[8,0] HISTOIRE DES ANIMAUX D'ARISTOTE - LIVRE HUIT. [8,1] CHAPITRE PREMIER. § 1. (588b) Tout ce qui concerne l'organisation entière des animaux et leur reproduction est tel qu'on vient de le voir. Leurs actes, et leur genre de vie, avec leurs caractères et leurs modes d'alimentation, n'offrent pas moins de différence. Dans la plupart des animaux autres que l'homme, il se montre aussi des traces des facultés diverses de l'âme, qui se manifestent plus particulièrement dans l'espèce humaine. Ainsi, la facilité à se laisser dompter et la résistance sauvage, la douceur et la méchanceté, le courage et la lâcheté, la timidité et l'audace, la colère et la ruse, sont dans beaucoup d'entre eux autant de ressemblances, qui vont même jusqu'à reproduire la pensée et l'intelligence, comme nous l'avons dit en traitant des parties de l'animal. § 2. Tantôt la différence est du plus au moins des animaux à l'homme, ou de l'homme à bon nombre d'animaux, certaines de ces qualités prédominant dans l'homme et certaines autres prédominant, au contraire, dans l'animal. Tantôt la différence porte sur une simple analogie; et par exemple, ce que l'art et la science sont dans l'homme, telle autre faculté naturelle du même genre remplit le même office chez les animaux. § 3. Ces rapprochements sont surtout frappants quand on regarde ce que sont les enfants, et cette période de la vie humaine. En eux, on voit déjà comme les traces et les germes des qualités qu'ils doivent avoir plus tard. Mais à ce moment, l'âme de l'enfant ne diffère (589a) en rien, on peut presque dire, de celle des animaux; et par conséquent, il n'y a rien de faux à supposer qu'il y a, dans le reste des animaux, des choses qui sont, ou identiques, ou voisines, ou analogues à celles qu'on observe dans l'homme. § 4. Ainsi, la nature passe, par des degrés tellement insensibles, des êtres sans vie aux animaux, que la continuité nous cache la commune limite des uns et des autres, et qu'on ne sait auquel des deux extrêmes rapporter l'intermédiaire. Après la classe des êtres inanimés, vient d'abord celles des plantes; et entre les plantes, les unes comparées aux autres semblent participer davantage à la vie. Mais cette classe entière d'êtres parait presque animée comparativement à d'autres corps, en même temps qu'elle paraît presque inanimée quand on la compare à la classe des animaux. § 5. D'ailleurs, ainsi qu'on vient de le dire, le passage des plantes aux animaux est si bien sans lacune que, pour certains êtres qu'on trouve dans la mer, on est embarrassé de savoir si ce sont des animaux ou des plantes. Ces êtres poussent sur d'autres corps, auxquels ils s'attachent ; et quand on les en sépare, ils périssent pour la plupart; par exemple, les pinnes s'attachent à des corps étrangers, et les solènes, une fois détachés, ne peuvent plus vivre. § 6. On peut ajouter que, d'une manière générale, la classe tout entière des testacés ressemble beaucoup à des plantes, si on la compare aux animaux qui se meuvent et qui marchent. Et quant à la sensibilité, il n'y en a aucune apparence chez quelques-uns de ces êtres; chez d'autres, elle y est à peine tracée. Les uns ont un corps dont la nature est charnu, comme ceux qu'on appelle les téthyes et les acalèphes, ou orties de mer. L'éponge produit absolument l'effet d'une plante. Mais toujours c'est, par une différence très légère, que les uns comparés aux autres semblent avoir de plus en plus la vie et le mouvement. § 7. La même gradation se retrouve dans les actes et les fonctions de la vie. Les plantes ne semblent pas avoir d'autre fonction que de reproduire un être semblable à elles; et c'est ce qu'on voit dans toutes les plantes qui viennent de graine. De même, il y a des animaux où l'on ne peut découvrir absolument aucune autre fonction que celle de se reproduire. C'est même là ce qui fait que ces fonctions sont communes à tous ces êtres. § 8. Mais dès que la sensibilité se manifeste, la vie des animaux présente les plus grandes différences, en ce qui regarde, soit l'accouplement, qui leur cause un si vif plaisir, soit la parturition, soit l'alimentation des petits. Les uns, aux saisons marquées, se reproduisent simplement comme des plantes, par les moyens spéciaux à chacun deux. D'autres s'occupent, en outre, d'élever leurs petits, avec la plus grande peine: mais une fois cette oeuvre achevée, ils se séparent d'eux et n'ont plus la moindre (589b) relation. D'autres encore qui sont plus intelligents, et qui semblent avoir plus de mémoire et plus de propension à la société, restent avec leurs petits. § 9. Ainsi une partie de leur vie s'applique à tout ce qui amène la reproduction des jeunes; et une autre partie consiste à nourrir les petits et à les élever. Tous leurs soins et toute leur existence se partagent entre ces deux fonctions. La nourriture donnée aux petits diffère surtout par les matières qui la composent; car c'est de cette nourriture que chaque animal tire tout son développement marqué par la nature; or ce qui est dans l'ordre de la nature plaît toujours; et tous les animaux recherchent le plaisir qui leur est naturel. [8,2] CHAPITRE II. § 1. On peut diviser encore les animaux selon les lieux qu'ils habitent; les uns vivent sur terre, les autres vivent dans l'eau. § 2. Ici, la différence peut être de trois sortes. D'abord les uns aspirent l'air; puis, les autres aspirent l'eau ; ce qui fait qu'on appelle les uns des animaux terrestres, et les autres des animaux aquatiques. D'autres qui ne reçoivent ni l'air ni l'eau mais qui, par leur organisation naturelle, trouvent le suffisant mélange de refroidissement dans l'un de ces deux éléments, s'appellent encore terrestres et aquatiques, bien qu'ils ne respirent pas l'air et ne reçoivent pas l'eau. D'autres enfin sont appelés aquatiques ou terrestres, parce qu'ils trouvent leur nourriture, ou passent leur vie, dans l'un ou l'autre de ces éléments. Car beaucoup d'animaux qui respirent l'air et qui ont leurs petits sur terre, tirent leur subsistance des lieux aquatiques, et passent la plus grande partie de leur existence dans l'eau. Ces animaux sont les seuls, entre tous, qui semblent jouir des deux existences à la fois; et l'on peut indifféremment les classer parmi les animaux terrestres, ou parmi les animaux aquatiques. § 3. Parmi les animaux qui respirent l'eau, il n'en est pas un qui marche sur terre, ou qui vole dans l'air, ou qui tire sa pâture de la terre. Au contraire, parmi les animaux qui marchent sur le sol et qui aspirent l'air, il y en a beaucoup qui tirent leur nourriture de l'eau; et quelques-uns en ont tellement besoin qu'ils ne peuvent plus vivre quand ils en sont isolés et privés: par exemple, les tortues qu'on appelle tortues de mer, les crocodiles, les hippopotames et les phoques; et parmi les animaux plus petits, les tortues de terre et l'espèce des grenouilles. Tous ces animaux suffoquent, s'ils restent quelque temps sans respirer. Ils font leurs petits et les élèvent sur la terre à sec, ou du moins sur le bord de la terre sèche; mais leur vie se passe dans l'eau. § 4. Le plus singulier de tous les animaux, c'est le dauphin et ceux qui peuvent lui ressembler, parmi les êtres qui habitent les eaux, (590a) et aussi le plus singulier parmi les cétacés, constitués ainsi que le sont la baleine et les autres poissons à évent, comme elle. § 5. Il n'est pas facile de classer uniquement chacune de ces espèces, ni parmi les animaux terrestres, ni uniquement parmi les animaux aquatiques, si l'on doit classer comme animaux terrestres ceux qui aspirent l'air, et comme animaux aquatiques ceux qui naturellement aspirent l'eau. Les cétacés à tuyau participent en effet de ces deux classes. Ils respirent l'eau et la rejettent par leur évent; et ils respirent l'air par un poumon. Ils ont en effet cet organe, et ils respirent par là. Aussi, le dauphin, quand il se trouve pris dans les filets, ne tarde pas à être suffoqué, faute de respiration. Hors de l'eau, il vit encore fort longtemps, grondant et gémissant, ainsi que le font tous les animaux qui respirent. Enfin, quand le dauphin dort, il met son museau hors de l'eau, afin de pouvoir respirer. § 6. Comprendre ces mêmes animaux dans les deux divisions à la fois, aquatique et terrestre, ce serait absurde, puisque ce sont deux classes contraires. Mais tâchons de définir l'animal aquatique encore plus précisément. Il y a des animaux qui aspirent l'eau et qui la rejettent par la même cause qui fait que les animaux qui respirent aspirent l'air et le rejettent; c'est pour se rafraîchir. D'autres animaux en font autant, non plus pour respirer, mais pour se procurer leur nourriture, parce que, ne la pouvant trouver que dans le liquide, il leur faut nécessairement tout à la fois aspirer ce liquide, et, après l'avoir aspiré, le rejeter par un organe spécial. § 7. Ceux donc des animaux qui se servent de l'eau pour respirer, comme les autres se servent de l'air, ont des branchies; d'autres, qui sont des animaux pourvus de sang, ont un tuyau, parce qu'ils prennent le liquide pour se nourrir. Il en est encore de même pour les mollusques et les crustacés, qui ne reçoivent l'eau qu'en vue de leur nourriture. § 8. Il faut classer dans cette seconde espèce d'animaux aquatiques, à cause de l'organisation de leur corps et à cause de leur genre de vie, tous ceux qui, aspirant l'air, vivent néanmoins dans l'eau, ou tous ceux qui aspirent le liquide et ont des branchies, et qui vont à terre pour y prendre leur pâture. On ne connaît jusqu'à présent qu'un seul animal ainsi organisé; c'est celui qu'on nomme le Cordyle. Il n'a pas de poumon, mais des branchies; il marche sur terre, et il y prend sa nourriture. Il est quadrupède, comme étant, par nature, fait pour marcher. § 9. On dirait que la nature de tous ces animaux a été en quelque sorte renversée, de même qu'on voit quelques animaux mâles avoir l'air de femelles, et des femelles avoir l'air de mâles. Il suffit d'une différence légère, dans de très petits organes, pour que des animaux offrent une différence considérable dans la constitution générale de leur corps. § 10. Ceci se voit avec pleine évidence sur les animaux qu'on châtre ; (590b) la partie qu'on mutile est très petite, et l'animal passe sur-le-champ à la nature de la femelle. De ce fait, on peut conclure avec certitude que, dans la constitution première de l'animal, il suffit du plus mince changement matériel, qui est d'origine, pour faire ou une femelle ou un mâle ; et si ce rien est enlevé complètement, cela suffit pour que l'animal ne soit plus ni l'un ni l'autre. § 11. Par conséquent aussi, l'animal peut devenir terrestre et aquatique, dans les deux sens, à la suite d'un changement dans les parties les plus ténues. Tels animaux deviennent des animaux terrestres; tels autres deviennent aquatiques; les uns ne peuvent pas avoir les deux existences; les autres peuvent les avoir toutes deux, parce que, dans leur organisation, ils ont, dès leur naissance, participé quelque peu de la matière dont ils font plus tard leur nourriture ; car tout ce qui est naturel aux animaux est fait pour leur plaire, ainsi qu'on l'a déjà remarqué plus haut. [8,3] CHAPITRE III. § 1. Les animaux se divisent en aquatiques et terrestres, à trois points de vue différents: l'un, parce qu'ils aspirent l'air ou l'eau ; l'autre, parce que leurs corps sont constitués d'un certain mélange; et le troisième, parce qu'ils se nourrissent de certaine manière. La vie de chacun d'eux est la suite de ces mêmes divisions. Ainsi, c'est à leur constitution et à leur mode de se nourrir que se rapportent certains faits, selon que ces animaux aspirent l'air ou l'eau; pour tels autres faits, ce n'est qu'à leur constitution et à leur manière de vivre toutes seules qu'ils se rapportent. § 2. Ainsi ceux des testacés qui ne se meuvent point se nourrissent de la partie potable de l'eau de mer. Cette partie potable est filtrée dans les parties solides de leur corps, parce que la coction la rend plus légère que l'eau de mer, et que l'eau potable retrouve sa première composition. Qu'il y ait dans l'eau de mer une portion qui soit potable, et qu'elle puisse en être isolée, c'est ce dont on ne saurait douter ; et l'on a pu s'en convaincre déjà par l'expérience suivante. Si l'on fait un petit vase de cire bien légère, et que l'ayant bien fermé pour qu'il reste vide, on le fasse descendre au fond de la mer, il suffit d'une nuit et d'un jour pour qu'il se remplisse d'une certaine quantité d'eau: et cette eau est potable. § 3. Les acalèphes (ou orties de mer) se nourrissent des petits poissons qui leur tombent dans la bouche, laquelle est placée au milieu de leur corps, ainsi qu'on peut le voir sur les plus grandes. Les acalèphes (ou orties de mer) ont, comme les huîtres, un canal par où la nourriture est éliminée au dehors. Ce canal est placé en haut; car l'acalèphe est en quelque sorte la partie charnue de l'intérieur des huîtres, et c'est le rocher qui lui sert de coquille. Les lépades, au contraire, se détachent du rocher où elles vivent, et vont chercher leur pâture. § 4. Ceux des testacés qui se meuvent sont (591a) tantôt carnivores, et ils se nourrissent de petits poissons comme la pourpre, qui mange de la chair et qu'on prend avec des amorces de ce genre; tantôt ils se nourrissent des plantes que la mer produit. § 5. Les tortues de mer se repaissent de coquillages. Aucun animal n'a des mâchoires aussi fortes, puisque quel que soit l'objet qu'elles saisissent, serait-ce une pierre ou toute autre matière aussi dure, elles le brisent et le dévorent. Elles sortent aussi de l'eau pour manger de l'herbe; mais elles souffrent beaucoup; et souvent même elles périssent, lorsque, étant à terre, elles sont toutes desséchées par les rayons du soleil, et qu'elles ne peuvent plus se replonger aisément dans l'eau. § 6. Les crustacés se nourrissent de la même façon ; ils mangent aussi de tout; pierres, bois, algues, excréments même, ils mangent tout ce qui se présente, comme font les crabes de rochers; et ils mangent aussi de la chair. § 7. Les langoustes ont raison même de très gros poissons ; et il arrive entre ces animaux de singulières péripéties. Ainsi, les polypes sont plus forts que les langoustes, tandis qu'ils ne craignent pas les huîtres; et les langoustes craignent si bien les polypes que, si dans le même filet elles les sentent près d'elles, la peur les tue. Mais les langoustes sont, à leur tour, plus fortes que les congres; car à cause de l'aspérité générale des langoustes, les congres ne peuvent les enlacer. Les congres dévorent les polypes, qui ne peuvent jamais les saisir, parce que leur peau est trop lisse. D'ailleurs, tous les mollusques sont carnivores. § 8. Les langoustes se nourrissent des petits poissons auxquels elles donnent la chasse, autour de leurs nids. C'est dans les hautes mers qu'elles s'établissent aux lieux les plus inégaux, et les plus pierreux, qu'elles puissent trouver. C'est là qu'elles se plaisent à nicher. Quand elles ont saisi quelque proie, elles la portent à leur bouche avec leur double pince, comme le font les crabes. § 9. Les langoustes marchent naturellement en avant, lorsque aucune crainte ne les trouble, et elles jettent leurs cornes de côté; mais dès qu'elles ont quelque peur, elles vont à reculons; et elles se défendent de loin. Elles se battent aussi les unes contre les autres à la manière des béliers, levant leurs cornes et se frappant. Parfois aussi, on les voit se rassembler entre elles et former un vrai troupeau. Voilà comment vivent les crustacés. § 10. Parmi les mollusques, les petits calmars et les seiches s'emparent même de gros (591b) poissons. Les polypes ramassent surtout des coquillages, dont ils tirent la chair pour s'en nourrir; aussi, ceux qui en font la pèche reconnaissent le lieu de leur retraite aux coquilles qui l'entourent. D'ailleurs il n'est pas vrai que les polypes mangent leur propre corps, ainsi qu'on le prétend: mais ce qui est vrai, c'est qu'il y en a qui ont les pattes dévorées par les congres. [8,4] CHAPITRE IV. § 1. Tous les poissons se nourrissent de leurs oeufs aux époques régulières où ils en ont. Mais pour le reste de leur nourriture, ils n'ont pas tous la même. Tantôt, ils ne sont que carnivores, comme les sélaciens, les congres, les serrans, les thons, les loups, les sinodons, les bonitons, les orphos et les murènes. Les surmulets se nourrissent d'algues, d'huîtres et de vase; et ils sont carnivores aussi. Les capitons se nourrissent de vase; le dasquille se nourrit de vase ou de fiente. § 2. Le scare (ou perroquet de mer) se nourrit d'algues, ainsi que la Queue-noire; la saupe se nourrit d'algue en même temps que de fiente; elle mange encore du Prasium; et c'est aussi le seul poisson qu'on amorce avec de la coloquinte. § 3. Tous les poissons se dévorent entre eux, surtout les congres; il faut excepter le muge. Le capiton et le muge sont les seuls à n'être point carnivores; et la preuve, c'est qu'on n'a jamais trouvé rien de pareil dans le ventre de ceux qu'on prend, et qu'on ne se sert jamais pour les amorcer de chair d'animaux, mais de pâte. Le muge de toutes espèces se nourrit d'algues et de sable. § 4. Des deux capitons, l'un, qu'on appelle quelquefois la grosse-lèvre, vit près de terre; l'autre s'en éloigne; c'est le Péréas, qui ne se nourrit que de la mousse que lui-même produit. Aussi est-il toujours vide. Les bonitons mangent la vase; c'est ce qui les rend lourds et dégoûtants; ils ne mangent jamais les autres poissons; et comme ils ne vivent que dans la vase, ils sortent souvent de l'eau, pour se laver de l'ordure. § 5. Aucun autre poisson ne mange son frai; aussi pullulent-ils; mais quand ils sont gros, les autres poissons, et surtout (592a) l'acharnas, les dévorent. Le muge est le plus vorace des poissons : il est insatiable; son ventre est toujours gonflé; aussi ce poisson n'est bon que quand il est à jeun. Quand il a peur, il cache sa tête, croyant cacher ainsi le reste de son corps. Le sinodon est carnivore, et il mange les mollusques. Ces poissons, ainsi que le serran, laissent souvent tomber leur estomac par la bouche, quand ils poursuivent de plus petits poissons, parce que l'estomac de ces poissons est près de la bouche, et qu'ils n'ont pas d'oesophage. § 6. Ainsi qu'on l'a dit plus haut, il y a des poissons qui ne sont que carnivores, comme le dauphin, le sinodon, la dorade, les sélaciens-poissons, et les mollusques. Il est aussi des poissons qui, pour la plupart, se nourrissent de boue et d'algues, de mousse et de ce qu'on appelle le Caulium, et d'autres plantes marines, comme le font le phycis, le goujon et les saxatiles. Le phycis ne mange en fait de chair que celle des carides ou squilles. Souvent, nous le répétons, les poissons se dévorent entre eux; les plus grands mangent les plus petits ; et ce qui prouve bien qu'ils sont carnivores, c'est qu'on emploie de la viande pour les amorcer. § 7. Le capiton, le thon et le loup mangent presque toujours de la chair; mais ils mangent aussi des algues. Le sarge mange le surmulet, quand celui-ci vient à sortir de la boue, dans laquelle il s'enfouit; le sarge se jette alors sur le surmulet, et le saisit en empêchant les poissons plus faibles d'en faire autant que lui. Le poisson qu'on appelle le scare (ou poisson-perroquet) est le seul qui semble ruminer à la façon des quadrupèdes. § 8. Les plus gros poissons font la chasse aux plus petits, en les saisissant dans le sens direct où sont leurs bouches et où ils nagent; mais les sélaciens, les dauphins et tous les cétacés ne peuvent saisir leur proie qu'en se renversant sur le dos, parce qu'ils ont la bouche en dessous. Cela fait que les plus petits leur échappent davantage; autrement, il y en aurait bien peu; car la rapidité du dauphin et sa capacité de manger sont vraiment inimaginables. § 9. Quelques espèces d'anguilles, en petit nombre (592b) et dans quelques lieux seulement, se nourrissent de limon et de tout ce qu'on leur jette. Mais la plupart se nourrissent d'eau douce. Aussi, les éleveurs d'anguilles ont bien soin d'avoir l'eau la plus pure possible, se renouvelant sans cesse, arrivant et sortant, dans leurs viviers, et de les sabler pour y garder les anguilles. En effet, elles sont très vite suffoquées, quand l'eau n'est pas bien pure, parce qu'elles n'ont que de petites branchies ; et les pêcheurs le savent si bien qu'ils troublent l'eau quand ils vont à la chasse aux anguilles. § 10. Dans le Strymon, on les prend vers l'époque des Pléiades, parce qu'à cette époque l'eau est troublée jusqu'au fond, et que la vase est soulevée par les vents contraires qui règnent alors. Sans ces conditions, il vaut mieux pour les pêcheurs ne rien faire. Les anguilles mortes ne surnagent pas et ne remontent pas à la surface, comme la plupart des poissons, parce qu'elles ont le ventre très petit. Quelques-unes ont de la graisse; mais la plupart n'en ont pas. § 11. Hors de l'eau, les anguilles qu'on en a tirées vivent encore cinq ou six jours. Par les vents du nord, elles vivent davantage; si le vent est au sud, elles vivent moins. Quand on les transfère des étangs dans le vivier par la chaleur, elles ne tardent pas à mourir; mais par le froid, elles ne meurent pas. C'est qu'elles ne peuvent supporter les changements trop forts; et par exemple, si en les transportant on les plonge dans l'eau froide, elles meurent souvent toutes en masse. § 12. Elles sont suffoquées si on les nourrit dans une trop petite quantité d'eau, accident qui d'ailleurs arrive également aux poissons d'autres espèces. Ils étouffent aussi quand on les laisse toujours dans la même eau, qui n'est pas assez abondante. Il en est de même des animaux qui respirent et qui sont suffoqués quand l'air qui les environne est en quantité trop petite. § 13. Il y a des anguilles qui vivent des sept et huit ans. Les anguilles d'eau douce se dévorent les unes les autres; et elles mangent aussi des herbes, des racines, et tout ce qu'elles trouvent dans la vase. Elles mangent surtout durant la nuit; et le jour, elles se retirent dans le fond de l'eau. § 14. Voilà donc ce qu'il en est de l'alimentation des poissons. [8,5] CHAPITRE V. § 1. Tous les oiseaux qui ont des serres sont carnivores; et ils ne peuvent pas avaler de grain, même quand ou le leur met dans le bec en boulette. (593a) Tels sont, par exemple, les aigles de toutes les espèces, les milans, et les deux espèces d'éperviers, celui qui chasse les pigeons et le Spidzias, qui sont très différents en grosseur. Telle est aussi la buse. La buse est à peu près de la grandeur du milan, et on la trouve partout. § 2. On peut citer encore l'orfraie et le vautour. L'orfraie est plus grosse que l'aigle, et sa couleur est cendrée. On distingue deux espèces de vautours : l'une, qui est petite et plus blanchâtre ; l'autre, qui est plus grande et d'une couleur plus cendrée. § 3. Quelques oiseaux de nuit ont également des serres, par exemple, le hibou, le chat-huant, le grand-duc. Le grand-duc ressemble au chat-huant par sa forme; et en grandeur, il n'est pas plus petit que l'aigle. L'effraie, la chouette et le petit-duc ont aussi des serres. L'effraie est plus grande qu'un coq; et la chouette s'en rapproche. Ces deux oiseaux donnent la chasse aux pies. Le petit-duc est moins gros que le chat-huant. Ces trois oiseaux se ressemblent beaucoup entre eux, et ils sont tous carnivores. Il y a quelques oiseaux qui, sans avoir de serres, n'en sont pas moins carnivores, comme l'hirondelle. § 4. Certains oiseaux se nourrissent de larves d'insectes, le pinson, le moineau, le Batis, le verdier et la mésange, par exemple. Il y a trois espèces de mésanges : la mésange-pinson, qui est la plus grande, de la grosseur d'un pinson en effet; la mésange de montagne, ainsi appelée parce qu'elle vit dans les montagnes ; elle a une longue queue ; et la troisième espèce, qui ressemble aux deux premières, mais qui est la plus petite de toutes. § 5. On peut citer encore le bec-figue, la huppe-noire, le bouvreuil, le rouge-gorge, l'épiles, l'œstros et le roitelet. Ce dernier est un peu plus gros qu'une sauterelle; il a une huppe rouge, et en tout c'est une petite bête charmante et bien faite. Il y a aussi, parmi les carnivores, l'oiseau qu'on appelle la Fleur, qui est de la grandeur d'un pinson ; puis le pinson de montagne, qui, de forme et de grosseur, se rapproche beaucoup du pinson ordinaire, si ce n'est qu'il est bleuâtre sur le cou et qu'il vit dans les montagnes. Enfin, on peut compter dans cette classe le troglodyte, le spermologue. § 6. En général, tous les oiseaux de ce genre et ceux qui s'en rapprochent, se nourrissent de larves, ou exclusivement, ou du moins en grande partie. D'autres oiseaux mangent des épines, tels que l'épinier, le Thraupis ou briseur, et celui qu'on nomme le bonnet-d'or. (593b) Tous ces oiseaux se contentent d'épines, et ils ne mangent, ni les larves, ni rien de vivant. Ils dorment aussi dans les épines, de même qu'ils y trouvent leur nourriture. § 7. D'autres oiseaux encore se nourrissent de moucherons, qu'ils peuvent attraper en les chassant et qui sont leur pâture principale ; par exemple, la Pipô (le pic) qui a deux espèces, la grande et la petite, appelées quelquefois toutes les deux le Perce-arbres. Ces deux pics se ressemblent entre eux; et ils ont un cri pareil, si ce n'est que le plus grand a aussi une voix plus forte. Tous deux se nourrissent en volant contre les arbres. § 8. Il y a encore le pic-vert. Le pic-vert est de la grosseur d'une tourterelle ; et il est tout à fait vert. Il frappe et creuse les arbres avec une violence extrême; il se nourrit surtout de ce qu'il trouve dans leur bois. Il a une voix énorme. On le rencontre principalement dans le Péloponnèse et les contrées voisines. Un autre oiseau qu'on appelle le Gobe-mouche, est plus petit et de la grosseur d'une mésange; il est de couleur cendrée, et il est moucheté. Sa voix est faible, et c'est aussi un oiseau qui creuse le bois des arbres. § 9. Il est d'autres oiseaux qui vivent de fruits et d'herbes : par exemple, le petit ramier, le ramier, le pigeon, le vineux, la tourterelle. Le ramier et le pigeon se montrent en tous temps. La tourterelle ne paraît qu'en été; elle disparaît en hiver pour se blottir. C'est surtout à l'automne qu'on voit le vineux, et qu'il se fait prendre. Le vineux est un peu plus gros que le pigeon ordinaire, et un peu plus petit que le petit ramier. On le prend le plus facilement au moment où il boit de l'eau, qu'il avale avec avidité. Les oiseaux de cette espèce viennent dans nos contrées, en ayant déjà leurs petits. Tous les autres, y arrivant en été, y font leurs couvées, qu'ils nourrissent presque tous avec des petites bêtes vivantes, si l'on en excepte l'espèce des colombacés. § 10. De tous les oiseaux, peut-on dire, les uns trouvent leur nourriture sur la terre, où ils marchent; les autres la trouvent sur les bords des cours d'eau et des marais, où ils vivent; d'autres encore, sur les bords de la mer. Les oiseaux palmipèdes passent presque toute leur vie dans l'eau même; ceux qui n'ont que les doigts simplement divisés vivent sur les bords de l'eau. De ces derniers, quelques-uns vivent de ce qu'ils prennent dans l'eau en y plongeant; d'autres vivent d'herbes aquatiques, s'ils ne sont pas carnivores. § 11. (594a) Quelques oiseaux vivent au bord des marais et des rivières, tels que le héron et le héron blanc. Ce dernier est plus petit que l'autre ; et il a le bec large et long. On peut citer aussi la cigogne et la mouette, qui est de couleur cendrée, le Schoinilos, le Cincle, et le cul-blanc. Ce dernier est le plus grand de ces petits oiseaux, et il est de la grosseur d'une grive. Tous, ils hochent leur queue. Il y a encore le Scalidris. Cet oiseau est de plusieurs couleurs; mais l'ensemble de son corps est de couleur cendrée. § 12. Les halcyons sont aussi des oiseaux aquatiques, ou se tenant sur le bord des eaux. Ou en distingue deux espèces : l'une, qui perche et chante sur les roseaux; l'autre, qui est sans voix. Cette dernière est plus grande. Les deux espèces ont le dos bleu foncé. Puis, il y a le roitelet. L'halcyon et le Kéryle habitent les bords de la mer. Les corneilles s'y repaissent aussi de tous les poissons que la mer rejette; car la corneille est un animal omnivore. § 13. D'autres oiseaux de ce genre sont la mouette blanche, le kepphos, le plongeon, l'oiseau des rochers et des trous. Parmi les palmipèdes, les plus lourds habitent le long des rivières et des marais : le cygne, par exemple, le canard, le phalaris, le colymbe ; puis la sarcelle, qui ressemble au canard, mais qui est un peu plus petite. Puis encore, l'oiseau qu'on appelle le corbeau aquatique ; il est à peu près de la grosseur de la cigogne, bien qu'il ait les pattes plus courtes. D'ailleurs, il est palmipède, et il nage; sa couleur est noire. De tous les oiseaux de cette classe, il est le seul qui niche sur les arbres et qui y fasse ses petits. § 14. Puis, il y a encore la grande-oie, et la petite-oie, qui va en troupe; l'oie-renard, la chèvre d'eau et le pénélops. L'aigle marin se tient habituellement sur le bord de la mer; et il fait la chasse aux oiseaux de marais. § 15. Beaucoup d'oiseaux sont omnivores, et ils mangent les autres oiseaux, comme le reste. Ceux qui sont pourvus de serres mangent les animaux de toute sorte dont ils peuvent s'emparer, et prennent aussi les oiseaux. Seulement, ils ne se mangent pas les uns les autres dans la même espèce, différents en cela des poissons, qui bien souvent se dévorent les uns les autres dans leur même espèce. En général, tous les oiseaux, quels qu'ils soient, boivent peu. Ceux qui ont des serres (594b) ne boivent point du tout, si ce n'est, parmi eux, quelques espèces en petit nombre, et qui encore ne boivent presque point. De ces oiseaux, c'est la cresserelle qui boit le plus. On a vu aussi le milan boire quelquefois, mais très peu. [8,6] CHAPITRE VI. § 1. Les animaux à peau écailleuse, tels que le lézard et les autres quadrupèdes de ce genre, et les serpents, sont omnivores; ils se nourrissent de chair; mais ils mangent aussi de l'herbe. Il n'y a pas d'animal plus glouton que le serpent. Tous ces animaux boivent peu, ainsi que tous ceux qui ont le poumon spongieux. Tous les ovipares ont, en général, un poumon qui est spongieux et qui a peu de sang: Les serpents aiment excessivement le vin; et aussi, pour faire la chasse aux vipères, on dépose, dans les haies, des vases et des coquilles où l'on met du vin. On prend alors les vipères, qui sont ivres. Les serpents étant carnivores, ils sucent l'animal qu'ils ont pris et le rejettent tout entier par l'issue inférieure. Il y a d'autres animaux qui en font autant : par exemple, les araignées: mais les araignées sucent l'animal qui est dehors, tandis que les serpents le sucent dans leur ventre. § 2. Le serpent prend donc tout ce qu'il trouve et ce qui s'offre à lui. Il mange des petits oiseaux, des petites bêtes, et il avale les oeufs. Quand le serpent a saisi une proie, il la retire à lui jusqu'à ce qu'arrivant au bout il puisse se dresser tout droit; il se ramasse alors sur lui-même et se rapetisse autant qu'il peut, de telle sorte que, le corps s'étendant de nouveau, la proie qui a été engloutie descende en bas. Le serpent est obligé de faire ce mouvement, parce que son oesophage est long et étroit. § 3. Les araignées et les serpents peuvent rester très longtemps sans manger, et c'est ce qu'on peut observer sur les serpents que nourrissent les marchands de remèdes. [8,7] CHAPITRE VII. § 1. Parmi les quadrupèdes vivipares, tous ceux qui sont sauvages, et qui ont les dents aiguës, sont carnivores. Peut-être doit-on excepter les loups, qui, dit-on, quand ils sont par trop affamés, mangent de la terre, les seuls à se nourrir ainsi entre tous les animaux. Les carnivores ne mangent jamais d'herbes, si ce n'est quand ils sont malades, comme le font les chiens qui, en mangeant de l'herbe, se font vomir et se purgent. Les loups qui vont seuls se jettent sur les hommes et les dévorent plutôt que les loups qui chassent en troupe. § 2. Le carnivore que l'on appelle, tantôt le Glanos, tantôt l'hyène, est à peu près de la grosseur du loup. Il a une crinière dans le genre (595a) du cheval ; mais les poils qu'il a sur toute la longueur du dos sont plus rudes et plus fournis que ceux du cheval. L'hyène suit les hommes pour les surprendre et leur fait la chasse; elle poursuit les chiens; et elle vomit à peu près comme les hommes. Elle déterre les cadavres, tant elle aime à manger cette chair putréfiée. § 3. Quant à l'ours, il est omnivore; ainsi, il mange des fruits, et il monte sur les arbres, où, grâce à la souplesse de son corps, il peut grimper; il aime également les légumes. Il dévore le miel après avoir brisé les ruches, où sont les essaims. Il mange les crabes et les fourmis, en même temps qu'il mange de la chair. Il est assez fort pour attaquer non seulement les cerfs, mais aussi les sangliers, s'il peut les surprendre, et même les taureaux. Il s'élance de front contre le taureau, et il se précipite sous lui; puis, quand le taureau essaye de le frapper, il lui saisit les cornes dans ses pattes, qui l'embrassent, lui mord les épaules avec sa gueule et le terrasse. L'ours peut marcher, quelque peu de moments, en se tenant tout droit sur ses deux pieds. Avant de manger la chair dont il se repaît, il la laisse pourrir. § 4. Le lion est carnivore, comme le sont tous les quadrupèdes sauvages qui ont les dents aiguës (en forme de scie). Il mange avec avidité, et il avale des morceaux entiers sans les déchirer. Il reste des deux et trois jours sans manger; et il le peut sans peine, après s'être repu outre mesure. Le lion boit peu; il ne rend ses excréments qu'à de rares intervalles; et il ne les fait que tous les trois jours, ou selon que cela se trouve. Ses excréments sont secs et très durs, comme ceux du chien. Il lâche des vents extrêmement puants; et son urine a une très forte odeur. Aussi, les chiens flairent-ils les arbres où le lion s'est arrêté; car il urine en levant la patte, absolument comme le font les chiens. Il dépose aussi une odeur violente sur ce qu'il mange en respirant dessus; et quand on ouvre un lion, l'odeur qu'exhalent ses viscères est insupportable. § 5. Il y a quelques quadrupèdes sauvages qui se nourrissent de ce qu'ils trouvent, sur le bord des cours d'eau et des marais. Pas un ne vit sur les bords de la mer, si ce n'est le phoque. Les quadrupèdes de ce genre sont l'animal qu'on appelle le castor, le sathérion, le satyrion, la loutre et celui qu'on nomme Latax. Ce dernier animal est plus large que la loutre, et il a (595b) des dents puissantes. Il sort de nuit; et souvent, il coupe avec ses dents les arbustes qui croissent sur le bord des eaux. La loutre aussi mord les hommes, et ne lâche sa proie, à ce que l'on dit, que quand elle entend les os craquer. Le latax a le poil dur, et ce poil tient une sorte de milieu entre celui du phoque et celui du cerf. [8,8] CHAPITRE VIII. § 1. Les animaux qui ont les dents aiguës (en forme de scie), boivent en lapant; il y en a aussi qui, sans avoir les dents ainsi disposées, n'en lapent pas moins, comme le font les rats. Ceux qui ont les dents égales et continues, comme les chevaux et les boeufs, boivent en aspirant, et hument le liquide. L'ours ne hume pas; et il ne lape pas non plus; il happe. Parmi les oiseaux, la plupart hument l'eau; cependant ceux qui ont un long cou s'y reprennent à plusieurs fois, en élevant la tête. Le porphyrion seul happe l'eau. § 2. Les animaux à cornes, domestiques ou sauvages, et ceux qui n'ont pas les dents aiguës, sont tous frugivores et herbivores, si ce n'est quand ils sont trop pressés de la faim. Il faut excepter le cochon, qui ne mange ni herbe ni fruit, mais qui aime les racines plus qu'aucun autre animal, parce que son groin est naturellement fait pour cette besogne. Le cochon est aussi de tous les animaux celui qui s'accommode le plus aisément de toute espèce de nourriture. § 3. C'est aussi l'animal qui profite et s'engraisse le plus rapidement, eu égard à sa grosseur. Il suffit de soixante jours pour l'engraisser. Les gens qui spéculent sur cette opération, en les prenant maigres, savent combien le cochon profite rapidement. Avant de l'engraisser, on le fait jeûner trois jours entiers; c'est, du reste, le même procédé qu'on adopte pour tous les animaux qu'on veut engraisser, et qu'on fait jeûner d'abord. Après ces trois jours, les engraisseurs de cochons leur donnent une nourriture abondante. § 4. En Thrace, on les engraisse en leur donnant à boire le premier jour; puis on reste, d'abord, un jour sans leur donner à boire; puis deux jours, puis trois, puis quatre, et ainsi de suite jusqu'à sept jours. Le cochon s'engraisse avec de l'orge, du maïs, des figues, des glands, des poires sauvages, des concombres. Ce qui engraisse le plus le cochon, ainsi que tous les autres animaux qui ont le ventre chaud, c'est le repos; mais le cochon s'engraisse aussi beaucoup en se vautrant dans la boue. Il faut d'ailleurs les nourrir (596a) selon leur âge. Le cochon sait se défendre même contre le loup. Du poids que le cochon a de son vivant, il en perd la sixième partie en poils, en sang et autres matières de ce genre. Les truies, qui allaitent, maigrissent comme tous les autres animaux quand ils élèvent leurs petits. Voilà ce que nous avions à dire du cochon. [8,9] CHAPITRE IX. § 1. Les boeufs se nourrissent tout à la fois de grains et de fourrage. On les engraisse en leur donnant des flatueux, tels que les orobes et les fèves concassées; et aussi, en leur donnant les feuilles de fèves. Un autre moyen d'engraisser les plus vieux, c'est de leur faire des incisions à la peau et de les insuffler, avant de leur donner leur nourriture. On peut aussi les engraisser avec de l'orge, soit en la laissant entière, soit en la pilant. § 2. On peut encore leur donner des aliments sucrés, comme des figues, des raisins secs, du vin et des feuilles d'ormeau. Ce qui contribue le plus à les engraisser, c'est la chaleur du soleil, et aussi les lavages chauds. Pour les jeunes boeufs, on peut faire de leurs cornes tout ce que l'on veut, en les enduisant de cire. § 3. On soulage aussi leurs maux de pieds en recouvrant leurs cornes de cire, de poix, ou d'huile. Quand on fait voyager les troupeaux par la gelée blanche, ils en souffrent plus que de la neige. § 4. Les vaches grandissent davantage quand on retarde de plusieurs années leur accouplement. Aussi, dans l'Épire, on garde les vaches qu'on appelle les Pyrrhiques jusqu'à l'âge de neuf ans sans les laisser approcher du taureau; et de là, le nom qu'on leur donne d'Apotaures; c'est pour les faire grossir. Ces vaches qui sont, à ce qu'on dit, au nombre de quatre cents environ, appartiennent aux rois du pays. On dit aussi qu'elles ne peuvent pas vivre dans d'autres climats, malgré les divers essais qu'on a pu tenter. [8,10] CHAPITRE X. § 1. Les chevaux, les mulets et les ânes mangent des grains et de l'herbe. Ce qui les engraisse plus que tout le reste, c'est ce qu'ils boivent; car les bêtes de somme ont d'autant plus d'appétit à ce qu'elles mangent qu'elles ont bu davantage; la boisson qui leur a été la plus agréable est aussi celle qui les fortifie le plus. Le lieu où le breuvage leur est le moins désagréable est aussi celui qui leur convient le mieux. § 2. La pitance, quand elle est fraîche et pleine, leur rend le poil lisse ; quand il s'y trouve des parties trop dures, elle ne leur fait pas de bien. La première coupe de l'herbe de Médie leur fait du mal, ainsi que l'eau corrompue qui se mêle au fourrage, parce qu'elle a une mauvaise odeur de bouc. Les boeufs ne cherchent à boire que de l'eau bien pure. Le goût des chevaux est le même que celui des chameaux; et le chameau trouve plus de plaisir à boire de l'eau bourbeuse et épaisse ; il ne boit jamais dans (596b) les rivières avant d'en avoir troublé l'eau qu'il y prend. Le chameau peut d'ailleurs rester sans boire quatre jours de suite; mais ensuite, il absorbe une quantité d'eau énorme. [8,11] CHAPITRE XI. § 1. L'éléphant mange en un seul repas jusqu'à neuf médimnes macédoniens; mais une si grande quantité de nourriture n'est pas sans danger. En général, six ou sept médimnes au plus lui suffisent ; cinq, si c'est de la farine. Il leur faut cinq Maris de vin ; et le Maris contient six cotyles. On a constaté qu'un éléphant avait bu en une fois jusqu'à quatorze mesures macédoniennes d'eau; et le soir, il en put boire encore huit autres. § 2. Si beaucoup de chameaux vivent environ trente ans, et quelques-uns même bien davantage, puisqu'il y eu a qui vont à cent ans, l'éléphant vit deux cents ans, à ce qu'on assure ; et il va même jusqu'à trois cents, dit-on encore. [8,12] CHAPITRE XII. § 1. Les moutons et les chèvres se nourrissent d'herbes; mais les moutons mangent en restant sur place et sans bouger; les chèvres au contraire changent de place à tout moment, et ne mangent que le sommet des tiges. § 2. C'est surtout la boisson que prennent les moutons qui les engraisse; aussi, pendant l'été, leur donne-t-on du sel tous les cinq jours, un médimne de sel par cent bêtes. Avec ce soin, on rend le troupeau plus gras, en même temps qu'il se porte mieux. Aussi, leur donne-t-on du sel avec beaucoup d'autres choses; et par exemple, on mêle du sel à la paille qu'ils mangent. La soif les fait alors boire davantage; et à l'automne, on saupoudre de sel les concombres dont on les nourrit. § 3. Les brebis ont alors plus de lait; et quand on les fait sortir à midi, elles boivent davantage le soir. Lorsqu'on leur donne du sel avant qu'elles ne mettent bas, leurs mamelles s'allongent et descendent. La feuille d'olivier, soit cultivé, soit sauvage, le pissenlit, la paille de toute espèce, engraissent les moutons; mais tous ces aliments, saupoudrés d'eau salée, les engraissent encore bien mieux. Ce qui aide plus encore à les engraisser, c'est de les soumettre à un jeûne préalable de trois jours. § 4. En automne, les eaux exposées au nord leur valent mieux que les eaux qui sont au midi: et les pâtures du soir leur sont surtout favorables; au contraire, les longues marches et les fatigues les font maigrir. Les bergers savent reconnaître les bêtes qui sont les plus fortes en ce que, durant l'hiver, (597a) les unes gardent le givre et que les autres ne le gardent pas. Celles qui ne sont pas robustes s'en débarrassent en le secouant. § 5. Pour toutes les espèces de quadrupèdes, la chair est moins bonne quand les bêtes paissent dans des marécages, que quand elles paissent dans des lieux plus hauts. Les moutons à queue large supportent mieux le froid que les moutons à queue longue ; et ceux qui ont la laine claire, mieux que ceux qui l'ont épaisse. Les moutons qui ont la laine en flocons souffrent beaucoup de l'hiver. Les moutons sont plus sains que les chèvres; mais les chèvres sont plus robustes que les moutons. Quand des moutons ont été dévorés par des loups, leurs toisons, la laine qu'on en recueille, et même les vêtements qu'on en tire, sont bien plus sujets que les autres à la vermine. [8,13] CHAPITRE XIII. § 1. Parmi les insectes, ceux qui ont des dents mangent de tout; ceux qui n'ont qu'une langue, ne peuvent vivre que de liquides, où ils puisent, à l'aide de cet organe, les sucs qu'il leur faut. De ces derniers, les uns mangent de tout, en ce sens qu'ils goûtent toutes les saveurs, comme le font les mouches. D'autres boivent du sang, comme le taon et la grosse mouche; il en est d'autres qui se contentent de sucer les plantes et les fruits. L'abeille est le seul insecte qui ne se pose jamais sur aucune ordure; elle ne fait sa nourriture que des choses qui ont une saveur douce; et l'eau qui leur est la plus agréable est celle qui jaillit la plus pure. § 2. Telle est donc la manière dont, en général, les animaux prennent la nourriture qui leur convient. [8,14] CHAPITRE XIV. § 1. Les actions diverses des animaux ont pour objets : l'accouplement, la production des petits, la recherche de la nourriture, qui doit être suffisamment abondante, le froid et le chaud, et enfin les migrations, suivant les saisons de l'année. Tous les animaux en effet sentent le changement du froid et de la chaleur, par leur organisation même; et tout comme, dans l'espèce humaine, certains peuples se retirent dans des maisons en hiver, tandis que d'autres, disposant de vastes contrées, vont chercher la chaleur en hiver et le froid en été, de même aussi ceux des animaux qui peuvent changer de lieux ne manquent pas de le faire. § 2. Ainsi, tandis que les uns restent dans les climats dont ils ont l'habitude, parce qu'ils y trouvent tout ce qu'il leur faut, les autres changent de demeures, fuyant (597b) à l'approche de l'hiver, et vers l'équinoxe d'automne, les rives du Pont et les régions froides; et après l'équinoxe du printemps, revenant des climats chauds vers les plus froids, par crainte des chaleurs brûlantes. § 3. Dans ces migrations, les uns viennent de lieux voisins; d'autres viennent de toute extrémité, peut-on dire. Par exemple, les grues se transportent de la Scythie dans les marais de la Haute-Égypte, d'où sort le Nil. C'est le pays où habitent les Pygmées, auxquels elles font la guerre; car les Pygmées ne sont pas du tout une fable, et il existe réellement une race d'hommes, comme on l'assure, de très petite taille, ainsi que leurs chevaux, et qui passent leur vie dans des cavernes. § 4. Les pélicans aussi se déplacent. Ils s'envolent des bords du Strymon vers ceux de l'Ister, où ils vont faire leurs petits. Ils émigrent en troupes serrées, les premiers attendant les derniers, parce que, au passage des montagnes, les derniers ne peuvent plus être vus par ceux qui les précèdent. § 5. Les poissons font les mêmes migrations, les uns, sortant du Pont et y retournant , les autres quittant en hiver la haute mer pour se rapprocher de la terre, où ils recherchent la chaleur; et dans l'été, retournant des bords de la terre dans les hautes eaux, où ils peuvent trouver plus de fraîcheur. Parmi les oiseaux, ceux qui ne sont pas très forts descendent, en hiver et par les gelées, dans la plaine, afin d'y avoir plus chaud; et l'été venu, ils retournent à la montagne pour éviter les chaleurs qui les brillent. § 6. Ce sont toujours les espèces les plus faibles qui commencent I'émigration les premières, afin d'éviter l'un ou I'autre excès de température. Ainsi, les maquereaux partent avant les thons; et les cailles devancent les grues. Les unes émigrent dans le mois de Boédromion les autres, dans le mois de Moemactérion. Toutes les espèces son! toujours plus grasses quand elles reviennent des climats chauds: et c'est ainsi que les cailles sont plus grasses à l'automne qu'au printemps. Il se trouve que c'est à la même époque que l'émigration a lieu, soit des climats chauds, soit des climats froids. C'est aussi à l'époque du printemps que toutes ces espèces sont plus portées à l'accouplement, et quand elles reviennent des contrées chaudes. § 7. Ainsi qu'on vient de le dire, ce sont les grues, parmi les oiseaux, qui émigrent d'une extrémité de la terre à l'autre. Elles volent en prenant le vent. Mais ce qu'on dit (598a) de leur prétendue pierre est faux. On assure en effet qu'elles prennent une pierre pour se lester, laquelle pierre serait bonne à éprouver l'or, quand par hasard une grue en laisse tomber une de son bec. § 8. Les ramiers et les bisets émigrent et ne passent pas l'hiver dans nos contrées, non plus que les hirondelles et les tourterelles. Mais les colombes n'émigrent pas; et elles restent dans nos pays. Les cailles s'en vont comme les tourterelles; et s'il en reste quelques-unes, c'est qu'elles se trouvent dans des lieux bien exposés au soleil. § 9. Les grands ramiers et les tourterelles s'assemblent en troupes, soit lorsqu'elles arrivent, soit quand la saison du départ est venue de nouveau. Quand les cailles sont de passage, et que le temps est beau ou que règne le vent du nord, elles s'accouplent et jouissent du temps; mais en cas de vent du sud, elles ont beaucoup de difficultés à s'envoler parce que le vent du sud est humide et violent. § 10. C'est pour cette raison que les oiseleurs ne recherchent jamais ces oiseaux par beau temps, mais seulement lors de la prédominance des vents du sud, quand l'oiseau ne peut voler à cause de la violence du vent. Et, d'ailleurs, c'est à cause de l'embarras dû à la grosseur de son corps que l'oiseau jette toujours des cris perçants tout en volant : tant est pénible son travail. § 11. Quand les cailles viennent de l'étranger elles n'ont aucun chef, mais quand elles émigrent, la glottis partent avec elles, ainsi que la caille royale, et le hibou moyen ducs, et le râle des genêts. Le râle des genêts les appelle la nuit, et quand les oiseleurs entendent le coassement de l'oiseau dans la nuit ils savent que les cailles sont en mouvement. La caille royale est comme un oiseau de marais, et la glottis a une langue qui peut se projeter loin de son bec. § 12. Le hibou moyen duc est comme un hibou ordinaire, seulement il a des plumes autour de ses oreilles ; certains l'appellent le corbeau de nuit. C'est un grand drôle d'oiseau, et c'est un excellent imitateur ; un oiseleur dansera devant lui et, lorsque l'oiseau imite ses gestes, un complice arrive par derrière et l'attrape. Le hibou commun est attrapé de la même façon. Les oiseaux qui vont en bandes sont : la grue, le cygne, le pélican et la petite-oie. [8,15] CHAPITRE XV. § 1. Ainsi qu'on vient de le dire, les poissons émigrent, tantôt de la haute mer vers la terre, tantôt de la (598b) terre vers la haute mer, pour fuir l'excès du froid ou celui de la chaleur. Les poissons qui vivent près de terre valent mieux que ceux des eaux profondes, parce qu'ils trouvent sur les bords une pâture plus abondante et meilleure; car là où le soleil darde ses rayons, toutes les plantes poussent plus nombreuses, meilleures et plus tendres, comme on le voit dans les jardins. C'est ainsi que l'algue noire pousse près de terre, tandis que l'autre algue ressemble aux plantes sauvages. § 2. On peut ajouter que les lieux qui avoisinent la terre ont, bien plus que la haute mer, un équilibre complet de chaud et de froid; et c'est là ce qui fait que la chair des poissons vivant dans ces parages a plus de consistance; la chair des poissons de haute mer est aqueuse et molle. Les poissons des côtes sont le sinodon, le kantharos ou scarabée, l'orphos, la dorade, le muge, la trigle ou surmulet, la grive, le dragon, le callionyme, le goujon et tous les saxatiles. Les poissons de haute mer sont la pasténague, les sélaciens, les congres blancs, le serran, le rouget et le glaucus. Les phagres, les scorpions, les congres noirs, les murènes, les coucous marins tiennent des deux; ils sont à la fois des côtes et de la haute mer. § 3. Suivant les lieux, il y a de grandes différences pour ces divers poissons. Ainsi, sur les côtes de la Crète, les goujons et les saxatiles sont plus gras; le thon redevient meilleur après le lever de l'Arcture, parce que, dans cette saison, il n'est plus tourmenté par les moucherons, qui le rendent beaucoup moins bon en été. On trouve une quantité de poissons dans les étangs que forme la mer : la saupe, la dorade, le surmulet, et la plupart des autres poissons de côtes. Les bonitons s'y trouvent aussi, comme on le voit près d'Alopéconnèse; et c'est de même encore que dans l'étang de Biston, on rencontre presque toutes les espèces de poissons. § 4. Il y a très peu de Colias qui remontent jusque dans le Pont-Euxin; ils passent l'été dans la Propontide; ils y frayent, et ils viennent passer l'hiver dans la mer Égée. Les thons femelles, les pélamydes et les bonitons émigrent dans le Pont au printemps; et ils y restent l'été, comme le font aussi presque tous les poissons rapides (Ryades) et ceux qui vont par troupe. La plupart vont par troupe; et les troupes ont toujours un chef. § 5. Ce qui attire tous ces poissons dans le Pont-Euxin, c'est le besoin de se nourrir; la pâture y est pour eux plus abondante et meilleure, à cause des eaux douces que cette mer reçoit. Les poissons (599a) voraces sont, dans cette mer, plus petits qu'ailleurs; on n'y trouve guère que le dauphin et le phocène; le dauphin y est petit, tandis que, en sortant du Pont, on en voit sur-le-champ de très grands. § 6. Ce n'est pas seulement pour la pâture que les poissons viennent dans le Pont; c'est aussi pour le frai. Les lieux y sont très favorables à la ponte; l'eau potable et l'eau moins saumâtre nourrissent mieux les petits. Une fois la ponte faite, et une fois les petits devenus grands, les poissons s'en retournent aussitôt après le lever de la pléiade. Si le vent du sud règne en hiver, ils sont plus lents à sortir; ils sortent, au contraire, plus vite par le vent du nord, attendu que ce vent les aide à nager. Les jeunes, qu'on prend alors dans les eaux de Byzance, sont plus petits, parce qu'ils n'ont pas séjourné beaucoup dans le Pont. § 7. On voit aisément tous les autres poissons sortir ou entrer; mais le trichias est le seul qu'on prend quand il entre, et qu'on ne voit jamais sortir. Quand, par hasard, on en prend un près de Byzance, les pêcheurs ne manquent pas de purifier leurs filets, parce que d'habitude le poisson ne sort pas du Pont-Euxin. Cela tient à ce que, seuls entre tous, ces poissons remontent le cours de l'Ister, et que, là où ce fleuve se divise, ils descendent dans l'Adriatique. Une preuve de ce phénomène, qui est ici tout le contraire de l'autre, c'est qu'on ne prend jamais de trichias qui entrent dans l'Adriatique, et qu'on en prend qui en sortent. § 8. Les thons entrent dans le Pont, en ayant la terre à droite, et ils en sortent en l'ayant à gauche. On explique ce changement en disant, avec quelques personnes, que les thons voient mieux de l'oeil droit et que leur vue est naturellement mauvaise. Les poissons qui sont très rapides (les Ryades) ne voyagent que de jour; ils s'arrêtent la nuit; et c'est alors qu'ils mangent, s'il ne fait pas de lune; si, au contraire, il y eu a, ils continuent leur voyage et ne se reposent pas. Quelques marins prétendent qu'ils ne bougent plus dès qu'est arrivé le solstice d'hiver; et ils s'arrêtent là où il les surprend, jusqu'à l'équinoxe. § 9. On prend des Colias quand ils entrent dans le Pont; on n'en prend presque jamais qui en sortent. Les plus délicats sont ceux de la Propontide, avant le frai. Quant aux autres poissons qui vont en troupes, ou les pèche plutôt à leur sortie du Pont; et c'est alors qu'ils sont les meilleurs. Quand ils entrent dans le Pont, ceux qu'on prend le plus près du rivage sont les plus gras; et plus on s'en éloigne, plus ils sont maigres. (599b) Souvent quand le vent du sud s'oppose à leur sortie, ils se joignent, pour sortir, aux Colias et aux maquereaux ; et on les prend au-dessous de Byzance plutôt qu'aux environs de cette ville. § 10. Voilà ce que nous avions à dire sur les déplacements et les migrations des animaux. [8,16] CHAPITRE XVI. § 1. Le temps de la retraite est bien aussi, pour les animaux terrestres, quelque chose comme les migrations; en hiver, ils se hâtent de chercher un abri retiré, qu'ils ne quittent qu'à l'époque de la saison plus chaude. C'est également pour se garantir, et pour éviter les excès des deux saisons, qu'ils se retirent. Parfois, c'est le genre tout entier qui fait cette retraite; parfois, dans un même genre, tels individus se retirent, ta?dis que d'autres ne se retirent pas. § 2. Tous les testacés se retirent sans exception, comme on le voit pour les testacés marins, les pourpres, les buccins et tous les animaux de cet ordre. Seulement, pour ceux de ces animaux qui sont détachés et libres, leur retraite est plus évidente; et alors on les voit se cacher, comme les peignes, tandis que les autres, comme le limaçon de terre, se couvrent d'une croûte à la surface. Au contraire, pour ceux qui ne sont pas détachés, on ne voit pas leur changement. § 3. La saison où les animaux se retirent n'est pas la même pour tous. Ainsi, les limaçons se cachent en hiver; les pourpres et les buccins se cachent dans la canicule, pendant une trentaine de jours; les peignes se cachent aussi durant le même temps. La plupart des testacés se cachent également, et pendant les grands froids, et pendant les grandes chaleurs. § 4. Presque tous les insectes font retraite, si ce n'est ceux qui vivent dans les habitations de l'homme, et aussi ceux qui meurent sans arriver à une seconde année. Les insectes se retirent durant l'hiver; mais les uns se retirent pour plus longtemps; les autres ne se retirent que dans les jours les plus froids : par exemple, les abeilles, qui elles aussi se retirent. Ce qui le prouve, c'est qu'alors elles ne goûtent point à la nourriture placée devant elles; et si l'une d'elles vient à sortir de la ruche, on peut voir qu'elle est transparente, et se convaincre qu'elle n'a rien dans l'estomac. L'inertie dure pour les abeilles depuis le coucher de la Pléiade jusqu'au printemps. § 5. Les animaux se font des retraites en se cachant dans des endroits chauds, ou dans ceux où ils ont aussi l'habitude d'aller dormir. [8,17] CHAPITRE XVII. § 1. Même parmi les animaux qui ont du sang, il en est beaucoup qui se retirent : par exemple, ceux qui ont la peau écailleuse, serpents, lézards, stellions, crocodiles de rivières, qui se retirent pendant les quatre mois les plus rudes de l'hiver, et qui, durant tout ce temps, ne mangent rien. Les autres serpents (600a) se retirent dans le sol; mais les vipères se cachent sous des pierres. § 2. La plupart des poissons se retirent aussi; et c'est ce qu'on voit de la manière la plus certaine pour l'hippoure et le coracin, qui se retirent durant l'hiver. Ce sont là, d'ailleurs, les seuls poissons qu'on ne prend jamais qu'à des époques de l'année très régulières et toujours les mêmes, tandis que l'on prend les autres poissons presque en tout temps. La murène, l'orphôs et le congre se retirent. Les saxatiles se retirent par couples, mâles et femelles, de même qu'ils se réunissent ainsi pour faire leurs petits, témoin les grives d'eau, les merles d'eau et les perches. § 3. Les thons se retirent en hiver dans les bas-fonds, et c'est surtout après cette retraite qu'ils sont les plus gras ; leur pêche commence au lever de la Pléiade et dure jusqu'au coucher de l'Arcture, au plus tard; le reste de l'année, ils se tiennent tranquilles dans leur retraite. On en prend quelques-uns à l'époque de leur retraite, comme aussi d'autres espèces de poissons qui se retirent, parce qu'ils se mettent en mouvement quand le lieu où ils sont est échauffé par quelques beaux jours, qui surviennent inopinément. Ils se risquent alors à sortir quelques instants de leur retraite, pour aller se repaître; ce qui leur arrive aussi dans les pleines lunes. § 4. Les animaux qui font retraite sont généralement les plus délicats à manger. Mais les primades se blottissent dans la vase. Ce qui l'indique bien, c'est qu'on n'en prend pas durant ce temps, ou que celles qu'on prend ont toujours le dos couvert de limon, et les nageoires toutes pleines de bourbe. Vers la saison du printemps, les poissons se méfient en mouvement, et ils se rendent vers la terre pour s'y accoupler et pour pondre. On prend les femelles pleines; et c'est à ce moment qu'elles semblent le plus à point. A l'automne et en hiver, elles sont moins bonnes. C'est alors aussi que les mâles paraissent être remplis de laite. § 5. Tant qu'elles n'ont que des oeufs petits, elles sont difficiles à prendre; mais quand leurs portées sont plus grosses, on en prend en quantité, parce qu'alors elles ont l'oestre qui les tourmente. § 6. Il y a des poissons qui se retirent dans le sable; d'autres, dans le limon, ne laissant sortir que leur bouche. La plupart se retirent durant tout l'hiver uniquement ; mais les crustacés, les poissons saxatiles, les raies et les sélaciens ne se retirent que dans les jours les plus froids; la preuve, c'est qu'on n'en prend jamais dans les jours où il gèle. § 7. Il y a bien aussi quelques espèces de poissons qui se retirent en été, le glaucus, par exemple, qui, dans la chaleur, se retire pendant soixante jours environ. L'âne marin et la dorade se retirent aussi. Ce qui semblerait prouver (600b) que l'âne marin se retire très longtemps, c'est qu'on n'en prend qu'à de très longs intervalles. Une autre preuve qui atteste que les poissons se retirent aussi en été, c'est que la pêche s'en fait au coucher des constellations, et surtout au coucher de l'étoile du Chien. A cette époque, la mer parait toute bouleversée, ce qu'on peut observer mieux qu'ailleurs dans le Bosphore. La vase remonte à la surface, et les poissons sont portés sur les eaux. On prétend encore qu'en agitant à plusieurs reprises le fond de l'eau, ou prend plus de poissons, dans le même filet, la seconde fois que la première. Quand il est tombé de fortes pluies, on aperçoit une foule d'animaux, ou qu'on n'avait jamais vus, ou que du moins on n'avait vus que très rarement. [8,18] CHAPITRE XVIII. § 1. Il y a beaucoup d'oiseaux qui se retirent; et ce n'est pas toujours pour émigrer dans les climats chauds, comme on le suppose ordinairement. Mais les uns, vivant dans des lieux voisins de ces climats, comme les milans et les hirondelles, émigrent dans les contrées plus chaudes; les autres, qui en sont plus loin, ne migrent pas; et ils se cachent. On a trouvé bien souvent des hirondelles tout amaigries dans des trous, et vu des milans sortir de ces mêmes trous, quand ils se montrent pour la première fois de l'année. § 2. Les oiseaux à ongles recourbés ou à ongles droits se retirent indistinctement; ainsi la cigogne et le merle, la tourterelle et l'alouette se retirent. On s'accorde à reconnaître que le fait est certain surtout pour la tourterelle; car personne, pour ainsi dire, ne peut se vanter d'avoir jamais vu une tourterelle en hiver. Quand la tourterelle commence sa retraite, elle est fort grasse; et bien que, durant la retraite, elle perde ses plumes, elle n'en conserve pas moins toute sa graisse. § 3. Parmi les ramiers, quelques-uns se retirent; quelques autres ne se retirent pas; mais ils émigrent en même temps que les hirondelles. La grive et l'étourneau se cachent; et parmi les oiseaux à serres recourbées, le milan et la chouette se cachent durant un petit nombre de jours seulement. [8,19] CHAPITRE XIX. § 1. Parmi les vivipares et les quadrupèdes, les porcs-épics et les ours se retirent. On ne peut pas faire le moindre doute que les ours sauvages ne se retirent; mais on ne sait pas bien si c'est pour éviter le froid, ou pour toute autre cause. Durant ce temps, les mâles et les femelles engraissent excessivement, au point de ne plus pouvoir bouger qu'avec peine. § 2. C'est aussi vers ce (601a) temps que la femelle met bas; et elle reste cachée jusqu'au moment où elle peut faire sortir ses petits oursons. C'est ce qu'elle fait au printemps, trois mois environ après le tropique. Sa retraite est d'au moins quarante jours. Sur ces quarante jours, on prétend qu'il y en a deux fois sept dans lesquels l'ours ne bouge pas du tout. Après ces quatorze jours, il reste dans sa retraite; mais il s'y meut, et il est éveillé. Personne n'a jamais pris une ourse qui fût pleine ; ou du moins, c'est là un fait extrêmement rare. § 3. Durant tout ce temps, il est certain que les ours ne mangent pas du tout, puisqu'ils ne sortent pas; et quand alors on en prend, on leur trouve toujours l'estomac et les entrailles tout vides. On prétend même que, ne prenant aucune nourriture, les entrailles de l'ours se soudent presque entièrement; et de là vient que l'ours, à peine sorti de sa retraite, va manger de l'arum, pour séparer l'intestin et lui rendre sa largeur. Le loir se retire dans le tronc des arbres, et alors il y devient fort gras. Le rat blanc du Pont a la même retraite. § 4. Parmi les animaux qui se retirent, il y en a qui dépouillent ce qu'on appelle leur vieille peau ; c'est la peau la plus superficielle, et l'enveloppe de tous les organes essentiels. Si l'on ne sait pas précisément quelle est la cause de la retraite de l'ours, parmi les animaux terrestres et vivipares, ainsi que nous venons de le dire, on sait que la plupart des animaux à peau écailleuse changent de peau, quand en effet leur peau est molle, et qu'elle n'est pas de la nature de l'écaille, comme l'est la carapace de la tortue; on se rappelle que la tortue et l'émys sont de la classe des peaux-écailleuses. On peut citer, parmi les animaux qui changent de peau, parce que leur peau est molle, le stellion, le lézard et surtout les serpents. § 5. C'est au printemps qu'ils se dépouillent, quand ils sortent de leur cachette ; et ils se dépouillent une seconde fois, à l'automne. Les vipères se dépouillent aussi de leur vieille peau au printemps et à l'automne; et il n'est pas exact, comme quelques-uns l'affirment, que cette espèce de serpents soit la seule qui ne change pas de peau. § 6. Quand les serpents se dépouillent, c'est d'abord par les yeux que commence toujours le dépouillement; et si l'on ne connaît pas le fait, ou croirait qu'ils deviennent aveugles. Des yeux, le dépouillement s'étend à la tête, qui paraît blanche avant le reste du corps. En une nuit et un jour, la vieille peau se détache tout entière, à partir de la tête jusqu'à la queue. Le dépouillement se fait du dedans au dehors; et le serpent se dépouille, (601b) comme les foetus se débarrassent de leurs chorions. § 7. C'est encore de la même manière que ce changement de peau se fait chez les insectes, qui se dépouillent aussi, comme la silpha. l'empis et les coléoptères tels que le kantharos. Tous se dépouillent après leur naissance: et de même que dans les vivipares, c'est le chorion qui se déchire, et que c'est l'enveloppe dans les larvipares, de même la chose se passe dans les abeilles et les cri-cri. Les cigales, une fois dépouillées, vont se mettre sur des oliviers ou sur des roseaux. Elles sortent en brisant leur enveloppe; et en laissant échapper un peu de liquide, elles se mettent à voler et à chanter presque aussitôt. § 8. Dans les poissons de mer, les langoustes et les écrevisses se dépouillent, tantôt au printemps, d'autres fois à l'automne, après la ponte. Quelquefois, on a pris des langoustes qui avaient les parties voisines du tronc encore toutes molles, parce que l'écaille y était déjà rompue, tandis que les parties inférieures étaient encore dures, parce que l'écaille n'y était pas rompue comme en haut. § 9. C'est que les langoustes ne se dépouillent pas comme les serpents. Elles se retirent pendant cinq mois. Les crabes cancres dépouillent aussi leur vieille peau ; tout le monde en est d'accord pour ceux qui ont la peau molle. On prétend encore que les cancres qui ont la peau comme les huîtres se dépouillent également : par exemple, les maïas et les Vieilles. Quand les cancres se sont dépouillés, leurs coquilles deviennent tout à fait molles; et ils ont alors grand-peine à marcher. Ces animaux, d'ailleurs, se dépouillent, non pas une fois, mais plusieurs fois dans l'année. § 10. Voilà donc ce qu'il y avait à dire sur les animaux qui se retirent- sur les époques et les conditions de leur retraite et sur le moment où ils changent de peau. [8,20] CHAPITRE XX. § 1. Les animaux ne se trouvent pas également bien de toutes les saisons, ni de tous les excès de la température. La santé et la maladie diffèrent pour eux selon les saisons, dans les espèces différentes; et en général, il n'y a pas de conditions qui soient indistinctement communes à tous. Ainsi, les oiseaux aiment les grandes chaleurs, à la fois pour leur santé générale et pour leurs pontes ; et on le voit bien pour les ramiers, par exemple. Pour les poissons, à l'exception de quelques-uns, ce sont de grandes pluies qui leur conviennent. Au contraire, ce qui nuit aux uns et aux autres, ce sont, pour les oiseaux, des années pluvieuses, et pour les poissons, des années brûlantes. § 2. C'est que, d'une manière toute générale, boire beaucoup fait mal aux oiseaux. Ceux qui ont des serres ne boivent, pour ainsi dire, (602a) pas du tout, ainsi qu'on l'a déjà remarqué. Il semble qu'Hésiode a méconnu ce fait, puisque, dans le récit du siège entrepris par Ninus, il raconte que l'aigle qui était en tête des augures avait bu. Les autres oiseaux boivent; mais ils boivent peu, ainsi que tous les animaux qui ont le poumon spongieux et qui sont ovipares. § 3. Quand les oiseaux sont malades, on le voit sur-le-champ à leur plumage; leurs plumes sont tout en désordre, et elles n'ont plus la même disposition que quand l'animal est en pleine santé. § 4. Comme on vient de le dire, la plus grande partie des poissons s'arrangent mieux des années pluvieuses, parce qu'alors ils trouvent une nourriture plus abondante ; mais, en général, la pluie leur convient, de même qu'aux plantes de la terre: et c'est ainsi que l'on a beau arroser les légumes, ils profitent toujours davantage par la pluie. Les roseaux qui naissent dans les étangs subissent le même effet ; et ils ne se développent presque pas tant qu'il n'y a pas de pluie. § 5. Ce qui prouve cette influence sur les poissons, c'est que la plupart émigrent pour passer l'été dans le Pont-Euxin, parce que l'eau y est plus douce, à cause des rivières que cette mer reçoit, et dont les eaux apportent toujours une nourriture abondante. Il y a même beaucoup de poissons qui remontent les rivières, et qui se trouvent fort bien dans leurs eaux et dans les étangs qu'elles forment, comme le boniton et le muge. Les goujons deviennent très gras dans les rivières; et, en général, ce sont les régions où il y a le plus de lacs qui ont les poissons les meilleurs. § 6. De toutes les eaux, celles qui conviennent le mieux à la plupart des poissons sont les pluies d'été, et aussi, lorsque le printemps, l'été et l'automne ont été pluvieux, et que l'hiver a été serein et beau. Pour tout dire en un mot, quand l'année a été bonne pour les hommes, la plupart des poissons s'en trouvent également bien. Ils se trouvent fort mal dans Ies lieux froids ; et en hiver, ceux qui souffrent le plus sont les poissons qui ont une pierre dans la tête, tels que le chromis, le loup, la sciaena et le phagre. Cette pierre est cause qu'ils sont gelés par le froid, et ils périssent. § 7. Si la pluie est bonne pour la plupart des poissons, (602b) il en est tout autrement pour le muge, le capiton, et le poisson qu'on appelle quelquefois le marinos. Quand les pluies sont par trop abondantes, la plupart de ces poissons en sont très vite aveuglés. C'est surtout en hiver que les capitons souffrent de ce mal; leurs yeux deviennent tout blancs; ceux qu'on pèche alors sont très maigres: et ils ne tardent pas à périr complètement. Mais ce n'est peut-être pas l'excès de pluie qui leur fait tant de mal; c'est plutôt le froid. C'est ainsi que, dans bien des endroits, et notamment dans un lac qui est près de Nauplie d'Argolide on a pris, par un hiver rigoureux, une quantité de capitons aveugles; et bon nombre aussi de ceux qu'on y a péchés avaient des yeux tout blancs. § 8. La dorade souffre aussi de l'hiver: mais c'est de la chaleur que souffre l'acharnas, qui en devient tout maigre. C'est peut-être le coracin qui, à l'opposé de tous les poissons, profite le plus des années sèches; et cela tient à ce que la sécheresse coïncide presque toujours avec la chaleur. § 9. Selon aussi que les poissons vivent naturellement près de terre ou dans la haute mer, les différents lieux leur sont favorables, sous ces deux aspects différents. Ceux qui vivent dans les deux conditions y profitent également, dans I'une et dans l'autre. Il y a aussi des lieux privilégiés où ils réussissent à merveille; mais en général, on peut dire que les lieux où il y a beaucoup d'algue leur conviennent le mieux. Ceux qu'on y pêche sont plus gras, même quand ce sont des poissons qui vivent en tous lieux, quels qu'ils soient. Les poissons qui mangent des algues en trouvent en abondance dans ces parages; et ceux qui sont carnivores y trouvent des poissons en plus grande quantité. § 10. L'exposition des lieux fait encore une grande différence, selon qu'ils sont au nord ou au midi. Les poissons longs se plaisent davantage dans les endroits exposés au nord; et dans un même lieu, on prend plus de poisson long en été, dans les parties nord, que de poisson large. Les thons et les espadons sont tourmentés par l'oestre vers l'époque où la canicule se lève; tous deux ont alors, auprès des nageoires, cette espèce de larve qu'on appelle oestre, assez semblable à un scorpion, et de la grosseur d'une araignée. Ces oestres leur causent une si vive douleur que parfois l'espadon saute hors de l'eau, presque autant que le dauphin; ce qui fait qu'assez souvent ils bondissent dans les barques. § 11. De tous les poissons, les thons sont ceux qui aiment le plus la chaleur; ils viennent, pour la trouver, jusque sur le sable des côtes, (603a) où ils se chauffent; et ils se tiennent à la surface de l'eau. Les tout petits poissons échappent aux grands, qui les laissent pour en poursuivre de plus gros ; mais en recherchant la chaleur, ils détruisent en masse les oeufs et le frai, et ils anéantissent ainsi tout ce qu'ils touchent. § 12. Le moment le meilleur pour prendre le poisson, c'est au lever du soleil et après qu'il est disparu; ou, d'une manière générale, à son lever et à son coucher. C'est là, dit- on, les vrais coups de filets; aussi est-ce à ce moment que les pêcheurs lèvent leurs engins, parce que c'est surtout à ces instants de la journée que les yeux des poissons les trompent le plus; dans la nuit, ils restent en repos; et ils voient mieux à mesure que la lumière devient plus forte. § 13. Il ne semble pas que les poissons soient exposés à des maladies contagieuses, comme le sont souvent exposés les humains, et, parmi les animaux quadrupèdes, les chevaux, les boeufs, et quelques autres espèces, soit domestiques, soit sauvages. Cependant, ils sont malades aussi à leur manière; et la preuve qu'en donnent les pêcheurs, c'est qu'on en prend quelquefois de très maigres et qui sont tout pareils à des malades et absolument décolorés, au milieu d'autres poissons nombreux et gras de la même espèce, qu'on a pêchés en même temps qu'eux. § 14. Voilà ce qu'on observe sur les poissons de mer. § 15. Quant aux poissons de rivières et d'étangs, il n'y a jamais non plus de contagion parmi eux; mais quelques-uns ont des maladies spéciales; par exemple, dans la canicule, le glanis, qui nage en haut de l'eau, y est atteint par les rayons de l'astre; et les coups de tonnerre violents l'étourdissent. La carpe éprouve aussi cet effet, mais moins vivement. Les glanis dans les bas-fonds sont piqués par le dragon-serpent, et ils meurent en quantité. § 16. Un ver qui se produit dans le baléros et le tilon les force de remonter à la surface, et les rend malades; le poisson, remontant à la surface de l'eau, y meurt, sous la chaleur qui le tue. La chalcis est sujette à un mal violent; des poux qui se développent en nombre considérable sous ses branchies, la font périr. Aucun autre poisson n'est exposé à un mal de ce genre. § 17. Les poissons meurent du bouillon-blanc; et voilà pourquoi on leur fait la chasse en jetant de cette plante dans les cours d'eau et dans (603b) les marais; les Phéniciens pêchent même ainsi les poissons de mer. § 18. On fait encore deux autres espèces de pêche. Comme, en hiver, le poisson fuit les eaux profondes des rivières, car alors l'eau douce est très froide, on fait un fossé qui de la terre sèche va jusqu'à l'eau; on recouvre ce fossé de branchages et de pierres, et l'on en fait une sorte de goulot, qui a sa sortie sur la rivière; quand il gèle, on y prend des poissons à la nasse. On fait une autre pêche, été comme hiver également. On construit au milieu de l'eau une enceinte avec des broussailles et des pierres, et ou n'y laisse qu'une bouche, où l'on dépose une nasse ; et l'on y prend le poisson en enlevant les pierres. § 19. Les testacés aiment en général les années pluvieuses, et tous s'en trouvent bien, si ce n'est les pourpres. On peut s'en convaincre en mettant des pourpres à l'embouchure d'une rivière; dès qu'elles ont goûté de l'eau douce, elles meurent le jour même. Cependant, la pourpre vit encore cinquante jours après qu'on l'a sortie de l'eau; elles se nourrissent mutuellement les unes les autres d'une algue et d'une mousse qui se forment sur leurs coquilles. Ce que les pêcheurs leur jettent pour les nourrir n'est, dit-on, qu'un moyen de les grossir pour les faire peser davantage. § 20. Les grandes chaleurs sont nuisibles à tous les autres poissons, en les faisant maigrir et en les rendant moins bons. C'est surtout dans ces conditions que les peignes deviennent roux. Dans l'Euripe Pyrrhéen, les peignes manquèrent un jour absolument, non pas seulement à cause de l'engin dont les pêcheurs s'étaient servis pour les racler, mais aussi à cause des chaleurs excessives. Ce qui fait que les autres testacés se trouvent bien des années pluvieuses, c'est qu'alors l'eau de mer devient moins salée. Le froid empêche qu'on n'en trouve dans le Pont-Euxin, non plus que dans les rivières qui s'y jettent, si ce n'est quelques rares bivalves; car les univalves gèlent encore plus aisément par les grands froids. § 21. Voilà ce qu'on avait à dire de l'action des saisons sur les animaux aquatiques. [8,21] CHAPITRE XXI. § 1. Parmi les quadrupèdes, les porcs sont sujets à trois maladies. L'une s'appelle le branchos (esquinancie); et dans cette maladie, c'est surtout sur les mâchoires et sur les bronches que se porte l'inflammation. Elle se montre aussi (604a) sur toute autre partie du corps, assez souvent au pied, et parfois aussi à l'oreille. L'organe attaqué et tout ce qui l'avoisine se sèche et se pourrit, jusqu'à ce que l'inflammation soit parvenue au poumon; et alors, l'animal meurt. Les progrès de la maladie sont rapides; et le porc cesse de manger dès qu'elle commence, quelque faible qu'elle soit au début. Dès que les porcherons s'en aperçoivent au moindre symptôme, ils n'ont pas d'autre remède que d'amputer l'organe entier qui est atteint. § 2. Les deux autres maladies du porc s'appellent toutes les deux du même nom de craura (écrouelles). L'une consiste en une douleur et une pesanteur de tête, auxquelles les porcs succombent presque toujours; l'autre est un flux de ventre. Cette seconde maladie parait être incurable; on soigne l'autre en mettant du vin sous le groin de l'animal, et en le lui frottant avec ce vin. Mais il est bien difficile de conjurer cette maladie; et le porc est perdu en trois ou quatre jours. § 3. Quant au branchos (esquinancie), c'est surtout quand l'été est prospère et fécond et que les animaux sont très gras, qu'il éclate. Il est bon alors de leur donner des mûres, et de les faire baigner à grande eau et à l'eau chaude; il est bon aussi de Ies saigner sous la langue. § 4. Les porcs dont la chair est aqueuse, ont comme des grêlons aux jambes, au cou et aux épaules: ces sortes de grêlons viennent surtout dans ces parties. Tant qu'il y en a peu, la chair reste douce et bonne: quand les grêlons se multiplient, elle devient huileuse et perd son goût. On reconnaît sans peine que les porcs ont ces grêlons, parce qu'ils se produisent plus particulièrement au bas de la langue; et quand on arrache à l'animal quelques poils sur le front, ces poils viennent avec un peu de sang. Lorsque les grêlons se produisent aux pieds de derrière l'animal ne peut rester un instant tranquille. § 5. Les porcs, d'ailleurs, n'ont pas de grêlons, quand qu'ils ne se nourrissent que de lait. On guérit le grêlon en donnant de la tipha (du seigle), qui est, en même temps, pour les porcs un très bon aliment. Ce qui les engraisse et les nourrit le mieux, ce sont les pois et les figues. En général, il ne faut pas leur donner une nourriture uniforme; et il est bon de la varier. Le porc aime à la changer, comme tous les autres animaux ; tels aliments, dit-on, les gonflent; tels autres leur font de la chair; tels autres, de la graisse. On dit aussi que les glands leur sont très agréables, mais qu'ils rendent la chair huileuse; et que, si les truies en mangent (604b) par trop, quand elles sont pleines, elles avortent. Le même accident se produit sur les brebis, pour lesquelles cet effet des glands est encore bien plus aisé à constater. Le porc est, d'ailleurs, à notre connaissance, le seul animal qui, ait le grêlon. [8,22] CHAPITRE XXII. § 1. Les chiens peuvent avoir trois maladies : la rage, l'esquinancie et la goutte. La rage les rend furieux; et quand ils mordent, tous les animaux mordus par eux contractent la rage, excepté l'homme. Sauf l'homme, la maladie de la rage emporte tout ce que les chiens ont mordu, comme elle les emporte eux-mêmes. § 2. L'esquinancie tue également les chiens; et il est bien rare qu'ils réchappent de la goutte. La rage prend aussi les chameaux. Quant aux éléphants, on prétend qu'ils ne sont pas sujets aux autres maladies, mais qu'ils ont seulement des vents qui les font beaucoup souffrir. § 3. Les boeufs qui vivent en troupeaux ont deux maladies, la goutte d'abord, et ce qu'on appelle chez eux, la craura (écrouelle). Leurs pieds enflent quand ils sont atteints de la goutte; mais ils n'en meurent pas; et ils ne perdent même pas leurs sabots; on les leur fortifie, en les frottant de bitume chaud. Dans la craura, le souffle devient chaud à courts intervalles ; en fait, la craura est pour le bétail ce que la fièvre est pour l'homme. Les symptômes de la maladie sont les oreilles tombantes et une répugnance pour la nourriture. L'animal succombe vite, et quand on ouvre l'animal, on trouve les poumons pourris. [8,23] CHAPITRE XXIII. § 1. Les chevaux qui ne sont pas en pâture sont exempts de toutes les maladies sauf la goutte. Ils en souffrent beaucoup; et parfois, ils en perdent leurs soles; mais quand ils les ont perdues, ils les refont vite; et en même temps que l'une tombe, l'autre se reforme en dessous. § 2. Le symptôme de la maladie, c'est le tressaillement du testicule droit, ou bien un petit creux et une sorte de ride qui se forme un peu au-dessous du milieu des naseaux. § 3. Les chevaux qu'on nourrit à l'écurie sont sujets aux maladies les plus nombreuses. D'abord, ils prennent la colique. Ce qui annonce la maladie, (605a) c'est qu'ils ramènent les jambes de derrière sous les jambes de devant, et qu'ils les en rapprochent presque à les choquer. Quand le cheval, après être resté plusieurs jours sans manger, devient furieux, on le soulage en lui tirant du sang et en lui ouvrant la veine. § 4. Le cheval a aussi le tétanos ; dans cette affection, le symptôme consiste en ce que toutes les veines, la tête, le cou, sont excessivement tendus, et que l'animal a les jambes toutes droites et raides. Les chevaux deviennent encore purulents. Ils sont également exposés à une autre maladie, qu'on appelle « faire de l'orge ». Voici comment elle se manifeste : le voile du palais devient mou; et la respiration devient brûlante. Ces maladies sont incurables à tous les soins; et il faut qu'elles s'apaisent d'elles-mêmes. § 5. Les chevaux sont encore atteints de cette affection qu'on appelle la nymphe, qui les prend quand ils entendent le son de la flûte ; et de cette autre affection de baisser les yeux et de regarder en bas. Si l'on monte une bête qui est dans cette disposition, elle se met à tourner sur elle-même, jusqu'à ce que quelqu'un vienne à l'arrêter. Le cheval malade baisse toujours la tête, même quand il a la rage; et ce qui indique cette maladie, c'est qu'il abaisse les oreilles vers la crinière et qu'il les redresse ensuite: il a des défaillances, et il est haletant. § 6. D'autres maladies incurables du cheval, c'est d'abord la cardialgie, qui se manifeste par la palpitation des flancs. C'est ensuite le déplacement de la vessie, qu'on reconnaît à l'impossibilité d'uriner, qui fait que l'animal lève les pieds et les hanches. Le cheval est aussi très malade, s'il avale un staphylin, insecte de la grosseur d'une sphondyle. § 7. La morsure de la mygale fait du mal au cheval, comme à toutes les autres bêtes de trait ; et elle produit des pustules. La morsure est encore plus dangereuse si la mygale était pleine; les pustules crèvent en ce cas; mais autrement, elles ne crèvent pas. Une autre morsure qui tue les chevaux, ou du moins les fait beaucoup souffrir, c'est celle de la bête qu'on appelle tantôt la chalcis, tantôt la zignis. Elle ressemble aux petits lézards, et sa couleur est celle des serpents aveugles. § 8. D'une manière générale, les gens dont c'est la pratique assurent que le cheval a presque toutes les maladies de l'homme, de même, que les moutons en sont également atteints. La sandaraque est un poison qui tue les chevaux, et généralement les bêtes de somme ; on donne ce poison dans de l'eau, où on l'a fait dissoudre. L'odeur d'une lampe qui s'éteint suffit pour faire avorter une jument; (605b) et quelquefois, le même accident se produit chez des femmes enceintes. § 9. Voilà ce que nous savons des maladies des chevaux. Quant à l'excroissance qu'on appelle l'Hippomane, elle se produit, comme on l'a déjà dit, sur les poulains: les juments lèchent cette excroissance, et la font disparaître en finissant par la manger. Mais toutes les fables qu'on débite à ce sujet ne sont guère que les inventions des femmes, et des gens qui se livrent aux incantations. Ce dont on convient davantage, c'est que les juments rejettent ce qu'on appelle le Pôlion, avant de mettre bas leur poulain. § 10. Les chevaux reconnaissent le hennissement des chevaux contre lesquels ils ont antérieurement combattu. Ils se plaisent dans les prés et dans les marécages, parce qu'ils aiment l'eau trouble, et que quand l'eau qu'ils y trouvent est pure, ils la piétinent avant de la boire, et s'y baignent après avoir bu. Le cheval est essentiellement un animal qui aime à se baigner et qui aime l'eau; et c'est bien là aussi ce qui constitue la nature de l'Hippopotame. Le boeuf est tout l'opposé du cheval; et si l'eau n'est pas pure, fraîche et sans mélange, il se refuse à la boire. [8,24] CHAPITRE XXIV. § 1. Les ânes n'ont guère qu'une seule maladie; elle s'appelle la mélide. Elle se déclare d'abord à la tête de l'animal, et il lui sort par les naseaux un liquide épais et roussâtre. Si le mal tombe sur le poumon, la bête en meurt. Mais quand l'affection n'est qu'à la tête, elle n'est pas tout d'abord mortelle. § 2. L'âne est un des animaux qui supportent le moins bien le froid; et de là vient qu'on ne trouve pas d'ânes, ni dans le royaume du Pont, ni en Scythie. [8,25] CHAPITRE XXV. § 1. Les éléphants n'ont que des maladies qui consistent dans des vents: et alors, ils ne peuvent rendre, ni leur excrément liquide, ni celui du ventre. Lorsque l'éléphant mange de la terre, il en est tout affaibli, si cette nourriture n'est pas continuelle; s'il s'y habitue. il ne s'en trouve pas plus mal. Parfois même, il avale des pierres. § 2. L'éléphant est sujet aussi à être pris de diarrhée; dans cette affection, on le guérit en lui donnant à boire de l'eau chaude, et à manger du foin aspergé de miel. Ces deux remèdes arrêtent la diarrhée. Quand la bête est fatiguée par des insomnies, on la guérit en lui frottant les épaules avec un mélange de sel, d'huile et d'eau chaude. Si (606a) ce sont les épaules qui souffrent, on soulage l'éléphant en y appliquant de la chair de porc, qu'on a fait rôtir. § 3. Il y a des éléphants qui boivent de l'huile: d'autres n'en veulent pas boire. On prétend que, si quelque morceau de fer est resté dans le corps d'un éléphant, l'huile l'en fait sortir, pour ceux qui en boivent; et pour ceux qui n'en boivent pas, on fait une décoction de racine qu'on leur fait boire dans de l'huile. § 4. Telles sont donc les maladies qui affectent les quadrupèdes. [8,26] CHAPITRE XXVI. § 1. Les insectes se portent bien en général quand la saison reste pareille à celle où ils naissent, et que l'année est tout entière, comme le printemps, humide et chaude. § 2. Dans les essaims d'abeilles. il se trouve des petites bêtes qui détruisent les gâteaux de cire, et notamment une larve qui file comme une araignée. et qui détruit leurs gâteaux. Ou l'appelle tantôt le cléros, tantôt le pyrauste. Il produit dans le gâteau un petit animal tout pareil à lui, et qui est comme une petite araignée. L'essaim tout entier en devient malade. § 3. Une autre petite bête ressemble au papillon qui vole autour des lampes. Cet animal produit et dépose dans le gâteau un tas de duvet; les abeilles n'osent pas le piquer de leurs dards, et il n'y a que la fumée qui puisse le chasser. Il se présente aussi, dans les essaims, des chenilles qu'on appelle des tarières, et dont les abeilles ne savent pas non plus se défendre. § 4. Ce qui plus que tout le reste rend les abeilles malades, c'est la rouille qui atteint les fleurs; et ce sont, en outre, les années sèches qui leur sont fatales. Tous les insectes meurent si on les frotte d'huile; et si ou leur en met une goutte sur la tête et qu'on les expose au soleil, ils périssent à l'instant. [8,27] CHAPITRE XXVII. § 1. En générai, les animaux varient selon les climats; ainsi, de même que quelques-uns ne vivent pas du tout dans certaines contrées, de même dans certaines contrées, où ils peuvent vivre, ils sont plus petits; leur vie y est plus courte, et ils ne s'y portent pas bien. Quelquefois, ces différences sont sensibles dans des régions très rapprochées les unes des autres; et, par exemple, en certains endroits de la Milésie fort voisins entre eux, il y a des cigales dans ceux-ci; il n'y en a point dans ceux-là. § 2. Dans l'île de Céphalonie, une rivière sépare deux cantons, l'un où l'on trouve la cigale, et l'autre où elle ne se trouve plus. Dans la Pordosélène, un chemin seulement sépare les cantons où en deçà il y a des belettes; et où au delà, il n'y en a point. En Béotie, il y a beaucoup de taupes aux environs d'Orchomène, (606b) tandis que dans la Lébadie, qui en est toute voisine, il n'y en a point; et si l'on en apporte, elles ne veulent point y fouiller la terre. § 3. A Ithaque, les lièvres ne vivent pas, si l'on en apporte et qu'on les y lâche; mais on les trouve bientôt morts sur la côte, tournés vers l'endroit d'où on les a apportés. En Sicile, on ne voit pas de fourmis-cavalières; et jadis à Cyrène, il n'y avait pas de grenouilles coassantes. § 4. On ne trouverait pas dans la Libye entière, ni un sanglier, ni un cerf sauvage, ni une chèvre sauvage. Dans l'Inde, à ce que prétend Ctésias, d'ailleurs si peu digne de foi, on ne trouve, ni porc, ni sanglier; et tous les animaux qui n'ont pas de sang et qui ont des écailles y sont d'une grandeur démesurée. Dans le Pont-Euxin, on ne trouve, ni de mollusques, ni de testacés, si ce n'est eu quelques endroits et en très petit nombre. Au contraire, dans la mer Rouge, tous les testacés sont énormes. § 5. En Syrie, les moutons ont des queues larges d'une coudée; et les chèvres y ont des oreilles longues d'une palme et de quatre doigts ; quelques-unes même les ont traînantes jusqu'à terre. Les boeufs, ainsi que les chameaux, y ont des crinières au sommet des épaules. En Lycie, on tond les chèvres, comme ailleurs on tond les moutons. En Libye, les béliers qui ont des cornes les ont en naissant; et ce ne sont pas les mâles seulement, comme le dit Homère; ce sont aussi les autres. Dans le Pont, du côté de la Scythie, c'est tout le contraire; et les béliers y sont sans cornes. § 6. En Égypte, certains animaux, comme les boeufs et les moutons, sont plus grands que dans la Grèce; certains autres sont plus petits : les chiens, les loups, les lièvres, les renards, les corbeaux, les éperviers: D'autres encore y sont de la même grosseur à peu près : les corneilles, par exemple, et les chèvres. On explique ces différences par celle de la nourriture, abondante pour les uns, difficile et rare pour les autres, tels que les loups et les éperviers ; presque nulle pour les carnivores, parce que les petits (607a) oiseaux y sont peu nombreux; et aussi pour les lièvres et pour tous les animaux qui ne sont pas carnivores, parce que les fruits n'y durent pas longtemps, ni ceux des arbres, ni ceux des arbustes. § 7. Dans bien des contrées, c'est la température seule qui est cause de ces variétés; et c'est ainsi qu'en Illyrie, en Thrace, en Épire, Ies ânes sont petits, et qu'il n'y en a même plus en Scythie et dans la Celtique, parce que ces animaux supportent mal le froid. On trouve en Arabie des lézards qui ont plus d'une coudée de long; les rats domestiques y sont plus grands que les rats des champs. Leurs pattes de devant ont la longueur d'une palme; celles de derrière ont à peine la longueur de la première phalange du doigt. § 8. En Libye, les serpents sont, à ce qu'on rapporte, d'une grosseur dont on ne peut se faire une idée. Des navigateurs prétendent avoir trouvé dans ces parages, où ils avaient abordé, de nombreux squelettes de boeufs, qui, évidemment, avaient été dévorés par des serpents; et que remontés dans leur barque, ils y avaient été poursuivis par ces serpents, qui avaient précipité quelques matelots dans la mer, en renversant le canot. § 9. Il y a plus de lions en Europe qu'en Asie; et on ne les trouve en Europe que dans la région comprise entre l'Achéloüs et le Nessus. Dans l'Asie, il y a des panthères; en Europe, il n'y en a pas. Généralement, les animaux farouches sont en Asie plus farouches qu'en Europe; mais en Europe, ils ont tous plus de courage. C'est en Libye que les animaux présentent les formes les plus diverses; et de là, le proverbe qui dit que la Libye produit toujours quelque monstre nouveau. C'est que là, en effet, les animaux se rassemblent près des petits cours d'eau du pays, par suite de la sécheresse, faute de pluie; les bêtes d'espèces dissemblables s'y rencontrent; et l'accouplement y devient fécond, si le temps de la gestation est le même, et si la disproportion de taille n'est pas trop grande. § 10. Ils s'adoucissent les uns à l'égard des autres, parce qu'ils sont toujours pressés du besoin de boire ; car, au contraire des autres animaux, ils ont besoin de boire plus en hiver qu'en été. En effet, comme les pluies ne viennent guère pendant l'été, ils perdent l'habitude de boire en cette saison; et même les rats du pays meurent quand ils viennent à boire. § 11. (607b) Il y a encore d'autres animaux qui naissent du mélange de races différentes; et c'est ainsi qu'à Cyrène les loups s'accouplent aux chiennes, et qu'ils produisent. Les chiens de Laconie viennent d'un renard et d'un chien. On assure aussi que les chiens de l'Inde viennent d'un tigre et d'une chienne, non pas au premier croisement, mais à la troisième génération; car le produit du premier accouplement est encore une bête fauve. On conduit les chiennes; et on les attache, dans un lieu bien désert; mais beaucoup sont dévorées par les tigres, avant qu'il ne s'en trouve un qui soit poussé par le désir ardent de s'accoupler. [8,28] CHAPITRE XXVIII. § 1. Les lieux produisent de grandes différences dans le caractère des animaux; et par exemple, les contrées montagneuses et rudes agissent tout autrement que les contrées de plaine et d'accès facile. Les animaux sont, dans les montagnes, d'un aspect plus sauvage; et ils y sont plus courageux, comme on le voit bien pour les sangliers de l'Athos. Pas un des mâles des vallées basses ne serait de force à lutter même contre les femelles de la montagne. § 2. La différence des contrées en apporte aussi une très grande dans les morsures des animaux. Ainsi, dans la région du Pharos et dans quelques autres régions, les scorpions ne sont pas dangereux; mais dans d'autres lieux et dans la Carie notamment, ils sont aussi nombreux et aussi grands que redoutables ; l'homme ou la bête qu'ils piquent en meurent toujours. Leur morsure tue les sangliers, qui ne sentent absolument en rien les morsures des autres animaux ; et ce sont surtout les laies de couleur noire que Ies scorpions attaquent. Les sangliers qui ont été piqués rendent leur mort encore plus rapide, en allant se jeter dans l'eau. § 3. Les morsures des serpents diffèrent beaucoup les unes des autres. Ainsi, l'aspic est un serpent de la Libye, dont on tire un poison qui putréfie, et dont la morsure est mortelle. Le silphium cache souvent un petit serpent dont la morsure a pour contrepoison, à ce qu'on prétend, une pierre qu'on prend au tombeau d'un des anciens rois; on la fait tremper dans du vin, qu'on se hâte de boire. Dans quelques parties de l'Italie, la morsure des simples stellions est également mortelle. § 4. Tous Ies animaux à venin ont la morsure d'autant plus dangereuse qu'ils se sont dévorés les uns les autres : par exemple, la vipère ayant mangé un scorpion. Pour la plupart de ces morsures, la salive de l'homme est un puissant contrepoison. il existe un tout petit serpent, qu'on appelle le serpent sacré, qui fait fuir devant lui les plus gros serpents. Il n'a pas plus d'une coudée de long, et il parait comme velu. Tout ce qu'il a mordu se pourrit, et la plaie s'étend circulairement. Il y a encore dans l'Inde un petit serpent, qui est le seul contre la morsure duquel les indigènes n'aient pas de remède. [8,29] CHAPITRE XXIX. § 1. (608a) La gestation fait encore une différence dans la bonne qualité des animaux, ou dans leur qualité mauvaise. Ainsi, les testacés, comme les peignes et tous les coquillages et les crustacés, valent mieux durant la gestation, ainsi qu'on le voit pour l'espèce des langoustes. Les testacés ont aussi une gestation, quoiqu'on n'en ait jamais vu aucun s'accoupler et pondre, comme on l'observe pour les crustacés. Les femelles des mollusques sont d'un goût plus délicat quand elles sont pleines; tels sont les petits calmars, les seiches et les polypes. § 2. Presque tous les poissons sont bons au début de la gestation; mais à mesure qu'elle avance, les uns sont bons, les autres ne le sont pas. Ainsi, la maenis est très bonne quand elle est pleine. La forme de la femelle est plus arrondie ; le mâle est plus long et plus large. A l'époque où commence la gestation de la femelle, on voit les mâles prendre une couleur noire et se tacheter; et c'est alors qu'ils sont les moins bons à manger. C'est alors aussi qu'on leur donne parfois le nom de Boucs. § 3. Les poissons qu'on appelle les grives, les merles et la squille, changent également de couleur selon les saisons, comme on le voit sur quelques oiseaux. Au printemps, ils sont noirs; et le printemps une fois passé, ils redeviennent blancs. La phycis change aussi de couleur; le reste de l'année, elle est blanche; mais au printemps, elle est toute tachetée. C'est le seul des poissons de mer qui fasse un nid, à ce qu'on assure, et qui pond dans les nids qu'il a préparés. § 4. La maenis, ainsi qu'on vient de le dire, et la smaris changent de couleur; de blancs qu'étaient d'abord ces poissons, ils muent en été et redeviennent noirs. Ce changement est surtout visible aux nageoires et aux branchies. La femelle du coracin est surtout délicate quand elle est pleine, comme la maenis. Le muge et le loup, et presque tous les autres poissons à écailles, sont mauvais pendant la gestation. Il y en a peu qui, comme le glaucus, soient également bons, que les femelles soient pleines ou ne le soient pas. § 5. Les vieux poissons ne sont pas bons; et les thons eux-mêmes en vieillissant ne sont plus bons, même pour les salaisons, parce qu'ils perdent beaucoup de leur chair. C'est bien le même effet qui se produit sur les autres poissons. On reconnaît qu'ils sont vieux à la grandeur et à la dureté de leurs écailles. On a pris une fois un vieux thon qui ne pesait pas moins de quinze talents; la largeur de sa queue était de deux coudées et une palme. § 6. Les poissons de rivière et d'étang sont surtout délicats (608b) quand, après la ponte et l'émission de la laite, ils se sont refaits en se nourrissant. Quelques-uns sont bons dans la gestation, comme la saperdis; d'autres ne valent rien alors, comme le glapis. Dans toutes les espèces, les mâles sont meilleurs que les femelles; mais le glanis femelle vaut mieux que le glanis mâle. Dans les anguilles aussi celles qu'on prend pour des femelles sont plus délicates; mais malgré ce nom, ce ne sont pas des femelles, et elles ne diffèrent absolument qu'à la vue.