est le point (364a) diamétralement opposé ; ni pour I, le Thrascias ; car il faudrait qu'il en soufflât un du point N, qui lui est opposé diamétralement. Toutefois, s'il n'en souffle pas un de ce point précisément, il y en a un qui souffle d'un point très voisin et que les habitants de ces contrées nomment le Phénicias. § 10. Tels sont donc les principaux vents qui ont été déterminés, et telle est leur disposition générale. S'il y a plus de vents venant des lieux du nord qu'il n'y en a venant des lieux du midi, c'est que la terre habitée est située sous ces premières régions, et qu'aussi il y a beaucoup plus d'eau et de neige repoussées dans ces régions, parce qu'elles sont sous le soleil et sous son cours. L'eau et la neige venant à fondre et à s'infiltrer dans la terre, et étant échauffées par le soleil et par la terre, il faut nécessairement par cette cause que l'évaporation soit plus considérable, et se produise sur une beaucoup plus vaste étendue. § 11. De tous les vents qu'on vient de nommer, le plus distinct est le Borée, qu'on appelle aussi le vent de l'Ourse. Le Thrascias participe de l'Argeste et du Moyen ; le Coecias, de l'Aphéliote et du Borée. On appelle vent du midi à la fois celui qui vient directement du midi, et celui du sud-ouest, le Lips. On appelle Aphéliote à la fois et celui qui vient de l'orient équinoxial, et l'Eurus ou vent de sud-est. Le nom de Phénicias est commun à plusieurs vents ; et l'on appelle vent d'ouest à la fois et celui qui vient réellement de l'ouest, et celui qu'on nomme Argeste. § 12. D'une manière générale, on peut diviser les vents en vents du nord et vents du midi. On met les vents d'ouest avec ceux du nord ; car ils sont plus froids, parce qu'ils soufflent de l'occident ; et l'on met avec le vent du midi tous ceux qui viennent de l'est, parce qu'ils sont plus chauds, attendu qu'ils soufflent de l'orient. § 13. C'est donc en déterminant les vents par le froid et la chaleur et par la douceur de température, qu'on les a dénommés, comme on vient de le voir. Ceux qui soufflent de l'est sont plus chauds que ceux qui soufflent de l'ouest, parce que ceux qui viennent de l'est sont plus longtemps sous le soleil. Quant à ceux qui viennent de l'ouest, le soleil cesse plus vite ; et il ne se rapproche que plus tard du lieu d'où ils soufflent. § 14. Les vents étant donc ainsi rangés, il est évident que les vents contraires ne peuvent pas souffler en même temps ; en effet, puisqu'ils sont diamétralement opposés, il faudrait que l'un des deux cessât forcément de souffler. Mais ceux qui ne sont pas disposés de cette façon, les uns par rapport aux autres, peuvent parfaitement souffler à la fois. Ainsi F et D. C'est là ce qui fait que parfois deux vents favorables soufflent ensemble pour pousser un navire vers le même lieu, et ils ne viennent pas du même point de l'horizon et ne se confondent pas en un seul vent. § 15. Ce sont, pour les saisons contraires, les vents contraires qui soufflent le plus. Ainsi à (364b) l'équinoxe de printemps, c'est le Coecias, et en général tous les vents posés au-delà du tropique d'été ; et à l'équinoxe d'automne, ce sont les vents du sud- ouest ; au solstice d'été, le vent d'ouest ; et celui de sud-est, au solstice d'hiver. § 16. Ce sont le plus généralement les vents du nord, les Thracias et les Argestes, qui surviennent après les autres vents et les font cesser ; car s'ils sont si fréquents et s'ils soufflent si violemment, c'est que leur point de départ est très proche. Aussi sont-ils les plus sereins de tous les vents. Soufflant de près, ils ont d'autant plus de force et ils suppriment les autres vents ; et dispersant les nuages condensés, ils amènent le beau temps, à moins qu'en même temps ils ne soient très froids. § 17. Alors en effet ils ne sont pas sereins ; car s'ils sont plus froids que forts, ils déterminent la condensation avant d'avoir chassé les nuages. Le Caecias n'est pas serein, parce qu'il les ramène sur lui-même, d'où vient le proverbe populaire : « Il tire tout à lui, comme le Coecias attire le nuage » . § 18. Lorsque les vents viennent à cesser, les changements dans ceux qui les suivent ont lieu suivant le déplacement du soleil, parce que c'est ce qui touche le principe qui reçoit le mouvement le plus fort ; et le principe des vents est mis en mouvement juste comme le soleil lui-même. § 19. Les vents contraires, produisent, ou le même effet que leurs opposés, ou un effet contraire. Ainsi le Lips, le vent du sud-ouest, et le Coecias, que l'on appelle aussi Hellespontin, sont humides, ainsi que le vent d'est, l'Eurus, qu'on appelle aussi Aphéliote. L'Argeste et le vent d'est sont secs ; et ce dernier est sec au début, et aqueux à la fin. Le Moyen, et surtout le vent du nord, sont neigeux ; car ils sont les plus froids de tous. Le vent du nord amène de la grêle, ainsi que le Thrascias et l'Argeste. Le vent du midi, le vent d'ouest et le vent d'est sont chauds. § 20. Le Caecias charge le ciel de nuages épais. Avec le Lips, vent du sud-ouest, les nuages sont moins condensés ; et pour le Caecias, c'est parce qu'il les fait revenir sur lui-même et qu'il participe du vent du nord et du vent d'est, de telle sorte que, par son froid, condensant l'air qui s'évapore, il le forme en nuages ; et comme par sa place il se rapproche des vents d'est, il amène beaucoup de matières et de vapeurs qu'il chasse devant lui. Le vent du nord, le Thrascias et l'Argeste sont sereins ; et nous en avons dit antérieurement la cause. § 21. Ce sont ces derniers et le Moyen qui amènent le plus souvent les éclairs. Ils sont froids, parce qu'ils soufflent de près ; et c'est par le froid que se forme l'éclair ; car il est expulsé des nuages, quand ils se réunissent. C'est là ce qui fait aussi que quelques-uns de ces vents amènent la grêle, parce qu'ils produisent une rapide congélation. § 22. Ils deviennent tempétueux surtout à l'automne, puis au printemps ; et ce sont particulièrement les vents du nord, le Thrascias et l'Argeste. Ce qui rend les vents tempétueux, c'est surtout quand des vents surviennent au milieu d'autres vents qui soufrent ; et ce sont spécialement les vents que je viens de désigner qui surviennent ainsi. Nous en avons encore dit antérieurement la cause. § 23. Les vents étésiens oscillent, pour ceux qui habitent vers l'occident, de vents du nord en vents Thrascias, Argestes, et Zéphyres ; car le Zéphyre (vent d'ouest) tient aussi du nord ; et les vents étésiens commencent par le nord et finissent dans les vents éloignés de ce point. Pour ceux qui habitent l'est, les vents étésiens oscillent et s'étendent jusqu'à l'Aphéliote. § 24. Voilà tout ce que nous avions à dire sur les vents, sur leur production à partir de leur origine, sur leur nature, sur leurs caractères généraux et sur le caractère particulier de chacun d' entre eux. [2,7] CHAPITRE VII. § 1. Après ce qui précède, il faut traiter du tremblement de terre et du mouvement de la terre ; car la cause de ce phénomène est d'une espèce fort voisine de celles qu'on vient d'expliquer. Jusqu'à présent, il y en a trois explications, qui ont été données par trois auteurs différents. Anaxagore de Clazomènes, et avant lui Anaximène de Milet, en avaient proposé chacun une ; et après eux, Démocrite d'Abdère a proposé la sienne. § 2. Anaxagore dit donc que l'éther, qui par sa nature se porte en haut, venant à tomber en bas dans les profondeurs de la terre, la remue jusque dans ses entrailles. Les parties supérieures, suivant lui, sont imprégnées par les pluies qui les enduisent ; et tout en admettant que par sa nature la terre est partout également spongieuse, il croit que la sphère a dans sa totalité un haut et un bas, le haut étant la partie que nous habitons, et le bas étant l'autre partie. § 3. Contre cette explication, il n'y a rien à dire, précisément parce qu'elle est par trop naïve. Comprendre le haut et le bas de telle façon que tous les corps qui ont du poids ne seraient pas de tous côtés portés vers la terre, et les corps légers et le feu portés vers le haut, c'est par trop simple ; c'est aller contre le témoignage de nos yeux, qui nous font voir que le cercle qui borne la terre habitable, aussi loin que nous la connaissons, varie sans cesse à mesure que nous changeons nous-mêmes de place, la terre étant convexe et sphérique. § 4. Dire qu'à cause de sa masse elle demeure dans l'air, et soutenir que le tremblement de terre vient de ce qu'elle est frappée de bas en haut dans sa totalité, ce n'est pas moins étrange. De plus dans cette théorie, Anaxagore ne rend compte d'aucune des circonstances qui accompagnent les tremblements de terre ; car tous les pays, toutes les saisons ne participent pas à cette commotion au hasard et indistinctement. § 5. (365b) Quant à Démocrite, il soutient que la terre est pleine d'eau, et que quand elle en reçoit encore une quantité nouvelle par la pluie, elle est ébranlée par toute cette masse liquide. En effet devenant trop considérable pour que les entrailles de la terre la puissent contenir, elle produit, en sortant violemment, le tremblement de terre; puis, la terre étant desséchée et attirant dans les lieux vides l'eau qui vient des lieux trop pleins, l'eau qui change de place cause en tombant cette grande commotion. § 6. Pour Anaximène, il soutient que la terre d'abord imbibée, et se desséchant ensuite, se brise, et que le tremblement est causé par ces montagnes brisées qui tombent ainsi sur la terre par fragments. Selon lui, voilà pourquoi les tremblements de terre ont lieu dans les sécheresses et aussi durant les pluies excessives ; dans les sécheresses, la terre se fend comme on l'a dit ; et elle s'éboule lorsqu'elle est par trop imbibée d'eau. § 7. Si cela se passait comme le veut Anaximène, il faudrait qu'on observât dans bien des lieux la terre revenir sur elle-même. Et de plus comment alors se fait-il que ce phénomène se reproduise fréquemment dans certains lieux qui, d'ailleurs, n'ont pas le moins du monde cette surélévation dont on parle, comparativement aux autres? Et pourtant, il le faudrait d'après cette théorie. § 8. Toute cette explication suppose nécessairement que les tremblements de terre doivent toujours devenir de moins en moins forts et qu'enfin la terre cessera de trembler; car tout ce qui se tasse en doit arriver là naturellement. Par conséquent, si cela est impossible, il est bien évident aussi qu'il est impossible que ce soit là la vraie cause du phénomène. [2,8] CHAPITRE VIII. § 1. Mais puisque évidemment il y a nécessité que l'exhalaison se forme tout à la fois, ainsi que nous l'avons dit antérieurement, et de l'humide et du sec, de même il y a nécessité que, du moment que ces phénomènes se produisent, il y ait des tremblements de terre. Par elle-même, la terre est sèche ; mais par les pluies, elle acquiert beaucoup d'humidité intérieure. Il en résulte qu'échauffée par le soleil et parle feu qu'elle a dans son sein, il se forme tant au dehors qu'au dedans d'elle beaucoup de souffle ou de vent. Tantôt ce souffle s'échappe tout entier au dehors d'une manière continue ; tantôt il s'écoule tout entier en dedans ; et d'autres fois, il se partage. § 2. Si donc il est impossible qu'il en soit autrement, il ne resterait plus après cela qu'à rechercher quel est, entre tous les corps, celui qui est le plus capable de donner le mouvement. C'est nécessairement celui qui par sa nature va le plus loin, et qui est le plus violent. § 3. Le plus violent est de toute nécessité celui qui dans sa course est animé de plus de vitesse ; car c'est celui dont le choc est le plus fort, à cause de sa rapidité. Or le corps qui naturellement va le plus loin est celui qui peut le plus aisément traverser toutes choses ; et c'est le corps le plus léger qui remplit cette condition. Par conséquent, si la nature (366a) du vent est bien telle en effet, c'est le vent qui est le plus moteur de tous les corps ; car le feu, lorsqu'il est réuni avec le vent, devient de la flamme, et il a un mouvement rapide. § 4. Ce n'est donc ni l'eau ni la terre qui est cause du tremblement ; ce serait le vent, lorsque celui qui s'est évaporé au dehors se trouve refluer en dedans. voilà pourquoi la plupart des tremblements de terre, et les plus violents, se produisent quand les vents ne soufflent pas. C'est que l'exhalaison, qui est continue, suit la plupart du temps l'impulsion du principe, de telle sorte qu'elle se précipite tout entière en masse, soit en dedans, soit en dehors. § 5. Du reste, il n'y a rien d'étonnant que parfois les tremblements de terre se produisent en même temps que les vents règnent. Nous voyons en effet quelquefois plusieurs vents souffler ensemble, et lorsque l'un d'eux vient à s'élancer dans la terre, le tremblement de terre avoir lieu pendant que le vent souffle. Mais ces tremblements sont beaucoup plus faibles, parce que leur principe et leur cause se trouvent alors divisés. § 6. C'est pendant la nuit que se produisent le plus souvent les tremblements de terre, et qu'ils sont les plus forts ; et ceux de jour ont lieu vers le milieu du jour ; car le midi est en général l'heure du jour à laquelle il y a le moins de vent. C'est que le soleil, quand il a le plus de force, refoule et renferme l'exhalaison dans la terre ; or c'est vers midi qu'il a le plus de force ; et les nuits sont plus calmes et ont moins de vent que les jours, à cause de l'absence même du soleil. § 7. Il en résulte que le flot revient en dedans comme le reflux de la mer, en sens contraire du flux et du plein qui est à l'extérieur. Le phénomène se produit surtout vers le lever du soleil ; car c'est à ce moment que les vents commencent d'ordinaire à souffler. Si donc leur principe se trouve revenir en dedans comme l'Euripe il fait un tremblement de terre plus violent à cause de la masse. § 8. Les tremblements sont le plus violents dans les lieux où le mouvement de la mer est le plus rapide, et où la terre est spongieuse et pleine de cavernes souterraines. § 9. C'est pour cela qu'ils se produisent surtout sur les côtes de l'Hellespont, en Achaïe, en Sicile, et dans les lieux analogues qu'offre l'Eubée ; car la mer semble filtrer sous la terre par des conduits ; et c'est aussi cette même cause qui produit les eaux chaudes d'Aedepse. § 10. C'est le resserrement des lieux que nous venons de citer qui fait que les tremblements y sont plus fréquents ; car le flot du vent, qui souffle ordinairement de la terre, s'y trouve refoulé par la masse de la mer, qui se porte en ces lieux avec violence. § 11. Ce sont les contrées (366b) dont les parties inférieures sont spongieuses qui, recevant beaucoup de vent, sont le plus exposées aux tremblements de terre. C'est aussi la même cause qui fait qu'ils se produisent surtout au printemps et à l'automne, dans les grandes pluies et les grandes sécheresses ; car ces saisons sont celles où il y a le plus de vent. § 12. L'été et l'hiver, celui-ci par la gelée, celui-là par la chaleur, produisent les calmes, l'un étant trop froid et l'autre étant trop sec. § 13. L'air du reste est très venteux dans les sécheresses ; car la sécheresse se produit précisément quand l'exhalaison sèche est plus considérable que l'humide. § 14 . Dans les pluies excessives, l'exhalaison intérieure s'accroît ; et comme cette sécrétion se trouve alors interceptée dans des lieux trop étroits, et qu'elle se trouve violemment resserrée dans un lieu moins large parce que les creux sont pleins d'eau, le flot du vent qui survient commence à acquérir de la force, par la compression même de sa masse dans ce lieu trop peu vaste ; et il produit un violent tremblement de terre. § 15. En effet, de même que dans nos corps la force du souffle interceptée à l'intérieur produit des frissons et des étouffements, de même il faut présumer que le vent dans le sein de la terre produit des effets à peu près semblables; et que des tremblements de terre, les uns sont comme des frissons, les autres sont comme des étouffements. De même encore qu'après l'urination il y a souvent dans tout le corps des espèces de frissons, tremblement qui tient à ce que l'air du dehors rentre tout à coup en masse à l'intérieur, de même un phénomène analogue se produit pour la terre. § 16. Afin de se bien rendre compte de toute la force qu'a le souffle, il ne faut pas seulement observer ce qui se passe dans l'air ; car on pourrait croire qu'il n'y est si puissant que par l'étendue même de sa masse ; mais il faut voir en outre ce qu'il fait dans le corps des animaux. § 17. Les convulsions et les spasmes ne sont que des mouvements du souffle ; et leur violence est si considérable que souvent plusieurs personnes, en réunissant toutes leurs forces, ne peuvent venir à bout de maîtriser les mouvements des malades. On peut bien supposer qu'il se passe quelque chose de pareil dans la terre, si toutefois l'on peut assimiler une si grande chose à une petite. § 18. Nos sens suffisent souvent pour nous avertir de ces phénomènes et de leurs effets. On a déjà observé, en certains lieux, un tremblement de terre ne cesser que quand le vent qui le causait sortit, au vu de tout le monde, en s'élançant dans la région supérieure à la terre, sous forme de tempête. (367a) C'est ce qui s'est passé tout récemment à Héraclée, sur le Pont-Euxin, et antérieurement à l'ïle-Sainte, qui est une des lies appelées les îles d' Éole. § 19. La terre s'y souleva en effet dans un certain lieu, et s'éleva avec bruit, comme la masse d'une colline ; et cette masse étant venue à se briser, il en sortit beaucoup de vent ; elle lança des étincelles et de la cendre et ensevelit sous cette cendre toute la ville des Lipariens, qui n'est pas éloignée, se faisant sentir dans quelques-unes des villes d'Italie. Aujourd'hui, l'on peut voir encore l'endroit où se forma cette boursouflure. § 20. Le feu qui se produit dans la terre ne peut avoir que cette cause, à savoir que l'air se soit enflammé par le choc, du moment même qu'il a été réduit en parties minimes. De plus, ce qui s'est passé dans ces îles est encore une preuve que les vents circulent sous la terre. § 21. En effet, quand le vent du midi doit y souffler, on en a des signes précurseurs. Les lieux où sortent les boursouflures retentissent, parce que la mer est déjà poussée de loin, et qu'elle refoule en dedans de la terre la boursouflure qui va en sortir dans le sens même où la mer survient. Elle fait alors du bruit sans causer de tremblements de terre, soit parce que les lieux sont très vastes, car au dehors elle se répand dans l'immensité, soit parce que l'air expulsé est en petite quantité. § 22. De plus, le changement du soleil, qui devient brumeux et moins ardent, même sans nuages, et quelquefois aussi le calme profond et le froid rigoureux qui précèdent les tremblements de terre du matin, sont de nouveaux témoignages en faveur de la cause que nous avons assignée. § 23. Car il faut nécessairement que le soleil devienne brumeux et terne, quand le vent commence à rentrer dans la terre, en dissolvant l'air et en le dispersant. § 24. Il faut aussi que le vent cesse et que le froid se produise vers l'aurore et l'aube du jour ; car nécessairement le vent cesse de souffler dans la plupart des cas, ainsi qu'on l'a déjà dit plus haut, parce qu'il se fait comme un reflux du souffle en dedans, et surtout avant les plus grands tremblements de terre. Et cela se conçoit puisque du moment que le souffle ne se dissipe plus, soit celui du dehors soit celui du dedans, il faut bien qu'en s'accumulant il prenne aussi plus de force. § 25. Quant au froid, ce qui le produit c'est que l'exhalaison se précipite en dedans, avec toute la chaleur qu'elle porte naturellement en elle. Si les vents ne semblent pas chauds, c'est qu'ils meuvent un air rempli d'une vapeur froide et considérable, absolument (367c) comme l'haleine qui sort de notre bouche. § 26. En effet l'haleine est chaude de près, comme cela arrive lorsque nous soupirons, bien que cette chaleur soit moins sensible, parce que la quantité d'air est ici fort petite ; mais de loin l'haleine est froide par la même cause que le sont les vents. § 27. Du moment donc que cette force se retire dans la terre, le flux de vapeur réuni par l'humidité produit le froid, dans les lieux où se présente ce phénomène. § 28. Telle est aussi la cause de cette circonstance, qui d' ordinaire annonce les tremblements de terre. Ainsi, soit après le jour, soit peu de temps après le coucher du soleil, par un temps serein, un petit nuage léger paraît s'étendant et s'allongeant, comme une ligne parfaitement droite, le vent s'apaisant par le déplacement même du nuage. § 29. La même chose arrive aussi pour la mer, sur les côtes, Lorsque la mer lance violemment ses vagues, les flots qui se brisent sur le rivage sont énormes et obliques ; et lorsqu'au contraire la mer est calme, ils sont minces et tout droits, parce que la rupture est fort petite, § 30, Ce que la mer fait sur la terre, le vent le fait sur la brume qui est dans l'air, de manière que quand le vent tombe, le nuage qui reste est tout à fait en ligne droite et ténu, comme si c'était un flot d'air brisé. § 31. C'est encore là ce qui fait que le tremblement de terre a parfois lieu pendant les éclipses de lune. Ainsi, lorsque déjà l'interposition de la terre est proche, et que la lumière et la chaleur qui viennent du soleil ne sont pas encore tout à fait disparues de l'air, mais seulement amoindries, le calme se fait, le vent se précipitant dans la terre; ce qui fait les tremblements avant les éclipses. § 32. Les vents se produisent en effet fréquemment avant les éclipses, au début de la nuit, quand c'est avant les éclipses de minuit ; et au milieu de la nuit, quand c'est avant les éclipses du matin. Ce phénomène vient de ce que la chaleur qui émane de la lune s'est éteinte, lorsque déjà s'approche la sphère où doit se produire l'éclipse, dès que les corps y seront. Ce qui retenait l'air et le calmait ayant disparu, il est agité de nouveau ; et le vent se produit même avant l'éclipse, qui n'a lieu que plus tard. § 33. Lorsque le tremblement de terre est violent, il ne cesse pas aussitôt et après une seule secousse ; mais quelquefois, il dure d'abord jusqu'à une quarantaine de jours; et ensuite, il se manifeste de nouveau (368a) dans les mêmes lieux pendant une année ou deux. § 34. Ce qui lui donne sa violence, c'est la quantité d'air, et aussi la forme des lieux dans lesquels cet air s'écoule. Là où il est répercuté et où il ne flue pas aisément, il cause un tremblement d'autant plus fort ; et il s'agite nécessaire ment dans les lieux resserrés, absolument comme de l'eau qui ne peut pas s'échapper. § 35. Aussi de même que dans le corps les pulsations ne cessent ni tout à coup, ni vite, mais seulement peu à peu, en même temps que l'affection qui les a provoquées diminue petit à petit, de même le principe qui a produit l'exhalaison, et l' impulsion de l'air n'ont pas consommé sur le champ toute cette matière de laquelle ils ont fait cette espèce de vent que nous nommons tremblement de terre. § 36. Jusqu'à ce que les restes de ces éléments soient consommés, le tremblement a lieu nécessairement ; mais il devient de plus en plus faible, et il cesse quand l'exhalaison est de venue trop peu considérable pour causer un mouvement qui soit encore sensible. § 37. C'est aussi le vent qui produit les bruits souterrains et les bruits qui précèdent les tremblements de terre ; et il y a eu souvent de ces bruits intérieurs sans qu'il y eût de tremblement de terre ; car de même que l'air quand on le frappe et qu'on le déchire produit des sons fort divers, de même aussi il en produit quand c'est lui qui frappe; et il n'y a ici aucune différence, puisque du moment que quelque chose frappe, cette chose est aussi elle-même frappée tout entière. § 38. Le bruit précède la commotion, parce que le son a des parties plus ténues que le vent et qu'il pénètre mieux que le vent au travers de tous les corps. Comme il n'est pas assez fort pour faire trembler la terre à cause de sa légèreté même, il est certain que, précisément parce qu'il s'infiltre sans peine, il ne la fait pas trembler ; mais aussi comme il tombe sur des masses solides et creuses et ayant les formes les plus diverses, il produit aussi des sons très divers ; et il semble alors, comme le prétendent les conteurs de choses merveilleuses, que la terre fasse entendre un mugissement. § 39. Parfois on a vu à la suite de tremblements de terre les eaux jaillir du sol. Mais on ne peut pas dire pour cela que ce soit l'eau qui cause la commotion ; au contraire c'est toujours le vent qui soit de la surface, soit d'en bas, fait violence, et c'est lui qui est le moteur. C'est de même qu'on doit dire que ce sont les vents qui causent les flots, et non pas les flots qui causent les vents ; car alors on pourrait aussi bien dire que c'est la terre elle-même qui est cause du phénomène ; elle serait retournée par le tremblement qui l'agite, tout aussi bien que la mer elle-même est retournée, puisque l'effusion est pour l'eau une sorte de retournement. § 40. Ces deux éléments, l'eau et la terre, ne sont cause du phénomène que comme matière; car ils souffrent et n'agissent pas ; mais c'est le vent qui en est cause comme principe réel. Aussi lorsqu'une inondation coïncide avec un tremblement de terre, la cause en est qu'il y a des vents contraires. § 41. C'est ce qui arrive lorsque le (368b) vent qui agite la terre, impuissant à repousser empiétement la mer que pousse un autre vent, parvient cependant, en la combattant et en la resserrant à l'accumuler en masse sur un même point. § 42. Nécessairement alors le vent intérieur ne pouvant plus résister; la mer pressée par le vent contraire déborde et produit un cataclysme. § 43. C'est précisément ce qui est arrivé en Achaïe ; au dehors soufflait le vent du sud, et là soufflait celui du nord ; puis, le calme s'étant établi, et le vent intérieur s'écoulant, il y eut tout à la fois inondation et tremblement de terre ; et ce qui en accrut la violence, c'est que la mer ne donna point passage au vent qui s'était élevé souterrainement, mais qu'au contraire elle l'intercepta. Par cette violence et cette résistance mutuelle, le vent causa le tremblement de terre, et cet obstacle opposé au flot causa le cataclysme. § 44. Les tremblements de terre sont partiels et n'atteignent en général qu'une petite surface; mais les vents ne sont jamais partiels. Les tremblements sont partiels, quand les exhalaisons qui sont dans le lieu même et dans les environs viennent à se réunir, comme nous avons dit que se forment les sécheresses partielles, et les pluies excessives sur un point donné. § 45. Les tremblements de terre se produisent également de cette façon ; mais il n'en est pas de même pour les vents ; car tous ces phénomènes (des tremblements de terre, des sécheresses et des pluies) ont leur origine dans la terre, de sorte que tous tendent à se réunir dans une seule action. Mais l' influence du soleil n'est pas semblable, et il agit surtout sur les exhalaisons les plus élevées, de telle sorte que du moment qu'elles ont reçu l'impulsion par la marche du soleil, selon la différence des lieux, elles se réunissent toutes ensemble. § 46. Lors donc que le vent est en quantité considérable, il fait trembler la terre comme une sorte de frisson, en largeur ; et il ne se produit que fort rarement et seulement en quelques lieux, comme une pulsation, de bas en haut. Aussi les tremblements de terre en ce sens sont-ils bien moins forts ; car il n'est pas facile qu'une masse du principe se réunisse de cette manière, parce que la sécrétion qui se fait en long est beaucoup plus importante que celle qui vient de la profondeur. § 47, Partout où a lieu un tremblement de ce genre, on trouve à la surface de la terre une grande quantité de pierres, dispersées comme elles le seraient par le vent. En effet un tremblement de terre de ce genre ayant eu lieu, toutes les contrées environnantes de Sipyle, et ce qu'on appelle la plaine Phlégréenne, et la Ligystique, furent bouleversées de cette façon. § 48. Dans les îles de la pleine mer, les tremblements de terre se produisent moins souvent que dans les îles voisines du continent. L'immensité de la mer refroidit les exhalaisons ; elle les empêche et les arrête par le poids qu'elle leur donne, De plus, même quand les vents la dominent et la soulèvent, elle coule toujours et n'est point exposée (369a) à être ébranlée. Comme elle occupe un énorme espace, ce n'est pas en elle que vont les exhalaisons ; mais c'est d'elle qu'elles sortent ; et les exhalaisons de la terre accompagnent et suivent les exhalaisons marines. § 49. Les îles voisines du continent ne sont qu'une portion du continent lui-même, et l'espace intermédiaire a une trop petite dimension pour exercer aucune influence. Mais les îles qui sont en pleine mer ne pourraient être ébranlées qu'avec la mer entière dont elles sont environnées. § 50. Nous avons. donc traité des tremblements de terre ; nous avons dit quelle en est la nature et la cause ; nous avons étudié toutes les circonstances qui les concernent, et nous avons indiqué presque toutes les plus importantes de ces circonstances. [2,9] CHAPITRE IX. § 1. Parlons maintenant de l'éclair, du tonnerre, de la trombe, de l'ouragan et des foudres, tous phénomènes dont la cause est très probablement la même. § 2. En effet l'exhalaison étant double, ainsi que nous l'avons dit, l'une humide, l'autre sèche, la combinaison a aussi ces deux qualités en puissance, soit qu'elle se constitue en nuages, comme on l'a montré antérieurement, soit qu'à l'extrémité dernière la constitution des nuages soit encore plus dense. § 3. Car là où manque la chaleur, qui s'est dispersée dans la région supérieure, il faut nécessairement que la composition du nuage soit plus dense et plus froide. § 4. C'est là ce qui fait que les foudres, et les éclairs sortis des nuages, et tous les phénomènes de ce genre, sont portés en bas, bien que toute chaleur se porte naturellement en haut. Mais il faut nécessairement que le jaillissement de la densité soit porté en sens contraire, comme les noyaux qu'on lance en les pressant entre les doigts, et qui, malgré leur poids, sont portés en haut. § 5. Ainsi donc la chaleur qui est sécrétée se disperse dans la région supérieure ; mais toute cette partie de l'exhalaison sèche qui est englobée dans cette mutation de l'air refroidi, est rejetée quand les nuages se réunissent, et lancée avec force ; puis alors, tombant sur les nuages environnants, elle y fait coup, et le bruit qu'elle y produit s'appelle le tonnerre. § 6. Ce coup ressemble tout à fait, si l'on peut comparer un très petit phénomène à un grand, au bruit qui se produit dans la flamme, qu'on nomme tantôt le Sourire de Vulcain, ou le Sourire de Vesta, ou bien encore la Menace de tous les deux. Le pétillement a lieu, lorsque l'exhalaison condensée est projetée dans la flamme, les bois étant brisés et séchés. § 7. C'est également ainsi que la sécrétion du vent produite dans les nuages, venant à tomber contre la densité de ces nuages, (396b) forme le tonnerre. Ces bruits d'ailleurs sont fort divers et à cause des inégalités des nuages et à cause des creux intermédiaires, où la densité cesse d'être continue. C'est donc là ce qu'est le tonnerre, et telle en est la cause. § 8. L'air chassé ainsi s'allume le plus ordinairement d'une ignition faible et légère ; et c'est ce qu'on appelle l'éclair, dans cette partie du ciel où le souffle en sortant se colore à nos yeux de diverses nuances. § 9. L'éclair d'ailleurs ne vient qu'après le coup, et après le tonnerre. Mais il semble le devancer, parce que la vue est plus prompte que l'ouïe. C'est ce dont on peut se convaincre en observant les coups de rames des galères. Déjà les rameurs frappent un second coup de rame, quand le bruit du premier arrive à nos oreilles. § 10. Quelques philosophes prétendent toutefois qu'il y a une sorte de feu dans les nuages. Empédocle assure que c'est la partie interceptée des rayons du soleil. Anaxagore soutient que c'est une partie de l'éther supérieur, que ce philosophe appelle aussi du feu, et qui a été portée de haut en bas. § 11. Il ajoute que l'éclat de ce feu est l'éclair, que le bruit qu'il fait en s'éteignant et son sifflement c'est le tonnerre, qu'il se produit réellement comme il semble se produire, et que l'éclair est antérieur au tonnerre. § 12. Mais cette interruption du feu ne paraît pas très raisonnable, de l'une et l'autre façon ; et cet éther, qui d'en haut est attiré en bas, le paraît encore bien moins ; car lorsqu'une chose qui naturellement tend à monter vient à descendre, il faut en dire la cause. De plus il faut expliquer comment ce phénomène se produit seulement quand le ciel est couvert de nuages, et comment cela ne se produit pas constamment. Quand le ciel est serein, il n'y a pas d'éclair. § 13. Ainsi donc cette assertion d'Anaxagore est bien hasardée de tous points. Mais il n'est pas plus probable que la cause de ces phénomènes soit, ainsi qu'Empédocle le prétend, la chaleur des rayons du soleil interceptée dans les nuages. § 14. C'est là une explication beaucoup trop éloignée des faits ; car alors il faudrait nécessairement que la cause du tonnerre, de l'éclair, et des autres météores de ce genre fût toujours sécrétée et qu'elle fût constante, et par conséquent qu'ils se produisissent régulièrement ; mais il s'en faut de beaucoup. § 15. C'est comme si l'on s'imaginait que l'eau, la neige et la grêle existent toutes faites antérieurement, et qu'ensuite elles sont expulsées, mais qu'elles ne sont pas produites instantanément. On dirait que la combinaison les a toujours là sous la main pour lancer à son gré chacune d'elles. § 16. Car, puisque de ces phénomènes les uns ne sont que des combinaisons très probablement, de même que les autres sont des divisions, il s'en suit que si l'un d'eux ne se forme pas tout à coup mais existe antérieurement, on pourra en dire (370a) tout autant des deux côtés. Quant à l'interception du feu dans les nuages, c'est donner une explication trop singulière pour qu'elle puisse s'accorder avec ce qu'on observe pour des corps plus denses. § 17. L'eau en effet s'échauffe et par le soleil et par le feu. Cependant lorsque l'eau se condense de nouveau et se refroidit en se coagulant, il n'y a pas du tout cette explosion dont parlent ces philosophes. Et pourtant il faudrait que l'air introduit par le feu fit aussi un bouillonnement proportionnel à sa quantité; mais ce bouillonnement ne peut exister antérieurement, et ils reconnaissent eux-mêmes que ce n'est pas le bouillonnement qui fait du bruit, mais que c'est le frémissement d'un corps qui se refroidit dans l'eau. Ce frémissement d'ailleurs est bien un petit bouillonnement ; car autant le corps plongé dans l'eau a de force en s'éteignant, autant le bouillonnement qu'il cause détermine de bruit. § 18. Il y a encore quelques philosophes qui, comme Clidème, prétendent que l'éclair n'existe pas réellement, et que c'est une simple apparence, assimilant ce phénomène à celui qui se produit dans la mer quand on la frappe avec un bâton. L'eau qui rejaillit paraît toute brillante dans l'obscurité. Et de même, d'après cette théorie, l'humide étant violemment frappé dans la nue, l'éclair prend l'apparence de la clarté. § 19. Ces philosophes n'étaient pas encore familiarisés avec les théories sur la réfraction, qui paraît être la vraie cause de ce phénomène. L'eau frappée paraît briller, parce que la vue est réfractée par elle vers quelque corps lumineux ; et c'est là ce qui fait que cette apparence se montre surtout dans la nuit. Dans le jour on ne la voit pas, parce que l'éclat de la lumière, qui est plus vif qu'elle, la fait disparaître. § 20. Voilà ce que les autres ont dit sur l'éclair et le tonnerre : ceux-ci prétendent que l'éclair n'est qu'une réfraction ; ceux-là, que l'éclair est l'éclat du feu, comme le tonnerre en est l'extinction, le feu se trouvant préalablement dans chacun de ces phénomènes et n'ayant pas besoin d'y venir du dehors. § 21. Quant à nous, nous soutenons que le vent sur la surface de la terre, le tremblement de terre dans ses entrailles, et le tonnerre dans les nuages, sont une seule et même chose. Au fond, et essentiellement, ces phénomènes sont identiques ; c'est toujours l'exhalaison sèche qui, en s'écoulant d'une certaine façon est le vent, qui en s'écoulant de telle autre manière produit les tremblements de terre, et qui par la sécrétion et les changements qu'elle subit dans les nuages, quand ils se réunissent et se fondent en eau, produit les tonnerres, les éclairs et tous les autres météores de nature semblable. § 22. Et voilà ce que nous avions à dire sur le tonnerre et l'éclair.