[4,0] TRAITE DE LA GÉNÉRATION DES ANIMAUX - LIVRE IV. [4,1] CHAPITRE PREMIER. 1 Nous venons d'étudier la génération de tous les animaux, en la considérant tour à tour dans ce qu'elle a de commun et dans ce qu'elle a de spécial. Mais comme dans les plus parfaits des animaux, la femelle et le mâle sont séparés, et que nous avons trouvé dans les puissances de l'un et de l'autre les principes de tous les êtres, animaux ou plantes, chez lesquels ils sont tantôt unis et tantôt séparés, notre premier soin maintenant doit être de nous expliquer sur la génération du mâle et de la femelle. 2 Les animaux sont encore incomplets, dans le genre auquel ils appartiennent, que déjà la femelle et le mâle sont parfaitement distincts. Y a-t-il femelle et mâle avant même que cette différence ne soit sensible et évidente pour nous? Est-elle reçue dans le sein de la mère? Ou bien cette différence est-elle encore antérieure ? C'est là une question douteuse; car les uns prétendent que cette opposition du sexe se trouve, dès le premier moment, dans les germes eux-mêmes ; et cette opinion est celle d'Anaxagore et de quelques autres naturalistes. Selon eux, le mâle fournit la liqueur spermatique; la femelle fournit la place; le mâle vient de droite; la femelle vient de gauche; et, dans la matrice, les mâles sont aussi à droite, tandis que c'est à gauche que sont les femelles. 3 D'autres naturalistes, tels qu'Empédocle, prétendent également que le mâle et la femelle sont dans la matrice, et que tels germes, s'ils sont dans une matrice chaude, y deviennent des mâles, et que s'ils sont dans une matrice froide, ils y deviennent des femelles. C'est l'écoulement des menstrues qui est cause de la chaleur et du froid, suivant que cet écoulement est plus froid ou plus chaud, plus ancien ou plus récent. 4 Démocrite d'Abdère prétend bien aussi que la distinction de la femelle et du mâle a lieu dans la mère; mais d'après lui, ce n'est pas la chaleur ni le froid qui fait de l'un une femelle et de l'autre un mâle; c'est seulement la prédominance de l'un des deux spermes indifféremment, venant de l'organe qui constitue la différence entre la femelle et le mâle. 5 A vrai dire, l'hypothèse d'Empédocle est la moins fondée de toutes, quand il suppose que le mâle et la femelle ne diffèrent entre eux que par le degré de froid et de chaleur, bien qu'il voie cependant qu'il y a une différence très grande entre les organes qui forment ou les verges ou les matrices. En effet, si les animaux étant déjà tout formés, et l'un ayant tous les organes d'une femelle, l'autre tous les organes d'un mâle, on venait à les mettre dans la matrice comme dans un four, l'un qui aurait une matrice dans une matrice chaude, et l'autre qui n'aurait pas de matrice dans une matrice froide, il devrait arriver que la femelle fût celui qui n'aurait pas de matrice, et que le mâle fut celui qui en aurait une. Mais c'est là une impossibilité évidente. 6 À cet égard, Démocrite a peut-être mieux vu les choses. Il cherche la différence de cette génération, et il s'efforce de l'expliquer. A-t-il raison, a-t-il tort? c'est une autre question. Mais en admettant même que ce soient la chaleur et le froid qui amènent cette différence des organes, encore fallait-il le dire, quand on soutient cette opinion ; car cela revient à peu près a étudier la génération du mâle et de la femelle, qui, sous ce rapport, diffèrent de la manière la plus frappante. Certes ce n'est pas une petite affaire que d'expliquer, à l'aide de ce principe, comment ces parties peuvent s'organiser telles qu'elles sont, et comment il y a cette conséquence nécessaire que, en se refroidissant, l'embryon prenne cette partie spéciale qu'on appelle la matrice, et qu'il ne la prenne pas s'il s'échauffe. 7 On peut en dire encore tout autant des organes qui concourent à la copulation, et qui diffèrent comme nous l'avons déjà montré. Et puis, on a observé bien souvent que des jumeaux, femelle et mâle, se forment dans la même partie de la matrice et tout à la fois, ainsi que nous avons vérifié le fait par l'anatomie dans tous les vivipares, soit terrestres, soit aquatiques. Si Démocrite n'a pas vu ces faits, il est tout simple qu'il se trompe sur la cause qu'il leur attribue ; mais s'il les a observés, alors il est absurde de croire encore que c'est la chaleur ou le froid de la matrice qui est la cause des sexes ; car les deux jumeaux devraient être, ou tous deux femelles, ou tous deux mâles; et nous ne voyons pas du tout que ce soit le cas. 8 Démocrite dit encore que les organes se développent à mesure que l'animal se forme, et qu'ils sont ici dans le mâle; et là, dans la femelle ; ce qui provoque en eux le désir de leur union. Mais il n'en est pas moins nécessaire d'admettre que ces organes sont divisés et différents dans leurs dimensions même, et que c'est ainsi que la copulation peut avoir lieu, sans que ce soit du tout par l'action prétendue du froid et de la chaleur. Du reste il y aurait beaucoup trop à dire sur cette action du sperme ainsi comprise; et, en général, on peut affirmer qu'en expliquant ainsi comment le sperme agit, on ne fait qu'une pure rêverie. 9 Si ce que nous avons dit nous-mêmes sur le sperme est bien exact; s'il n'est pas vrai que le sperme vienne du corps tout entier, et si l'action du mâle n'apporte au fœtus aucune espèce de matière, on peut opposer cet argument à Empédocle, a Démocrite et à tous ceux qui partageraient leurs opinions. Il ne se peut pas que le corps du sperme se partage, ici dans la femelle, là dans le mâle, comme l'avance Empédocle, quand il dit : « La nature des membres s'est partagée; tantôt celle de l'homme », etc. Mais il ne se peut pas davantage que le sperme venu de l'un et de l'autre des parents fasse tantôt une femelle, tantôt un mâle, selon qu'une partie l'emporterait sur l'autre. 10 Toutefois, supposer que la prédominance de la partie qui l'emporte produit une femelle, ou un mâle, vaut encore mieux que d'attribuer, sans plus de réflexion, à la chaleur toute seule, la différence des sexes. Mais pour admettre que la forme des parties génitales devienne en même temps différente, il faudrait prouver que ces phénomènes de la chaleur et de la forme se suivent toujours réciproquement; car, si c'est parce que les parties se rapprochent, il faudrait aussi que la même conséquence se produisît pour tous les autres organes, puisque l'un des parents se rapproche toujours de l'autre parent, de telle sorte qu'il faudrait que le fœtus, en même temps qu'il est femelle, ressemblât à la mère, ou qu'étant mâle il ressemblât au père. 11 Il n'est pas plus raisonnable de croire que ce sont ces parties seules qui doivent subir un changement, et que le reste du corps entier ne changerait pas, principalement et tout d'abord les veines, autour desquelles, comme autour d'une esquisse, vient se ranger et se modeler le corps des chairs. La raison nous dit que ce n'est pas la matrice qui peut les modifier, en leur donnant certaines qualités; et que c'est bien plutôt elles qui modifient la matrice. La matrice et les veines sont bien le réceptacle du sang d'un certain genre; mais les veines le sont avant la matrice. C'est une nécessité inévitable que le principe moteur soit toujours le premier, et qu'il donne à la génération les qualités particulières qu'il peut lui-même avoir. 12 Il est bien certain que ces organes présentent une grande différence dans les femelles et dans les mâles. Mais la cause n'en est pas celle qu'on indique; cette cause est tout autre, puisque, même dans le cas où il n'y a pas sécrétion de sperme, ni de la femelle ni du mâle, le germe ne s'en produit pas moins, de quelque façon que ce puisse être. 13 Quant à l'opinion qui fait venir le mâle de la droite et la femelle de la gauche, on peut lui opposer les mêmes arguments qu'à Empédocle et à Démocrite. Si, en effet, le mâle ne contribue matériellement en rien à la génération, cette opinion n'a plus le moindre fondement; et s'il y contribue comme on le prétend, il faut également repousser ce système, tout aussi bien qu'on repousse celui d'Empédocle, qui rapporte la distinction de la femelle et du mâle à la chaleur et au froid de la matrice. 14 C'est précisément la même erreur que commettent ceux qui déterminent les sexes en les faisant venir de la droite et de la gauche, bien que cependant ils puissent voir que la femelle et le mâle diffèrent par des organes entiers. Puis, quant à ces organes, comment se fait-il que le corps de la matrice se trouve dans ceux qui viennent delà gauche, et qu'il ne se trouve pas dans ceux qui viennent de la droite ? Nous répétons d'ailleurs, ainsi que nous l'avons dit, qu'on a déjà observé une femelle dans la partie droite de la matrice, et un mâle dans la partie gauche; qu'on les a vus tous deux dans la même partie; que ce n'est pas une fois seulement qu'on a observé le fait, mais plus fréquemment que le mâle à droite, et la femelle à gauche; enfin que tous les deux naissent non moins souvent à droite. 15 C'est à peu près ce que disent certaines gens qui, se laissant persuader par ces fausses théories, prétendent qu'en se liant le testicule droit ou le testicule gauche, on est sûr, dans la copulation, de faire ou un enfant mâle ou une fille. Du moins, c'est ce qu'assurait Léophane. D'autres prétendent que, sur les animaux qu'on châtre, on obtient le même résultat en leur ôtant un des deux testicules. Cela n'est pas plus exact que le reste. Seulement, on se risque, d'après les apparences, a deviner ce qui devrait être, et l'on voit à l'avance ce qui n'est pas comme si c'était déjà, parce qu'on ne réfléchit pas que les testicules ne sont absolument pour rien dans la production, soit des mâles soit des femelles. Ce qui le prouve, c'est qu'il y a beaucoup d'espèces où il y a des femelles et des mâles, qui engendrent des femelles et des mâles sans avoir de testicules, comme tous les animaux apodes, tels que les poissons et les reptiles. 16 II faut convenir cependant qu'il y a peut-être quelque raison de voir dans la chaleur et le froid la cause qui produit le mâle et la femelle, et de croire que la distinction des sexes vient de la droite ou de la gauche. La partie droite du corps est plus chaude que la partie gauche ; le sperme, quand il est bien cuit, est plus chaud; ce qui est bien cuit est plus compact; et le plus compact est aussi le plus capable de féconder. Mais en poussant ces théories à l'excès, on s'éloigne beaucoup de l'explication de la cause; et l'on doit, autant que possible, tirer des faits que l'on peut connaître les conclusions qui se rapprochent des premières causes. 17 Antérieurement et dans d'autres ouvrages, nous avons étudié l'ensemble et les parties du corps, en expliquant ce qu'est chacune de ces parties et la fonction qu'elle remplit ; et nous avons dit alors que la distinction du mâle et de la femelle est fondée sur une certaine puissance, ou impuissance, qui est en eux. Le mâle est l'être capable de cuire, de coaguler et d'émettre le sperme, qui contient le principe de l'espèce. Par là, je n'entends pas parler du principe d'où vient matériellement, et comme issu de sa totalité, l'être semblable au parent qui l'engendre; mais j'entends parler seulement du principe qui donne le mouvement initial, soit que l'être puisse imprimer à lui-même ce mouvement, soit qu'il le transmette à un autre. Or, la femelle est l'être qui reçoit le sperme, mais qui est impuissant à le coaguler et à remettre. 18 D'autre part, si toute coction ne peut agir que par la chaleur, il en résulte nécessairement que les animaux mâles doivent être plus chauds que les animaux femelles. Par suite de la froideur et de l'impuissance, la femelle a beaucoup plus de sang que le mâle, dans certains lieux de son corps. 19 C'est là une preuve tout à fait contraire à l'opinion de ceux qui s'imaginent que la femelle a plus de chaleur, et qui voient la cause de cette chaleur plus forte dans l'éruption des menstrues. Le sang est chaud, disent-ils, et l'être qui a le plus de sang est aussi le plus chaud des deux. Ils supposent que le phénomène des menstrues ne tient qu'à la surabondance du sang et de la chaleur, comme si toute matière indifféremment pouvait être du sang, par cela seul qu'elle est liquide et de couleur sanguine, et comme si le sang n'était pas aussi abondant et plus pur dans les corps bien nourris. Ils s'imaginent que, de même que pour les excrétions du ventre, ici aussi une excrétion plus grande atteste plus de chaleur qu'une excrétion moindre; or, c'est précisément tout le contraire. De même que, dans les opérations naturelles qui produisent les fruits, il n'est sécrété de la nourriture première fort abondante qu'une très petite quantité qui seule peut être utile à la maturation, et qu'à la fin la portion qui reste n'est rien à côté de la masse primitive, de même, dans le corps de l'animal, après toutes les élaborations successives des organes, il ne reste presque plus qu'un résidu insignifiant de la première nourriture. 20 Pour tels animaux, ce résidu est le sang; pour d'autres, c'est le fluide qui y correspond. Tel animal peut sécréter ce résidu tout à fait pur; tel autre ne le peut pas. Toute puissance doit avoir un organe pour agir ; et cet organe est le même pour la puissance qui opère moins bien, comme pour la puissance qui opère mieux. Mais les mots de Puissance et d'Impuissance ayant plusieurs sens, il faut que la femelle et le mâle soient opposés à ce point de vue; et, par une suite nécessaire, la femelle et le mâle ont un organe spécial qui est, dans l'un, la matrice ; dans l'autre, le périnée, c'est-à-dire les testicules et la verge. 21 La Nature leur a donné tout ensemble à l'un et à l'autre, la puissance et l'instrument, parce qu'il est mieux que les choses soient ainsi disposées. Aussi, ce sont les mêmes lieux qui servent tout à la fois aux excrétions et aux deux puissances. Et de même que la vision n'est complète qu'avec l'œil et que l'œil n'est complet qu'avec la vision, de même le ventre et la vessie ne sont dans leur nature complète que quand les résidus peuvent s'y produire simultanément. Comme le principe qui donne naissance à l'être et qui le fait grandir, c'est-à-dire la nourriture, est un même et seul principe, chaque organe ne peut venir que de la matière spéciale et du résidu spécial qu'il est en état de recevoir. 22 On peut ajouter que c'est, en quelque sorte, du contraire que l'être vient, ainsi que nous l'avons déjà expliqué, et qu'outre ces deux principes, un troisième principe qu'il faut admettre, c'est que, la destruction n'étant que le passage au contraire, il faut nécessairement que ce qui n'est plus dominé par le principe formateur, change et passe à son contraire. Ceci posé, on verra peut-être un peu plus clairement la cause qui produit ici la femelle, là le mâle. Quand le principe formateur ne l'emporte pas et qu'il ne peut opérer la coction, par défaut de chaleur; et quand il ne peut amener l'être à sa propre espèce et qu'il est dominé par la chaleur, il doit nécessairement changer en son contraire. Or le contraire du mâle, c'est la femelle; et le changement a lieu en ceci que l'un est mâle, et que l'autre est femelle. 23 Mais comme il existe une différence dans leur faculté et leur force, ils ont aussi un organe différent; et ils éprouvent le changement dans cet organe. En effet, il suffît qu'une seule partie spéciale et essentielle vienne à changer, pour que la constitution entière de l'animal éprouve aussi un changement de forme considérable. On peut observer cette modification chez les eunuques, qui, par la mutilation d'un seul organe, perdent si complètement leur ancienne forme, et dont la tournure diffère si peu de celle d'une femme. Ceci ne s'explique qu'en admettant que certains organes sont des principes; et quand le principe est modifié, il est nécessaire qu'une foule de ses conséquences soient également changées avec lui. 24 Ainsi donc, le mâle est un principe de certain genre et une cause. L'être est mâle parce qu'il peut faire tel ou tel acte, et il est femelle parce qu'il ne peut pas le faire. Ici, la puissance et l'impuissance se réduisent à pouvoir et à ne pas pouvoir opérer la coction démette nourriture définitive, qui, dans les animaux pourvus de sang, est le sang proprement dit; et dans les autres animaux, le fluide correspondant au sang. Si l'origine du sang est dans le principe de la chaleur vitale et dans l'organe qui contient ce principe de chaleur, il y a nécessité que, dans les animaux qui ont du sang, il se forme un cœur, et que ce qui se produit soit ou mâle ou femelle. Dans les espèces qui n'ont pas de sang, ce qui devient le mâle et la femelle est ce qui remplace le cœur. 25 C'est donc bien là le principe de la femelle et du mâle; c'en est là la cause; et elle est là tout entière. Il y a femelle et mâle dès que l'embryon a les organes qui distinguent la femelle du mâle; car ce n'est pas indifféremment, et par un organe quelconque, que l'être est mâle ou femelle, pas plus que ce n'est par un organe quelconque que l'on voit ou que l'on entend. 26 Mais en reprenant ce que nous avons déjà dit, répétons que, selon nous, le sperme est le résidu dernier de la nutrition; et j'entends par Dernier le fluide porté à chaque organe du corps. C'est là ce qui fait que le fœtus engendré ressemble à l'être qui l'engendre. Du reste, il importe fort peu de dire que le sperme vient de toutes les parties, ou de dire qu'il y va; seulement, cette dernière expression est plus exacte. Le sperme du mâle a ce caractère particulier qu'il porte en lui-même un principe capable de mouvoir, et que, dans l'animal, il imprime à la nourriture dernière sa coction, tandis que le sperme de la femelle ne fournit que la matière. 27 Si le sperme masculin l'emporte, il attire l'embryon à lui et le fait à son image; si à l'inverse, il est vaincu et dominé, ou il change en son contraire, ou il est détruit. C'est la femelle qui est l'opposé du mâle; et l'être n'est femelle que parce que la nourriture sanguine n'est pas digérée en lui et qu'elle reste froide. La Nature assure à chaque espèce de résidu l'organe qui est propre à le recevoir ; or le sperme n'est qu'un résidu et une excrétion. Il est en quantité considérable dans les animaux qui sont plus chauds, et dans les mâles des espèces pourvues de sang. Aussi, les organes destinés à recevoir cette excrétion sont-ils des canaux dans les mâles de ces espèces. Pour les femelles, comme la coction n'a pas lieu chez elles, la masse sanguine est très forte ; mais elle n'est pas élaborée. Il leur faut bien aussi un organe pour la recevoir ; mais cet organe doit être différent de celui du mâle, et il doit avoir la grandeur nécessaire. C'est là précisément la nature de la matrice ; et c'est cet organe spécial qui fait la différence de la femelle au mâle. [4,2] CHAPITRE II. 1 On vient d'expliquer par quelle cause l'un est femelle, et l'autre est mâle. Les faits sont la confirmation de cette théorie. Ainsi, les animaux, quand ils sont jeunes, font plus de femelles que dans leur pleine vigueur; de même dans un âge plus avancé, ils en font aussi davantage. C'est que, dans les premiers, la chaleur n'est pas encore complète; et que, dans les autres, elle n'est plus suffisante. Les corps qui sont plus humides et plus féminins produisent également plus de femelles; et les spermes liquides en font plus que les spermes compacts et épais. Toutes ces différences tiennent au défaut de chaleur naturelle. 2 Il y a plus de mâles quand le vent souffle du nord que quand il souffle du midi. Dans ce dernier cas, les organes élaborent plus d'excrétions; et plus l'excrétion est considérable, plus la coction en est difficile. Le sperme des mâles devient alors plus liquide; et chez les femmes, l'excrétion mensuelle subit cette altération. C'est encore par la même cause que les menstrues régulières sont plus abondantes à la fin des mois; car cette époque du mois est plus froide et plus humide, par suite de la décroissance et de la disparition de la lune. Durant l'année entière, c'est le soleil qui produit l'hiver et l'été ; c'est la lune qui les produit dans le cours d'un même mois. Ces changements ne tiennent pas à ses phases, mais à la lumière, qui tantôt augmente et tantôt diminue. 3 Les bergers assurent aussi que ce qui influe sur la production des femelles et celle des mâles, ce n'est pas seulement que l'accouplement ait lieu par un vent du nord ou un vent du midi, mais encore que les animaux accouplés regardent vers le midi ou vers le nord. Le moindre déplacement de ce genre modifie le degré de chaleur et de froid ; et ce sont le froid et la chaleur qui déterminent la génération et le sexe. 4 Le mâle et la femelle présentent donc de très grandes différences selon qu'ils produisent des mâles ou des femelles ; et nous avons expliqué d'où ces différences peuvent venir. Mais quelles qu'elles soient, il n'en faut pas moins aussi qu'il y ait entre l'un et l'autre parents un certain rapport proportionnel. Toutes les choses, qu'elles viennent de l'art ou de la Nature, ont un rapport de ce genre. La chaleur, si elle est en excès, dessèche les liquides ; si elle fait par trop défaut, elle ne solidifie pas; tandis que, pour le produit qui doit être formé, il serait besoin d'une proportion moyenne. 5 Parfois, cette proportion entre les parents n'existe pas; et alors, de même que pour la préparation des mets un feu trop fort les brûle, qu'un feu trop faible ne les cuit pas assez, et que des deux façons le résultat ainsi obtenu n'est pas complètement ce qu'il doit être, de même il faut entre les parents une proportion convenable pour la copulation du mâle et de la femelle. De là vient certainement que bien des hommes et bien des femmes qui ne peuvent engendrer l'un avec l'autre, engendrent néanmoins en s'unissant à d'autres personnes. Souvent aussi, la jeunesse et la vieillesse offrent de ces oppositions pour la fécondité ou l'infécondité, et pour la production des garçons ou des filles. 6 Pour ces variations, il n'y a pas moins de différence d'un pays à un autre pays; de même qu'une eau diffère aussi beaucoup d'une autre eau pour les mêmes causes. La qualité de la nourriture et la disposition du corps tiennent essentiellement, soit à la composition de l'air ambiant, soit aux aliments ingérés, et surtout à la nourriture que fournit l'eau qu'on boit. C'est l'eau que l'on absorbe en plus grande quantité que tout le reste; et c'est elle qui nourrit tout, et qu'on retrouve même dans les aliments les plus secs. De là vient que les eaux trop dures et trop froides font qu'il n'y a pas d'enfants, ou qu'il n'y a que des femelles. [4,3] CHAPITRE III. 1 C'est encore par les mêmes causes qu'on peut s'expliquer comment les enfants, tantôt ressemblent à leurs parents, et tantôt ne leur ressemblent pas ; comment ils ressemblent, tantôt au père, et tantôt à la mère ; comment ils leur ressemblent dans toute leur personne, et tantôt seulement dans une partie du corps; comment ils ressemblent plus à leurs parents qu'aux ascendants, et plus à ces ancêtres qu'aux premiers venus ; comment les enfants mâles ressemblent davantage au père, et les filles à la mère ; comment parfois ils ne ressemblent à personne de la famille, mais qu'ils ressemblent toutefois à l'homme en général, tandis qu'il y en a d'autres qui n'ont plus forme humaine et qui sont plutôt des monstres. 2 Ne pas ressembler à ses parents, c'est bien déjà une sorte de monstruosité ; car, dans ce cas, la nature a dévié de l'espèce en une mesure quelconque. La première déviation, c'est d'abord la production d'une femelle, au lieu de celle d'un mâle. Mais cette déviation est de toute nécessité, et elle est indispensable à la Nature; car, il faut, sous peine de périr, que la race continue à se diviser en femelle et en mâle. Du moment que le mâle ne l'emporte pas dans la copulation, soit à cause de sa jeunesse, soit à cause de sa vieillesse, soit pour toute autre raison de ce genre, il faut bien qu'il se produise une femelle chez les animaux. 3 Mais le monstre n'a rien de nécessaire relativement à la cause finale et au but poursuivi; il n'est nécessaire qu'au point de vue du hasard, puisque c'est dans le hasard qu'il faut chercher la cause des monstruosités. Quand l'excrétion spermatique a reçu dans les menstrues la coction complète, le mouvement communiqué par le mâle produira l'embryon conforme au mâle lui-même ; car, parler de semence, c'est, sans la moindre différence, parler du mouvement qui fait développer toutes les parties du corps, de même que la force qui développe l'embryon se confond absolument avec celle qui le constitue originairement; car, c'est toujours de mouvement qu'il s'agit. 4 Si c'est le mâle qui l'emporte, il fera un mâle et non une femelle, ressemblant à son père, et non à sa mère. Si le mâle ne l'emporte pas, de quelque côté que la puissance lui ait manqué, c'est de ce côté-là qu'il défaillira. Voici ce que j'entends par la puissance, quelle qu'elle soit, dont il est question ici. Le mâle qui engendre n'est pas seulement un mâle; il est en outre tel individu mâle, Coriscus ou Socrate; et même, il n'est pas seulement Coriscus; de plus, il est homme. 5 Les enfants engendrés sont aussi, de cette même manière, plus près ou plus loin du père qui les engendre, en tant qu'il a la faculté d'engendrer, et non point en tant qu'il a telle autre qualité accidentelle, par exemple, d'être instruit en grammaire, ou d'être le voisin de quelqu'un. En ce qui regarde la génération, c'est toujours la qualité propre et purement individuelle qui est le point capital. Coriscus est, en effet, tout ensemble homme et animal; mais la qualité qui le fait homme est plus rapprochée de l'individuel que la qualité qui le fait animal. C'est bien à la fois l'individuel et l'espèce qui engendrent; mais c'est encore davantage l'individuel, qui est, en effet, l'essence même de l'être. L'être qui est produit a bien telle pu telle qualité; mais il est en outre un être d'une certaine espèce; et c'est là ce qui fait son essence propre. 6 Aussi est-ce de ces forces et de ces puissances que viennent les mouvements qui sont dans les spermes de tous ces animaux; et même, bien qu'en simple puissance, c'est de là que viennent les mouvements des ancêtres, mais plus particulièrement ceux de l'être qui se rapproche toujours davantage de l'individuel; j'entends par l'individuel l'être qui est Coriscus ou Socrate. Rien, en sortant de son état naturel, ne va à un changement indéterminé; tout va à son opposé. Ce qui, dans la génération, n'est pas dominé par le mâle doit nécessairement sortir de sa nature spéciale et passer à son contraire, dans l'espèce de puissance où le générateur et le moteur n'a pas pu l'emporter. 7 En tant que l'être vaincu était mâle, il devient femelle ; si c'est en tant que Coriscus ou Socrate qu'il est vaincu, le produit ne ressemble pas au père, mais à la mère. De même que, d'une manière générale, la mère est l'opposé du père, de même au père considéré individuellement, c'est une mère individuelle qui lui est opposée. Il en est encore ainsi pour toutes les puissances subséquentes; toujours l'être passe davantage à celui des ancêtres qui est le plus rapproché, soit du côté paternel, soit du côté maternel. 8 Quant aux mouvements, ils diffèrent entre eux en ce que les uns sont actuels, et que les autres sont simplement en puissance. Les mouvements du générateur et des universaux, tels par exemple qu'homme et animal, sont en acte; mais les mouvements de la femelle et ceux des ancêtres sont simplement possibles. Si donc l'être sort de son état naturel et qu'il passe aux états opposés, les mouvements destinés à engendrer le nouvel être se résolvent dans les mouvements voisins ; et, en supposant que ce soit le mouvement du générateur qui se résout ainsi, il passe par la différence la plus petite possible, au mouvement du père de celui qui a engendré, puis, en second lieu, au mouvement de son grand-père. Comme ceci s'applique aux femelles aussi bien qu'aux mâles, le mouvement de celle qui a engendré passe au mouvement de sa mère; et si ce mouvement ne passe pas à la grand'mère, il va jusqu'à l'arrière-grand-mère; et ainsi de suite, dans les ascendants. 9 Ce qu'il y a donc de plus naturel, c'est que ce soit tout ensemble en tant que mâle et père que l'engendreur soit vainqueur ou vaincu. La différence est si petite qu'il n'est pas difficile que les deux conditions se produisent à la fois; car, Socrate est bien tel être individuel. Mais c'est là ce qui fait qu'en général les garçons ressemblent au père, et les filles à la mère. Le déplacement de nature s'est produit dans les deux simultanément, la femelle s'opposant au mâle et la mère s'opposant au père, puisque tout déplacement de nature passe dans les opposés. 10 Si le mouvement venu du mâle l'emporte, mais que celui qui vient de Socrate ne l'emporte pas, ou bien que ce soit ce dernier qui soit vainqueur et l'autre vaincu, alors il se produit des garçons ressemblants à la mère, et des filles ressemblantes au père. Si les mouvements sont rompus, et que pourtant le mâle demeure vainqueur, et que le mouvement de Socrate passe à celui de son père, il se produira un garçon ressemblant au grand-père, ou à quelque autre des ascendants, par la même raison. Si, au contraire, le mâle est vaincu en tant que mâle, c'est une fille qui naîtra ressemblante surtout à la mère ; et si ce même mouvement se rompt, la fille ressemblera à la mère de la mère ou à quelque autre ascendante ; et ce sera encore par la même raison. 11 II en sera tout à fait de même pour les différentes parties du corps. Il arrive bien souvent que telles parties du jeune ressemblent à celles du père, ou à celles de la mère, ou à celles de quelque autre; car, nous pouvons répéter ce que nous avons déjà dit plus d'une fois, c'est que les parties ont des mouvements en acte et des mouvements en puissance. 12 Mais il faut faire ici quelques hypothèses générales : d'abord l'une que nous venons d'indiquer, à savoir que les mouvements sont tantôt en puissance et tantôt en acte ; puis, deux autres, que l'être qui est vaincu sort de son état naturel et passe à son opposé ; qu'affaibli seulement, il passe au mouvement suivant; qu'avec un peu moins d'affaiblissement, il passe au mouvement le plus proche, et qu'avec plus d'affaiblissement encore il passe au mouvement le plus éloigné. La dernière hypothèse que nous ferons, c'est que parfois les mouvements se confondent à ce point que l'enfant ne ressemble plus à personne de sa famille ni de sa race, et qu'il ne lui reste plus que la qualité commune, c'est-à-dire qu'il est simplement homme. 13 Ceci tient à ce que la qualité d'homme appartient à tous les individus. L'homme est un terme général, un universel; et Socrate qui était le père, et la mère quelle qu'elle soit, sont des êtres individuels. Mais ce qui peut faire que les mouvements ne soient pas rompus, c'est que l'agent lui-même souffre quelque chose de la part du patient, de même que le coupant est émoussé par l'objet coupé, que ce qui échauffe est refroidi par l'objet échauffé. On peut donc dire d'une manière absolue que tout moteur, excepté le moteur premier, subit lui-même un certain mouvement contraire à celui qu'il imprime; par exemple, ce qui pousse est poussé à son tour, et ce qui frappe éprouve un contrecoup. 14 Parfois même, il arrive que l'agent souffre plus qu'il n'agit, que réchauffant, par exemple, soit refroidi, et que le refroidissant soit échauffé. D'autres fois encore, l'agent n'agit pas, ou il agit moins qu'il ne souffre. Toutes ces questions ont été étudiées dans le Traité sur l'Action et la Passion, où nous avons exposé quels sont les êtres qui sont susceptibles d'agir et de souffrir. Le patient sort de son état naturel, sans d'ailleurs être vaincu, soit par défaut de force dans l'être qui doit le faire mûrir et le mouvoir, soit par la grosseur ou la froideur de la masse qui est à mûrir et à déterminer. 15 Selon que l'agent domine ou ne domine pas, il donne des formes diverses à son produit. C'est à peu près l'effet que cause aux athlètes une alimentation excessive. Comme la Nature ne peut dominer et employer la nourriture surabondante qu'ils prennent, dans la mesure où il le faudrait pour augmenter et maintenir à leurs membres une forme toujours pareille, il y a des parties de leur corps qui deviennent tout autres, et qui changent même quelquefois à ce point d'en être méconnaissables, par rapport à leur état antérieur. C'est encore à peu près ce qui se passe dans la maladie qu'on appelle le Mal du Satyre. Dans cette affection, l'afflux est si considérable, ou l'air sans coction s'accumule tellement sur certaines parties du visage, que la figure devient celle d'un autre animal et d'un satyre. 16 Ainsi donc, nous venons d'expliquer quelle est la cause qui produit les femelles et les mâles ; comment les enfants ressemblent à leurs parents ; les femelles aux femelles, les mâles aux mâles; ou, à l'inverse, comment les femelles ressemblent au père, et les mâles à la mère; comment même tantôt ils ressemblent aux ascendants, et tantôt ils ne ressemblent à personne; comment enfin la ressemblance s'étend au corps tout entier, ou seulement à quelques-unes de ses parties. Toutes ces questions ont été suffisamment éclaircies par nous. 17 Mais il y a des naturalistes qui ont expliqué tout autrement la ressemblance, ou la dissemblance, des enfants aux parents ; et ils ont deux façons d'exposer la cause de ces différences. Selon les uns, si le sperme d'un des deux parents est plus considérable, c'est à ce parent-là que l'enfant ressemble davantage; et c'est également, ou le tout qui ressemble au tout, ou bien la partie qui ressemble à la partie, comme si le sperme venait de toutes les parties du corps. Si, au contraire, le sperme vient en quantité égale des deux parents, l'enfant ne ressemble ni à l'un ni à l'autre. Or, s'il n'est pas exact que le sperme vienne de toutes les parties du corps et si cette erreur est évidente, il est clair aussi que la cause indiquée par ces naturalistes n'est pas celle qui fait la ressemblance et la dissemblance. Et puis, comment peuvent-ils expliquer de cette façon la ressemblance de la fille au père, ou du garçon à la mère? 18 Les autres naturalistes, qui adoptent l'opinion d'Empédocle et de Démocrite sur la production de la femelle et du mâle, se trompent non moins gravement, quoique d'une autre manière, et leur système est également insoutenable. Quand on prétend que c'est la quantité plus ou moins grande du liquide venant du mâle ou de la femelle qui produit les femelles ou les mâles, on doit être fort embarrassé de démontrer comment la fille ressemble à son père, et le fils à sa mère ; car il est impossible que le fluide vienne en plus grande quantité des deux à la fois. 19 Et puis encore, qu'est-ce qui fait que l'enfant ressemble très fréquemment à ses ascendants, et même à des ascendants très éloignés ? Assurément, il n'est rien venu du sperme de ceux-là. Mais, sur ce point comme sur d'autres, ceux qui donnent de la ressemblance l'explication qui nous reste à examiner, sont beaucoup plus près de la vérité. En effet, il y a des naturalistes qui soutiennent que la liqueur séminale, bien qu'elle soit simple, produit cependant une foule de germes de toute sorte. 20 Si l'on mêle des sucs divers dans un seul liquide, et qu'ensuite on puise à ce mélange, on pourra bien ne pas prendre toujours de chacun des sucs une quantité égale; et l'on aura tantôt plus de l'un, tantôt plus de l'autre; tantôt aussi, on pourra bien avoir quelque chose de l'un ou n'avoir de l'autre rien du tout. Les choses, disent-ils, se passent de même pour la semence, où beaucoup de matières sont mélangées. Selon que la quantité venue de l'un des parents est plus forte, la forme de l'enfant ressemble à ce parent-là. 21 Cette explication n'est pas des plus claires, et bien souvent elle se trouve fausse à plus d'un égard. Tout ce qu'elle a de plus vrai, c'est qu'elle suppose que cette multiplicité indéfinie des germes dont on parle, n'est pas en acte dans le sperme, mais qu'elle y est en simple puissance. En l'un de ces deux sens, cette théorie est impossible ; mais elle est possible dans l'autre. Il n'est pas aisé, si l'on se borne à une seule espèce de cause, de se rendre compte de tous les phénomènes que nous citions tout à l'heure, et de savoir d'où vient qu'il y a des femelles et des mâles, comment il se fait souvent que la fille ressemble au père, et le fils à la mère ; comment l'enfant ressemble de nouveau à ses ancêtres; comment il est simplement homme, sans ressembler à qui que ce soit de ses parents ; et comment sur cette pente, il en arrive même enfin à n'être plus un homme, et à n'être qu'un animal du genre de ceux qu'on appelle des monstres. 22 Il nous paraît que la suite de tout ce que nous venons de dire, ce serait de rechercher la cause des monstruosités. Quand les mouvements sont rompus et qu'ils s'affaissent, et que la matière n'est pas dominée, il ne reste que ce qu'il y a de plus général, c'est-à-dire l'animal. On assure bien qu'alors le fœtus humain a une tête de bélier ou de bœuf, que le même fait se produit dans les autres espèces, et qu'ainsi un veau a une tête d'enfant, ou un mouton une tète de bœuf. On peut expliquer tous ces faits extraordinaires par les causes que nous venons d'indiquer. Mais il n'y a rien de réel dans ce que croient ces naturalistes ; et ce ne sont là que de simples ressemblances, qui se produisent sans même que, pour cela, les êtres soient vraiment contrefaits. 23 Ainsi, bien souvent, c'est en plaisantant qu'en parlant d'hommes laids, on assimile leur visage à un bouc soufflant le feu, ou à un bélier donnant un coup de corne. Il suffit qu'un physiognomiste rapporte les traits de personnes laides à deux ou trois types d'animaux, pour qu'à force de le répéter, il finisse par persuader les gens. Mais ce qui prouve bien qu'une telle monstruosité d'un animal se changeant en un autre animal est impossible, c'est l'énorme différence des temps de la gestation pour un homme, pour un mouton, pour un chien ou pour un bœuf. Il n'y a pas moyen qu'aucun de ces animaux puisse jamais naître en dehors des temps réguliers qui leur sont naturels. 24 Telle est une des formes de monstruosités, dont on a parlé. Mais on dit encore de quelques animaux qu'ils sont des monstres, par cela seul qu'ils ont des membres en surnombre ; par exemple, plusieurs pieds ou plusieurs têtes. Les explications qu'on peut donner des causes de ces phénomènes se rapprochent beaucoup et se confondent presque, et pour ces prétendus monstres, et pour les animaux qui ne sont que contrefaits et difformes; car la monstruosité n'est guère qu'une difformité. 25 Démocrite a soutenu que les monstres se produisent, parce que deux semences spermatiques se rencontrent dans la matrice, l'une qui y a été lancée la première, l'autre qui ne vient qu'ensuite. Selon lui cette seconde semence, entrant après l'autre, se joint à elle dans la matrice et y trouble tout l'ordre des membres. Il cite les oiseaux, où l'accouplement est si rapide, et où les œufs et la couleur changent si aisément. Mais si, d'un seul sperme et d'un seul accouplement, il peut naître plusieurs fœtus, ce qui se voit souvent, il vaut mieux ne pas faire le détour que fait Démocrite, en négligeant le plus court chemin. 26 Nécessairement, le phénomènes produit dans les animaux quand les spermes, loin de se séparer, se réunissent simultanément. C'est la l'explication qu'il faudrait donner, si l'on voit dans la semence du mâle la cause des monstruosités. Mais il est bien plus probable que la cause est dans la matière et dans les fœtus qui se forment. Aussi, les monstres sont-ils excessivement rares dans les animaux qui ne font qu'un seul petit ; le fait se produit plus souvent dans les animaux multipares. Mais il est surtout fréquent chez les oiseaux; et, parmi les oiseaux, chez les poules. En effet, elles ne sont pas fécondes uniquement parce qu'elles pondent souvent, comme le font aussi les pigeons, mais encore parce qu'elles ont plusieurs germes à la fois, et qu'elles cochent en tout temps ; aussi font-elles fréquemment des œufs doubles. 27 Comme les germes sont fort rapprochés les uns des autres, ils se soudent, ainsi qu'il arrive très souvent aux fruits des végétaux. Toutes les fois que les jaunes sont séparés par la membrane, il se produit deux poussins qui n'ont rien d'extraordinaire; mais quand les jaunes se touchent et que rien ne les isole, il se produit des poussins monstrueux, qui, tout en n'ayant qu'un seul corps et une seule tête, ont quatre pattes et quatre ailes, parce que les parties supérieures se sont formées du blanc, et parce que la nourriture venue de ce blanc leur a été d'abord répartie, tandis que la partie inférieure n'a paru que plus tard, et que la nourriture est unique et indivisible. 28 On a pu observer aussi un serpent à deux têtes; et cette monstruosité s'explique de même. Le serpent est ovipare également et également fécond ; et si les monstres sont plus rares chez le serpent, cela tient uniquement à la forme de sa matrice; car à cause de sa longueur, les œufs y sont rangés à la suite les uns des autres. Pour les abeilles et les guêpes, il ne se passe rien de pareil ; leur couvain est déposé dans des alvéoles séparées. Pour les poules, c'est tout le contraire. Ceci montre bien encore que c'est dans la matière qu'il faut chercher la cause des monstruosités, puisqu'elles sont plus fréquentes dans les espèces qui font beaucoup de petits. 29 C'est là aussi ce qui fait que les monstruosités se produisent moins souvent chez l'homme. En général, la femme n'a qu'un seul enfant ; et ce jeune est complet. Bien plus, dans les pays où les femmes sont très fécondes, comme en Egypte, les monstres sont bien plus fréquents. C'est encore ainsi que chez les chèvres et les moutons, les monstruosités sont plus nombreuses, parce que ces animaux sont plus féconds. Elles sont encore plus multipliées chez les fissipèdes, où l'espèce fait plusieurs petits à la fois, et où les petits ne sont pas complets, comme, par exemple, ceux de la chienne. Presque toutes ces espèces font des petits qui naissent aveugles. Nous expliquerons plus tard pourquoi il en est ainsi, et pourquoi ces espèces produisent tant. 30 La Nature prépare en quelque sorte la voie aux monstruosités, en faisant que ces animaux ne produisent que des petits qui ne leur ressemblent pas, puis qu'ils sont incomplets, et les monstruosités aussi peuvent bien être considérées comme des dissemblances. Voilà comment cet accident se montre chez les animaux qui ont la nature de ceux dont nous venons de parler. Et c'est encore chez eux que l'on voit le plus fréquemment ce qu'on appelle des arrière-porcs, qui, à certains égards, sont une sorte de monstres; car c'est un genre de monstruosité d'avoir quelque chose de trop ou quelque chose de moins. 31 Le monstrueux est contre nature, non pas contre la Nature prise absolument, mais contre le cours le plus ordinaire de la Nature. Rien ne peut se produire en effet contre la Nature éternelle et nécessaire ; il ne se produit quelque phénomène contre nature que dans les choses qui sont ordinairement de telle façon, mais qui pourraient aussi être d'une façon tout autre. Comme, même dans les cas où il survient quelque accident qui contrarie l'ordre établi, ce n'est jamais au hasard que cet accident arrive, le monstre, à ce point de vue, parait moins monstrueux, parce que ce qui est contre nature est encore naturel jusqu'à un certain point, quand la nature qui fait l'espèce et la forme ne l'emporte pas sur la nature qui fait la matière. 32 Aussi, ne regarde-ton pas précisément comme des monstres les animaux dont nous venons de parler, ni les autres cas où il se produit quelque accident analogue a ce qu'on voit dans le péricarpe des fruits. Il y a, par exemple, une espèce de vigne qu'on appelle quelquefois la « Fumeuse », pour laquelle on ne regarde pas que ce soit une monstruosité de produire des raisins noirs, parce que c'est là le fruit qu'elle produit le plus habituellement. C'est que la nature de cette vigne tient le milieu entre le raisin blanc et le raisin noir, de telle sorte que la déviation n'est pas très éloignée, ni par conséquent tout à fait contre nature ; car le changement ne va pas jusqu'à une nature toute différente. Les monstruosités sont fréquentes dans les espèces qui ont beaucoup de petits, à cause de cette fécondité même ; car cette fécondité fait que les petits se gênent les uns les autres, dans leur complète formation; et elle empêche les mouvements générateurs. [4,4] CHAPITRE IV. 1 On peut se demander d'où vient la fécondité de quelques espèces qui font beaucoup de petits, pourquoi il y a parfois des membres en surnombre, pourquoi telle espèce fait peu de petits et telle autre n'en fait qu'un, et enfin pourquoi des membres entiers font défaut. Ainsi, il y a des enfants qui ont plus de doigts qu'il ne faudrait ; d'autres n'en ont qu'un seul ; de même pour des parties du corps autres que les doigts, ou il y a surnombre, ou bien nombre incomplet. 2 On a vu des enfants nés avec des parties honteuses des deux sexes, l'une mâle, l'autre femelle. Cette observation a pu être faite sur les hommes, mais surtout dans l'espèce des chèvres, où celles qu'on appelle des Tragœnes ont à la fois l'organe femelle et l'organe mâle. On a vu aussi une chèvre dont la corne était placée sur la jambe. Ces changements et ces difformités se rencontrent également à l'intérieur du corps, où certains viscères viennent à manquer, ou bien à être difformes, ou ils sont en surnombre et ou ils sont changés de place. Si l'on n'a jamais vu d'animal qui n'eût pas de cœur, il y en a qui n'ont pas de rate, ou qui en ont deux; et d'autres qui n'ont qu'un seul rognon. Le foie ne manque jamais; mais il est parfois incomplet. 3 Tous ces phénomènes se présentent chez des animaux très bien formés d'ailleurs, et qui n'en vivent pas moins. On a vu des animaux ne pas avoir de vésicule biliaire, bien qu'ils dussent naturellement en avoir une; d'autres en avaient plusieurs, au lieu d'une seule. On a observé aussi des déplacements; le foie était à gauche et la rate à droite ; et cette singularité se présentait chez des animaux d'ailleurs bien constitués, comme on vient de le dire; mais elle apporte toujours dans les fonctions, dès qu'ils sont nés, un grand trouble, qui revêt les formes les plus diverses. 4 Quand la déviation reste encore assez faible, les petits peuvent habituellement vivre; mais quand elle est plus marquée, ils ne vivent pas, si la difformité contre nature intéresse les organes essentiels à la vie. Pour tous ces phénomènes, il s'agit de savoir si c'est une seule et même cause qui fait qu'il n'y a qu'un seul petit, que des organes viennent à manquer, ou qu'il y a plus d'organes qu'il n'en faut, ou enfin que les petits sont nombreux. Ou bien, est-ce une cause différente, au lieu d'une cause unique? 5 En premier lieu, on a bien raison de s'étonner que tels animaux ne fassent qu'un seul petit, tandis que d'autres en font plusieurs. Les animaux les plus grands ne font qu'un petit uniquement; par exemple, l'éléphant, le chameau, le cheval et les solipèdes, tous animaux qui tantôt sont plus gros que les autres, ou qui tantôt sont, du moins relativement, beaucoup plus grands. Le chien, le loup et presque tous les fissipèdes ont beaucoup de petits, ainsi qu'en ont les races de ce genre les moins grosses, tels que les rats. Les animaux à pieds fourchus font en général peu de petits, si ce n'est le porc, qui en fait au contraire un très grand nombre. 6 II serait tout simple que les plus gros animaux pussent faire le plus de petits, et qu'ils sécrétassent plus de sperme; mais c'est précisément parce qu'on s'en est étonné qu'on ne s'en étonne plus; car c'est leur grosseur précisément qui les empêche de produire beaucoup. Dans ces sortes d'animaux, la nourriture est utilisée tout entière pour la croissance de leur corps, tandis que, chez les plus petits, la Nature fait profiter la sécrétion spermatique de tout ce qu'elle leur ôte en grosseur. 7 II y a nécessité, d'ailleurs, que le sperme qui doit créer l'être plus grand soit aussi en plus grande quantité, et que chez les petits êtres il soit en quantité très faible. Le nombre et la petitesse peuvent se réunir dans le même être; mais il est bien difficile que le nombre et la grosseur se réunissent. La Nature a mis la fécondité moyenne dans les moyennes grandeurs. Nous avons antérieurement essayé d'expliquer pourquoi tels animaux sont grands, tels autres plus petits, et tels autres encore de moyenne taille. Telle espèce n'a qu'un petit; telle autre en a fort peu; telle autre en a beaucoup. Les solipèdes n'ont en général qu'un petit unique; les pieds fourchus n'en ont que très peu; les fissipèdes en ont beaucoup. 8 Le plus ordinairement, c'est sur ces différences de fécondité que se règle la grandeur des corps; cependant la règle n'est pas constante. C'est la grandeur et la petitesse des corps qui déterminent la fécondité plus ou moins grande, et cette fécondité ne dépend pas de ce que l'espèce est solipède, ou fissipède, ou à pieds fourchus. Ce qui le prouve bien, c'est que l'éléphant, le plus grand de tous les animaux, est fissipède, et que le chameau, qui, après lui, est le plus grand entre les autres animaux, a le pied fourchu. C'est par la même raison que non seulement chez les quadrupèdes, mais en outre chez les oiseaux, et chez les poissons, les plus grands ont peu de progéniture, et que les petits en ont beaucoup. Le même phénomène se retrouve dans les végétaux, où ce ne sont pas les plus grands qui donnent le plus de fruits. 9 Voilà donc, selon nous, pourquoi tels animaux ont des petits en grand nombre ; comment d'autres en ont très peu ; et comment d'autres enfin n'en ont même qu'un seul. Mais si cette question est intéressante, celle-ci l'est davantage encore. Comment, chez les animaux qui font des petits très nombreux, suffit-il d'un seul accouplement pour produire tant d'embryons? Comment se fait-il que, soit que le sperme du mâle contribue matériellement à apporter sa part du fœtus en se mêlant au sperme de la femelle, soit qu'il n'agisse pas de cette façon, et que, selon notre théorie, il coagule et anime la matière qui est dans la femelle et dans la sécrétion spermatique, comme la présure agit sur le lait liquide, comment se fait-il qu'il ne produise pas un seul et unique fœtus, ayant la grandeur voulue? 10 Pourquoi le sperme n'agit-il pas comme la présure, qui ne sépare pas le lait en parties diverses pour coaguler telle ou telle quantité de lait, mais qui, y étant mise de plus en plus, rend proportionnellement la masse du lait de plus en plus compacte ? Dire que ce sont les différentes portions de la matrice qui attirent le sperme, et que c'est là ce qui multiplie les fœtus, parce que ces portions diverses de la matrice sont en grand nombre et que les cotylédons sont plus d'un, c'est ne rien dire absolument; car parfois dans la même place de la matrice, il y a deux fœtus; et dans les espèces qui ont des petits très nombreux, lorsque les matrices sont pleines d'embryons, ils y sont déposés à la suite les uns des autres. C'est ce dont on peut se convaincre par l'Anatomie. 11 De même que, pour les animaux qui arrivent à toute leur croissance, il y a un développement régulier qui ne peut être, ni plus grand, ni plus petit, dans l'une ou l'autre de ces dimensions, et que c'est toujours dans ces limites de grandeur moyenne que les animaux ont, par rapport les uns aux autres, des différences en plus et en moins, et par exemple qu'un homme ou tout autre animal est plus ou moins grand, de même l'embryon qui sort de la matière spermatique, n'est pas sans limites précises, soit en plus, soit en moins, de telle sorte qu'il puisse se former d'une quantité quelconque de cette matière. 12 Il en résulte que, quand les animaux émettent plus de sperme qu'il n'en faut pour le principe d'un seul être, il ne se peut pas, par la cause qu'on vient d'expliquer, qu'il ne naisse de toute cette matière qu'un seul animal ; mais il doit en sortir autant d'animaux que le comportent les grandeurs régulières. Le sperme émis par le mâle, ou la puissance contenue dans le sperme, ne formera ni plus ni moins que ce qui a été réglé par la Nature. Il en est encore de même si le mâle émet plus de sperme qu'il ne faut, ou si les puissances dispersées dans le sperme divisé sont plus nombreuses qu'il ne convient. Alors le surplus, loin de produire plus d'effet, sera, tout au contraire, nuisible en se desséchant. 13 C'est ainsi que le feu n'échauffe pas l'eau de plus en plus, parce qu'il est plus considérable; mais il y a une limite à la chaleur; et cette limite une fois atteinte, on a beau accroître le feu, l'eau n'en devient pas plus chaude; mais bien plutôt elle s'évapore, pour disparaître peu à peu, et, à la fin, se dessécher entièrement. Il semble donc qu'il est besoin d'une certaine proportion entre l'excrétion de la femelle et l'excrétion qui vient du mâle. Par suite, dans toutes les espèces multipares, les mâles qui émettent du sperme le lancent en un instant, le sperme mâle pouvant par sa division suffire à former plusieurs embryons, et le sperme femelle étant en quantité suffisante pour les nourrir. 14 Cependant la comparaison, indiquée plus haut, du lait et du sperme, n'est pas très exacte. La chaleur du sperme ne produit pas seulement un embryon d'un certain volume, mais aussi d'une certaine qualité, tandis qu'il n'y a dans le petit lait et la présure qu'une pure et simple quantité. Ce qui fait que, dans les espèces multipares, les embryons sont nombreux et qu'ils ne se réunissent pas pour n'en former qu'un seul, c'est que le germe ne peut pas venir d'une quantité quelconque, et qu'il ne peut exister s'il y en a trop peu, ou s'il y en a trop, parce qu'il y a une limite à la puissance du patient aussi bien qu'à celle de la chaleur productive. 15 De même encore, dans les animaux unipares et de grande dimension, il n'y a pas beaucoup de germes, bien que l'excrétion soit abondante, parce que, dans ces animaux aussi, le produit qui vient d'une certaine quantité est d'une certaine quantité également. Ils n'émettent donc pas plus qu'il ne faut de cette matière, par les raisons que nous en avons données; et la matière qu'ils émettent est calculée par la Nature de manière à ne produire qu'un seul embryon. S'il y en a plus qu'il n'en faut, il y a alors double produit. Mais ces cas passent plutôt pour des monstruosités, parce qu'ils sont exceptionnels et contre l'ordinaire. 16 Quant à l'homme, il présente toutes ces variétés. Il est unipare, et parfois multipare ; en somme, il a peu d'enfants. Mais, par nature, il est essentiellement unipare; il ne devient multipare que quand le corps est humide et chaud; car la nature du sperme est liquide et chaude. Mais par suite de ses dimensions corporelles, l'homme a peu de progéniture, et il ne procrée qu'un seul petit. C'est là encore ce qui fait qu'il est le seul des animaux chez lequel les temps de la gestation soient irréguliers. Les autres animaux n'ont absolument qu'un seul temps; l'homme en a plusieurs. Ainsi, l'enfant peut naître de sept mois à dix mois, ou à des époques intermédiaires; car les enfants vivent à huit mois, bien qu'ils vivent moins souvent. 17 Ce que nous venons de dire suffît pour faire voir la cause de ces variations. Mais il en a été parlé aussi dans les Problèmes; et nous n'avons pas à nous étendre davantage sur ce sujet. 18 La cause qui produit les jumeaux est la même aussi qui produit les membres en surnombre. Cette cause se trouve dans les germes, quand il s'accumule plus de matière qu'il n'en faut pour la dimension naturelle de la partie dont il s'agit. Il arrive alors que l'embryon a une partie plus grande que les autres; par exemple, le doigt, la main, le pied, ou telle autre extrémité, ou tel autre membre. 19 Ou bien encore, c'est la division du sperme qui produit plusieurs embryons, tout comme dans les cours d'eau il se forme des tourbillons. Si le liquide qui coule et qui est en mouvement rencontre un obstacle, il se forme deux courants au lieu d'un seul, ayant l'un et l'autre le même mouvement. Il en est tout à fait ainsi pour les embryons. Quand ils sont près l'un de l'autre, ils se soudent plus aisément; mais ils se soudent encore quelquefois, même quand ils sont éloignés, à cause du mouvement qui a lieu dans le germe, surtout quand la matière revient s'accumuler au point d'où elle a été enlevée, et qu'elle a la forme de l'organe d'où elle sortait en trop grande abondance. 20 Dans les cas où les organes des deux sexes sont réunis, l'un du maie, l'autre de la femelle, l'un des deux organes en surcroit est toujours bien conformé, l'autre est incomplet, parce qu'il reçoit toujours une nourriture moins abondante, attendu qu'il est contre nature, et qu'il ne vit que comme les plantes parasites, qui prennent leur part d'alimentation, quoiqu'elles soient venues plus tard que les autres et quoiqu'elles ne soient pas naturelles. Les deux organes pareils se produisent quand le principe de formation est absolument vainqueur, ou quand il est absolument vaincu ; mais si ce n'est qu'en partie qu'il triomphe, ou en partie qu'il succombe, l'un des organes est femelle, et l'autre est mâle. 21 La cause à laquelle on rapporte le sexe femelle de l'un et le sexe mâle de l'autre, peut s'appliquer aussi bien à tout l'animal qu'à ses parties. Quant à celles des parties qui viennent à manquer, par exemple, une extrémité ou tel autre membre, on doit supposer à ce phénomène la même cause qu'à l'avortement complet de l'embryon; car les avortements des fœtus sont très fréquents. 22 Le surnombre des membres se distingue du surnombre des petits, ainsi qu'on vient de le dire. Mais les monstruosités diffèrent de ces deux phénomènes en ce que, la plupart du temps, ce ne sont que des soudures ou symphyses. Parfois des monstruosités se rencontrent dans des organes plus grands et plus importants ; par exemple, certains animaux ont deux rates, ou ont des rognons en surnombre. Les déplacements d'organes tiennent aussi à des mouvements irréguliers, allant en sens contraire, et à une matière qui change de lieu. Pour juger si l'animal monstrueux est un seul animal, ou s'il est composé de plusieurs animaux soudés ensemble, c'est au principe qu'il faut remonter. Si par exemple, le cœur est la partie dont il s'agit, l'animal qui a cet organe unique est un seul animal; et les parties en surnombre sont des produits contre nature; mais quand il y a plusieurs cœurs, c'est qu'il y a deux animaux, qui se sont soudés par le contact irrégulier des germes. 23 Souvent il arrive, dans des animaux qui d'ailleurs ne paraissent pas contrefaits, qu'après leur développement complet certains canaux se bouchent, et que d'autres canaux se dérangent tout à fait. On a observé des femmes chez qui l'orifice de la matrice, resté constamment fermé depuis longtemps, s'était spontanément ouvert, à l'époque des menstrues et après de grandes douleurs, ou bien avait dû être fendu par les médecins. D'autres femmes sont mortes quand la rupture a été par trop violente, ou qu'elle n'a pas pu se faire. 24 On a vu des enfants chez qui le bout de la verge et le canal par où sort l'excrétion de la vessie, n'étaient pas placés au même endroit, mais plus bas. Il en résulte qu'ils s'accroupissent pour uriner, et qu'en leur relevant les testicules, il semble, quand on les voit de loin, qu'ils aient tout à la fois un organe femelle et un organe viril. Sur quelques animaux, les moutons par exemple et d'autres encore, on a vu le canal pour les excréments secs être tout à fait bouché. A Périnthe, il y avait une vache chez laquelle la vessie laissait suinter l'excrément sec en un léger filet; et bien qu'on lui eût ouvert le fondement par une incision, il se referma bientôt, et l'on ne put parvenir à le tenir ouvert par l'incision renouvelée. 25 Voilà tout ce que nous avions à dire sur la fécondité plus ou moins grande des animaux, sur les phénomènes contre nature de membres en surnombre ou de membres qui font défaut, et, enfin, sur les monstruosités. [4,5] CHAPITRE V. 1 II y a des animaux chez lesquels il n'y a jamais de superfétation : chez d'autres au contraire, il y en a. Parmi ceux où la superfétation est possible, les uns peuvent amener à terme leurs fœtus, tandis que les autres, tantôt le peuvent, et tantôt ne le peuvent pas. Ce qui empêche la superfétation, c'est que les animaux sont unipares. Chez les solipèdes, il n'y a pas de superfétation, non plus que chez les animaux encore plus grands, où à cause de leur grosseur même, toute l'excrétion est employée à développer l'embryon. 2 Car tous les animaux de cet ordre ont des corps très grands; et les embryons des grands animaux doivent être grands comme eux, toute proportion gardée. Aussi, le petit de l'éléphant est-il de la grosseur d'un veau. Mais les animaux multipares sont capables de superfétation, parce que, du moment qu'au lieu d'un seul fœtus il y en a plusieurs, un de ces fœtus vient s'ajouter en surcroit à l'autre fœtus. Dans les animaux qui ont une certaine grosseur, comme l'homme, si une seconde copulation vient presque immédiatement après la première, l'embryon en surnombre peut se développer et se nourrir; et l'on a vu plus d'une fois ce cas se produire. 3 La cause en est celle que nous avons indiquée. Ainsi, dans la première copulation, le sperme a été plus abondant; et il rend possible en se divisant la formation de plusieurs fœtus, parmi lesquels l'un vient toujours en dernier lieu après les autres. Mais quand la copulation a lieu lorsque déjà le premier embryon a pris quelque croissance, il y a parfois superfétation ; cependant le fait est rare, parce que la matrice se referme chez la plupart des femmes jusqu'au temps de l'accouchement. Toutefois si le fait se produit, comme on l'a déjà vu, l'embryon ne peut venir à bien; et alors il est rejeté, comme il arrive dans ce qu'on appelle les fausses-couches. 4 De même que, dans les unipares qui ont une certaine grandeur, l'excrétion spermatique tourne tout entière au développement du premier embryon, de même, dans les multipares, le fait se produit également, a cette différence près que, chez les uns, c'est tout d'un coup qu'il se produit, et que, chez les autres, c'est seulement quand l'embryon a déjà pris quelque croissance. C'est ce qui a lieu chez l'homme, qui naturellement pourrait être multipare, si l'on regarde à la grandeur de la matrice et à l'abondance de la sécrétion, sans que d'ailleurs ni l'une ni l'autre ne puissent nourrir un second embryon. Il en résulte que seules, parmi les animaux, la femme et la jument, même quand elles ont déjà conçu, reçoivent encore les approches du mâle. 5 Pour la femme, c'est la raison qu'on vient de dire; mais la jument les souffre à cause de la rigidité de sa nature, et parce que sa matrice est assez grande pour recevoir plus d'un embryon, bien qu'elle ne le soit pas assez pour en recevoir encore un autre complètement. La jument est de sa nature très lascive, parce qu'elle est soumise à la même condition que tous les autres animaux dont la peau est épaisse comme du cuir. Cette disposition tient chez ces animaux à ce qu'ils n'ont point d'évacuation purifiante ; pour eux, cette évacuation est ce que le rut est pour les mâles; et les juments n'ont presque pas d'évacuation de ce genre. Dans tous les vivipares, les femelles à tissu rigide sont très portées à l'acte vénérien, parce qu'elles sont dans un état fort semblable à celui des mâles, quand leur sperme est accumulé et qu'il n'est pas encore expulsé. Dans les femelles, l'évacuation purgative des menstrues est une sortie de sperme ; car les menstrues, ainsi qu'on l'a déjà dit, ne sont que du sperme dont la coction est imparfaite. 6 Aussi, les femmes qui sont ardentes au rapprochement sexuel, perdent-elles cette excitation quand elles ont eu plusieurs enfants, parce que la sécrétion spermatique qui a été expulsée ne leur donne plus ces désirs, qu'elles ne pouvaient dominer. Chez les oiseaux, les femelles sont moins portées que les mâles à l'accouplement, parce qu'elles ont la matrice placée sous le diaphragme, tandis que les mâles sont organisés tout autrement; car leurs testicules sont suspendus à l'intérieur, de telle sorte que, quand une espèce de ces oiseaux a beaucoup de sperme, les mâles ne cessent pas d'avoir besoin d'accouplement. Chez les femelles, c'est parce que les matrices descendent, et chez les mâles parce que les testicules s'élèvent, que cette disposition facilite le rapprochement et y pousse. 7 D'après ce qui précède, on doit comprendre pourquoi certains animaux n'ont jamais de superfétation ; et pourquoi d'autres en ont, tantôt amenant leurs fœtus à terme, tantôt ne pouvant les y amener. On doit voir aussi pourquoi telles espèces sont lascives, et pourquoi telles autres ne le sont pas. 8 Quelques-unes de celles où la superfétation est possible peuvent amener leurs germes à bien, si la seconde copulation a eu lieu longtemps après la première; ce sont les espèces qui, ayant du sperme, n'ont pas le corps trop gros et qui peuvent avoir plusieurs petits. Précisément, parce qu'elles peuvent en avoir plusieurs à la fois, la matrice a de grandes dimensions; et comme ces espèces ont du sperme, l'évacuation purgative sort en grande abondance. Mais comme leur corps n'est pas très gros, et que l'évacuation est plus considérable qu'il ne faut pour nourrir l'embryon, ces espèces peuvent concevoir de nouveaux embryons et les amener à terme régulièrement. 9 Les matrices, dans ces animaux, ne se ferment pas, parce que la sécrétion purifiante surabonde toujours en elles. Ce curieux phénomène a été observé même sur des femmes. On en a vu qui étaient enceintes avoir leur évacuation et la conserver jusqu'à la fin de la grossesse. Mais chez les femmes, c'est là un accident contre nature, et le fœtus en souffre, tandis que, dans les espèces dont on vient de parler, le fait est tout naturel. C'est que leur corps est originairement ainsi organisé, comme on le voit chez les lièvres, qui présentent toujours des superfétations. Cet animal ne compte pas parmi les plus grands animaux; mais il fait beaucoup de petits; il est fissipède, et les fissipèdes sont en général très féconds. 10 En outre, il a beaucoup de sperme. Ce qui le prouve bien, c'est l'abondance de son poil, qui est vraiment extraordinaire. Il est le seul animal qui ait des poils sous les pieds et même en dedans des mâchoires. Cette abondance des poils indique toujours une sécrétion abondante; c'est si vrai que, parmi les hommes, ceux qui sont velus sont portés aux plaisirs du sexe ; et ils ont beaucoup plus de sperme que les hommes dépourvus de poils. Le lièvre a bien souvent des fœtus incomplets, en même temps qu'il a des petits très bien conformés. [4,6] CHAPITRE VI. 1 Parmi les animaux vivipares, il y en a qui produisent des petits incomplets, tandis que les autres en produisent de complets. Les solipèdes et les fissipèdes ont des petits complètement formés ; mais presque tous les animaux à pieds fourchus n'ont que des petits incomplets. Cela tient à ce que les solipèdes sont unipares, tandis que les fissipèdes, ou sont unipares, ou le plus souvent font deux petits. Il est plus facile de mener à terme des petits moins nombreux. Mais tous les pieds fourchus qui font des petits incomplets sont multipares. Tant que les embryons sont tout jeunes, ils peuvent les alimenter; mais quand les embryons ont grossi et que le corps ne peut plus les nourrir, ces animaux les rejettent, comme le font aussi les animaux qui pondent des larves. 2 En effet, de ces animaux, les uns font des petits dont les membres sont à peine indiqués, comme le renard, l'ours, le lion; et d'autres espèces aussi sont à peu près dans ce cas. Presque toutes, ainsi que celles-là, font des petits qui naissent aveugles, tels que le chien, le loup, le lynx. De tous les animaux qui font beaucoup de petits, la laie est seule à les faire complets; elle est une exception. Elle a beaucoup de petits, comme en général en ont les fissipèdes; car le porc a deux pinces, et il est solipède également, du moins dans quelques contrées. 3 Le porc a beaucoup de petits, parce que la nourriture qu'exige la grosseur de son corps tourne à une sécrétion de sperme abondante. En tant que solipède, il n'est pas fort gros; et en même temps, il est plutôt fissipède, parce que sa nature de solipède est assez équivoque. Aussi, la truie n'a quelquefois qu'un seul petit; tantôt elle en a deux; mais le plus ordinairement, elle en a un grand nombre, qu'elle amène à terme, à cause de l'embonpoint de son corps ; car il est comme une terre grasse, fournissant aux plantes toute la nourriture dont elles ont besoin. 4 II y a aussi des oiseaux qui font des jeunes incomplets et aveugles ; ce sont ceux qui font beaucoup de petits, sans avoir le corps très gros, comme la corneille, la pie, le moineau, les hirondelles; et aussi, parmi les oiseaux qui font peu de petits, tous ceux qui ne fournissent pas à leurs embryons une alimentation abondante, comme le ramier, la tourterelle, le pigeon. C'est là ce qui explique comment il se fait que, si l'on crève les yeux à de jeunes hirondelles, leurs yeux repoussent. Si on les détruit quand l'animal grandit encore, et avant qu'il ne soit formé tout à fait, les yeux alors reprennent, et se développent comme au début. 5 En général, si les animaux produisent leurs petits par anticipation, avant qu'ils ne soient complètement formés, c'est par l'impossibilité ou ils sont de les sustenter; et leurs petits sont imparfaits, parce qu'ils viennent avant terme. C'est ce dont on peut se convaincre en observant les enfants qui naissent à sept mois. Précisément parce qu'ils sont incomplets, beaucoup d'entre eux naissent sans avoir certains canaux ouverts, par exemple, les conduits des oreilles et des narines ; mais à mesure que l'enfant se développe, les canaux s'ouvrent ; et, dans ces conditions, bon nombre de ces enfants peuvent vivre. 6 Dans l'espèce humaine, il y a plus de mâles contrefaits que de femelles ; dans les autres espèces, il n'y en a pas plus. Cela tient à ce que, dans l'espèce humaine, le mâle diffère beaucoup de la femelle par sa chaleur naturelle; les fœtus mâles s'agitent beaucoup plus que les fœtus femelles : et ce mouvement amène des accidents plus fréquents. La faiblesse du fœtus, quand il est tout jeune, fait qu'il périt aisément. 7 C'est encore la même cause qui fait que, dans le sein des femmes, les fœtus femelles ne se développent pas comme les mâles, tandis que, dans les autres animaux, ils se développent également, et que la femelle ne se forme pas plus lentement en eux que le mâle, comme il arrive chez les femmes. Dans les entrailles de la mère, il faut plus de temps à la femelle qu'au mâle pour se former distinctement; mais une fois que l'enfant est sorti, tout arrive chez les femelles plus tôt que chez les hommes, puberté, maturité vigoureuse, vieillesse. Les femelles sont naturellement plus faibles et plus froides; et l'on peut croire que c'est une sorte d'infériorité de nature que d'être du sexe féminin. 8 Tant que le fœtus est intra-utérin, il se forme plus lentement à cause de sa froideur ; car la formation successive est une sorte de coction; or, c'est la chaleur qui fait cuire ; et ce qui est plus chaud cuit plus aisément. Mais une fois dehors, la femelle arrive bien vite, à cause de sa faiblesse même, à atteindre toute sa floraison et la vieillesse ; car tout ce qui est plus petit parvient à son complément beaucoup plus tôt. Ceci se remarque dans les œuvres que l'art produit, aussi bien que dans les organismes que crée la Nature. 9 C'est là aussi ce qui explique que, dans l'espèce humaine, les jumeaux mâle et femelle vivent plus rarement, tandis que, dans les autres espèces, ils n'en viennent pas moins bien. Pour les uns, la simultanéité de naissance est contre nature, puisque leur formation ne s'accomplit pas dans la même période de temps, et qu'il y a nécessité que le mâle vienne plus tard, ou que la femelle vienne plus tôt; mais, dans les autres espèces, ce phénomène n'est pas contre nature. 10 D'ailleurs, entre l'homme et les autres animaux, il y a une différence bien marquée pour ce qui regarde la gestation. Pendant presque tout ce temps, le corps des animaux est en parfaite santé; au contraire, il arrive bien souvent que les femmes se portent mal durant leur grossesse. Cela peut bien tenir aussi, du moins en partie, à leur vie habituelle. Comme elles sont sédentaires, elles ont des sécrétions plus abondantes ; au contraire, chez les nations où la vie des femmes est laborieuse, leur grossesse est moins apparente, et elles accouchent plus aisément. Du reste, si ce fait se reproduit chez ces nations, il se reproduit aussi dans tous les pays pour les femmes qui travaillent et qui fatiguent. La fatigue dissout les sécrétions ; mais quand les femmes sont trop sédentaires, les sécrétions s'accumulent en elles, à cause même de leur inactivité. Les sécrétions s'amassent aussi aux époques où les menstrues, qui purgent les femmes, n'ont plus lieu parce qu'elles sont enceintes; chez elles alors, l'accouchement avec toutes ses douleurs est excessivement pénible. Mais la douleur exerce la respiration ; et selon qu'on peut la retenir, l'enfantement est, ou facile, ou douloureux. 11 Ce sont bien là, ainsi qu'on l'a dit, des circonstances qui concourent à former cette différence de douleur entre les autres animaux et les femmes, pour ce qui concerne cette fonction. Mais la circonstance principale, c'est que, dans les animaux, l'évacuation menstruelle, ou est très faible, ou même ne se montre pas du tout, tandis que la femme est de toutes les femelles celle qui a l'évacuation la plus abondante. Il en résulte que, quand l'expulsion n'a plus lieu par suite de la grossesse, les femmes éprouvent un grand trouble; lors même que la femme n'est pas enceinte, elle tombe malade, si les évacuations régulières viennent à cesser. Le plus ordinairement, les femmes sont troublées surtout dans les premiers temps de la conception. C'est que déjà le fœtus peut empêcher les évacuations purifiantes ; mais comme alors il est très petit, il n'absorbe pas encore une grande quantité de sécrétion, tandis que plus tard, quand il en prend davantage, il allège d'autant la mère qui le nourrit. 12 Dans les autres animaux, la sécrétion, étant peu de chose, est tout à fait en rapport avec le développement des embryons ; et les sécrétions qui empêchaient la nutrition régulière étant employées entièrement, le corps se porte beaucoup mieux. Les choses se passent de la même façon chez les animaux aquatiques et chez les oiseaux. Si, après que les fœtus sont déjà grands, le corps ne prend plus d'embonpoint, c'est la preuve que le fœtus a besoin pour sa croissance de plus de nourriture que ne lui en donne la sécrétion ordinaire. Il y a peu de femmes qui aient plus de santé lorsqu'elles sont enceintes; ce sont celles qui ont dans le corps assez peu d'excrétions pour que le tout soit employé exclusivement à nourrir l'embryon qu'elles portent. [4,7] CHAPITRE VII. 1 Maintenant disons quelques mots de ce qu'on appelle une môle, et qui se produit quelquefois chez les femmes ; il arrive même que cet accident a lieu chez des femmes qui sont enceintes, et qui accouchent de ce qu'on appelle une môle. On a observé le cas d'une femme qui, ayant eu commerce avec un homme et se croyant grosse, vit d'abord enfler le volume de son ventre, et qui eut tous les symptômes d'une gestation régulière; mais, à l'époque de l'accouchement, elle n'enfanta pas et le volume du corps ne diminua pas. Elle resta trois ou quatre ans en cet état; et à la suite d'une douleur d'entrailles, qui mit sa vie en danger, elle rendit, d'elle seule, un morceau de chair, qu'on désigne sous le nom de môle. 2 On a même observé que cette affection vieillit avec la personne qui en est atteinte, et qu'elle ne meurt qu'avec elle. Les matières qui sont expulsées et rendues de cette façon deviennent tellement dures qu'on a peine à les couper avec le fer. Nous avons expliqué la cause de cette maladie dans les Problèmes. C'est que l'embryon éprouve dans la matrice la même transformation que nos mets et nos aliments quand ils sont à moitié crus. Ce n'est pas un effet de la chaleur, comme on le dit parfois; c'est bien plutôt une insuffisance de chaleur. II semble que, dans ce cas, la Nature, réduite à l'impuissance, n'a pu achever son œuvre, ni compléter et parfaire la génération. De là vient que la môle vieillit avec la malade et qu'elle dure si longtemps; car, par sa nature, elle n'est pas entièrement achevée, et elle n'est pas non plus un corps absolument étranger. C'est le défaut de coction qui produit sa dureté, parce que la coction incomplète est une sorte de crudité. 3 Mais on peut se demander pourquoi la môle ne se montre jamais dans les animaux autres que l'homme, si toutefois le fait ne nous a pas échappé, faute d'observations. La cause qu'on peut supposer, c'est que la femme est plus sujette aux maladies de matrice que les autres femelles, et que l'abondance de ses évacuations purifiantes est telle qu'elle ne peut leur donner la coction nécessaire. C'est donc quand le germe s'alimente d'un liquide imparfaitement cuit, que se forme ce singulier produit qu'on appelle la môle; dès lors il est tout simple qu'il se forme surtout dans les femmes, ou même chez elles uniquement. [4,8] CHAPITRE VIII. 1 Le lait ne se produit que dans les femelles des animaux qui sont vivipares en eux-mêmes ; et le lait n'est utile qu'à l'époque de la parturition. Car la Nature ne l'a donné aux animaux qu'en vue de la nourriture qu'ils reçoivent de l'extérieur; elle s'arrange de façon que le lait ne manque jamais à ce moment, et qu'il ne soit pas non plus jamais en retard. La coïncidence est régulière, à moins de quelque accident contre nature. 2 Dans les autres animaux, comme il n'y a qu'un seul temps pour la gestation, la coction du lait se rencontre toujours avec ce temps-là ; mais comme chez l'homme, la durée de la gestation peut avoir plus ou moins de durée, il faut nécessairement qu'il y ait du lait dès le premier moment. Aussi, le lait ne peut pas être utile chez les femmes avant le septième mois; mais il est déjà bon et nourrissant dès cette époque. On comprend bien que le lait soit alors arrivé à une coction parfaite, parce qu'il est absolument nécessaire qu'il l'ait vers les derniers temps. 3 D'abord, l'élaboration de cette sécrétion est employée tout entière à développer le fœtus. La nourriture est toujours ce qu'il y a de plus doux et de mieux digéré ; et une fois que ces deux qualités disparaissent, il y a nécessité que le reste devienne salé, et de mauvais goût. Quand les embryons sont complètement développés, la sécrétion surabondante est de plus en plus grande ; alors, la partie employée à nourrir se réduit d'autant et devient plus douce, puisque la partie dont la coction est facile n'est plus retranchée. La dépense nécessaire pour former l'embryon ne continue plus, et le développement n'est presque plus rien, comme si l'embryon en était arrivé déjà à être achevé; car il y a un terme au progrès du fœtus. 4 Aussi, est-ce à cet instant qu'il sort du sein maternel ; il change de vie, parce qu'il a tout ce qu'il doit avoir par lui-même, et qu'il ne reçoit plus rien qui ne vienne de lui, au moment précis où le lait lui devient bon. Le lait remonte alors en haut et dans les mamelles, où il s'accumule, selon l'ordre primitif de l'organisme. La partie principale de l'animal est celle qui est au-dessus du diaphragme; la partie qui est au-dessous ne concerne que la nourriture et les sécrétions, afin que les animaux capables de marcher, portant en eux-mêmes une nourriture suffisante et une provision, puissent changer de lieu à leur gré. 5 C'est, en outre, dans cette partie inférieure que s'élabore la sécrétion spermatique, comme nous l'avons expliqué dans nos études préliminaires. Le résidu spermatique chez les mâles et les menstrues chez les femelles sont de la nature du sang. L'origine du sang et des veines, c'est le cœur, qui se trouve de même dans les parties supérieures du corps. C'est encore en elles que se manifeste tout d'abord le changement que produit cette sécrétion. La voix des mâles et des femelles mue du moment qu'ils commencent à avoir de la liqueur spermatique; car c'est de là que procède le principe de la voix, qui devient nécessairement autre quand son moteur devient autre avant elle. 6 A cette époque, la région des mamelles se gonfle; et ce gonflement est sensible chez les mâles, mais bien plus encore chez les femelles. Comme l'excrétion se porte abondamment en bas, le lieu des mamelles se vide chez elles et devient spongieux ; c'est également ce qui se passe dans les femelles dont les mamelles sont placées en bas. Ce changement de la voix et de la région mamellaire se remarque dans tous les autres animaux, et les connaisseurs dans chaque espèce ne s'y trompent pas. Mais c'est surtout chez l'homme qu'on est frappé de ce changement évident. 7 Cela tient à ce que, dans l'espèce humaine, les individus femelles ont plus de sécrétions que les femelles de toutes les autres espèces, et que les mâles en ont plus que tous les autres mâles, proportionnellement à leur grandeur. Chez les femmes, cette sécrétion est le flux menstruel; chez les hommes, c'est le sperme. Lors donc que l'embryon ne reçoit plus cette sécrétion, et qu'il l'empêche néanmoins de sortir au dehors, il y a nécessité que ce résidu tout entier s accumule dans les lieux qui sont vides, et qui se trouvent placés sur les mêmes canaux. 8 La région des mamelles est précisément dans ce cas pour les espèces diverses d'animaux. Il y a deux causes à ceci : c'est que ce lieu est ainsi disposé, parce que le mieux possible c'est qu'il en soit ainsi ; et secondement, il y a là une nécessité ; car c'est en ce point d'abord que la nourriture destinée aux animaux se concentre, et qu'elle reçoit toute sa coction. On peut expliquer la coction par la cause qu'on vient d'indiquer; mais on peut l'expliquer aussi par une cause contraire. Il est tout simple que l'embryon, en devenant plus grand, prenne plus de nourriture, de telle sorte qu'à ce moment il en reste moins; et la coction est d'autant plus rapide que la matière est en moindre quantité. 9 Que le lait soit de la même nature que l'excrétion d'où il vient, c'est ce qui est de toute évidence; et nous l'avons déjà dit; car c'est d'une seule et même matière que l'embryon est nourri, et que la Nature produit la génération. Dans les animaux qui ont du sang, cette matière est le liquide sanguin. Le lait est donc du sang qui a reçu toute sa coction, et non pas du sang corrompu. Aussi, Empédocle a-t-il émis une idée qui n'est pas juste, ou tout au moins a-t-il fait, dans ses vers, une métaphore assez fausse, quand il dit que « Le lait devient du pus de couleur blanche, au dixième jour du huitième mois ». La putréfaction et la coction sont choses toutes contraires ; le pus est une putréfaction, tandis que le lait est une matière dont la coction est parfaite. 10 Pendant que les femmes allaitent les enfants, elles n'ont pas d'évacuations purifiantes, du moins selon l'ordre de la Nature. Elles ne conçoivent pas non plus durant l'allaitement. Quand, par hasard, elles conçoivent à cette époque, le lait s'arrête sur-le-champ, parce que la nature du lait et celle des menstrues est au fond la même. La Nature ne peut pas faire les choses avec une telle abondance qu'elle suffise à deux fonctions à la fois; et si la sécrétion se porte d'un côté, il faut nécessairement qu'elle manque de l'autre, à moins qu'il ne se produise quelque violence contre le cours ordinaire des choses. 11 C'est alors un accident contre nature; car pour les choses qui ne sont pas dans l'impossibilité d'être autrement qu'elles ne sont, et qui peuvent en effet être autrement, ce qui est contre le cours ordinaire des choses est contre nature. La naissance des animaux a des temps parfaitement déterminés. Lorsque, par le développement qu'a pris le fœtus, la nourriture qui lui arrive par le cordon ombilical ne lui suffit plus, le lait est destiné à fournir la nourriture nouvelle; mais la nourriture n'arrivant plus au fœtus par l'ombilic, les veines, dont ce qu'on appelle le cordon ombilical est le revêtement, viennent à s'atrophier ; et c'est à ce moment que le fœtus sort du sein de la mère. 12 Chez tous les animaux, la sortie naturelle du fœtus est par la tête, parce que les parties du corps qui sont au-dessus du cordon sont plus fortes que celles qui sont au-dessous ; et, alors, de même que cela se voit dans une balance, le fléau penche du côté où est le poids; car les parties qui sont plus grandes ont aussi plus de poids que les autres. [4,9] CHAPITRE IX. 1 Pour chaque espèce d'animal, la durée régulière de la gestation est le plus ordinairement en rapport avec la durée de la vie. Il est tout simple que, dans les animaux qui vivent plus de temps, les développements soient aussi plus longs à se faire. Mais ce n'est pas là précisément la cause de la durée de la gestation; c'est seulement le fait dans la plupart des cas. Les plus grands et les plus parfaits des animaux, qui ont du sang, vivent longtemps, sans que cependant ce soit une règle générale que la vie des plus grands soit la plus longue. 2 Si l'on en excepte l'éléphant, l'homme est de tous les êtres celui qui a la plus longue vie, du moins de tous ceux que nous avons pu observer sérieusement. Cependant, l'espèce humaine est plus petite que les animaux à queue, et plus petite que bien d'autres espèces encore. Ce qui fait qu'un animal quelconque peut avoir une longue existence, c'est que sa constitution réponde à l'air ambiant où il vit. Ce sont en outre certaines circonstances naturelles, dont nous nous réservons de parler plus tard. 3 Ce qui détermine les durées diverses de la gestation, c'est la grosseur des produits qui doivent naître. Il n'est pas possible que, dans un temps très court, les grandes organisations puissent prendre tout leur développement; c'est là une impossibilité pour les êtres animés aussi bien que pour toute autre chose. Voilà comment les chevaux et les espèces congénères, tout en vivant moins longtemps, ont cependant une gestation plus longue. Pour les uns, la gestation dure un an entier; pour les autres, elle est de dix mois au moins. 4 C'est par une cause toute semblable que, pour l'éléphant, la gestation ne dure pas moins de deux ans; ce qui est une bien longue durée ; mais c'est sa grosseur prodigieuse qui l'exige. 5 On a eu bien raison d'essayer de mesurer par des périodes naturelles les temps de toutes choses, et les temps de la gestation, des naissances, et des existences. J'entends par les périodes naturelles le jour et la nuit, le mois, l'année, et les intervalles de temps auxquels on applique ces mesures. Mais par là, j'entends également les périodes de la lune. Les périodes lunaires sont les pleines lunes, les lunes nouvelles, et les quartiers intermédiaires. Car ce sont là les périodes par lesquelles la lune est en relations avec le soleil, puisque le mois est une période commune à l'un et à l'autre. 6 La lune n'est un principe de grande influence qu'à cause de ce qu'elle a de commun avec le soleil, de qui elle emprunte sa lumière ; elle est en quelque sorte un soleil plus petit. C'est en ce sens qu'elle agit aussi sur la production et le développement de tous les êtres. Car ce sont les variations de la chaleur et du froid qui, jusqu'à un certain point d'équilibre, déterminent les naissances et ensuite les morts; et ce sont les mouvements de ces deux astres qui marquent les limites du commencement et de la fin. 7 De même qu'on voit la mer, et toute la masse des eaux qui sont dans la Nature, tranquilles ou agitées selon que les vents soufflent ou sont en repos, et de même que l'air et les vents sont soumis à la période où se trouvent le soleil et la lune, de même les produits qui en viennent doivent nécessairement aussi ressentir ce qui se passe dans ces astres. On comprend de reste que les périodes des choses inférieures soient la conséquence des périodes que les choses supérieures peuvent subir; et le vent a bien aussi une sorte de vie, puisqu'il naît et qu'il s'éteint. 8 Il est possible, d'ailleurs, qu'il y ait encore d'autres principes qui causent la révolution circulaire de ces astres. La Nature tend toujours à régler, par les nombres qui les régissent, les nombres des générations et des extinctions; mais elle ne le fait pas toujours aussi exactement quelle le voudrait, à cause de l'indétermination de la matière, et, en outre, à cause de la multiplicité des principes qui, en empêchant les générations et les destructions naturelles, sont trop souvent causes des accidents contre nature. 9 Voilà tout ce que nous avions à dire sur la nutrition intra-utérine des animaux, et sur leur naissance au dehors; et nous avons également traité séparément de ce qu'ils ont chacun de particulier et de ce qu'ils ont tous de commun entre eux.