[0] DE LA GRÊLE ET DU TONNERRE. [1] 1. Presque tous les habitants des villes et des campagnes de cette contrée, nobles et roturiers, jeunes et vieux, pensent que la grêle et le tonnerre peuvent tomber au gré des hommes. Ils disent, en effet, dès qu'ils entendent le tonnerre et aperçoivent les éclairs : "C'est un vent levatice". Et si vous leur demandez ce que c'est qu'un vent levatice, ils affirmeront, les uns avec une sorte de retenue, et la conscience un peu troublée, les autres avec la confiance que montrent ordinairement les ignorants, que ce vent a été soulevé par les enchantements d'hommes appelés "tempestaires", d'où lui est venu le nom de "vent levatice". Il est donc de toute nécessité de s'assurer par l'autorité des divines Écritures, si cette opinion est fondée sur la vérité, comme le croit le vulgaire. Mais si, au contraire, elle est fausse, comme nous en sommes profondément convaincus, il nous faut démontrer par une invincible accumulation de preuves de quel mensonge se rend coupable celui qui attribue à l'homme l'oeuvre de Dieu. Car il se trouve pressé entre deux mensonges très graves et très condamnables, lorsqu'il affirme que l'homme peut faire ce qui est au pouvoir de Dieu seul, et queDieu ne fait pas ce qu'il fait réellement. Et si, à l'égard des mensonges sur les choses légères, on doit s'en tenir exactement à ce qui est écrit : "Que la parole secrète ne se perdra pas dans le vide, et que la bouche qui ment tue l'âme" ; et ailleurs : "Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge"; "Le témoin menteur périra; Le faux témoin ne restera pas impuni" ; ou encore se rappeler ce qu'on lit dans l'Apocalypse de l'apôtre Jean : "Heureux ceux qui lavent leurs vêtements (dans le sang de l'Agneau), afin qu'ils aient droit à l'arbre de vie, et qu'ils entrent dans la ville par les portes..." Dehors les chiens, les empoisonneurs, les impudiques, les homicides, les idolâtres et quiconque aime et fait le mensonge; c'est surtout à l'égard d'un aussi grave mensonge qu'est celui dont nous parlons ici, et qui peut se comparer à ceux de plusieurs hérétiques. Le bienheureux apôtre Paul dit : "Nous serions même convaincus d'être de faux témoins à l'égard de Dieu, comme ayant rendu ce témoignage contre Dieu même, qu'il a ressuscité Jésus-Christ, qu'il n'aurait pas néanmoins ressuscité, s'il était vrai que les morts ne ressuscitent pas : car si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ n'est pas non plus ressuscité". Ainsi donc, de même que ceux qui annoncent que le Christ est ressuscité, seraient de faux témoins, si les morts ne ressuscitaient pas, de même aussi celui qui enlève à Dieu l'oeuvre admirable, mais terrible de Dieu, pour l'attribuer à l'homme, est un faux témoin qui dépose contre Dieu même. [2] ll. Nous avons vu et entendu beaucoup de gens assez fous et assez aveugles, pour croire et pour affirmer qu'il existe une certaine région appelée Magonie, d'où partent, voguant sur les nuages, des navires qui transportent, dans cette même contrée, les fruits abattus par la grêle et détruits par la tempête, après toutefois que la valeur des blés et des autres fruits a été payée par les navigateurs aériens aux "tempestaires", de qui ils les ont reçus. Nous avons vu même plusieurs de ces insensés qui, croyant à la réalité de choses aussi absurdes, montrèrent à la foule assemblée quatre personnes enchaînées, trois hommes et une femme, qu'ils disaient être tombés de ces navires. Depuis quelques jours ils les retenaient dans les fers, lorsqu'ils les amenèrent devant moi, suivis de la multitude, afin de les lapider ; mais, après une longue discussion, la vérité ayant enfin triomphé, ceux qui les avaient montrés au peuple se trouvèrent, comme dit un prophète, aussi confus qu'un voleur lorsqu'il est surpris. [3] llI. Mais puisque cette erreur, généralement répandue dans nos contrées, doit être soumise au jugement des hommes éclairés, cherchons les textes de l'Écriture au moyen desquels on peut la reconnaître, afin qu'après l'examen de ces textes, ce ne soit pas nous, mais la vérité elle-même, qui triomphe de la plus grossière des erreurs, et que tous ceux qui sont restés fidèles aux saines croyances confondent les suppôts du mensonge, en disant avec l'apôtre : "Nul mensonge ne vient de la vérité". En effet, ce qui ne procède pas de la vérité, ne saurait venir de Dieu, et ce qui ne vient pas de Dieu, n'entend point ses paroles, comme la Vérité le dit elle-même : "Celui qui est de Dieu entend les paroles de Dieu ; ce qui fait que vous ne les entendez point, c'est que vous n'étes point de Dieu"; ce qu'elle dit encore ailleurs en d'autres ternies : "Les brebis qui sont à moi entendent ma voix; ce qui fait que vous ne l'entendez point, c'est que vous n'êtes pas de mes brebis"; et ailleurs : "Quiconque appartient à la vérité entend ma voix". Celui qui croit au mensonge, celui qui le profère ou s'appuie sur lui en affirmant ce qui n'est pas, à quoi donc peut-il tendre, si ce n'est au néant ? Or, s'il tend au néant, il s'éloigne de celui qui est, du Tout-Puissant qui a dit à Moise : "Ainsi vous direz aux enfants d'Israël : Celui qui est m'a envoyé vers vous"; et de celui dont le bienheureux Job parle ainsi ; "Lui seul est" ; et pour parler plus clairement, la vérité possède l'être, ou plutôt l'être réside dans la propriété de subsister ; mais le mensonge, parce qu'il est la négation de l'être, n'est rien, ne subsiste pas. Donc, Dieu seul est, parce que seul il possède la véritable existence, lui qui n'a reçu l'être de personne. Toutes choses ont été créées par lui ; et elles sont; mais elles n'ont pas l'existence vraie et absolue, parce qu'elles l'ont reçue d'un principe générateur. Or, les mensonges, parce qu'ils n'ont pas reçu le don d'être, ne sont rien dans la nature. Dès lors celui qui adhère au mensonge, adhère à quelque chose qui n'est pas, et qui ne mérite pas le nom de chose. Celui qui adhère à ce qui n'est pas, non seulement s'éloigne de celui qui l'a créé, mais encore de sa propre condition de substance créée, parce qu'il n'y a absolument que deux êtres, l'un infini, qui n'a point reçu son être d'un autre, et l'autre grand, qui a reçu son être de Dieu ; c'est-à-dire, le créateur et la créature. Donc, le mensonge, parce qu'il n'est point le créateur, n'est pas l'être souverain ; parce qu'il n'est pas la créature. il n'est pas l'être grand; et parce qu'il n'a pas d'essence, il n'est pas un être. Que celui donc qui veut rester ce que le créateur l'a fait, ne s'éloigne point de celui qui lui donna l'être; et que celui qui ne veut pas s'éloigner de celui qui est véritablement, fuie ce qui n'est pas, c'est-à-dire le mensonge. IV. Or donc, puisque tout menteur est le défenseur de l'imposture, et puisque tout défenseur de l'imposture est un faux témoin agissant contre la vérité, examinons maintenant si ceux qui prétendent que l'oeuvre de Dieu peut étre accomplie par l'homme, s'appuient sur quelque autorité. Dans les saintes Écritures, le premier endroit où il est parlé de la grèle se trouve dans le chapitre relatif aux plaies dont l'Egypte a été frappée. Elle est la septième plaie; car le Seigneur a dit : "Demain, à cette même heure, je ferai pleuvoir une grêle abondante, telle qu'il n'y en a point eu en Egypte depuis qu'elle a été fondée jusqu'à ce jour". Dans ces paroles, le Seigneur dit qu'il enverra la grêle le lendemain, lui-même et non un homme, non assurément Moïse ou Aaron qui étaient des hommes justes et craignant Dieu, ni Jamnès et Mambrès, enchanteurs des Égyptiens, qui, selon l'Écriture, étaient les magiciens de Pharaon, et que l'apôtre Paul dit avoir résisté à Moïse, comme les infidèles de son temps résistaient à la vérité. Déjà, en effet, comme il est écrit, ils avaient jeté leurs verges devant Pharaon, et par leurs enchantements et les secrets de leur art, elles étaient changées en serpents, mais la verge d'Aaron dévorait les leurs. Déjà ils avaient changé les eaux en sang, déjà ils avaient tiré les grenouilles des fleuves, bien qu'ils ne pussent, comme Moïse, au nom du Seigneur, les forcer de rentrer dans les eaux. Mais lorsqu'on en fut venu aux moucherons et qu'ils n'eurent rien pu faire, ils dirent que le doigt de Dieu leur était contraire, et ne firent plus d'efforts pour accomplir rien de semblable.- Certainement, si quelque homme eût pu faire tomber la grêle, Jamnès et Mambrès l'eussent fait tomber, puisqu'ils avaient changé l'eau en sang et tiré les grenouilles des eaux ; ce que ne peuvent exécuter ceux à qui l'on donne aujourd'hui le nom de tempestaires. [5] V. On trouve ensuite au même endroit de l'Écriture : "Moïse ayant étendu sa verge vers le ciel, le Seigneur fit entendre le tonnerre et descendre la grêle; les éclairs parcoururent la terre, et le Seigneur fit pleuvoir la grêle sur la terre d'Égypte; et la grêle et le feu tombaient entre-mêlés". Ce passage ne nous montre-t-il pas que Dieu seul est le créateur et l'auteur de la grêle, nul autre que lui ? Mais probablement ceux qui attribuent à l'homme un tel pouvoir, disent que Moïse a étendu sa verge vers le ciel, et qu'ainsi la tempête a été lancée par un homme. Moïse, serviteur de Dieu, était, sans nul doute, bon et juste. Lorsqu'au contraire vous parlez des tempestaires, bien loin d'avouer qu'ils sont justes et bons, vous confessez plutôt qu'ils sont impies, iniques, et dignes de la damnation temporelle et éternelle, qu'ils ne sont point serviteurs de Dieu, si ce n'est accidentellement et par nécessité, et nullement par une servitude volontaire; car si, à l'imitation de Moïse, ces hommes étaient auteurs de la grêle, ils seraient comme lui les serviteurs de Dieu et non ceux du démon. Toutefois les passages déjà cités démontrent qu'elle est produite, non par tel ou tel être humain, mais par Dieu seul qui est tout puissant. En effet, le psalmiste, rappelant cette grêle, a dit de Dieu : "Il détruisit leurs vignes par la grêle, et leurs sycomores par les frimas; il livra leurs bêtes de somme à la mort et leurs troupeaux au feu du ciel". Et quand il dit que c'est par le ministère des mauvais anges, on doit savoir que, pour exercer la sévérité. de ses vengeances ou de ses épreuves, Dieu se sert des ministres mauvais qui ont en eux, il est vrai, la volonté de nuire, mais qui en reçoivent de lui le pouvoir. Ainsi donc la volonté du mal est ce qui leur appartient en propre, tandis que la faculté d'accomplir cette volonté leur vient de Dieu seul. Une telle puissance n'est pas certainement aux hommes, ni aux bons, ni aux méchants, ni aux forces malfaisantes, mais uniquement au Seigneur qui l'accorde ou la refuse à la volonté mauvaise, en tant qu'il lui plaît. Le Psalmiste, parlant en effet de Dieu dans un autre psaume, s'exprime ainsi : "Il changea leurs pluies en grêle, fit tomber un feu qui brûlait tout, leurs vignes et leurs figuiers, et brisa tous les arbres de leurs contrées". Il a véritablement frappé, véritablement brisé; ce ne fut pas l'homme, ni le mauvais ange qui frappa, mais Dieu seul, sans lequel la légion des mauvais anges n'aurait pu ni faire aucun mal aux porcs, ni les précipiter dans la mer. C'est évidemment de Dieu qu'il a été dit : "Aux éclairs de sa face les nuages se sont ouverts; ils ont vomi la grêle et le feu. Du haut des cieux le Seigneur a tonné; le Très Haut a élevé sa voix, il a lancé la grêle et le feu". C'est à lui que nous avons dit : "Faites luire vos éclairs et dissipez vos ennemis; lancez vos flèches, et ils seront dans l'effroi; c'est lui qui obscurcit le ciel par des nuées, et qui prépare la pluie pour la terre; il fait tomber la neige comme des flocons de laine, il amasse la glace sur la terre comme le pain dans les corbeilles... Il envoie sa parole, et les glaces se fondent; son esprit souffle, et les eaux s'écoulent". C'est lui que d'ici-bas proclament, non seulement les dragons de l'abîme, mais encore le feu, la grêle, la neige, la glace, les tourbillons et les tempêtes, qui obéissent à sa parole, et non à la parole de l'homme ou à la parole des mauvais anges.