[40,0] LETTRE XL. AMBROISE à l'EMPEREUR THÉODOSE. Il (Ambroise) demande audience à l'Empereur, lui disant que rien ne rend un souverain plus digne de louange que l'afabilité. Il lui remontre qu'il ne peut se taire sans mettre en péril le salut de l'un et de l'autre; que la liberté ne doit pas déplaire aux princes; que, quoiqu'il ait de la piété, il peut être trompé; que le sentiment où il est qu'il faut rebâtir la synagogue est plein de dangers, puisqu'il exposera un évêque ou à souffrir le martyre ou à to mber dans la prévarication. Ayant ensuite proposé sur ce sujet l'exemple de Julien, il réfute les raisons sur lesquelles l'édit est fondé, surtout que les juifs ont brûlé plusieurs églises. Parlant du temple des Valentiniens, qu'il dit être plus méchants que les paîens, et déprimant la valeur des dons qu'on y avait enlevés, il montre qu'on donne lieu aux calomnies des juifs et qu'on les fait triompher de Jésus-Christ. Il fait faire ici à Jésus-Christ une plainte allégorique sur ce sujet; et, après avoir effrayé Théodose par l'exemple de Maxime et l'avoir averti de ne pas se déclarer le vengeur des juifs et des hérétiques, il l'exhorte de nouveau à la clémence. Au prince très clément et au très heureux empereur Auguste, Ambroise évêque. [40,1] Je suis en tous temps, très heureux empereur, accablé de soins continuels. Mais je n'ai jamais ressenti de plus cruelle agitation que celle où je me trouve à présent, lorsque je vois que je dois prendre garde qu'on ne m'accuse de vous laisser en danger de commettre un sacrilège. Ainsi je vous conjure d'écouter patiemment ce que j'ai à vous dire. Car, si je suis indigne que vous m'écoutiez, je ne suis pas moins indigne que vous me chargiez d'offrir pour vous le sacrifice et de porter à l'autel vos voeux et vos prières. Pourriez-vous ne pas écouter celui que vous voulez que Dieu écoute lorsqu'il prie pour vous ? N'écouterez-vous pas celui qui parle pour soi-même, après l'avoir écouté avec bonté lorsqu'il vous parlait pour les autres ? Et ne craindrez-vous pas le jugement que vous formerez de moi, puisque, si vous me réputez indigne d'être écouté de vous, vous me rendrez indigne d'être écouté de Dieu lorsque je lui parlerai en votre faveur ? [40,2] De plus, il ne convient ni à un empereur d'ôter la liberté de parler ni à un évêque de ne pas dire ce qu'il pense. Car rien ne rend un souverain si aimable et ne lui attire tant l'affection du peuple que d'aimer la liberté dans les officiers mêmes qui servent sous lui et qui lui sont soumis; y ayant cette différence entre les bons et les mauvais princes que les bons aiment la liberté et les mauvais la servitude. Il n'est rien aussi pour un évêque de plus dangereux devant Dieu, de plus déshonorant devant les hommes que de ne pas déclarer librement ce qu'il pense. Car il est écrit (Ps. CXVIII,46) : "Je parlais des témoignages de votre loi devant les rois et je n'en avais point de confusion". Et ailleurs : "Fils de l'homme je vous ai établi pour sentinelle à la maison d'Israêl ... si le juste abandonne la justice et qu'il commette l'iniquité, parce que vous ne l'avez pas remontré, c'est-à-dire, parce que vous ne l'avez pas averti de se tenir sur ses gardes, la mémoire de toutes les actions de justice qu'il avait faites sera effacée, mais je vous redemanderai son sang. Que si vous avertissez le juste afin qu'il ne péche point et qu'il ne tombe point dans le péché, il vivra de la vraie vie parce que vous l'avez averti et vous aurez ainsi délivré votre âme" (Ezech. III,17-19). [40,3] J'aime donc mieux, auguste Empereur, avoir part avec vous aux biens qu'aux maux de la vie future. C'est pourquoi le silence d'un évêque doit déplaire à votre clémence et sa liberté lui plaire; mon silence ne pouvant que vous être funeste et dangereux au lieu que ma liberté vous sera avantageuse et salutaire. Je ne suis donc pas importun. Je ne me mêle pas de ce dont je ne suis pas chargé. Je ne m'ingère pas dans les affaires d'autrui. Mais je fais mon devoir. J'obéis aux commandements de notre Dieu. Et je le fais premièrement parce que je vous aime, que je vous honore, que je suis animé d'un saint zèle pour votre salut et, si l'on ne m'accorde pas tous ces sentiments ou qu'on me les interdise, j'ajoute que je le fais de peur d'offenser Dieu. Si le dangerque je cours vous mettait en sûreté, je m'y exposerais patiemment pour l'amour de vous mais non pas volontiers car j'aime bien mieux que vous soyez agréable à Dieu et comblé de gloire sans qu'il m'en coûte aucun danger. Mais si mon silence et ma dissimulation me rendent plus coupable sans vous exempter de péché, j'aime mieux que vous me traitiez d'importun que de me regarder comme un homme inutile et couvert de confusion; d'autant qu'il est écrit dans l'apôtre saint Paul dont vous ne pouvez rejeter la doctrine : "Pressez les hommes à temps, à contre-temps, reprenez, suppliez, menacez sans vous lasser" (II Tim. IV, 2). [40,4] Nous avons donc un maître auquel nous ne saurions déplaire sans un danger extrème; surtout puisque les empereurs ne trouvent pas mauvais que chacun s'acquitte de sa charge et que vous souffrez patiemment que les particuliers, chacun selon son devoir, vous fassent des représentations et que vous repreniez même ceux qui ne le font pas selon leur rang et leur état. Si donc cette conduite vous est agréable dans ceux qui vous ont promis une soumission particulière, la désapprouverez-vous dans les évêques qui ne vous disent pas ce qu'ils veulent mais ce que Dieu leur ordonne. Vous savez ce que nous lisons dans l'évangile : "Lorsque vous serez présentés devant les rois et les magistrats, ne vous mettez pas en peine comment vous leur parlerez, car ce que vous devez leur dire vous sera donné à l'heure même, puisque ce n'est pas vous qui parlez mais que c'est l'esprit de votre père qui parle en vous" (Matth. X, 19, 20). Cependant je ne crains pas tant de n'être pas écouté, lorsque je parle pour des affaires qui intéressent la république, quoiqu'il faille y garder les lois de la justice. Mais dans la cause de Dieu, qui écouterez-vous, si vous n'écoutez pas un évêque toujours mis à un plus grand danger lorsque Dieu est offensé ? Qui osera vous dire la vérité, si un évâque n'en a pas la hardiesse ? [40,5] Je connais votre piété, votre clémence, votre douceur, votre tranquillité, votre foi, la crainte de Dieu que vous avez dans le coeur. Mais il arrive souvent que nous sommes trompés dans certaines affaires. "Il est des gens qui ont le zèle de Dieu mais c'est un zèle qui n'est pas selon la science" (Rom. X, 2). Je crois donc qu'il faut prendre garde que cette illusion n'aarive à des âmes pleines de candeur. Je connais quelle est votre piété envers Dieu, quelle est votre douceur pour les hommes. Je vous suis attaché par les bienfaits dont votre bonté m'a comblé. Voilà pourquoi ma crainte augmente, ma peine redouble dans l'inquiétude où je suis que vous ne me condamniez vous-même dans la suite de ce que ou par ma dissimulation ou par ma flatterie vous n'avez pas évité de commettre une faute. Si je voyaus que quelqu'un péchât contre moi, je ne devrais pas me taire, puisqu'il est écrit : "Si votre frère péche contre vous, corrigez-le d'abord, reprenez-le ensuite en présence de deux ou de trois témoins (Matth. XVIII, 15 et seq.), s'il ne vous écoute pas, dites-le à l'église". Me tairai-je donc quand il s'agit de la cause de Dieu ? Voyons maintenant ce qui fait le sujet de ma crainte. [40,6] Le comte d'Orient qui commande les troupes de ces quartiers a rapporté qu'on a brûlé une syngogue et que l'évêque du lieu a été l'auteur de l'incendie. Vous avez ordonné qu'on punît les autres et que l'évêque fût obligé de rebâtir à ses dépens la synagogue.Je ne dis pas qu'il aurait fallu attendre que l'évêque fût convenu du fait. Car les évêques apaisent les tumultes, aiment la paix, à moins qu'ils ne soient vivement touchés du mépris qu'on a pour Dieu ou de l'injure qu'on fait à l'église. Si cet évêque a été trop prompt et trop ardent à brûler la synagogue et qu'il soit faible et timide dans le jugement, n'appréhendez-vous point, auguste Empereur, qu'il se soumette à votre arrêt ? Ne craignez-vous pas qu'il tombe dans la prévarication ? [40,7] Ne craignez-vous pas aussi, ce qui arrivera, que cet évêque résiste dans ses réponses au comte que vous lui avez donné pour juge ? Le comte sera donc réduit d'en faire ou un prévaricateur ou un martyr. Tous les deux partis sont indignes de votre règne. Tous les deux sont l'image d'une persécution si on le force ou de tomber dans la prévarication ou de souffrir le martyre. Vous voyez quelle sera l'issue de cette affaire. Si vous croyez cet évêque plein de courage, prenez garde d'en faire un martyr ; si vous le croyez faible et lâche, épargnez-lui une chute. On se charge d'un double péché en faisant tomber un faible dans le précipice. [40,8] Si on lui propose cette condition, je crois qu'il dira qu'il a jeté lui-même le feu dans la synagogue, qu'il a excité la sédition et qu'il a assemblé le peuple pour ne pas perdre l'occasion du martyre et s'exposer au supplice comme étant plus fort pour en délivrer les faibles. Heureux mensonge par lequel il obtiendra aux autres leur absolution et à lui-même une gloire immortelle. Voilà, auguste Empereur, ce que j'ai demandé que vous fissiez plutôt tomber sur moi le poids de votre vengeance et que vous m'imputassiez cette action, si vous la regardez comme un crime. Pourquoi appellez-vous des absents en jugement ? Je suis présent. Je me confesse coupable. J'avoue hautement que c'est moi qui ai brûlé la synagogue; que c'est moi certainement qui ai donné l'ordre à ceux qui l'ont brûlée afin qu'un lieu où on renonçait Jésus-Christ fût détruit. Si on m'objecte d'où vient que je n'ai pas brûlé la synagogue de Milan ? Je réponds que Dieu, ayant commencé à le faire, ma main est devenue inutile, et, pour dire la vérité, ce qui m'a retenu c'est que je ne croyais pas que ce fût un cas digne de punition. A quoi bon l'aurais-je fait puisque personne ne devant m'en punir j'aurais été sans récompense ? Ces entreprises nous font en quelque sorte rougir mais lorsque nous les omettons elles nous privent de la grâce que nous aurions méritée en empêchant que Dieu soit offensé. [40,9] Je veux bien cependant que personne, comme je l'ai demandé à votre clémence, n'aille trouver cet évêque pour l'obliger à cette réparation et, quoique je n'ai pas encore vu que votre rescrit soit révoqué, supposons pourtant qu'il est révoqué en effet. S'il arrive que d'autres plus timides viennent offrir, par crainte de la mort, une partie de leurs biens pour rebâtir la synagogue ou que le comte, aussitôt qu'il sera assuré que la chose est règlée, ordonne qu'on la rétablisse de l'argent des chrétiens, qu'arrivera-t-il ? Vous aurez, auguste Empereur, un comte qui sera devenu un prévaricateur et vous oserez lui confier vos armées toujours victorieuses, mettre le Labarum, cet étendard consacré par le nom de Jésus-Christ, entre les mains d'un homme qui a rétabli une synagogue, laquelle ne connaît pas Jésus-Christ. Faites porter le Labarum dans la synagogue, voyons si les juifs ne feront point de résistance. [40,10] La maison destinée à la perfidie des juifs sera donc construite des dépouilles de l'église et le patrimoine que les chrétiens ont acquis par la faveur de Jésus-Christ sera transmis en don à ses perfides ennemis ? Nous lisons qu'on a bâti autrefois des temples aux idoles du butin qu'on avait fait sur les Cimbres ou sur d'autres barbares. Les juifs mettront sur le frontispice de leur synagogue cette inscription : Temple d'impiété fait des dépouilles des chrétiens. [40,11] Mais le motif de conserver l'ordre public, auguste Empereur, fait impression sur votre esprit ? Lequel devez-vous préférer, un zèle apparent de l'ordre ou la cause de la religion ? Il faut que dans cette occasion la piété l'emporte sur la police. [40,12] N'avez-vous pas oüi dire, auguste Empereur, que Julien, ayant voulu rétablir le temple de Jérusalem, les ouvriers qui nettoyaient les vieux fondements furent consumés par le feu miraculeux ? N'appréhendez-vous pas que cela n'arrive encore maintenant ? Ne suffit-il pas que Julien ait donné un tel ordre pour vous détourner d'en donner un pareil ? [40,13] Voyons pourtant ce qui fait impression sur votre esprit ? Est-ce parce qu'on a brûlé un édifice public quelqu'il soit ou seulement une syngogue ? Si vous êtes fâché qu'on ait brûlé un chétif bâtiment, car que pouvait-il avoir de considérable dans un château assez inconu ? Ne vous souvenez-vous pas, auguste Empereur, de combien de préfets on a brûlé les palais à Rome sans que personne en ait tiré vengeance ? Ou si quelqu'un d'entre les empereurs a fait châtier sévèrement les incendiaires, il n'a fait que rendre odieux celui qui avait souffert cette perte. Lequel donc serait le plus juste ou qu'on punît l'incendie de quelques maisons du bourg de Callinique ou celui des palais magnifiques de Rome ? Si pourtant il était à propos de punir pour un tel sujet. La maison épiscopale de l'évêque de Constantinople a été brûlée depuis peu et le fils de votre clémence intercéda auprès de vous afin que vous ne vengeassiez ni son injure, c'est-à-dire, l'injure faite au fils de l'empeeur, ni l'incendie de la maison épiscopale. Ne faites-vous pas réflexion que, si vous ordonnez qu'on punisse cet incendie, votre fils pourra de nouveau intercéder auprès de son père pour l'empêcher ? Mais le père a parfaitement bien fait d'accorder cette grâce à son fils. Car il était digne du fils qu'il commençât par pardonner son injure. Ainsi les faveurs ont été admirablement partagées. Le fils a été prié d'oublier son injre. Le père a été prié de pardonner l'injure faite à son fils. Par là il paraît que vous ne refusez rien à votre fils. Prenez garde que vous n'ayiez quelque réserve pour Dieu même. [40,14] Il ne faut donc pas faire tant de bruit pour une pareille cause, ni punir si sévèrement le peuple pour avoir brûlé cet édifice, encore moins pour avoir brûlé une synagogue, c'est-à-dire un lieu de perfidie, une maison d'impiété, un réceptacle de folie que Dieu a condamné lui-même au feu selon que nous lisons dans le prophète Jérémie où le seigneur notre Dieu dit : "Je traiterai cette maison où mon nom a été invoqué, dans laquelle vous mettez votre confiance et que je vous ai donnée et à vos pères, come j'ai traité Silo. Je vous rejetterai de ma face comme j'ai rejetté vos frères et tous les enfants d'Éphraïm. Et vous, prophète, ne priez pas pour ce peuple et ne demandez pas miséricorde pour les juifs. Ne vous approchez pas de moi pour intercéder en leur faveur. Car je ne vous exaucerai point. Ne voyez-vous pas ce qu'ils font dans les villes de Juda (Ierem. VII, 14 et seq.) "? Dieu défend de prier pour eux et vous vous chargez de les venger ? [40,15] Si je voulais agir ici par le droit des gens, je rapporterais combien de basiliques et d'églises les juifs ont brûlé sous le règne de Dioclétien, deux à Damas dont l'une est à peine rétablie mais aux dépens de l'église, non de la synagogue ; l'autre n'est qu'un affreux amas de ruines. On a brûlé des basiliques à Gaze, à Ascalon, à Berite et presque dans tous ces lieux personne n'en a demandé la punition. Les gentils et les juifs ont aussi brûlé à Alexandrie la basilique de toutes les autres la plus belle et la plus magnifique. L'église n'a pas été dédommagée de ces pertes et la synagogue le sera ? [40,16] Dédommagera-t-on encore les Valentiniens de leur temple brûlé ? Et qu'est-ce que ce temple sinon un lieu où s'assemblent des gens pires que des païens ? Car si ceux-ci invoquent le nom de douze divinités, les Valentiniens révèrent trente deux aeons qu'ils appellent Dieux. Cependant j'ai appris qu'en leur faveur il était ordonné qu'on punirait les moines d'avoir brûlé ce temple bâti à la hâte dans un village, parce qu'ils n'avaient pu souffrir l'insolence de ces hérétiques qui s'opposaient à leur marche dans le temps qu'ils allaient chantant des psaumes selon l'ancien usage pour célébrer la fête des saints martyrs Machabées. [40,17] Combien s'en trouvera-t-il parmi eux qui s'offriront volotiers à la mort en se souvenant que du temps de Julien, celui qui renversa l'autel et qui interrompit le sacrifice fut condmané par le juge et reçut la couronne du martyre. Aussi le juge qui instruisit son procès ne fut jamais regardé que comme un persécuteur; personne ne voulut plus désormais ni le saluer ni lui accorder le baiser de paix et, s'il n'était pas déjà mort, je craindrais, grand Empereur, que vous ne lui fissiez sentir le poids de votre vengeance, quoiqu'il n'ait pas évité celle de Dieu qui l'a puni dans la personne de son fils qui devait être son héritier et qui est mort avant lui. [40,18] On rapporte encore qu'on a écrit au juge, à qui il était ordonné de connaître de cette affaire, qu'il n'aurait pas dû vous en instruire mais punir les coupables et informer pour savoir en quoi consistent les dons qu'on a enlevés. Je passe tout le reste sous silence. Les juifs ont brûlé les basiliques et les églises et on ne les a obligés à aucune restitution, on ne leur a rien redemandé, on n'en a point fait d'information. Qu'a pu posséder une synagogue bâtie dans un château situé à l'extrémité de l'empire ? Tout ce qui y était, quelqu'il fût, n'était pas grand-chose, il n'y avait rien de précieux, rien de riche. Et de plus, qu'a-t-on pu prendre aux juifs qui durant l'incendie se défendaient vigoureusement ? Ce sont là leurs artifices ordinaires. Ils ne songent qu'à nous calomnier, afin que sur ces plaintes on donne une commission extraordinaire à quelque officier d'armée et qu'on envoie des soldats qui diront peut-être ce qu'ils ont déjà dit ici une fois avant, auguste Empereur, que vous fussiez venu en Aquilée : comment Jésus-Christ se déclarera-t-il notre protecteur si nous portons les armes pour les juifs contre Jésus-Christ, si l'on nous fait marcher pour venger les juifs ? Ils ont perdu leurs armées et ils veulent perdre les nôtres. [40,19] De plus, quel affreux amas de calomnies ne publieront-ils pas, puisqu'ils n'ont pas craint de rendre un faux témoignaga contre Jésus-Christ et de le perdre par leurs calomnies ? A quelles impostures n'auront pas recours ces hommes vendus aux mensonges et aveugles sur les choses de Dieu ? Qui n'accuseront-ils pas d'être les auteurs de la sédition ?Ne mettront-ils pas en justice ceux-mêmes qu'ils ne connaissent point, afin d'avoir la satisfaction de voir un nombre infini de chrétiens chargés de chaînes, les fidèles mis sous le joug de la servitude, les serviteurs de Dieu renfermés dans d'obscures prisons, condamnés à perdre la tâte, consumés par le feu ou destinés à travailler aux mines et prolonger par-là leurs peines et leurs supplices. [40,20] Quoi, pourrez-vous, auguste Empereur, vous résoudre de forunir aux juifs un sujet de triomphe sur l'église de Dieu ? Leur laisserez-vous ériger un trophée sur le peuple qui adore Jésus-Christ ? Procurerez-vous cette joie à des perfides ? Ajouterez-vous cette fête à celles de la synagogue ? Ferez-vous verser des pleurs et des larmes à l'église ? Les juifs, n'en doutez pas, mettront ce jour parmi leurs fêtes et le compteront parmi ces solemnités où ils ont triomphé des Amorrhéens ou des Chananéens et où ils ont été délivrés de la puissance de Pharaon, roi d'Égypte ou de la main de Nabuchodonosor, roi de Babylone. Ils ajouteront cette nouvelle solemnité pour marquer qu'ils ont triomphé du peuple de Dieu. [40,21] Et quoiqu'ils prétendent n'être pas soumis aux lois romaines, en sorte qu'ils croient commettre un crime de les observer, ils veulent néanmoins maintenant que les lois romaines servent à les venger. Où étaient ces lois lorsqu'ils mettaient le feu au toit des basiliques ? Si Julien n'a pas vengé l'église parce qu'il était apostat, vous, auguste Empereur, vengerez-vous le tort fait à la synagogue parce que vous êtes chrétien ? [40,22] Après cela que vous dira Jésus-Christ ? Ne vous souvenez-vous pas du discours que le prophète Nathan tint de sa part au saint roi David ? Je vous ai choisi parmi vos frères dont vous étiez le derneir et d'un particulier je vous ai fait empereur. J'ai placé vos enfants sur le trône impérial. J'ai soumis à votre puissance les nations barbares. Je vous ai donné la paix. Je vous ai amené captif votre ennemi le livrant à votre discrétion. Vous manquiez de blé pour la subsistance de votre armée. Je vous ai ouvert par la propre main de vos ennemis les portes de leurs villes et leurs magasins. Ils vous ont fourni eux-mêmes les vivres qu'ils avaient préparés pour leurs troupes. C'est moi qui ai dérangé les projets de votre rival et qui l'ai porté à se dépouiller de ses avantages. J'ai tellement aveuglé cet usurpateur de l'empire et jeté un si grand trouble dans son esprit, qu'ayant toute liberté de s'enfuir il s'est pourtant enfermé lui-même vec tous les siens comme s'il eût appréhendé qu'il n'en échappât quelqu'un à votre victoire. J'ai rassemblé pour rendre votre triomphe complet son amiral et la flotte qu'il commandait sur mer, que j'avais auparavant dispersée par la tempête, de peur qu'il ne vînt avec elle pour vous combattre. J'ai fait garder à votre armée composée de plusieurs nations indomptables une fidélité, une paix, une union aussi grande que si ce n'eût été qu'un seul peuple. Lorsqu'il y avait un extrême danger pour vous, si les barbares, selon leurs desseins, passaient les Alpes, je vous ai fait remporter la victoire dans l'enceinte de ces montagnes, afin que leur défaite ne vous coutât point de sang. Je vous ai donc fait triompher ainsi de votre ennemi et vous, vous ferez triompher mes ennemis de mon peuple ! [40,23] N'est-ce pas pour cela que Maxime a perdu l'empire, car quelques jours avant son expédition, ayant appris qu'on avait brûlé à Rome une synagogue, il y envoya un édit pour la rétablir comme étant le vengeur de l'ordre public ? ce qui fit dire aux chrétiens : il ne doit point attendre de bon succès. Cet empereur s'est fait juif. Si l'on a parlé de la sorte de son édit, que ne dira-t-on pas de sa punition si visible ? D'abord il a été vaincu par les Francs, par les Saxons, il l'a été ensuite en Sicile, à Sciscie, à Petau, enfin par toute la terre. Vous qui avez de la piété qu'avez-vous de commun avec un perfide ? Il faut détruire avec l'impie les exemples de son impiété. Le victorieux ne doits pas approuver mais condamner ce qui a causé la perte du vaincu et ce qui l'a fait échouer. [40,24] Je vous ai remis devant les yeux tous ces bienfaits, non pour vous reprocher votre ingratitude, mais j'en ai fait l'énumération comme vous ayant été accordés avec justice, afin que vous aimiez davantage celui de qui vous avez plus reçu. Simon ayant fait cette réponse, notre seigneur Jésus-Christ lui dit : " vous avez fort bien jugé" (Luc. VII, 44). Puis, se tournant tout d'un coup vers cette femme qui, comme la figre de l'église, a répandu du parfum sur ses pieds, il dit à Simon : "c'est pourquoi je vous déclare que beaucoup de péchés lui sont remis parce qu'elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui on remet moins, aime moins" (Luc. VII, 47). C'est cette femme qui, étant entré dans la maison du pharisien, en a chassé le juif et a acquis Jésus-Christ, car l'église a exclu la synagogue. Pourquoi fait-on donc une nouvelle tentative auprès du serviteur de Jésus-Christ pour obtenir que la synagogue exclue l'église de son coeur, qui est le siège de sa foi et la maison de Jésus-Christ ? [40,25] Auguste Empereur, mon amour pour votre personne et le zèle que j'ai pour votre service m'ont engagé à vous faire dans cette lettre toutes ces représentations. Je dois tout à votre bonté. Vous m'avez comblé de bienfaits. C'est à ma prière que vous avez délivré plusieurs coupables de l'exil, de la prison, du dernier supplice, de sorte que je ne dois pas craindre, pour procurer votre salut, d'encourir même votre disgrâce (personne n'agit avec plus de confiance que celui qui aime sincèrement et du fond du coeur. Personne, s'il consulte ses intérêts, ne doit faire du mal à un ami) de peur que je ne perde en un moment la faveur de tous les évêques qui se sont mis dans l'esprit depuis tant d'années que je puis tout auprès de vous. Cependant, je ne demande pas de perdre vos bonnes grâces mais d'éloigner le danger où votre salut est exposé. [40,26] Qu'y a-t-il donc en cela de fort singulier, auguste Empereur, que vous ne croyez pas devoir faire informer, ni punir une faute, sur laquelle personne jusqu'à présent n'a fait informer, que personne n'a jamais punie ? Il est bien étrange de mettre en faveur des juifs votre foi en danger. Gédéon, ayant tué le veau sacré (Iudic. VI, 31), les païens s'écrièrent : que les dieux vengent eux-mêmes leur propre injure. Qui est-ce qui est chargé de venger la synagogue ? Est-ce Jésus-Christ qu'ils ont fait mourir, qu'ils ont renoncé ? Est-ce Dieu le père ? Hé, vengera-t-il ceux qui ne reçoivent pas le père n'ayant pas reçu le fils ? qui est chargé de venger les hérétiques Valentiniens ? Votre piété les venge si bien qu'elle a ordonné de les bannir des villes et leur a défendu de faire aucune assemblée (IV Reg. XXII, 2). Si je vous propose la conduite de Josias, ce roi si chéri de Dieu, vous condamnerez en ceux-là ce qui a été approuvé par lui. [40,27] Si l'on se défie de moi sur ce sujet, faites assembler les évêques que vous voudrez; qu'ils examinent, auguste Empereur, ce qu'on doit faire en mettant la foi en sûreté. Si vous consultez vos comtes, quand il ne s'agit que d'argent, combien est-il plus juste que vous consultiez les ministres du seigneur dans une affaire de religion ? [40,28] Que votre clémence considère combien l'église a d'ennemis qui lui dressent des embûches, combien d'envieux qui l'observent ? S'ils trouvent la moindre ouverture, ils la perceront des traits de leur malignité. Je parle humainement. Au reste, il paraît qu'on craint Dieu plus que les hommes, lorsqu'on le préfère avec justice aux empereurs. Si l'on regarde comme un devor la déférence qu'on a pour un ami, pour un parent, pour un proche, j'ai jugé que je devais avec justice avoir de la déférence pour Dieu et le préférer à tous les hommes. Prenez soin, auguste Empereur, de votre salut ou souffrez que je prenne soin du mien. [40,29] Que répondrai-je dans la suite, si l'on vient à savoir que les juges ayant reçu ici leur pouvoir ont fait mourir quelques chrétiens ou par l'épée ou par les coups de bâton et par les fouets armés de plomb. Comment justifierai-je cette cruauté ? quelles excuse trouverai-je auprès des évêques qui gémissent amèrement qu'on détourne des fonctions du sacré ministère des prêtres, qui ont servi dans leur degré des trente ans et plus, et les autres ministres de l'église pour les appliquer à des emplois civils et prophanes ? Car, si ceux qui portent les armes pour votre servcie, obtiennent leur congé après un certain temps, combien plus devez-vous avoir d'égard pour ceux qui sont engagés dans la milice spirituelle du service de Dieu ? Comment, dis-je, aurai-je quelque excuse auprès des évêques qui se plaignent de l'oppression de leurs clercs et de l'horrible violence par laquelle ils mandent qu'on renverse et qu'on ruine leurs églises ? [40,30] J'ai voulu donner connaissance à votre clémence d'un tel abus. Vous aurez la bonté de délibérer sur ce sujet et d'y apporter le tempérament que vous jugerez à propos. Mais retractez, je vous prie, et abolissez ce rescrit qui me cause tant d'inquiétude et qui m'en cause avec raison. Vous faites tout ce que vous ordonnez qu'on fasse ou, si le juge que vous avez nommé pour le faire ne le fait pas, j'aime mieux que vous soyez clément que si ce magistrat n'a pas exécuté ce qui lui était ordonné. [40,31] Vous avez encore d'autres motifs qui vous engagent à attirer sur l'empire romain et à mériter les grâces et les faveurs du seigneur. Vous avez les princes vos enfants pour lesquels vous formez de plus hautes espérances que pour vous-même. Permettez que je vous représente dans cet écrit que leur gloire et leur salut sont entre vos mains. Je crains que vous ne vous rapportiez au jugement d'autrui d'une cause dont vous êtes le maître. Tout est encore indécis. Je réponds pour vous à Dieu de cette affaire. N'ayez point de scrupule sur votre serment. Pourrez-vous déplaire à Dieu en corrigeant ce que vous ne corrigerez que pour procurer sa gloire ? Ne changez rien dans votre lettre, soit qu'elle soit envoyée ou qu'elle ne le soit pas encore. Commandez seulement qu'on en écrive une autre qui soit pleine de foi et de piété. Vous pouvez corriger ce qui été mal fait mais il ne m'est pas permis, si vous ne le faites pas, de me taire et d'user de dissimulation. [40,32] Vous avez pardonné aux habitants d'Antioche leur sédition et le renversement de vos statues. Vous avez fait revenir les filles de Maxime pour les faire élever chez une de leurs parentes. Vous avez assigné des pensions sur votre trésor à la mère de votre ennemi. Tant de grandes actions que votre piété et votre foi vous ont fait faire seront obscurcies par ce rescrit si vous ne l'abolissez. Vous donc, auguste Empereur, qui avez pardonné à vos ennemis lorsqu'ils avaient les armes à la main et qui leur avez donné la vie, ne suivez pas, je vous en conjure, les mouvements d'un faux zèle pour ordonner des punitions contre les chrétiens. [40,33] Il ne me reste plus maintenant, grand Empereur, qu'à vous prier de ne pas me rejeter avec mépris, parce que je crains et pour vous et pour moi. C'est un saint homme qui a dit : "N'ai-je donc vécu que pour voir l'affliction de mon peuple?" (1 Machab. 2,7) Que pour tomber dans la disgrâce de Dieu ? J'ai fait certainement tout ce qui se pouvait faire de plus convenable au respect et à l'honneur qui vous est dû. J'ai mieux aimé que vous m'écoutassiez dans votre palais que d'être forcé peut-être de me faire écouter dans l'église.