[1,0] TRAITE DE LA GÉNÉRATION DES ANIMAUX - LIVRE I. [1,1] CHAPITRE PREMIER. 1 (715b) Jusqu'à présent, nous nous sommes occupé de toutes les parties dont les animaux se composent, en les considérant, soit dans ce qu'elles ont de commun, soit à part, dans ce qu'elles ont de spécial pour chaque genre d'animaux. Nous avons également expliqué la disposition que présente chacune de ces parties, par rapport à la cause qui leur est propre, je veux dire, le but en vue duquel elles sont faites. 2 On sait que, sous les choses, il y a quatre causes diverses : d'abord le but, qui est la fin même de l'être; ensuite, la notion essentielle qui convient à cet être, deux premières causes qui doivent être regardées comme n'en formant guère qu'une seule; et en dernier lieu, la troisième cause et la quatrième, qui sont, l'une la matière de l'être, et l'autre, le principe qui lui imprime le mouvement. 3 Déjà, l'on a fait connaître les trois premières causes, puisque la notion de l'être et le but de l'être se confondent en tant que fin, et que la matière est dans les animaux l'ensemble de leurs parties, non similaires, quand on parle de l'animal tout entier, et dans ces parties non similaires, les parties similaires, formées elles-mêmes de ce qu'on appelle les éléments des corps, 4 Ainsi, il ne nous reste plus à étudier que ces parties des animaux qui concernent leur génération, dont nous n'avons rien dit jusqu'à cette heure; et à exposer précisément la cause qui leur communique le mouvement dont ils sont animés. Etudier cette cause et étudier la génération des animaux, c'est au fond une seule et même question, du moins à quelques égards. La raison en effet nous conduit à réunir ces théories, parce que c'est bien là tout à la fois l'étude dernière qui achève celle des parties, et parce que c'est aussi le début régulier que la raison assigne à ce qu'on va dire de la génération, après tout ce qui précède. 5 II y a des animaux qui naissent de l'accouplement de la femelle et du mâle. C'est bien ce qui se passe dans toutes les espèces où il y a femelle et mâle; mais cette distinction n'existe pas pour toutes les espèces d'animaux sans exception. Ainsi, dans les animaux qui ont du sang, sauf quelques espèces, le mâle et la femelle sont toujours complètement distincts; mais parmi les animaux qui n'ont pas de sang, tantôt il y a femelle et mâle, produisant des individus qui leur ressemblent ; tantôt, si ces animaux produisent encore, ce ne sont plus des êtres de leur même genre qu'ils produisent. Alors, ces derniers êtres ne naissent plus d'animaux accouplés; mais ils naissent de la terre, qui se putréfie, et de diverses excrétions. 6 A parler d'une manière générale, on peut dire que tous les animaux qui peuvent changer de place, en nageant, en volant, ou en marchant, présentent la séparation du mâle et de la femelle. Cette distinction s'étend non pas seulement aux animaux qui, parmi ceux-là, ont du sang, mais aussi (716a) à quelques-uns de ceux qui n'en ont pas. Dans ces derniers animaux, c'est tantôt le genre entier qui offre cette différence, comme dans les mollusques et les crustacés; tantôt c'est seulement la plupart des espèces, comme dans le genre des insectes. 7 En effet, tous les insectes qui viennent d'un accouplement d'êtres congénères produisent également des êtres semblables à eux ; mais ceux qui ne naissent pas d'animaux accouplés, et qui naissent de la terre putréfiée, engendrent une espèce différente de la leur; l'être qu'ils produisent n'est ni femelle ni mâle; témoin l'organisation de quelques espèces d'insectes. 8 La raison comprend parfaitement qu'il en soit ainsi; car, si les êtres qui ne viennent pas d'autres êtres animés pouvaient à leur tour donner naissance à des animaux en s'accouplant; et si alors ces êtres nouveaux étaient semblables aux parents, il faudrait que ceux qui les auraient produits eussent eu aussi la même origine. A nos yeux, cette conséquence est tout à fait rationnelle, puisque c'est ce qui arrive chez tous les autres animaux. Ou bien, si ces nouveaux êtres étaient dissemblables, tout en pouvant s'accoupler, le produit qui naîtrait d'eux serait également d'une nature autre que la leur; puis, de ces seconds êtres naîtrait aussi une autre espèce d'êtres qui serait encore différente ; et ceci pourrait aller à l'infini. Or la Nature évite l'infini et l'indéterminé; car l'infini n'a pas de terme; et c'est un terme défini que la Nature recherche avant tout. 9 Quant aux animaux qui ne se déplacent pas, comme les testacés, et quant à ceux qui vivent dans le lieu où ils sont attachés, ils ont une essence qui les rapproche beaucoup des plantes, et ils n'ont pas plus qu'elles le sexe femelle et le sexe mâle. Si, pour ces êtres, l'on emploie quelquefois ces expressions, c'est par simple ressemblance et par analogie, parce qu'en effet il n'y a sous ce rapport presque pas de différence entre les plantes et ces sortes d'animaux. 10 Ainsi, dans les plantes, tantôt il y a des arbres du même genre qui portent des fruits, et tantôt ces mêmes arbres n'en portent pas, mais servent seulement à faire mûrir les fruits de ceux qui en portent ; c'est ce qu'on voit pour la figue comestible et pour la figue sauvage. Comme les animaux encore, il y a des plantes qui naissent de semence; d'autres poussent comme si la nature les produisait spontanément. Elles proviennent de la terre putréfiée ou de quelques matières végétales qui pourrissent; car il y a certaines plantes qui ne peuvent passe former séparément par elles seules, et qui ont besoin de croître sur d'autres végétaux, comme le gui. [1,2] CHAPITRE II. 1 (716b) On aura a étudier les plantes en elles-mêmes et sans y mêler aucun autre objet. Mais maintenant, c'est de la génération des animaux qu'il faut traiter, dans la mesure qui convient à chacun d'eux, en rattachant cette étude à celles qui précèdent. 2 Ainsi que nous l'avons déjà dit, on a toute raison de considérer comme principes et causes de la génération la femelle et le mâle ; le mâle, comme ayant le principe moteur et générateur; la femelle, comme ayant le principe de la matière. C'est ce dont on peut surtout se convaincre en observant comment se forme le sperme, et d'où il vient. C'est le sperme qui constitue tout ce qui naît dans la nature ; et il importe de bien connaître comment il vient de la femelle et du mâle ; car, c'est parce que cette sécrétion provient de la femelle et du mâle, et qu'elle s'accomplit en eux et en sort, que la femelle et le mâle sont les principes et les causes de la génération. 3 Nous entendons par mâle l'être qui engendre dans un autre être, et par femelle. celui qui engendre en lui-même. Voilà comment, lorsqu'on parle de l'ensemble du monde, on prend parfois la nature de la terre pour la femelle et la mère, et comment on regarde comme générateurs et pères le Ciel, et le Soleil, ou tel autre corps de même ordre. 4 Le mâle et la femelle diffèrent entre eux aux yeux de la raison, parce qu'ils remplissent l'un et l'autre une fonction diverse, et ils diffèrent, sous le rapport de l'observation sensible, par certaines parties qui sont diverses chez tous deux. Rationnellement, le mâle est l'être qui peut engendrer dans un autre être, ainsi qu'on vient de le dire; la femelle est l'être qui peut engendrer en lui-même, et de qui sort l'être engendré, qui est déjà dans le générateur. 5 Mais, comme tout se détermine par une certaine puissance et par un certain acte; et comme pour tout acte il est besoin d'instruments, et que les instruments des facultés diverses sont des organes du corps, il s'ensuit nécessairement qu'il y a pour l'enfantement et pour l'accouplement des parties spéciales. Ces parties diffèrent entre elles, et ce sont elles qui constituent précisément la différence du mâle et de la femelle. On dit bien, en parlant de l'animal entier, que l'un est femelle, et que l'autre est mâle; cependant ce n'est pas tout l'animal qui est femelle, ou qui est mâle ; mais il est l'un des deux par une certaine faculté et dans une certaine partie, comme on dit de lui qu'il a des organes pour voir et pour marcher. C'est ce que nous atteste le simple témoignage de nos sens. 6 Ces parties sont dans la femelle ce qu'on nomme les matrices; et dans le mâle, chez tous les animaux qui ont du sang, ce sont les testicules et la verge. Dans ces animaux, en effet, on trouve, tantôt des testicules, et tantôt des canaux qui y répondent. On retrouve même encore ces différences de la femelle (717a) et du mâle dans les animaux qui n'ont pas de sang, et qui présentent cette opposition de sexes. Dans les animaux qui ont du sang, les parties qui doivent concourir à l'union sont toujours de formes différentes. 7 Du reste, il faut bien se dire qu'il suffit du plus petit changement dans le principe pour que d'ordinaire une foule de conséquences considérables suivent ce changement initial. On peut s'en convaincre par les effets de la castration, il suffit que l'organe générateur soit légèrement altéré pour que la forme presque tout entière de l'animal vienne, par suite, a changer, à tel point que le mâle paraisse être une femelle ou peu s'en faut. Ceci prouve bien que ce n'est pas au hasard, par une partie quelconque de son corps ou par une de ses facultés quelconques, que l'animal est femelle ou qu'il est mâle. Ainsi donc, bien évidemment la femelle et le mâle sont un principe très spécial ; et, quand l'être est ou femelle ou mâle, beaucoup d'autres changements se produisent à la suite de celui-là, parce que le principe est complètement changé. [1,3] CHAPITRE III. 1 Chez les animaux qui ont du sang, l'organisation des testicules n'est pas toujours pareille, non plus que celle des matrices. Examinons d'abord ce qui concerne les testicules des mâles. Parmi les animaux qui ont du sang, il y en a qui n'ont pas du tout de testicules ; par exemple, l'espèce entière des poissons et celle des serpents, qui n'ont que deux canaux spermatiques. D'autres de ces animaux ont des testicules ; mais c'est à l'intérieur dans le bas ventre, vers la région des reins; et alors de l'un et l'autre testicule sort un conduit, comme dans ceux qui n'ont pas de testicules. Ces conduits se réunissent en un seul, comme chez ces derniers. Tels sont tous les oiseaux; et parmi les quadrupèdes ovipares, ceux qui reçoivent l'air et qui ont un poumon. Tous ces animaux ont des testicules à l'intérieur, près du bas ventre, et ils ont les deux conduits qui en partent, comme les ont les serpents ; tels sont les lézards, les tortues, et tous les animaux à écailles. 2 Au contraire, les vivipares ont tous des testicules sur le devant du corps; quelques-uns les ont au bas du ventre, comme le dauphin, et ils n'ont pas les canaux ; mais ils ont un membre qui peut aller des testicules au dehors, comme on le voit chez les bœufs; d'autres l'ont tout à fait dehors, tantôt indépendant comme chez l'homme, et tantôt attaché au siège comme chez les cochons. Nous en avons parlé avec plus de détails dans l'Histoire des Animaux. 3 Toutes les matrices sont divisées en deux, de même que, chez les mâles, il y a toujours deux testicules. Tantôt elles sont entre les cuisses comme chez les femmes; et dans tous les vivipares, elles sont non seulement au dehors, mais dans l'intérieur, comme elles y sont aussi chez ceux (717b) des poissons qui pondent des œufs extérieurement. D'autres animaux ont les matrices sous le diaphragme, comme tous les oiseaux et les poissons vivipares. Ies crustacés et les mollusques ont également la matrice partagée en deux; car ce qu'on appelle leurs œufs est entouré de membranes venues de la matrice. Dans les polypes, les choses sont assez indistinctes pour qu'on puisse croire qu'ils n'ont qu'une matrice unique. Cela vient de ce que la masse de leur corps est tout à fait uniforme. Dans les insectes aussi, les matrices sont en deux parties chez ceux qui sont un peu gros; dans les plus petits, on ne peut pas les distinguer, à cause de la petitesse de leur volume. [1,4] CHAPITRE IV. 1 On voit donc quelle est, chez les animaux, l'organisation des parties dont on vient de parler. Quant aux différences que présentent dans les mâles les organes spermatiques, il faut, pour s'en bien rendre compte, se demander tout d'abord pour quelle destination les testicules ont été faits. Si la nature n'agit jamais que par nécessité, ou en vue du mieux possible, il faut que cet organe provienne aussi de l'une de ces deux causes. Or il est de toute évidence que cette partie du corps n'est pas absolument nécessaire pour la génération, puisque autrement on la retrouverait dans tous les animaux qui engendrent, et que, dans l'état actuel des choses, ni les serpents ni les poissons n'ont de testicules. On peut s'assurer en effet qu'ils s'accouplent, et qu'ils n'ont que des canaux pleins de liqueur séminale. 2 Reste donc que les testicules soient faits en vue du mieux. Or la plupart des animaux n'ont d'autre fonction que de produire, ainsi que les plantes produisent la semence et le fruit. De même que, pour la nutrition, les animaux à intestins tout droits sont plus avides de nourriture, de même ceux qui n'ont pas de testicules et qui ont seulement des canaux, et ceux qui, tout en ayant des testicules, les ont à l'intérieur, ceux-là sont bien plus rapides que les autres dans l'acte de l'accouplement. Mais les espèces qui doivent être plus modérées, comme le sont aussi en fait d'aliments les espèces qui n'ont pas des intestins tout droits, ont des canaux qui sont pleins de circonvolutions, afin que le désir du sexe ne soit pas trop violent, ni l'acte trop rapide. 3 C'est dans cette vue que les testicules ont été organisés comme ils le sont. Ils rendent plus calme le mouvement de la sécrétion spermatique, en assurant sa circulation redoublée dans les vivipares, tels que les chevaux et les animaux de cet ordre, et tels que les hommes. Ce qu'est cette double circulation, on pourra le voir dans l'Histoire des Animaux. Les testicules ne font pas partie des canaux ; mais ils y sont rattachés, comme les pierres que les fileuses assujettissent à leurs métiers. Quand on enlève (718a) les testicules, les canaux remontent à l'intérieur, de telle façon que les bêtes châtrées ne peuvent plus produire. Si les canaux ne remontaient pas, la bête pourrait encore être féconde ; et, une fois, l'on a vu un taureau qui venait d'être coupé féconder une vache, qu'il avait immédiatement couverte, parce que les canaux n'avaient pas encore eu le temps de se retirer. 4 Chez les oiseaux et les quadrupèdes ovipares, les testicules conservent l'excrétion spermatique, de telle sorte que la sortie en est moins prompte que chez les poissons. C'est ce qu'on peut voir très bien dans les oiseaux. Vers l'époque de l'accouplement, les testicules sont beaucoup plus gros, quand ce sont des espèces qui ne s'accouplent que dans une seule saison de l'année. Quand ce temps est passé, leurs testicules sont si petits qu'on a quelque peine à les discerner, tandis que, dans l'accouplement, ils sont énormes. Ceux qui ont les testicules à l'intérieur ont la copulation beaucoup plus rapide; mais ceux qui les ont a l'extérieur ne peuvent pas émettre la liqueur séminale avant que les testicules ne se soient soulevés. [1,5] CHAPITRE V. 1 Ajoutons encore que, si les quadrupèdes ont l'organe propre à la copulation, c'est qu'ils sont conformés pour l'avoir, tandis que les oiseaux et les animaux privés de pieds ne sont pas conformés pour l'avoir aussi, puisque les uns ont leurs deux jambes placées sous le milieu du ventre, et que les autres n'en ont pas du tout; or c'est de ce point qu'est suspendu le membre honteux, dont la place naturelle est là. Aussi, dans l'accouplement, les jambes se tendent-elles, parce que l'organe est nerveux, et que la nature des jambes est nerveuse également. Comme ces animaux ne peuvent avoir cet organe, c'est une conséquence nécessaire, ou qu'ils n'aient pas de testicules, ou du moins qu'ils ne les aient pas en cet endroit. 2 Du reste, les animaux qui ont des testicules les ont placés tous les deux de la même façon; et dans ceux qui ont les testicules extérieurs, c'est la chaleur que le mouvement communique à la verge qui fait sortir le sperme accumulé; mais il n'est pas prêt à sortir sur-le-champ au moindre attouchement, comme cela arrive chez les poissons. 3 Tous les vivipares ont les testicules sur le devant du corps ou extérieurs, excepté le hérisson. Il est le seul à les avoir sur le scrotum par le même motif que les oiseaux; car il y a nécessité que leur accouplement soit très rapide, puisqu'ils ne peuvent pas, comme les autres quadrupèdes, monter sur le dos de la femelle; mais ils s'accouplent debout, à cause de leurs piquants. 4 On voit donc maintenant pourquoi les animaux qui ont des testicules ont ces organes, et pourquoi les testicules sont tantôt extérieurs et tantôt intérieurs. [1,6] CHAPITRE VI. 1 Ceux des animaux qui, comme on vient de le dire, n'ont pas de testicules, en sont dépourvus non pas parce que c'est bien qu'ils en soient privés, mais seulement parce qu'il y a nécessité qu'ils n'en aient pas, et parce que leur accouplement doit nécessairement être très rapide. Telle est l'organisation que la Nature a donnée aux poissons et aux serpents. 2 Les (718b) poissons accomplissent la copulation en se frôlant les uns les autres; et ils se séparent presque à l'instant. De même que l'homme et tous les animaux de ce genre, les poissons sont forcés, au moment où ils lancent la liqueur séminale, de retenir leur souffle; mais les poissons ne peuvent retenir leur souffle qu'en cessant de recevoir le liquide; et dès qu'ils ne le reçoivent plus, ils risquent fort de périr. Ils ne peuvent donc pas compléter et cuire le sperme pendant l'accouplement, ainsi que le font les animaux qui marchent et qui sont vivipares; mais comme dans la saison régulière, le sperme est en eux accumulé et tout cuit, ils n'ont pas besoin de le cuire en se touchant mutuellement, et ils le lancent tout cuit. 3 C'est là ce qui fait que les poissons n'ont pas de testicules, et qu'ils n'ont que des canaux tout droits et tout simples; ce qui ne représente qu'une petite partie des testicules chez les quadrupèdes. C'est qu'en effet dans le canal redoublé des quadrupèdes, il y a une partie qui a du sang, et une autre partie qui n'en a pas, laquelle reçoit le sperme, et par où il passe quand il est déjà tout fait, de telle sorte qu'une fois le sperme arrivé a ce point, la séparation est rapide aussi chez ces animaux. Mais, dans les poissons, le canal tout entier, tel que nous venons de le dire, est semblable à ce qu'il est dans la seconde partie du redoublement des conduits chez l'homme et chez les animaux qui sont organisés de la même manière que lui. 4 Les serpents s'accouplent en se roulant l'un autour de l'autre; ils n'ont ni testicules ni verge, ainsi qu'on l'a déjà dit antérieurement. Ils n'ont pas de verge, parce qu'ils n'ont pas de jambes; ils n'ont pas de testicules, à cause de leur longueur; ils n'ont simplement que des canaux dans le genre de ceux des poissons. Comme ils sont de leur nature extrêmement longs, s'il y avait en outre un arrêt dans les testicules, la semence se refroidirait à cause de la lenteur du trajet. 5 C'est là du reste ce qui arrive aussi chez les animaux qui ont une longue verge. Ils sont moins féconds que ceux dont la verge est plus courte, parce que le sperme refroidi ne féconde plus, et qu'il se refroidit en se portant trop loin. On voit donc bien maintenant pourquoi tels animaux ont des testicules, tandis que d'autres n'en ont pas. 6 C'est à cause de l'impossibilité de monter l'un sur l'autre que les serpents s'entrelacent mâle et femelle. Ne pouvant s'unir que par une très petite partie de leur corps, ils sont trop longs pour que leurs mouvements puissent aisément concorder; et comme ils n'ont pas de parties pour se saisir mutuellement, ils y suppléent par la froideur humide de leur corps, en s'entrelaçant l'un l'autre. Il semble d'ailleurs qu'ils se séparent plus lentement que les poissons, non seulement à cause de la longueur de leurs canaux, mais encore par la disposition générale de leur accouplement même. [1,7] CHAPITRE VII. 1 Il est assez difficile de savoir ce que sont précisément les matrices chez les femelles; car elles présentent une foule de différences. Elles ne sont pas organisées de la même manière chez tous les vivipares; ainsi, l'homme et tous les animaux qui marchent sur le sol ont la matrice en bas sous les membres; mais les sélaciens, qui sont vivipares aussi, ont la matrice en haut, près du diaphragme. Elles ne sont pas non plus organisées de la même façon chez tous les ovipares. Ainsi, les poissons ont la matrice en bas, comme chez l'homme et chez les quadrupèdes vivipares ; mais les oiseaux et tous les quadrupèdes ovipares l'ont en haut. 2 Ces dispositions contraires n'en ont pas moins leur raison d'être. D'abord, les ovipares font leurs œufs de manières très différentes. Par exemple, les poissons ne font que des œufs imparfaits, qui se complètent au dehors et y prennent tout leur développement. Cela tient à ce que les poissons sont très prolifiques, et que cette fonction s'accomplit en eux comme chez les plantes. Si les poissons formaient complètement les œufs en eux-mêmes, leurs œufs seraient nécessairement en petit nombre. Mais dans leur organisation actuelle, ils en ont tant que chacune des deux parties de la matrice ne semblent former qu'un œuf unique, du moins dans les tout petits poissons. Ces petits animaux sont les plus féconds de tous, comme le sont aussi tous ceux qui ont une nature analogue à la leur, plantes ou animaux. Chez eux, l'accroissement en grandeur se tourne en sperme. 3 Les oiseaux et les quadrupèdes ovipares font des œufs complets, qui doivent être durs, afin de pouvoir subsister sans danger; mais la coquille en est molle, jusqu'à ce qu'ils aient pris tout leur développement. La coquille se forme par l'action de la chaleur, qui dessèche l'humidité de la partie terreuse. Il faut nécessairement que le lieu où se passe cette élaboration soit chaud ; c'est le lieu placé vers le diaphragme ; et ce lieu cuit la nourriture. 4 Si les œufs doivent être nécessairement dans la matrice, il y a nécessité aussi que la matrice soit près du diaphragme, dans les animaux qui font des œufs complets; et qu'elle soit en bas, pour ceux qui en font d'incomplets. De cette façon, tout se passe comme il faut; et naturellement, la matrice est placée en bas plutôt qu'en haut, quand quelque autre fonction imposée par la nature ne s'y oppose pas. C'est aussi en bas que se trouve la fin de la matrice, et là où est la fin, là aussi est l'acte : et c'est la matrice qui accomplit l'acte. 5 Les vivipares n'ont pas moins de différences entre eux. Ainsi, les uns n'enfantent pas seulement au dehors des êtres vivants ; mais ils les enfantent aussi en eux-mêmes, comme les hommes, les chevaux, les chiens et tous les animaux qui ont des poils, et, en outre, parmi les animaux aquatiques, les dauphins, les baleines et autres cétacés. 6 Les sélaciens et les vipères sont bien vivipares au dehors; mais d'abord ils sont ovipares en eux-mêmes. L'œuf qu'ils font est complet ; car c'est à cette condition que l'animal peut sortir de l'œuf, tandis qu'aucun d'eux ne vient d'un œuf incomplet. S'ils ne produisent pas d'œuf au dehors, c'est qu'ils sont naturellement froids, et non pas chauds, comme on le prétend quelquefois. Les œufs qu'ils produisent sont mous, parce que ces animaux ayant peu de chaleur, leur nature ne peut dessécher l'œuf jusqu'au bout. Si donc c'est parce qu'ils sont froids qu'ils font des œufs mous, (719b) c'est aussi parce que ces œufs sont mous qu'ils ne les font pas dehors; car, dans ce cas, les œufs seraient détruits. 7 Lorsqu'un animal vient d'un œuf, sa naissance a lieu le plus ordinairement comme celle des oiseaux. L'œuf descend en bas, et il devient animal dans les membres inférieurs, comme chez les vivipares qui produisent immédiatement leur fruit. Aussi, les animaux de ce genre ont-ils la matrice dissemblable, et à celle des vivipares et à celle des ovipares, parce qu'ils participent des deux organisations. Ainsi, tous les sélaciens ont la matrice sous le diaphragme, et elle s'étend en bas. 8 Du reste, si l'on veut se rendre compte de la disposition de cette matrice et de toutes les autres, il faut consulter les Descriptions anatomiques et l'Histoire des Animaux; et l'on verra que comme ils font des œufs complets, ils les ont en haut, et qu'ils les ont en bas, parce qu'ils sont vivipares et qu'ils participent ainsi des deux organisations. Tous les animaux qui font immédiatement des petits vivants ont la matrice en bas, parce qu'aucune fonction de la nature n'empêche cette position, et que ces animaux ne font pas leurs petits en deux fois. 9 Il serait, en outre, bien impossible que des animaux se produisissent sous les diaphragmes ; car les embryons ont nécessairement du poids et du mouvement; et ce lieu qui est si important pour la vie ne saurait les porter. Il y aurait, en outre, nécessairement des difficultés d'enfantement, à cause de la longueur du trajet, puisque, si les femmes, pendant leur grossesse et près de l'accouchement, élèvent trop ces parties, en ouvrant les jambes ou en faisant tel autre mouvement trop fort, elles provoquent l'avortement. 10 Même quand les matrices sont vides, elles causent des étouffements si elles remontent en haut; car celles qui doivent contenir un animal doivent nécessairement être plus fortes. Aussi toutes celles-là sont-elles charnues, tandis que celles qui sont sous le diaphragme sont membraneuses. C'est ce qu'on peut voir très bien sur les animaux qui font leurs petits en deux fois; ceux-là ont leurs œufs en haut et de côté, tandis que les animaux sont dans la partie inférieure de la matrice. [1,8] CHAPITRE VIII. 1 Nous venons de dire à quelle cause tient la différence des matrices dans quelques-uns des animaux, et comment il se fait que, chez les uns, la matrice soit en bas, et que, chez les autres, elle soit en haut, sous le diaphragme. Ce qui fait que, dans tous les animaux, les matrices sont à l'intérieur, tandis que les testicules sont tantôt dehors et tantôt dedans, est tout aussi clair. Si les matrices sont toujours intérieures, c'est que l'être qui doit naître se trouve en elles, et qu'il a besoin d'être protégé et d'y avoir la chaleur qui le cuit, tandis que l'extérieur du corps est exposé à bien des dangers, et est froid. Quant aux testicules, s'ils sont tantôt dehors et tantôt dedans, (720a) c'est qu'eux aussi ils ont besoin d'être garantis et cachés, à la fois pour se conserver et pour cuire le sperme. 2 En effet, s'ils étaient froids et congelés, ils ne pourraient se relever et émettre la semence, aussi, toutes les fois que les testicules sont extérieurs, ils ont une peau qui les recouvre et qu'on appelle le scrotum. Quand la nature de la peau s'oppose à ce qu'elle puisse faire enveloppe, et toutes les fois qu'elle n'est pas souple et qu'elle est comme du cuir, ainsi qu'elle l'est chez tous les animaux qui ont la peau analogue à des écailles de poisson ou de tortue, il faut de toute nécessité que les testicules soient à l'intérieur. 3 C'est pour cela que les dauphins, et les cétacés, qui ont des testicules, les ont en dedans, ainsi que les ovipares quadrupèdes à écailles. Chez les oiseaux, la peau est dure, et elle ne saurait envelopper les testicules dans toute leur grosseur; c'est pour cela que leurs testicules sont à l'intérieur, sans parler des nécessités qu'entraîne l'accouplement, ainsi que nous venons de l'exposer un peu plus haut. C'est encore pour la même raison que l'éléphant et le hérisson ont les testicules en dedans; car, chez ces deux espèces d'animaux, la peau ne serait pas du tout propre à former une enveloppe réellement protectrice, pour l'organe qui serait isolé. 4 Les matrices ont une position toute contraire dans les vivipares qui font leurs petits en eux-mêmes, et dans les ovipares qui pondent leurs œufs au dehors. Même parmi ces derniers, la disposition n'est pas la même, selon que la matrice est en bas, ou selon qu'elle est en haut sous le diaphragme; par exemple, chez les poissons, comparativement soit aux oiseaux soit aux quadrupèdes ovipares, et comparativement aussi aux animaux qui font leurs portées sous les deux formes, produisant des œufs en eux-mêmes et des petits vivants au dehors. 5 Les animaux qui sont vivipares en eux-mêmes et en dehors, ont les matrices au bas du ventre : tels sont l'homme, le bœuf, le chien et tous les animaux de cet ordre, parce que, pour la conservation et la croissance de l'embryon, il faut qu'aucun poids ne presse la matrice. Il existe, en outre, dans tous ces animaux, un conduit spécial pour la sortie de l'excrément sec, et un autre conduit pour l'excrément liquide. Aussi, tous ces animaux, les mâles et les femelles, ont-ils des parties sexuelles ou se sécrète l'excrément liquide, le sperme chez les mâles et les menstrues chez les femelles. Ce conduit est dans la partie antérieure du corps, et plus élevé que celui qui donne issue à l'excrément de la nourriture sèche. 6 Tous les animaux qui sont ovipares et qui font des œufs imparfaits, comme en font les poissons ovipares, (720b) n'ont pas la matrice sous le ventre, mais dans l'aine. La croissance de l'œuf n'y fait point d'obstacle, puisqu'il se complète au dehors, et que le produit se développe à l'extérieur. Mais il n'y a qu'un seul et même conduit dans les animaux qui n'ont pas de verge génératrice. Ce conduit sert à l'issue des excréments secs chez tous les ovipares, et même chez ceux d'entre eux qui ont une vessie, comme en ont les tortues. 7 En effet ces doubles conduits sont constitués en vue de la génération, et non point pour l'expulsion des excréments liquides; mais comme la nature du sperme est liquide, la sécrétion de l'excrément liquide emprunte aussi ce canal. Ce qui le prouve bien, c'est que tous les animaux ont du sperme, tandis que tous n'ont pas d'excrément liquide. Mais comme il faut que, chez les mâles, les conduits spermatiques, et chez les femelles les matrices, soient solidement attachés et ne se dérangent pas en oscillant, comme ils doivent nécessairement être posés, ou sur le devant du corps ou dans la région postérieure, les matrices des vivipares sont sur le devant, en vue des embryons ; et dans les ovipares, elles sont près du croupion et par derrière. 8 Quant aux animaux qui, après avoir fait des œufs dans leur intérieur, produisent des petits vivants au dehors, leurs matrices sont organisées des deux manières, parce qu'ils participent des deux natures et qu'ils sont tout ensemble vivipares et ovipares. Les parties supérieures de la matrice et le point où naissent les œufs, se trouvent sous le diaphragme, près du croupion et du derrière ; mais dans le reste de son parcours, elle est en bas sous le ventre; car c'est là que ces animaux sont vivipares. 9 Dans ces espèces d'animaux, le canal est le même et unique pour la sortie de l'excrément sec, et pour l'accouplement. Aucun de ces animaux n'a de verge suspendue et indépendante, ainsi qu'on l'a déjà dit. Pour les mâles, qu'ils aient ou qu'ils n'aient pas de testicules, les canaux sont disposés de même que les matrices des ovipares; chez tous, ils sont surajoutés dans les parties postérieures, vers la région du rachis. Il faut en effet qu'ils ne flottent pas et qu'ils restent en place; et c'est précisément cette région postérieure qui offre la continuité et la stabilité nécessaires. 10 C'est ainsi que, chez les animaux qui ont leurs testicules en dedans, ils restent fermes à leur place, en même temps que les canaux ; et il en est de même pour les animaux qui ont les testicules à l'extérieur. En avançant, les deux canaux se confondent en un seul canal, dans les approches de la verge. Cette disposition des canaux se retrouve aussi dans les dauphins; mais leurs testicules sont cachés sous la peau du ventre. [1,9] CHAPITRE IX. 1 Nous venons de voir quelle est, chez les animaux qui ont du sang, (721a) la position des organes qui concourent à la génération, et quelles sont les causes de cette position. Pour les animaux privés de sang, les parties qui concourent à la génération ne sont pas disposées comme elles le sont pour les animaux qui ont du sang; et elles ne sont pas même semblables entre elles dans toutes les espèces. 2 Il y a quatre genres d'animaux qui n'ont pas de sang: d'abord les crustacés; en second lieu, les mollusques; troisièmement, les insectes; et enfin quatrièmement, les testacés. On ne sait pas clairement si tous ces animaux s'accouplent; mais on le sait très sûrement pour la plupart d'entre eux. Nous verrons plus tard quel est le mode de leur accouplement. 3 L'accouplement des crustacés a lieu comme celui des animaux qui urinent par derrière, c'est-à-dire que, l'un étant dessous et l'autre dessus, les queues se touchent l'une l'autre en sens contraire. Mais, quand les queues ont un très grand développement, en forme de nageoires, elles empêchent les parties basses de monter sur le dos de la femelle. Les mâles ont les canaux du sperme très minces, et les femelles ont des matrices membraneuses, près de l'intestin; c'est dans ces matrices fendues en deux parts que l'œuf se loge. 4 Les mollusques s'accouplent en s'appuyant mutuellement sur leur bouche, et en engageant leurs tentacules. Pour eux, ce mode d'accouplement est nécessaire, parce que dans ces animaux la nature a rapproché l'issue recrémentitielle de la bouche, en les repliant sur eux-mêmes, ainsi qu'on l'a expliqué plus haut dans les Etudes sur les Parties des Animaux. Dans chacune de ces espèces, la femelle a une matrice fort distincte. Tout d'abord, l'œuf qu'elle retient est informe ; en se séparant de la matrice, cet œuf se multiplie en plusieurs, que la femelle pond un à un; et ils sont alors dans cet état incomplet où sont ceux des poissons ovipares. 5 Dans les crustacés et dans les mollusques, il n'y a qu'un seul et même canal pour les excréments et pour la partie qui représente la matrice ; et c'est sans doute par là que l'animal lance sa laite. Du reste, ces parties sont dans le dessous du corps, là où le manteau s'ouvre pour laisser entrer l'eau de la mer. C'est par cette partie que se fait l'accouplement du mâle et de la femelle; car il faut nécessairement que le mâle s'approche du canal matriciel, soit qu'il émette du sperme, soit qu'il introduise quelque organe, soit qu'il y remplisse telle autre fonction. Dans les polypes, l'introduction du tentacule du mâle dans le canal n'a pas l'objet que les pêcheurs lui prêtent, quand ils disent que c'est par le tentacule que ces animaux s'accouplent. C'est bien un rapprochement que cherchent ces animaux; mais ce n'est pas là l'organe qui accomplit la génération, puisqu'il est en dehors du canal et du corps de l'animal. 6 Parfois, les mollusques s'accouplent aussi par les parties supérieures du corps; (721b) mais jusqu'à présent, on n'a pas pu savoir encore si c'est en vue de la génération, ou pour toute autre cause. 7 II y a des insectes qui s'accouplent ; et alors, les jeunes naissent d'animaux qui portent le même nom, comme cela se passe dans les animaux qui ont du sang; telles sont les sauterelles, les cigales, les araignées, les guêpes et les fourmis. D'autres insectes s'accouplent bien aussi, et ils produisent; mais ce ne sont pas des êtres congénères qui sortent d'eux; ce ne sont que des larves. Parfois encore, les insectes naissent non plus d'animaux vivants, mais de liquides ou de matières sèches en décomposition; par exemple, les psylles, les mouches, les cantharides. Il y en a d'autres qui ne naissent ni d'êtres animés ni d'accouplements, comme les empides, les taons et une foule d'espèces analogues. 8 Dans la meilleure partie de celles qui s'accouplent, les femelles sont plus grosses que les mâles. On n'a pas découvert de canaux prolifiques dans les mâles ; et, dans la plupart des cas, le mâle n'introduit quoi que ce soit dans la femelle ; mais c'est au contraire la femelle qui introduit quelque chose dans le mâle, de bas en haut. On a pu observer le fait sur plusieurs espèces d'insectes ; et l'on a constaté, en outre, que le mâle monte sur la femelle. Il est vrai qu'on a constaté également tout le contraire sur quelques rares espèces, de telle sorte qu'on ne saurait établir par là des divisions en genres. 9 Du reste, cette différence de grosseur de la femelle au mâle se représente aussi dans la plupart des poissons, et même dans les quadrupèdes ovipares ; les femelles y sont plus grosses que les mâles, parce qu'elles peuvent ainsi mieux supporter le poids que les œufs produisent dans la gestation. Dans ces insectes encore, l'organe correspondant à la matrice est fendu près de l'intestin, comme chez tous les autres animaux; et c'est là que se logent les embryons. C'est ce qu'on peut observer clairement sur les sauterelles, et sur ceux des insectes qui sont un peu gros et qui sont faits pour s'accoupler; mais presque tous sont extrêmement petits. [1,10] CHAPITRE X. 1 On vient de voir quels sont les organes de la génération chez les animaux dont il n'avait pas été question antérieurement; mais nous avions aussi laissé de coté, parmi les éléments similaires, la liqueur séminale et le lait. Le moment est venu de nous en occuper; nous traiterons dès maintenant de la semence, nous réservant d'en venir plus tard à étudier le lait. 2 Il est bien certain que tous les animaux auxquels la nature a donné du sang, émettent du sperme ; mais on ne sait pas précisément ce qu'il en est pour les insectes et pour les mollusques. Par conséquent, il faut rechercher si tous les mâles émettent ou n'émettent pas de liqueur séminale. Si tous sans distinction n'en émettent pas, il faut se demander pourquoi les uns en émettent, et pourquoi les autres n'en émettent point. 3 Il y aura en outre à rechercher si les femelles émettent ou n'émettent pas de liqueur séminale; et si elles n'émettent pas de sperme ni rien qui y ressemble, en quoi elles concourent à la génération, en y apportant quelque chose (722a) qui n'est pas cependant spermatique. 4 Une autre question qu'il faudra étudier également, c'est de savoir quel concours les animaux qui émettent de la liqueur séminale apportent, par celte liqueur, dans la génération ; et d'une manière générale, il faudra se rendre compte de la nature du sperme et de la nature particulière de ce qu'on appelle les menstrues, dans toutes les espèces d'animaux qui émettent ces liquides. 5 Comme il paraît bien que tous les animaux viennent de sperme, et comme les spermes viennent toujours des parents, c'est une même question de savoir si la femelle et le mâle émettent l'un et l'autre de la semence, ou s'il n'y a que l'un des deux qui en émette, et si le sperme vient de toutes les parties du corps, ou s'il ne vient pas de toutes ces parties. S'il ne vient pas du corps tout entier, la raison nous porte à croire qu'il ne vient pas non plus des deux parents à la fois. 6 Quelques naturalistes ayant prétendu que le sperme vient de toutes les parties du corps indistinctement, il faut examiner ce premier point avant les autres. Ici, il n'y a guère que quatre arguments à invoquer en faveur de cette théorie. En premier lieu, on allègue la violence du plaisir. La même sensation de plaisir est d'autant plus vive qu'elle est plus étendue ; et elle est d'autant plus étendue qu'elle se produit, non dans une seule partie ou dans quelques parties isolément, mais dans toutes sans exception. Un second argument, c'est que, de parents contrefaits, naissent des jeunes contrefaits. On suppose que le sperme ne peut pas venir de la partie qui est défectueuse, et qu'alors la partie d'où il n'en vient pas ne peut pas se reproduire. Un autre argument se tire de la ressemblance des jeunes à leurs parents; car tantôt c'est par leurs corps entiers qu'ils ressemblent à leurs auteurs, ou bien ce sont simplement des parties qui ressemblent à des parties. Si c'est parce que le sperme vient du corps entier que le corps tout entier est ressemblant, il faut en conclure que c'est parce, qu'il vient aussi quoique chose de chacune des parties que les parties se ressemblent. Enfin, il paraît également rationnel de croire que, s'il y a quelque chose d'où vient primitivement le tout, il doit venir aussi quelque chose de chacune des parties, de telle sorte que, s'il y a du sperme pour le corps entier, il doit y avoir également un sperme particulier pour chacune des parties qui le composent. 7 On apporte encore d'autres preuves à l'appui de cette doctrine ; et ces preuves sont assez fortes. Ainsi, les enfants ressemblent à leurs parents, non seulement pour des choses congéniales, mais pour des choses tout à fait accidentelles. Les parents ayant des cicatrices, par exemple, on a vu de leurs enfants avoir la marque de la cicatrice dans les mêmes endroits du corps. A Chalcédoine, on a vu un père qui s'était fait tracer une lettre sur le bras, avoir un enfant chez qui la lettre s'était reproduite, quoique un peu confuse et un peu irrégulière. [1,11] CHAPITRE XI. 1 Nous venons d'exposer presque tous les arguments principaux sur lesquels on s'appuie, quelquefois, pour soutenir que le sperme vient du corps tout entier ; (722b) mais en approfondissant la question, on se range plus volontiers à l'opinion contraire. Il est assez facile de répondre aux arguments qu'on avance, et de montrer, en outre, qu'il ressort de cette doctrine une foule d'impossibilités. 2 D'abord, la ressemblance n'est pas du tout une preuve que le sperme vient de tout le corps, puisque souvent les enfants ressemblent à leurs parents par la voix, les cheveux, les ongles, les gestes, d'où pourtant il ne vient rien de spermatique. Il est aussi bien des choses que les parents n'ont pas au moment où ils engendrent, par exemple, des cheveux gris ou de la barbe au menton. De plus, les enfants ressemblent parfois a des ancêtres, dont ils n'ont pourtant rien reçu; car les ressemblances sautent parfois plusieurs générations. On cite l'exemple de la femme qui, a Elis, avait eu commerce avec un Ethiopien; sa fille ne fut pas une Ethiopienne; mais ce fut l'enfant de sa fille qui plus tard fut Ethiopien. 3 On pourrait appliquer la même observation à des plantes ; car il est clair que, pour elles aussi, il faudrait que la semence vint de toutes les parties du végétal. Or, bien des plantes manquent de certaines parties; et l'on peut leur en enlever d'autres qui repoussent. On ne peut pas soutenir non plus que la semence vienne de leur péricarpe; et pourtant les péricarpes aussi se reproduisent dans la même forme. 4 On peut encore se demander si le sperme vient exclusivement de chacune des parties similaires, chair, os, nerf, ou bien s'il vient en outre des parties non similaires, visage, mains. Si le sperme ne vient que des parties similaires, on peut cependant remarquer que c'est par les parties non-similaires que les enfants ressemblent le plus aux parents, visage, mains et pieds. Si ces ressemblances ne peuvent pas tenir à ce que le sperme vient de tout le corps, qui empêche de croire que les ressemblances des autres parties ne tiennent pas davantage à cette cause particulière, mais à quelque cause différente ? 5 Si les ressemblances ne viennent que des parties non similaires, elles ne viennent donc plus de toutes les parties du corps. C'est néanmoins des parties similaires quelles devraient venir bien plutôt, puisque les parties similaires sont antérieures, et que les parties non similaires sont composées de celles-là. De même donc que les enfants ressemblent aux parents par la figure, par les mains, de même aussi ils devraient leur ressembler par la chair et par les ongles. 6 Si l'on admet que les ressemblances viennent tout à la fois des deux espèces de parties, quel est alors le mode de la génération ? Les parties non similaires sont formées de parties similaires, de telle sorte que sortir des unes ce serait aussi sortir des autres et de leur concours. Il en est absolument en ceci comme il en est du sens qui ressort et résulte d'un mot quelconque qu'on a écrit. S'il ressort quelque sens de ce mot entier, c'est qu'il doit sortir aussi quelque sens de chacune des syllabes qui le composent ; et c'est parce qu'un certain sens sort des syllabes, que quelque sens ressort aussi des lettres et de leur combinaison. 7 Par conséquent, puisque les chairs et les os sont formés de feu et d'éléments analogues, à plus forte raison pourrait-on dire que le sperme vient des éléments. Mais comment pourrait-il venir de leur combinaison ? Et cependant (723a) sans cette combinaison, il n'y a pas de ressemblance possible. Si plus tard quelque autre cause venait à produire la ressemblance, ce serait alors à cette nouvelle cause qu'il faudrait la rapporter, et non pas à ce que le sperme viendrait du corps tout entier. 8 Si les parties sont séparées dans le sperme, comment peuvent-elles y vivre ? Si elles y sont réunies, alors elles y forment déjà un petit animal. Puis, ensuite, que fait-on des parties venant des organes honteux? On ne peut pas dire que ce soit pour elles la même chose qui sorte du mâle et de la femelle ; et si c'est de l'un et de l'autre tout entiers que le sperme sort, alors il y aura deux animaux, puisque l'animal aura toutes les parties des deux à la fois. 9 Si cette doctrine était vraie, Empédocle pourrait paraître d'accord avec cette opinion, du moins jusqu'à un certain point; mais s'il faut par hasard en admettre une autre, Empédocle se trompe. Il croit en effet qu'il y a dans le mâle et la femelle une sorte de concours, et que la fonction parfaite et totale n'appartient complètement à aucun des deux. « La nature des organes, dit-il, est partagée; et l'une est dans l'homme ...» Alors, pourquoi les femelles n'enfantent-elles pas à elles seules, si le sperme vient de tout le corps, et si le sperme a aussi un réceptacle dans la femelle ? 10 Mais autant qu'on peut le savoir, ou le sperme ne vient pas de tout le corps; ou, du moins, il n'en vient pas de la façon qu'Empédocle le dit. Des éléments identiques ne sortent pas du mâle et de la femelle; et voilà pourquoi il est besoin qu'ils se réunissent. Mais cette réunion même n'est pas possible dans le système d'Empédocle; car ces parties, bien que toutes grandes, ne peuvent pas se conserver si elles sont isolées, ni avoir la vie à la manière dont Empédocle entend la création, quand il dit en parlant de l'Amour : « C'est ainsi que bien des têtes naquirent sans leur cou; et qu'ensuite les membres se combinèrent » Il y a, dans toute cette théorie, une impossibilité manifeste. Sans âme et sans vie quelconque, de tels produits n'ont pu subsister ; pas plus qu'en les supposant animés, ils n'ont pu se réunir pour former dé plusieurs êtres un seul être. 11 C'est bien là toutefois la même erreur que l'on commet en soutenant que le sperme vient de tout le corps, puisque le rôle que l'Amour joue sur la terre selon Empédocle, ceux-là le voient jouer par le sperme dans le corps entier. Toutefois, il est bien impossible que les parties naissent toutes continues, et qu'elles se réunissent ensuite toutes formées, en un seul et unique lieu. 12 D'autre part, on peut demander comment alors les parties de haut et de bas, les parties de droite et de gauche, les parties de devant et de derrière, peuvent se séparer et se distinguer. Dans tout ceci, il est bien impossible de comprendre quoi que ce soit. De plus, les parties différent les unes des autres, celles-ci par leur fonction, et celles-là par leurs propriétés. Les unes qui sont non similaires se définissent, parce qu'elles peuvent agir de certaine manière comme la langue et la main; les autres, qui sont similaires, ont des propriétés diverses et fort distinctes entre elles. Le sang n'est pas sous tous les rapports uniquement du sang; la chair n'est pas uniquement de la chair. 13 II est donc évidemment impossible que ce qui provient des parties du corps porte le même nom que ces parties, et, par exemple, que ce qui vient (723b) du sang soit du sang et que ce qui vient de la chair soit de la chair. Mais s'il est certain que le sang provient de quelque chose qui n'est pas du sang, il est tout aussi clair que la cause de la ressemblance n'est pas celle qu'on indique, quand on soutient que le sperme vient de toutes les parties du corps. Il suffit de dire que le sperme ne vient que d'une seule de ces parties, puisque le sang ne vient pas du sang ; car alors pourquoi toutes choses sans distinction ne viendraient-elles pas d'une seule et unique chose ? 14 Cette théorie semble se rapprocher beaucoup de celle d'Anaxagore, qui prétend qu'aucune des parties similaires ne peut jamais naître. Seulement, Anaxagore applique cette théorie à toutes choses, tandis que les philosophes dont nous parlons ne l'appliquent qu'à la génération des animaux. Et puis, comment les particules qui viendraient de tout le corps pourraient-elles s'accroître et se développer? Anaxagore a raison de dire que les chairs, grâce à la nourriture, viennent s'adjoindre aux chairs. Mais quand on n'est pas de cette opinion et qu'on soutient que le sperme vient de tout le corps, comment peut-on expliquer que la partie grandira par l'adjonction de quelque autre élément, si cet élément ajouté reste tel qu'il est? 15 Mais, si cet élément ajouté est susceptible de changer, pourquoi ne pas admettre que le sperme est organisé de telle sorte qu'il puisse immédiatement produire du sang et des chairs, bien qu'il ne soit par lui-même ni de la chair ni du sang? On ne peut pas même soutenir que c'est plus tard que l'être s'accroîtra par le mélange, comme le vin s'accroît quand on y verse de l'eau, puisque c'est surtout au début que le sang, qui est à ce moment tout à fait sans mélange, représente chaque partie du corps. Mais, dans l'état actuel des choses, c'est plutôt postérieurement qu'il devient chair, os, ou chacune des autres parties du corps. Du reste, supposer qu'une particule du sperme est le nerf, une autre partie l'os, c'est là une théorie qui dépasse, trop notre intelligence pour que nous la discutions. 16 II faut encore se demander si les deux sexes femelle et mâle diffèrent l'un de l'autre dès la conception, comme le veut Empédocle, quand il dit : « Ils furent versés dans des éléments purs ; et rencontrant du froid, ils devinrent des femmes. » On voit cependant les femmes et les hommes changer également, en ce sens qu'ils deviennent féconds d'inféconds qu'ils étaient, et qu'ils ont des enfants mâles, après avoir eu des enfants du sexe féminin. Dès lors, la cause n'en est pas que le sperme vient de tout le corps; mais elle tient à ce que le fluide qui vient de la femme et du mari a ou n'a pas la proportion convenable; ou, peut-être est-ce encore quelque autre cause analogue à celle-là. 17 II est donc bien évident, si nous admettons cette théorie, que le produit femelle ne vient pas de quelque élément d'où il sortirait, pas plus que l'organe spécial que possèdent le mâle et la femelle, puisque le même sperme peut indifféremment devenir femelle ou mâle, et qu'il n'y a pas dans le sperme de partie spéciale pour l'un des deux sexes. Mais, quelle différence peut-il y avoir à dire cela (724a) de cette partie et à le dire de toutes les autres? Car si le sperme ne vient pas de la matrice, cette même assertion peut s'appliquera toutes les autres parties également. 18 Il y a, en outre, des animaux qui ne viennent que congénères, ni même d'un genre différent du leur, les mouches, par exemple, et les espèces appelées des psylles (pucerons). Il en sort bien des animaux, mais dont la nature n'a rien qui leur ressemble ; c'est une sorte de larves. Il est bien clair que ces êtres hétérogènes ne viennent pas d'un sperme sortant de toutes les parties du corps, sans distinction; car ils seraient semblables, si la ressemblance est une preuve que le sperme vient de tout le corps. 19 Un autre argument, c'est qu'il y a des animaux où il suffit d'un seul rapprochement pour produire un grand nombre d'êtres. C'est tout à fait le cas des plantes; car on peut voir, pour les végétaux, qu'il suffit d'un seul mouvement pour qu'ils portent tout leur fruit annuel. Et comment cette multiple fécondation serait-elle possible si la semence venait de tout le corps? Nécessairement, il n'y a qu'une seule séparation de possible, à la suite d'un seul rapprochement, et d'une seule sécrétion. Mais il est bien impossible que cette séparation se fasse dans les matrices; car alors ce ne serait plus là se séparer du sperme; mais ce serait comme se séparer d'une jeune plante ou d'un jeune animal. 20 Ajoutons que les marcottes prises sur la plante portent aussi de la semence; et que, par conséquent, il est évident qu'avant même d'être détachées, elles portaient un fruit de la même grandeur, et que la semence ne venait pas de la plante tout entière. 21 Mais c'est surtout des insectes que nous pouvons tirer la preuve la plus satisfaisante que le sperme ne provient pas de tout le corps. Ainsi, dans la plupart des insectes, si ce n'est dans tous, la femelle, lors de l'accouplement, introduit une partie d'elle-même dans le mâle; et l'accouplement se fait de la manière que nous avons antérieurement expliquée ; les parties d'en bas s'introduisent dans celles d'en haut, si ce n'est chez tous les insectes, du moins dans le plus grand nombre de ceux qu'on a pu observer. Il en résulte évidemment que, pour tous les mâles qui émettent quelque semence, la cause de la génération n'est pas que le sperme vient de tout le corps; mais la génération tient à une autre cause, que nous aurons à étudier plus tard, puisque, si en effet le sperme venait de tout le corps, comme on le prétend, ceci ne voudrait pas dire encore qu'il doit sortir de toutes les parties, mais seulement de ce qui est vraiment formateur, de même que l'œuvre vient du maçon et non pas de la matière qu'il emploie. Ceci est tout aussi déraisonnable que si l'on jugeait de la ressemblance d'après la chaussure que le fils peut porter, toute pareille à celle que porte son père. 22 Quant au plaisir extrême que cause le rapprochement des deux sexes, il ne tient pas à ce que le sperme vienne du corps tout entier, mais uniquement à ce que l'excitation est très vive. Cela est si vrai que, si ce rapprochement est trop fréquent, (724b) le plaisir qu'on y trouve en s'y livrant, devient beaucoup plus faible. C'est surtout à la fin du rapprochement que cette jouissance se fait sentir le plus vivement; et il faudrait, si ce système était vrai, qu'on la ressentit dans chacune des parties du corps successivement et non tout à la fois, dans les unes d'abord, et dans les autres ensuite. 23 Que de parents contrefaits viennent des enfants contrefaits, c'est la même cause qui fait les ressemblances des enfants avec leurs auteurs. De parents qui sont contrefaits, viennent des enfants qui ne le sont pas, comme il y a des enfants qui ne ressemblent pas du tout à leurs parents. Nous expliquerons plus tard à quoi tient cette différence ; car, au fond, cette question est la même de part et d'autre. Enfin, si la femelle n'a pas de sperme, on peut affirmer par le même motif que le sperme ne vient pas de tout le corps ; et réciproquement, si le sperme ne vient pas du corps tout entier, il n'y a rien qui empêche la raison de croire qu'il ne vient pas non plus de sperme de la femelle, et que la femelle participe à la génération d'une autre manière. C'est là le point que nous allons examiner, à la suite de ce qui précède, puisqu'il est maintenant évident que le sperme n'est pas sécrété de toutes les parties du corps. [1,12] CHAPITRE XII. 1 Le premier point à éclaircir, pour cette étude et pour celles qui vont suivre, c'est de savoir ce qu'est le sperme ; une fois ce point fixé, nous pourrons beaucoup mieux comprendre son action et tous les phénomènes qui s'y rapportent. On peut bien dire que la nature du sperme est telle qu'il est le premier élément d'où sortent tous les êtres que la Nature compose. Mais ce n'est pas de lui que provient ce qui les fait; et, par exemple, ce n'est pas le sperme qui fait l'homme, puisque c'est de l'homme au contraire que vient le sperme. 2 D'ailleurs, il y a bien des sens à cette expression qu'une chose vient d'une autre chose. Un de ces sens divers, c'est celui où nous disons que du jour vient la nuit, ou que l'homme vient de l'enfant. Ceci veut dire simplement qu'une chose vient après une autre chose. Un second sens, c'est quand nous disons que la statue vient de l'airain, ou que le lit vient du bois, ne voulant dire, dans toutes ces expressions, que ceci, à savoir que les choses produites viennent de la matière qui les compose, et qui est considérée comme subsistant dans l'objet, et y recevant une forme qui le complète et en fait un tout. Un troisième sens, c'est quand on dit que, de savant, on devient ignorant, que de bien portant on devient malade. Dans ce cas et d'une manière générale, c'est dire que le contraire vient du contraire. Enfin, outre ces sens différents, il y en a encore un qu'on pourrait appeler avec Epicharme la superstruction, comme lorsqu'on dit que de la médisance vient l'outrage, et que de l'outrage vient la rixe. Cela revient alors à dire que, dans ce cas, le principe du mouvement vient de telle ou telle chose. 3 Dans quelques-unes de ces expressions, on sous-entend que le principe du mouvement est dans les agents eux-mêmes, comme dans les derniers exemples que l'on vient de citer, puisque la médisance fait bien aussi partie de tout le désordre qu'elle cause. Dans quelques autres de ces expressions, l'agent est en dehors de l'objet ; ainsi, l'art est en dehors des produits qu'il crée, la lampe est extérieure à la maison où elle met le feu. 4 Il est évident que le sperme doit être dans une de ces deux conditions indiquées : ou l'être produit doit venir de lui comme matière; ou bien, (725a) comme principe du mouvement initial. Le sperme n'est pas simplement la succession d'une chose venant après une autre, comme le voyage à Délos vient après les Panathénées. Le sperme n'est pas non plus un contraire venant du contraire ; car le contraire ne vient de son contraire qu'en le remplaçant et en le supprimant; et il faut alors supposer quelque chose de préexistant d'où sortira le contraire oppose. 5 Des deux sens que nous venons de citer, quel est celui qui doit s'appliquer au sperme? Ainsi, faut-il le considérer comme matière et comme passif? Ou bien faut-il, au contraire, le considérer comme forme et comme actif? Ou bien encore, a-t-il ces deux caractères à la fois? Peut-être cette discussion nous apprendra-t-elle encore comment la génération se produit par des contraires, dans tous les êtres qui viennent de sperme; car la génération provenant des contraires est aussi dans la nature, puisque tantôt les êtres viennent des contraires, le mâle et la femelle ; et que tantôt ils viennent d'un seul être, comme en viennent les plantes, et comme en viennent certains animaux, où il n'y a pas de distinction, ni d'isolement, du mâle et de la femelle. 6 On peut donc définir le sperme, ou la semence, en disant qu'il est ce qui sort de l'être qui engendre, chez toutes les espèces d'animaux où la nature a fait un accouplement. C'est le primitif du mouvement de la génération ; et alors, le sperme est ce qui contient les principes venus des deux êtres qui se sont accouplés, comme sont les plantes et quelques animaux où les sexes femelle et mâle ne sont pas séparés. C'est ainsi que le premier mélange de la femelle et du mâle forme une sorte d'embryon ou d'œuf, contenant déjà l'un et l'autre ce qui vient des deux êtres à la fois. 7 Mais le sperme et le fruit qui en vient diffèrent entre eux par la postériorité et l'antériorité. Ainsi, le fruit est fruit parce qu'il vient d'une autre chose, tandis que le sperme est sperme parce qu'il en vient un autre être que celui d'où il sort, bien qu'au fond tous deux soient la même chose. 8 Mais, on peut encore voir plus précisément ce qu'est la nature première du sperme, dont on parle ici. Ainsi, il y a nécessité que tout ce que nous pouvons observer dans le corps fasse partie des éléments naturels, et alors cette partie est non similaire ou similaire; ou bien la chose observée est contre nature, tels qu'abcès, excrément, concrétion, ou nourriture quelconque. Par excrément, j'entends le résidu des aliments; et par concrétion, le produit sécrété par accroissement d'une élaboration contre nature. 9 D'abord, il est évident que le sperme ne peut pas être une partie du corps; car il est similaire ; et du sperme, il ne vient aucun organe qui ressemble à ce que produisent le nerf et la chair. De plus, le sperme n'est pas isolé; et toutes les autres parties le sont. On ne peut pas dire non plus qu'il soit un produit contre nature, pas plus qu'on ne peut dire qu'il est le résultat d'une infirmité, puisqu'il se trouve dans tous les êtres, et que c'est de lui que provient leur propagation naturelle. Quant à la nourriture, elle vient évidemment de l'extérieur, où l'être la puise. Reste donc nécessairement que le sperme ne puisse être que concrétion ou excrétion. 10 II semble bien que les Anciens l'ont regardé comme une concrétion ; car dire que le sperme vient de tout le corps par la chaleur que provoque le mouvement, (725b) cela revient à dire qu'il a la faculté de se concréter. Or, la concrétion est un résultat contre nature, et jamais de ce qui est contre nature ne peut sortir quelque chose de naturel. Il faut donc de toute nécessité que le sperme soit une excrétion. Mais tout produit excrémentiel vient, ou d'une nourriture qui ne peut plus être employée, ou d'une nourriture qui peut encore être utilisée. J'entends par nourriture inutile celle qui ne peut plus contribuer à l'accroissement de l'organisme naturel, ou qui, employée en excès, lui est plutôt nuisible; et j'entends, par nourriture utile, celle qui produit des effets contraires à ceux-là. 11 Evidemment, le sperme ne saurait être un excrément inutile, puisque les êtres qui souffrent soit par l'âge, soit par la maladie, ou par complexion spéciale, ont beaucoup d'excrément inutile, et qu'ils ont très peu de sperme. Ils peuvent même n'en avoir pas du tout; ou bien, celui qu'ils ont n'est pas fécond, parce qu'il s'y mêle d'autres excrétions inutiles et morbides. Donc, le sperme ne peut être que le résultat d'une excrétion utile. 12 Mais ce qu'il y a de plus utile, dans la sécrétion, c'est le produit dernier, celui d'où doivent enfin se composer chacune des parties du corps. Or, il y a une excrétion antérieure et une excrétion postérieure. L'excrétion de la première nourriture, c'est le phlegme, ou tel autre produit analogue; et, ainsi, le phlegme est une excrétion de la nourriture utile. La preuve, c'est que, mêlé à de la nourriture pure, il nourrit le corps, et qu'il est absorbé dans les maladies. Mais, le résidu dernier de la nourriture la plus abondante est toujours en très petite quantité. 13 Ici, il faut se rappeler comment les animaux et les plantes s'accroissent par la petite addition que chaque jour leur apporte; or, cette addition, toujours la même, pourrait, quelque minime qu'elle soit, leur donner à la fin une grandeur démesurée. Il faut donc à ce point de vue dire tout le contraire de ce que disaient les anciens; ils croyaient que le sperme est ce qui vient du corps tout entier; nous, à l'opposé, nous dirons que le sperme est ce qui va dans tout le corps. Ils le prenaient pour une concrétion ; nous y verrons bien plutôt une excrétion surabondante. Il est plus rationnel de supposer que ce qui devient semblable, c'est le dernier produit obtenu et la partie qui surabonde; de même que les peintres n'obtiennent souvent la ressemblance du portrait qu'ils font, qu'après avoir essayé et perdu bien des esquisses. 14 Toute concrétion détruit ce qui la précède, et s'écarte de la nature propre de l'objet. Ce qui prouve bien que le sperme n'est pas une concrétion, et qu'il est plutôt une excrétion, c'est que les grands animaux ne produisent que peu de jeunes, tandis que les petits animaux en produisent énormément. Or, dans les grands animaux, il y a nécessairement plus de concrétion ; et il y a beaucoup moins de sécrétion, attendu que, le corps étant très gros, la plus grande partie de la nourriture est employée à son usage et qu'il reste fort peu d'excrétion à expulser. 15 Nous remarquons en outre que la nature n'a pas assigné de lieu spécial à la concrétion, mais que la concrétion s'écoule et se forme là où dans le corps elle trouve la voie la plus facile. Au contraire, toutes les excrétions ont un lieu qui est parfaitement déterminé par la nature : (726a) le ventre d'en bas, pour l'excrément de la nourriture solide ; la vessie, pour l'excrément liquide; l'estomac d'en haut, pour la nourriture à employer; les matrices, les verges, les mamelles, pour les excrétions spermatiques; car c'est dans tous ces lieux que les sécrétions s'accumulent et s'écoulent. 16 Tous ces phénomènes attestent bien que le sperme est ce que nous venons de dire; et si ces phénomènes se produisent comme nous le voyons, c'est que la nature de cette sécrétion est bien telle que nous l'expliquons. Il suffit que la moindre partie du sperme s'échappe du corps pour que l'affaiblissement soit manifeste, comme si les corps étaient alors privés du résultat pour lequel la nourriture est faite. Cependant il y a quelques individus en pleine vigueur chez lesquels l'émission du sperme, quand il surabonde, produit, pour peu de temps, un soulagement réel, comme si la nourriture première était en eux excessive et surabondante; car lorsqu'elle sort, les corps ne s'en portent que mieux. 17 Ce soulagement se produit encore quand d'autres excrétions que le sperme sortent avec lui ; car le sperme n'est pas seul quand il vient à sortir du corps; mais bien d'autres forces mêlées à la sienne sortent en même temps que lui. Or ces forces sont morbides; et de là vient que, chez quelques individus, l'émission qu'ils rejettent est assez souvent inféconde, parce qu'elle a trop peu de parties spermatiques. Mais chez la plupart des animaux et dans la plupart des cas ordinaires, la suite de l'acte vénérien est bien plutôt un relâchement et une faiblesse, par la raison que nous venons d'en donner. 18 C'est encore là ce qui fait qu'il n'y a de sperme, ni dans le premier âge, ni dans la vieillesse, ni dans les temps de maladie, parce que l'on est alors accablé de faiblesse par la souffrance, parce que, dans la vieillesse, la nature n'a plus la coction suffisante, et que, dans la jeunesse, toute la nourriture est employée uniquement à la croissance, qui est le plus pressant besoin ; car c'est dans les cinq premières années de la vie que, chez l'homme, le corps gagne à peu près la moitié de la grandeur totale qu'il doit avoir pour le reste de ses jours. 19 II y a d'ailleurs, en ce qui concerne le sperme, des différences d'espèce à espèce, soit pour bon nombre d'animaux, soit pour les plantes. Il y en a de non moins grandes dans la même espèce, pour des êtres homogènes, d'un individu à un autre individu, par exemple d'un homme à un homme, d'une vigne à une vigne, etc. Car tantôt la semence est abondante; tantôt il n'y en a que très peu; parfois même, il n'y en a pas du tout. 20 Ce n'est pas toujours par faiblesse, et c'est même quelquefois par une cause tout opposée. Des gens d'ailleurs bien constitués, mais prenant trop de chair ou trop de graisse, émettent moins de sperme et ont moins de besoins sexuels. C'est la même observation qu'on peut faire sur les ceps de vigne, qui s'emportent par suite d'une nourriture trop abondante, (726b) et qui ne donnent presque rien, comme les boucs qui, en devenant trop gras, sont aussi moins prolifiques. On retranche ces ceps pour soulager la vigne, dont on dit qu'elle fait le bouc, à cause de la disposition particulière du bouc quand il prend trop de graisse. 21 De même, on remarque que les femmes et les hommes qui engraissent trop, deviennent moins féconds que les gens qui n'engraissent pas, parce que la sécrétion qui se cuit chez des gens si bien nourris tourne à une graisse excessive, la graisse n'étant qu'une sécrétion de pleine santé, résultat d'une trop bonne nourriture. D'autres fois, il n'y a pas du tout de semence, comme, dans les végétaux, pour le saule et le peuplier. Les deux causes qu'on vient de dire peuvent déterminer également cette disposition : ou la coction n'a pas lieu par impuissance ; ou, au contraire, la sécrétion fonctionne avec trop de puissance et d'énergie. 22 De même, il se forme beaucoup de graines et beaucoup de sperme, tantôt par excès de force, et tantôt par faiblesse. Il se forme alors une excrétion surabondante et inutile qui se mêle au sperme; et cette organisation dégénère parfois en une véritable maladie, quand l'évacuation ne s'en fait pas assez régulièrement. Quelques malades en guérissent; mais il en est d'autres aussi qui en meurent; et le dépérissement a lieu comme si le sperme se tournait en urine, maladie qui s'est déjà présentée chez plusieurs personnes. 23 Le canal est le même, soit pour l'excrétion urinaire, soit pour le sperme; et chez les animaux qui ont les deux sortes d'excréments de la nourriture liquide et de la nourriture sèche, là où passe l'expulsion du liquide, là passe également l'expulsion de la liqueur séminale, qui n'est non plus qu'une excrétion de liquide; car la nourriture de tous les animaux est plutôt liquide que solide; et là où elle n'est pas liquide, elle le devient par l'expulsion du résidu sec, La concrétion est toujours une maladie, tandis que l'expulsion d'un excrément fait toujours grand bien. L'excrétion du sperme tient des deux, puisqu'il entraine quelque chose de la nourriture qui n'est plus utile; s'il n'était qu'une concrétion, il serait toujours nuisible; mais il n'a pas actuellement cette action fâcheuse. [1,13] CHAPITRE XIII. 1 De ce qui précède, il ressort évidemment que le sperme est une excrétion venant de la nourriture utile, élaborée à son dernier degré de perfection, soit que d'ailleurs tous les animaux émettent du sperme, soit qu'ils n'en émettent pas tous. Après ces considérations, il reste à déterminer de quelle espèce de nourriture le sperme est la sécrétion, et aussi à expliquer ce que sont les menstrues, puisqu'il y a des espèces de vivipares chez lesquelles les menstrues se manifestent. 2 Ceci nous fera voir également, pour la femelle, si elle émet du sperme comme le mâle en émet, et si le produit qui vient des deux spermes en est un mélange; ou bien s'il ne provient aucun sperme de la femelle. S'il est reconnu que la femelle n'émet pas de sperme, il faudra nous demander si elle ne concourt pas en une autre manière à la génération, et si elle ne fait qu'en fournir le lieu ; ou si, au contraire, elle contribue pour sa part à la génération. Enfin, ceci admis, il faudra savoir quelle est cette part, et de quelle manière la femelle la donne. 3 (727a) Antérieurement, nous avons dit que, dans les animaux qui ont du sang, c'est le sang qui est la nourriture définitive, et que dans les animaux qui n'ont pas de sang, c'est la partie qui y correspond. Mais comme la semence génératrice est l'excrétion de la nourriture et de la nourriture finale, le sperme ne peut qu'être, ou du sang, ou l'analogue du sang, ou quelque produit venant du sang et de la nourriture. 4 D'un autre coté, comme c'est du sang recuit et divisé de certaine façon que se forme chacun des organes du corps, et comme le sperme élaboré se sépare bien autrement du sang que lorsqu'il n'est pas recuit, et comme quand on pousse à l'excès le plus violent l'usage du sexe, le sperme sort quelquefois tout sanguinolent, on peut en conclure que le sperme est une sécrétion de la nourriture sanguine et définitive, qui s'est répandue jusque dans les dernières parties du corps. 5 C'est là ce qui donne au sperme son action si puissante; car l'expulsion du sang le plus pur et le plus sain ne peut que détendre et épuiser l'animal. La raison comprend dès lors très bien aussi comment les rejetons ressemblent aux parents qui les ont engendrés; car ce qui se rend aux divers organes est tout à fait pareil à ce qui reste dans le corps. De cette sorte, le sperme qui vient de la main, ou du visage ou de tout l'animal est indistinctement la main, ou le visage, ou l'animal entier ; et l'on peut dire que ce que chacune de ces parties est en réalité, le sperme l'est en puissance, ou selon sa propre masse, ou selon la force quelconque qu'il a en lui-même. 6 C'est qu'en effet, d'après les discussions précédentes, nous ne voyons pas encore très nettement si c'est le corps même du sperme qui est cause de la génération, ou s'il a une qualité particulière, et s'il contient un principe de mouvement générateur. En effet, ni la main ni aucune autre partie du corps ne peut, sans une force vitale ou telle autre force, être une main ni aucune partie du corps ; et elle n'en a que le nom par simple homonymie. 7 II est clair aussi que, dans tous les animaux où il y a une concrétion spermatique, le sperme n'en est pas moins une excrétion. Cet effet se produit quand il y a une dissolution en l'élément qui survient, comme la couche superficielle d'un enduit disparait sur-le-champ; alors ce qui s'en va est entièrement semblable à la première addition qu'on avait faite. C'est absolument de même que la sécrétion dernière est pareille à la première concrétion. Mais sur ce point, ce que nous venons de dire doit nous suffire. 8 II est nécessaire que l'être qui est le plus faible ait une excrétion plus abondante et moins mûrie; et quand il en est ainsi, la quantité de liquide sanguin doit aussi être considérable. On doit entendre par plus faible ce qui par sa nature a moins de chaleur; et nous avons vu antérieurement que telle est l'organisation de la femelle. Il s'ensuit que la division sanguine qui se fait dans la femelle doit de même être un excrément; (727b) et c'est là précisément l'expulsion qu'on appelle les menstrues. 9 Il en résulte évidemment que les menstrues ne sont qu'une excrétion, et que les menstrues dans la femelle sont tout à fait analogues à ce que la liqueur séminale est dans le mâle. C'est ce que nous démontrent les phénomènes qui se rattachent aux évacuations menstruelles. Ainsi, c'est au même âge où le sperme vient à se produire et s'élabore dans les mâles, que les mois font éruption chez les femelles. C'est au même âge encore que la voix mue, et que se produisent les mouvements qui ont lieu dans les mamelles. C'est encore vers la fin des mêmes périodes que, chez les uns, cesse la puissance d'engendrer, et que les menstrues cessent chez les autres. 10 Voici d'autres preuves nouvelles qui démontrent que cette sécrétion chez les femelles n'est que l'expulsion d'un excrément. Le plus souvent les femmes n'ont ni hémorrhoïdes, ni saignement de nez, ni aucune affection de ce genre, tant que leurs mois ne s'arrêtent pas ; et quand il leur survient quelque affection de ce genre, leurs purgations mensuelles deviennent moins complètes, comme si la sécrétion ordinaire s'était changée en ces flux irréguliers. 11 Les femmes ont aussi des veines moins prononcées que celles des hommes. Les femelles sont plus potelées et moins velues que les mâles, parce que la sécrétion qui devrait produire ces effets dans le corps passe dans les menstrues. C'est là aussi sans doute ce qui fait que, dans les vivipares, les dimensions du corps sont moins fortes chez les femelles que chez les mâles. Ce n'est en effet que dans les vivipares qu'on observe l'éruption extérieure des menstrues; et le phénomène est surtout manifeste chez les femmes; car les femmes ont l'évacuation la plus abondante comparativement au reste des animaux. Aussi, les femelles sont-elles toujours moins colorées que les mâles ; leurs veines sont moins marquées ; et toute la complexion de leur corps est au-dessous de celle des mâles. Ce sont là des faits de toute évidence. 12 Puisque le fluide qui se produit chez les femelles correspond à la liqueur génératrice chez les mâles, et qu'il n'est pas possible que deux sécrétions spermatiques aient lieu en même temps, il est clair que, dans l'acte de la génération, la femelle n'apporte pas de sperme. Si elle avait du sperme, elle n'aurait pas de menstrues; et puisque dans l'état actuel, elle a des menstrues, c'est qu'elle n'a pas de sperme. C'est là ce qui nous a fait dire que, comme le sperme, les menstrues sont une excrétion. 13 Ce qui peut encore le faire croire, ce sont quelques phénomènes qu'on observe sur les autres animaux. Ainsi, les animaux gras ont moins de sperme que ceux qui ne sont pas gras, comme nous l'avons déjà dit. La cause en est que la graisse est une excrétion tout aussi bien que le sperme ; et qu'elle est comme lui du sang recuit; seulement, la forme de l'élaboration n'est pas la même que pour le sperme. Il est tout simple que, l'excrétion étant employée (728a) à produire de la graisse, il en reste beaucoup moins pour la semence génitale, de même que, parmi les animaux dépourvus de sang, ce sont les mollusques et les crustacés qui ont les pontes les plus abondantes; car, étant exsangues et ne faisant pas de graisse, ce qui chez eux correspond à la graisse se tourne en sécrétion spermatique. 14 D'autre part, ce qui démontre bien précisément que la femelle n'émet pas de sperme comme le mâle, et que l'embryon ne se produit pas du mélange des deux, ainsi qu'on le prétend quelquefois, c'est que souvent la femme conçoit sans avoir éprouvé le moindre plaisir dans la copulation ; et qu'à l'inverse la sensation ayant été éprouvée tout aussi vivement, et l'homme et la femme ayant fourni la même course, il n'y a pas cependant de génération, si l'écoulement de ce qu'on appelle les menstrues n'a pas eu lieu d'une façon régulière et proportionnée. La femme ne conçoit pas quand elle n'a pas de mois ; mais même quand elle en a, la conception n'a pas lieu tant que l'écoulement continue ; et ce n'est qu'après l'évacuation que la conception est possible, dans la plupart des cas. 15 C'est que, dans le premier cas, la force qui vient de l'homme et qui est dans le sperme ne trouve, ni la nourriture ni la matière nécessaires à la constitution de l'animal ; et, dans le second cas, cette force est submergée par la quantité de flux mensuel. Mais quand ce flux est tout à fait passé, après avoir eu lieu, ce qui reste se constitue. 16 Il y a des femmes qui conçoivent sans avoir leurs mois, ou bien qui conçoivent pendant l'évacuation et ne conçoivent plus après. Cela tient à ce que, chez les unes, l'écoulement est assez abondant pour qu'il en reste encore, même après l'évacuation mensuelle, autant qu'il en faut chez les femmes fécondes, bien que la sécrétion ne soit pas assez forte pour se montrer au dehors, tandis que, chez les autres, l'ouverture des matrices se referme après que l'évacuation a eu lieu. Lorsque l'expulsion a été considérable, et que l'évacuation dure encore, sans être assez forte pour entraîner le sperme dans le flux extérieur, un rapprochement produit la conception. 17 D'ailleurs, il n'y a pas a s'étonner que les menstrues coulent encore après que la conception a eu lieu ; car, si elles coulent pendant quelque temps après, ce n'est qu'en petite quantité, et elles ne durent pas tout le temps ordinaire, c'est là une disposition morbide que peu de femmes éprouvent et qu'elles éprouvent rarement. Les dispositions les plus ordinaires sont aussi les plus conformes à la nature. [1,14] CHAPITRE XIV. 1 Jusqu'ici, deux choses sont évidentes : l'une, c'est que, dans le fait de la génération, la femelle fournit la matière, et que cette matière consiste dans la composition des menstrues; et l'autre, que les menstrues sont une excrétion. 2 Si quelques naturalistes ont pensé que la femme émet de la semence dans la copulation, par ce motif que parfois les femmes éprouvent autant de plaisir que les hommes et qu'elles émettent une excrétion liquide, c'est là une erreur. Ce liquide n'a rien de spermatique; et (728b) c'est le fluide spécial de cet organe chez quelques femmes. Les matrices ont une sécrétion particulière, qui a lieu chez telles femmes et qui n'a pas lieu chez telles autres. Celles qui ont la peau blanche et qui sont plus efféminées ont presque toutes cette sécrétion, tandis que les brunes et celles qui ont une forme virile n'y sont pas sujettes. 3 Dans les femmes qui émettent ce liquide, la quantité n'est pas celle du sperme; mais elle est parfois beaucoup plus forte. Les aliments ont aussi une influence décisive sur la quantité de la sécrétion, qui est plus ou moins abondante selon les individus; l'action des aliments de haut goût produit manifestement cette augmentation du fluide sécrété. 4 Quant au plaisir que provoque la cohabitation, il ne tient pas uniquement à l'émission du sperme, mais encore à la suspension du souffle, qui s'accumule au moment où le sperme sort. C'est ce qu'on peut observer chez les enfants, qui ne peuvent pas encore rien émettre, mais qui approchent de cet âge, et aussi chez les hommes qui n'ont pas de semence; ils éprouvent tous du plaisir par l'attouchement des organes. Parfois, quand ce sont des hommes adultes qui ont perdu la faculté génératrice, le ventre se dérange, parce que l'excrétion, qui ne peut pas mûrir et devenir du sperme, s'épanche dans le ventre. 5 L'enfant a presque la figure d'une femme, et la femme ressemble à un homme qui n'engendre plus ; elle est frappée d'une sorte d'impuissance, qui consiste à ne pouvoir mûrir le sperme provenant de la dernière élaboration de la nourriture. Or, ce produit extrême, c'est le sang, ou la partie correspondante dans les animaux exsangues. Cette Impuissance tient dans la femme à la froideur de sa nature. De même donc que la diarrhée provient de la coction imparfaite dans les intestins, de même c'est une insuffisance pareille dans les veines qui produit les autres flux hémorroïdaux et cette hémorroïde particulière qu'on appelle les menstrues. Seulement, les hémorroïdes ordinaires sont une maladie, tandis que celle-là est très naturelle. 6 On comprend donc fort bien que la génération puisse venir des menstrues, et la raison le voit avec évidence. Les menstrues sont un sperme qui n'est pas tout à fait pur et qui a encore besoin d'élaboration ; comme on peut l'observer dans la production des fruits, lorsque la nourriture existe bien, mais n'est pas encore tout a fait filtrée et qu'elle a besoin d'être élaborée pour se purifier davantage, Aussi, se mêlant a la liqueur séminale, et celle-ci se mêlant à la nourriture épurée, l'une engendre, et l'autre nourrit. 7 Ce qui montre bien encore que les femmes n'émettent pas de sperme, c'est que, dans la copulation, elles éprouvent du plaisir à être touchées dans le même endroit où les hommes en éprouvent également, bien qu'il n'y ait pas alors une émission liquide. 8 II faut ajouter que cette sorte d'excrétion ne se produit pas chez toutes les femelles; (729a) mais seulement dans les espèces qui ont du sang, et pas même dans toutes ces espèces, mais seulement dans celles qui n'ont pas la matrice sous le diaphragme, et qui ne sont pas ovipares. Cette excrétion n'a pas lieu davantage chez les animaux qui sont prives de sang, et qui n'ont qu'un fluide analogue. Ce qui fait le sang chez certaines espèces d'animaux est chez ceux-là une tout autre combinaison. 9 C'est la sécheresse des corps qui fait qu'il n'y a pas d'évacuation purifiante chez ces animaux, non plus que chez ceux dont nous venons de parler, parmi les animaux qui ont du sang, je veux dire ceux qui ont la matrice en bas et qui ne sont pas ovipares. Cette sécheresse ne produit qu'une petite quantité d'excrétion ; elle n'en laisse que juste ce qu'il faut pour la génération, et pas assez pour en émettre au dehors, 10 Les animaux qui sont vivipares sans d'abord produire un œuf, et ces animaux sont l'homme et tous les quadrupèdes qui fléchissent en dedans les membres de derrière, et qui sont vivipares sans faire d'œuf préalablement, tous ces animaux-là ont la purgation mensuelle; il n'y a d'exception que s'ils sont infirmes dés leur naissance, comme le mulet. Néanmoins, dans toutes ces espèces, les évacuations ne se manifestent pas au dehors comme chez l'espère humaine. Du reste, on trouvera dans l'Histoire des Animaux des détails exacts sur cette fonction pour chaque espèce d'animal. 11 Ce sont les femmes qui, de tous les animaux, ont l'évacuation la plus abondante, de même que ce sont les hommes qui émettent le sperme en plus grande quantité, comparativement à leur dimension corporelle. Cela tient à la constitution de leur corps qui est à la fois humide et chaude ; car, c'est dans ces conditions que l'excrétion est nécessairement la plus considérable possible. De plus, ces animaux n'ont pas dans leur corps de parties pour lesquelles soit employée la sécrétion, comme cela a lieu chez bien d'autres; leur corps n'a pas de poils abondants, ni de très grandes sécrétions d'os, de cornes et de dents. 12 Ce qui pourrait prouver qu'il y a du sperme dans les menstrues, c'est que cette excrétion séminale, ainsi qu'on l'a dit plus haut, vient, chez les hommes, au même âge que les menstrues se montrent chez les femmes, comme si c'était, chez les uns et chez les autres, au même moment que se développent les lieux destinés à recevoir cette double excrétion. Dans les deux sexes, les lieux circonvoisins se dessèchent, et les poils chu pubis viennent à fleurir. 13 Quand ces lieux sont sur le point de se développer, ils se gonflent d'air. Cet effet se produit plus clairement chez les hommes, dans les testicules et aussi clans les mamelles; chez les femmes, c'est plutôt dans les mamelles; car dans la plupart d'entre elles, les mois font éruption quand les seins se soulèvent déjà de deux doigts. 14 Dans les êtres animés ou la femelle et le mâle ne sont pas séparés, le sperme est une sorte d'embryon; et j'entends par embryon le premier mélange qui ailleurs vient de la femelle et du mâle, parce que d'un seul sperme il ne vient qu'un seul corps, comme d'un seul grain une seule tige, comme d'un seul œuf (729b) un seul animal ; car les œufs doubles ne sont réellement que la réunion de deux œufs. Mais dans toutes les espèces où la femelle et le mâle sont séparés, il peut naître d'un seul sperme plusieurs animaux ; et la nature semble faire une grande différence pour le sperme entre les animaux et les plantes. Ce qui le prouve, c'est que, d'un seul et unique accouplement, peuvent venir plusieurs êtres dans les espèces qui peuvent produire plus d'un jeune à la fois. 15 C'est bien là encore une preuve nouvelle que la semence génératrice ne vient pas de tout le corps; car les deux sexes étant séparés, les éléments ne pourraient, ni venir, ni se détacher immédiatement de la même partie du corps, ni se réunir dans les matrices pour s'y séparer ensuite. Mais le phénomène se passe ici comme la raison peut le supposer. C'est le mâle qui apporte la forme et le principe du mouvement; la femelle apporte le corps et la matière, de même que, dans la coagulation du lait, c'est le lait qui est le corps, tandis que c'est le petit lait, la présure, qui a le principe coagulant. C'est là aussi la même action que produit ce que le mâle apporte, en se divisant, dans la femelle. 16 Nous étudierons ailleurs la cause qui fait qu'il y a, tantôt plusieurs produits, tantôt qu'il y en a un moindre nombre, et tantôt un seul. Mais le sperme n'ayant aucune différence spécifique, si la portion divisée est en rapport régulier et proportionnel avec la matière, c'est-à-dire, s'il n'y a, ni trop peu pour pouvoir la mûrir et la constituer, ni trop, de manière à la dessécher, alors il se forme plusieurs embryons. Mais, du premier composé, il ne sort qu'un animal unique, quand ce composé est unique aussi. 17 Ainsi donc, dans l'acte de la génération, la femelle n'apporte pas de liqueur séminale; mais cependant elle y apporte quelque chose, et c'est la composition des menstrues, ou ce qui y correspond dans les animaux qui n'ont pas de sang. 18 C'est ce qui doit être clair d'après ce que nous venons de dire ; mais cela n'est pas moins évident à ne considérer les choses qu'au point de vue général de la raison. Ainsi, il faut nécessairement un être qui engendre et un être de qui vient l'être engendré. Quand bien même les deux se réunissent dans un seul individu, les deux différent au moins spécifiquement, et leur notion essentielle est autre. La raison nous dit encore que, dans des êtres où les fonctions sont séparées, il faut bien que la nature de l'agent soit autre que celle du patient. Si donc le mâle peut être regardé comme le moteur et l'agent, et que la femelle soit en quelque sorte passive en tant que femelle, il s'ensuit que, dans la semence du mâle, la femelle apporte, non pas de la semence, mais de la matière. C'est bien là ce qui semble être exactement le fait; et la nature des menstrues joue en ceci le rôle de la matière première de l'embryon. [1,15] CHAPITRE XV. 1 Tenons-nous-en à l'explication qui vient d'être donnée, et qui nous indique en même temps ce que doit être la suite de cette étude, (730a) c'est-à-dire, quelle peut être la part du mâle dans la génération, et de quelle manière le sperme venant de lui est la cause de l'être qui est engendré. Le sperme est-il un élément intrinsèque de cet être, et une partie immédiate du corps qui se produit, en se mêlant à la matière qui se trouve dans la femelle? Ou bien le corps engendré n'emprunte-t-il rien du sperme, si ce n'est son action puissante et le mouvement qu'il provoque? C'est cette puissance en effet qui produit l'être ; et le composé qui se constitue et reçoit la forme n'est que le résidu de l'excrétion qui est dans la femelle. La raison semble ici être tout à fait d'accord avec les faits qu'on observe. 2 A considérer les choses en général, il ne paraît pas, en effet, quand un être unique vient à se produire par le concours d'un patient et d'un agent, que l'agent se retrouve intrinsèquement dans le produit, pas plus que cet être ne vient absolument du mobile et du moteur. Mais il est certain que la femelle, en tant que femelle, est passive, et que le mâle, en tant que mâle, est l'agent et le principe initial du mouvement. Que si on les considère l'un et l'autre dans leur sens extrême, où l'un est pris comme agent et moteur, et l'autre comme patient et mobile, ce qui sort des deux ne peut être un que comme de la main de l'ouvrier et du bois qu'il travaille, sort le lit; ou comme, de la cire et de la forme, sort une boule sphérique, 3 Il est donc évident qu'il n'est pas nécessaire que quelque chose vienne de l'agent, ou que, si quelque chose en vient, il n'est pas nécessaire que le produit qui en sort le contienne comme partie intégrante, au lieu d'en venir simplement comme du moteur et de la forme- C'est absolument encore comme le malade qui est guéri vient de l'art du médecin. Cette théorie que la raison admet se trouve confirmée par les faits. 4 C'est là ce qui fait que, dans quelques espèces où les mâles s'accouplent à des femelles, le mâle n'introduit aucun organe dans la femelle, mais que c'est au contraire la femelle qui en introduit un dans le mâle; tel est le cas qu'on observe chez quelques insectes. L'action que le sperme exerce dans la femelle chez les animaux qui émettent du sperme, est remplacé pour eux par la chaleur et la force qui est dans l'animal lui-même, la femelle introduisant dans le mâle l'organe qui peut recueillir l'excrétion. 5 De là vient que, dans ces animaux, l'accouplement dure longtemps; et qu'une fois séparés l'un de l'autre, la production a lieu très promptement. Ils restent accouplés jusqu'à ce qu'il se forme une action pareille à celle de la liqueur génératrice ; mais quand le mâle et la femelle se sont disjoints, le produit ne tarde pas à sortir. Ce produit est alors incomplet; car tous les animaux de ce genre ne produisent que des larves. 6 Mais ce sont les observations qu'on peut faire sur les oiseaux et sur les poissons ovipares qui prouvent de la manière la plus décisive que le sperme ne vient pas de toutes les parties du corps; (730b) que le mâle n'émet pas quelque matière qui soit une partie intégrante de l'embryon engendré; et que c'est uniquement par la force qui est dans la semence qu'il crée un être vivant, ainsi que nous venons de le dire pour les insectes, chez lesquels la femelle introduit quelque organe dans le mâle. 7 Si, par exemple, un oiseau qui a pondu des œufs clairs est coché de nouveau, avant que l'œuf n'ait pu changer à ce point que le jaune tout entier se soit converti en blanc, il fait des œufs féconds en place d'œufs clairs ; et si l'oiseau s'accouple quand le jaune existe encore, toute la couvée des jeunes reproduit le mâle qui a coché. Aussi, les gens qui tiennent à avoir de belles races d'oiseaux s'arrangent-ils pour confondre les premières copulations avec les dernières ; ce qui suppose que le sperme ne peut pas se mêler ni devenir partie intégrante, et qu'il ne provient pas non plus du corps entier; car si le sperme venait des deux parents, le poussin aurait alors deux fois les mêmes organes. 8 C'est donc justement par la force qui anime le sperme, qu'il transforme et modifie la matière et la nourriture qui est dans la femelle; car c'est la dernière intromission du sperme qui peut avoir cet effet, par la chaleur et la coction qu'elle détermine. L'œuf en effet prend de la nourriture tout le temps qu'il met à croître. 9 On peut faire encore des observations semblables sur les poissons, dans les espèces qui sont ovipares; car leur génération est la même. Quand la femelle a pondu les œufs, le mâle vient répandre sa laite; et ceux des œufs que la laite a pu toucher sont féconds, tandis que ceux qu'elle n'atteint pas restent stériles. Ceci prouve bien que, dans les animaux, le mâle ne contribue pas à la quantité, mais seulement à la qualité. 10 De tout ce qu'on vient de voir, on peut évidemment conclure que le sperme ne vient pas de toutes les parties du corps, dans les animaux qui émettent du sperme. On peut conclure en outre que la femelle ne concourt pas à la génération de la même manière que le mâle; le mâle donne le principe du mouvement, tandis que la femelle donne la matière, c'est justement pour cela que la femelle ne peut à elle seule engendrer quoi que ce soit; il lui faut absolument un principe extérieur et un être qui produise le mouvement et qui détermine l'espèce essentielle de l'être produit. [1,16] CHAPITRE XVI. 1 II y a des animaux, comme les oiseaux, par exemple, dans lesquels la Nature ne pousse la génération que jusqu'à un certain point; ils font des œufs; mais ces œufs sont imparfaits, et c'est ce qu'on appelle des œufs clairs. La production des petits futurs se fait bien alors dans la femelle; mais elle n'a pas lieu dans le mâle. Le mâle n'émet pas de semence non plus que n'en émet la femelle; mais tous deux concourent à réunir dans la femelle ce qui doit provenir d'eux, (731a) parce que c'est dans la femelle que se trouve la matière de laquelle doit sortir l'être constitué par les deux parents. Il faut que tout d'abord cette matière y soit assez abondante pour organiser primitivement le produit qui est conçu, et pour qu'ensuite vienne successivement la matière qui doit servira la croissance du produit. Par conséquent, c'est nécessairement dans la femelle que se trouve la parturition. 2 C'est absolument le même rapport que celui de l'ouvrier au bois qu'il travaille, de la terre glaise au potier qui l'emploie; et d'une manière générale, c'est le rapport de toute fabrication et de tout mouvement définitif à la matière employée; c'est le même rapport que celui de la construction aux choses construites. 3 C'est en raisonnant d'après ces données que l'on peut comprendre quelle est la part du mâle dans l'acte de la génération. Ainsi, tout mâle n'émet pas de sperme; et quand les mâles en émettent, le sperme n'est pas une partie de l'embryon qui est produit, pas plus qu'il ne vient de l'ouvrier quoi que ce soit de la matière des bois façonnés par lui ; il ne se trouve pas dans l'œuvre produite la moindre partie de l'art de l'ouvrier, si ce n'est la forme et l'idée, réalisées par le mouvement qu'il détermine dans la matière. 4 Or, c'est dans l'âme que se trouve l'idée et la science, qui impriment aux mains, ou à telle autre partie du corps, un mouvement d'une certaine espèce, différent quand le résultat produit est différent, le même quand le résultat est le même. Les mains font mouvoir les instruments, et les instruments meuvent la matière, c'est là aussi ce que fait la Nature, chez les animaux qui émettent du sperme; elle se sert de ce sperme comme d'un instrument qui possède le mouvement en acte, de même que, dans les produits de l'art, ce sont les instruments qui sont mis en mouvement, parce que c'est dans les instruments qu'est, ou peut dire, le mouvement de l'art. 5 Ainsi, dans toutes les espèces qui émettent du sperme, c'est de cette façon que le sperme contribue à la génération. Dans les espèces qui n'émettent pas de sperme, et où c'est la femelle qui dépose dans le mâle quelques éléments venus d'elle, la femelle agit à peu près comme quelqu'un qui apporterait la matière à l'artiste qui doit la façonner. A cause de la faiblesse de ces mâles, la Nature ne petit rien faire par des intermédiaires ; et c'est à peine si, en intervenant directement elle-même, les mouvements nécessaires qu'elle provoque ont la force suffisante; elle agit alors à peu près comme les artistes qui ne travaillent qu'avec leur main, au lieu de travailler avec les outils ordinaires. Elle ne se sert pas de l'intervention d'un intermédiaire pour obtenir le produit qu'elle forme; mais elle s'y met. elle-même avec ses propres organes. [1,17] CHAPITRE XVII. 1 Dans tous les animaux qui se meuvent, la femelle est séparée du mâle; l'un et l'autre sont individuellement des animaux différents; mais l'espèce est la même pour les deux, comme elle l'est, ainsi qu'on peut le voir, chez l'homme ou chez le cheval. (731b) Mais dans les plantes, ces deux puissances sont réunies, et la femelle n'est pas séparée du mâle. Aussi, les plantes se reproduisent-elles d'elles-mêmes ; elles n'émettent pas de liqueur génératrice ; mais elles ont la production qu'on appelle leur semence. 2 On ne peut donc qu'approuver Empédocle, quand il dit dans ses vers: " Tels les grands oliviers ont dû pondre leurs œufs. » car l'œuf n'est qu'un germe, et c'est d'une de ses parties que naît l'animal; le reste ne sert qu'à le nourrir; de même, le végétal vient d'une partie de la semence, et le reste devient la nourriture de la tige et de la première racine. 3 II en est bien à peu près de même dans les espèces d'animaux où la femelle et le mâle sont séparés au moment où la génération doit précisément se produire, il y a quelque chose qui n'est pas plus divisé que ne le sont les plantes, et la nature veut que les deux individus en deviennent un seul. On peut vérifier, en regardant à l'union et à l'accouplement des êtres, que c'est un seul et unique animal qui provient des deux à la fois. 4 Les animaux qui n'émettent pas de sperme, tantôt restent accouplés pendant un temps fort long, jusqu'à ce que le germe à produire soit constitué ; et c'est ce qui se passe chez les insectes qui s'accouplent. Tantôt ils demeurent accouplés, jusqu'à ce qu'ils aient projeté et introduit quelqu'une de leurs parties extérieures, qui, pour constituer le germe, a besoin de plus de temps qu'il n'en faut aux animaux qui ont du sang. Tantôt enfin, ils restent accouplés une partie du jour, et la conception ne s'achève ensuite qu'en plusieurs autres jours. Quand ils ont émis leur liqueur, ils se quittent. 5 On pourrait assez grossièrement se figurer que les animaux sont divisibles autant que des plantes, comme si, lorsque les plantes ont produit leur semence, on les désunissait, en isolant la femelle et le mâle qu'elles contiennent. La Nature a du reste bien sagement disposé tout cela, l'organisation des végétaux n'a pas d'autre objet ni d'autre action que de produire la semence; et comme cette production ne peut avoir lieu que par l'accouplement de la femelle et du mâle, la Nature a eu soin de les mêler et de les unir l'un à l'autre dans les plantes. Aussi, voilà comment dans les plantes la femelle et le mâle ne sont pas séparés. 6 Mais nous avons étudié les plantes dans d'autres ouvrages. Quant à l'animal, il n'est pas chargé seulement de se reproduire, ce qui est une fonction commune à tout ce qui vit; mais, en outre, tous les animaux ont une certaine faculté de connaître; les uns l'ont plus; les autres l'ont moins; et quelques-uns même l'ont très peu. Cela vient de ce qu'ils sont doués de sensibilité, et que la sensation est déjà à un certain degré une connaissance. 7 On trouve de grandes différences entre le degré supérieur et le degré infime de cette connaissance, quand on considère la pensée dans quelques êtres et qu'on les compare à la classe des êtres inanimés. Rapprochés (732a) de la pensée, la faculté du toucher et le sens du goût, auxquels d'autres êtres participent, ne semblent vraiment rien ; mais comparés à l'insensibilité absolue de la plante et du minéral, c'est une chose merveilleuse. Il peut même sembler préférable de jouir de cette connaissance, tout imparfaite qu'elle est, plutôt que d'être mort ou d'être un néant. 8 C'est par la sensibilité que l'animal se distingue des êtres qui ne font que vivre. Comme il faut nécessairement que tout ce qui est animal ait aussi la vie, du moment que l'animal doit accomplir la fonction spéciale d'un être vivant, il s'accouple, il s'unit, et il devient alors une espèce de plante, ainsi que nous l'avons déjà dit. 9 Les testacés, qui occupent une place intermédiaire entre les plantes et qui tiennent à ces deux classes, ne remplissent les fonctions, ni de l'une, ni de l'autre. En tant que plante, ils n'ont ni femelle ni mâle, et ils n'engendrent pas dans un autre être ; en tant qu'animal, ils ne portent pas d'eux-mêmes un fruit, comme en portent les plantes; mais ils se constituent et se reproduisent par une combinaison terreuse et humide. Nous aurons du reste à parler plus tard de leur génération.