[0] LA GUERRE D'HANNIBAL [1] CHAPITRE I. Ce qu'Hannibal le Carthaginois a fait et ce qu'il a subi de la part des Romains pendant les seize années durant lesquelles il fit la guerre contre eux; de sa première marche de l'Espagne jusqu'en Italie jusqu'à ce qu'il soit rappelé par les Carthaginois (leur propre ville étant en danger), et son expulsion d'Italie par les Romains, voilà le sujet de ce livre. Les vraies raisons de l'invasion d'Hannibal et le prétexte officiel, je les ai montrés très clairement dans mon histoire espagnole; cependant je vais ici en faire le résumé. [2] Hamilcar, surnommé Barca, le père de cet Hannibal, commandait les forces carthaginoises en Sicile quand elles faisaient face aux Romains pour la possession de cette île. Poursuivi par ses ennemis pour mauvaise administration et craignant d'être condamné, il parvint à se faire élire général contre Numance avant d'avoir rendu ses comptes. Comme il s'était montré utile dans cette guerre et qu'il s'était acquis la faveur de l'armée par le butin et les largesses, il passa par les détroits en Espagne et attaqua Gadès sans autorisation de Carthage. De là il envoya beaucoup de butin à Carthage afin de gagner la faveur de la foule pour écarter autant que possible la défaveur causée par son commandement en Sicile. Après avoir gagné beaucoup de territoire et une immense gloire il donna aux Carthaginois le désir de posséder l'entièreté de l'Espagne et il les persuada que ce serait une entreprise facile. A ce moment les habitants de Sagonte et d'autres Grecs qui habitaient en Espagne eurent recours aux Romains, et on fixa une frontière aux possessions carthaginoises dans ce pays, : ne pas traverser le fleuve Iberus (Èbre), et un traité à cet effet fut conclu entre Romains et Carthaginois. Après ce traité, Hamilcar, alors qu'il organisait l'Espagne carthaginoise, fut tué au combat, et Hasdrubal, son fils, le remplaça comme général. Ce dernier au cours d'une partie de chasse fut tué par un esclave dont il avait mis le maître à mort. [3] Après eux, ce fut Hannibal qui fut choisi par l'armée comme troisième commandant en Espagne parce qu'il paraissait avoir de grandes aptitudes et avait des penchants pour la guerre. Il était le fils d'Hamilcar et le frère de l'épouse d'Hasdrubal. C'était un très jeune homme dont les premières années s'étaient passées en compagnie de son père et de son beau-frère. Les habitants de Carthage entérinèrent son élection comme général. C'est ainsi qu'Hannibal, dont je vais écrire l'histoire, devint le commandant des Carthaginois contre les Espagnols. Les ennemis d'Hamilcar et d'Hasdrubal à Carthage continuèrent à persécuter les amis de ces derniers, dédaignant Hannibal à cause de sa jeunesse. Ce dernier, croyant que cette persécution était le commencement d'une offensive contre lui et qu'il pourrait assurer sa propre sécurité en faisant peur à son pays, imagina de l'impliquer dans une grande guerre. Il supposait (et ce fut ce qui arriva) qu'une guerre entre Romains et Carthaginois, une fois commencée, durerait longtemps, et que cette entreprise lui apporterait une grande gloire, même s'il échouait (on disait également que son père lui avait fait jurer sur l'autel, alors qu'il était encore enfant, d'être l'ennemi éternel de Rome); c'est pourquoi il résolut de traverser l'Èbre en violation du traité. Comme prétexte, il poussa certaines personnes à accuser les habitants de Sagonte. Il envoya sans arrêts des rapports à ce sujet à Carthage, et, en accusant les Romains d'inciter secrètement les Espagnols à se révolter, il obtint la permission de Carthage de prendre les mesures qu'il jugeait nécessaires. Alors il traversa l'Èbre et détruisit la ville de Sagonte ainsi que ses habitants. C'est de cette façon que fut rompu le traité conclu entre Romains et Carthaginois après la guerre de Sicile. [4] Ce qu'a fait Hannibal lui-même et ce que les autres généraux carthaginois et romains ont fait ensuite en Espagne, je l'ai rapporté dans l'histoire espagnole. Hannibal, ayant enrôlé chez les Celtibères, les Libyens et d'autres peuples le plus d'hommes possible et ayant remis les affaires d'Ibérie à son frère Hasdrubal, passa par les monts Pyrénées dans la Celtique appelée aujourd'hui Galatie. Il emmenait avec lui 90,000 fantassins, 12,000 chevaux environ et trente-sept éléphants. Des Galates (Gaulois) il achète les uns, use envers les autres de persuasion ou de violence et peut ainsi faire route par leur pays. Arrivé aux monts Alpes, comme il ne trouve aucune route pour passer à travers ou par-dessus ces montagnes fortement escarpées, il entre, il avance à force d'audace, bravant les fatigues. Il y avait d'énormes couches de neige et de glace ; il fait abattre et brûler une forêt, et, après avoir éteint le brasier immense avec de l'eau et du vinaigre, la roche ainsi rendue friable, il la brise avec des marteaux de fer et s'y ouvre une route. Ce chemin frayé dans les montagnes existe encore aujourd'hui et s'appelle le Passage d'Hannibal. Puis, comme les vivres faisaient défaut, il se hâte, et l'on ignorait encore sa marche que, déjà, il approchait de l'Italie. Ainsi à peine six mois après son départ de l'Ibérie, ayant fait, il est vrai, de grandes pertes, il descend des monts dans la plaine. [5] CHAPITRE II. Après avoir pris un peu de repos; il attaque Taurasie, ville celtique, et, l'ayant emportée de vive force, il fait égorger les prisonniers pour frapper de terreur le reste de la Celtique. Arrivé au fleuve de l'Éridan, appelé aujourd'hui le Pô, dans la contrée où les Romains faisaient la guerre aux Celtes surnommés Boïens, il y campa. Le consul des Romains Publius Cornelius Scipion qui faisait la guerre aux Carthaginois en Ibérie, instruit de l'irruption d'Hannibal en Italie, laisse, lui aussi, son frère Cnæus Cornelius Scipion aux affaires d'Ibérie et fait voile vers la Tyrrhènie. Puis il repart, et, rassemblant autant qu'il peut d'alliés, il devance Hannibal sur le Pô. Mallius et Atilius qui faisaient la guerre aux Boïens sont renvoyés à Rome n'ayant plus d'armée à commander là où se trouvait un consul. Quant à lui, prenant leurs troupes, il les range en bataille contre Hannibal. Dans une escarmouche et un combat de cavalerie, les Romains cernés par les Libyens s'enfuirent vers leur camp, et, la nuit venue, se retirèrent à Plaisance qui était bien fortifiée, ayant passé le Pô sur des ponts qu'ils avaient ensuite rompus. [6] Mais Hannibal passa le fleuve de la même façon. Ce coup de main, le premier ou le second depuis le passage des monts Alpes, grandit Hannibal aux yeux des Celtes par-delà : « c'était un général invincible, dans tout l'éclat de sa fortune. » Et lui, ayant affaire à des barbares qu'il étonnait, et qui, pour ces deux raisons, étaient faciles à tromper, changeait de vêtement et de chevelure en vue des plans qu'il dressait continuellement; et les Celtes qui le voyaient aller et venir parmi leurs peuplades, tantôt vieux, tantôt jeune ou grisonnant, et passant continuellement d'une de ces figures à l'autre, en étaient émerveillés et le croyaient d'une essence plus divine. Sempronius, l'autre consul était alors en Sicile ; instruit de ce qui se passe, il vient par mer trouver Scipion et campe à quarante stades de son collègue. Le jour suivant, ils devaient tous aller au combat. Entre eux, il y avait une rivière, la Trébie. Les Romains la passèrent avant l'aurore par un temps d'hiver pluvieux et froid, ayant de l'eau jusqu'aux mamelles. Hannibal fit reposer son armée jusqu'à la deuxième heure, et alors il la mena à l'ennemi. [7] L'ordonnance fut telle pour chacun des deux consuls ---. Leur cavalerie occupa les ailes autour du corps de bataille formé de l'infanterie. Hannibal à la cavalerie ennemie opposa ses éléphants, son infanterie aux légions. Quant à ses cavaliers, il leur ordonna de se tenir sans bouger derrière les éléphants en attendant un signal de lui. Lorsqu'on en fut venu aux mains partout, les chevaux des Romains, en face des éléphants, ne pouvant en supporter ni la vue ni l'odeur, s'enfuirent. Les fantassins, bien qu'exténués par le froid, la traversée du fleuve, le manque de sommeil et tout transis, s'élancèrent bravement contre les bêtes; ils les blessent, coupent à quelques-uns les nerfs {des jambes} et font déjà plier l'infanterie. Hannibal qui s'en aperçoit donne à sa cavalerie le signal d'envelopper l'ennemi. Celle des Romains venait de se débander devant les bêtes : leurs gens de pied restaient seuls, bien maltraités, redoutant d'être enveloppés. Ils s'enfuient de toutes parts vers les camps. Les uns périrent sous les coups des cavaliers qui atteignirent vite ces malheureux à pied, les autres, dans le fleuve qui les emporta. Car le soleil ayant fondu la neige, le fleuve coulait à pleins bords, et les fuyards ne pouvaient ni prendre pied à cause de sa profondeur, ni nager à cause de leurs armes. Scipion, qui les suivait en les exhortant, fut blessé; et peu s'en fallut qu'il ne fût tué. À grande peine on le sauva, en l'emportant à Crémone. Plaisance avait un petit port marchand : Hannibal, qui l'attaqua, y perdit 400 hommes et fut lui-même blessé. Ensuite, ils prirent tous leurs quartiers d'hiver, Scipion à Crémone et à Plaisance, Hannibal sur les bords du Pô. [8] Les Romains qui étaient dans la ville, à la nouvelle de cet échec, le troisième qu'ils subissaient sur le Pô, - ils avaient été défaits par les Boïens avant de l'être par Hannibal, - enrôlèrent chez eux une autre armée comprenant, avec les troupes du Pô, treize légions, et ils en demandèrent le double à leurs alliés. Or, la légion à cette époque était de 5,000 hommes, de pied et de 300 chevaux. De ces troupes, les unes furent envoyées en Ibérie, les autres en Sardone (Sardaigne) où l'on faisait aussi la guerre; d'autres enfin en Sicélie (Sicile). Mais la majeure partie fut menée contre Hannibal par les consuls élus à la place de Scipion et de Sempronius. C'étaient Servilius Cnæus et Caïus Flaminius. Servilius courut vers le Pô pour recevoir le commandement des mains de Scipion. Scipion, élu proconsul, fit voile vers l'Ibérie. Flaminius, avec 30,000 fantassins et 3,000 cavaliers, garda l'Italie en deçà des monts Apennins, la seule qu'on puisse appeler proprement l'Italie. Car les Apennins courent du milieu des Alpes jusqu'à la mer : tout ce qui est à droite est purement l'Italie ; ce qui est de l'autre côté, tirant vers la mer Ionienne, est à présent aussi l'Italie; la Tyrrhènie aujourd'hui est même de l'Italie. Une partie de ces contrées est habitée par les Hellènes, le long du rivage ionien ; le reste l'est par les Celtes, par qui Rome fut une première fois attaquée et brûlée. Ces Celtes, chassés par Camille et poursuivis par lui jusqu'aux monts Apennins, ayant, je crois, passé ces montagnes, au lieu de retourner dans leurs demeures propres, s'établirent le long du {golfe} ionien. Aussi appelle-t-on encore aujourd'hui cette partie du pays Italie galatique (gauloise). [9] Ainsi dans ces circonstances les Romains divisèrent leurs grandes armées pour s'engager dans de nombreuses campagnes militaires. Hannibal, apprenant cela, s'avança secrètement au début du printemps, ravagea l'Étrurie et se dirigea vers Rome. Les citoyens furent remplis de terreur à l'annonce de son approche, parce qu'ils n'avaient alors aucun moyen de le combattre. Néanmoins 8000 de ceux qui restaient furent rassemblés, ayant à leur tête Centenius, un patricien, simple citoyen, nommé commandant, vu qu'il n'y avait pas d'autre magistrat, et furent envoyés en l'Ombrie vers le lac de Plestine pour occuper les défilés où se trouvait le chemin le plus court pour se rendre à Rome. A ce moment Flaminius, qui protégeait l'intérieur de l'Italie avec 30.000 hommes, se rendant compte de la rapidité des mouvements d'Hannibal, changea à la hâte de position, sans laisser à son armée le moindre repos. Craignant pour la sécurité de la ville et dépourvu d'expérience militaire (il avait été élu par démagogie), il s'empressa d'attaquer Hannibal. [10] Ce dernier, connaissant son imprudence et son inexpérience, s'avança et prit position derrière une montagne et un lac {Trasimène} devant lui, cachant ses troupes légères et sa cavalerie dans un ravin. Flaminius, voyant le camp de l'ennemi tôt le matin, s'arrêta et laissa ses hommes se reposer de leur marche forcée et monter leur camp. Après quoi il les mena directement au combat, bien qu'ils fussent encore fatigués de leur courte nuit et de leur dur travail. Pris entre la montagne, le lac et l'ennemi (ceux qui étaient en embuscade sortirent soudainement de partout), il perdit la vie et 20.000 hommes furent massacrés avec lui. Les 10.000 survivants s'échappèrent vers à un village fortifié par la nature. Maharbal, le lieutenant d'Hannibal, qui jouissait lui-même d'une très grande renommée acquise dans la guerre, ne pouvant pas les prendre facilement et pensant qu'il n'était pas prudent de combattre contre des hommes sans espoir, les persuada de déposer les armes, en leur disant qu'ils pourraient aller librement là où ils le voulaient. Et comme ils se conformaient à cet accord il les emmena désarmés à Hannibal. Ce dernier, déclarant que Maharbal n'avait pas l'autorité de faire un tel accord sans son consentement, néanmoins traita les alliés des romains avec bonté et les renvoya chez eux sans rançon, afin de se concilier leurs villes. Il garda tous les Romains comme prisonniers. Il donna le butin au Gaulois qui servaient avec lui, afin de se les attacher par espoir du gain, et puis repartit en avant. Quand ces nouvelles arrivèrent à Servilius dans la région du Pô, il marcha vers l'Étrurie avec 40.000 hommes. Centenius, avec ses 8000 hommes, occupait déjà occupé les défilés dont j'ai parlé plus haut. [11] Quand Hannibal vit le lac de Plestine, la montagne le surplombant, et Centenius au milieu gardant le passage, il s'enquit des guides s'il y avait moyen de contourner. Comme on lui disait qu'il n'y avait aucun chemin mais que la région entière était escarpée et abrupte, il envoya néanmoins un corps des troupes légères, sous le commandement de Maharbal, pour explorer la zone et contourner la montagne de nuit. Quand il jugea qu'ils avaient atteint leur destination il attaqua Centenius de front. Alors que le combat battait son plein, on vit de loin Maharbal descendre énergiquement du sommet en poussant des cris. Les Romains encerclés s'enfuirent et il y eut un grand carnage, 3000 furent tués et 800 faits prisonniers. Le reste s'échappa péniblement. Quand ces nouvelles furent connues en ville, on craignit qu'Hannibal ne marche sur elle immédiatement. Ils entassèrent des pierres sur les murs et on donna des armes aux vieillards. Manquant d'armes, ils prirent celles qui se trouvaient dans les temples, qui y avaient été accrochées comme trophées d'anciennes guerres, et, comme c'était l'usage en temps de grand danger, ils élirent un dictateur, Fabius Maximus. [12] CHAPITRE III. Mais Hannibal détourné par providence divine partit vers l'Adriatique, où il ravagea le littoral et recueillit un vaste butin. Le consul Servilius, marchant parallèlement à lui, arriva à Ariminum : il n'était qu'à une journée de marche d'Hannibal. Il restait là afin d'encourager les Gaulois qui étaient encore alliés de Rome. Quand le dictateur Fabius Maximus arriva, il envoya à Rome Servilius, qui ne pouvait plus être ni consul ni général après la nomination d'un dictateur. Fabius suivit Hannibal de près, mais n'engagea pas le combat avec lui, bien que souvent provoqué. Il surveillait soigneusement les mouvements de son ennemi et maintenait la pression sur lui pour l'empêcher d'assiéger des villes. Comme le pays était entièrement ruiné Hannibal commença à manquer de vivres. Alors il le traversa de nouveau, rangeant son armée en ordre de bataille chaque jour et provoquant Fabius. Fabius refusait le combat, bien que son maître de cavalerie Minucius Rufus, désapprouvât sa politique. Il écrivit à ses amis à Rome que Fabius refusait de se battre par poltronnerie. Comme Fabius devait rentrer à Rome pour faire des sacrifices, le commandement de l'armée revint à Minucius et il engagea le combat contre Hannibal. Pensant qu'il allait l'emporter, il se montra plus audacieux et écrivit au sénat en accusant Fabius de ne pas vouloir la victoire ; et le sénat, quand Fabius était revenu au camp, vota un décret disant que son maître de cavalerie partagerait le commandement avec lui. [13] En conséquence on divisa l'armée et ils campèrent l'un près de l'autre ; chacun gardait son propre avis : Fabius cherchant à épuiser Hannibal en temporisant et en essayant de ne recevoir aucun dommage de lui, alors que Minucius voulait absolument un combat décisif. Peu après Minucius engagea le combat, et Fabius surveillant pour voir ce qui se produirait, tenait sa propre armée disponible en ordre de bataille. De cette façon il put recevoir Minucius quand il fut battu, et repousser les hommes d'Hannibal dans leur poursuite. Ainsi Fabius empêcha Minucius de subir un grand désastre, sans éprouver aucune colère pour sa calomnie. Alors Minucius, reconnaissant son manque d'expérience, abandonna le commandement et livra sa partie d'armée à Fabius, qui avait comme principe qu'un capitaine habile ne combat qu'une fois quand c'est nécessaire. Cette maxime, plus tard, fut souvent celle d'Auguste, qui n'était jamais pressé de combattre et préférait gagner par stratégie plutôt que par bravoure. Fabius continua à observer Hannibal comme avant et l'empêcha de ravager le pays, n'engageant jamais le combat contre son armée entière mais harcelant uniquement les traînards, sachant parfaitement qu'Hannibal serait bientôt à court de vivres. [14] Ils approchaient alors d'un étroit défilé qu'Hannibal ne connaissait pas. Fabius envoya en avant 4000 hommes pour l'occuper, gardant le reste de ses forces à l'autre extrémité où il installa son camp sur une colline fortifié. Quand Hannibal découvrit qu'il était pris entre Fabius et le défilé gardé, il fut plus alarmé qu'il le l'avait jamais été auparavant, parce que il n'y avait aucun moyen de sortir, car tout la zone avoisinante était escarpée et abrupte. Il ne pouvait espérer surmonter Fabius ou ceux qui défendaient le passage, à cause des difficultés du terrain. Dans cette situation désespérée il fit mettre à mort ses 5000 prisonniers pour ne pas devoir ajouter un nouveau tumulte dans cette situation périlleuse. Alors il attacha des torches aux cornes de tout le bétail qui se trouvait dans le camp (et il y en avait beaucoup), et quand la nuit fut venue, il alluma les torches, éteignit tous les autres feux du camp et recommanda le silence le plus strict. Alors il commanda aux plus courageux de ses jeunes soldats de conduire le bétail vers les hauteurs en direction des endroits rocailleux situés entre Fabius et le défilé. Les vaches poussée par leurs conducteurs et brûlées par les torches, foncèrent furieusement vers le haut de la montagne, et si l'une d'entre elles tombait elle se relevait et repartait de nouveau. [15] les Romains de chaque côté remarquèrent le silence et l'obscurité dans le camp de Hannibal ainsi que les nombreuses lumières mouvantes du côté de la montagne. Ils ne savaient pas exactement ce qu'ils se passait dehors, parce que c'était la nuit. Fabius soupçonna que c'était un stratagème d'Hannibal, mais n'en étant pas sûr il demeura avec son armée dans ses positions à cause de l'obscurité. Mais ceux qui tenaient les défilés imaginèrent, comme Hannibal le souhaitait, que dans sa situation désespérée il essayait de s'échapper en escaladant les falaises. Aussi ils s'empressèrent de se rendre vers l'endroit où ils voyaient des lumières, afin de surprendre Hannibal en difficultés. Ce dernier, quand il vit les défilés abandonnés, s'avança avec un détachement rapide, dans un silence absolu et sans lumières, afin de cacher son mouvement. Après s'être emparé des défilés et renforcé sa position il fit sonner la trompette, et l'armée dans le camp lui répondit par des cris et aussitôt ralluma les feux. Alors les Romains virent qu'ils avaient été trompés. Le reste de l'armée et de ceux qui conduisaient le bétail s'avança dans le défilé sans crainte, et quand il furent tous rassemblés il s'avança. C'est ainsi qu'Hannibal réussit au delà de tous espoir et sauva son armée du danger. De là il avança vers Geronia, une ville d'Apulie, qui regorgeait de vivres. Il prit la ville et y installa ses quartiers d'hiver dans l'abondance. [16] Fabius, poursuivant la même tectique qu'auparavant, le suivit et installa son camp à dix stades de Geronia, le fleuve Aufide les séparant. Les six mois qui limitaient la charge des dictateurs chez les Romains se terminaient alors, et les consuls Servilius et Atilius reprirent leurs fonctions, vinrent au camp et Fabius revint à Rome. Pendant l'hiver des escarmouches fréquentes se produisirent entre Hannibal et les Romains : lors de celles-ci ce sont ces derniers qui généralement avaient le dessus et étaient les meilleurs. Hannibal jusque là écrivait toujours aux Carthaginois en exagérant la situation, mais à ce moment, ayant perdu beaucoup d'hommes et voulant des renforts, il leur demanda de lui envoyer des soldats et de l'argent. Mais ses ennemis, qui raillaient tous ce qu'il faisait, répondirent qu'ils ne parvenaient pas à comprendre comment Hannibal pouvait demander l'aide alors qu'il disait qu'il remportait des victoires, puisque les généraux victorieux ne demandaient pas d'argent mais en envoyaient chez eux à leurs propres concitoyens. Les Carthaginois ne donnèrent pas suite à ses demandes et n'envoyèrent ni soldats ni argent. Hannibal, déplorant cette politique à court terme, écrivit à son frère Hasdrubal en Espagne, lui demandant de faire une incursion en Italie au début de l'été avec tous les hommes et l'argent qu'il pourrait trouver, et de ravager l'autre extrémité pour que tout le pays soit entièrement dévasté et que les Romains s'épuisent pris en tenaille. [17] Telle était la situation d'Hannibal. Les Romains, affligés par l'importance des défaites de Flaminius et de Centenius, considéraient qu'une telle succession de désastres étonnants était indigne de leur dignité, et ne pouvant tolérer une guerre dans leur propre territoire. Aussi, furieux contre Hannibal, ils levèrent quatre nouvelles légions dans la ville pour s'opposer à lui, et demandèrent aux forces alliées de tous se réunir en Apulie. Comme consuls ils élirent Lucius Æmilius, qui avait acquis une gloire militaire dans la guerre contre les Illyriens, et Terentius Varro, un démagogue qui avait gagné la faveur populaire par les promesses fallacieuses habituelles. Au moment d'envoyer les consuls à l'extérieur, ils leur demandèrent de décider de la guerre par un seul combat et de ne pas épuiser la ville par des alternoiements, par des conscriptions, par des impôts, par la faim et l'abandon des terres dus à la dévastation des champs. Les consuls en prenant le commandement de l'armée en Apulie possédaient en tout 70.000 fantassins et 6000 cavaliers Ils posèrent leur camp près d'un village appelé Cannes. Le camp d'Hannibal était en face. Hannibal, qui était toujours prêt au combat et qui ne supportait pas l'oisiveté, alors moins que jamais parce qu'il était préoccupé de manquer de vivres, raison pour laquelle il recherchait sans arrêt le combat. Il craignait également que ses mercenaires ne l'abandonnassent, car ils n'avaient pas reçu leur salaire, ou de se disperser à travers le pays à la recherche de nourriture. C'est pourquoi il provoquait l'ennemi au combat. [18] Les avis des consuls étaient divergents : Æmilius pensait qu'il valait mieux tarder pour épuiser Hannibal (il ne pourrait pas résister longtemps à cause du manque de vivres,) plutôt que d'engager le combat avec un général si habile dans la guerre et une armée tellement accoutumée à la victoire. Mais Varron, en démagogue qu'il était, rappela à son collègue ce que le peuple leur avait demandé à leur départ et qu'ils devraient trouver une solution rapide par une bataille décisive. Servilius, le consul de l'année précédente, qui était encore présent, fut le seul à soutenir l'avis d'Æmilius. Tous les sénateurs et ceux qu'on appelle chevaliers qui avaient un commandement dans l'armée étaient d'accord avec Varro. Tandis qu'ils se disputaient toujours, Hannibal attaqua quelques détachements de ceux qui rassemblaient du bois et du fourrage, et il feignit d'être battu, et vers la dernière veille il mit en mouvement une partie de son armée comme s'il levait le camp. Varro, voyant cela, fit sortir l'armée avec l'idée de poursuivre Hannibal dans sa fuite. Æmilius alors lui interdit de bouger, et comme Varro ne lui, obéissait pas il consulta seul les présages, selon la coutume romaine, et envoya un mot à Varro, qui commençait à marcher, disant que le jour était néfaste. Ce dernier fit demi-tour, ne voulant pas négliger le présage, mais il s'arracha les cheveux devant l'armée entière, et il s'indigna que la victoire lui avait été enlevée par la jalousie de son collègue ; et la foule entière partagea sa colère. [19] CHAPITRE IV. Comme son projet avait échoué, Hannibal rentra immédiatement dans son camp, prouvant par là que sa retraite était une feinte. Mais cela ne fut pas suffisant pour que Varron comprenne qu'il devait suspecter chaque mouvement d'Hannibal. Il se hâta en armes vers le praetorium et se plaignit en présence des sénateurs, des centurions et des tribuns qu'Æmilius avait pris prétexte du présage pour enlever une victoire certaine à la ville, soit qu'il hésitât par poltronnerie soit qu'il fût jaloux de lui. Comme il s'énervait de colère, les soldats qui étaient autour de la tente l'écoutèrent et s'associèrent à la condamnation d'Æmilius. Ce dernier néanmoins continua à leur donner de bons conseils, mais en vain. Comme tous autres, à part Servilius, étaient d'accord avec Varron, il donna son accord, et le jour suivant il fit mettre lui-même l'armée en ordre de bataille sous son propre commandant, parce que Varron lui avait cédé le sien. Hannibal vit le mouvement mais il ne sortit pas de son camp parce qu'il n'était pas tout à fait prêt pour la combat. Le jour suivant les deux armées descendirent dans la plaine. Les Romains étaient rangés en trois lignes avec un petit intervalle entre elles; chaque ligne avait son infanterie au centre, les troupes légères et la cavalerie sur les ailes. Æmilius commandait le centre, Servilius la gauche et Varron la droite. Chacun avait mille cavaliers d'élites pour porter secours partout où la nécessité se ferait sentir. Telle était la formation de l'armée romaine. [20] Hannibal avait observé précédemment qu'un vent d'est d'orage commençait à souffler dans cette région habituellement vers midi. Aussi il occupa le terrain où il aurait le vent dans le dos. Ensuite sur une colline boisée creusée par des ravins il plaça sa cavalerie et ses troupes légères pour dresser une embuscade : il leur donna l'ordre, lorsque la bataille serait entamée et que le vent se serait levé, de tomber sur les arrières de l'ennemi. En plus il plaça 500 Celtibères, qui en plus de leurs longues épées à leurs ceintures avaient de courts poignards sous leurs vêtements. Ceux-ci ne devaient pas bouger tant qu'il ne leur aurait pas donné lui-même le signal. Il divisa l'ensemble de son armée en trois lignes de bataille et plaça sa cavalerie sur les ailes à de longues distances afin de déborder si possible l'ennemi. Il donna le commandement de l'aile droite à son frère Magon et celle de l'aile gauche à son neveu Hannon, gardant pour lui le centre à cause de la réputation de militaire expérimenté d'Æmilius. Il avait 2000 cavaliers d'élite et Maharbal en avait 1000, à qui il avait commandé de rester dans les environs et de venir en aide là où une partie de l'armée serait en difficultés. Tout en faisant ces préparatifs, il fit traîner le temps jusqu'environ la deuxième heure afin que le vent lui vienne en aide plus tôt. [21] Quand tout fut prêt de chaque côté, les commandants passèrent à travers les rangs pour encourager leurs soldats. On recommanda instamment aux Romains de se rappeler leurs parents, leurs épouses et leurs enfants, et de faire oublier le déshonneur d'anciennes défaites. On leur dit que cette bataille était l'ultime espoir de sécurité. Hannibal rappela à ses hommes leurs anciens exploits et leur précédentes victoires sur ces mêmes ennemis, et il dit qu'il serait honteux d'être vaincus maintenant par des vaincus. Quand les trompettes retentirent, les fantassins poussèrent un cri. Alors les archers, les frondeurs et les troupes légères s'avancèrent et engagèrent le combat. Ensuite ce fut le tour des légions. Ce fut alors un grand carnage et une grande mêlée, chaque côté combattant avec vaillance. A ce moment Hannibal donna le signal à sa cavalerie d'envelopper les ailes de l'ennemi. La cavalerie romaine, bien qu'inférieure en nombre, s'avança contre eux, et prolongeant leur ligne de bataille jusqu'à qu'elle devienne dangereusement mince, ils combattirent néanmoins vaillamment, particulièrement ceux qui se trouvaient sur l'aile gauche du côté de la mer. Hannibal et Maharbal les attaquèrent simultanément avec la cavalerie qu'ils avaient gardée comme escorte, au milieu de cris sauvages, dans l'idée de terrifier leurs ennemis. Pourtant les Romains reçurent le choc sans reculer et sans crainte. [22] Comme Hannibal voyait que sa manoeuvre avait échoué, il donna le signal à ses 500 Celtibères. Ceux-ci surgissant de leur propre ligne de bataille bondirent vers les Romains, en leur donnant leurs boucliers, leurs lances et leurs épées comme s'ils désertaient. Servilius les applaudit et immédiatement s'empara de leurs armes et les ramena à l'arrière, avec leurs seules tuniques (c'est ce qu'il croyait !), parce que il ne pensait qu'il valait mieux ne pas mettre des chaînes à des déserteurs à la vue de l'ennemi, et qu'il n'avait aucun soupçon sur des hommes qu'il voyait revêtus uniquement de leurs tuniques, et que ce n'était pas le moment de prendre des décisions au milieu d'une si grande bataille. Alors certaines cohortes africaines firent semblant de s'enfuir vers les montagnes, en poussant des cris. C'était le signal pour ceux qui étaient cachés dans les ravins de tomber sur les poursuivants. Immédiatement les troupes légères et la cavalerie qui se trouvaient là en embuscade surgirent, et simultanément un fort vent aveuglant se leva soulevant de la poussière dans les yeux de Romains, qui ne virent plus leurs ennemis. La vitesse des traits romains fut amoindrie par le vent contraire, alors que celle des traits de l'ennemi augmentait et assurait leur trajectoire. Les Romains ne pouvaient ni voir ni éviter les traits de l'ennemi et ils ne pouvaient bien viser avec leurs propres traits : ils trébuchaient les uns sur les autres et bientôt de fut le désordre total. [23] A ce moment là les 500 Celtibères, voyant que l'occasion se présentait, tirèrent les poignards de leurs tuniques et tuèrent d'abord ceux qui étaient justes devant eux, puis, saisissant les épées, les boucliers et les lances des morts, surgirent sur la ligne entière des Romains, frappant partout et ils firent un énorme carnage puisqu'ils étaient derrière tout le monde. Les Romains furent alors en grandes difficultés : attaqués par l'ennemi devant, par des embuscades sur le flanc, et massacrés par des ennemis au milieu de leurs propres rangs. Ils ne pouvaient pas retourner sur ces derniers à cause de la pression de l'ennemi devant eux et parce qu'il n'était pas facile de distinguer les assaillants, car ceux-ci possédaient des boucliers romains. Et surtout ils étaient gênés par la poussière, qui les empêchaient même de deviner ce qui se passait lieu. Mais (comme il se produit habituellement en cas de désordre et de panique) ils considéraient leur état plus critique qu'il ne l'était, les embuscades plus redoutables et les 500 plus nombreux que les 500 effectifs. Bref, ils imaginèrent que leur armée entière était encerclée par la cavalerie et par des déserteurs hostiles. Ainsi ils tournèrent le dos et se mirent en fuite en plein désordre, d'abord l'aile droite où Varro lui-même donna le signal de la retraite, et après elle, l'aile gauche, dont le commandant, Servilius, cependant, alla porter secours à Æmilius. Autour de ces derniers se rassemblèrent les plus courageux cavaliers et fantassins, au nombre environ de 10.000. [24] Les généraux et tous ceux qui étaient à cheval, bien qu'encerclés par la cavalerie d'Hannibal, mirent pieds à terre et combattirent ainsi. Ils chargèrent l'ennemi avec fureur et accomplirent de brillants exploits : le fruit de leur expérience militaire était accru par l'énergie du désespoir. Mais ils tombaient de tous côtés, et Hannibal, allait de ci de là, encourageait ses soldats, leur recommandant tantôt d'achever leur victoire, tantôt les tançant et leur reprochant, après qu'ils aient dispersé le front principal de l'ennemi, de ne pouvoir battre les quelques forces qui restaient. Tant qu'Æmilius et Servilius survécurent, les Romains tinrent bon, bien que donnant et recevant beaucoup de blessures, mais quand leurs généraux tombèrent, ils forcèrent une chemin au milieu de leurs ennemis avec courage, et s'échappèrent dans toutes les directions. Certains se réfugièrent dans les deux camps où d'autres s'étaient déjà réfugiés. Ils étaient au nombre de 15.000 environ, qu'Hannibal assiégea immédiatement. D'autres, au nombre d'environ 2000, se réfugièrent à Cannes et ils se rendirent à Hannibal. Certains se réfugièrent à Canusium. Le reste se dispersa par groupes dans les bois. [25] Tel fut le résultat de la bataille entre Hannibal et les Romains à Cannes : elle commença à la deuxième heure du jour et se termina deux heures avant la tombée de la nuit. Elle est encore célèbre chez les Romains comme exemple de désastre, parce que en l'espace de quelques heures 50.000 de leurs soldats furent massacrés et beaucoup furent fait prisonniers. Beaucoup de sénateurs qui étaient présents perdirent la vie et avec eux tous les tribuns militaires et les centurions ainsi que leurs deux meilleurs généraux. Le plus mauvais, qui était cause du désastre, s'était enfui au début de la déroute. Les Romains, après deux ans de guerre contre Hannibal en Italie, avaient alors perdu, de leurs propres forces et de celles de leurs alliés, environ 100.000 hommes. [26] Hannibal gagna cette grande victoire telle qu'on en voit rarement en utilisant quatre stratagèmes en une seule journée : la force du vent, la désertion simulée des Celtibères, la fuite feinte et les embuscades dans les ravins. Juste après la bataille il alla regarder les morts. Quand il vit que les plus braves de ses amis se trouvaient parmi les morts il hurla et pleura, disant qu'il ne voudrait pas une autre victoire de ce genre. On dit que Pyrrhus, roi d'Épire, fit le même genre de déclaration, quand il remporta aussi une victoire sur les Romains en Italie, avec autant de pertes qu'Hannibal. Certains de ceux qui se s'étaient échappés du combat et qui s'étaient réfugiés dans le plus grand camp et qui dans la soirée avaient choisi Publius Sempronius comme général, se forcèrent un passage à travers les gardes d'Hannibal, qui étaient épuisés de sommeil et de fatigue. Ces hommes, au nombre d'environ 10.000, arrivèrent à Canusium vers minuit. Mais les 5000 qui se trouvaient dans le petit camp furent pris par Hannibal le jour suivant. Varro, rassemblant les restes de l'armée cherchait à leur remonter le moral et après les avoir mis sous le commandement de Scipion, une des tribuns militaires, lui-même courut à Rome. [27] CHAPITRE V. Quand le désastre fut connu à Rome, la foule remplit les rues en poussant des cris de lamentation sur leurs parents, les appelant par leur nom et pleurant leur propre destin pensant que bientôt ils tomberaient aux mains de l'ennemi. Les femmes se précipitèrent dans les temples avec leurs enfants et suppliaient les dieux de mettre fin un jour aux calamités qui s'abattaient sur la ville. Les magistrats sollicitaient le secours des dieux par des sacrifices et des prières leur disant que s'ils étaient la cause de leur colère, les dieux devaient déjà se satisfaire de la punition déjà encourue. Le sénat envoya à Quintus Fabius (le même qui écrivit une histoire de ces événements) au temple de Delphes pour consulter l'oracle au sujet de situation actuelle. Il fit libérer 8000 esclaves avec le consentement de leurs maîtres et il ordonna que tout le monde dans la ville se mette à fabriquer des armes et des projectiles. Il décida également d'un recrutement, même dans cette situation, d'un certain nombre d'alliés. On fit aussi changer de destination à Claudius Marcellus, qui devait gagner la Sicile et on l'envoya combattre Hannibal. Marcellus partagea sa la flotte avec son collègue Furius et en envoya une partie en Sicile, alors qu'il prenait lui-même les esclaves affranchis et tous les citoyens qu'il put rassembler ainsi que les alliés, le tout s'élevant à 10.000 fantassins et à 2000 cavaliers, et il marcha vers Teanum afin de voir ce qu'Hannibal allait faire. [28] Hannibal permit à ses prisonniers d'envoyer des messagers à Rome en leur propre nom, pour voir si les citoyens consentaient à les libérer contre une rançon. Trois d'entre eux furent choisis : Cn. Sempronius était leur chef. Hannibal exigea d'eux le serment de revenir. Les parents des prisonniers, se rassemblant autour du Sénat, montraient leur hâte à racheter leurs proches de leur propre poche et priaient le sénat de leur permettre de le faire. Le peuple les rejoignit dans leurs prières et dans leurs larmes. Certains sénateurs pensaient qu'il n'était pas sage, après de telles calamités, d'exposer la ville à perdre tant d'hommes, ni de dédaigner des hommes libres en donnant la liberté aux esclaves. D'autres pensaient qu'il n'était pas convenable par compassion d'accepter la fuite de soldats, mais qu'il fallait plutôt leur enseigner de vaincre ou de mourir, en pensant qu'il ne fallait absolument pas que des parents plaignent des fuyards. Beaucoup d'exemples furent cités de chaque côté. Le sénat décida finalement que les prisonniers ne pouvaient pas être rachetés par leurs parents, dans l'idée que, alors que tant de dangers attendaient encore la ville, la clémence actuelle serait une erreur pour le futur, alors que la sévérité, bien que douloureuse, serait un avantage pour l'avenir, et que cette sévérité même effrayerait dans l'immédiat Hannibal par sa hardiesse. C'est pourquoi Sempronius et les deux prisonniers qui l'accompagnaient retournèrent chez Hannibal. Ce dernier dans sa colère vendit certains de ses prisonniers, en mit d'autres à mort, et fit un pont de leurs corps sur lesquels il passa pour traverser un fleuve. Les sénateurs et les autres nobles qui étaient ses prisonniers, il les contraignit à combattre les uns contre les autres, en spectacle pour les Africains : des pères contre des fils, et des frères contre des frères. Il n'e négligea aucun acte de cruauté humiliante. [29] Ensuite Hannibal tourna ses armes contre le territoire des alliés romains et, l'ayant dévasté, fit le siège étendu de Petilia. Les habitants, bien que peu nombreux, combattirent courageusement contre lui en compagnie de leurs femmes et accomplirent beaucoup d'exploits audacieux. Ils brûlèrent fréquemment ses machines de siège, et dans leurs entreprises les femmes étaient aussi courageuses que les hommes. Mais leur nombre se réduisait à chaque assaut, et ils commencèrent à souffrir de la faim. Quand Hannibal s'en aperçut il fit construire une ligne de retranchement autour de la ville et laissa à Hannon le soin de terminer le siège. Comme la famine augmentait, ils firent sortir des murs tous ceux qui étaient incapables de se battre et regardèrent du haut des murs sans s'affliger Hannon qui les tuait, considérant que leur mort valait mieux que la vie. C'est pourquoi tout le reste, une fois réduit à la dernière extrémité, attaqua l'ennemi, et après avoir accompli beaucoup d'exploits splendides avec courage, presque affamés et complètement épuisés, ils ne purent regagner la ville et furent massacrés par les Africains. Hannon s'empara de la ville. Mais pourtant quelques-uns, qui avaient encore la force de courir, parvinrent à s'échapper. Les Romains rassemblèrent soigneusement ces fuyards, au nombre environ de 800, et les ramenèrent dans leur propre pays après la guerre, poussés par un sentiment de respect envers eux et par admiration pour leur fidélité exceptionnelle. [30] Comme les cavaliers celtibères, qui servaient Hannibal comme mercenaires, étaient considérés comme des combattants exceptionnels, les généraux romains en Espagne en firent venir un nombre égal des villes qui étaient sous leur domination et les envoyèrent en Italie pour se battre contre leurs concitoyens. Ceux-ci, une fois installés près d'Hannibal, se mélangèrent avec leurs compatriotes et en gagnèrent à leur cause. Aussi un bon nombre d'entre eux passèrent chez les Romains et d'autres abandonnèrent ou s'enfuirent, et le reste n'avait plus la confiance d'Hannibal, car il les soupçonnait et eux le soupçonnaient. Les affaires de Hannibal commencèrent à décliner à partir de ce moment. [31] Il y a en Daunie une ville appelée Arpi. On dit qu'elle fut fondée par Diomède, l'Argien. Là un certain Dasius, qui prétendait être un descendant de Diomède, personnage très versatile, tout à fait indigne d'une telle descendance, après la défaite terrible des Romains à Cannes, poussa ses concitoyens à passer du côté carthaginois. Mais quand la puissance d'Hannibal commença à faiblir, il se rendit secrètement à Rome, et s'étant présenté au sénat, il dit qu'il pouvait ramener de nouveau la ville dans le camp romain et se faire ainsi pardonner son erreur. Il s'en fallut de peu que les Romains ne le tuent et on le conduisit immédiatement hors de la ville. Comme il craignait autant Hannibal que les Romains, il devint vagabond. Hannibal fit brûler vifs son épouse et ses enfants. Arpi trahie par une partie de ses habitants, fut reprise de nuit par Fabius Maximus, qui après avoir mis à mort tous les Carthaginois qui s'y trouvaient, établit une garnison romaine dans la ville. [32] CHAPITRE VI. Tarente, tenue par une garnison romaine, fut trahie par Cononeus de la façon suivante. Habitué à chasser et apportant toujours un présent à Livius, le chef de la garnison, il était devenu son ami. Alors que la guerre faisait rage dans le pays, il lui dit qu'il était nécessaire de chasser et rapporter son présent la nuit. Pour cette raison les portes lui furent ouvertes par nuit. Il fit un arrangement avec Hannibal en vertu duquel il emmènerait un corps de soldats. Il cacha une partie dans un bosquet près de la ville et demanda à d'autres de le suivre à courte distance, et à d'autres encore de l'accompagner, vêtus en chasseurs mais portant sous leurs vêtements des cuirasses et des épées. Ils arrivèrent de nuit, portant un sanglier sur des perches. Comme les gardes lui ouvraient les portes comme d'habitude, ceux qui étaient avec lui tuèrent immédiatement les gardiens des portes. Ceux qui suivaient derrière se précipitèrent tout à coup sur les autres gardes, firent entrer ceux qui se trouvaient dans le bosquet et ouvrirent les portes à Hannibal. Ce dernier entra et s'empara rapidement du reste de la ville, et après s'être concilié les Tarentins, il fit le siège de la citadelle, qui était tenue par une garnison romaine. [33] C'est ainsi que Tarente fut trahie par Cononeus. Les Romains qui occupaient la citadelle étaient environ au nombre de 5000, et une partie des habitants de Tarente vinrent les rejoindre. Le chef de la garnison de Métoponte les rejoignit avec la moitié de sa force, apportant une quantité de projectiles et de machines avec lesquelles ils comptaient repousser facilement Hannibal des murs. Mais Hannibal était abondamment pourvu. C'est pourquoi il fit monter des tours, des catapultes et des tortues avec lesquelles il ébranla certains murs, arracha les parapets avec des crochets attachés à des cordes, et mis les défenses à nu. Les pierres lancées par la garnison sur les machines cassèrent bon nombre d'entre elles. On détournait les crochets avec des noeuds coulants, et les sorties fréquentes et soudaines jetaient la confusion chez les assiégeants et elles se terminaient par de nombreux morts chez les assaillants. Un jour, les Romains virent que le vent était violent : une partie d'entre eux jeta des torches, de l'étoupe, et de la poix sur les machines, alors que d'autres sortaient et mettaient le feu en dessous de celles-ci. Hannibal, renonçant à sa tentative, fit construire un mur autour de la ville sauf du côté de mer, où il n'était pas possible de le faire. Alors laissant le siège à Hannon il s'avança en Apulie. [34] Le port de Tarente est exposé au nord et ceux qui viennent de la mer y entrent par un passage étroit. Ce passage était alors fermé par les ponts qui étaient contrôlés par la garnison romaine : raison pour laquelle ils pouvaient s'approvisionner par la mer et empêchaient les Tarentins de se fournir. C'est pourquoi ces derniers commencèrent à manquer de vivres, jusqu'à ce qu'Hannibal revienne et suggéra l'établissement d'un autre passage en creusant une route, qui traversant la ville allait du port jusqu'à la mer méridionale. Quand ceci fut terminé ils eurent des vivres en abondance, et avec leurs trirèmes ils inquiétèrent la garnison romaine qui ne possédait aucun navire, en venant même sous les murs, particulièrement par temps calme, et interceptant les navires d'approvisionnement. Les Romains à leur tour commencèrent à manquer de vivres. Comme les habitants de Thurii leur envoyaient quelques bateaux chargés de blé durant la nuit, avec un convoi de trirèmes, les Tarentins et les Carthaginois qui se trouvaient avec eux, ayant eu vent de l'affaire, leur tendirent un piège et les captura tous, y compris le blé et les équipages. Les Thuriens envoyèrent de nombreux messagers pour négocier la libération des captifs, et les Tarentins persuadèrent les négociateurs de passer chez Hannibal, qui, alors, libéra tous les prisonniers Thuriens qu'il avait. Ceux-ci, revenus chez eux, forcèrent leurs parents à ouvrir les portes à Hannon. Ainsi les Thuriens, tout en essayant d'aider les Romains à Tarente, tombèrent tout à coup aux mains des Carthaginois. La garnison romaine de Thurii s'échappa secrètement par la mer à Brindes. [35] Les Metapontins, comme le gouverneur avait pris la moitié de la garnison pour se rendre à Tarente, tuèrent le peu d'hommes qui restaient et livrèrent la ville à Hannibal. Héraclée, qui se trouvait à mi-chemin entre Métaponte et Tarente, suivit son exemple, plutôt par crainte que par inclination. Et de nouveau la situation d'Hannibal commença à redevenir excellente. L'année suivante une partie de la Lucanie se révolta contre Rome, et Sempronius Gracchus, le gouverneur, marcha contre eux. Un Lucanien du nom de Flavius, du parti qui était demeuré fidèle aux Romains, qui était également un ami et un hôte de Gracchus, mais qui l'avait alors trahi, le persuada de venir à un endroit pour discuter avec les généraux de Lucanie, en prétendant qu'ils s'étaient repentis et souhaitaient revenir du côté des romains. Sans se douter de rien, il se rendit au rendez-vous avec trente cavaliers. Alors une grande troupe de Numides l'attira dans une embuscade et l'encercla : Flavius faisait partie de cette troupe. Quand Gracchus découvrit qu'il était trahi, il sauta de son cheval avec ses compagnons, et après avoir accompli de merveilleux exploits, il fut massacré ainsi que tous les autres, sauf trois. Ce furent ces trois qui furent fait prisonniers par Hannibal, qui s'était efforcé de prendre le gouverneur romain vivant. Bien qu'ils lui aient tendu un piège honteux, par admiration pour son courage dans son dernier combat, il lui fit donner les honneurs funèbres et envoya ses os à Rome. Après quoi il passa l'été en Apulie et fit de grandes réserves de blé. [36] Les Romains décidèrent d'attaquer Capoue, et Hannibal envoya Hannon avec 1000 fantassins et autant de cavaliers entrer à Capoue de nuit. Il le fit sans que les Romains s'en aperçussent. Le jour suivant les Romains découvrirent ce qui s'était passé en observant un plus grand nombre d'hommes sur les murs. Ils quittèrent la ville aussitôt et se mirent à la hâte à récolter les moissons des Capouans et des autres habitants de Campanie. Comme les Campaniens se lamentaient de leurs pertes, Hannibal leur dit qu'il qu'il y avait abondance de blé en Apulie et leur donna l'ordre de s'y rendre et de prendre tout ce dont ils avaient besoin quand ils le voulaient. C'est pourquoi ils envoyèrent non seulement leur bétail et des hommes, mais aussi leurs femmes et enfants, pour porter des charges de blé. Ils ne craignaient absolument rien en cours de route parce que Hannibal avait transféré son camp d'Apulie en Campanie et l'avait placé le long du fleuve Calor près de Bénévent : c'était la seule ville dont il avait peur parce qu'elle était la dernière alliée des Romains. Tant qu'Hannibal se trouvait là, ils méprisaient tous leurs ennemis. [37] Il arriva cependant qu'Hannibal fut appelé par Hannon en Lucanie, en laissant la plupart de ses bagages avec une petite garnison dans le camp établie près de Bénévent. Un des deux consuls romains qui étaient aux commandes (Fulvius Flaccus et Appius Claudius), apprit la chose et attaqua les Campaniens qui transportaient le blé et en tua beaucoup qui ne s'attendaient pas à être attaqués. Il donna le blé aux habitants de Bénévent. Il prit également le camp de Hannibal, pilla ses bagages, et, pendant qu'Hannibal était toujours en Lucanie, il fit tracer une ligne de retranchement autour de Capoue. Alors les deux consuls firent construire un autre mur derrière cette ligne et établirent leur camp entre les deux. Ils firent ériger des remparts aussi, certains tournés vers Capoue assiégée et d'autres vers l'ennemi qui venait de l'extérieur. Cela ressemblait à une grande ville qui en enfermait une plus petite. L'espace entre le mur d'enceinte et Capoue était d'environ deux stades : dans cet espace se déroulaient chaque jour de nombreuses attaques et de nombreux combats, comme dans un théâtre entouré par des murs, les plus courageux se provoquant continuellement. Un habitant de Capoue, du nom de Taureus dans un combat singulier contre le Romain Claudius Asellus, cherchant à s'échapper, prit la fuite. Asellus le poursuivit jusqu'à ce qu'il arrive aux murs de Capoue. Ne pouvant faire faire demi-tour à son cheval à cause de sa vitesse il entra par la porte dans Capoue, traversa au galop toute la ville pour ressortir par la porte opposée, rejoignit les Romains. [38] Et ainsi il se sauva miraculeusement. Hannibal, ayant échoué dans l'affaire pour laquelle on l'avait appelé en Lucanie retourna à Capoue, parce qu'il considérait de la plus grande importance de défendre une si grande ville, et qui était devenue une ville importante sous la domination romaine. C'est pourquoi il attaqua l'enceinte retranchée, mais comme il n'arrivait à aucun résultat et ne pouvait trouver aucun moyen d'introduire des vivres ni des soldats dans la ville; et comme aucun d'eux ne pouvait communiquer avec lui à cause de la proximité du siège, il marcha sur Rome avec son armée entière, ayant appris que les Romains souffraient également de la famine et en espérant attirer les généraux romains loin de Capoue ou accomplir quelque chose de plus importante que de soulager Capoue. Se déplaçant à toute vitesse à travers un pays habité par beaucoup de peuples hostiles, dont les uns ne purent le retenir alors que d'autres n'osant pas prendre le risque de combattre, il installa son camp sur le fleuve Anio à trente-deux stades de Rome. [39] La ville fut la proie de la consternation comme jamais auparavant. Elle n'avait pas de forces suffisantes (celles qu'elle avait se trouvaient en Campanie), alors que maintenant cette immense armée hostile arrivait soudainement en face d'eux avec un général d'un courage invincible et à la bonne fortune. Néanmoins, dans l'urgence du moment, ceux qui pouvaient prendre les armes gardèrent les portes, les hommes âgés montèrent sur les murs et les femmes et les enfants apportèrent des pierres et des projectiles, alors que ceux qui étaient dans les campagnes se précipitaient à toute vitesse dans la ville. Ce n'étaient que cris confus, lamentations, prières et exhortations mutuelles de chaque côté. Certains sortirent et détruisirent le pont au-dessus du fleuve Anio. Les Romains autrefois avaient fortifié une petite ville chez les Èques, qu'ils avaient appelée Albe du nom de leur ville originelle. Ses habitants, avec le temps, en raison de négligence de prononciation ou par corruption de la langue, ou pour se distinguer des Albains, se firent appeler Albenses. Deux mille de ces Albenses accoururent à Rome pour partager le danger. Dès qu'ils arrivèrent ils prirent des armes et montèrent la garde aux portes. Parmi beaucoup de colonies, cette petite ville fut la seule à agir de la sorte, juste comme la petite ville de Platée qui vint en aide aux Athéniens à Marathon et partagea leur danger. [40] Appius, un des généraux romains, resta à Capoue, croyant qu'il pourrait capturer la ville seul. Fulvius Flaccus, l'autre général, marcha avec une rare rapidité par d'autres routes et installa son camp en face de celui d'Hannibal, : le fleuve Anio les séparait. Quand Hannibal constata que le pont avait été détruit et que Fulvius occupait la rive opposée, il décida de contourner les sources du fleuve. Fulvius se déplaça parallèlement à lui de l'autre côté. A ce moment encore, comme à son habitude, Hannibal imagina un stratagème. Il laissa derrière lui la cavalerie Numide, qui, dès que les armées eurent levé le camp, traversèrent l'Anio et ravagèrent le territoire romain jusqu'à ce qu'elles s'approchent très près de la ville elle-même, et y apportent la consternation, puis rejoignirent Hannibal selon les ordres reçus. Ce dernier, quand, dit-on, il contourna les sources du fleuve, alors qu'il était près de Rome, alla reconnaître la ville avec trois gardes du corps secrètement de nuit, et observa le manque de force et la confusion qui y régnait. Néanmoins il retourna à Capoue, soit parce qu'une divinité l'en détourna cette fois comme dans d'autres circonstances, soit parce qu'il était intimidé par la bravoure et la fortune de la ville, soit parce que, comme il le dit à ceux qui voulaient attaquer la ville, il ne voulait pas porter la guerre à cette extrémité de peur que les Carthaginois ne le privent de son commandement. Car l'armée de Fulvius n'était absolument pas de taille à l'affronter. Fulvius le suivit pendant sa retraite, l'empêchant simplement de fourrager et faisant attention de ne pas tomber dans un de ses pièges. [41] CHAPITRE VII. Hannibal, une nuit sans lune, ayant observé que Fulvius, à la fin de la journée, avait négligé d'élever un mur devant son camp (mais avait simplement creusé un fossé avec certains espaces en lieu de portes, et la terre jetée à l'extérieur en lieu de mur), envoya secrètement un corps de cavalerie sur une colline fortifiée donnant sur le camp de Fulvius, et leur commanda de garder le silence pour que les Romains croient la colline inoccupée. Alors il commanda à ses Indiens de monter leurs éléphants et de pénétrer dans le camp de Fulvius par les espaces ouverts, et de passer comme ils le pouvaient le remblai. Il ordonna également à ses joueurs de trompette et de buccin de le suivre à courte distance. Quand ils seraient à l'intérieur des retranchements il ordonna à certains d'entre eux de courir en tous sens et de faire grand bruit pour faire croire qu'ils étaient très nombreux, alors que d'autres, parlant latin, devraient crier que Fulvius, le général romain, demandait l'évacuation du camp et la prise de la colline voisine. Tel était le stratagème d'Hannibal. Au début tout alla selon son idée. Les éléphants entrèrent dans le camp, piétinant les gardes, et les joueurs de trompette firent ce qu'on leur avait demandé de faire. La clameur inattendue frappant les oreilles des Romains alors qu'ils sortaient du lit dans l'obscurité de la nuit avait quelque chose d'effrayant. Comme ils entendaient des ordres donnés en latin de se réfugier sur la colline, ils se précipitèrent dans cette direction. [42] Fulvius, qui s'attendait toujours à un stratagème et en soupçonnait un dans tout ce que Hannibal faisait, guidé par sa propre intelligence ou par l'inspiration divine, ou ayant appris les faits par un prisonnier, posta rapidement ses tribuns militaires dans les routes menant à la colline pour arrêter ceux qui s'y précipitaient, et pour leur dire que ce n'était pas le général romain mais Hannibal qui avait donné l'instruction de les attirer dans une embuscade. Alors il posta des gardes renforcées aux remparts pour repousser toute nouvelle attaque venant du dehors, et avec d'autres parcourut rapidement le camp en criant qu'il n'y avait aucun danger et que ceux qui s'étaient introduits avec les éléphants étaient peu nombreux. Il fit allumer des torches et des feux de tous les côtés. Ainsi le petit nombre des attaquants fut si manifeste que les Romains les dédaignèrent tous, et, passant de la crainte à la colère, les tuèrent facilement puisqu'ils étaient peu nombreux et armés légèrement. Les éléphants n'ayant pas assez de place pour faire demi-tour s'empêtrèrent au milieu des tentes et les huttes, fournirent une excellente cible pour des traits en raison de l'étroitesse de l'endroit et de leur taille. Exaspérés de douleur et incapables d'atteindre leurs ennemis, ils secouèrent leurs cornacs et les piétinèrent sous le pied avec fureur et des barrissements sauvages et se ruèrent hors du camp. Voilà ce que fit Fulvius Flaccus grâce à sa constance et sa compétence, se tirant d'une embuscade inattendue, l'emportant sur Hannibal et sauvant son armée, qui avait toujours redouté les stratagèmes d'Hannibal. [43] Après son échec, Hannibal fit passer son armée en Lucanie et y prit ses quartiers d'hiver. Là ce guerrier féroce se plongea dans un luxe inhabituel et dans les plaisirs de l'amour. C'est à partir de là que peu à peu sa fortune tourna. Fulvius retourna près de son collègue à Capoue et les deux renforcèrent le siège, voulant prendre la ville avant l'hiver tandis que Hannibal restait inactif. Les habitants de Capoue, une fois leurs approvisionnements épuisés et voyant qu'ils ne pouvaient en obtenir nulle part, se rendirent aux généraux romains, ainsi que la garnison carthaginoise et leurs deux commandants, un second Hannon et Bostar. Les Romains placèrent une garnison dans la ville et coupèrent les mains de tous les déserteurs qui s'y trouvaient. Ils envoyèrent les nobles carthaginois à Rome et vendirent le reste comme esclaves. Pour ce qui étaient des habitants de Capoue, ils mirent à mort les principaux responsables de la défection de la ville. Aux autres ils ne firent que confisquer leurs terres. Tout le pays autour de Capoue est très fertile, vu que c'est une plaine. C'est ainsi que Capoue une fois de plus revint aux Romains et les Carthaginois perdirent un avantage considérable pour eux. [44] Dans Bruttium, région de l'Italie, un homme de la ville de Tisia (où se trouvait une garnison de Carthaginois) qui avait l'habitude de piller et de partager son butin avec le commandant de la garnison, et qui pour cette raison était devenu tellement familier avec ce dernier qu'il partageait presque le commandement avec lui. Cet homme était exaspéré du comportement arrogant de la garnison envers son pays. C'est pourquoi, à la suite d'un arrangement avec le général romain, avec qui il s'engagea, il ramena chaque jour quelques soldats comme prisonniers et les logea dans la citadelle, où il mit également leurs armes comme s'il s'agissait de trophées. Quand il en eut un nombre suffisant il les libéra, les arma, maîtrisa la garnison carthaginoise et fit entrer une autre garnison de forces romaines. Mais comme Hannibal passait à proximité peu après, les gardes s'enfuirent de peur à Rhegium, et les habitants de Tisia se rendirent à Hannibal, qui fit brûler les coupables de la défection et plaça une autre garnison dans la ville. [45] A Salapia, en Apulie, ville soumise aux Carthaginois, il y avait deux hommes supérieurs par la naissance, les richesses et la puissance, mais depuis longtemps adversaires. L'un d'eux, du nom de Dasius, était passé du côté des Carthaginois, et l'autre, Blatius, du côté des Romains. Tant que les affaires d'Hannibal florissaient Blatius resta tranquille, mais quand les Romains commencèrent à récupérer leur ancienne suprématie, il essaya de faire un arrangement avec son ennemi, uniquement pour sauver leur pays, de peur que, si les Romains le prenaient de force, un mal irréparable ne lui arrivât. Dasius, feignant d'être d'accord avec lui, dénonça le complot à Hannibal. Hannibal les fit comparaître tous les deux : Dasius comme accusateur et Blatius comme accusé : ce dernier disait qu'il était accusé faussement en raison de l'hostilité personnelle de son accusateur. Il était encouragé de se servir d'un tel langage en présence de son ennemi, parce qu'il avait prévu qu'on se méfierait de l'accusateur à cause de la rancune qu'il avait envers l'accusé. Hannibal jugea qu'il ne serait pas sage de rejeter entièrement l'accusation, ni de croire trop dans un accusateur qui était en même temps un ennemi personnel ; aussi il les fit retirer pour examiner seul le cas. Comme ils sortaient par un passage fort étroit Blatius dit tout bas à Dasius, « Ne veux-tu pas sauver ton pays, cher ami ? » Ce dernier répéta immédiatement les paroles à haute voix pour qu'Hannibal puisse les entendre. [46] Alors pathétiquement Blatius se mit à pleurer de façon convaincante, en disant que son ennemi habile lui dressait des embûches. « Cette dernière machination, » dit-il, « me sauvera de tout soupçon, s'il y en avait jamais eu, sur l'ancienne. Qui, en effet, aurait pris comme confident un ennemi dans une telle affaire ? S'il n'avait pas réfléchi avant, maintenant, alors qu'il courait un danger, qu'il était sous le coup d'une condamnation et qu'il niait la charge retenue contre lui, quel homme aurait dit les mêmes choses une deuxième fois à un perfide accusateur sur ces sujets mêmes, et particulièrement dans l'enceinte du tribunal où beaucoup de gens pouvaient entendre ses paroles et où son accusateur se tenait prêt à porter une nouvelle plainte contre lui. Même si l'accusateur était soudainement devenu mon ami, dit-il, et bien disposé envers moi, comment pourrait-il coopérer avec moi à sauver le pays après ce qui s'est produit ? Pourquoi devrais-je demander de l'aide à quelqu'un qui ne peut m'en donner ? » Je pense que Blatius chuchota encore à dessein des choses à Dasius parce qu'il prévoyait de jeter le discrédit sur lui, et faire ainsi en sorte qu'Hannibal ne croit plus à ses précédentes accusations. Mais Blatius, après avoir été acquitté, ne renonça pas à persuader son ennemi de changer de camp, quoiqu'il le méprisât pour avoir perdu toute crédibilité. Dasius de nouveau feignit d'être d'accord avec lui et chercha à connaître le plan de la révolte. Blatius lui répondit sans hésitation : « Je vais aller à un des camps romains (il indiquait celui qui était le plus éloigné) : son commandant est mon ami et j'obtiendrai une force que je ramènerai ici. Toi, reste ici et surveille ce qui se passe en ville. » [47] Sur ces paroles Blatius partit immédiatement, à l'insu de Dasius, non pas au camp indiqué mais à Rome par une route plus courte, et après avoir donné son fils comme otage au sénat, il demanda mille cavaliers, avec lesquels il repartit à toute la vitesse, prévoyant ce qui allait se passer. Dasius ne voyant pas son ennemi pendant les jours suivants se figura que ce dernier faisait ce qu'ils avaient convenu, croyant que maintenant il avait confiance en lui. Il supposait que Blatius était parti au camp le plus éloigné, il alla trouver Hannibal, ne doutant pas qu'il serait revenu avant Blatius. « Et maintenant, » dit-il à Hannibal, « je vais te livrer Blatius au moment même où il introduira une force hostile dans la ville. » Après avoir exposé l'affaire et avoir reçu des renforts, il rentra vers la ville, n'imaginant pas que Blatius puisse être dans les environs. Mais ce dernier était déjà à l'intérieur : il avait massacré la garnison carthaginoise, qui était peu nombreuse et avait veillé à empêcher quiconque de sortir. Il avait également fermé toutes portes sauf celle par laquelle il supposait que Dasius allait rentrer. De ce côté il retira les gardes du mur pour éviter tout soupçon, mais à l'intérieur, il avait fait creuser des fossés pour que des assaillants ne puissent se répandre dans toute la ville. Dasius fut enchanté devoir les portes ouvertes, pensant qu'il avait devancé son ennemi, et plein de joie il entra dans la ville. Alors Blatius fit fermer la porte et le tua lui et ses compagnons, qui furent encerclés dans un endroit étroit et ne pouvaient se frayer un passage à cause des fossés. Quelques uns d'entre eux s'échappèrent en sautant des murs. [48] C'est ainsi que Dasius l'emporta sur Blatius en contre-attaquant pour la troisième fois. CHAPITRE VIII. Alors que Fulvius, le consul romain, assiégeait Herdonia, Hannibal arriva près de lui à son insu, donna comme ordres de n'allumer aucun feu et d'observer un silence total. Tôt le matin, - il y avait justement du brouillard - il envoya une troupe de cavalerie pour attaquer le camp romain. Les Romains les repoussèrent dans la confusion parce qu'ils sortaient à peine de leurs lits, mais avec la hardiesse, parce qu'ils pensaient que leurs ennemis étaient en petit nombre venus d'on ne sait où. Pendant ce temps Hannibal passait de l'autre côté de la ville avec un corps d'infanterie afin de se faire reconnaître, et en même temps d'encourager les habitants à l'intérieur. Il rencontra les Romains au cours de son circuit, par hasard ou par stratégie, et les encercla. Attaqués de deux côtés ils tombèrent en grand nombre et en tas. Environ 8000 d'entre eux périrent, y compris le consul Fulvius lui-même. Le reste se réfugia à l'intérieur d'une fortification devant leur camp, et en combattant bravement ils réussirent à la conserver et empêchèrent Hannibal de prendre le camp. [49] Après cela les Romains ravagèrent l'Apulie révoltée, et Hannibal la Campanie qui était repassée du côté des Romains à l'exception d'Atella. Hannibal les transporta à Thurii pour qu'ils ne souffrissent pas de la guerre qui faisait rage dans le Bruttium, la Lucanie et l'Apulie. Les Romains installèrent les exilés de Nucérie à Atella et puis, poursuivant leurs attaques contre les alliés d'Hannibal, ils prirent Aulonia et entrèrent dans le Bruttium. Ils firent également le siège par terre et par mer de Tarente, qui était sous le commandement de Carthalon. Comme ce dernier avait peu de soldats carthaginois, il avait pris des Bruttiens à son service. Le capitaine des ces Bruttiens était amoureux d'une femme dont le frère servait avec les Romains, et ce dernier, par l'intermédiaire de sa soeur, fit en sorte que ce capitaine abandonne cette partie du mur qu'il commanda aux Romains, quand ils approcheraient leurs machines. C'est ainsi que les Romains s'emparèrent de Tarente, un endroit admirablement situé pour les buts de la guerre par voie de terre et par la mer. [50] Hannibal se hâtait vers Tarente quand il apprit sa prise. Il se dirigea alors vers Thurium complètement abattu et de là se rendit à Venusia. Là Claudius Marcellus, qui avait conquis la Sicile et était maintenant consul pour la cinquième fois, et Titus Crispinus installèrent leur camp en face de lui, n'essayant pas, cependant, de livrer bataille. Mais Marcellus voyant une partie des Numidiens emporter du butin, et pensant qu'ils n'étaient que quelques-uns, les attaqua en confiance avec trois cents cavaliers. Il mena l'attaque en personne, étant un homme plein de courage au combat et dédaignant le danger. Soudainement, un grand nombre d'Africains apparurent et l'attaquèrent de tous côtés. Les Romains qui étaient à l'arrière garde prirent la fuite, mais Marcellus, qui pensait qu'ils le suivaient, combattit vaillamment jusqu'à ce qu'il ait été percé de coups et tué. Hannibal vint voir son corps et vit que toutes les blessures étaient à la poitrine, il le loua comme soldat mais le critiqua comme général. Il enleva son anneau, brûla son corps avec de grands honneurs, et envoya ses os à son fils dans le camp romain. [51] Irrité contre les Salapiens, Hannibal leur envoya un déserteur romain avec une lettre scellée avec l'anneau de Marcellus, avant que la mort de celui-ci soit répandue : cette lettre disait que l'armée de Marcellus allait arriver et que Marcellus ordonnait que les portes devaient être ouvertes pour le recevoir. Mais les citoyens avaient reçu auparavant des lettres de Crispinus, qui avait fait dire à toutes les villes environnantes qu'Hannibal était en possession de l'anneau de Marcellus. Ainsi ils renvoyèrent le messager d'Hannibal pour qu'il ne puisse pas savoir en restant là ce qui se passait, et ils promirent de faire ce qu'on lui demandait. Alors ils s'armèrent et après s'être installés sur les murs ils attendirent le résultat du stratagème. Quand Hannibal arriva avec ses Numides, qu'il avait équipés d'armes romaines, ils ouvrirent les herses comme s'ils faisaient bon accueil à Marcellus. Quand furent entrés autant qu'ils pensaient pouvoir facilement maîtriser, ils laissèrent retomber les herses et tuèrent tous ceux qui étaient entrés. Alors, ceux qui se tenaient toujours en dehors des murs furent criblés de traits et couverts de blessures. Hannibal, ayant échoué dans sa seconde tentative contre la ville, se retira alors. [52] En attendant, son frère Hasdrubal, avec une armée qu'il avait enrôlée en Celtibérie, marchait sur Italie. Il fut reçu amicalement par les Gaulois, il passa les Alpes par la route qu'Hannibal avait ouverte, accomplissant en deux mois le trajet qu'Hannibal avait fait en six. Il déboucha en Étrurie avec 48.000 fantassins, 8000 cavaliers, et quinze éléphants. Il envoya des lettres à son frère pour annoncer son arrivée. Ces lettres tombèrent aux mains des Romains et les consuls Salinator et Neron eurent connaissance du nombre de ses forces. Ils rassemblèrent leurs propres forces en un seul corps, se dirigèrent vers lui, et installèrent leur camp près de la ville de Sena. Asdrubal n'avait pas encore l'intention de combattre, mais il s'empressait de rejoindre son frère. Il battit en retraite, marchant de nuit au milieu des marais et des étang et le long d'un fleuve infranchissable, où il se perdit. Au point du jour les Romans les surprirent, alors qu'ils étaient dispersés et lassés par leur marche et l'absence de sommeil. Ils tuèrent un grand nombre, groupés autour de leur chef, alors qu'ils cherchaient à se rassembler et se mettre en ordre de bataille. Hasdrubal lui-même fut tué avec eux. Bon nombre d'entre eux furent fait prisonniers. C'est ainsi que l'Italie fut délivrée d'une grande crainte, car Hannibal n'aurait jamais été vaincu s'il avait reçu cette force supplémentaire. [53] Il me semble qu'un dieu accorda cette victoire aux Romains comme compensation pour le désastre de Cannes, car elle survint peu de temps après et fut d'une importance à peu près égale. Dans les deux cas les généraux perdirent la vie, et le nombre de soldats tués et de prisonniers fut presque tout à fait le même dans chaque cas. Chacun prit également le camp de l'autre et une grande quantité de bagages. Ainsi la fortune de Rome fut tout à cout bonne et mauvaise. Les Celtibériens qui échappèrent au carnage, les uns rentrèrent dans leur propre pays et les autres rejoignirent Hannibal. [54] Hannibal fut considérablement abattu par la perte de son frère et d'une si grande armée, détruite soudainement par la méconnaissance des routes. Privé de tout ce qu'il avait gagné par les travaux infatigables durant les quatorze ans, où il avait combattu contre les Romains en Italie, il se retira dans le Bruttium : c'était le seul endroit qui lui était resté fidèle. Il s'y tint tranquille, attendant de nouvelles forces de Carthage. On lui envoya 100 navires marchands chargés d'approvisionnements, de soldats et d'argent, mais comme ils n'avaient pas suffisamment de rameurs, ils furent poussés par le vent en Sardaigne. Le préteur de la Sardaigne les attaqua avec ses navires de guerre, en coula vingt et en captura soixante. Le reste se réfugia à Carthage. Hannibal donc était dans un plus grand embarras et il désespéra de l'aide des Carthaginois. Et Magon, qui rassemblait des mercenaires en Gaulle et en Ligurie, ne lui envoyait aucune aide, mais attendait de voir le tour que les affaires prendraient. Comprenant qu'il ne pouvait rester, Hannibal alors commença à mépriser les Bruttiens eux-mêmes parce qu'ils lui seraient bientôt hostiles, et il les accabla d'impôts. Il transféra la population de leurs villes fortes dans les plaines comme s'ils projetaient une révolte. Il fit périr plusieurs de leurs citoyens, leur portant des accusations pour pouvoir confisquer leur propriété. [55] CHAPITRE IX. Telle était sa situation. À Rome alors étaient consuls Licinius Crassus et Publius Scipion, le conquérant de l'Espagne. Crassus conduisit la guerre contre Hannibal en Apulie, mais Scipion montrait au peuple qu'on n'expulserait jamais Hannibal et les Carthaginois de l'Italie à moins d'envoyer une armée romaine en Afrique et d'apporter ainsi le danger dans leur propre territoire. En insistant fort et en persuadant ceux qui hésitaient il se fit choisir lui-même comme général pour l'Afrique et partit immédiatement en Sicile. Là il rassembla et forma une armée et attaqua soudainement Locres en Italie où Hannibal avait une garnison. Après avoir massacré la garnison et mis la ville sous la commandement de Pleminius il s'embarqua pour l'Afrique. Pleminius outragea les Locriens de toutes les façons possibles : humiliation, cruauté.. et finit par piller le temple de Proserpine. C'est pourquoi les Romains le firent périr en prison, lui et ses compagnons, et donnèrent leurs biens aux Locriens pour les déposer dans le trésor de la déesse. Ils donnèrent à la déesse tout ce qu'ils purent retrouver du pillage, et ce qu'ils ne purent retrouver ils le complétèrent avec leur propre trésor public. [56] Au même moment Crassus fit passer dans le camp romain Consentia, une grande ville de Bruttium, et six autres. Comme certains prodiges désastreux envoyés par Jupiter étaient apparus à Rome, les decemviri, ayant consulté les livres Sibyllins, indiquèrent que quelque chose tomberait bientôt du ciel à Pessinonte en Phrygie (où la mère des dieux est adorée par le Phrygiens), qu'il fallait l'apporter à Rome. Peu après, on annonça la chute et l'image de la déesse fut apportée à Rome, et encore maintenant ils fêtent la Mère des dieux le jour où elle arriva. On dit que le bateau qui la transportait, embourbé dans la boue du Tibre, ne put être déplacé jusqu'à ce que les devins aient proclamé qu'il poursuivrait sa route seulement s'il était tiré par une femme qui n'avait jamais commis l'adultère. Claudia Quintia, accusée de ce crime mais qui n'était pas encore jugée (elle était suspecté à cause de sa vie déréglée), et qui avait énergiquement appelé les dieux pour être témoin de son innocence, attacha sa ceinture au navire, sur quoi la déesse suivit. Ainsi Claudia acquit une grande renommée en lieu de sa mauvaise réputation. Mais avant cette affaire de Claudia, les Romains avaient été obligés par les livres Sibyllins d'envoyer leur meilleur citoyen pour rapporter l'image de Phrygie. Scipion Nasica, fils de Cn. Scipion, qui avait été général en Espagne et y avait perdu la vie, et cousin de Scipion l'Africain l'aîné, leur parut leur meilleur citoyen. C'est de cette façon que la déesse fut transportée à Rome par le meilleur citoyen et la meilleure de leurs femmes. [57] Comme les Carthaginois étaient battus chaque fois par Scipion en Afrique, les Bruttiens qui en avaient eu bruit, se révoltèrent contre Hannibal, les uns massacrèrent leurs garnisons et d'autres les expulsèrent. Ceux qui ne pouvaient pas le faire envoyèrent secrètement des messagers à Rome pour expliquer la nécessité qui les avaient fait agir et pour déclarer leur bonne volonté. Hannibal arriva avec son armée à Petelia, qui n'était plus alors occupée par les Peteliens, car il les avait expulsés et avait donné la ville aux Bruttiens. Il accusa ces derniers d'avoir envoyé une ambassade à Rome. Comme ils le niaient, il feignit de les croire, mais il leur dit, qu'il ne pouvait se permettre aucun soupçon, c'est pourquoi il livra leurs notables aux Numides, en leur ordonnant de les garder chacun d'eux séparément. Il désarma également le peuple, arma les esclaves, et les installa comme garnison. Il fit la même chose dans les autres villes qu'il visita. Il retira 3000 citoyens de Thurii, qui étaient particulièrement favorables aux Carthaginois, et de 500 autres de la campagne, et donna le reste comme butin à ses soldats. il laissa une forte garnison dans la ville et transporta ces 3500 personnes à Crotone, qu'il estimait être bien situé pour ses opérations et où il établit ses dépôts et sa base d'opération contre les autres villes. [58] Quand les Carthaginois le sommèrent de venir en aide à son propre pays, qui était menacé par Scipion, et lui eurent envoyé Hasdrubal, leur amiral, pour qu'il n'y ait aucun retard, il déplora la conduite perfide et ingrate des Carthaginois envers ses généraux : il en avait fait une longue expérience. En plus il craignait qu'on le rendît responsable de cette grande guerre, qu'il avait commencée tout seul en Espagne. Néanmoins, poussé par la nécessité d'obéir, il fit construire une flotte, car l'Italie était en état de lui fournir du bois de construction en abondance. Dédaignant autant les villes qui étaient toujours alliées que celles qui étaient maintenant ses ennemies, il résolut de les piller toutes, et ainsi, en enrichissant son armée, pour faire taire ses calomniateurs à Carthage. Mais honteux d'une telle infraction à la loyauté, il envoya l'amiral Hasdrubal, sous prétexte d'inspecter les garnisons. Ce dernier, en entrant dans chaque ville, ordonna aux habitants de prendre toutes les choses qu'eux et leurs esclaves pouvaient emporter, et de s'en aller. Alors il pilla le reste. Certaines villes, informées de ces démarches attaquèrent les garnisons avant la venue d'Hasdrubal, les battant en quelques endroits et furent battus dans d'autres. Ce fut un carnage aveugle, avec viol des femmes et rapt de vierges, et on vit toutes les horreurs qu'on voit habituellement lors de la prise de villes. [59] Quant à Hannibal, sachant que les Italiens de son armée étaient des soldats fort bien entraînés, il chercha à les persuader par des promesses somptueuses de l'accompagner en Afrique. Ceux parmi eux qui avaient été coupables des crimes contre leurs propres pays s'expatrièrent volontairement et le suivirent. Ceux qui n'avaient commis aucune faute hésitèrent. Rassemblant ceux qui avaient décidé de rester, comme s'il souhaitait discuter avec eux, ou comme s'il voulait les récompenser pour leurs services, ou comme pour leur donner des instructions pour l'avenir, il les fit encercler tout à coup par son armée, et ordonna à ses soldats de choisir parmi eux ceux qu'ils voulaient prendre pour esclaves. Certains le firent. D'autres eurent honte de ramener comme esclaves des camarades de tant de combats. Hannibal les fit mettre à mort à coups de javelots pour que les Romains ne puissent utiliser d'un corps de troupe si aguerri. En même temps il fit abattre aussi environ 4000 chevaux et un grand nombre d'animaux de somme, qu'il ne pouvait transporter en Afrique. [60] Sur quoi il fit embarquer son armée et attendit un vent favorable, laissant quelques garnisons à terre. Les Petalini et d'autres Italiens les attaquèrent, en tuèrent certains d'entre eux, et puis se retirèrent. Hannibal vogua vers l'Afrique, ayant dévasté l'Italie pendant seize ans, et infligé des maux innombrables à ses habitants; il amena Rome plusieurs fois à la dernière extrémité, et traita ses sujets et ses alliés avec le mépris qu'on a pour des ennemis. En effet il s'était servi d'eux pendant tout ce temps, non par une quelconque bonté d'âme mais par nécessité. Aussi maintenant qu'ils ne lui étaient plus d'aucun davantage il les dédaigna et les considéra comme des ennemis. [61] Quand Hannibal repartit d'Italie, le sénat pardonna à tous peuples Italiens qui avaient collaboré avec lui, et vota une amnistie générale sauf pour les Bruttiens, qui étaient restés les plus ardents collaborateurs jusqu'au bout. On confisqua une partie considérable de leurs terres, aussi que leurs armes, du moins celles qu'Hannibal n'avait pas emmenées. On leur interdit également de s'enrôler dorénavant dans l'armée, puisqu'ils n'étaient plus libres, et on leur imposa d'accompagner comme domestiques les consuls et les préteurs qui allaient occuper les postes gouvernementaux et surveiller les travaux publics des provinces. Ainsi se termina l'invasion d'Hannibal en l'Italie.