[1,0] Ovide, Fastes, livre I. Je chanterai les fêtes qui jalonnent l'année latine, leurs origines, et les constellations qui se lèvent et se couchent sous la terre. César Germanicus, reçois mon oeuvre d'un air serein et dirige la course de mon timide navire. 5 Sans dédain pour mon humble hommage, accorde la faveur de ton pouvoir divin à cet ouvrage que je te dédie ici. Tu reconnaîtras les rites sacrés tirés des annales anciennes, la raison qui valut aux différents jours leur mention. Tu y trouveras aussi les fêtes de votre famille: souvent, [1,10] tu pourras y lire le nom de ton père, et celui de ton aïeul. Et leurs honneurs, signalés en couleur dans les Fastes; toi-même et ton frère Drusus, vous les mériterez aussi. Que d'autres chantent les exploits de César; moi je chanterai les autels, et tous les jours que l'illustre César a ajoutés aux fêtes sacrées. 15 Soutiens mes efforts pour chanter les louanges des tiens, et chasse de mon coeur les craintes qui l'épouvantent. Donne-moi ton indulgence; ainsi tu donneras force à mon chant: mon génie s'affermit et s'affaisse selon les variations de ton visage. Les pages qui vont être soumises au jugement d'un prince cultivé [1,20] tremblent comme un message que devrait lire le dieu de Claros. Nous avons perçu l'éloquence sortant de sa docte bouche lorsqu'il usa des armes du citoyen en faveur d'accusés alarmés. Nous savons aussi, lorsque ton élan se porte vers nos arts, les fleuves immenses qui coulent de ton inspiration. 25 Si les hommes, si les dieux le permettent, ô poète, guide un poète; que, sous tes auspices, l'année tout entière se déroule dans le bonheur. Lorsque le fondateur de la Ville organisait le calendrier, il décida que son année compterait deux fois cinq mois. Certes, Romulus, tu connaissais les armes mieux que les étoiles, [1,30] et ton souci majeur était de vaincre tes voisins. Pourtant, César, la raison qui l'a poussé existe bel et bien et lui fournit de quoi justifier son erreur. Il décida que le temps mis par un nourrisson pour sortir du ventre maternel était le temps suffisant à une année. 35 Pendant ce nombre de mois, une épouse, dans sa maison de veuve, arbore les signes de deuil après les funérailles de son époux. Cela en effet n'échappa pas à la vigilance de Quirinus, vêtu de la trabée, lorsqu'il réglementait l'année pour des populations frustres. Le premier mois appartenait à Mars, le second à Vénus: [1,40] celle-ci était la première de sa lignée et l'autre était son propre père. Le troisième mois tire son nom des aînés, le quatrième des jeunes, les mois qui suivaient furent notés d'après leur numéro d'ordre. Numa, pour sa part, ne négligea ni Janus ni les ombres des aïeux et en tête des anciens mois, il en plaça deux nouveaux. 45 Cependant, tu ne dois pas ignorer les droits des différents jours: chaque apparition de Lucifer ne comporte pas les mêmes obligations. 'Néfaste' sera le jour où l'on ne prononce pas les trois paroles; 'faste', celui où l'on peut agir en justice. Et ne va pas penser que ces règles persistent durant toute une journée: [1,50] tel jour deviendra 'faste', qui le matin était 'néfaste'; car une fois la fressure offerte au dieu, toute parole peut être prononcée, et le préteur en charge a la liberté d'énoncer sa sentence. Il y a aussi le jour où il est permis d'assembler le peuple dans des enclos; et il y a celui qui revient régulièrement tous les neuf jours. 55 En Ausonie, le culte de Junon revendique les Calendes; aux Ides, on immole à Jupiter une agnelle blanche de grande taille; les Nones sont privées de la tutelle d'un dieu. De tous ces jours, (veille à ne pas te tromper), le lendemain sera noir. Cet auspice funeste découle des circonstances: car, au cours de jours tels, [1,60] Rome a essuyé de graves dommages, Mars s'étant montré hostile. J'ai relevé une fois pour toutes, pour éviter de couper mon exposé, ces traits, qui concernent les Fastes dans leur ensemble. Germanicus, voici qu'il vient t'annoncer une année heureuse, Janus, le premier dieu présent dans mon poème. 65 Janus aux deux visages, toi qui commences l'année au cours silencieux, toi, le seul des dieux d'en haut à voir ton propre dos, sois propice à nos princes dont le labeur apporte la paix à la terre féconde et la paix à la mer. Sois propice à tes sénateurs et au peuple de Quirinus, [1, 70] et d'un signe de tête fais ouvrir les temples éclatants. Un jour béni se lève: faites silence et recueillez-vous! En ce beau jour, il faut prononcer des paroles de bonheur. Que les oreilles soient exemptes de débats, et que d'emblée s'éloignent les querelles insanes: diffère ton oeuvre, langue envieuse. 75 Vois-tu comment le ciel resplendit de feux parfumés, et comment crépite le safran de Cilicie dans les foyers allumés? L'éclat de la flamme se reflète sur l'or des temples et répand au sommet du sanctuaire sa lueur tremblante. En vêtements sans taches, on se rend à la citadelle tarpéienne [1,80] et le peuple lui aussi porte la couleur qui s'accorde à sa fête. Et en tête avancent les nouveaux faisceaux, la pourpre nouvelle brille et, sur la chaise curule d'ivoire éclatant, siège un nouveau personnage. De jeunes taureaux, ignorant les travaux et nourris d'herbages dans les champs falisques, tendent leur cou au sacrificateur. 85 Lorsque, de sa citadelle, Jupiter observe l'ensemble de l'univers, il ne peut rien apercevoir qui ne soit romain. Salut, jour heureux, reviens-nous toujours meilleur, digne d'être célébré par le peuple qui gouverne le monde! Mais quel dieu es-tu, comment te décrire, Janus à la double forme? [1,90] La Grèce en effet ne compte aucun dieu qui soit ton pareil. Dis aussi pourquoi, parmi les habitants du ciel, tu es le seul à voir des choses derrière toi, et d'autres devant toi. Comme je remuais tout cela dans ma tête, mes tablettes à l'appui, ma maison me parut plus claire qu'auparavant. 95 Alors, si étonnant avec sa double image, le divin Janus offrit soudain à mes yeux ses deux visages. Je pris peur et sentis mes cheveux se dresser de frayeur tandis qu'un froid soudain me glaçait le cœur. Le dieu, un bâton dans la main droite, une clef dans la gauche, [1,100] m'adressa, de sa bouche antérieure, les paroles que voici: "Poète assidu des jours, laisse toute crainte, apprends ce que tu veux savoir, et perçois le sens de mes paroles. Les anciens (je suis une réalité très ancienne) me nommaient Chaos; vois combien lointains dans le temps sont les événements que je chante. 105 À cette époque l'air lumineux et les trois autres éléments, le feu, l'eau et la terre, formaient un seul tout entassé. Dès que cette masse, suite à un conflit de ses éléments, se fut désagrégée et dissoute pour s'en aller vers d'autres séjours, le feu gagna les hauteurs, l'air s'empara de la zone voisine, [1,110] la terre et les mers occupèrent le centre. Alors moi, primitivement boule et masse sans forme, je retrouvai un visage et des membres dignes d'un dieu. Maintenant encore, petit rappel de ma figure jadis imprécise, ma face antérieure ressemble à ma face postérieure. 115 Apprends la seconde raison de cette forme qui t'intrigue, et, du même coup, tu connaîtras ma fonction. Tout ce que tu vois partout, ciel, mer, nuages, terres, c'est ma main qui tient tout cela fermé et ouvert. La garde du vaste monde me revient à moi seul, [1,120] et le droit de faire tourner l'axe de ses portes m'appartient tout entier. Lorsque je juge bon d'envoyer la Paix hors de sa paisible demeure, elle se promène librement et indéfiniment sur les chemins; mais l'univers entier serait mêlé à de sanglantes tueries, si de rigides verrous ne retenaient les guerres enfouies. 125 Avec les douces Heures, je veille aux portes du ciel: ma fonction assure les allées et venues de Jupiter même. C'est pourquoi on m'appelle Janus; quand le prêtre m'offre un gâteau sacré et l'épeautre mêlé de sel, les noms qu'on me donne t'amuseront: bien que je sois le même, [1,130] la bouche du sacrificateur m'appelle tantôt Patulcius, tantôt Clusius. Sans doute les anciens, alors incultes, ont-ils voulu, par cette alternance de noms, signaler mes rôles opposés. Voilà mon pouvoir expliqué; apprends maintenant la raison de mon aspect, bien que pourtant tu l'entrevoies déjà partiellement. 135 Toute porte a deux faces, donnant de deux côtés, l'une d'elles regarde les gens dehors, l'autre le Lare, à l'intérieur. De même que, assis près du seuil d'entrée de votre maison, votre portier voit les sorties et les entrées, ainsi moi, portier de la cour céleste, j'aperçois [1,140] au même instant les régions de l'Aurore et de l'Hespérie. Tu vois les visages d'Hécate tournés dans trois directions pour surveiller les carrefours à trois branches; moi aussi, j'ai la possibilité, pour ne pas perdre du temps en tournant la tête, de voir des deux côtés sans mouvoir mon corps. 145 Il avait fini de parler, et à voir son air, j'avais compris qu'il ne me ferait pas de difficultés, si je voulais en savoir plus. Je m'armai de courage; sans être intimidé, je remerciai le dieu, et, les yeux baissés vers le sol, je prononçai quelques mots: "Allons, dis-moi pourquoi l'an neuf commence avec les frimas: [1,150] ne devait-il pas de préférence débuter au printemps? Alors, tout fleurit, alors, c'est la saison nouvelle: sur le sarment fécond le jeune bourgeon se gonfle, et l'arbre se couvre de feuilles à peine formées; l'herbe aussi, sortie de la graine, pointe sa tige au ras du sol, 155 et les oiseaux de leurs concerts agrémentent la tiédeur de l'air, tandis que les troupeaux jouent et s'ébattent dans les prairies. Alors le soleil est doux; l'hirondelle, oubliée, reparaît et façonne son nid de boue à l'abri d'une haute poutre; alors le champ labouré souffre, la charrue le rend neuf. [1,160] C'est cette période qui méritait d'être appelée nouvel an". Ma question avait été longue; lui, sans beaucoup attendre, concentra sa réponse dans ces deux vers: "Le solstice d'hiver marque le premier jour du soleil nouveau et le dernier de l'ancien: Phébus et l'an ont même commencement". 165 Après quoi, je m'étonnais du fait que ce premier jour ne fût pas exempté de procès. Janus dit: "Apprends-en la cause! J'ai confié à l'année naissante l'activité judiciaire, par crainte de voir l'année tout entière dépourvue d'activité, à cause d'un tel auspice. Pour la même raison, chacun s'adonne à ses activités propres, [1,170] ne faisant rien d'autre que témoigner de son travail habituel". Aussitôt j'interviens: "Pourquoi, lorsque j'honore d'autres dieux, dois-je commencer par t'offrir à toi, Janus, de l'encens et du vin?" "Pour que tu puisses, dit-il, grâce à moi, gardien des seuils, accéder à ton gré auprès de tous les dieux". 175 "Mais pourquoi prononçons-nous des paroles joyeuses à tes Calendes, et pourquoi faisons-nous cet échange de voeux?" Alors le dieu, appuyé sur le bâton qu'il tenait de la main droite, dit: "D'habitude, les commencements comportent des présages. À la première parole, vous tendez une oreille craintive [1,180] et c'est le premier oiseau entrevu que consulte l'augure. Les temples des dieux sont ouverts, de même que leurs oreilles; nulle langue ne formule en vain des prières; les paroles ont leur poids". Janus en avait fini; je ne gardai pas longtemps le silence, et mes mots suivirent aussitôt ses dernières paroles: 185 "Que veulent dire la datte et la figue ridée", dis-je, "et le miel qu'on offre, contenu dans une jarre blanche?" Il dit: "C'est pour le présage, pour que leur saveur s'attache aux choses et que l'année achève son voyage en douceur comme il a commencé". "Je vois pourquoi on offre des douceurs; dis-moi aussi le pourquoi [1,190] de la pièce de monnaie, pour que rien ne m'échappe de ta fête". Il rit et dit: "Combien tu es abusé sur les temps où tu vis, si tu penses qu'il est plus doux de recevoir du miel qu'une obole! Au temps où régnait Saturne, j'avais peine déjà à trouver quelqu'un dont l'esprit n'appréciait pas les douceurs du profit. 195 Avec le temps grandit le désir de posséder, qui actuellement culmine; à peine est-il possible d'aller plus loin en cette voie. Les richesses sont plus prisées maintenant que dans les premiers temps, quand le peuple était pauvre, quand Rome était dans sa nouveauté, quand une humble cabane accueillait Quirinus, le fils de Mars, [1,200] et quand les roseaux du fleuve lui servaient de petite couchette. Jupiter tenait difficilement debout dans son temple étroit, et en sa main droite, le foudre était d'argile. On ornait le Capitole de feuillages, des gemmes aujourd'hui, et le sénateur menait lui-même paître ses brebis; 205 il n'était pas honteux de prendre un paisible repos sur une paillasse ni de poser sous sa tête un coussin de foin. Le préteur, sa charrue à peine posée, rendait la justice au peuple et on pouvait vous faire grief de posséder une mince lame d'argent. Mais lorsque la Fortune de ce lieu eut relevé la tête, [1,210] et que Rome du haut du front eut touché les demeures des dieux, les richesses s'accrurent, de même qu'une furieuse envie de richesses; et, tout en possédant quantité de biens, on en réclama davantage. On rivalisa pour gagner de quoi dépenser, et regagner sa dépense, et cette alternance même alimenta les vices: 215 ainsi en va-t-il de ceux dont le ventre est gonflé par l'hydropisie, plus ils ont bu d'eau, plus ils sont assoiffés. Actuellement la valeur réside dans l'argent: le cens procure les honneurs; il procure aussi les amitiés; le pauvre, où qu'il soit, reste sur le carreau. Tu te demandes pourtant ce que peut valoir le présage d'une obole, [1,220] et pourquoi nous aimons tenir en mains de vieilles monnaies de bronze. Jadis on offrait du bronze: maintenant, en or, le présage est meilleur et l'antique monnaie, vaincue, a cédé le pas à la nouvelle. Nous aussi, même si nous prisons les temples anciens, nous les aimons quand ils sont dorés: cette majesté sied à un dieu. 225 Nous louons les temps révolus, mais nous vivons à notre époque: de toute façon les deux coutumes méritent un égal respect". Il en avait fini avec ses révélations. Toujours aussi sereinement, je m'adresse à nouveau au dieu porteur de clefs en ces termes: "J'ai vraiment beaucoup appris; mais pourquoi une monnaie de bronze [1,230] a-t-elle une face marquée d'une nef, l'autre d'une figure à deux têtes?" "C'est, dit-il, pour que tu puisses me reconnaître à cette double image, si du moins la vétusté n'avait pas usé cette antique marque. La nef reste à expliquer: c'est en barque que le dieu à la faux, après ses errances à travers le monde, parvint au fleuve étrusque. 235 C'est sur cette terre que fut accueilli Saturne, je m'en souviens; Jupiter l'avait expulsé du royaume céleste. De là le nom de Saturnia qui resta longtemps lié à cette peuplade; la terre fut aussi appelée Latium, à cause de ce dieu qui s'y cachait. Et la postérité eut la bonté de frapper une poupe en bronze, [1,240] témoignant ainsi de l'arrivée de son hôte divin. Pour ma part, j'ai habité près du Thybris sableux, sur la rive gauche qu'effleurent ses ondes paisibles. Ici, où est Rome, s'étendait une forêt inviolée et verdoyante, et ce lieu majestueux servait de pâture à quelques boeufs. 245 Ma citadelle était la colline que le peuple désigne par mon nom et que notre époque nomme Janicule. Moi, je régnais au temps où la terre tolérait la présence des dieux, et où des divinités se mêlaient aux lieux où vivaient les hommes. La scélératesse des mortels n'avait pas encore mis la Justice en fuite: [1,250] elle fut la dernière des divinités célestes à quitter la terre; la pudeur sans violence, plutôt que la crainte, gouvernait le peuple: nul effort n'était requis pour rendre justice à des justes. Je n'avais rien à voir avec la guerre: je veillais à la paix et aux portes", et, montrant sa clef, il dit: "voici les armes que je porte". 255 Le dieu avait fermé la bouche. Alors moi, ouvrant la mienne, je cherchai par mes paroles à provoquer ses paroles: "Les 'passages' sont si nombreux: pourquoi un seul présente-t-il ta statue sacrée, là où ton temple touche aux deux forums?" Lui, caressant de la main la barbe qui lui pendait sur la poitrine, [1,260] rapporta aussitôt les exploits de Tatius l'Oebalien, et la manière dont une gardienne futile, séduite par des bracelets, guida les Sabins silencieux sur la voie montant à la citadelle. "De là", dit-il, "tout comme le sentier que vous descendez maintenant, une pente escarpée menait dans la vallée à travers les forums. 265 Et déjà Tatius avait atteint la porte, dont la Saturnienne, par haine, avait enlevé les barres de fermeture; redoutant d'engager la lutte avec une déesse si puissante, moi, habilement, j'activai les ressources de mon art, et, grâce à mon pouvoir, j'ouvris les bouches d'une source, [1,270] et soudainement je fis jaillir de l'eau. Mais auparavant j'avais jeté du soufre dans les rigoles humides, pour rendre le liquide bouillonnant et fermer la voie à Tatius. La fuite des Sabins démontra l'utilité de cette source, et aussitôt ce lieu paisible retrouva son aspect premier; 275 un autel m'y fut consacré, jouxtant un petit sanctuaire: dans ses flammes on fait brûler l'épeautre et les gâteaux sacrés. "Mais pourquoi te cacher en temps de paix et rester ouvert quand s'ébranlent les armes? Aussitôt, ma question reçoit une explication: "Pour assurer aux hommes partis à la guerre la possibilité de rentrer, [1,280] ma porte est complètement ouverte, sans aucun verrou. En temps de paix, je la ferme pour que la paix ne puisse s'éloigner; et par la sainte volonté de César, je resterai longtemps fermé". Il parla et, levant ses yeux qui voient dans des directions opposées, il observa tout ce qui se passait dans le monde entier: 285 la paix régnait, Germanicus, et, raison de votre triomphe, le Rhin déjà t'avait livré ses eaux asservies. Janus, fais que vivent éternellement la paix et ceux qui la servent, et que l'auteur de cette paix ne délaisse pas son oeuvre! Au reste, les Fastes mêmes me permirent d'apprendre [1,290] que ce jour-là nos pères consacrèrent deux temples. L'enfant né de Phébus et de la nymphe Coronis fut recueilli dans l'île qu'enferme le fleuve entre ses eaux séparées. Jupiter occupe une partie de l'île: un seul endroit accueille les deux dieux, et le temple du petit-fils jouxte celui de son grand aïeul. 295 Qui m'empêche de parler aussi des étoiles, de leur lever, de leur coucher à chacune? Accomplissons ainsi cette part de ma promesse. Heureux les esprits qui, les premiers, eurent le souci de connaître ces choses et de s'élever jusqu'aux demeures d'en haut. On peut croire que ces êtres ont tout à la fois élevé leurs têtes [1,300] bien au-dessus des vices et des séjours des mortels. Ni Vénus ni le vin n'ont brisé la noblesse de leurs coeurs, ni non plus l'activité du forum ni les épreuves militaires. L'ambition futile, la gloire pourprée, la soif de richesses démesurées n'ont pas davantage tourmenté leurs esprits. 305 Ils ont rapproché de nos yeux les astres lointains, et par leur génie ont soumis l'éther. Ainsi se gagne le ciel, et non en superposant l'Ossa sur l'Olympe, ni en forçant la pointe du Pélion à toucher les étoiles les plus hautes. Nous aussi, les prenant pour guides, nous mesurerons le ciel, [1,310] et attribuerons leurs dates propres aux constellations errantes. Donc, dès qu'arrivera la troisième nuit avant les Nones prochaines, quand la terre tout humide sera couverte de rosée céleste, en vain cherchera-t-on les pinces du Cancer octopode: il plongera tête en avant dans les eaux du couchant 315 L'arrivée des Nones te sera signalée par des averses tombant de noirs nuages, tandis que se lève la Lyre. Ajoute quatre jours, à compter depuis les Nones, et le jour de l'Agonium, Janus recevra un sacrifice propitiatoire. Le nom peut s'expliquer par le sacrificateur en tenue retroussée [1,320] qui immole sous ses coups une victime aux dieux du ciel; celui-ci, levant le couteau qu'il va tremper dans le sang chaud, demande toujours s'il doit agir, et il n'agit que sur ordre. Certains croient que les Agonalia tirent leur nom de l'acte d'amener, parce que les bêtes ne viendraient pas d'elles-mêmes mais seraient amenées. 325 D'autres pensent que les anciens appelaient cette fête Agnalia, comme si une seule lettre avait été retirée de sa place. Ou est-ce parce que la victime craint les couteaux aperçus dans l'eau que ce jour-là est marqué par l'anxiété de la bête? Il est possible aussi que le nom grec de ce jour soit dû aux jeux [1,330] qui avaient coutume de se dérouler au temps de nos ancêtres. De plus, dans l'ancienne langue, le bétail se disait agonia; et à mon sens, cette dernière explication est la vraie. Qu'elle soit certaine ou non, le roi des sacrifices doit de toute façon apaiser les dieux en immolant le compagnon de la brebis porte-laine. 335 La bête tombée sous une main victorieuse s'appelle victima; hostia tient son nom des ennemis soumis. Autrefois, ce qui aidait l'homme à se concilier les dieux, c'était une galette d'épeautre et un grain brillant de sel pur. Il n'avait pas encore apporté la myrrhe, aux larmes suintant sous l'écorce, [1,340] le navire étranger qui avait sillonné les plaines marines. L'Euphrate n'avait pas envoyé son encens, ni l'Inde son nard, et on ne connaissait pas les filaments rouges du safran. De l'autel se contentant d'herbes sabines montaient les fumées, et le laurier se consumait en crépitant à grand bruit. 345 Si quelqu'un pouvait ajouter des violettes à des couronnes de fleurs des prés, c'est qu'il était riche. Ce couteau qui maintenant ouvre les entrailles d'un taureau abattu n'avait, lors des sacrifices, nulle raison d'être. Cérès, la première, s'est complue au sang de la truie gourmande, [1,350] vengeant ses richesses par le meurtre justifié de la coupable; en effet, elle découvrit, arrachées par le groin de la truie porte-soies, les pousses semées au début du printemps dans les sillons ameublis. La truie avait eu son châtiment: effrayé par son exemple, bouc, tu aurais dû te tenir à l'écart des sarments de vigne. 355 Quelqu'un, le voyant saccager la vigne de ses dents, ne contint pas sa douleur et lança ces paroles: "Ronge la vigne, bouc; toutefois, quand tu seras près de l'autel, de cette vigne sortira de quoi asperger tes cornes". Ces paroles se réalisent: l'ennemi qu'on t'offre en réparation, [1,360] ô Bacchus, a les cornes aspergées de vin. Leur faute fut fatale tant à la truie qu'à la chèvre. Quel fut ton crime, ô boeuf? Et le vôtre, paisibles brebis? Aristée pleurait, car il avait vu ses abeilles, tuées avec leur couvain, délaisser les rayons de miel qu'elles avaient commencés. 365 Sa mère céruléenne eut peine à le soulager de son chagrin, et ajouta à ses consolations ces dernières paroles: "Mon enfant, sèche tes larmes: Protée réparera le tort que tu as subi et te donnera le moyen de remplacer tes abeilles perdues. Toutefois, pour éviter qu'il ne t'abuse en changeant d'aspect, [1,370] il faut entraver ses deux mains par des liens solides". Le jeune homme arrive près du devin, saisit et enchaîne les bras du vieillard de la mer, engourdis par le sommeil. Lui, recourant à son art des métamorphoses, change d'aspect; bientôt, à cause des liens qui l'entravent, il reprend sa forme normale 375 et levant son visage ruisselant et sa barbe sombre, il dit: "Tu cherches par quel artifice tu reconstitueras tes abeilles? Abats un jeune taureau et recouvre son corps de terre: ce que tu attends de nous, lui, une fois enseveli, te le donnera". Le berger fait ce qu'on lui dit; des essaims bourdonnants [1,380] surgissent du boeuf putréfié: d'une vie immolée mille vies naissent. Le destin exige le sacrifice de la brebis: l'impudente a pris les rameaux sacrés qu'une pieuse vieille avait coutume d'offrir aux dieux des champs. Que reste-t-il de sûr, dès lors que l'animal à la toison de laine et les boeufs de labour perdent leur vie sur les autels? 385 C'est avec un cheval que la Perse apaise Hypérion couronné de rayons, car un dieu rapide ne peut se voir offrir une victime lente. Une fois on immola à Diane, sa jumelle, une biche à la place d'une vierge, et maintenant encore, on sacrifie une biche, qui ne remplace aucune vierge. J'ai vu que les Sapéens et les habitants de tes pentes neigeuses [1,390] ô Hémus, offraient à Trivia des entrailles de chien. On immole aussi un ânon au rigide gardien des champs; la raison en est peu convenable sans doute, mais bien adaptée à ce dieu. Tu célébrais, ô Grèce, en l'honneur de Bacchus à la couronne de lierre, la fête que tous les deux ans l'hiver ramène à sa date habituelle. 395 Les dieux adorateurs de Lyaeus vinrent aussi à cette fête, et tous ceux qui ne rechignent point aux jeux et au badinage, les Pans et les jeunes Satyres, enclins aux plaisirs de Vénus, et les déesses qui hantent les fleuves et les campagnes solitaires. Il était venu aussi, le vieux Silène, sur son âne à l'échine courbée, [1,400] ainsi que le dieu rouge qui de son membre terrifie les oiseaux apeurés. Lorsqu'ils eurent trouvé un endroit boisé propice à d'agréables agapes, ils s'étendirent sur des couchettes garnies de gazon. Liber fournissait le vin, chacun avait apporté sa propre couronne, la rivière offrait de l'eau à profusion pour les mélanges. 405 Les Naïades étaient là, les unes portant leurs cheveux épars, non peignés; d'autres de leurs mains les avaient habilement arrangés. Celle-là fait le service, tunique retroussée au-dessus des mollets, cette autre, le corsage décousu, découvre sa poitrine; celle-ci dévoile son épaule, celle-là traîne dans l'herbe son vêtement, [1,410] nulle sandale n'entrave leurs pieds délicats. Dès lors, certaines éveillent chez les Satyres de doux incendies, d'autres t'enflamment toi, aux tempes ornées d'une couronne de pin; elles t'embrasent toi aussi, Silène, dont le désir est insatiable: ton goût de la débauche ne te permet pas de vivre en vieillard. 415 Mais Priape, le dieu rouge, ornement et protection des jardins, avait, parmi toutes les nymphes, jeté son dévolu sur Lotis. Il la désire, il l'a choisie, il ne soupire que pour elle; de la tête, il lui fait des signes et ses gestes la pressent. La morgue habite les belles, et la beauté engendre la superbe: [1,420] la moue de la nymphe manifestait un mépris moqueur. C'était la nuit, et le vin poussait au sommeil; çà et là, gisaient les corps vaincus par la torpeur. Lotis, lassée des jeux, se reposait bien à l'écart, couchée sur l'herbe, sous les branches d'un érable. 425 Son amoureux survient qui, retenant son souffle, furtivement, sur la pointe des pieds, s'avance en silence. Parvenu à la retraite où couchait la nymphe au teint de neige, il veille à ce qu'on n'entende pas son propre souffle; et déjà il s'avançait en se balançant vers la couche de gazon: [1,430] elle pendant ce temps était plongée dans un sommeil profond. Il s'en réjouit, retira le voile qui lui couvrait les pieds, et déjà il était sur la voie de réaliser ses voeux. Voici que l'âne, la monture de Silène, se met à braire d'une voix rauque, émettant des sons malvenus. 435 La nymphe se redresse effrayée; des mains, elle repousse Priape et, en fuyant, elle ameute tout le bois. Mais le dieu, qui physiquement n'était que trop prêt à son acte indécent, fut la risée de tous, sous l'éclat lumineux de la lune. L'auteur du cri paya sa faute de la mort, [1,440] devenu victime agréable au dieu de l'Hellespont. Oiseaux, consolation des campagnes, vous fûtes longtemps épargnés, vous race inoffensive et familière des forêts, qui construisez des nids et couvez vos oeufs sous vos plumes, vous, dont la voix délicate émet des sons si doux. 445 Mais cela ne vous sert en rien, car on vous reproche de parler et les dieux pensent que vous dévoilez leurs pensées. Et ce n'est pas faux; car, plus vous vous approchez des dieux, plus vraies sont les données que fournissent votre vol ou votre voix. Longtemps à l'abri, la race des oiseaux fut finalement sacrifiée, [1,450] et les dieux apprécièrent la fressure de l'être qui les trahissait. C'est pourquoi, souvent, on éloigne la blanche colombe de son compagnon, pour la brûler sur les foyers de la Cnidienne. Et d'avoir défendu le Capitole ne sert pas à éviter à l'oie d'offrir son foie en sacrifice sur tes plats, noble fille d'Inachus. 455 De nuit, on immole à la déesse Nuit l'oiseau porte-crête, qui, de sa voix vigilante, fait naître la tiédeur du jour. Entre-temps l'astre brillant du Dauphin s'élève sur les flots,sortant la tête des ondes paternelles. Le lendemain marque la moitié de l'hiver [1,460] et la partie restante égale la partie déjà passée. Fastes, 1, 461-637 Le jour suivant, l'Aurore quittera son époux Tithon et verra se dérouler les rites des pontifes en l'honneur de la déesse d'Arcadie. Ce même jour aussi t'accueillera, soeur de Turnus, ici dans le temple où l'Aqueduc de l'Aqua Virgo arrive au Champ de Mars. 465 Où trouverai-je l'explication de ces rituels et leur teneur? Qui guidera ma voile au milieu des flots? Renseigne-moi, toi qui tires ton nom du mot carmen, soutiens mon projet, pour m'éviter de m'égarer en te célébrant. Née avant la Lune, si l'on croit en ses propres dires, [1,470] ta terre d'origine tient son nom du grand Arcas. Là vécut Évandre, qui, bien qu'illustre par ses deux parents, tirait surtout sa notoriété du sang de sa mère divine. Celle-ci recevait en son esprit l'inspiration céleste, et aussitôt émettait à haute voix les oracles véridiques du dieu. 475 Elle avait prédit que des troubles les menaçaient, son fils et elle, et beaucoup d'autres faits encore, qui se vérifièrent avec le temps. En effet, exilé avec sa mère qui n'avait été que trop véridique, le jeune homme quitta l'Arcadie et son Lare parrhasien. Comme il pleurait, sa mère lui dit: "Sèche tes larmes, je t'en prie; [1,480] tu dois supporter en homme ce coup de la fortune. Ainsi le voulaient les destins; ce n'est pas une faute de toi qui t'a exilé, mais un dieu: un dieu irrité t'a chassé de la ville. Tu ne subis pas un châtiment mérité, mais bien la colère d'un dieu: c'est quelque chose d'être sans reproche dans de grands malheurs! 485 Comme chacun a pour lui sa propre conscience, en son cœur, il conçoit espoir et crainte selon sa conduite. Mais ne t'afflige pas comme si tu étais le premier à subir de tels maux: une tempête comparable a écrasé des hommes importants. Chassé jadis des rivages de Tyr, Cadmos a enduré la même épreuve, [1,490] et comme exilé, il s'est installé en terre d'Aonie. Ils ont subi le même sort, Tydée ainsi que Jason de Pagase, et tous ceux qu'il serait long d'énumérer à leur suite. Pour l'homme courageux, toute terre est une patrie; ainsi la mer pour les poissons, ainsi tout espace libre dans l'univers pour les oiseaux. 495 En outre, une tempête violente ne sévit pas une année entière: Toi aussi, crois-moi, tu connaîtras d'autres printemps". L'esprit réconforté par les paroles maternelles, Évandre sur son navire fend les flots et gagne l'Hespérie. Et déjà, grâce aux conseils de la docte Carmenta, [1,500] son esquif avait atteint le fleuve et remontait les eaux étrusques. La prophétesse aperçoit la rive jouxtant les gués du Tarentum et les cabanes éparses dans ces lieux solitaires; telle qu'elle était, cheveux hérissés, elle se dressa à l'avant de la poupe, et, le regard farouche, elle retint la main du pilote; 505 de loin, tendant les bras vers la rive droite, débridée, par trois fois elle frappa du pied la texture de pin; pour l'empêcher de sauter, vu sa hâte à fouler cette terre, la main d'Évandre eut bien du mal à la retenir. Elle dit alors: "Salut, dieux de ces lieux que nous avons désirés, [1,510] et toi, Terre, destinée à peupler le ciel de nouveaux dieux; vous, rivières et sources bénies de cette terre hospitalière, et vous, arbres des forêts et choeurs des Naïades, soyez pour mon fils et pour moi une vision de bon augure, et puissions nous d'un pied heureux fouler cette rive! 515 Suis-je dans l'erreur ou ces collines deviendront-elles d'immenses remparts, et le reste du monde attendra-t-il ses droits de cette terre? À ces monts est promis un jour l'empire sur l'univers. Qui pourrait croire qu'un lieu possède un tel destin? Bientôt les coques de pin de Dardanie toucheront ces bords. [1,520] Ici aussi une femme sera la cause d'une nouvelle guerre. Pallas, mon cher petit-fils, pourquoi revêtir ces armes funestes? Revêts-les: tu seras abattu, et illustre sera ton vengeur. Vaincue, ô Troie, tu vaincras pourtant, et détruite, tu resurgiras: tes ruines voient s'écrouler les demeures de tes ennemis. 525 Flammes victorieuses, brûlez la Pergame de Neptune: Néanmoins, ces cendres ne dominent-elles pas l'univers entier? Bientôt, le pieux Énée apportera les objets sacrés, Et son père, autre trésor sacré: accueille, Vesta, les dieux d'Ilion. Le temps viendra où le même être vous protégera, vous et le monde, [1,530] et les rites s'accompliront, célébrés par le dieu lui-même, et la protection de la patrie appartiendra à la famille d'Auguste: il est juste que cette maison tienne les rênes de l'empire. Dès lors, le fils et petit-fils d'un dieu, même si lui le récuse, portera avec une sagesse céleste la charge paternelle. 535 Et de même que je serai un jour consacrée pour toujours sur les autels, apparaîtra une nouvelle divinité, Iulia Augusta". Dès que ses paroles atteignirent notre époque, sa langue de prophétesse s'immobilisa au milieu de son discours. L'exilé sortit de son bateau et se posa sur l'herbe du Latium. [1,540] Heureux qui eut cette terre comme lieu d'exil! Sans tarder, de nouveaux toits s'élevaient, et personne, sur les monts d'Ausonie, n'était plus puissant que l'Arcadien. Voici que le héros porteur de massue, venant d'Érythée, amène ses vaches en ce lieu, après avoir longuement parcouru le monde; 545 tandis que la maison du Tégéen l'accueille en hôte, ses bêtes errent sans surveillance à travers l'immensité des champs. C'était le matin: tiré de son sommeil, le guide Tirynthien du troupeau remarqua qu'il lui manquait deux taureaux. Il cherche, sans voir aucune trace de ce vol mystérieux: [1,550] le farouche Cacus les avait traînés à reculons dans son antre, Cacus, la terreur de l'Aventin et la honte de la forêt, un fléau bien lourd pour les voisins et leurs hôtes. L'homme paraissait effrayant: des forces proportionnées à son corps, un corps de géant (le père de ce monstre était Mulciber), 555 et pour maison, une immense caverne, aux recoins prolongés, bien cachée, difficile à repérer, même pour les bêtes sauvages. Des têtes et des bras sont fichés et suspendus en haut des portes, et le sol est tout blanc, hérissé d'ossements humains. Le fils de Jupiter, qui n'avait conservé qu'une partie du troupeau, s'en allait, [1,560] quand les bêtes dérobées se mirent à beugler de leurs voix rauques. "J'entends ce rappel", dit-il; et, se dirigeant au son de leur voix, à travers bois, il arriva en vengeur à l'antre impie. Le monstre avait barré l'entrée avec un bloc détaché du rocher, dix attelages auraient eu du mal à mouvoir ce barrage. 565 Hercule y appuie ses épaules -- elles qui avaient aussi supporté le ciel -- et d'un mouvement il ébranle cet énorme roc. Dès que le bloc se renversa, le fracas effraya l'éther même, et le sol s'affaissa, frappé par le poids de cette masse. Cacus, la droite levée, engage un premier combat, [1,570] et, redoutable, mène l'affaire à coups de pierres et de pieux. Comme cela ne donne rien, il recourt, homme sans grand courage, aux arts de son père, et vomit des flammes de sa gueule sonore; chaque fois qu'il souffle, on croirait entendre la respiration de Typhée et voir la foudre rapide s'élancer du feu de l'Etna. 575 Alcide prend les devants, et brandissant sa massue à trois noeuds, il l'abat, trois fois, quatre fois, sur la face de son adversaire. Celui-ci tombe, crache les fumées qui se mêlent à son sang, et, en mourant, il heurte le sol de sa large poitrine. Vainqueur, Hercule immole en ton honneur, ô Jupiter, [1,580] un de ces taureaux et invite Évandre et les campagnards. Il construit pour lui-même un autel, appelé Ara Maxima, à l'endroit de la ville qui tient son nom du boeuf. Et la mère d'Évandre n'omet pas de dire que le temps est proche où la terre aura assez bénéficié de son cher Hercule. 585 Mais l'heureuse prophétesse, qui vécut fort bénie des dieux, en tant que déesse, possède ce jour dans le mois de Janus. Aux Ides, dans le temple du grand Jupiter, le prêtre pur offre aux flammes les entrailles d'un mouton castré. Et c'est le jour où fut rendue à notre peuple la direction des provinces, [1,590] et où ton aïeul reçut le nom d'Auguste. Lis toutes les figures de cire exposées dans les atriums des nobles: nul être humain ne fut honoré de titres aussi prestigieux. L'Afrique donne son nom à son vainqueur; un autre atteste qu'il a dompté la puissance des Isaures ou des Crétois. 595 Les Numides font l'orgueil de celui-ci; tel autre tire sa notoriété de Messine; et tel autre encore de la ville de Numance. La Germanie a valu à Drusus et sa mort et son titre. Malheur à moi, combien brève fut sa vaillante vie! Si César demandait ses titres à ceux qu'il a vaincus, [1,600] il en posséderait autant que les nations qui peuplent le vaste univers. Certains, célèbres pour un seul fait, tiennent leurs titres ou de la conquête d'un collier ou de l'aide d'un corbeau. Grand Pompée, ton nom reflète la mesure de tes exploits, mais ton vainqueur était plus grand qu'un nom. 605 Aucun surnom ne s'est hissé plus haut que celui des Fabii: cette maison doit à ses propres mérites d'être appelée Maxima. Mais toutefois des honneurs humains célèbrent tous ces héros: par contre, celui-ci a un nom associé à Jupiter souverain. Nos pères appellent "augustes" les choses sacrées; on appelle "augustes" [1,610] les temples que consacre rituellement la main des prêtres. Et le mot augurium dérive de la racine de ce mot, de même que tout ce que Jupiter "augmente" grâce à sa puissance. Puisse-t-il accroître l'empire de notre chef, accroître ses années, et puisse une couronne de feuilles de chêne protéger votre porte! 615 Et puisse l'héritier d'un si grand nom jouir, sous les auspices des dieux, des mêmes présages que son père pour assumer la charge du monde! Quand Titan, pour la troisième fois, verra les Ides passées derrière lui, on célébrera des rites sacrés liés à la déesse de Parrhasie. Car autrefois, les matrones d'Ausonie se déplaçaient en char: [1,620] je pense que ce terme aussi dérive du nom de la mère d'Évandre; par la suite, cet honneur est enlevé aux matrones qui, unanimes, décident de ne plus assurer de progéniture à leurs maris ingrats; et pour ne pas enfanter, les téméraires, se blessant en secret, expulsaient le fardeau qui croissait dans leur ventre. 625 Les sénateurs, dit-on, châtièrent les épouses qui avaient osé ces atrocités, mais rétablirent toutefois le privilège qui leur avait été enlevé. Et ils ordonnent de célébrer maintenant en honneur de la mère tégéenne deux cérémonies semblables, pour la naissance des garçons et des filles. Il est interdit d'introduire dans ce sanctuaire des objets de cuir, [1,630] pour éviter que des choses sans vie souillent son pur foyer. Si tu t'intéresses aux vieux rites, tiens-toi près de l'officiant qui prie; tu entendras des noms que tu ne connaissais pas auparavant: on implore Porrima et Postverta; ce sont tes soeurs, ou des compagnes de ton exil, déesse du Ménale. 635 On pense que la première chantait des choses d'un passé lointain, et l'autre tout ce qui se produirait ultérieurement. Fastes, I, 637-724 Brillante déesse, l'aube suivante t'a placée dans un temple blanc comme neige, là où Moneta bien haut porte au ciel ses escaliers. Maintenant, Concorde, tu regarderas avec bonté la foule latine; [1,640] maintenant des mains consacrées t'ont rétablie. Furius, vainqueur du peuple étrusque, en avait fait voeu, et s'était acquitté de son ancienne promesse. La plèbe en effet avait pris les armes et s'était séparée des patriciens, et Rome redoutait ses propres forces. 645 Une raison récente est préférable: sous tes auspices, vénérable chef, la Germanie déploie pour toi ses cheveux. Aussi as-tu consacré les présents de la nation dont tu as triomphé, et élevé le temple de la déesse que tu honores personnellement. Ta mère l'a établi, pourvu d'ornements et d'un autel, [1,650] elle qui, seule, fut jugée digne de la couche du grand Jupiter. Une fois passées ces célébrations, Phébus, tu quitteras le Capricorne, et tu parcourras la constellation du jeune porteur d'eau (Verseau). Lorsque sept fois le Soleil levant aura plongé dans les ondes, la Lyre ne flamboiera plus nulle part dans le ciel. 655 À la suite de cet astre, à la nuit tombante, aura disparu le feu scintillant au centre de la constellation du Lion. Trois et quatre fois, j'ai déroulé les Fastes signalant les jours de fête, sans y avoir trouvé un seul jour consacré aux Semailles; soudain, la Muse, me comprenant, me dit: "Ce jour est annoncé (oralement); [1,660] pourquoi chercher dans les Fastes des fêtes qui ne sont pas fixes?" Si le jour de la célébration varie, la période où elle se déroule est précise, c'est lorsque les champs ont été fécondés, après les semailles. Taureaux, tenez-vous avec vos couronnes près de vos mangeoires pleines: avec la tiédeur du printemps reviendra pour vous le labeur. 665 Que le paysan suspende à un pieu sa charrue qui a bien travaillé: par temps froid, la terre craint toutes les blessures. Intendant, les semailles terminées, laisse la terre au repos; laisse se reposer les hommes qui ont cultivé la terre. Que le village fasse la fête: purifiez le village, paysans, [1,670]et offrez aux foyers des villages les gâteaux annuels. Que l'on se concilie les mères des cultures, Tellus et Cérès, en leur offrant leur épeautre et les entrailles d'une truie pleine. Cérès et la Terre se dévouent à un service commun: l'une fournit aux fruits leur principe, l'autre l'endroit où ils poussent. 675 Participant à une oeuvre commune, vous avez amélioré les usages anciens, et par vous le gland du chêne a cédé le pas à une nourriture plus utile; Comblez les paysans avides d'immenses récoltes, pour qu'ils recueillent des récompenses dignes de leurs efforts. Accordez aux tendres semences de croître sans cesse, [1,680] et faites que la neige et le gel ne brûlent pas la pousse nouvelle. Lorsque nous semons, dégagez le ciel par des vents légers; lorsque la semence est enfouie, aspergez-la de l'eau de l'éther. Et veillez à ce que les oiseaux, nuisibles aux cultures, n'abattent pas leur colonne dévastatrice sur les champs de Cérès. 685 Vous aussi, fourmis, épargnez les graines enfouies dans le sol: après la moisson, l'abondance de votre butin sera plus grande. Que pendant ce temps les plantes croissent à l'abri de la rouille malsaine, sans connaître le manque d'éclat maladif dû aux intempéries, sans s'étioler de sécheresse et de même, parce que trop développées, [1,690] sans dépérir sous le poids de leur richesse surabondante. Puissent les champs être épargnés par l'ivraie qui trouble la vue, et la folle avoine ne pas pousser dans un champ cultivé. Les grains de blé, et l'épeautre destinée à passer deux fois au feu, et les orges, puisse le champ les rendre au centuple. 695 C'est ce que je demande pour vous; vous aussi, paysans, faites ce voeu; puissent les deux déesses approuver et exaucer ces prières. Les guerres ont longtemps retenu les hommes: l'épée était à l'honneur plus que le soc; le boeuf de labour cédait devant le cheval. Les sarcloirs restaient immobiles, les houes étaient devenues javelots, [1,700] et un casque naissait de la masse d'un râteau. Grâces soient rendues aux dieux et à ta maison: depuis longtemps entravées par vos chaînes, les guerres gisent à vos pieds. Que le boeuf passe sous le joug, la semence sous les terres labourées. La Paix nourrit Cérès, Cérès est l'enfant de la Paix. 705 Mais le sixième jour qui précède les Calendes suivantes, fut dédié le temple aux dieux nés de Léda. Des frères nés d'une race de dieux construisirent ce temple en l'honneur de ces frères divins, près de la fontaine de Juturne. Voilà que notre chant nous a conduits à l'Autel de la Paix: [1,710] ce sera le deuxième jour avant la fin du mois. Avec les lauriers d'Actium ceignant ta belle chevelure, viens, ô Paix, et fais régner ta douceur à travers le monde entier! Pourvu que manquent les ennemis, et aussi les raisons de triompher: toi, pour nos maîtres, tu seras plus grande source de gloire que la guerre. 715 Que le soldat porte seulement les armes nécessaires à repousser des armes, et que la cruelle trompette sonne uniquement dans les parades! Que tout le monde, proche ou lointain, redoute les Énéades, et si une nation craint peu Rome, qu'elle se mette à l'aimer! Prêtres, jetez encore de l'encens sur le feu de la Paix, [1,720] et qu'on immole une blanche victime, le front aspergé de vin. Et pour que la maison qui nous offre la paix se perpétue à tout jamais avec elle, invoquez les dieux favorables aux voeux pieux! Mais déjà prend fin la première partie de mon travail et mon petit traité atteint son terme avec ce mois qui lui était consacré. [2,0] Ovide, Fastes, livre II. Janvier prend fin: que l'année progresse à l'allure de mon chant. Puisque voici un second mois, qu'un second livre commence. Élégies, c'est la première fois que vous voguez avec de si grandes voiles; je me souviens que naguère, vous étiez une simple oeuvrette. 5 Certes, dans mes amours, vous m'avez rendu des services appréciés, lorsque ma prime jeunesse s'amusait aux rythmes qui lui convenaient. Je chante de même les rituels sacrés et les fêtes signalées dans les Fastes. Qui eût cru qu'au départ de l'élégie une voie menait vers ce sujet sacré? C'est ma manière de servir: je prends des armes à ma portée, [2,10] et ma main droite ne se sent pas dispensée de toute charge. Si mon bras ne brandit pas avec vigueur des javelots, si je ne pèse point sur la croupe d'un cheval de guerre, si je ne m'abrite pas sous un casque, ni ne ceins une épée acérée (le premier venu est capable de porter de telles armes), 15 César, je m'attache du moins à décrire tes titres, avec toute mon ardeur, et je m'avance parmi les inscriptions qui t'honorent. Dès lors, aide-moi et tourne vers mon oeuvre un regard bienveillant, si la pacification de l'ennemi te laisse quelque répit. Nos ancêtres romains ont appelé februa les instruments de purification. [2,20] De nos jours encore, quantité d'indices accréditent le sens de ce terme. Les pontifes demandent au roi des sacrifices et au flamine des laines, ce qui dans la langue des anciens portait le nom de februa. Et c'est le nom donné aussi à l'épeautre torréfié et aux grains de sel, matières purificatrices que prend le licteur dans des maisons précises. 25 Le rameau, coupé sur un arbre pur et dont le feuillage recouvre les tempes sacrées des prêtres, porte aussi ce nom. J'ai vu de mes yeux l'épouse d'un flamine demandant des februa, et à sa demande, on lui donna une branche de pin. Bref, tout ce qui sert à la purification de nos corps [2,30] portait ce nom chez nos aïeux barbus. Le mois fut appelé Februarius parce que les Luperques, munis de lanières de cuir, tournent tout autour du territoire, dans l'intention de le purifier; ou parce que les temps sont purifiés, quand les tombeaux ont été apaisés, après la célébration des Feralia ou jours de deuil. 35 Les rites purificatoires, selon ce que croyaient nos ancêtres, pouvaient supprimer toute impiété et toute cause de mal. Cette coutume vient de Grèce, où l'on pense que les coupables, s'ils sont rituellement purifiés, sont débarrassés de leurs actes impies. Pélée purifia le petit-fils d'Actor; Pélée lui aussi fut lavé [2,40] par Acaste du meurtre de Phocus dans les eaux d'Hémonie. Égée trop crédule accorda une aide qu'elle ne méritait pas à la Phasidienne transportée dans les airs par un attelage de dragons. Le fils d'Amphiaraüs dit à l'Acheloüs, fleuve de Naupacte: "Délivre-moi de mon crime", et le fleuve le purifia de son crime. 45 Ah! Vous êtes trop indulgents, vous qui pensez que l'eau d'un fleuve peut effacer de funestes crimes de sang! Toutefois, pour t'éviter une erreur en ignorant l'ordre ancien des mois, sache que jadis, comme aujourd'hui, le premier mois fut celui de Janus. Celui qui suit Janus a été le dernier de la vieille année; [2,50] et toi aussi, Terminus, tu marquais la fin des rites sacrés. En effet, le mois de Janus est le premier, la porte occupant la première place; le mois consacré aux Mânes d'en bas était placé au plus bas de la série. On pense que plus tard ces mois séparés d'abord par un long intervalle se sont succédé sans interruption, par décision des décemvirs. 55 Au commencement du mois, la voisine de la mère de Phrygie, Junon Sospita, est réputée avoir reçu un nouveau sanctuaire. Où se trouve actuellement ce temple consacré à la déesse lors de ces Calendes? La suite infinie des jours l'a fait s'écrouler. Notre chef sacré a veillé avec un soin attentif [2,60] à éviter aux autres temples une semblable ruine. Sous son règne, point de décrépitude pour les sanctuaires; non content de s'attacher les hommes, il s'attache aussi les dieux. Bâtisseur de temples, auguste restaurateur de temples, puisses-tu recevoir des dieux la même sollicitude. 65 Puissent les dieux du ciel t'accorder autant d'années que tu leur en assures et puissent-ils monter la garde devant ta demeure. Ce jour voit aussi une célébration au bois voisin d'Helernus, là où le Thybris venu de l'étranger cherche à gagner la mer. Au sanctuaire de Numa, au dieu Tonnant du Capitole, [2,70] et en haut de la citadelle de Jupiter, on sacrifie un mouton de deux ans. Souvent l'éther voilé de nuages provoque de fortes pluies ou bien la terre disparaît sous la neige qui la recouvre. Le lendemain, lorsque Titan, prêt à gagner les eaux d'Hespérie, délivrera ses chevaux de pourpre de leurs jougs précieux, 75 quelqu'un, durant la nuit, dira en levant son visage vers le ciel: "Où se trouve aujourd'hui la Lyre qui brillait hier?" Et, cherchant la Lyre, il remarquera que la croupe du Lion aussi s'est soudain enfoncée à moitié dans les eaux limpides. Le Dauphin, que tu voyais naguère tout serti d'étoiles, [2,80] fuira tes regards au cours de la nuit suivante: soit qu'il ait été le messager efficace d'amours secrètes, ou qu'il ait transporté la lyre de Lesbos et son maître. Quelle mer ne connaît pas Arion, quelle terre l'ignore? Par son chant il retenait le cours des eaux. 85 Souvent sa voix a retenu le loup à la poursuite d'une agnelle; souvent l'agnelle, qui fuyait le loup avide, s'est arrêtée; souvent chiens et lièvres se sont couchés à l'ombre du même arbre et la biche s'est dressée sur un rocher, tout près de la lionne; sans se quereller, la corneille jacasseuse et la chouette de Pallas [2,90] se sont posées côte à côte, et la colombe a rejoint l'épervier. On dit que souvent, ô harmonieux Arion, tes mélodies ont stupéfié la déesse du Cynthe tout autant que les chants de son frère. Le nom d'Arion avait empli toutes les ondes de Sicile, et les sons de sa lyre avaient séduit les rivages d'Ausonie. 95 Alors, voulant rejoindre son pays, Arion s'embarqua sur un navire, emportant les richesses que lui avait acquises son art. Peut-être, malheureux, redoutais-tu les vents et les flots: mais la mer était pour toi un refuge plus sûr que ton bateau. C'est que, en effet, le pilote dégaina son épée et se dressa, [2,100] armes à la main, avec les autres matelots, ses complices. À quoi te sert ce glaive? Nautonier, mène ta barque qui dérive: tes doigts ne sont pas faits pour tenir des armes de cette sorte! Arion, blanc de peur, dit: "Je ne vous implore pas de m'éviter la mort, mais, permettez-moi de prendre ma lyre et de jouer quelques notes". 105 On lui fait cette faveur, tout en riant du délai qu'on lui accorde; il se ceint d'une couronne qui siérait à ta chevelure, ô Phébus. Il s'était vêtu d'une robe deux fois teinte de pourpre de Tyr; son pouce frappa les cordes qui rendirent leurs sons comme le cygne qui chante sa mélodie plaintive [2,110] lorsqu'une flèche cruelle a traversé sa tête blanche. Ainsi paré, Arion saute aussitôt au milieu des flots; l'eau qu'il remue éclabousse la poupe sombre. Alors - chose incroyable - un dauphin, raconte-t-on, offrit le creux de son dos pour soutenir ce fardeau insolite. 115 Lui, assis et tenant sa cithare, paie son passage en chantant, et son chant apaise les flots de la mer. Les dieux voient les actes pieux: Jupiter accueillit le dauphin parmi les astres et ordonna de lui accorder neuf étoiles. Que je souhaiterais maintenant, ô poète de Méonie, [2,120] avoir comme toi mille voix et le coeur qui te fit célébrer Achille, au moment de chanter les saintes Nones en vers élégiaques: voici un immense honneur qui vient s'ajouter aux Fastes. L'esprit me manque et le sujet m'écrase, outrepassant mes forces: il me faut chanter ce jour d'une voix toute spéciale. 125 Pourquoi ai-je voulu, pauvre fou, imposer à des élégies des faits d'un tel poids? Ce sujet méritait un mètre héroïque. Père sacré de la patrie, c'est le nom que t'attribuèrent le peuple et la curie; nous aussi, les chevaliers, te l'avons donné. Mais l'histoire avait pris les devants: tes vrais titres, tu les as portés tard, [2,130] toi qui depuis longtemps déjà étais le père de l'univers. Toi, tu détiens sur terre ce nom que Jupiter possède en haut du ciel: toi, tu es le père des hommes; lui, le père des dieux. Romulus, admets cette évidence: Auguste, en défendant tes remparts, les rend majestueux; toi, tu avais laissé Rémus les franchir. 135 Ta domination, seuls Tatius et la modeste Cures et Cénina l'ont ressentie; lui dirige sous bannière romaine les deux versants que visite le soleil. Toi, tu régnais sur je ne sais quel coin de terre conquise; César possède tout le territoire qui s'étend sous le ciel de Jupiter. Toi, tu enlèves des femmes; lui veut sous son règne des épouses chastes. [2,140] Toi tu as fait d'un bois sacré un asile pour le crime; lui a banni le crime. Toi, tu as prisé la violence; sous César, les lois sont florissantes. Toi, on t'appelle maître; lui porte le nom de prince. Toi, Rémus t'incrimine; lui a accordé son pardon à ses ennemis. C'est ton père qui t'a fait dieu; lui a fait de son père un dieu. 145 Déjà l'enfant de l'Ida émerge jusqu'à mi-corps et déverse ses eaux limpides mêlées de nectar. Et maintenant, qu'il se réjouisse celui qui d'habitude redoutait Borée: les zéphyrs envoient un air plus doux. Pour la cinquième fois, Lucifer aura fait surgir des ondes marines [2,150] son étoile éclatante, et ce sera le début du printemps. Ne t'y trompe pas pourtant, des frimas persistants t'attendent, et tout en s'éloignant, l'hiver a laissé bien des marques. Que passent encore trois nuits; et aussitôt tu apercevras que le Gardien de l'Ourse a dévoilé ses deux pieds. 155 Parmi les Hamadryades, dans la compagnie de Diane chasseresse, Callisto faisait partie de son choeur sacré. Touchant l'arc de la déesse, elle dit: "Arc que nous touchons, sois témoin de ma virginité". La déesse du Cynthe la félicita et dit: "Tiens ta promesse et ton engagement, [2,160] ainsi tu seras la première de mes suivantes". Et elle aurait respecté son engagement, si elle n'avait été belle. Elle se garda des hommes; sa faute lui vint de Jupiter. Après avoir chassé mille bêtes sauvages dans les bois, Phébé rentrait, à l'heure où soleil avait parcouru la moitié de la journée ou plus encore; 165 lorsqu'elle parvint au bois sacré (un bois sombre, planté d'yeuses, avec en son milieu une profonde fontaine d'eau fraîche), elle dit: "Baignons-nous ici, dans le bois, vierge de Tégée!" Au mot 'vierge', qui sonnait faux, Callisto rougit. Phébé s'était aussi adressée aux Nymphes, qui déposent leurs voiles; [2,170] Callisto honteuse traînaille et laisse voir son malaise. Elle avait enlevé sa tunique, et avec son ventre manifestement rebondi elle se trahit elle-même en révélant sa grossesse. La déesse lui dit: "Fille parjure de Lycaon, quitte notre troupe de vierges, et ne souille pas ces eaux chastes!" 175 La lune de ses cornes avait empli pour la dixième fois un nouveau cercle: celle que l'on avait crue vierge était devenue mère. Blessée, Junon est furieuse et métamorphose la jeune fille. Que fais-tu? C'est d'un coeur réticent qu'elle a subi Jupiter! Et dès qu'elle vit sa rivale avilie sous les traits d'une bête, [2,180] Héra dit: "Jupiter, va donc étreindre cette créature!" Dans les montagnes sauvages errait une ourse répugnante, que naguère avait aimée le grand Jupiter. L'enfant conçu par ruse vivait déjà son troisième lustre quand la mère fut mise en présence de son fils. 185 Comme si elle le reconnaissait, elle resta interdite, hors d'elle, et gémit: ses gémissements traduisaient des paroles de mère. L'enfant ignorant l'aurait transpercée d'un trait acéré, si tous deux n'avaient été enlevés vers les demeures célestes. Voisines, ces constellations brillent. Nous appelons la première Arctos, [2,190] Arctophylax a l'aspect de quelqu'un qui suit, derrière son dos. La Saturnienne est toujours en colère et demande à la blanche Téthys de ne pas laisser l'Ourse du Ménale toucher ses eaux ni s'y baigner. Le jour des Ides les autels de l'agreste Faunus fument, là où une île brise et sépare les eaux du Tibre. 195 C'est ce jour-là que, sous les coups des Véiens, sont tombés les trois cent six Fabii. Une seule maison s'était chargée de la défense de la Ville: ces mains d'une même famille prennent les armes, comme promis. Une troupe généreuse sort d'un même camp; [2,200] de ces hommes, chacun eût pu être le chef. Il existe une voie très proche de l'arcade droite de la porte Carmentale; qui que tu sois, n'y passe pas: l'endroit porte malheur. La tradition rapporte que les trois cents Fabii sont sortis par là. La porte n'est pas fautive; elle est pourtant de mauvais présage. 205 Dès qu'ils eurent d'un pas rapide atteint le torrentueux Crémère (qui, suite aux pluies d'hiver, roulait des flots tumultueux), ils y établissent leur camp. Brandissant leurs épées, ils traversent les rangs tyrrhéniens, en livrant un combat acharné; on aurait dit des lions de Libye fonçant sur des troupeaux [2,210] dispersés dans l'immensité des campagnes. Les ennemis fuient en tous sens et reçoivent dans le dos des blessures qui les déshonorent: la terre est rouge de sang étrusque. À nouveau ils tombent, et ainsi à maintes reprises; comme ils n'arrivent pas à vaincre ouvertement, ils préparent une embuscade, cachant des armes. 215 Il y avait une plaine, fermée à ses extrémités par des collines boisées, où pouvaient se cacher les bêtes vivant sur ces hauteurs. Au centre, ils laissent quelques hommes et quelques bêtes, le reste de la troupe attend cachée derrière des broussailles. Voici que, tel un torrent grossi par des eaux de pluie [2,220] ou de la neige fondante s'écoulant à la tiédeur du zéphyr, tel un torrent emporté à travers champs et routes et ne contenant plus ses eaux dans les limites normales de ses rives, les Fabii gagnent toute la vallée, se déploient largement de tous côtés, et abattent tout ce qu'ils voient, sans autrement éprouver de crainte. 225 Où courez-vous, nobles gens? Vous avez tort de vous fier à l'ennemi. Noblesse trop confiante, garde-toi des traits perfides! La vaillance est vaincue par la ruse: les ennemis se ruent dans la plaine ouverte de tous côtés et en occupent tout le tour. Que pourraient faire quelques braves contre des milliers d'hommes ? [2,230] Ou quelle aide attendre en un moment si désespéré? Tel un sanglier que traquent au fond des bois les aboiements des chiens rapides et qui, de son boutoir foudroyant, les fait fuir mais bientôt périt, ainsi les Fabii meurent tout en se vengeant, et tour à tour on assène et on subit des coups. 235 En un seul jour, tous les Fabii étaient partis à la guerre, un seul jour vit périr ces hommes partis à la guerre. Mais on peut croire que les dieux eux-mêmes ont voulu que subsiste la descendance de cette famille née d'Hercule. En effet, un enfant impubère et trop jeune encore pour porter les armes, [2,240] fut le seul de la famille Fabia à rester vivant; sans doute pour te permettre de naître un jour, Maximus, toi qui, en temporisant, devais rétablir notre situation. Trois constellations se situent en enfilade, le Corbeau, le Serpent, et au centre, se cachant entre eux deux, la Coupe. 245 Le jour des Ides, elles restent cachées, et se lèvent la nuit suivante. Mon poème te dira la cause qui lie ainsi ces trois signes. Un jour, Phébus préparait une fête annuelle en l'honneur de Jupiter (notre anecdote ne nous retardera guère): "Va, oiseau cher à mon coeur", dit-il, "ne retardons pas les rites pieux, [2,250] et apporte-moi un peu d'eau provenant d'une source vive". Le corbeau, de ses pattes crochues, saisit une coupe dorée et l'emporte, s'envolant bien haut pour traverser les airs. Un figuier se dressait, tout chargé de fruits encore verts; Le corbeau y porte son bec: ils n'étaient pas mûrs pour être cueillis. 255 On raconte que, oublieux de l'ordre reçu, il s'installa sous l'arbre, attendant que les fruits aient tout le temps de mûrir. Une fois repu, il saisit dans ses serres crochues un long serpent, rentre chez son maître et lui fait ce rapport mensonger: "Voici la cause de mon retard, cet occupant des eaux vives, [2,260] qui gardait la source et m'entrava dans ma mission". "Tu ajoutes un mensonge à ta faute", dit Phébus, "et tes paroles ont l'audace de vouloir tromper le dieu devin? Désormais, tant que la figue laiteuse restera attachée à son arbre, tu ne boiras pas, toi, l'eau fraîche d'aucune source". 265 Il parla et, perpétuant ces souvenirs d'un fait ancien, le Serpent, l'Oiseau et la Coupe, liés entre eux, scintillent au firmament. La troisième Aurore après les Ides, on voit les Luperques nus et les fêtes sacrées se dérouler en l'honneur de Faunus le cornu. Piérides, dites-moi l'origine de ces rites, d'où viennent-ils [2,270] et comment ont-ils atteint les demeures des Latins? On dit que Pan, dieu du troupeau, était vénéré chez les anciens Arcadiens; il était partout présent sur les sommets d'Arcadie. En témoigneront le mont Pholoé et les ondes du Stymphale, le Ladon qui en flots rapides court vers la mer, 275 les hauteurs du bois de Nonacris, entourées de pinèdes, et la fière Tricrènè ainsi que les neiges de Parrhasie. Là, Pan était le dieu du bétail, Pan était le dieu des cavales, il recevait une offrande pour assurer le salut des brebis. Évandre amena avec lui ces divinités sylvestres: [2,280] là où est la Ville actuelle, il n'y avait alors que son emplacement. C'est pourquoi nous célébrons ce dieu et les rites amenés par les Pélasges: le flamen Dialis était présent à ce rituel, en vertu d'une loi antique. Pourquoi donc, demandes-tu, courent-ils ainsi, posant leurs vêtements et se présentant tout nus? Car c'est ainsi qu'on les voit d'habitude. 285 Le dieu lui-même, véloce, aime courir sur les hauteurs, et c'est lui aussi qui provoque les fuites soudaines. Le dieu, qui est nu, veut que ses servants soient nus; et un vêtement serait bien incommode pour courir. Avant la naissance de Jupiter, les Arcadiens, dit-on, [2,290] possédaient la terre, et cette nation exista avant la Lune. La vie, que nul usage n'avait troublée, ressemblait à celle des bêtes; les gens étaient encore inexpérimentés en art et incultes. Pour maisons, ils avaient les feuillages; pour moissons, les herbes sauvages; l'eau qu'ils puisaient de leurs deux mains était leur nectar. 295 Nul taureau ne s'essoufflait à tirer le soc recourbé, nulle terre n'était assujettie à un laboureur. À cette époque, on n'usait point du cheval; on se portait soi-même. La brebis gardait la laine qui lui enveloppait le corps. On vivait à la belle étoile, et chacun se déplaçait, le corps nu, [2,300] aguerri et supportant averses et vents pénibles. Maintenant encore, les Luperques sans vêtements rappellent l'antique coutume et témoignent des ressources anciennes. Mais pourquoi principalement Faunus évite-t-il les vêtements? Une anecdote ancienne, pleine de sel, nous l'explique. 305 Un jour, le jeune Tirynthien accompagnait sa maîtresse; Faunus, du haut d'un mont, les aperçut tous deux. Il les vit, s'enflamma et dit: "Divinités de la montagne, plus rien ne me lie à vous: voici désormais l'objet de mon ardeur". La Méonienne s'avançait, ses cheveux parfumés sur les épaules, [2,310] attirant les regards avec son vêtement tissé d'or. Elle était cependant à l'abri des chauds rayons du soleil, grâce à Hercule, qui tenait dans sa main une ombrelle dorée. Déjà elle rejoignait le bois de Bacchus et les vignes de Tmole, tandis qu'Hespérus, humide de rosée, s'avançait sur son cheval sombre. 315 Omphale pénètre dans une caverne tapissée de tuf et de roche vive; tout près de l'entrée coulait un ruisseau au doux gazouillis. Tandis que ses serviteurs préparent repas, vins et boissons, elle revêt l'Alcide de ses propres atours. Elle lui tend ses tuniques légères, teintes de pourpre de Gétulie, [2,320] elle lui passe la souple ceinture qui à l'instant lui serrait la taille. La ceinture est trop courte; Hercule donne du jeu aux attaches pour laisser le passage à ses grandes mains; il avait cassé les bracelets, qui n'étaient pas adaptés à ses bras et ses énormes pieds rompaient les fines lanières des sandales. 325 De son côté, elle prend la lourde massue, la dépouille de lion et les plus petits des traits enfouis dans leur carquois. Ainsi parés, ils prennent leur repas, puis livrent leurs corps au sommeil; ils avaient posé les lits côte à côte et reposaient séparément: la raison en était qu'ils préparaient en l'honneur de l'inventeur de la vigne [2,330] un sacrifice qu'ils accompliraient, au lever du jour, en état de pureté. Il était près de minuit. À quelle audace renonce un amour sans retenue? Dans l'obscurité, Faunus parvint à l'antre humide; voyant leurs compagnons abîmés dans le sommeil et le vin, il se met à espérer que les maîtres connaissent la même torpeur. 335 L'amoureux entre et erre un peu au hasard; prudemment il tend les mains en avant et progresse à tâtons. Il était parvenu à la couchette convoitée du lit de repos, et, dès sa première tentative, était près d'atteindre son bonheur; touchant la toison du lion fauve hérissée de poils, [2,340] il prit peur et retint sa main; épouvanté de frayeur, il recula, comme souvent un voyageur retire son pied quand il se trouble à la vue d'un serpent. Alors, il touche les étoffes délicates du lit voisin, et se laisse abuser par cet indice trompeur; 345 il monte et se couche sur le lit tout proche de lui; son membre gonflé était plus dur qu'une corne. Entre-temps il relève les tuniques à partir du bas: des jambes rugueuses apparaissent hérissées de poils. Faunus tentant d'autres gestes, le héros de Tirynthe le repoussa brusquement, [2,350] et le fit tomber du haut du lit. Un bruit retentit; la Méonienne appelle ses suivants, demande de la lumière; on apporte des torches; les faits sont manifestes. Faunus, projeté avec force du haut du lit, pousse un gémissement et a bien du mal à se relever de la terre dure. 355 Alcide rit, de même rient ceux qui l'ont vu à terre, la jeune femme de Lydie se rit aussi de son amoureux. Abusé par un vêtement, le dieu n'aime pas les vêtements trompeurs et invite des hommes nus à célébrer son culte. À ces causes étrangères, ô ma muse, ajoute des causes latines, [2,360] et fais courir notre coursier dans la poussière qui est la sienne. C'est la coutume d'immoler une jeune chèvre à Faunus aux pieds cornus, et la foule arrive, invitée à un modeste repas. Et tandis que, vers le milieu du jour, les prêtres préparent la fressure l'enfilant sur des piques de saule, Romulus, son frère 365 et les jeunes bergers exposaient leurs corps nus dans la plaine ensoleillée. Maniant cestes et javelots, lançant de lourdes pierres, ils s'amusaient à éprouver la force de leurs bras. D'une hauteur, un berger dit: "Romulus, Rémus, là-bas, à l'écart, [2,370] dans la campagne, des brigands emmènent vos boeufs". S'armer eût pris trop de temps: tous deux s'en vont en sens opposés et Rémus tombe sur le butin qu'il récupère. Sitôt revenu, il retire des broches la fressure qui grésille et dit: "Assurément, personne, sinon le vainqueur, ne la mangera". 375 Il fait ce qu'il a dit et les Fabii de même. Romulus, sans avoir rien pris, rentre et aperçoit les tables et les os tout pelés. Il rit mais supporte mal la victoire des Fabii et de Rémus, tandis qu'échouaient ses compagnons, les Quintilii. Le souvenir de cet incident subsiste: les Luperques courent sans vêtements, [2,380] et cet heureux événement se perpétue dans les mémoires. Peut-être voudrais-tu savoir pourquoi cet endroit s'appelle Lupercal, ou bien pour quelle raison ce jour est lié à un tel nom. La Vestale Silvia avait mis au monde des rejetons divins, au temps où son oncle paternel occupait le trône royal. 385 Celui-ci ordonne d'enlever les petits et de les noyer dans le fleuve. Que fais-tu? L'un de ces deux enfants deviendra Romulus! Les serviteurs accomplissent avec réticence ces ordres consternants, et tout en pleurant, ils emportent pourtant les jumeaux à l'endroit indiqué. L'Albula, qui devint le Tibre le jour où Tibérinus se noya dans ses eaux, [2,390] était précisément tout gonflé par les eaux hivernales. En cet endroit où maintenant se trouvent les Forums, là où s'étend ta vallée Grand Cirque, on aurait pu voir des barques errantes. Une fois là, n'ayant pu s'approcher davantage, les serviteurs, tour à tour, disent: "Quelle ressemblance! 395 Mais, comme ils sont beaux tous les deux! Cependant, des deux, celui-ci a plus de force. Si la naissance se déduit du visage, si l'apparence n'est pas trompeuse, je présume qu'un dieu, je ne sais lequel, est en vous. Pourtant si un dieu était responsable de votre naissance, [2,400] il vous porterait secours, en une circonstance si périlleuse; votre mère sûrement vous aiderait, si elle-même n'était démunie, elle qui, le même jour, devint mère et fut privée de ses enfants. Nés ensemble, destinés à mourir ensemble, sombrez ensemble sous les flots!" Il se tut et écartant les enfants de sa poitrine, il les déposa. 405 Tous deux vagissent en même temps: on eût dit qu'ils avaient compris. Les serviteurs rentrent chez eux, les joues humides de larmes. L'auge creuse contenant les bébés exposés se maintient à la surface de l'onde; hélas, quelle destinée ce modeste berceau a portée! Poussée vers un bois épais, l'auge se pose dans la vase [2,410] tandis que progressivement le fleuve se retire. Il y avait un arbre - des vestiges en subsistent -: et le figuier appelé aujourd'hui Ruminal était le figuier dit de Romulus. Miracle! Une louve féconde arriva près des jumeaux abandonnés. Qui croirait que cette bête sauvage ne malmena point les enfants? 415 Elle fut loin de leur nuire, et même elle les aida; des proches avaient entrepris de perdre les nourrissons de la louve. La bête s'arrête; de la queue elle caresse les tendres nouveau-nés et effleure de la langue leurs deux petits corps. À l'évidence, ils étaient nés de Mars: ils n'avaient pas peur. Trouvant les mamelles, [2,420] ils se nourrissent d'un lait qui ne leur avait pas été destiné. La louve donna son nom à cet endroit, qui donna le sien aux Luperques: la nourricière fut bien récompensée pour avoir donné son lait. Mais qui empêcherait les Luperques de tirer leur nom d'un mont d'Arcadie? Faunus possède un temple en Arcadie, sous le vocable de Lycaeus. 425 Jeune épousée, qu'attends-tu? Ce ne sont pas des herbes efficaces, ni la prière ni une incantation magique qui te rendront mère; endure patiemment les coups d'une main qui te fécondera: bientôt ton beau-père portera le titre envié de grand-père. Car il fut un temps où les femmes mariées, par un sort cruel, [2,430] mettaient au jour très peu de gages de tendresse nés de leurs entrailles. "À quoi me sert-il d'avoir enlevé les Sabines?", s'écriait Romulus, au temps où il détenait le sceptre, "si mon acte injuste m'a valu la guerre, et non des renforts? Mieux eût valu n'avoir pas de brus." 435 Au pied du mont Esquilin, un bois sacré, qu'on n'avait pas taillé des années durant, était dédié à la grande Junon. Un jour, des épouses et leurs maris arrivèrent à cet endroit et, ensemble, genoux fléchis, ils se prosternèrent en suppliants; alors, soudainement, les cimes des arbres se mirent à bouger et à trembler, [2,440] et la déesse énonça à travers les bois ces paroles étonnantes: "Mères d'Italie, qu'un bouc sacré vous pénètre", dit-elle. La foule, effrayée, resta stupéfaite devant cette phrase ambiguë. Un augure, dont le nom s'est perdu au fil des ans, était arrivé récemment, exilé de la terre d'Étrurie. 445 Il sacrifie un bouc: sur son ordre, les jeunes filles offraient leurs dos pour qu'on les frappât à l'aide de la peau de bouc découpée en lanières. La lune lors de son dixième tour reformait son croissant, et soudain, le mari devint père, et l'épouse, mère. On rendit grâces à Lucina: c'est le bois sacré qui te valut ce nom, [2,450] ou est-ce parce que tu détiens, ô déesse, la source de la lumière. Protège, je t'en prie, bienveillante Lucina, les filles enceintes, et de leur sein extrais en douceur leur fardeau parvenu à maturité. Lorsque le jour se sera levé, cesse pour ta part de te fier aux vents. La brise de cette saison n'est pas digne de confiance. 455 Les vents ne sont pas constants, et, sans verrou durant six jours, la porte de la prison d'Éole est large ouverte. Déjà le Verseau, léger grâce à son urne inclinée, s'est couché. Poisson, qui es tout proche, accueille les chevaux de l'éther. Selon la tradition, (car vos signes scintillent à l'unisson), [2,460] ton frère et toi avez soutenu deux dieux sur vos dos. Jadis, Dioné, fuyant le terrible Typhon, en ce temps où Jupiter prit les armes pour défendre le ciel, parvint à l'Euphrate avec son petit Cupidon et s'assit au bord du fleuve de la Palestine. 465 Les peupliers et les joncs occupaient le haut des berges, et les saules leur laissaient l'espoir de trouver aussi un abri. Pendant que Vénus se cache, le bruit du vent emplit le bois: pâle de frayeur, elle croit qu'une troupe d'ennemis s'approche. Et serrant son enfant sur son coeur, elle dit aussitôt: [2,470] "Nymphes, accourez, et portez secours à deux divinités!" Et, sans attendre, elle plongea. Deux Poissons jumeaux vinrent à son aide: c'est pourquoi maintenant, comme tu vois, des astres portent leur nom. Depuis lors, présenter du poisson au repas est sacrilège chez les Syriens, qui craignent de souiller leurs bouches avec ce genre de mets. 475 Le lendemain est libre, mais le surlendemain est consacré à Quirinus. Celui-ci porte ce nom (précédemment, il s'appelait Romulus), soit parce que, chez les anciens Sabins, la lance se disait curis, et que grâce à cette arme ce dieu belliqueux put rejoindre les astres; soit parce que les Quirites donnèrent leur nom à leur roi, [2,480] soit parce qu'il aurait réuni Cures au territoire des Romains. En effet, lorsque le puissant dieu des armes vit les nouveaux remparts et toutes les guerres remportées par le bras de Romulus, il dit: "Jupiter, la puissance romaine dispose de ses propres forces: elle n'a pas plus besoin des services de l'être né de mon sang. 485 Rends à un père son enfant: bien que mon autre fils ait disparu, pour moi, le survivant sera à la fois lui-même et Rémus. Tu m'as dit toi-même: 'Tu auras un fils, un seul que tu enlèveras dans l'azur du ciel'; que s'accomplisse la parole de Jupiter". Jupiter avait marqué son approbation: d'un signe de tête, [2,490] il fit trembler les deux pôles et Atlas sut combien pesant était le ciel. Il est un lieu, que les anciens ont appelé le Marais de la Chèvre: c'est là précisément, Romulus, que tu rendais la justice à tes sujets. Le soleil disparaît, des nuages s'avancent, qui dissimulent le ciel, et une averse s'abat lourdement, avec des torrents d'eau. 495 Ici gronde le tonnerre; là, des éclairs répétés déchirent l'éther; sauve-qui-peut général; le roi gagnait le ciel sur les chevaux de son père. On pleurait, et les sénateurs furent à tort accusés de meurtre, et peut-être cette croyance se serait-elle incrustée dans les esprits, mais Julius Proculus arriva d'Albe-la-Longue; [2,500] la lune brillait, et point n'était besoin de torche; soudain, la haie sur sa gauche fut agitée d'un tremblement. Il retint ses pas; ses cheveux se hérissèrent. Beau, plus grand que nature, et paré de son manteau royal, Romulus lui apparut au milieu du chemin 505 et il lui dit aussitôt: "Empêche les Quirites de pleurer sur moi; que leurs larmes n'outragent point ma divine volonté. Que la foule pieusement apporte de l'encens et honore le nouveau Quirinus, que l'on cultive les arts des ancêtres et la vie militaire". Il donna ses ordres et disparut de leur vue, dans l'air léger. [2,510] Proculus convoque les citoyens et rapporte les ordres qu'il a reçus. On élève un temple au dieu; une colline aussi porte son nom, et à date régulière, des jours de fête ramènent les rites ancestraux. Voici pourquoi ce même jour s'appelle aussi la Fête des Sots: la cause est sans doute bien minime, mais cohérente. 515 Sur la terre des anciens, les gens n'étaient pas instruits: de rudes guerres épuisaient l'énergie de ces hommes. Le glaive était plus à l'honneur que ne l'était l'araire recourbé; le champ négligé rapportait peu à son propriétaire. Pourtant les anciens semaient l'épeautre, moissonnaient l'épeautre, [2,520] et l'épeautre récolté, ils l'offraient en prémices à Cérès. Instruits par l'usage, ils le confièrent aux flammes pour le torréfier, mais, par leur propre faute, subirent de nombreux dommages. Tantôt en balayant, ils recueillaient des cendres noires en lieu de blé, tantôt les flammes ravageaient même leurs huttes. 525 Fornax devient une déesse: confiants en Fornax, les paysans la supplient de protéger leurs récoltes. De nos jours, le Grand Curion fixe les Fornacalia par une proclamation légale, sans en faire une fête fixe; Et tout autour du Forum, sur de nombreux écriteaux suspendus, [2,530] une marque spéciale signale l'emplacement de chaque curie. Ceux qui, dans le peuple, sont des sots, ne connaissent pas leur curie, et accomplissent la cérémonie qu'ils reportent au dernier jour. On honore aussi les tombeaux, en apaisant les âmes des ancêtres, et en déposant de menues offrandes sur les monuments funéraires. 535 Les Mânes n'exigent que peu de choses: la piété leur est plus précieuse qu'un riche présent: le Styx en ses profondeurs n'abrite pas de dieux avides. Ils se satisfont d'une tuile couronnée d'une guirlande votive, de grains épars, d'une simple pincée de sel, de pain trempé dans du vin et de violettes éparpillées: [2,540] Un tesson d'argile laissé au milieu du chemin peut contenir ces offrandes. Je n'en interdis pas de plus riches, mais celles-ci suffisent à fléchir les ombres: dresse un foyer, et puis prononce les prières et les formules adéquates. Cette coutume, c'est Énée, modèle avéré de piété, qui l'a introduite dans ton pays, équitable Latinus. 545 Chaque année, il apportait des offrandes au Génie de son père; c'est de lui que les populations ont appris ces rituels pieux. Mais un jour, tandis que nos armées farouches menaient de longues guerres, on oublia les jours des Morts. Et ce ne fut pas impunément. Suite à cette négligence funeste, [2,550] Rome vit s'embraser, dit-on, les bûchers de ses faubourgs. Certes, j'ai peine à le croire: nos aïeux seraient sortis des tombeaux, emplissant de leurs plaintes le silence de la nuit; et, à travers les rues de la Ville et dans les campagnes, la foule vaine des âmes inconsistantes se serait mise à hurler. 555 On rend alors aux tombeaux les honneurs des temps anciens, les prodiges et funérailles ne sortent plus de la norme. Pendant la durée de ces cérémonies, prenez patience, jeunes veuves: le flambeau de pin nuptial doit attendre des jours purs; et toi, que ta mère avide juge mûre pour le mariage, [2,560] ne laisse pas la lance recourbée coiffer ta chevelure virginale. Cache tes flambeaux, Hyménée, tiens-les à l'écart des torches funèbres: aux lugubres tombeaux conviennent d'autres torches. Qu'on dissimule les dieux derrière les portes closes des temples, que leurs autels soient privés d'encens, et leurs foyers de feu. 565 En ces jours, âmes ténues et corps des défunts errent près des tombeaux, c'est le moment où l'ombre se repaît des mets posés devant elle. Toutefois, ces cérémonies ne durent pas au-delà du nombre des jours restants du mois égal au nombre de pieds que comptent mes vers. On appela ce jour Feralia, parce qu'on apporte les offrandes requises: [2,570] c'est le tout dernier jour où l'on peut apaiser les Mânes. Voilà qu'une vieille chargée d'ans, assise parmi des jeunes filles, offre un sacrifice à Tacita, ayant elle-même du mal à se taire; avec trois doigts, elle pose sur le seuil trois grains d'encens, à un endroit où une petite souris s'est frayé un chemin secret. 575 Ensuite elle attache à l'aide de plomb sombre des cordons enchantés et tourne sept fèves noires dans sa bouche; puis, après avoir figé dans la poix et transpercé avec une aiguille de bronze la tête d'une mendole, elle la recoud et la fait griller dans le feu, en y versant quelques gouttes de vin. Tout ce qui reste de vin, [2,580] elle et ses compagnes le boivent, mais elle surtout. "Nous avons lié les langues hostiles et les bouches ennemies", dit la vieille en s'éloignant, puis elle s'en va, éméchée. Dans la foulée, tu nous demanderas qui est la déesse Muta: Apprends ce que m'ont fait connaître des vieillards très âgés. 585 Jupiter, sous l'emprise d'un amour effréné pour Juturne, essuya de nombreux affronts, intolérables pour un si grand dieu: tantôt elle se cachait dans les bois, parmi les noisetiers, tantôt elle sautait dans les eaux, qui étaient de sa famille. Lui convoque toutes les nymphes du Latium, [2,590] et au milieu de leur choeur lance ces paroles: "Votre soeur se nuit à elle-même et fait fi de l'avantage d'avoir à partager la couche du dieu suprême. Pensez à notre intérêt commun: ce qui me sera grande volupté sera aussi pour votre soeur d'une grande utilité. 595 Vous, arrêtez-la, quand elle s'enfuit le long de la rive, empêchez-la de plonger dans l'eau du fleuve." Il avait parlé; toutes les nymphes du Tibre avaient acquiescé, et aussi celles qui occupent ta chambre nuptiale, divine Ilia. Il y avait justement une naïade, nommée Lara; mais son ancien nom [2,600] était constitué de sa première syllabe prononcée deux fois, nom que lui avait valu son défaut. Souvent l'Almo lui avait dit: "Petite, tiens ta langue". Et pourtant elle ne la tint pas. Dès qu'elle rejoignit le lac de sa soeur Juturne, elle dit: "Quitte ces rives!", en lui rapportant les paroles de Jupiter. 605 Elle alla même trouver Junon, et s'apitoyant sur les épouses, elle dit:"Ton mari aime la naïade Juturne". Jupiter est gonflé de colère, et pour l'usage immodéré qu'elle en avait fait il lui arracha la langue, puis il appela Mercure: "Conduis-la chez les Mânes - un lieu qui convient aux Silencieux -; [2,610] elle est nymphe, mais elle sera la nymphe du marais infernal". Les ordres de Jupiter s'accomplissent. En chemin un bois sacré les accueille: alors, dit-on, la nymphe parut désirable à son guide divin. Il est prêt à abuser d'elle; faute de mots, elle le supplie du regard, et s'efforce en vain de faire parler sa bouche muette. 615 Enceinte, elle engendre des jumeaux, les Lares, qui éternellement protègent les carrefours et veillent sur notre ville. Les parents chéris ont donné leur nom aux 'Caristia' du lendemain, et les proches en foule viennent visiter les dieux familiaux. Assurément, en quittant les tombeaux et les proches décédés, [2,620] il est agréable de reporter aussitôt ses regards sur les vivants, et, après tant de proches disparus, d'observer ce qui reste de son sang, et de dénombrer les générations de sa famille. Que s'approchent des gens sans souillure: loin d'ici, oui, loin d'ici, le frère impie et la mère cruelle envers sa progéniture, 625 celui qui trouve son père trop vif ou qui compte les années restant à sa mère, la belle-mère inique qui opprime une bru détestée. Qu'ils s'écartent les frères descendant de Tantale, et l'épouse de Jason, et celle qui donna aux campagnards des graines brûlées, et Procné et sa soeur, et Térée inique à leur égard à toutes deux, [2,630] et quiconque a accru ses richesses grâce à un crime. Bonnes gens, offrez de l'encens aux dieux de la famille: C'est ce jour-là surtout, dit-on, qu'est présente la douce Concorde; offrez en libation des mets, afin que, gage d'un honneur qu'ils agréent, la patelle envoyée nourrisse les Lares à la tunique retroussée. 635 Et déjà, quand la nuit humide invitera le doux sommeil, vous disposant à prier, prenez du vin d'une main généreuse, et dites: "Soyez heureux vous, sois heureux, toi, excellent César, père de la patrie!" Que ces bonnes paroles se mêlent à des flots de vin. Lorsqu'une nuit aura passé, que l'on rende les honneurs habituels [2,640] au dieu qui par sa marque délimite les champs. Terminus, que tu sois une pierre ou une souche enfoncée dans le sol, toi aussi, tu détiens ton pouvoir divin depuis les temps anciens. Deux propriétaires, venant de directions opposées, te couronnent, et t'apportent deux guirlandes et deux gâteaux. 645 On dresse un autel: la paysanne, au creux d'un petit tesson, apporte du feu recueilli dans les cendres tièdes de son foyer. Un vieillard coupe du bois qu'il entasse avec habileté, et se donne du mal pour ficher des branches dans le sol ferme; alors, à l'aide d'une écorce sèche, il suscite les premières flammes; [2,650] un enfant debout tient dans ses mains une large corbeille. Ensuite, lorsqu'il a jeté par trois fois des grains dans le feu, une petite fille tend des tranches de gâteaux de miel. D'autres apportent du vin: chacun en répand une libation sur les flammes. La foule vêtue de blanc regarde et reste silencieuse. 655 La borne commune est aspergée du sang d'un agneau immolé, et Terminus ne se plaint pas lorsqu'on lui offre une truie encore à la mamelle. Les voisins se réunissent, célèbrent simplement un repas, et ils chantent tes louanges, vénérable dieu Terminus: "Oui, tu délimites peuples et villes et immenses royaumes; [2,660] sans toi, tous les champs seraient objet de litige. Tu ne connais pas l'intrigue; l'or ne te corrompt jamais, tu protèges avec une fidélité légale les campagnes qui te sont confiées. Si jadis tu avais marqué de ton signe la terre de Thyrée, trois cents hommes n'auraient pas été envoyés à la mort, 665 et on n'aurait pas lu le nom d'Othryadès sur les armes amoncelées. Oh! Que de sang cet homme n'a-t-il pas donné à sa patrie! Que se passa-t-il lorsque surgit le nouveau Capitole? Assurément, la foule des dieux céda devant Jupiter et lui abandonna le lieu; selon les dires des anciens, Terminus, découvert dans le sanctuaire, résista [2,670] et occupa le temple avec le grand Jupiter. De nos jours encore, pour qu'il ne voie au-dessus de lui rien que les astres, le toit du temple comporte une petite ouverture. Terminus, depuis lors, tu n'es pas libre de te mouvoir: tu dois rester à l'endroit où tu as été placé. 675 De même, ne cède rien si un voisin te sollicite, pour ne pas paraître avoir préféré un humain à Jupiter. Et lorsque te heurteront des socs ou des hoyaux, crie: 'Ce champ-ci est à toi; celui-là est le tien!' " Il est une route qui mène les gens aux champs des Laurentes, [2,680] le royaume recherché autrefois par le chef Dardanien. Là, la sixième borne à compter de la Ville voit s'accomplir un rituel où, Terminus, on te sacrifie le foie d'un agneau laineux. Les autres nations ont un territoire aux frontières bien définies; la Ville de Rome et l'univers ont la même étendue. 685 Maintenant, je dois parler de la fuite du roi. C'est de cela que tire son nom le sixième jour avant la fin du mois. Tarquin était le dernier détenteur du royaume de la nation romaine; homme injuste, il était pourtant un guerrier courageux. Il avait conquis des villes, en avait détruit d'autres [2,690] et s'était approprié Gabies par un artifice honteux. En effet, le plus jeune de ses trois fils, vrai rejeton du Superbe, s'avança, durant le silence de la nuit, parmi les ennemis. Ceux-ci avaient dégainé leurs glaives: "Tuez un homme désarmé", dit-il; ce serait bien ce que souhaitent mes frères et Tarquin, mon père, 695 qui m'a cruellement déchiré le dos à coups de fouet". Pour pouvoir dire cela, il s'était laissé fouetter. La lune était claire: les Gabiens voient le jeune homme, rengainent leurs épées et aperçoivent son dos meurtri de coups, sous le vêtement ôté. En pleurant, ils l'engagent à se défendre avec eux dans une guerre. [2,700] Lui, le rusé, donne son accord à ces hommes inconscients. Et bientôt maître de la situation, il envoie un ami à son père pour demander qu'il lui indique le moyen de perdre Gabies. Il y avait à leurs pieds un jardin magnifique, aux plantes odorantes, coupé par un ruisseau qui murmurait doucement. 705 C'est là que Tarquin reçoit l'appel secret de son fils; à l'aide d'une baguette, il fauche le sommet des lis. Dès que le messager revient et lui parle des lis décapités, le fils dit: "Je comprends les ordres de mon père." Alors, sans attendre, on massacre les notables de la ville de Gabies [2,710] et les remparts, privés de leurs chefs, sont livrés. Voici que, vision sacrilège, du milieu des autels surgit un serpent qui dérobe du foyer éteint la fressure sacrificielle. On consulte Phébus. L'oracle dit ainsi: "Celui qui, le premier, aura donné un baiser à sa mère sera le vainqueur". 715 Chacun s'empressa d'aller embrasser sa mère; la foule est crédule, qui n'a pas compris le dieu. Brutus, sagement, contrefaisait l'idiot, pour se protéger de tes pièges, cruel Superbe. Étendu sur le sol, il baisa sa mère la Terre, [2,720] passant pour avoir trébuché et être tombé. Entre-temps, les enseignes romaines encerclent Ardée et l'on endure les longues attentes d'un siège. Pendant ces moments creux, l'ennemi craignant d'engager le combat, on joue dans le camp; la troupe occupe ses loisirs. 725 Le jeune Tarquin au cours d'un repas arrosé de vin reçoit ses amis; le fils du roi, au milieu d'eux, prend la parole: "Ardée nous occupe et nous retient dans cette guerre sans fin, sans qu'il nous soit possible de reporter nos armes aux dieux de nos pères; pendant ce temps, notre couche conjugale reste-t-elle dans le devoir? [2,730] Et nos épouses ont-elles aussi souci de nous?" Et chacun de vanter sa femme: avec la passion, la rivalité grandit, les vins coulent à flots, échauffant les coeurs et les langues. Celui qui tenait son nom illustre de Collatie se lève: "Foin de paroles, mais des faits!", dit-il. 735 "La nuit n'est pas finie: prenons nos chevaux et gagnons la ville!" Ces paroles sont bienvenues, on harnache les chevaux. Bientôt les maîtres arrivent à destination. Immédiatement, ils gagnent le palais royal: les portes n'en étaient pas gardées. Ils trouvent les brus du roi, tard éveillées devant des coupes de vin, [2,740] tandis que leurs couronnes de fleurs tombaient de leurs cous. Puis, aussitôt, ils se rendent chez Lucrèce. Devant son lit, des corbeilles de laine moelleuse; à la faible lueur d'une lampe, les servantes filaient leur part imposée, et Lucrèce, parmi elles, parlait ainsi, de sa voix douce: 745 "Allons, mes filles, allons, pressons! Maintenant, nous devons envoyer au plus tôt au maître ce manteau fait de notre main. Mais avez-vous appris quelque nouvelle? Vous pouvez savoir mille choses: combien de temps dit-on que durera la guerre? Un jour tu tomberas, tu seras vaincue: tu résistes à plus fort que toi, [2,750] impudente Ardée, qui obliges nos époux à rester loin de nous ! Ah! Puissent-ils être de retour! Mais c'est qu'il est téméraire, mon mari, et il fonce n'importe où, brandissant l'épée. Mon esprit défaille et je meurs, chaque fois que surgit en moi son image de combattant, et un froid glacial gagne mon coeur". 755 Elle termina en pleurant et laissa les fils qu'elle avait tendus et tint son visage incliné sur sa poitrine. Cette pose même l'avantageait: les larmes rehaussaient sa pudeur, ses traits étaient dignes et reflétaient son âme. "Oublie ta peur, viens!", dit son époux. Elle se remit à vivre [2,760] et se suspendit, délicieux fardeau, au cou du héros. Pendant ce temps, le jeune fils du roi ressent une folle passion; il est comme fou, en proie à un désir aveugle. Il s'éprend de la beauté de Lucrèce, de son teint de neige, de ses blonds cheveux, et de son élégance sans artifice; 765 il aime ses paroles et sa voix, et sa fermeté inébranlable; et moins grand est son espoir, plus grand est son désir. Déjà le coq, premier messager de la lumière, avait chanté quand les jeunes gens rentrent au camp. L'image de l'absente hante les sens du prince. [2,770] Pensant à elle, il la trouve de plus en plus aimable: 'c'est ainsi qu'elle était assise et vêtue; elle filait ainsi sa quenouille, ses cheveux rejetés reposaient ainsi sur sa nuque; c'était sa physionomie; voilà ce qu'elle a dit; quel teint! quelle allure! quel visage magnifique! 775 D'habitude les flots retombent après une forte tempête, mais les eaux restent gonflées sous l'effet du vent apaisé; ainsi, même si la beauté aimée était absente, l'amour né de cette présence perdurait. Il brûle, agité par les aiguillons d'une passion illicite. [2,780] "L'issue est incertaine: tentons le tout pour le tout", dit-il. Il est prêt à violenter et à intimider une épouse qui ne méritait pas ce sort. "On verra! La chance et les dieux favorisent les audacieux. C'est l'audace aussi qui nous a fait prendre Gabies". Cela dit, il ceignit son épée et sauta sur son cheval. 785 Le jeune homme arrive à la porte de bronze de Collatie, à l'heure où le soleil déjà se préparait à se voiler la face. Pris pour un hôte, l'ennemi pénètre dans la demeure de Collatin; on l'accueille amicalement: il leur était lié par le sang. Que d'erreurs font les esprits humains! Inconsciente de la situation, [2,790] la malheureuse Lucrèce fait préparer un repas pour son ennemi. Le repas était terminé, l'heure invitait au sommeil, il faisait nuit et dans toute la maison il n'y avait aucune lumière. Sextus se lève, tire son épée de son fourreau doré et se dirige vers ta chambre, épouse pleine de pudeur. 795 Dès qu'il atteignit le lit, le fils du roi dit: "Lucrèce, c'est moi, Tarquin, je suis armé". Elle reste sans réaction; en effet, elle n'a plus ni voix ni force pour parler, ni pensée aucune en sa tête; mais elle tremble, comme une agnelle qu'un loup cruel [2,800] a surprise et terrassée hors de la bergerie. Que faire? Combattre? Une femme qui se bat est vaincue d'avance. Crier? Mais en main il avait une épée qui l'empêcherait de crier. S'échapper ? Des mains posées sur sa poitrine la pressent, sa poitrine, que touchait alors pour la première fois une main étrangère. 805 L'amant ennemi l'accable de prières, de promesses, de menaces. Ni ses prières, ni ses promesses ni ses menaces ne l'ébranlent. "Tu ne peux rien faire", dit-il, "je t'enlèverai la vie, en t'incriminant; adultère, je me dirai le faux témoin d'un adultère: je tuerai un serviteur avec qui on dira que tu as été surprise". [2,810] La jeune femme succomba, vaincue par la crainte du déshonneur. Vainqueur, pourquoi te réjouis-tu? Cette victoire te perdra. Hélas quel prix une seule nuit a coûté à ton trône! Déjà le jour s'était levé: Lucrèce est assise, cheveux défaits, telle une mère qui se prépare à rejoindre le bûcher de son enfant. 815 Elle fait revenir du camp son vieux père et son fidèle époux: tous deux arrivent, toute affaire cessante. Dès qu'ils voient sa tenue, ils s'enquièrent: pourquoi ce deuil, pour qui prépare-t-on des funérailles, et quel malheur a frappé? Longtemps silencieuse, elle cache pudiquement son visage dans son vêtement: [2,820] ses larmes coulent intarissables, comme jaillissant d'une source. D'un côté, son père, de l'autre, son mari la consolent et sèchent ses larmes; en pleurs, en proie à une crainte imprécise, ils la pressent de parler. Trois fois elle tenta d'ouvrir la bouche, trois fois elle renonça, puis une quatrième fois osa se lancer, mais sans lever les yeux. 825 "Devrai-je aussi à Tarquin cette humiliation? Vais-je parler?", dit-elle, vais-je parler moi-même de mon déshonneur, malheureuse que je suis?" Elle raconte ce qu'elle peut; restaient les moments ultimes; la jeune matrone fondit en larmes et ses joues s'empourprèrent. Le père et le mari pardonnent le fait, accompli sous la contrainte. [2,830] "Ce pardon que vous m'accordez, moi je le refuse", dit-elle. Et aussitôt elle se planta dans le coeur une arme qu'elle cachait, et tomba, couverte de sang, aux pieds de son père. Alors, même mourante, elle veilla à tomber avec décence: elle avait encore ce souci en tombant. 835 Alors son époux et son père s'affalèrent sur son cadavre, déplorant leur commun malheur, oubliant toute dignité. Brutus se présente, et fait enfin mentir son nom en montrant son esprit; il enlève le trait enfoncé dans le corps à demi-mort, et brandissant le poignard d'où tombaient des gouttes d'un noble sang, [2,840] il énonça d'une voix menaçante ces paroles intrépides: "Par ce sang courageux et pur, et par tes Mânes qui pour moi incarneront la volonté divine, moi, je te jure que Tarquin avec sa descendance sera puni par l'exil. Depuis assez longtemps déjà, la valeur est restée cachée". 845 À ces paroles, Lucrèce, gisante, ouvrit ses yeux éteints et sembla approuver en agitant sa chevelure. Cette matrone à l'âme virile est emportée en cortège funèbre, et entraîne derrière elle larmes et rancoeur. Sa blessure nue est béante: à grands cris, Brutus ameute [2,850] les Quirites et leur fait part de la conduite abominable du roi. Tarquin fuit avec sa famille: le consul prend le pouvoir pour un an. Ce jour-là fut le dernier de la monarchie. Me trompé-je? Ou l'hirondelle, première messagère du printemps, est-elle arrivée, tout en redoutant quelque retour de l'hiver? 855 Souvent pourtant, Procné, tu déploreras de t'être trop hâtée et Térée ton époux se réjouira de te voir souffrir du froid. Restent encore deux nuits dans le second mois, tandis que Mars presse ses rapides coursiers, attelés aux chars: le nom Equirria donné à ces courses à partir des faits subsiste encore, [2,860] le dieu lui-même les regarde dans le Champ qui porte son nom. Tu arrives à juste titre, Gradivus: tes fêtes exigent leur place, voici que se présente le mois marqué par ton nom. Nous sommes arrivés au port, et ce livre s'achève comme le mois; que d'ici ma barque désormais vogue sur d'autres eaux. [3,0] Ovide, Fastes, livre III. Mars guerrier, pose un instant ton bouclier et ta lance, seconde-moi, et libère de ton casque tes brillants cheveux. Peut-être demandes-tu ce qui lie Mars à un poète: c'est que le mois qu'il chante tient son nom de toi. 5 Tu connais bien les guerres féroces mises en oeuvre par Minerve: en est-elle pour autant moins libre pour s'adonner aux arts libéraux? À l'exemple de Pallas, prends le temps de poser ton trait: même désarmé, tu trouveras des champs où t'activer. Tu étais désarmé aussi lorsque, séduit par la prêtresse romaine, [3,10] tu donnas ainsi à notre ville ta noble semence. La vestale Silvia (pourquoi en effet ne pas partir de là?) était allée, un matin, chercher de l'eau pour laver les vases sacrés. Un sentier en pente douce l'avait amenée à la rive escarpée: elle posa à terre l'urne d'argile qu'elle portait sur la tête; 15 fatiguée, elle s'assit par terre, offrant au souffle des brises son sein découvert, et recoiffa ses cheveux désordonnés. Assise à l'ombre des roseaux, elle s'assoupit, bercée par les chants des oiseaux et le léger murmure de l'eau. Un doux sommeil furtivement glisse sur ses yeux vaincus [3,20] et de dessous son menton, sa main mollement retombe. Mars la voit; sitôt vue, il la désire; sitôt désirée, il la prend, et son pouvoir divin lui permet de dissimuler sa ruse. Le sommeil quitte Silvia, qui reste étendue, gravide; c'est sûr, dans ses entrailles vit déjà le fondateur de la ville de Rome. 25 Alanguie elle se relève, ignorant le pourquoi de sa langueur, et, appuyée contre un arbre, elle formule ces paroles: "Puisse la vision de mon sommeil m'être utile et propice: cette vision n'était-elle pas plus claire qu'un songe? Je me tenais près des feux d'Ilion quand, glissant de mes cheveux, [3,30] ma bandelette de laine tomba devant le foyer sacré. D'elle, en même temps, deux palmiers surgissent, admirable prodige: l'un des deux était plus grand, ses lourdes branches couvraient tout l'univers, et le sommet de sa cime atteignait les étoiles. 35 Voici mon oncle paternel, qui dirige contre eux son fer: à ce souvenir, je suis atterrée et mon coeur s'agite de frayeur. Un pivert, oiseau de Mars, et une louve se battent pour défendre les deux palmiers, qui leur durent le salut". Ilia avait parlé, et de ses forces peu assurées souleva l'urne pesante [3,40] qu'elle avait emplie tout en racontant son rêve. Entre-temps, Rémus grandissait, Quirinus grandissait, et le ventre d'Ilia se gonflait du poids céleste. Avant que l'année disparaisse, sa révolution accomplie, le dieu de la lumière n'avait plus que deux signes à parcourir. 45 Silvia devint mère; on raconte que la statue de Vesta posa sur ses yeux ses mains virginales. L'autel de la déesse trembla, quand la prêtresse accoucha, et la flamme terrifiée se glissa sous les cendres. À cette nouvelle, Amulius, qui méprisait la justice, [3,50] (en effet, il occupait le trône qu'il avait ravi à son frère), fit noyer les jumeaux dans le fleuve, crime que l'onde refusa: les enfants sont déposés à terre, en un endroit sec. Qui ignore que les enfants exposés furent nourris au lait de bête sauvage et qu'un pivert souvent leur apporta de quoi manger? 55 Non, Larentia, nourrice d'une si grande lignée, je ne tairai pas ton nom, ni non plus l'assistance que vous avez prodiguée, pauvre Faustulus: Honneur vous sera rendu, lorsque je dirai les Larentalia: elles ont lieu en décembre, mois apprécié des Génies. La progéniture de Mars avait grandi durant dix-huit ans, [3,60] et une jeune barbe déjà s'ajoutait à leur blonde chevelure: À tous les laboureurs et aux maîtres des troupeaux, les frères nés d'Ilia rendaient la justice qu'on leur réclamait. Souvent ils rentraient au logis heureux d'avoir mis à mal des voleurs, et ramenaient dans leurs pâtures les bêtes qu'on leur avait dérobées. 65 Leur naissance connue, découvrir l'identité de leur père accrut leur vaillance, et voir leur renom limité à quelques cabanes leur fit honte; alors, Amulius tombe, transpercé par l'épée de Romulus, l'aïeul chargé d'ans voit son trône lui revenir; on fonde des remparts, peu élevés sans doute, [3,70] Rémus pourtant n'eut pas à se louer de les avoir franchis. Ce qui naguère servait seulement de bois et de refuges aux troupeaux était désormais une cité, quand le fondateur de la Ville éternelle dit: "Maître des armées, du sang de qui on me croit issu, (et je donnerai des preuves de ce fait, pour l'accréditer), 75 nous décidons que l'année romaine part de toi: le premier mois portera le nom de mon père". Sa parole ratifiée, il donne au mois le nom de son père: cette marque de piété, dit-on, fut agréable au dieu. Et pourtant nos ancêtres déjà vénéraient Mars plus que tout autre dieu: [3,80] la foule belliqueuse suivait en cela son ardeur naturelle. Les Cécropides honorent Pallas et la Crète de Minos, Diane, la terre d'Hypsipyle rend un culte à Vulcain, Sparte et Mycènes, ville des fils de Pélops, vénèrent Junon, et la région du Ménale, Faunus à la tête couronnée de pins. 85 Le Latium devait vénérer Mars, puisqu'il préside aux armes: armes qui assuraient richesse et gloire à ce peuple farouche. Et si tu en as le temps, examine les calendriers étrangers: là aussi tu trouveras un mois dénommé Mars. C'est le troisième pour les Albains, le cinquième pour les Falisques, [3,90] le sixième pour ta population, terre des Herniques; le calendrier des Albains est adopté par les habitants d'Aricie, et par ceux de la cité aux remparts qu'éleva la main de Télégone; c'est le cinquième mois chez les Laurentes, le dixième chez les âpres Équicoles, le quatrième chez les habitants de Cures; 95 et toi aussi, soldat péligne, tu t'accordes avec tes ancêtres sabins; chez l'un et l'autre de ces peuples, le dieu occupe le quatrième rang. Romulus, pour l'emporter sur eux, du moins par le classement, attribua le premier rang à l'auteur de sa lignée. En outre, les anciens n'avaient pas autant de Calendes que nous: [3,100] leur année était plus courte de deux mois. La Grèce n'avait pas encore transmis à ses vainqueurs les arts des vaincus, ce peuple éloquent mais peu courageux. L'art pour les Romains, c'était d'être habile au combat; savoir lancer des javelots conférait l'éloquence. 105 Quel homme, à l'époque, avait remarqué l'existence des Hyades ou des Pléiades, filles d'Atlas, ou des deux pôles sous la voûte céleste? Qui connaissait les deux Ourses: Cynosaure, repère pour les Sidoniens, et Hélicè servant de guide aux carènes de Grèce? Qui savait que Phébus parcourt en une longue année les signes [3,110] que les chevaux de sa soeur traversent en un seul mois? Les astres couraient librement, au long de l'année, sans être observés; mais cependant on s'accordait à dire qu'ils étaient des dieux. Les gens d'alors ne détenaient pas la clé des signes glissant dans le ciel, mais pour eux c'était un crime de perdre ses enseignes. 115 Ces enseignes étaient faites de foin, mais on accordait au foin tout le respect que tu vois attribué aujourd'hui à tes aigles. Une longue perche portait ces bottes (maniplos) pendues à son sommet; de là, le nom de maniplaris donné au soldat. Donc ces esprits, ignorants et encore privés de l'art du calcul, [3,120] connurent des lustres plus courts de dix mois. Une fois accompli le dixième cycle de la lune, l'année était finie. Ce chiffre était fort en honneur à cette époque; est-ce à cause de notre habitude de compter sur dix doigts, ou parce que la femme s'accouche au dixième mois, 125 ou parce que la suite croissante des chiffres arrive à dix, avant de recommencer ensuite une nouvelle série. De là le classement en groupes de dix des cent sénateurs, décidé par Romulus, qui institua aussi dix corps de hastati, autant de corps de principes, et autant de pilani; [3,130] et autant de cavaliers disposant régulièrement d'un cheval. En outre, il attribua les mêmes divisions aux Titienses, de même qu'à ceux qu'on appelle Ramnes et Luceres. Il maintint donc pour l'année ce chiffre très répandu; c'est la durée pendant laquelle une épouse pleure son époux. 135 On ne doit pas douter qu'autrefois les Calendes de Mars furent les premières: tu peux te référer aux indices suivants. Le laurier, resté dressé chez les Flamines toute l'année, est alors enlevé, et remplacé à la place d'honneur par un feuillage nouveau; on place alors devant le porche du roi l'arbre verdoyant de Phébus; [3,140] le même acte se reproduit devant tes portes, vieille Curie. Pour que Vesta aussi resplendisse, parée de feuillage nouveau, le laurier flétri, écarté du foyer iliaque, cède la place. Ajoute qu'on allume, dit-on, dans le secret du temple un feu nouveau et que la flamme ravivée reprend force. 145 Et une preuve importante à mes yeux que jadis l'année débutait en mars, c'est qu'on commença en ce mois à rendre un culte à Anna Perenna. En mars aussi, nous dit-on, entraient en charge les anciens magistrats, jusqu'au temps de ta guerre, perfide Carthaginois. Enfin, c'est à partir de mars que Quintilis était le cinquième mois, [3,150] et de mars partent ceux qui tirent leur nom du rang qu'ils occupent. Amené à Rome depuis ses champs d'oliviers, Pompilius fut le premier à remarquer qu'il manquait deux mois; soit le sage de Samos, qui pense que nous pouvons renaître, l'en avait instruit, soit son Égérie l'en avait averti. 155 Mais, le calendrier restait encore peu fixé, jusqu'au jour où César, parmi tous ses soucis, prit ce problème à coeur. Ce dieu, fondateur d'une lignée si prestigieuse, ne considéra pas cette charge comme mineure; il voulut connaître avant le temps le ciel qui lui était promis, [3,160] et, devenu dieu, ne pas entrer en étranger dans une demeure inconnue. C'est lui, rapporte-t-on, qui détermina avec des notations précises les délais mis par le soleil pour parcourir les signes du zodiaque; c'est lui qui ajouta à trois cent cinq jours dix fois six jours, plus le cinquième d'un jour entier. 165 Telle est la mesure de l'année: il faut ajouter à chaque lustre un jour entier, constitué de ces parties de jour. "Si les poètes peuvent entendre les avis secrets des dieux, comme sans nul doute le pense la tradition, Gradivus, toi qui es attaché aux travaux virils, [3,170] dis-moi pourquoi les matrones célèbrent ta fête". Telles furent mes paroles. Alors Mavors posa son casque, et tenant un javelot dans sa main droite, il me dit: "Pour la première fois, moi, le dieu qui manie les armes, je suis appelé à oeuvrer à la paix, et je pénètre dans un camp nouveau. 175 Et cette entreprise ne me pèse pas: il me plaît même de m'y attarder, pour que Minerve ne se figure pas être seule compétente en la matière. Laborieux poète du calendrier latin, apprends ce que tu cherches, grave mes paroles en ton coeur, et souviens-t-en. Si tu veux te reporter à ses débuts, Rome était petite, [3,180] mais sa petitesse pourtant laissait présager la Rome actuelle. Déjà ses remparts se dressaient, étroits eu égard à la population à venir, mais jugés trop grands à l'époque pour la foule de ses occupants. Si tu veux savoir ce qu'était le palais de notre fils, regarde cette cabane de roseaux et de chaume. 185 Il récoltait sur de la paille les bienfaits d'un sommeil paisible, c'est de cette couche pourtant qu'il monta jusqu'aux astres. Déjà les Romains avaient plus de renom que de territoire, et ils n'avaient ni épouses ni beaux-pères. Leurs riches voisins méprisaient des gendres démunis, [3,190] et il n'était guère facile de voir en moi l'auteur de ce sang. On les blâmait d'avoir habité des étables et gardé des moutons, et de ne posséder que quelques arpents de terre inculte. Les oiseaux et les bêtes sauvages s'accouplent, chacun avec son pareil, même le serpent possède aussi un être avec qui procréer. 195 Des mariages sont accordés aux pires nations: mais pas une femme ne consentait à épouser un Romain. J'en fus peiné, et je t'insufflai, Romulus, l'esprit paternel. J'ai dit: "Renonce aux prières; les armes te donneront ce que tu cherches". Romulus prépara des fêtes en l'honneur de Consus. Consus te dira [3,200] les autres événements du jour, quand tu chanteras sa fête sacrée. Les habitants de Cures et leurs compagnons d'infortune s'indignèrent. Ce fut alors la première fois qu'un beau-père s'arma contre un gendre. Déjà presque toutes les filles enlevées portaient le titre de mère, les guerres entre voisins se prolongeaient depuis longtemps. 205 Les épouses se fixèrent rendez-vous dans le temple de Junon, et parmi elles, ma bru osa prendre la parole en ces termes: "Ô vous, qui comme moi avez été enlevées, puisque nous partageons ce sort, nous ne pouvons rester pieuses, en persistant dans l'indifférence. Les deux armées s'affrontent: pour laquelle prier les dieux? [3,210] Choisissez: ici c'est un époux qui tient les armes, là, c'est un père. Demandez-vous si vous préférez être veuves ou orphelines. Je vais vous proposer un plan aussi courageux que pieux". Hersilie avait dévoilé son projet: les brus obéissent, dénouent leurs cheveux, et en signe d'affliction, couvrent leurs corps d'un vêtement de deuil. 215 Déjà les armées avaient pris position, prêtes à lutter et à mourir, déjà la trompette allait donner le signal du combat, quand les femmes enlevées s'avancent entre leurs pères et leurs époux, tenant sur leur coeur leurs nouveau-nés, ces gages de tendresse. Lorsque, cheveux défaits, elles atteignent le centre du champ de bataille, [3,220] elles se prosternent, un genou posé à terre; et comme s'ils comprenaient, les petits-fils, babillant tendrement, tendaient leurs petits bras vers leurs grands-pères. Celui qui en était capable appelait son aïeul qu'il voyait enfin, et celui qui y arrivait à peine, on le poussait à le faire. 225 Les armes et l'ardeur des combattants tombent, on relègue les épées, les beaux-pères échangent des poignées de main avec leurs gendres, complimentent et embrassent leurs filles; un aïeul porte son petit-fils sur son bouclier : c'était là un usage bien paisible pour un bouclier. Dès lors, en ce premier jour de mon mois, les mères oebaliennes [3,230] considèrent comme un devoir fort important de célébrer les Calendes. Est-ce parce que, ayant osé s'engager au milieu des épées brandies, elles avaient, par leurs larmes, mis un terme aux combats de Mars, ou parce que, grâce à moi, Ilia avait eu le bonheur de devenir mère, que les matrones célèbrent rituellement mon culte ce jour-là? 235 Est-il besoin de dire qu'alors l'hiver avec son manteau de gel se retire enfin, et que les neiges glissent et fondent à la douce chaleur du soleil? Sur les arbres reviennent les frondaisons ravagées par le froid, et sur le tendre sarment gonfle un bourgeon plein de sève; chaque graine, longtemps cachée, se dresse maintenant dans l'air, [3,240] pousse fertile qui a trouvé son chemin secret. C'est l'heure où le champ est fécond, l'heure de recréer un troupeau, l'heure où l'oiseau sur une branche se construit un nid et un foyer. Les mères du Latium ont raison de vénérer ces temps féconds: leurs voeux et leur combat ne sont-ils pas de procréer? 245 Ajoute que, sur la colline où le roi de Rome montait la garde, et qui aujourd'hui porte le nom d'Esquilies, à cet endroit, mes brus latines élevèrent un temple à Junon, consacré officiellement ce jour-là, si j'ai bon souvenir. Pourquoi m'attarder et te surcharger l'esprit de causes diverses? [3,250] Voici, bien évident sous tes yeux, ce que tu demandes. Ma mère aime les jeunes épousées: les mères en foule me célèbrent. Voilà la raison qui, pour sa grande piété, nous agrée particulièrement." Apportez des fleurs à la déesse: elle se complaît dans les plantes écloses, cette déesse; ceignez-vous la tête de fleurs délicates. 255 Dites-lui: "C'est toi, Lucina, qui nous as donné la lumière"; dites-lui: "C'est à toi d'exaucer le voeu de la femme en couches!" Cependant, si une femme est enceinte, qu'elle dénoue ses cheveux et prie la déesse de la délivrer en douceur de ses couches. Qui maintenant me dira pourquoi les Saliens portent les armes de Mars [3,260] tombées du ciel et pourquoi ils chantent Mamurius? Instruis-moi, nymphe préposée au bois et au lac de Diane; nymphe, épouse de Numa, viens expliquer ce que tu fais. Dans la vallée d'Aricie, se trouve un lac, entouré d'une forêt touffue, et consacré par un culte ancien. 265 Hippolyte s'y cache, mis en pièces par les brides de ses chevaux; c'est pourquoi nul cheval ne pénètre dans ce bois. Des fils pendent comme des voiles le long des haies, où sont posés de nombreux ex-voto à la déesse bienfaisante. Souvent, forte d'un voeu exaucé, le front ceint d'une couronne, [3,270] une femme y apporte de la Ville des flambeaux allumés. La royauté revient aux mains vigoureuses et aux pieds agiles, et puis le roi, à son tour, périt selon l'exemple qu'il a donné. Un ruisseau au murmure léger descend sur un lit caillouteux: souvent j'y ai bu, mais à petites gorgées. 275 C'est Égérie, déesse aimée des Camènes, qui produit ces eaux: elle fut de Numa l'épouse et la conseillère. D'abord, on décida d'adoucir les Quirites trop prompts à la guerre par l'institution du droit et par la crainte des dieux. Dès lors on établit des lois, évitant l'octroi de tout le pouvoir au plus fort [3,280] et l'on commença à respecter fidèlement les rites sacrés des ancêtres. Toute sauvagerie est bannie; le droit est plus fort que les armes, et l'on juge honteux d'en venir aux mains avec un concitoyen; à la vue d'un autel, tel, naguère farouche, se transforme désormais, et fait des libations de vin et d'épeautre salé sur les cendres tiédies du foyer. 285 Voici que le père des dieux répand à travers les nuages d'ardentes flammes, et à force de déverser des eaux, il met l'éther à sec. Jamais feux envoyés du ciel ne tombèrent plus serrés, Le roi est épouvanté et la terreur envahit tous les coeurs. La déesse lui dit: "Ne sois pas si effrayé: la foudre se conjure, [3,290] et le courroux furieux de Jupiter se fléchit. Mais ce sont Picus et Faunus qui pourront te transmettre le rite de conjuration, tous deux étant divinités du sol romain. D'ailleurs, ils ne le feront pas sans contrainte: saisis-les et lie-les". Et elle révéla par quel artifice il pourrait les capturer. 295 Au pied de l'Aventin un bois de chênes dispensait son ombre obscure; rien qu'à le voir, on pouvait dire: "un dieu y habite". Au centre, il y avait de l'herbe et, sous un vert manteau de mousse, le filet d'une eau intarissable sourdait d'un rocher. À cet endroit, Faunus et Picus étaient presque seuls à se désaltérer. [3,300] Le roi Numa s'y rend et immole une brebis à la Source, puis y dispose des coupes pleines d'un vin parfumé; avec ses compagnons, il se cache au fond d'une caverne. Les divinités sylvestres s'approchent de leur source familière et à larges traits de vin apaisent leurs gosiers assoiffés. 305 Après le vin, vient le sommeil: Numa sort de la fraîche caverne et enchaîne dans des liens serrés les mains des dieux endormis. Dès leur réveil, ceux-ci se débattent, tentant de rompre les liens qui, pendant la lutte, se resserrent plus fortement. Alors Numa: "Dieux des forêts, pardonnez-moi cet acte, [3,310] vous qui savez mon esprit exempt d'intention criminelle; et montrez-moi de quelle façon on peut conjurer la foudre." Ainsi parla Numa; Faunus, secouant ses cornes, dit ainsi: "Tu exiges une grande chose, qu'il nous est interdit de te révéler et de t'enseigner: nos pouvoirs divins ont leurs limites. 315 Nous sommes des dieux rustiques, ayant pour domaine les sommets des monts; c'est Jupiter qui décide dans son palais. Seul, tu ne pourras le faire descendre du ciel, mais tu pourras peut-être y arriver avec notre aide." Telle fut la réponse de Faunus; Picus émit le même avis. [3,320] "Enlève-nous ces liens", dit cependant Picus, "Jupiter viendra ici, notre talent pourra l'y amener; Le sombre Styx sera le garant de ma promesse." Tout ce qu'ils font, une fois libérés de leurs liens, leurs incantations, leurs artifices pour attirer Jupiter de son séjour céleste, 325 cela ne peut être connu des hommes. Je chanterai ce qui est permis, et ce que peut légitimement émettre la bouche d'un poète pieux. Ils t'attirent (eliciunt) du ciel, Jupiter; c'est pourquoi maintenant encore la postérité te célèbre, t'invoquant sous le nom d'Elicius. On sait que les cimes de la forêt de l'Aventin ont tremblé, [3,330] et que la terre s'est affaissée sous le poids de Jupiter: le coeur de Numa tressaille, de tout son corps le sang se retire, et ses cheveux hérissés se raidissent. Revenu à lui, il dit: "Fais-moi connaître les sacrifices sûrs qui conjurent la foudre, ô roi et père des dieux d'en haut, 335 si ces mains qui ont touché tes tables d'offrande sont pures, si la langue qui fait cette demande est pieuse elle aussi". Le dieu approuva sa prière mais il dissimula la vérité par d'énigmatiques détours et des paroles ambiguës. "Coupe une tête", dit-il; Numa lui répondit: "J'obéirai; [3,340] je ferai couper un oignon arraché dans mon jardin". Le dieu précisa: "la tête d'un homme"; "tu prendras ses cheveux", dit le roi. Le dieu exige une vie; "celle d'un poisson", dit Numa. Le dieu rit et dit: "Sers-toi de ces moyens pour détourner mes traits, ô mortel qui ne crains pas de converser avec les dieux. 345 Mais, demain, lorsque le dieu du Cynthe aura présenté son disque entier, je te donnerai un gage sûr de souveraineté." Sur ces paroles, laissant Numa confondu d'adoration, il est emporté au-delà de l'éther ébranlé, dans un vacarme tonitruant. Numa revient très heureux, et rapporte l'événement aux Quirites: [3,350] ils furent lents et réticents à attacher foi à ses paroles. "Mais vous me croirez certainement", dit-il, "si mes paroles se vérifient: vous tous ici présents, écoutez, voici ce qui se passera demain. Lorsque le dieu du Cynthe aura présenté à la terre son disque entier, Jupiter nous donnera un gage sûr de souveraineté." 355 Ils s'en vont, perplexes; les promesses semblent lointaines et leur confiance dépend de ce qu'apportera le lendemain. La terre mollissait, tout humide de la rosée du matin: le peuple est là, devant le seuil du roi. Celui-ci s'avance et s'assied au centre sur un trône d'érable; [3,360] des hommes en foule l'entourent, debout et silencieux. Phébus s'était levé, n'ayant découvert que le haut de son disque: les esprits, pleins d'effroi, s'agitaient entre espoir et crainte. Le roi se dressa, et la tête couverte d'un voile blanc comme neige, leva les mains, déjà bien familières aux dieux, 365 et dit ainsi: "Voici le moment de la récompense annoncée; Jupiter, permets-nous de croire en tes promesses." Pendant qu'il parlait, le soleil déjà avait entièrement sorti son disque. Un craquement intense retentit, provenant de la voûte céleste. Le dieu tonna trois fois dans un ciel sans nuage et envoya trois éclairs. [3,370] Croyez en mes paroles: j'évoque des faits étonnants, mais vrais. Le ciel commença à se fendre en son milieu. Tous, la foule et son roi, levèrent ensemble les yeux. Voici que tombe un bouclier doucement porté dans l'air léger: du peuple une clameur monte vers le ciel. 375 Le roi soulève de terre le présent, après avoir sacrifié une génisse dont le cou jamais encore n'avait senti le poids du joug et il appelle ce bouclier ancile, parce que il est arrondi de tous côtés, et n'a pas un seul angle (angulus), où qu'on y porte les yeux. Alors, se souvenant que le sort de la souveraineté tenait à cet objet, [3,380] Numa prit une décision d'une extrême habileté: il ordonna de faire ciseler plusieurs boucliers de la même forme, pour induire en erreur celui qui y porterait les yeux pour s'en saisir. Mamurius, - il est difficile de dire s'il fut choisi pour ses moeurs ou ses talents d'artiste - réalisa cet ouvrage. 385 Numa généreusement lui dit: "Demande un prix pour ton travail; connaissant ma bonne foi, ta demande ne sera pas vaine". Déjà, il avait donné aux Saliens leur nom basé sur leur saut (saltus), leurs armes et un hymne à chanter sur des modes déterminés; alors Mamurius dit ainsi: "Que la gloire soit ma récompense, [3,390] et que mon nom résonne à la fin de leur hymne." Depuis lors, les prêtres s'acquittent du prix promis à cet antique ouvrage et ils invoquent Mamurius. Jeune fille, si tu veux convoler, si pressés que vous soyez tous deux, diffère ton projet; de petits délais comportent de grands avantages. 395 Les armes suscitent les combats; les combats éloignent les maris; une fois les armes remisées, les présages seront meilleurs. Ces jours-là aussi, ceinte de son voile, l'épouse du flamen Dialis coiffé de son bonnet pointu, doit porter ses cheveux sans y passer le peigne. Dès que la troisième nuit du mois aura allumé ses feux, [3,400] l'un des poissons jumeaux se sera caché. Ils sont deux, en effet: l'un est plus proche des vents du sud, l'autre des Aquilons; tous deux tiennent leur nom d'un vent. Lorsque l'épouse de Tithon aux joues safranées répandra sa rosée, ramenant le temps de la cinquième aurore, 405 le Gardien de l'Ourse ou, si tu veux, ce paresseux Bouvier, sera englouti et disparaîtra à ta vue. Mais le Vendangeur n'échappera pas à tes regards; une courte digression démontre l'origine de cet astre. Ampelos aux longs cheveux naquit d'un satyre et d'une nymphe; [3,410] on dit que Bacchus l'aima sur les sommets de l'Ismarus. L'enfant lui offrit la vigne qui pendait au feuillage d'un ormeau, et qui maintenant tient son nom de lui. En cueillant sur une branche des raisins colorés, il fut distrait et tomba: Liber emporta parmi les astres l'ami qu'il avait perdu. 415 Lorsque pour la sixième fois Phébus quitte l'Océan pour gravir l'Olympe escarpé et conquérir l'éther avec ses chevaux ailés, qui que tu sois, présente-toi et, dans son sanctuaire, honore la chaste Vesta, rends-lui hommage et dépose de l'encens sur les foyers d'Ilion. Aux nombreux titres que ce César a préféré devoir à son mérite, [3,420] s'est ajoutée la dignité du pontificat. La puissance éternelle de César préside aux feux éternels: se trouvent ainsi réunis les gages de notre souveraineté. Dieux de l'antique Troie, butin très digne d'Énée, leur porteur, que son fardeau protégea contre ses ennemis, 425 un descendant d'Énée sert les divinités de sa parenté: protège, ô Vesta, cette tête qui est de ton sang. Flammes attisées par la main sacrée de César, vous êtes bien vivantes; je prie pour que, flammes et maître, vous viviez sans vous éteindre. Une seule note concerne les Nones de mars: ce jour-là vit, pense-t-on, [3,430] la consécration d'un temple de Véiovis entre les deux bois sacrés. Dès qu'il eut entouré le bois d'un haut mur de pierre, Romulus dit: "Qui que tu sois, réfugie-toi ici; tu seras en lieu sûr". Quel accroissement a connu le peuple Romain, depuis son humble origine! Combien peu enviable apparaissait ce peuple aux temps anciens! 435 De peur que ton ignorance ne se heurte à ce nom inattendu, apprends qui est ce dieu, ou pourquoi on l'appelle ainsi. C'est Jupiter jeune homme: regarde son visage juvénile; ensuite, regarde sa main: elle ne tient pas de foudre. Ce n'est qu'après l'audacieuse tentative des Géants contre le ciel [3,440] que Jupiter prit la foudre: au commencement, il était sans armes; Les feux nouveaux de sa foudre embrasèrent l'Ossa et le Pélion, plus élevé que l'Ossa, et l'Olympe fut fixé sur un sol ferme. Près du dieu se dresse aussi une chèvre: on dit que les nymphes crétoises ont nourri cette chèvre, qui donna son lait à Jupiter enfant. 445 Maintenant, venons-en au nom: les paysans nomment uegrandia les blés mal venus, et uesca, les blés restés petits; si telle est la valeur de ce préfixe, pourquoi ne supposerais-je pas que le temple de Veiouis est le temple de Jupiter enfant? Désormais, dès que les astres nuanceront le bleu sombre du ciel, [3,450] lève les yeux: tu verras le col du cheval né de la Gorgone. On croit qu'il a surgi du cou tranché de Méduse gravide, bondissant, la crinière tout ensanglantée. Il glissait sous les étoiles, par dessus les nuages; pour lui le ciel était le sol, et ses ailes des pieds. 455 Et déjà sa bouche rebelle avait accepté le mors, nouveau pour lui, lorsque son sabot léger fit jaillir une source en Aonie. Maintenant il jouit du ciel que jadis il cherchait à atteindre au galop de ses ailes, et il brille et scintille de ses quinze étoiles. Bientôt, à la nuit tombante, tu verras la Couronne de la fille de Gnosse: [3,460] elle devint déesse grâce au crime de Thésée. Déjà Ariane, qui avait donné à un ingrat le fil qui devait le guider, se trouvait bien d'avoir remplacé par Bacchus un époux parjure. Heureuse du tour pris par son union, elle se dit: "Pauvre sotte, pourquoi pleurais-tu? Sa perfidie m'a bien servie". 465 Cependant Liber, vainqueur des Indiens aux cheveux nattés, revenait chargé de richesses du monde de l'Orient. Parmi de jeunes captives remarquables de beauté, une fille de roi ne paraissait que trop charmante à Bacchus. Son épouse aimante pleurait et, errant, les cheveux défaits, [3,470] le long du rivage sinueux, elle prononça ces paroles: "Ô flots, entendez mes plaintes, semblables aux précédentes! Ô sable du rivage, reçois à nouveau mes larmes! Je disais, je m'en souviens:'Parjure et perfide Thésée!' Il s'en est allé, mais Bacchus est aussi criminel que lui. 475 Maintenant je crie: 'Que jamais une femme ne croie un homme'; ma situation se répète, sous un autre nom. Ah! Pourquoi mon premier destin ne s'est-il pas accompli! Aujourd'hui, je n'existerais plus! Liber, pourquoi m'as-tu sauvée mourante sur une plage déserte? [3,480] J'ai pu, une fois, guérir de ma douleur. Inconstant Bacchus, plus léger que les feuilles ceignant tes tempes, Bacchus que je n'ai connu que pour verser des larmes, tu as osé, en amenant sous mes yeux une maîtresse, plonger dans les tourments notre union si harmonieuse? 485 Hélas! Où est la foi engagée? Où sont tes serments répétés? Malheureuse! que de fois vais-je prononcer ces paroles? Tu incriminais Thésée et le traitais toi-même d'imposteur: ton jugement rend ta faute plus vile encore. Que personne ne le sache, que la douleur me consume en secret! [3,490] Qu'on ne juge pas que j'ai mérité tant de trahisons! Je voudrais surtout que cela reste ignoré de Thésée, qu'il n'ait pas la joie de te voir complice de sa faute. Sans doute as-tu préféré un teint éclatant à la basanée que je suis: c'est ce teint de là-bas que je souhaite à mes ennemies! 495 Mais qu'importe? Ce défaut même la rend plus gracieuse à tes yeux. Que fais-tu? Cette femme te salit quand tu l'embrasses. Bacchus, montre-toi fidèle, et, dans tes amours, ne préfère aucune femme à ton épouse. J'ai toujours eu pour habitude d'aimer mon mari. Ma mère se laissa séduire par les cornes d'un beau taureau; [3,500] et moi, par les tiennes; mais mon amour était louable, le sien infamant. Il ne faut pas que mon amour me nuise; toi non plus, Bacchus, tu n'as pas eu à souffrir de m'avoir avoué ta flamme. D'ailleurs ce n'est pas étonnant que ton amour me brûle: on te dit né dans le feu, et arraché des flammes par la main de ton père. 505 C'est bien à moi que souvent tu as promis le ciel. Hélas pour moi, au lieu du ciel, quels présents puis-je emporter!" Elle avait parlé; depuis un moment Liber entendait ses plaintes, car, se trouvant justement derrière elle, il l'avait suivie. Aussitôt il la serre dans ses bras, sèche ses larmes par des baisers. [3,510] Et il dit: "Gagnons ensemble les sommets du ciel! Toi, compagne de ma couche, tu recevras un nom lié au mien: Car après ta métamorphose, tu porteras le nom de Libera. Et avec toi nous perpétuerons le souvenir de la couronne que Vulcain offrit à Vénus, qui à son tour te la donna". 515 Il fait ce qu'il dit et les neuf pierreries sont changées en feux. Maintenant cette Couronne d'or scintille parmi ses neuf étoiles. ] Lorsque le dieu qui entraîne sur son axe rapide le jour pourpré aura par six fois soulevé et immergé son disque, tu assisteras aux seconds Equirria, sur le gazon du Champ de Mars, [3,520] dont les flots du Tibre sinueux viennent frapper le flanc. Cependant, si par hasard une crue du fleuve occupe l'endroit, les chevaux seront accueillis sur le Célius qui se couvrira de poussière. Le jour des Ides se célèbre la joyeuse fête d'Anna Perenna, non loin de tes rives, ô Tibre qui viens de l'étranger. 525 Le peuple arrive et se répand parmi les herbes vertes; et l'on boit, chacun s'étendant avec sa chacune. La fête se prolonge à ciel ouvert, quelques-uns dressent des tentes; il en est qui font des cabanes de feuillage et de branches; d'autres ont monté des roseaux rigides en guise de colonnes, [3,530] ils déplient leurs toges et les étendent par dessus. Cependant, échauffés par le soleil et le vin, ils se souhaitent autant d'années que les coupes qu'ils écluseront, et ils les comptent en buvant. Tu trouveras là celui qui pourrait avaler les années de Nestor, celle que les coupes ingurgitées transformeraient en Sibylle. 535 Là aussi, les gens chantent ce qu'ils ont appris dans les théâtres, et règlent sur leurs paroles les battements de leurs mains; autour d'un cratère posé sur le sol, ils mènent des choeurs grossiers; toute parée, une fille danse, les cheveux dénoués. Au retour, ils titubent, se donnant en spectacle à la foule, [3,540] qui, en les croisant, les appelle "bienheureux". Récemment (cela vaut d'être mentionné), j'ai rencontré ce cortège: une vieille femme ivre traînait un vieillard ivre lui aussi. Comme l'identité de cette déesse est sujette à des divagations, je me propose de ne taire aucun de ces récits. 545 La malheureuse Didon pour Énée avait brûlé dans les flammes; elle avait brûlé sur le bûcher construit pour accomplir son destin. On recueillit ses cendres et, sur le marbre de son tombeau, on grava ce bref poème qu'elle-même avait laissé en mourant: "Énée fut la cause de cette mort et en fournit le glaive." [3,550] "Didon tomba, frappée de sa propre main". Aussitôt, les Numides envahissent son royaume sans défense et le Maure Iarbas règne en maître dans le palais qu'il a conquis; se souvenant du mépris encouru, il dit: "Me voici jouissant enfin de la couche d'Élissa, moi qu'elle a tant de fois repoussé". 555 Les Tyriens fuient en désordre, chacun où les mène une course éperdue, telles des abeilles hésitantes qui errent, une fois leur roi disparu. Pour la troisième fois l'aire avait reçu les moissons à battre, et trois fois le moût avait rejoint les cuves profondes. Expulsée du palais, Anna, en pleurs, quitte les remparts élevés par sa soeur; [3,560] auparavant, elle lui rend les honneurs imposés. Les cendres légères boivent les parfums mêlés de ses larmes et reçoivent l'offrande d'une touffe de ses cheveux. Trois fois elle dit: "Adieu", trois fois elle presse l'urne de cendres qu'elle porte à ses lèvres et croit y sentir la présence de sa soeur. 565 Elle trouve un bateau, des compagnons de fuite et s'échappe à pleine voile, se retournant pour voir les remparts, oeuvre chère à sa soeur. Voisine de l'aride Cosyra s'étend la fertile Mélitè, une île que viennent battre les flots du détroit de Libye. Elle s'y rend, confiante dans l'hospitalité ancienne du roi: [3,570] Battus, hôte riche et opulent, y régnait. Informé des malheurs des deux soeurs, il lui dit: "Cette terre, si petite qu'elle soit, est la tienne". Et il était disposé à respecter jusqu'au bout ses devoirs d'hôte mais il eut peur des forces puissantes de Pygmalion. 575 Le soleil avait parcouru deux fois le zodiaque, et la troisième année, il fallut se ménager une nouvelle terre d'exil. Le frère d'Anna est là, qui cherche la guerre. Battus abhorre les armes: "Nous ne sommes pas faits pour la guerre; fuis, sauve-toi!", dit-il. Sur cet ordre elle fuit, confiant son bateau au vent et aux flots: [3,580] son frère était plus intraitable que toutes les mers. Il existe, près du caillouteux Crathis aux eaux poissonneuses, une petite plaine que les gens du lieu appellent Caméré: C'est vers elle que se dirigeait le bateau. La distance qui l'en séparait ne dépassait pas neuf jets de fronde. 585 D'abord, les voiles tombent et balancent sous le vent hésitant. Le pilote crie: "Fendez les ondes à coups de rames!" Pendant qu'on tente de serrer les voiles à l'aide d'un cordage, un violent Notus vient frapper la nef courbe et l'emporte vers le large, malgré les efforts vains du pilote. [3,590] La terre entrevue disparaît à leurs yeux. Les vagues se soulèvent, et la mer surgie d'un tourbillon se retourne, emplissant la coque d'eaux blanches d'écume. La technique ne résiste pas au vent, le timonier ne maîtrise plus les rênes, mais lui aussi, de tous ses voeux, appelle des secours. 595 La Phénicienne en exil est ballottée sur les flots houleux et couvre de son vêtement ses yeux baignés de larmes. Alors pour la première fois, elle jugea "bienheureuses" sa soeur Didon et toutes les femmes dont le cadavre a pesé quelque part sur terre. Un immense coup de vent dirige la nef vers le rivage des Laurentes; [3,600] tous débarquent, mais le bateau est englouti et périt. Déjà le pieux Énée était devenu maître de ce royaume, ayant épousé la fille de Latinus, et il avait fusionné leurs deux peuples. Sur ce rivage reçu en dot, accompagné du seul Achate, Énée s'engage, pieds nus, sur un chemin écarté; 605 il aperçoit alors Anna qui errait, et ne peut croire que c'est elle: que viendrait-elle faire dans les champs du Latium? Tandis qu'il est perdu dans ses pensées, Achate s'écrie: "C'est Anna". Entendant son nom, elle leva son visage. Hélas! Va-t-elle fuir? Que faire? Où chercher un trou où se glisser? [3,610] Sous ses yeux se dressait celui qui avait perdu sa soeur infortunée. Le héros, né de Cythérée, comprend et dit à Anna toute tremblante, - en pleurant cependant, ému à ton souvenir, Élissa -: "Anna, par cette terre que me destinait un oracle plus favorable, comme tu l'as souvent entendu dire autrefois, 615 par les dieux emportés avec moi et installés depuis peu en ce lieu, je jure que souvent ils m'ont reproché mes atermoiements. Pourtant, je n'ai pas cru qu'elle mourrait: cette crainte ne m'a pas effleuré. Hélas, elle s'est montrée plus forte que je ne l'en croyais capable! Ne me raconte rien: j'ai vu les blessures imméritées marquant son corps [3,620] lorsque j'ai eu l'audace de visiter les demeures du Tartare. Mais, que tu abordes nos rivages poussée par la raison ou par un dieu, accepte les avantages que t'offre mon royaume. Je te dois beaucoup, je m'en souviens, et il n'est rien que je ne doive à Élissa: tu seras bienvenue en ton nom, et bienvenue au nom de ta soeur". 625 Devant de telles paroles, - il ne lui reste d'ailleurs pas d'autre espoir - elle prend confiance et lui fait le récit de ses errances. Dès qu'elle pénétra, en habits tyriens, dans la demeure royale, Énée prit la parole, tandis que l'assistance restait silencieuse: "Lavinia, chère épouse, c'est pour moi un devoir sacré [3,630] de te confier cette personne: naufragé, j'ai bénéficié de ses richesses. Originaire de Tyr, elle possédait un royaume sur la côte de Libye. Je te prie de l'aimer tendrement, comme une soeur". Lavinia promet de tout faire, mais en pensée elle réprime secrètement une blessure imaginaire, et la dissimule tout en frémissant. 635 Voyant passer sous ses yeux les nombreux présents offerts à Anna, elle se figure que beaucoup d'autres lui sont envoyés en secret. Elle n'a pas arrêté de plan précis : en proie à une haine folle, elle prépare un piège et veut mourir, après s'être vengée. C'était la nuit: devant son lit, Anna crut voir se dresser [3,640] sa soeur Didon, couverte de sang, les cheveux défaits, qui lui disait: "Fuis sans hésiter, fuis cette demeure de malheur!" À ces mots, le vent poussa les portes qui gémirent. Elle sauta, rapide, par une fenêtre basse et courut à travers champs: la peur même l'avait rendue audacieuse. 645 Emportée par la crainte, voilée d'une tunique mal ajustée, elle court, tel un daim effrayé qui a entendu les loups. On croit que le Numicius cornu l'aurait saisie dans ses ondes gonflées, et cachée au fond de son lit. Cependant, à grands cris, on chercha la Sidonienne à travers les champs; [3,650] on trouva des indices, des traces de pas; on parvint à la rive: on trouva ses marques sur la rive. Le fleuve complice contint le bruit de ses eaux; on crut l'entendre, elle: "Je suis la nymphe du paisible Numicius; cachée dans le fleuve au cours pérenne, on m'appelle Anna Perenna". 655 Aussitôt, tout joyeux, dans les champs parcourus à l'aventure, on festoie et on célèbre ce jour et soi-même dans des flots de vin. Il en est pour qui Anna est la Lune, parce que ses mois couvrent une année; certains pensent qu'elle est Thémis; d'autres, la génisse fille d'Inachus. Tu trouveras des gens pour dire que tu es une nymphe azanide, [3,660] et que c'est toi, Anna, qui as donné à Jupiter ses premiers aliments. Une autre tradition, que je vais rapporter, est parvenue à nos oreilles et elle n'est pas dépourvue de vraisemblance. Jadis la plèbe, que des tribuns ne protégeaient pas encore, avait pris la fuite et campait au sommet du mont Sacré. 665 Déjà les vivres que les gens avaient emportés avec eux, et les fruits de Cérès, indispensables aux humains, venaient à manquer. Il se trouvait alors une certaine Anna originaire de Bovillae, dans les faubourgs de Rome, une vieille femme pauvre, mais très active. Les cheveux blancs entourés d'un léger bandeau, [3,670] elle façonnait de ses mains tremblantes des galettes grossières et avait l'habitude de les distribuer le matin encore fumantes à la population. Les gens apprécièrent cette générosité. Une fois établie la paix intérieure, ils élevèrent une statue à Perenna, parce qu'elle leur avait porté secours dans leur dénuement. 675 Il me reste maintenant à dire pourquoi les jeunes filles chantent des obscénités. En effet, elles se rassemblent et chantent traditionnellement des grivoiseries. Anna venait de devenir déesse; Gradivus s'approche d'elle, et l'emmenant à l'écart, lui tient ces propos: "Tu es honorée au cours de mon mois, mes temps et les tiens sont unis; [3,680] pour ma part, j'attache beaucoup d'espoir à tes services. Dieu guerrier, épris d'amour pour Minerve la guerrière, je me consume et nourris cette blessure depuis longtemps. Fais en sorte que, dieux aux goûts semblables, nous nous unissions. Ce rôle te convient, ma vieille commère". 685 Il avait parlé; elle fit au dieu une promesse vaine et trompeuse, et par de vagues délais prolongea sans fin le fol espoir qu'il éprouvait. Très souvent il insistait; elle lui dit: "J'ai accompli tes ordres; je l'ai convaincue; elle vient de se rendre à mes prières". Amoureux, il la croit et prépare la chambre nuptiale. [3,690] On y conduit Anna, visage voilé, comme une jeune épousée. Mars, prêt à lui donner un baiser, aperçoit soudain Anna: la honte et la colère tour à tour gagnent le coeur du dieu abusé. Tu te joues de l'amoureux; nouvelle déesse, tu es chère à Minerve, et rien ne fut plus apprécié de Vénus que cet incident. 695 De là proviennent les vieilles plaisanteries et les chansons obscènes, et on trouve plaisant qu'Anna ait ainsi répliqué à un grand dieu. J'allais omettre les glaives qui transpercèrent César, notre prince, lorsque Vesta, de son chaste foyer, me parla ainsi: "N'hésite pas à en faire mention; il fut mon prêtre; [3,700] c'est moi que des mains sacrilèges ont atteinte de leurs traits. Mais moi, j'ai enlevé le héros, lui substituant un vain simulacre: c'est l'ombre de César, qui fut frappée par le fer". Lui, installé au ciel, il a vu la cour de Jupiter, et il possède sur le vaste Forum un temple qui lui est dédié. 705 Par contre, tous ceux qui ont eu l'audace sacrilège d'enfreindre la sainte volonté des dieux et ont profané la tête d'un pontife sont morts d'une mort méritée: vous en témoignerez, Philippes, et vous, qui blanchissez la terre de vos ossements épars. Les premiers principes mis en oeuvre par la piété de César, [3,710] ce fut de venger son père avec des armes justes. Lorsque l'aurore suivante aura fait revivre les herbes tendres, on pourra observer la première partie du Scorpion. Le troisième jour après les Ides, une foule nombreuse célèbre Bacchus. Bacchus, protège ton poète, tandis qu'il chante ta fête. 715 Je ne parlerai pas de Sémélé, de qui s'étaient approché Jupiter et sa foudre, ce qui provoqua sur place ta naissance, qui eut lieu deux fois; je ne dirai pas comment, pour te permettre, enfant, de naître à terme, l'oeuvre maternelle s'acheva dans le corps de ton père. Ce serait trop long de narrer tes triomphes sur les Sithoniens et les Scythes, [3,720] et de rappeler tes peuples domptés, ô Indus, producteur d'encens. Toi aussi, tu seras omis, victime malheureuse de ta mère thébaine, de même que toi, Lycurgue, poussé par la folie à sévir contre ta famille. Cela me plairait de dire le prodige des marins tyrrhéniens qui furent subitement métamorphosés en poissons; mais ce n'est pas l'objet de ce poème. 725 Son objet est d'expliquer pourquoi une pauvre vieille femme invite les gens à s'intéresser à ses galettes. Avant ta naissance, Liber, les autels restaient dépourvus d'honneurs, et des herbes poussaient sur leurs foyers glacés. La tradition retient que tu réservas des prémices au grand Jupiter, [3,730] lorsque tu eus soumis le Gange et tout l'Orient: toi le premier, tu lui offris de la cannelle et de l'encens pris à l'ennemi, ainsi que les chairs rôties du boeuf de ton triomphe. Les libations (libamina) tirent leur nom de leur inventeur (Liber), et aussi les galettes (liba), offertes en partie depuis lors sur les foyers sacrés. 735 Les galettes sont faites pour le dieu, car il aime les sucs doux et, selon la tradition, le miel est une invention de Bacchus. Escorté de satyres, il revenait de l'Hèbre aux rives sableuses, (notre récit comporte des anecdotes bien plaisantes), et déjà il était arrivé près du Rhodope et du Pangée en fleurs: [3,740] les mains de ses compagnons firent retentir leurs cymbales. Voici que s'assemblent, guidés par ces tintements, des insectes inconnus, ce sont des abeilles qui suivent les sons des cymbales. Liber les recueille dans leur vol et les enferme au creux d'un arbre, et pour récompense, il découvre le miel. 745 Dès que les satyres et Silène, le vieillard chauve, eurent goûté cette saveur, ils cherchèrent à travers tout le bois les blonds rayons de miel. Le vieillard entend, au creux d'un orme, le bourdonnement de l'essaim; il aperçoit les alvéoles de cire, mais il en dissimule la présence. Paresseusement assis sur un âne à l'échine courbée, [3,750] il colle sa monture contre l'écorce creuse de l'orme. Il se hisse dessus, prenant appui sur une branche et cherche avidement le miel caché dans le tronc. Des frelons par milliers arrivent et enfoncent leur dard sur son crâne dénudé, marquant de piqûres sa face grimaçante. 755 Il tombe, tête en avant, et reçoit un coup de sabot du petit âne; il pousse un cri et appelle ses compagnons à l'aide. Les satyres accourent et se moquent du visage tuméfié du vieux bonhomme; lui boitille, avec son genou blessé. Le dieu rit, lui aussi, et montre comment faire un cataplasme de boue; [3,760] le vieux suit ces conseils et s'enduit la face de boue. Le miel est apprécié du Père Liber, et c'est à juste titre que nous offrons à son inventeur des coulées de miel éclatant sur un gâteau chaud. Pourquoi des galettes pétries par une femme? La raison en est claire: Ce sont des choeurs de femmes que Liber excite avec son thyrse. 765 Tu veux savoir pourquoi c'est une vieille? Elle est à un âge plutôt porté sur le vin, appréciant les dons de la vigne féconde. Pourquoi est-elle couronnée de lierre? Le lierre plaît beaucoup à Bacchus. Vous ne tarderez pas non plus à apprendre pourquoi il en est ainsi: Les nymphes de Nysa, dit-on, avaient tendu devant le berceau de l'enfant [3,770] un rideau de ce feuillage, tandis que sa marâtre le recherchait. Il me reste à trouver pourquoi on remet la toge virile aux enfants, le jour de ta fête, radieux Bacchus. Est-ce parce que tu sembles toujours un enfant et un adolescent, et que ton âge est intermédiaire entre les deux? 775 Ou bien, puisque tu es un père toi-même, les pères confient-ils à tes soins et à ta puissance les trésors que sont leurs enfants? Ou, parce que tu es Liber, prend-on aussi en ton nom la toge de l'homme libre et la voie vers une vie plus libre; ou bien, au temps où les anciens avaient plus d'ardeur pour les cultures, [3,780] où un sénateur travaillait sur la terre de ses pères, où un consul quittait sa charrue recourbée pour prendre les faisceaux, quand des mains calleuses n'étaient pas jugées infamantes, le peuple des campagnes venait dans la Ville pour assister aux jeux (mais c'était pour honorer les dieux, et non pour le plaisir; 785 l'inventeur de la vigne avait, à son jour, les jeux que maintenant il partage en commun avec la déesse porteuse de torche); dès lors, n'est-ce pas pour pouvoir fêter en foule le jeune débutant qu'on a jugé ce jour tout à fait propre à la remise de la toge virile? Dieu vénéré, tourne vers nous avec douceur et sérénité ton front cornu, [3,790] et souffle avec faveur dans les voiles de mon esprit! Ce jour-là, si j'ai bonne mémoire, et aussi la veille, on se rend aux Argées - on dira en son lieu de quoi il s'agit -. La constellation du Milan s'incline vers l'Ourse, la fille de Lycaon: cette nuit-là, elle devient visible. 795 Voici, si tu veux le savoir, ce qui valut le ciel à cet oiseau: Saturne avait été chassé de son royaume par Jupiter; plein de colère, il pousse les puissants Titans à prendre les armes et tente d'obtenir l'aide que lui devaient les destins. Il existait un taureau, né de la Terre Mère, monstre singulier, [3,800] dont la partie postérieure était un serpent. Sur le conseil des trois Parques, l'implacable Styx l'avait enfermé dans un sombre bois, derrière une triple muraille. D'après un oracle, celui qui aurait livré aux flammes du sacrifice les chairs de ce taureau pourrait vaincre les dieux éternels. 805 Briarée l'immole à l'aide d'une hache d'acier, et déjà il était prêt à livrer aux flammes les viscères du monstre: Jupiter ordonne à des oiseaux de l'enlever; c'est le milan qui le lui apporta et qui pour ses mérites parvint au rang des astres. Après un intervalle d'un jour, on célèbre les fêtes de Minerve [3,810] qui tirent leur nom des cinq jours liés qui les constituent. Le premier, on s'abstient de verser le sang, et il est interdit de croiser le fer: la raison en est que ce jour est celui de la naissance de Minerve. Le lendemain et les trois jours suivants, des jeux occupent l'arène plane: la déesse guerrière aime les épées dégainées. 815 Maintenant invoquez Pallas, jeunes garçons et tendres fillettes! Celui qui se sera concilié Pallas deviendra habile. Que les jeunes filles apprennent, grâce à sa bienveillance, à carder la laine et à dévider les quenouilles pleines. Elle enseigne aussi l'art de faire courir la navette sur le métier dressé [3,820] et c'est elle qui resserre avec le peigne la trame légère. Honore-la, toi qui enlèves les taches des vêtements abîmés. Honorez-la, vous qui préparez les bassins de bronze pour teindre les laines. Et, si Pallas n'y consent, personne, fût-il plus expert que Tychius, ne pourra bien adapter des lanières à un pied. 825 Et celui qui, comparé au vieil Épéus, le devancerait en habileté, sera comme un manchot, si Pallas est en colère. Vous aussi, qui chassez les maladies grâce à l'art de Phébus, rapportez à la déesse une petite part de vos gains. Et vous, foule des maîtres d'école, souvent frustrés de salaire, [3,830] ne la dédaignez pas (elle attire de nouveaux élèves), ni toi qui manies le ciseau, ni toi qui peins à l'encaustique, ni toi qui de tes mains habiles assouplis la pierre. Elle est la déesse de mille travaux; et certainement la déesse de la poésie. Si je le mérite, puisse-t-elle aimablement m'assister dans mes efforts! 835 À l'endroit où le mont Célius descend en pente vers la plaine, là où la route n'est pas tout à fait plane, mais presque, on peut voir le petit temple élevé à Minerve Captive, temple dont la déesse a pris possession le jour de son anniversaire. On hésite sur la raison de cette appellation. Nous qualifions de capital [3,840] un esprit ingénieux: la déesse a un esprit de ce type. Ou est-ce parce que, selon la tradition, sans mère, elle a bondi du sommet de la tête (caput) de son père, avec son bouclier? Ou est-ce parce que, après la soumission des Falisques, elle arriva chez nous en captive? C'est ce que dit une antique inscription sur la statue. 845 Ou est-ce parce qu'il existe une loi exigeant la peine capitale pour les vols commis dans ce sanctuaire? Quelle que soit la raison dont tu tires ton nom, Pallas, que toujours ton égide protège nos princes! Le dernier de ces cinq jours recommande de purifier les trompettes sonores [3,850] et de sacrifier à la vaillante déesse. Maintenant on peut lever le visage et dire au soleil: "Hier, il a pressé la toison du bélier de Phrixos". La perfidie d'une belle-mère scélérate avait grillé les semences et les jeunes pousses n'avaient porté aucun des épis attendus. 855 On envoie un messager s'enquérir au trépied de la Pythie du remède sûr qu'un oracle du dieu de Delphes prescrivait contre la stérilité de la terre. Ce messager, tout aussi corrompu que les semences, annonce que le destin exige la mort de Hellé et du jeune Phrixos. Longtemps le roi refusa, mais ses sujets, et les circonstances, et Ino, [3,860] le contraignirent à accepter ces ordres abominables. Phrixos et sa soeur, les tempes voilées de bandelettes, ensemble se dressent devant les autels, déplorant leur commune destinée. Leur mère, justement penchée du haut de l'éther, les aperçoit, et, effrayée, frappe de ses mains sa poitrine nue. 865 Elle saute dans le vide sur la ville née d'un dragon avec son escorte de nuées, et en arrache ses deux enfants. Pour assurer leur fuite, un bélier, tout resplendissant d'or, leur est envoyé, qui les emporte tous deux à travers le long détroit. Selon la légende, la jeune femme qui se tenait trop faiblement [3,870] à la corne gauche, tomba, donnant son nom à cette étendue d'eau. Son frère fut près de périr en même temps, en voulant la secourir, lui tendant désespérément les mains pendant qu'elle glissait. Il pleurait, croyant avoir perdu celle qui avait partagé deux fois ses périls; il ignorait qu'elle s'était unie au dieu des eaux azurées. 875 Le rivage atteint, le Bélier devint une constellation; mais sa toison d'or parvint au pays de Colchide. Quand l'aurore surviendra, précédée trois fois par l'Étoile du matin, la durée de tes jours égalera celle de tes nuits. Quand quatre fois le berger aura enfermé ses chevreaux repus [3,880] et que quatre fois, l'herbe aura blanchi sous la fraîcheur de la rosée, alors il faudra adorer Janus, et avec lui, la douce Concorde, et le Salut de Rome et l'autel de la Paix. La Lune règne sur les mois: la durée de ce mois aussi prend fin avec le culte rendu à la Lune, au sommet de l'Aventin. [4,0] Ovide, Fastes, livre IV. "Sois-moi favorable, bienveillante mère des deux Amours!", dis-je; La déesse porta ses regards vers le poète et dit: "Qu'as-tu à faire avec moi? Tu chantais en effet un sujet plus prestigieux. Gardes-tu peut-être en ton coeur sensible une vieille blessure?" 5 "Tu connais ma blessure, ô déesse", répondis-je. Elle sourit, et tout de suite la partie du ciel qu'elle occupait devint sereine. "Blessé ou en bonne santé, ai-je jamais vraiment délaissé tes enseignes? C'est toi mon but, toi, le sujet constant de mon oeuvre. En mes jeunes années, j'ai badiné comme il convenait, en toute innocence; [4,10] maintenant nos chevaux foulent une aire plus vaste. Je chante les fêtes avec leurs causes, exhumées des annales anciennes, et les constellations qui apparaissent et disparaissent sous la terre. Nous en sommes au quatrième mois, où tu es le plus célébrée: le poète autant que le mois sont tiens, Vénus, tu le sais." 15 Émue, elle effleura mes tempes d'un brin de myrte de Cythère et dit: "Achève l'oeuvre commencée." Je reçus son message et soudain se dévoilèrent les origines des jours de fête. Tant que je le puis et que soufflent les brises, que vogue ma barque. Si pourtant une partie du calendrier doit te toucher, [4,20] César, c'est avril que tu dois prendre en considération. Ce mois est descendu vers toi, vu la majesté des images de tes ancêtres, il est devenu tien, grâce à ta noblesse adoptive. C'est ce que vit le vénérable fils d'Ilia, décrivant le cours de la grande année, et c'est lui qui y inséra les noms des auteurs de tes jours; 25 de même qu'il mit à la première place le féroce Mars, la cause majeure de sa propre naissance, ainsi voulut-il que Vénus, intégrée dans sa généalogie par de multiples générations, patronne le second mois; il rechercha le principe de sa lignée, en remontant les siècles, [4,30] et il parvint jusqu'à ses parents divins. Pouvait-il ignorer que Dardanus était né d'Électre l'Atlantide, d'Électre qui avait couché avec Jupiter? Le fils de Dardanus fut Érichtonius, qui engendra Tros; celui-ci conçut Assaracus, et Assaracus conçut Capys. 35 Le suivant fut Anchise, avec qui Vénus ne dédaigna pas de partager le titre commun de parent. Énée, leur fils, fit montre de piété, emportant à travers les flammes les objets sacrés, et sur ses épaules, son père, autre dépôt sacré. Nous en arrivons au nom de Iule, prédestiné au succès, [4,40] par qui la famille Iulia touche à ses aïeux troyens. Ensuite Postumus qui, parce qu'il était né dans les bois profonds, avait été appelé Silvius dans la nation latine. Et c'est lui ton père, Latinus; Alba succède à Latinus; le suivant à porter tes titres, Alba, est Épytus. 45 Celui-ci donna à (son fils) Capys un nom remontant à Troie, et ce même personnage, Calpétus, fut ton aïeul. Tandis que, après lui, Tibérinus occupait le trône paternel il se noya, dit-on, dans un tourbillon du fleuve étrusque. Il avait cependant connu son fils Agrippa et Rémulus, son petit-fils; [4,50] Rémulus, selon la tradition, fut foudroyé. Après ceux-ci, naquit Aventinus, d'où l'endroit tient son nom, ainsi que la colline; après lui, la couronne fut transmise à Procas, dont le successeur fut Numitor, le frère du brutal Amulius. Ilia ainsi que Lausus sont nés de Numitor: 55 Lausus tombe sous la lame de son oncle; Ilia séduit Mars et te met au monde, Quirinus, en même temps que ton jumeau Rémus. Lui a toujours dit que ses parents étaient Vénus et Mars, et sa parole mérite que l'on y ajoute foi: et pour éviter que les générations futures l'ignorent, [4,60] il attribua à ses parents divins des mois contigus. Mais je proclame que le mois de Vénus doit son nom au grec: on dit que la déesse est née de l'écume de la mer. Et ne t'étonne pas de cette dénomination grecque, puisque la terre italienne était alors la Grande-Grèce. 65 Évandre, avec l'abondante flotte de ses gens, y était venu, de même qu'Alcide, tous deux de race grecque; (en hôte, le porteur de massue fit paître son troupeau sur l'Aventin; oui, un dieu si majestueux a bu l'eau de l'Albula); le maître du Nérite y vint aussi, comme l'attestent les Lestrygons [4,70] et le rivage qui maintenant encore porte le nom de Circé; Et déjà les remparts de Télégone, déjà les murs de l'humide Tibur se dressaient, posés par des mains argiennes. Y était venu aussi, poussé par le sort de l'Atride, Halésus dont la terre falisque prétend tenir son nom. 75 Ajoute à la liste Anténor, qui conseilla la paix à Troie, et, ô Daunus d'Apulie, ton gendre, le descendant d'Oenée. Bien tard, et après Anténor, échappé aux flammes d'Ilion, Énée apporta ses dieux dans notre patrie. Il avait pour compagnon Solymus, originaire de l'Ida de Phrygie, [4,80] qui valut son nom à la place forte de Sulmone: de la fraîche Sulmone, ma patrie, ô Germanicus. Malheur à moi! Qu'elle est loin du pays des Scythes! Donc moi, si loin... Mais, Muse, étouffe mes plaintes: Tu ne dois pas chanter les fêtes sacrées sur une lyre plaintive. 85 Où l'envie ne mène-t-elle pas? Il est des gens qui par envie, Vénus, voudraient te voir retiré le patronage de ce mois. Car puisque alors le printemps ouvre toutes choses, chasse l'âpreté du froid glacial et ouvre la terre féconde, ils rappellent qu'avril tire son nom de l'ouverture de la saison, [4,90] alors que la généreuse Vénus, y portant la main, le revendique. Elle est assurément la plus digne de régenter l'univers entier; elle détient un royaume, et nul dieu n'en possède de plus grand; elle impose ses lois au ciel, à la terre, aux eaux dont elle est née, et, par ses impulsions, maintient chaque race en vie. 95 Elle a créé tous les dieux (ce serait trop long de les énumérer), elle a donné vie aux plantes et aux arbres, elle a rapproché et réuni des hommes rudes, et a appris à chacun à s'unir avec sa compagne. Qui crée toute la gent ailée, sinon la douce volupté? [4,100] Et les troupeaux ne se rencontreraient pas, sans le doux amour. Le farouche bélier se bat à coups de corne avec un autre mâle, mais évite de blesser le front de la brebis qu'il chérit. Le taureau renonce à sa sauvagerie pour suivre une génisse, lui qui fait trembler tous les pâturages, tous les bois. 105 La même force sauvegarde tout ce qui vit sous l'immensité marine, et peuple les eaux d'une multitude de poissons. La première, Vénus arracha à l'homme ses allures sauvages: d'elle naquirent la parure et le souci de la propreté personnelle. Parce que la nuit lui était refusée, un amant, dit-on, se mit à chanter [4,110] le poème qu'il avait composé en veillant devant une porte close. L'éloquence consista à supplier une fille impitoyable, et chacun devenait habile parleur en défendant sa cause. Grâce à elle, dit-on, mille arts virent le jour, et le désir de plaire suscita mille découvertes qui jadis restaient cachées. 115 Quelqu'un oserait-il spolier cette déesse de l'honneur de patronner le second mois? Loin de nous cette folie. Cette déesse, partout dotée de puissance, aux temples très fréquentés, jouit pourtant dans notre cité de droits plus grands encore. Pourquoi? Pour Troie, Romain, ta chère Vénus portait les armes, [4,120] lorsqu'une pointe blessa sa main délicate et lui arracha un gémissement; un juge troyen la fit triompher de deux déesses (Ah! Puissent les déesses évincées ne pas s'en souvenir!); Elle porta le titre de bru d'Assaracus, pour que, bien sûr, le grand César ait un jour comme aïeux des Iulii. 125 En outre, à Vénus, nulle saison ne convenait mieux que le printemps: au printemps, les terres sont éclatantes, au printemps le champ est paisible; c'est alors que les jeunes pousses font craquer la terre et soulèvent leur tête, c'est alors que les bourgeons poussent sur l'écorce gonflée de la branche; Vénus la belle est bien digne de la belle saison, [4,130] et, selon la coutume, elle suit directement son Mars aimé. Au printemps, elle engage les nefs creuses à voguer sur les mers d'où elle est née, sans plus redouter les menaces de l'hiver. Honorez la déesse selon les rites, mères et brus du Latium, et vous, qui ne portez ni bandelettes ni long vêtement. 135 Retirez du cou marmoréen de sa statue ses colliers d'or, retirez ses joyaux: la déesse doit être entièrement baignée. Replacez sur son cou séché ses colliers d'or. Il faut alors lui offrir d'autres fleurs, des roses fraîches. Elle vous ordonne aussi de vous baigner, couronnées de myrte vert: [4,140] apprenez la raison de cet ordre, qui est évidente. Nue sur le rivage, elle séchait sa chevelure ruisselante; une troupe de satyres effrontés aperçut la déesse. Elle les remarqua et se couvrit le corps d'un écran de myrte: ainsi fut-elle protégée et ordonne-t-elle de commémorer cet événement. 145 Apprenez maintenant pourquoi vous allez offrir de l'encens à la Fortune Virile en ce lieu tout humide d'eau chaude. Ce lieu accueille toutes les femmes, dévêtues de leur voile, et voit tous les défauts de leur corps nu. À la Fortune Virile de les protéger et de les dissimuler aux hommes, [4,150] ce qu'elle fait quand on l'invoque avec un peu d'encens. Et que l'on ne répugne pas à prendre du pavot écrasé dans un lait neigeux et du miel liquide pressé des rayons: dès que Vénus fut conduite à son époux plein de désir, elle but ce breuvage; depuis lors elle fut son épouse. 155 Apaisez-la, parlez-lui en suppliants: c'est elle qui sauvegarde la beauté, la morale et la bonne renommée. Au temps de nos ancêtres, Rome s'était relâchée de sa pudeur; vous, anciens, vous avez consulté la vieille prêtresse de Cumes. Elle ordonna d'élever un temple à Vénus; et depuis qu'il fut dûment bâti, [4,160] Vénus est appelée Verticordia, à cause du changement dans les coeurs. Toujours, ô toute belle, tourne des regards bienveillants vers les Énéades et protège, déesse, tant et tant de tes brus! Pendant que je parle, le Scorpion redoutable qui relève l'aiguillon de sa queue, se précipite dans les eaux vertes. 165 Lorsque, après une nuit, les premiers rayons se mettront à rougeoyer lorsque les oiseaux touchés par la rosée exhaleront leurs plaintes, lorsque le voyageur, après une nuit de veille, posera sa torche à demi consumée, et que le paysan se rendra à ses travaux habituels, les Pléiades commenceront à soulager de leur fardeau les épaules paternelles; [4,170] Censées être sept, d'habitude elles ne sont que six; c'est peut-être parce que six d'entre elles ont connu l'étreinte des dieux (en effet, on raconte que Stéropé a partagé la couche de Mars; Alcyoné et toi, belle Céléno, avez couché avec Neptune; Maia, Électre et Taygète avec Jupiter); 175 la septième, Méropé, t'épousa toi, Sisyphe, un mortel, elle le déplore et de honte se cache, solitaire; ou peut-être est-ce parce qu'Électre, ne supportant pas le spectacle de Troie en ruines, s'est mis la main devant les yeux. Laisse le ciel tourner sur son axe éternel, par trois fois, [4,180] laisse Titan atteler et dételer trois fois ses chevaux. Aussitôt résonnera la flûte bérécyntienne au cornet recourbé, et ce seront les fêtes en l'honneur de la Mère de l'Ida. Des eunuques iront en procession, battant leurs tambourins creux et les cymbales d'airain s'entrechoquant retentiront. 185 Elle, sur son trône, portée par les épaules de servants androgynes traversera les rues de la ville au milieu des hurlements. La scène résonne, et les jeux attirent la foule: regardez, Quirites, et que le Forum familier des procès renonce à ses combats! J'aimerais poser mille questions, mais le son aigu du bronze [4,190] me terrifie, ainsi que le lotus recourbé, au timbre effrayant. "Dis-moi, déesse, qui pourrait me renseigner." La déesse du Cybèle vit ses doctes petites-filles et leur enjoignit de répondre à mon souci. "Enfants nourries sur l'Hélicon, déployez vos souvenirs et dites-moi pourquoi la Grande Déesse se complaît à ce bruit ininterrompu." 195 Ainsi ai-je parlé. Alors Érato - le mois de Cythérée lui fut dévolu, à elle qui porte le nom du tendre Amour - prit la parole: "Saturne reçut un jour l'oracle suivant: 'Toi, le meilleur des rois, tu seras expulsé de ton trône par ton fils.' Lui, redoutant ses rejetons, les dévorait à mesure de leur mise au monde, [4,200] et les conservait enfouis dans ses entrailles. Souvent Rhéa s'était plainte d'avoir été tant de fois fécondée sans jamais être mère, et avait déploré sa fertilité. Jupiter naquit. (L'ancienneté, preuve majeure, mérite crédit; abstiens-toi de rejeter une croyance reconnue.) 205 Le gosier du dieu engloutit une pierre, dissimulée dans un tissu; les destins avaient décidé que ce père devait être ainsi abusé. Aussitôt l'Ida escarpé retentit de bruits divers, pour que l'enfant, en toute sécurité, puisse pousser ses vagissements. À coups d'épieux, on frappe ici des boucliers, là, des casques creux: [4,210] D'un côté oeuvrent les Curètes et de l'autre les Corybantes. L'événement resta secret, et on commémore toujours ce fait ancien: l'escorte de la déesse fait retentir l'airain et les rauques tambours; les cymbales frappées tiennent lieu de casques et les tambourins de boucliers; la flûte, comme elle le fit autrefois, joue des airs phrygiens." 215 Érato avait fini; je repris: "Pourquoi des lions, cette race féroce, présentent-ils leurs crinières d'habitude peu soumises à des jougs incurvés?" J'avais terminé; elle répondit: "Elle passe pour avoir adouci leur sauvagerie, ce dont son char est le témoignage." "Mais pourquoi sa tête est-elle chargée d'une couronne faite de tours? [4,220] Est-ce elle qui donna des tours aux premières cités?" Elle acquiesça. "D'où vient", dis-je, "cette furie à se sectionner le membre viril?" Dès que je me tus, la Piéride prit la parole: "Attis, un jeune Phrygien, au visage remarquable, vivait dans les forêts; il inspira à la déesse aux tours un amour chaste qui la tint enchaînée. 225 Elle voulut qu'il lui fût réservé, qu'il surveillât son temple, et dit: "Arrange-toi pour vouloir toujours être un enfant." Il jura fidélité à ces ordres, et ajouta: "Si je mens, que cet amour pour lequel je faillirais soit mon ultime amour!" Il fauta, et ayant rencontré la nymphe Sagaritis, cessa d'être ce qu'il était; [4,230] dès lors, la colère de la déesse exigea un châtiment. Elle frappa la naïade, en infligeant des blessures à son arbre, la naïade mourut; cet arbre représentait sa destinée. Attis devient fou et, croyant voir s'écrouler le toit de sa chambre, il s'enfuit et gagne en courant les sommets du Dindyme; 235 tantôt il crie: "Enlève les torches!", tantôt: "Éloigne les fouets!", souvent, il jure que les déesses palestiniennes sont près de lui. Il s'est même lacéré le corps avec une pierre aiguisée et a traîné sa longue chevelure dans la poussière immonde; on entend sa voix: "Je l'ai mérité; je paie de mon sang un châtiment mérité. [4,240] Ah! Que périssent ces organes qui m'ont fait tort!" "Oui, qu'ils périssent!", disait-il encore; il enlève le poids de son aine, et aussitôt il ne lui reste plus aucun signe de sa virilité. Cette fureur devint un exemple et les servants indolents de la déesse tranchent leurs parties honteuses en agitant leur chevelure." 245 Voilà comment, de sa voix éloquente, la Camène d'Aonie m'expliqua l'origine de cette folie qui m'intriguait. "Toi, mon guide, je t'en prie, instruis-moi. L'a-t-on appelée, d'où est-elle venue? A-t-elle toujours été présente dans notre Ville?" "La déesse Mère a toujours aimé le Dindyme et le mont Cybèle [4,250] ainsi que les sources agréables de l'Ida et les richesses d'Ilion. Lorsque Énée transporta Troie dans les terres d'Italie, la déesse faillit suivre les nefs porteuses des objets sacrés, mais elle avait compris que les destins n'exigeaient pas encore sa présence divine au Latium et était restée dans son séjour familier. 255 Plus tard, lorsque Rome, devenue puissante, eut vu passer cinq siècles déjà et eut levé la tête, après avoir soumis l'univers, un prêtre examina les paroles prophétiques du poème eubéen; tel fut, dit-on, le résultat de cette consultation: "La Mère est absente; je t'ordonne, Romain, d'aller chercher la Mère. [4,260] Lorsqu'elle viendra, il faudra qu'une main pure l'accueille." L'ambiguïté de cet oracle obscur déconcerte les sénateurs: de quelle mère s'agit-il? en quel lieu la chercher? On consulte Péan qui dit: "Faites venir la Mère des dieux; vous pourrez la trouver au sommet de l'Ida." 265 Des notables partent en mission. À l'époque, Attale régnait en Phrygie; celui-ci oppose un refus aux hommes d'Ausonie. Je vais chanter un fait étonnant: la terre gronda et trembla longtemps, et la déesse parla ainsi du fond de son sanctuaire: "C'est moi qui ai voulu être appelée; sans délai, je veux qu'on me fasse partir; [4,270] Rome est un lieu de rencontre digne pour toutes les divinités." Attale, épouvanté par ce message effrayant, dit: "Pars, tu seras toujours nôtre: Rome remonte à des ancêtres phrygiens. " Aussitôt des haches innombrables abattent des arbres dans la pinède où le pieux Phrygien s'était servi lors de sa fuite. 275 Mille mains unissent leurs efforts et un navire creux, aux couleurs appliquées à chaud, accueille la Mère des Dieux. Elle traverse, en toute sécurité, les eaux, royaume de son fils, arrive au long détroit qui porte le nom de la soeur de Phrixus, double le vaste Rhétée et les bords du Sigée, [4,280] longe Ténédos et l'antique puissance d'Éétion. Ayant laissé Lesbos derrière elle, elle est accueillie dans les Cyclades, et dans les eaux que brisent les bas-fonds de Carystos. Elle franchit aussi la mer Icarienne, où Icare vit tomber et perdit ses ailes, donnant ainsi son nom à cette vaste étendue d'eau. 285 Elle délaissa alors la Crète, à gauche, et, à droite, les ondes de Pélops, puis gagna Cythère, l'île consacrée à Vénus. De là, elle choisit la mer de Trinacrie, où Brontès, Stéropès et Acmonidès s'occupent à tremper le fer brûlant; elle choisit la mer d'Afrique, aperçoit sur son flanc gauche [4,290] le royaume de Sardaigne, puis elle parvient en Ausonie. Cybèle avait atteint Ostie, où le Tibre se divise pour gagner le large, en s'écoulant dans une zone plus dégagée. Tous les chevaliers et les graves sénateurs mêlés à la plèbe vinrent à sa rencontre à l'embouchure du fleuve étrusque. 295 D'un même pas s'avancent mères, filles, brus, et les vierges qui entretiennent le foyer sacré. Des hommes empressés épuisent leurs bras à contenir le câble; le navire étranger s'avance à grand peine sur des eaux contraires. Longtemps la terre avait été sèche; les plantes assoiffées se consumaient; [4,300] sous la pression, la nef s'échoua dans un banc de vase. Tous indistinctement participent à l'opération au-delà de leurs forces, et des voix claironnantes encouragent les mains énergiques. Elle, telle une île, siège immobile au milieu des flots. Frappés par ce prodige, les hommes restent debout, épouvantés. 305 Claudia Quinta faisait descendre sa famille du grand Clausus, et son allure n'était pas indigne de sa noblesse, elle était chaste sans aucun doute, mais on ne le croyait pas; une calomnie l'avait blessée et elle fut accusée à tort d'un crime. Son élégance, ses apparitions en public avec diverses coiffures soignées, [4,310] la vivacité de ses réparties lui firent tort auprès des vieillards austères. Consciente de sa droiture, elle se rit des mensonges de la rumeur, mais nous, nous sommes tous enclins à croire en ce qui est mal. Claudia, après s'être avancée, quittant les rangs des chastes matrones, et après avoir puisé dans le creux de ses mains de l'eau pure du fleuve, 315 s'asperge trois fois la tête, et trois fois lève les mains vers le ciel (tous ceux qui la voient la croient privée de raison); les genoux ployés, elle fixe ses regards sur l'image de la déesse, et, cheveux épars, elle énonce ces paroles: "Bienveillante déesse, féconde mère des dieux, [4,320] écoute, à une condition précise, les prières de ta suppliante. On me dénie d'être chaste: si tu me condamnes, je reconnaîtrai l'avoir mérité; je le paierai de ma mort, vaincue par le jugement d'une déesse. Mais si je suis innocente, toi, tu le prouveras réellement, en garantissant ma vie et, chaste, tu suivras des mains chastes." 325 Sur ces paroles, elle tira le câble sans grand effort. Je vais parler d'un prodige, qui du reste est attesté sur la scène. La déesse mise en branle suit sa guide, et la justifie en la suivant. Révélatrice d'allégresse, une clameur monte vers les astres. On arrive à une courbe du fleuve (que les anciens ont appelée [4,330] Atria Tiberina), à partir d'où il oblique vers la gauche. La nuit était tombée; on attache le câble à un tronc de chêne, et après un repas on s'adonne à un léger sommeil. Le jour s'était levé: on détache le câble du tronc de chêne, Non sans avoir toutefois installé un foyer et brûlé de l'encens. 335 Au préalable, ils avaient couronné la poupe et immolé une génisse, sans tache, qui n'avait connu ni les labours ni l'accouplement. Il est un endroit où le paisible Almo se jette dans le Tibre et, étant plus petit, perd son nom dans le grand fleuve. Là un prêtre aux cheveux blancs, vêtu d'une robe de pourpre, [4,340] lave dans les eaux de l'Almo sa maîtresse et les objets sacrés. Ses servants poussent des hurlements, la flûte affolée résonne et les mains mollement frappent les peaux des tambourins. Claudia marche devant, le visage heureux, très fêtée par la foule, qui enfin la croit chaste, grâce au témoignage de la déesse. 345 La déesse trônant sur un char est portée en ville par la Porte Capène; l'attelage de génisses est couvert de fleurs fraîches que l'on jette. Nasica l'accueillit; le nom du fondateur du temple n'a pas été conservé; maintenant, c'est Auguste; avant c'était Métellus." Érato s'arrêta ici. Une pause intervient, au cas où je poserais d'autres questions. [4,350] "Dis-moi", dis-je, "pourquoi cherche-t-elle richesses en petites pièces." "Le peuple a apporté du bronze, avec quoi Métellus éleva le temple", dit-elle, "de là vient la coutume de donner une pièce de monnaie". Je demande pourquoi, à tour de rôle, on s'invite à des banquets, et pourquoi, à ces dates surtout, on y assiste avec empressement. 355 "Puisque la Bérécyntienne a bien réussi son changement de lieu", dit-elle, on cherche à obtenir un même présage de bonheur en changeant d'endroit." J'étais prêt à demander pourquoi les Mégalésies étaient les premiers jeux dans notre ville, lorsque la déesse (elle m'a deviné en effet) dit: "C'est elle qui a engendré les dieux; ils ont cédé la place à leur mère [4,360] et à la Mère revient la préséance de l'honneur rendu." "Pourquoi nommons-nous Galli ceux qui se sont mutilés, alors que la terre de Gaule est si éloignée de la Phrygie?" "Entre le verdoyant mont Cybèle et Célènes la Haute", dit-elle, coule un fleuve, nommé Gallus, à l'eau qui rend fou. 365 Qui en boit devient fou; écartez-vous loin d'ici, vous qui veillez à votre santé mentale: qui boit de cette eau devient fou." "N'est-ce pas honteux", dis-je, "d'avoir servi le moretum sur les tables de la Maîtresse: ou y a-t-il une raison cachée?" "On raconte que les anciens consommaient du lait pur [4,370] et les herbes que la terre produisait spontanément", dit-elle; "du fromage blanc est mélangé à des herbes broyées, afin que la première des déesses connaisse les premières nourritures. Lorsque l'Aurore suivante, fille de Pallas, éclairera le ciel dégagé d'étoiles, et lorsque la Lune aura dételé ses blancs chevaux, 375 celui qui dira: "Autrefois, en ce jour, on a consacré un temple à la Fortune Publique, sur le Quirinal", sera dans le vrai. C'était, je m'en souviens, le troisième jour des jeux, et, près de moi, un autre spectateur assez âgé dit: "C'est ce jour-là que, sur la côte de Libye, César a écrasé [4,380] les armées traîtresses du valeureux Juba. Mon chef était César, et je suis fier de l'avoir servi comme tribun: il avait le commandement quand j'étais en service. Moi, je dois ce siège à ma vie de soldat, toi, c'est en temps de paix que tu l'as gagné, exerçant ta charge parmi les décemvirs". 385 Nous allions bavarder davantage quand une averse soudaine nous sépara. La Balance inclinée ébranlait les eaux du ciel. Cependant, avant que le dernier jour ne mette fin aux spectacles, Orion, le porteur de glaive, aura plongé dans la mer. Lorsque l'Aurore suivante aura vu la Rome victorieuse [4,390] et lorsque les étoiles en fuite auront fait place à Phébus, une procession et des dieux en foule empliront le Cirque; les chevaux rapides comme le vent aspireront à la palme. Ensuite viennent les jeux de Cérès: indiquer leur raison d'être est superflu; les faveurs et les mérites de la déesse sont évidents. 395 Les premiers hommes avaient en guise de pain les herbes vertes offertes par la terre, sans que personne ne le demande; tantôt ils cueillaient les plantes poussant sur le sol, tantôt les pointes des tendres frondaisons faisaient leur repas. Après cela, on connut le gland: c'était bien déjà d'avoir trouvé le gland; [4,400]du reste, les ressources du robuste chêne étaient magnifiques. Cérès la première invita l'homme à mieux s'alimenter et remplaça les glands par une nourriture plus salutaire. Elle contraignit les taureaux à tendre le cou sous le joug; alors on creusa la terre qui pour la première fois vit le soleil. 405 Le bronze avait du prix, le fer des Chalybes restait caché. Hélas! Que n'est-il resté enfoui à jamais! La paix rend Cérès heureuse; et vous, paysans, priez pour obtenir une paix perpétuelle et un chef pacifique. Vous pouvez offrir à la déesse de l'épeautre, lui faire l'hommage [4,410] d'un peu de sel brillant et de grains d'encens jetés dans un vieux foyer; et si vous n'avez pas d'encens, enduisez des torches de poix et allumez-les; la bonne Cérès agrée une offrande modeste, pourvu qu'elle soit pure. Sacrificateurs à la tunique retroussée, écartez du boeuf vos couteaux; le boeuf doit labourer; immolez une truie paresseuse. 415 Une hache ne doit pas frapper cette nuque faite pour le joug: que le boeuf vive et peine souvent à travailler la terre dure! À ce point du récit, je dois parler du rapt de la fille de Cérès. tu reconnaîtras la plupart des faits; tu n'apprendras pas grand-chose. La terre aux trois promontoires s'avance dans la vaste mer; [4,420] la Trinacrie, qui tient son nom de la configuration du lieu, est un séjour aimé de Cérès: elle y possède de nombreuses villes, parmi lesquelles la fertile Henna aux terres bien cultivées. La fraîche Aréthuse avait invité des divinités vénérables; et la blonde déesse était venue au banquet sacré. 425 Sa fille, avec son escorte habituelle de jeunes filles, errait, pieds nus, dans les prés qui lui étaient familiers. Au fond d'un val ombragé, il est un endroit humide abondamment arrosé par une eau cascadant d'une hauteur. Là se trouvaient tous les tons qui existent dans la nature [4,430] et la terre brillait, piquée de fleurs de toutes sortes. Dès qu'elle l'aperçut, la jeune fille dit: "Mes amies, venez, et reportons ensemble des fleurs, emplissant les plis de nos robes!" Les jeunes filles sont ravies à la pensée de ce butin léger, et malgré leur ardeur, elles ne sentent pas la fatigue. 435 L'une emplit des paniers tressés de souple osier, une autre son jupon, cette autre les plis de son corsage. Celle-là cueille des soucis, celle-ci cherche les violettes, celle-là d'un coup d'ongle coupe des têtes de pavots. Jacinthe, tu retiens ces filles-ci; amarante, tu en retardes d'autres, là. [4,440] Certaines aiment le thym, d'autres le coquelicot et le mélilot. Les roses surtout sont cueillies en masse, et aussi des fleurs sans nom. Corè, pour sa part, choisit de frêles crocus et des lis blancs. Dans son zèle pour les cueillir, elle s'écarte un peu trop et, par malheur, aucune compagne n'a suivi sa maîtresse. 445 Son oncle paternel la voit; l'ayant vue, il l'enlève prestement et sur ses sombres chevaux l'emporte dans son royaume. Elle pourtant criait: "Ah! Mère chérie, on m'enlève!", tout en déchirant le devant de sa robe; entre-temps, une voie s'est ouverte devant Dis: c'est que les chevaux, [4,450] ne sont pas habitués et supportent à peine la lumière du jour. Mais le choeur de ses amies, ses suivantes toutes chargées de fleurs, se mettent à crier "Perséphone, viens voir nos présents!" Comme ces appels restent sans réponse, elles emplissent les monts de leurs cris et pleines de tristesse, frappent de leurs mains leurs poitrines dénudées. 455 Cérès atterrée par ces gémissements (elle venait d'arriver à Henna), dit sans attendre: "Malheur à moi! Ma fille, où es-tu? L'esprit égaré, elle s'emporte, telles les Ménades de Thrace qui, comme on nous l'a dit souvent, s'en vont cheveux défaits. Quand son veau est arraché à sa mamelle, une mère mugit [4,460] et cherche ses petits à travers l'ensemble des bois, ainsi la déesse, ne contenant pas ses gémissements, s'élança en une course effrénée, à partir de tes plaines, Henna. Ensuite elle trouva des marques de pas de sa fille et remarqua sur la terre foulée une empreinte connue. 465 Peut-être ce jour-là aurait-il été le dernier de son errance, si des porcs n'avaient brouillé les traces qu'elle avait découvertes. Et déjà dans sa course, elle a dépassé Leontini et le cours d'eau Amenanos, et toi, Acis, aux rives herbeuses. Elle dépasse encore la Cyanè et les sources du paisible Anapus, [4,470] et toi, Gélas, que tes tourbillons rendent inaccessible. Elle avait quitté Ortygie et Mégare et le Pantagias ainsi que la mer où se jettent les eaux du Symèthe, les antres brûlés des Cyclopes avec leurs cheminées dressées, et cet endroit qui porte le nom d'une faucille incurvée, 475 et Himère, et Didyme, et Acragas et Tauroménium, et aussi le Mélas, les fertiles pâtures des boeufs sacrés. Après cela, elle gagne Camérina, Thapsos et la Tempé de l'Hélore, et l'endroit où s'étend l'Éryx, toujours ouvert au zéphyr. Déjà elle avait parcouru Pélorias et Lilybée, [4,480] déjà aussi Pachynum, les promontoires de sa terre. Où qu'elle pénètre, elle emplit tous les lieux de ses plaintes, tel l'oiseau qui gémit sur la perte d'Itys. Et tour à tour, elle crie, tantôt: "Perséphone!", et tantôt: "ma fille!", elle crie et lance alternativement chacun des deux noms; 485 mais Perséphone n'entend pas Cérès, la fille n'entend pas sa mère, les deux noms l'un après l'autre se perdent. Avait-elle aperçu un berger ou un laboureur dans son champ, elle répétait cette seule phrase:"Une fille n'est-elle pas passée par ici?" Bientôt la couleur des choses devient uniforme, [4,490] l'obscurité recouvre tout; déjà les chiens vigilants se sont tus. L'Etna altier s'étend par-dessus les gueules de l'immense Typhée dont l'haleine de feu embrase la terre. Là, elle alluma deux pins en guise de lampes; d'où encore de nos jours, lors de ses fêtes, on offre une torche à Cérès. 495 Il existe une caverne creusée dans la pierre ponce rugueuse et rongée, endroit où n'ont accès ni homme, ni bête sauvage; dès qu'elle y parvient, elle attelle à son char des serpents bridés et franchit sans se mouiller les eaux de la plaine marine. Évitant les Syrtes, elle vous échappa, toi, Charybde de Zancle, [4,500] et vous, chiens de Nisus, monstres naufrageurs; et survolant l'immense Adriatique et Corinthe aux deux mers, elle parvint ainsi à ton port, ô terre d'Attique. Là, sur un roc glacé, elle s'assit pour la première fois, accablée de tristesse: de nos jours encore les Cécropides appellent cet endroit le "rocher triste". 505 À la belle étoile, de nombreux jours durant, elle resta là sans bouger, endurant les nuits lunaires et les eaux de pluie. À chaque lieu son destin: les terres appelées aujourd'hui l'Éleusis de Cérès, appartenaient autrefois au vieux Célée. Il rapportait chez lui des glands et des mûres, qu'il avait cueillies [4,510] en secouant les ronces, et du bois sec pour allumer ses feux. Sa petite fille ramenait deux chèvres de la montagne, et son fils, un bambin délicat, était malade, dans son berceau. "Mère!", dit la fillette (la déesse, entendant le mot mère, s'émut), "Que fais-tu en ces lieux déserts, sans personne qui t'accompagne?" 515 Le vieillard aussi s'arrêta, malgré le poids de sa charge, et la pria de pénétrer sous son toit, si petite que soit sa chaumière. Elle refusa (elle avait prit l'apparence d'un vieille femme et serré ses cheveux dans un turban); elle lui dit, comme il insistait: "Je te souhaite bonne santé, et d'être toujours père. Ma fille a été enlevée. [4,520] Hélas! Combien ton sort est meilleur que le mien!" À ces mots, telle une larme (car les dieux ne pleurent pas), une goutte toute brillante tomba sur son sein tiède. Vieillard et fillette ont le coeur ému et pleurent à l'unisson; après quoi le bon vieillard énonça ces mots: 525 "Que la fille enlevée que tu recherches te revienne saine et sauve; mais lève-toi et ne dédaigne pas le toit de ma modeste maison." La déesse lui dit: "Guide-moi! Tu as su trouver le moyen de me forcer"; Alors elle se lève de son rocher et suit le vieil homme. Chemin faisant, il raconte à sa compagne que son fils est très malade: [4,530] il ne dort plus et ses souffrances le tiennent éveillé. Avant d'entrer dans la chaumière, elle ramasse sur le sol en friche de doux pavots qui apportent le sommeil. On dit que, tout en les cueillant, elle y goûta machinalement, et que, sans y penser, elle apaisa sa longue faim. 535 Parce que son jeûne prit fin au début de la nuit, les mystes ont vu que l'apparition des étoiles marquait le moment de manger. Dès qu'elle eut franchi le seuil, elle vit toute la maison en deuil; pour l'enfant, il n'y avait plus aucun espoir de salut. La déesse salua la mère, qui s'appelait Métanire, [4,540] et consentit à poser sa bouche sur celle de l'enfant. La pâleur disparaît et soudain on voit les forces regagner le corps: si grande est la vigueur émanant de la bouche divine. Toute la maison est en fête, à savoir le père, la mère et la fille: à eux trois, ils constituaient toute la maison. 545 Bientôt, un repas est servi, du lait caillé, des fruits et du miel doré dans ses rayons. La bienveillante Cérès s'abstient, et pour t'endormir, enfant, elle te donne du pavot à boire avec du lait tiède. C'était le milieu de la nuit, où régnait le silence d'un paisible sommeil. [4,550] La déesse souleva Triptolème sur ses genoux et trois fois le caressa de la main, chanta trois incantations, incantations que ne peut reproduire une voix humaine; de la cendre ardente d'un foyer elle couvrit le corps de l'enfant, afin que le feu le purifiât de son poids humain. 555 La mère, sottement attentionnée, se réveille, et s'écrie, hors d'elle: "Que fais-tu?", et elle retire du feu le corps de l'enfant. La déesse lui dit: "Sans le vouloir, tu es devenue criminelle: ta crainte de mère a réduit à néant mes dons. Toutefois, cet enfant, qui sera mortel certes, le premier labourera, [4,560] sèmera et récoltera les fruits d'une terre cultivée." Cérès finit de parler et, en sortant, elle attire vers elle une nuée, se dirige vers ses dragons et est emportée sur son char ailé. La déesse quitte le cap Sounion exposé aux vents, la sûre retraite du Pirée et le rivage qui s'étend sur sa droite. 565 Ensuite elle pénètre dans la mer Égée, et y voit toutes les Cyclades; elle choisit l'impétueuse mer bordant l'Ionie et la mer Icarienne, puis, survolant les villes d'Asie, rejoint l'Hellespont étiré. Suspendue dans les airs, elle poursuit en tous sens ses errances. D'en haut, elle aperçoit tantôt les Arabes cueilleurs d'encens, tantôt les Indiens; [4,570] ensuite, sous ses yeux voici la Libye, puis Méroé et sa terre desséchée. Ensuite elle aborde les terres occidentales, le Rhin, le Rhône, le Pô, et toi, Thybris, destiné à devenir le père d'un fleuve puissant. Où suis-je emporté? C'est une tâche immense de citer les terres parcourues: dans le monde, il n'est point de lieu où ne soit passée Cérès. 575 Elle erre encore dans le ciel, s'adressant aux constellations voisines du pôle glacé, qui ne sombrent pas dans la mer limpide: "Étoiles de Parrhasie (oui, vous pouvez tout connaître, puisque jamais vous ne plongez dans les ondes marines), montrez à une mère malheureuse sa fille Perséphone!" [4,580] Elle avait fini de parler. Hélicé lui répond en ces termes: "La Nuit est exempte de tout reproche; sur le rapt de cette jeune fille, consulte le Soleil, qui voit largement les événements diurnes." Le Soleil abordé dit: "Ne te donne pas de mal en vain: tu cherches l'épouse du frère de Jupiter, celle qui règne sur le troisième royaume." 585 Longtemps elle se lamenta seule, puis elle s'adressa ainsi au dieu Tonnant, le visage marqué par une très vive souffrance: "Si tu te souviens de qui est née ma fille Proserpine, elle doit faire pour moitié l'objet de ton souci. Errant à travers le monde, j'ai constaté une seule injustice commise: [4,590] c'est le ravisseur qui est récompensé pour sa faute. Mais Perséphone n'a pas mérité un mari qui soit un brigand, et nous ne devions pas nous trouver un gendre de cette façon-là. M'imaginant captive de Gygès victorieux, qu'aurais-je subi de pire que mon sort présent, alors que tu détiens le sceptre du ciel? 595 En vérité, qu'il reste impuni, je supporterai de n'être pas vengée; pourvu qu'il la rende et que sa conduite nouvelle corrige ses actes passés." Jupiter la calme et justifie ce rapt par l'amour, et dit: "Mais il n'est pas un gendre dont nous ayons à rougir; moi-même, je ne le surpasse pas en noblesse; le royaume du ciel m'est échu, [4,600] un autre règne sur les eaux, un autre sur le monde vain des ténèbres. Mais si d'aventure tu ne peux changer ton coeur, Si tu as vraiment décidé de briser les liens d'un mariage conclu, faisons encore un essai, si du moins elle est restée à jeun; sinon, elle sera l'épouse d'un conjoint infernal." 605 Sur ordre, le porteur du caducée prend ses ailes, gagne le Tartare, revient plus vite qu'espéré et rapporte ce qu'il a vu, de source sûre: "Une fois enlevée", dit-il, "elle a rompu son jeûne avec trois graines enveloppées dans la souple écorce d'une grenade. La mère affligée gémit tout autant que si sa fille venait d'être enlevée; [4,610] et mit un long moment à se remettre, à grand-peine. Puis elle dit ainsi: "Pour moi, habiter au ciel n'est plus possible; ordonne que l'on m'accueille aussi dans la vallée du Ténare!" Et elle allait passer à l'acte, si Jupiter n'avait convenu que Proserpine vivrait au ciel durant six mois. 615 Alors enfin Cérès retrouva son sourire et ses esprits et posa sur sa chevelure une couronne d'épis. Dans les champs laissés en jachère on récolta une abondante moisson, et l'aire contint avec peine les richesses qu'on y amassait. Le blanc sied à Cérès: aux fêtes de Cérès, portez des vêtements blancs; [4,620] de nos jours l'usage de laine sombre a disparu. Jupiter, surnommé le Vainqueur, règne sur les Ides d'avril: c'est ce jour-là que lui a été offert un temple. Ce jour aussi, sauf erreur, la Liberté, bien méritée pour notre peuple, a commencé de posséder son Atrium. 625 Le matin suivant, marin, gagne un port sûr: le vent du Couchant soufflera, mêlé de grêle. De toute façon, c'est pourtant à la faveur de cette grêle que César avec ses troupes écrasa l'armée de Modène. Lorsque se sera levé le troisième jour après les Ides de Vénus, [4,630] Pontifes, offrez en sacrifice agréable une vache pleine. Une vache qui porte est dite Forda et sa portée désigne qu'elle est féconde. On pense que les foetus aussi tirent de là leur nom. À ce moment, le bétail est gravide; gravide aussi la terre ensemencée. À la Terre pleine est offerte une victime pleine. 635 Une partie des victimes est immolée sur la citadelle de Jupiter; à chacune des trente curies échoit une vache, et le sang répandu dégouline. Mais, dès que les préposés ont arraché les veaux aux entrailles de leur mère et offert les morceaux de fressure sur les foyers fumants, la Vestale la plus âgée brûle les veaux dans le feu: [4,640] et cette cendre servira à purifier le peuple au jour de Palès. Au temps du roi Numa, la récolte ne répondant pas aux efforts fournis, les voeux des cultivateurs déçus demeuraient sans effets. L'année souffrait de sécheresse, sous l'Aquilon glacial; ou les champs étaient gorgés d'eau, à cause de pluies incessantes. 645 Souvent Cérès, dès l'apparition des premières pousses, décevait le maître, et la folle avoine envahissante occupait le sol; les troupeaux mettaient bas des prématurés avant leur terme et l'agneau naissant causait souvent la mort de la brebis. Une antique forêt, longtemps restée à l'abri des coups de hache, [4,650] abritait un lieu sacré, réservé au dieu du Ménale. Ce dieu fournissait des réponses aux esprits au repos, dans la nuit silencieuse. En ce lieu, Numa immole deux brebis. Il offre la première à Faunus, la seconde au doux Sommeil; il étend les deux toisons sur le sol dur. 655 Deux fois il inonde d'eau de source sa tête chevelue, deux fois, il se couvre les tempes de feuilles de hêtre. Il s'abstient des plaisirs de Vénus; à table, la viande est interdite et ses doigts ne portent aucun anneau. Vêtu d'un habit grossier, il s'étend sur les toisons nouvelles [4,660] après avoir invoqué le dieu dans les termes adéquats. Pendant ce temps, vient la Nuit, le front serein orné de pavot, entraînant avec elle les songes noirs. Faunus se présente et, piétinant lourdement les peaux de mouton, énonce les mots suivants, depuis le côté droit de la couche: 665 "Roi, la mort de deux vaches doit apaiser la Terre; qu'une seule bête offre deux vies en sacrifice". L'effroi le tire de son sommeil: Numa repense à sa vision et s'interroge sur ces ordres énigmatiques et incompréhensibles. Son épouse, si chère au bois sacré, l'arrache à ses hésitations [4,670] et dit: "On te réclame la fressure d'une vache pleine." On offre la fressure d'une vache pleine; l'année s'avère féconde, et la terre autant que le bétail portent des fruits. Autrefois, Cythérée ordonna à ce jour d'accélérer son allure et lança les chevaux du Soleil, les précipitant à brides abattues, 675 pour que, dès la pointe de l'aube suivante, une guerre salutaire apporte au jeune Auguste le titre de général en chef. Mais déjà Lucifer voit derrière lui, pour la quatrième fois, les Ides passées; cette nuit-là, les Hyades prennent possession de Doris. Quand se sera levé le troisième jour après la disparition des Hyades, [4,680] on verra, au Cirque, les chevaux répartis à leur point de départ. Pourquoi donc envoie-t-on des renards portant des torches allumées liées sur leur dos? Il me faut en expliquer la raison. À Carséoli, la terre est froide et impropre à produire des olives, mais c'est une campagne naturellement propice aux céréales. 685 Passant par là, j'allais chez les Pélignes, ma terre natale, territoire réduit, mais où toujours on rencontre de l'eau en abondance. Je suis entré chez un vieil hôte, dans une maison qui m'était familière (Phébus déjà avait retiré leur joug à ses chevaux au bout de leur course). Le vieux avait l'habitude de me conter une foule de choses, et notamment celle-ci, [4,690] qui me permet de développer l'ouvrage qui m'occupe maintenant. "Dans cette plaine", dit-il en me la montrant, "il y avait un petit champ, appartenant à une paysanne regardante et à son rude mari ". L'homme parcourait sa terre, en se servant d'une charrue ou d'une faucille recourbée ou d'un hoyau. 695 Quant à la femme, tantôt elle balayait sa ferme étayée par des piliers, tantôt elle déposait des oeufs sous les plumes d'une couveuse, cueillait des mauves vertes ou des champignons blancs, ou alimentait un feu bienfaisant dans un modeste foyer. Et cependant, elle ne cessait de se fatiguer les bras à tisser, [4,700] et à s'armer ainsi contre les menaces du froid. Son fils était espiègle, dans les premières années de son âge, à deux lustres il avait ajouté deux années. Au fond d'une vallée encaissée, plantée de saules, il attrapa un renard qui avait enlevé nombre de volailles de leur basse-cour. 705 Il enveloppa de paille et de foin la bête capturée, et y mit le feu. Le renard échappa à ces mains incendiaires. Partout où il fuyait, il mettait le feu aux champs couverts de moissons; le vent qui soufflait donnait des forces au feu dévastateur. L'événement est passé, le souvenir en subsiste. Maintenant encore, [4,710] une loi de Carséoli interdit de laisser vivre un renard capturé, et pour expier sa peine, cette race est brûlée lors des Cerealia, et elle périt, de la façon dont elle a fait périr les récoltes". Lorsque le jour suivant, la mère rougeoyante de Memnon viendra sur ses chevaux rosés visiter les terres offertes à sa vue, 715 le soleil s'éloignera du maître du troupeau porte-laine qui trahit Hellé: une fois sorti du Bélier, il se trouve en présence d'une victime plus grande. On ne peut pas savoir si c'est une vache ou un taureau: on en distingue la partie antérieure, la partie arrière reste cachée. Toutefois, que ce signe soit taureau ou vache, [4,720] il est une récompense de l'amour, au grand déplaisir de Junon. La Nuit s'en est allée et l'Aurore se lève: je dois traiter des Parilia; et on ne me sollicite pas en vain, si Palès la bienveillante m'aide. Bienveillante Palès, sois propice au chantre de ta fête pastorale, puisque mon devoir est de célébrer tes faits et gestes. 725 Certes, j'ai souvent apporté moi-même, à pleines mains, la cendre de veau et les tiges de fèves, offrandes purificatoires passées au feu. Certes, j'ai sauté trois fois par-dessus des rangs de flammes alignés, et une branche de laurier mouillé m'a aspergé de gouttes d'eau. La déesse, touchée, se montre favorable à ma tâche. [4,730] Ma barque quitte le port; de bons vents déjà gonflent mes voiles. Peuple, va quérir à l'autel de la Vierge une préparation purificatoire. Vesta te la donnera; grâce à ce présent de Vesta, tu seras pur. Il sera constitué de sang de cheval, de cendre de veau, et d'un troisième élément, de la paille creuse d'une fève dure. 735 Berger, purifie tes brebis repues, lorsque tombe le crépuscule. Avant, tu auras aspergé et balayé la terre à l'aide d'une branche, décoré la bergerie en y fixant des rameaux feuillus, et orné les portes de longues guirlandes. Que de sombres fumées de soufre pur s'élèvent, [4,740] et que la brebis, sous l'effet du soufre fumant, se mette à bêler. Brûle des branches d'olivier mâle, une torche de pin et des herbes sabines, et que le laurier léché par la flamme crépite au centre du foyer. Apporte ensuite une corbeille de millet et des gâteaux de millet. La déesse des campagnes apprécie tout spécialement cet aliment. 745 Ajoute un vase de lait et les mets qu'elle aime; une fois les parts découpées, invoque, avec une offrande de lait tiède, Palès, l'hôtesse des forêts. Dis-lui: "Veille sur le troupeau, et aussi sur les bergers; repousse le malheur et fais-le fuir loin de mes étables. Si j'ai fait paître dans un lieu saint, si je me suis assis sous un arbre sacré, [4,750] si une brebis inconsciemment a brouté sur les tombeaux, si j'ai pénétré dans un bois interdit et si mes regards ont fait fuir les nymphes et le dieu à demi bouc, si ma faucille a dépouillé le bois sacré d'une de ses branches, pour offrir une corbeille de feuillage à une brebis malade, 755 accorde ton pardon à ma faute. Ne me reproche pas d'avoir, pendant une forte grêle, abrité mon troupeau dans un sanctuaire rustique. Ne me tiens pas rigueur d'avoir troublé les eaux des étangs: ô Nymphes, pardonnez à la bête dont le sabot a souillé vos eaux. Toi, déesse, rends-nous propices les sources et les divinités des fontaines, [4,760] apaise les dieux disséminés à travers tout le bois sacré. Évite-nous d'apercevoir les Dryades et Diane à son bain, et Faunus, quand, au milieu du jour, il se repose dans les champs. Repousse au loin les maladies; donne aux hommes de la vigueur, ainsi qu'aux troupeaux et à la foule des chiens, gardiens prévoyants. 765 Que les moutons que je ramène ne soient pas moins nombreux que le matin, et puissé-je ne pas rapporter en gémissant des toisons arrachées au loup. Que l'inique famine reste à l'écart; qu'affluent herbes et feuillage, et eaux, où nous pourrons nous baigner, nous désaltérer. Que je presse des mamelles pleines, que le fromage rapporte du profit, [4,770] que le petit-lait s'égoutte à travers l'osier lâchement tressé; que le bélier se montre ardent et que sa compagne fécondée mette bas, et que les agneaux soient nombreux dans mon étable; qu'ils produisent une laine qui jamais ne blessera les jeunes filles, une laine souple et faite pour les mains les plus délicates. 775 Puissent mes prières se réaliser et, chaque année, nous ferons de grands gâteaux en l'honneur de Palès, la reine des bergers." C'est par ces mots qu'il faut amadouer la déesse: tourne-toi vers le Levant, prononce-les trois fois, puis lave-toi les mains dans l'eau vive. Alors tu pourras préparer, en guise de cratère, une écuelle [4,780] et boire du lait de neige et du vin pourpre. Ensuite, d'un pied leste, avec ardeur, franchis des tas enflammés de paille crépitante. La coutume a été décrite; il me reste à en dire l'origine. La foule de ses causes me laisse perplexe et entrave mon entreprise. 785 Le feu dévorant purifie tout et la fusion des métaux en expulse les défauts: est-ce pour cela qu'on purifie avec lui les brebis et leur berger? Ou est-ce parce que eau et feu, éléments premiers de toutes choses, opposés entre eux, sont des divinités ennemies, que nos pères les ont réunis, pensant approprié [4,790] de traiter un corps par le feu et par une aspersion d'eau? Sont-ils si importants parce qu'en eux réside la cause de la vie, parce qu'ils sont interdits à l'exilé, parce qu'on les présente à la jeune épouse? J'ai peine à le croire, mais certains pensent que cette coutume rappelle Phaéton et les eaux diluviennes de Deucalion. 795 D'autres racontent aussi qu'une étincelle jaillit soudainement quand des bergers frappaient des pierres l'une contre l'autre; la première s'éteignit sans doute; des fétus de paille recueillirent la seconde: est-ce la raison des flammes des Parilia? Ou est-ce plutôt la piété d'Énée qui fit naître cette coutume, [4,800] Énée vaincu qui trouva sans dommage son chemin à travers le feu? Mais voici une explication plus vraisemblable: lors de la fondation de Rome, on ordonna de transférer les Lares sous un autre toit. Les paysans, quittant leur demeure rustique pour une maison, boutèrent le feu à leur cabane vouée à disparaître, 805 et avec leurs troupeaux sautèrent à travers les flammes. Cela se passe encore aujourd'hui à ton anniversaire, ô Rome. C'est l'occasion d'une transition pour le poète: voici venue la naissance de la Ville; aide-moi, grand Quirinus, à chanter tes exploits! Déjà le frère de Numitor avait expié son châtiment [4,810] et toute la bande des bergers était soumise aux deux jumeaux. Tous deux décident de rassembler les paysans et d'établir une muraille; on hésite sur lequel des deux installera les murs. "Il n'est pas nécessaire de nous disputer", dit Romulus. "Nous avons grande confiance dans les oiseaux; consultons-les." 815 L'idée est retenue: l'un se rend sur les rochers boisés du Palatin, l'autre gagne au matin le sommet de l'Aventin. Rémus aperçoit six oiseaux, et son frère deux fois six, en file; un accord est trouvé, et Romulus a pouvoir de fonder la Ville. On choisit le jour adéquat où la charrue marquera les remparts: [4,820] les fêtes de Palès approchaient; on commence le travail ce jour-là. On creuse une fosse jusqu'au roc; au fond, on y jette des fruits et de la terre provenant des alentours. Une fois la fosse comblée, elle est surmontée d'un autel, et on allume le feu allumé sur un foyer nouveau. 825 Ensuite, pressant le manche de sa charrue, Romulus trace un sillon pour les murs. Une vache blanche et un boeuf à la robe de neige tiraient l'attelage. Le roi prononça cette phrase: "Maintenant que je fonde cette ville, ô Jupiter, et toi, Mars mon père, et toi auguste Vesta, soyez-moi propices. Et vous, dieux qu'il est pieux d'invoquer, tournez-vous vers moi! [4,830] Puisse mon oeuvre surgir sous vos auspices! Que cette terre souveraine connaisse durée et puissance et que son empire voit le jour se lever et se coucher." Il priait, et par un grondement de tonnerre sur sa gauche Jupiter envoya un présage, et lança des éclairs sur la gauche du ciel. 835 Heureux de cet augure, les citoyens jettent les fondations et, en peu de temps, un nouveau mur s'élève. Céler fait avancer le travail; Romulus lui-même l'avait convoqué et lui avait dit: "Celer, veille à deux choses: que nul ne franchisse les murs et la tranchée creusée par la charrue; [4,840] et si quelqu'un ose le faire, mets-le à mort." Ignorant cet ordre, Rémus commença à regarder avec mépris ces humbles murs et dit: "C'est avec çà que le peuple sera à l'abri?" Et aussitôt, il sauta par-dessus: d'un coup de pelle Céler répond à cette audace. Rémus, dégoulinant de sang s'abat sur la terre dure. 845 Aussitôt informé de l'événement, le roi ravale ses larmes qui jaillissent et garde sa blessure enfermée dans son coeur. Il ne veut pas pleurer en public et, faisant preuve d'un courage exemplaire, il dit: "Qu'ainsi soit traité l'ennemi qui franchira mes murs". Il accorde toutefois des funérailles et sans plus pouvoir retenir ses larmes, [4,850] il laisse paraître au grand jour la piété fraternelle qu'il avait dissimulée. Une fois le brancard posé, il donna à la dépouille un ultime baiser et dit: "Mon frère, qui me fus enlevé contre mon gré, adieu!". Puis il parfuma son cadavre qu'on allait brûler. L'imitèrent Faustulus et Acca, abîmée dans la tristesse et cheveux dénoués. 855 Alors ceux qui n'étaient pas encore les Quirites pleurèrent le jeune homme. Enfin, on bouta la flamme ultime au bûcher baigné de larmes. Une ville naît - qui aurait pu alors faire croire cela à quelqu'un? -, qui un jour imposera son pied victorieux à l'univers. Puisses-tu gouverner toutes choses, toujours soumise au grand César. [4,860] Aie souvent même de nombreux maîtres portant ce nom. Et quand, élevée bien haut, tu te dresseras sur le monde dompté, que, chaque fois, rien n'atteigne la hauteur de tes épaules! J'ai parlé de Palès: je parlerai de même des Vinalia. Un jour cependant s'intercale entre les deux fêtes. 865 Filles publiques, célébrez la puissance de Vénus. Vénus veille grandement aux gains des professionnelles de l'amour. Offrez-lui de l'encens; demandez-lui la beauté et la faveur du peuple, réclamez-lui l'art des caresses et des paroles enjouées. Et donnez à votre souveraine, avec son myrte, la menthe qu'elle aime [4,870] et des tresses de jonc recouvertes de roses entrelacées. Il convient maintenant de se rendre au temple voisin de la Porte Colline; il tient son nom d'une colline sicilienne. Quand Claudius en armes s'empara de Syracuse, la ville d'Aréthuse, et te conquit toi aussi, Éryx, au cours de la guerre, 875 suite à un oracle de la Sibylle bien vivante, on transféra Vénus qui préférait être honorée dans la ville où vivait sa race. Vous voulez savoir pourquoi on appelle la fête de Vénus les Vinalia et pourquoi ce jour est consacré à Jupiter. Une guerre devait décider qui de Turnus ou d'Énée serait le gendre [4,880] d'Amata, la Latine; Turnus demande avec insistance l'aide des Étrusques. Mézence était célèbre, et redoutable quand il était revêtu de ses armes; grand sur sa monture, il était plus imposant encore debout, en pied; Turnus avec ses Rutules tente de l'attirer dans son camp. Le chef étrusque lui rétorque: 885 "J'ai de la vaillance, et qui n'est pas rien: en témoignent mes blessures et mes armes, souvent aspergées de mon sang. Toi qui demandes de l'aide, accorde-moi une toute petite récompense, partage avec moi le prochain moût de tes cuves. Il ne faut pas tarder: à vous de donner, à moi de vaincre. [4,890] Ah! Comme Énée voudrait que ma demande soit refusée!" Les Rutules étaient d'accord. Mézence revêt ses armes; Énée s'arme aussi et s'adresse à Jupiter: "La vendange de l'ennemi a été promise au roi tyrrhénien; C'est toi, Jupiter, qui emporteras le moût du vignoble du Latium!" 895 Les souhaits les meilleurs l'emportent: le grand Mézence s'écroule et, la rage au coeur, heurte le sol. L'Automne arriva, tout barbouillé des raisins que l'on foule: il est juste de rendre à Jupiter les vins qu'on lui doit; c'est pour cela que ce jour est appelé Vinalia; [4,900] Jupiter le revendique et se réjouit qu'il fasse partie de ses fêtes. Lorsque avril atteindra les six jours qui lui restent, la saison du printemps sera au milieu de sa course; en vain tu chercheras le bélier d'Hellé, l'Athamantide; les averses donnent le signal et le Chien se lève. 905 Ce jour-là, alors que je revenais de Nomentum à Rome, au milieu de la route, je rencontrai une foule vêtue de blanc: un flamen se dirigeait vers le bois sacré de l'antique Robigo, pour offrir aux flammes la fressure d'une chienne et d'une brebis. Aussitôt je m'approchai, pour ne pas rester ignorant de ce rite. [4,910] Voici les paroles que prononça ton flamen, ô Quirinus: "Âpre Robigo, épargne les plantes de Cérès, et laisse s'agiter au-dessus du sol leurs extrémités délicates. Permets aux semailles, nourries par les astres, de croître sous un ciel clément, en attendant d'être mûres pour la faucille. 915 Ta puissance n'est pas anodine: les froments que tu as piqués, le paysan affligé les considère comme perdus. Ni vents ni averses ne causent autant de tort à Cérès, et les moissons brûlées par la gelée blanche pâlissent moins que lorsque Titan darde ses rayons sur les chaumes humides: [4,920] c'est alors, redoutable déesse, que se manifeste ta colère. Épargne les moissons, je t'en prie, et écarte tes mains rugueuses; ne fais point de tort aux cultures; contente-toi d'en avoir le pouvoir. Et acharne-toi, non pas contre les tendres semailles mais contre le fer solide, et fais périr en premier l'élément qui peut en perdre d'autres. 925 Ce sera plus utile si tu ronges les épées et les traits destructeurs: on n'a pas besoin de ces armes; le monde vit en paix. Que maintenant brillent les sarcloirs, le dur hoyau et le soc incurvé, qui sont les richesses de la campagne; la rouille abîmera les armes, et si quelqu'un tente de tirer une épée de son fourreau, [4,930] qu'il l'y sente bloquée après une longue période d'attente. Mais toi, ne nuis pas à Cérès, et qu'en ton absence, le paysan puisse toujours s'acquitter de ses voeux envers toi." Le flamen avait fini. À sa droite se trouvait une serviette effilochée, et, près d'une soucoupe de vin pur, une boîte à encens. 935 Il offrit dans le foyer l'encens, le vin et les viscères d'une brebis de deux ans ainsi que, - je l'ai vu - , la fressure infâme d'une chienne immonde. Puis il me dit (je m'étais informé): "Tu veux savoir pourquoi on fait le sacrifice d'une victime inhabituelle? Apprends-en la raison. Dès l'apparition de la constellation du Chien, - le chien d'Icaros dit-on,- [4,940] la Terre brûlée a soif et la moisson mûrit prématurément. C'est au lieu du chien astral qu'on immole un chien sur l'autel, acte que rien ne justifie, si ce n'est que la victime porte le nom de chien." Lorsque la Tithonienne a délaissé le frère du Phrygien Assaracus et par trois fois a levé sur l'immense univers sa lumière matinale, 945 une déesse arrive, parée de mille couronnes de fleurs de toutes couleurs; la scène d'habitude présente des jeux assez libertins. Et la fête sacrée de Flora se termine aux Calendes de mai. J'y reviendrai alors; à présent, une tâche plus importante me presse. Vesta, réserve-toi ce jour: le seuil d'un parent a accueilli Vesta; [4,950] ainsi l'ont équitablement décidé les sénateurs. Phébus occupe une partie du palais; une autre partie échoit à Vesta; Auguste est le troisième dieu à occuper ce qui reste après eux. Vivent les lauriers du Palatin et vive le palais, orné de chêne: à lui seul, il héberge trois dieux éternels. [5,0] Ovide, Fastes, Livre V. Vous demandez d'où, à mon avis, vient le nom du mois de mai? La cause n'en est pas très claire à mes yeux. Comme un voyageur reste arrêté, hésitant, ne sachant où aller quand il voit un chemin s'ouvrant de tous côtés, 5 ainsi, plusieurs explications pouvant être avancées, je ne sais où me diriger: leur abondance même m'embarrasse. Parlez, vous qui hantez les sources de l'Hippocrène née d'Aganippè, plaisantes traces du cheval de Méduse! Les déesses n'étaient pas du même avis; Polymnie parle la première; [5,10] les autres se taisent, notant mentalement ses paroles. "Après le Chaos, dès que le monde fut doté de trois éléments, et que l'ensemble de l'univers présenta des apparences nouvelles, la Terre s'affaissa sous son propre poids, en attirant la Mer, tandis que le Ciel, plus léger, fut porté vers les régions supérieures. 15 Nulle pesanteur non plus ne retint le soleil et les étoiles, et vous, chevaux lunaires, vous avez pris votre élan. Mais longtemps la Terre ne céda pas devant le Ciel, ni les autres astres devant Phébus: tous jouissaient d'honneurs égaux. Souvent, ô Saturne, un dieu, sortant des rangs du peuple, [5,20] osa s'asseoir sur le trône que tu occupais, et nul dieu nouveau ne s'installait aux côtés d'Océan pour l'escorter. Téthys souvent fut accueillie à la dernière place, jusqu'à ce qu'Honneur et bienséante Révérence au paisible visage se soient installés dans une union nuptiale légitime. 25 Ainsi naquit la déesse Majesté, qui les considéra comme ses parents. Dès le jour de sa naissance, elle fut grande. Aussitôt, dans le ciel, elle siégea au milieu de l'Olympe, toute d'or, attirant les regards dans sa robe de pourpre. À côté d'elle, siégèrent aussitôt Pudeur et Crainte. On pouvait voir [5,30] que chaque divinité avait réglé sur elle ses manières. Bientôt s'insinua dans les esprits l'estime pour les honneurs. On attribuait du prix au mérite et nul ne se complaisait plus en soi-même. Cet état d'esprit subsista dans le ciel durant de nombreuses années, jusqu'au jour où les destins chassèrent de la citadelle le dieu le plus ancien. 35 Terre accoucha de rejetons sauvages, monstres énormes, les Géants, qui allaient oser s'en prendre à la maison de Jupiter. Elle les dota de mille mains, et de serpents au lieu de jambes; elle leur dit: "Prenez les armes contre les grands dieux!" Ils se préparaient à entasser des montagnes bien haut jusqu'aux étoiles [5,40] et à provoquer à la guerre le grand Jupiter. Du haut de la citadelle céleste, Jupiter lança les traits de sa foudre, et retourna contre leurs auteurs les poids énormes qu'ils entassaient. Bien défendue par les armes des dieux, Majesté résiste, et depuis ce temps, elle est toujours là, inébranlable. 45 Ainsi elle siège près de Jupiter, dont elle est le plus sûr gardien, et sans violence, lui garantit son sceptre redoutable. Elle est venue aussi sur la terre: Romulus l'a vénérée, ainsi que Numa, et d'autres aussi, chacun à son époque. C'est elle qui pieusement veille sur l'honneur des pères et des mères, [5,50] elle qui accompagne les jeunes, garçons et filles, elle qui valorise les faisceaux et la chaise curule d'ivoire; altière, elle triomphe tirée par des chevaux couronnés." Polymnie avait fini son discours: ses dires reçurent l'approbation de Clio et de Thalie, qui sait jouer de la lyre courbe. 55 Uranie prend la parole: toutes font silence on ne peut plus entendre aucune voix, sinon la sienne. "Autrefois, une tête blanche était tenue en grand respect et les rides d'un vieillard étaient estimées à leur juste prix. Les jeunes hommes, en de courageux combats, géraient l'oeuvre de Mars, [5,60] et assuraient la garde devant leurs dieux. La vieillesse moins forte et inapte au maniement des armes, apportait souvent son aide à la patrie par ses conseils. À cette époque la curie ne s'ouvrait qu'à des gens arrivés au soir de leur vie et le doux nom de l'âge mûr cadrait bien avec le sénat. 65 Les aînés faisaient les lois pour le peuple; des lois précises déterminaient l'âge qui permet de briguer une charge honorifique. Et quand l'aîné était avec des jeunes gens, sans que ceux-ci en prennent ombrage, il occupait le centre et, s'il n'avait qu'un compagnon, le côté intérieur. Qui aurait osé, en présence d'un vieillard, prononcer un mot qui fasse rougir? [5,70] Une vieillesse avancée donnait accès à la censure. Romulus s'en rendit compte et appela "Patres" les êtres d'élite: à ceux-ci il confia la haute direction de la ville nouvelle. Dès lors, selon moi, les Maiores (aînés) donnèrent leur nom au mois de Mai, en s'inspirant de leur âge. 75 Numitor a peut-être dit: "Romulus, attribue ce mois aux vieillards" et le petit-fils peut n'avoir pas résisté à son aïeul. Une preuve supplémentaire, et qui n'est pas mince, de l'honneur proposé: c'est Juin qui tient son nom de celui des Iuuenes (jeunes gens)." Alors, avec ses cheveux en désordre couronnés de lierre, [5,80] Calliope, à la tête du choeur, se mit à parler: "Jadis Téthys, fille de Titan, avait épousé Océan qui, de ses ondes limpides, entoure la terre sur toute son étendue. Alors leur fille Pleionè s'unit à Atlas, porteur du ciel, comme dit la légende, et mit au monde les Pléiades. 85 On rapporte que parmi elles, Maia surpassait ses soeurs en beauté et qu'elle partagea la couche du souverain Jupiter. Sur le sommet du Cyllène couvert de cyprès, elle accoucha du dieu qui d'un pied ailé parcourt les chemins de l'éther. L'impétueux Ladon et l'immense Ménale l'honorent, et le reste de l'Arcadie, [5,90] une terre que l'on croit plus ancienne que la Lune. Exilé d'Arcadie, Évandre était arrivé dans les campagnes du Latium et y avait importé ses divinités, embarquées avec lui. Ici, où s'élève maintenant Rome, capitale du monde, il y avait des arbres et de l'herbe, quelques animaux et de rares cabanes. 95 Une fois là, sa mère qui connaissait l'avenir dit: "Arrêtez-vous! Cette campagne sera le siège d'un empire". Le héros de Nonacris obéit à sa mère qui était prophétesse et s'installa en hôte sur cette terre étrangère. Il enseigna à ces peuples nombre de rituels sacrés, [5,100] mais d'abord ceux de Faunus le cornu et ceux du dieu aux pieds ailés. Faunus demi-bouc, tu es vénéré par les Luperques aux robes retroussées lorsque, avec les lanières d'une peau, ils purifient les rues pleines de monde. Mais toi, tu as donné au mois le nom de ta mère, toi l'inventeur de la lyre courbe, le protecteur des voleurs. 105 Et ce n'est pas là ton premier acte de piété: tu passes pour avoir donné sept cordes à la lyre, à cause du nombre des Pléiades." Elle aussi avait fini; ses soeurs la louèrent d'une seule voix. Que dois-je faire? Chaque groupe a un poids égal. Puissent les Piérides m'accorder également leurs faveurs, [5,110] et puissé-je n'en louer aucune plus que les autres. Que mon chant parte de Jupiter! Au cours de la première nuit, je puis apercevoir l'étoile qui s'empressa près du berceau de Jupiter: c'est le lever du signe pluvieux de la Chèvre olénienne. elle a sa place au ciel pour prix du lait qu'elle a donné. 115 La naïade Amalthée, célèbre sur l'Ida de Crète, cacha, dit-on, Jupiter dans les forêts. Elle avait une chèvre magnifique, mère de deux chevreaux. On la distinguait parmi les troupeaux du Dicté, grâce à ses hautes cornes recourbées au-dessus de son dos, [5,120] et à un pis comme pouvait en avoir la nourrice de Jupiter. Elle donnait son lait au dieu. Mais elle se brisa une corne contre un arbre, accident qui réduisit de moitié sa beauté. La nymphe recueillit cette corne, l'enveloppa d'herbes fraîches et la porta, remplie de fruits, aux lèvres de Jupiter. 125 Dès que celui-ci, installé sur le trône paternel, détint l'empire du ciel, et que rien n'exista de plus grand que l'invincible Jupiter, il transforma en constellations sa nourrice et la corne féconde de sa nourrice, qui, maintenant encore, porte le nom de la naïade sa maîtresse. En l'honneur des Lares tutélaires, les Calendes de mai [5,130] ont vu s'élever un autel et des petites statues de ces dieux. Curius en avait fait le voeu, mais leur grand âge les a détruits: une vieillesse prolongée endommage même la pierre. La raison du surnom (Praestites) qui leur fut attaché est que leur présence vigilante assure la sécurité de toutes choses. 135 De plus, ils se dressent devant nous et gardent les remparts de la Ville; ils sont toujours présents et apportent leur aide. Par ailleurs un chien sculpté dans la même pierre se tenait à leurs pieds: pourquoi donc un chien se trouvait-il avec le Lare? Tous deux gardent la maison, tous deux aussi sont fidèles à leur maître. [5,140] Le dieu, tout autant que le chien, aime fréquenter les carrefours. Le Lare comme la meute de Diane font détaler les voleurs. Les Lares et les chiens sont toujours en éveil. Je cherchais deux statues des dieux jumeaux: le poids des années les avait détruits. 145 Des Lares par milliers et le Génie du chef qui nous les a transmis appartiennent à la Ville: ce sont là trois divinités honorées dans les quartiers. Mais où suis-je emporté? Cette matière de mon poème revient de droit au mois d'août, celui d'Auguste. D'ici là, il faut chanter la Bonne Déesse. Il existe une levée de terre naturelle qui valut son nom à l'endroit: [5,150] on l'appelle le "Rocher"; il forme une bonne partie de la colline. Rémus s'y était posté en vain au temps où vous, oiseaux du Palatin, avez envoyé à son frère les premiers signes. Nos ancêtres décidèrent d'adosser là, sur une pente douce, un temple qui détestait les regards masculins. 155 Il fut dédié par l'héritière de l'antique nom des Crassus, une vierge qui n'a jamais subi l'étreinte d'un homme. Livie le restaura, qui tenait absolument à imiter son époux et qui le suivit dans tous les domaines. Lorsque le jour suivant, l'Aurore aura chassé les étoiles, [5,160] et levé sa torche couleur de rose sur son attelage matinal, l'Argestès glacial caressera le sommet des épis et les voiles blanches se déploieront, quittant les eaux de la Calabre. Mais dès que le sombre crépuscule aura amené la nuit, pas une seule des Hyades ne restera invisible. 165 Les sept étoiles du Taureau scintillent, rayonnantes de flammes, celles que le marin grec appelle Hyades, du nom de la pluie. Certains pensent qu'elles ont nourri Bacchus, d'autres ont cru qu'elles étaient petites-filles de Téthys et du vieillard Océan. Atlas n'était pas encore debout, portant l'Olympe sur ses épaules, [5,170] lorsque naquit Hyas, dont la beauté attirait tous les regards. La fille d'Océan, Aethra, son terme venu, les mit au monde, lui et les nymphes, mais Hyas fut le premier à voir le jour. À l'époque de son premier duvet, il terrorisait avec des épouvantails les cerfs apeurés, et le lièvre était pour lui une proie facile. 175 Mais lorsque avec les années la vaillance lui vint, il osa affronter de près sangliers et lionnes velues. Tandis qu'il attaquait dans leur tanière les petits d'une lionne, il devint lui-même la proie sanglante de la bête sauvage de Libye. Sa mère pleura Hyas, ses soeurs attristées le pleurèrent, [5,180] et aussi Atlas, qui allait charger le ciel sur ses épaules. L'amour de ses soeurs l'emporta toutefois sur celui de ses parents: il leur valut le ciel, Hyas leur donna son nom. "Mère des fleurs, viens, toi que doivent célébrer des jeux plaisants. Le mois précédent, j'avais différé de traiter de ta fête. 185 Elle commence en avril, et se prolonge en mai: Tu occupes deux mois, la fin de l'un, le début de l'autre. Puisque les confins de ces mois sont tiens et te reviennent, l'un autant que l'autre convient pour chanter tes louanges. C'est en mai que tombent les jeux du cirque et que la palme s'acclame au théâtre; [5,190] puisse mon poème aussi aller de pair avec les spectacles du cirque. Apprends-moi qui tu es: l'avis des humains est trompeur; tu seras le meilleur garant pour expliquer ton propre nom." Telle fut ma demande; voici la réponse de la déesse à mes requêtes (en parlant, sa bouche exhalait un frais parfum de roses): 195 "J'étais Chloris, moi qu'on appelle Flora; une lettre grecque de mon nom a été altérée par la prononciation latine. J'étais Chloris, nymphe de ces champs heureux, où, dit-on, les Bienheureux vivaient jadis dans l'opulence. Décrire combien j'étais belle heurterait ma modestie; [5,200] toutefois cette beauté valut à ma mère un gendre divin. C'était le printemps, j'errais: Zéphyr m'aperçut, je m'éloignai; il me suivit, je m'enfuis: il fut le plus fort. D'ailleurs, ce rapt n'était-il pas entièrement justifié par son frère Borée, qui avait osé lui aussi enlever la fille d'Érechthée? 205 Cependant Zéphyr, me donnant le titre d'épouse, a réparé son outrage et je n'émets aucune plainte à propos de mon mariage. Toujours le printemps me réjouit: toujours l'année est éclatante, toujours l'arbre est couvert de feuilles, la terre de verdure. Parmi les biens de ma dot,je possède un jardin fertile: [5,210] la brise le féconde, une source d'eau limpide l'arrose. Mon époux l'a abondamment empli de fleurs et a dit: 'À toi, Déesse, la souveraineté sur les fleurs'. Souvent j'ai voulu classer et compter leurs couleurs, sans pouvoir y parvenir: leur nombre était trop grand. 215 Dès que les feuilles ont secoué la rosée hivernale, dès que les rayons ont réchauffé les corolles multicolores, les Heures parées de leurs robes diaprées se rassemblent et cueillent mes présents dans leurs corbeilles légères. Aussitôt surviennent les Charites, qui tressent des couronnes [5,220] et des guirlandes pour en entrelacer les chevelures des divinités. La première, j'ai répandu de par le vaste monde des semences nouvelles: avant, la Terre n'avait qu'une seule couleur. Je fus la première à faire, du sang de l'enfant de Thérapné, une fleur dont la feuille porte encore la marque de sa plainte. 225 Toi aussi, Narcisse, tu as ton nom dans les jardins bien cultivés, toi qui souffrais de n'être pas à la fois toi-même et ta propre image. Pourquoi rappeler Crocus, Attis et le fils de Cinyras? de leurs blessures, j'ai fait jaillir de la beauté. Mars aussi, si tu l'ignores, fut mis au monde grâce à mon savoir-faire: [5,230] je t'en prie, que Jupiter continue, comme maintenant, à n'en rien savoir. Lorsque Minerve vint au monde sans mère, la vénérable Junon souffrit de ce que Jupiter n'ait pas eu besoin de son intervention. Elle alla se plaindre à Océan de la conduite de son mari; épuisée par cet effort, elle s'arrêta près de ma porte. 235 Dès que je l'aperçus, je lui dis: "Fille de Saturne, quel vent t'amène?". Elle m'explique où elle veut aller et pourquoi. Je cherchais à l'apaiser en lui parlant avec amitié. 'Ce ne sont pas des paroles qui peuvent soulager ma peine', dit-elle; 'si Jupiter est devenu père, en négligeant de recourir à son épouse, [5,240] et possède à lui seul les noms de père et de mère, pourquoi moi devrais-je désespérer de devenir mère sans mari, et d'enfanter sans toucher un homme, en restant chaste? J'essaierai toutes les drogues existant dans le vaste monde et je remuerai les mers et les gouffres du Tartare.' 245 Tandis qu'elle parlait, je montrais un visage dubitatif. 'Nymphe, il me semble que tu peux faire quelque chose', dit-elle. Trois fois je voulus promettre mon aide, trois fois je retins ma langue: la cause de ma crainte était la colère du grand Jupiter. 'Je t'en prie, accorde-moi ton aide', dit-elle, ton rôle restera caché, [5,250] et je le jurerai par la puissance divine de l'eau du Styx.' Ce que tu demandes, dis-je, une fleur qui me vient des champs d'Olène te le donnera: elle est unique dans mes jardins. Celui qui me l'a donnée a dit: 'Avec elle, touche une génisse même stérile, elle sera mère; je le fis, et instantanément, elle devint mère'. 255 Aussitôt, du pouce je cueillis la fleur qui résistait. J'en effleurai Junon, qui, le sein touché, devint féconde. Enceinte désormais, elle gagne la Thrace et la rive gauche de la Propontide; son voeu s'était réalisé et Mars était né. Lui, qui s'est souvenu de me devoir sa naissance, a dit: [5,260] 'Toi aussi, tu auras ta place dans la ville de Romulus.' Peut-être penses-tu que mon règne se borne aux tendres couronnes? Ma puissance divine s'étend aussi aux champs. Si les champs ensemencés fleurissent bien, la moisson sera riche; si la vigne fleurit bien, il y aura du vin; 265 si les oliviers fleurissent bien, l'année sera très brillante, et la croissance des fruits dépend du temps de la floraison. Une fois que les fleurs sont abîmées, meurent les vesces et les fèves; meurent aussi tes lentilles, ô Nil lointain. Les vins soigneusement abrités dans de grands celliers fleurissent aussi, [5,270] avec un nuage d'écume couvrant le haut des tonneaux. Le miel est mon présent: c'est moi qui convoque sur la violette, le cytise et le thym argenté les insectes qui donneront le miel. C'est aussi mon oeuvre lorsque, dans les années de jeunesse, les âmes sont pleines de fougue et les corps pleins de vigueur.)" Trois nuits plus tard, Chiron fera paraître ses étoiles: 275 Tandis qu'elle parlait, je l'admirais en silence; alors elle dit : "Tu as le droit d'apprendre ce que tu désires savoir". "Déesse", répondis-je, "dis-moi l'origine des jeux." J'avais à peine posé ma question qu'elle me répondit : "Les autres instruments du luxe n'étant pas encore en vigueur, [5,280] était riche l'homme qui possédait du bétail ou de vastes terres (d'où les termes latins locuples et pecunia; mais déjà chacun cherchait à s'enrichir illégalement. L'habitude s'était répandue de faire paître sur le domaine public; ce fut longtemps toléré, sans entraîner aucune sanction. 285 Le peuple n'avait personne pour défendre ses droits sur le bien public; et bientôt faire paître sur ses propres terres passa pour peu avisé. On porta les délits de ce genre devant les édiles de la plèbe, les Publicii; avant cela, les gens avaient manqué de courage pour se défendre. Le peuple recouvra son bien, les coupables encoururent une amende. [5,290] Leur souci du bien public valut des éloges à ses défenseurs. On m'attribua une partie de l'amende, et avec l'approbation générale, les vainqueurs du procès instituèrent de nouveaux jeux. Une autre partie servit à aménager une pente sur un rocher escarpé; c'est maintenant un passage pratique, le Clivus Publicius." 295 J'avais cru que les spectacles avaient lieu chaque année; elle me détrompa et compléta ainsi ce qu'elle avait dit: "Nous aussi les honneurs nous touchent; nous aimons les fêtes et les autels; nous, les habitants du ciel, nous formons un groupe fort exigeant. Souvent quelque faute a rendu les dieux hostiles, [5,300] et le coupable, pour expier son délit, a dû immoler une victime. Souvent j'ai vu Jupiter, prêt déjà à lancer sa foudre, retenir son geste suite à une offrande d'encens. Mais si on nous néglige, l'injure se paie par un lourd châtiment, et notre colère est sans juste mesure. 305 Vois le descendant de Thestius: il périt consumé en l'absence de flammes, parce que l'autel de Phébé était resté dépourvu de feu. Vois le descendant de Tantale: ses voiles furent retenues par cette même déesse; c'est une vierge, et pourtant par deux fois, elle se vengea pour le mépris de ses foyers. Malheureux Hippolyte, tu aurais voulu avoir honoré Dioné, [5,310] lorsque tu fus écartelé par tes chevaux égarés. La liste serait longue des châtiments infligés aux oublis faits aux dieux. Moi aussi, les Sénateurs romains m'ont négligée. Que faire? Par quel moyen manifester ma douleur? Quelle peine exiger pour compenser l'insulte subie? 315 De tristesse, je négligeai mon rôle; je cessai de veiller sur les campagnes et la fertilité des jardins n'avait plus d'intérêt pour moi; les lis étaient tombés, on pouvait voir les violettes se flétrir et s'étioler les tiges du safran pourpré. Souvent Zéphyr me dit: 'Ne laisse pas dépérir ta dot [5,320] par ta propre faute'; mais peu m'importait ma dot. Les oliviers étaient-ils en fleurs: des vents méchants les abîmaient; les champs ensemencés fleurissaient-ils: la grêle saccageait la récolte; la vigne donnait-elle des espoirs: les Austers assombrissaient le ciel et une averse subite la dépouillait de ses feuilles. 325 Je ne voulais pas ces calamités, et dans ma colère, je n'étais pas cruelle, mais je ne prenais pas la peine de les repousser. Les Sénateurs se réunissent et promettent, au cas où la floraison de l'année serait bonne, des jeux annuels à ma divinité. Je consentis à ce voeu: le consul Laenas et le consul Postumius [5,330] s'en acquittèrent, en organisant des jeux en mon honneur. J'étais prêt à demander pourquoi, au cours de ces jeux, le libertinage était plus grand et les plaisanteries plus débridées; mais il me vint à l'esprit que Flora n'est pas une divinité sévère et que les présents qu'elle offre sont liés aux plaisirs. 335 Tous les fronts sont ceints de couronnes tressées et une table somptueuse disparaît sous un tapis de roses. Ivre, un convive, les cheveux dans un bandeau en écorce de tilleul, danse sans retenue, puisant son inspiration dans le vin. Ivre, il chante devant le seuil cruel de sa belle amie; [5,340] ses cheveux parfumés sont entrelacés de souples guirlandes. On ne fait rien de sérieux avec une couronne sur la tête, et les gens parés de guirlandes de fleurs ne boivent pas d'eau pure. Achélous, au temps où ton eau ne se mêlait pas au jus des grappes, on ne trouvait nul plaisir à cueillir des roses. 345 Bacchus aime les fleurs; sa constellation nous apprend que Bacchus a aimé la couronne d'Ariane. Des scènes légères conviennent à Flora; non, croyez-moi, elle n'est pas à ranger parmi les déesses en cothurne. Pourquoi est-ce la foule des courtisanes qui célèbrent ces jeux? [5,350] La raison n'est pas bien difficile à fournir. Flora n'est pas de ces sombres déesses, aux discours grandiloquents, elle veut que sa fête soit accessible à des choeurs populaires et nous dit de jouir de la beauté de l'âge, quand il est en sa fleur, et de ne pas nous soucier des épines une fois les roses flétries. 355 Mais, alors qu'aux fêtes de Cérès, on revêt des vêtements blancs, pourquoi Flora doit-elle être parée de toutes les couleurs? Est-ce parce que la moisson blanchit quand les épis sont mûrs, tandis que les fleurs ne sont que couleur et éclat? Elle approuva, et secouant sa chevelure, laissa tomber des fleurs [5,360] sur les tables, telles les roses que la coutume y répand. Il restait les flambeaux, dont je ne connaissais pas l'explication, mais la déesse m'arracha à mon ignorance en disant: "Les lumières ont paru convenir aux jours qui me sont consacrés: c'est que les champs sont illuminés de fleurs pourprées, 365 ou que la fleur et la flamme n'ont pas des couleurs passées mais un éclat qui attirent sur elles les regards, ou que nos plaisirs s'accommodent bien de la licence de la nuit: c'est la troisième explication qui est la vraie." "Il est encore un détail dont il me resterait à m'enquérir, [5,370] si c'était permis", dis-je; elle dit à son tour: "C'est permis". "Pourquoi lors de tes jeux, enferme-t-on dans des filets non des lionnes de Libye, mais des chèvres inoffensives et des lièvres inquiets? Elle répondit qu'elle régnait, non sur les forêts mais sur les jardins et sur les champs inaccessibles à des bêtes agressives." 375 Elle avait tout à fait fini et s'éloigna dans l'air léger, son parfum subsista: on put savoir ainsi qu'une déesse était passée. Pour que le poème de Naso fleurisse pour l'éternité, répands, je t'en prie, tes dons dans notre coeur! [5,380] c'est un être hybride, mélange d'homme et de cheval fauve. Le Pélion est une montagne d'Hémonie, exposée aux Austers: ses cimes sont vertes de pins, ses flancs sont le domaine des chênes. Le fils de Philyra y vivait; il y reste une vieille caverne de pierres, où, selon la tradition, habita ce bon vieillard. 385 C'est lui qui aurait enseigné les modulations de la lyre aux mains qui un jour devaient envoyer Hector à la mort. L'Alcide était passé (en visiteur), ses travaux en partie achevés; il ne lui restait plus que les derniers à exécuter. Ainsi le hasard avait réuni là les deux fléaux de Troie: [5,390] ici un enfant, l'Éacide, et là, un fils né de Jupiter. Le héros issu de Philyra accueille en hôte le jeune homme, et s'enquiert de la raison de sa venue; celui-ci la lui donne. Cependant, apercevant la massue et la dépouille de lion, il dit: "Héros digne de ces armes, et armes dignes de ce héros!" 395 Les mains d'Achille non plus ne purent se retenir de toucher la peau de bête toute hérissée de poils. Le vieux Chiron, lui, manipule les traits empoisonnés: une flèche tombe et se fiche dans son pied gauche. Il pousse un gémissement et retire l'arme de sa chair: [5,400] l'Alcide et l'enfant d'Hémonie gémissent à l'unisson. Lui cependant concocte des herbes cueillies sur les collines de Pagase et tente divers traitements pour atténuer sa blessure. Le poison dévorant l'emportait sur le remède; l'infection avait pénétré jusqu'aux os, dans le corps tout entier. 405 Le sang de l'hydre de Lerne mêlé au sang du Centaure ne laissait pas au remède le temps d'être efficace. Achille, le visage inondé de larmes, se tenait là, comme devant son père; ainsi aurait-il dû pleurer Pélée, s'il était mort. Sans cesse il caressait de ses mains affectueuses les mains du malade [5,410] (le maître recueillait la récompense de l'éducation qu'il avait donnée). Souvent il l'embrassait et lui répétait sur sa couche: "Vis, je t'en supplie, et ne m'abandonne pas, père bien-aimé!". Neuf jours avaient passé, quand toi, très juste Chiron, tu eus le corps entouré de deux cercles de sept étoiles. 415 La Lyre courbe aurait voulu le suivre, mais la voie n'est pas libre: trois nuits plus tard, son temps sera venu. Dans le ciel on pourra voir le Scorpion, seulement en sa partie médiane, quand nous dirons que demain se lèveront les Nones. Ensuite, quand trois fois l'étoile du soir aura montré son beau visage, [5,420] quand trois fois les étoiles vaincues auront cédé la place à Phébus, aura lieu une cérémonie à l'antique rituel, les Lémuries nocturnes: on y offrira des sacrifices aux Mânes silencieux. L'année était plus courte, et les purifications de février inconnues encore, et toi, Janus aux deux visages, tu n'étais pas le chef de file des mois. 425 Déjà pourtant on portait aux cendres des défunts les offrandes requises, et le petit-fils apaisait par des sacrifices les cendres de son aïeul décédé. C'était en Mai, mois qui tire son nom de celui des ancêtres (maiores), et qui aujourd'hui encore garde une partie de cette antique coutume. Lorsque la nuit à demi passée déjà assure un sommeil silencieux, [5,430] lorsque vous, chiens et oiseaux de toutes races, vous vous êtes tus, l'homme, fidèle à l'ancien rituel et craignant les dieux, se lève, sans porter aucune entrave à ses pieds. De son pouce placé entre ses doigts joints, il fait un signe, pour ne rencontrer, dans sa marche silencieuse, aucune ombre légère. 435 Lorsqu'il s'est lavé les mains dans l'eau d'une source pure, il fait demi-tour, après avoir pris d'abord des fèves noires et les avoir jetées derrière lui; en les jetant, il dit: "Je vous offre ces fèves; avec elles, je me rachète moi et les miens." Il prononce ceci neuf fois, sans regarder en arrière: [5,440] l'ombre est censée ramasser les fèves et suivre ses pas, sans être vue. À nouveau il touche l'eau et fait retentir le bronze de Témésa puis demande à l'ombre de quitter son toit. Lorsqu'il a dit neuf fois: "Mânes de mes pères, sortez!," il regarde derrière lui et considère que les rites sont accomplis selon les règles. 445 D'où ce jour tient-il sa dénomination, quelle en est l'origine? cela m'échappe: je dois le découvrir auprès de quelque divinité. "Fils de la Pléiade, dieu vénérable à la baguette puissante, instruis-moi: souvent tu as visité le palais de Jupiter Stygien." Le porteur du caducée que j'ai invoqué arrive. [5,450] Voici la raison du nom: je la tiens du dieu lui-même. Lorsque Romulus eut confié au tombeau les restes de son frère et rendu les honneurs dus au trop impétueux Rémus, le malheureux Faustulus et Acca, dont les cheveux étaient défaits, inondèrent de leurs larmes ses ossements calcinés; 455 ensuite, affligés, ils rentrèrent chez eux à la nuit tombante et sans plus s'étendirent sur leur couche rudimentaire. Ils crurent voir se dresser près de leur lit l'ombre sanglante de Rémus qui murmurait faiblement les paroles que voici: "C'est moi l'autre partie, la moitié de vos voeux, [5,460] voyez ce que je suis, moi qui naguère étais celui que vous savez! Si hier j'avais obtenu les oiseaux qui confèrent la royauté, j'aurais pu être le plus grand parmi mon peuple! Maintenant je suis un fantôme vain, échappé aux flammes du bûcher: voilà tout ce qui reste de l'illustre Rémus. 465 Hélas! Où est Mars, mon père? Si du moins vous avez dit la vérité, c'est lui qui nous a fait téter, enfants exposés, le lait d'une bête sauvage. Celui qu'une louve a sauvé, la main d'un citoyen audacieux l'a perdu. Ô combien plus tendre a été la louve! Cruel Céler, je souhaite que des blessures te fassent rendre l'âme [5,470] et que, comme moi tout couvert de sang, tu t'en ailles sous la terre! Mon frère n'a pas voulu cela; sa piété fraternelle est égale à la mienne; il a donné à mes Mânes ce qu'il pouvait, ses larmes. À votre tour, par vos larmes, par des offrandes de nourriture priez-le de désigner en mon honneur un jour de fête." 475 Ils veulent, tendant les bras, embrasser celui qui leur confie cette mission: l'ombre glisse et échappe aux mains qui cherchent à la saisir. Lorsque le simulacre eut fui, emportant avec lui leur sommeil, tous deux rapportent au roi les paroles de son frère. Romulus approuve et appelle Remuria ce jour-là, [5,480] où les aïeux défunts reçoivent les offrandes qui leur sont dues. La lettre dure qui était l'initiale du mot, se transforma au fil du temps en lettre douce; bientôt aussi, on appela Lemures les âmes des défunts silencieux: tel était le sens du mot, telle la force de l'expression. 485 Ces jours-là cependant, nos ancêtres fermaient les sanctuaires, comme on les voit fermés de nos jours en période funèbre. Durant cette même période, ni une veuve ni une jeune fille ne devaient songer aux torches nuptiales: celle qui s'est mariée alors n'a pas la vie longue. C'est pour cette raison aussi, si tu tiens compte des proverbes, [5,490] que le peuple dit que les malheureuses se marient en mai. Cependant ces trois jours de fête ont lieu dans la même période, sans qu' aucun d'eux toutefois ne suive immédiatement le précédent. Si au milieu de ces fêtes tu cherches à voir Orion le Béotien, tu le feras en vain; mon poème dira l'origine de cette constellation. 495 Jupiter et son frère, qui règne sur l'immense océan, ainsi que Mercure suivaient ensemble le même chemin. C'était l'heure où l'on rentre les charrues retournées sur le joug, et où l'agneau se penche pour boire le lait de la brebis repue. Le vieil Hyrieus, qui cultivait un petit champ, se trouvait justement [5,500] devant son humble chaumière, quand il les aperçut et leur dit ainsi: "La route est longue, et ce qui reste de jour n'est plus bien long; pour les étrangers, ma porte est ouverte ". Et montrant un visage conforme à ses paroles, il insista. Ils acceptèrent son invitation, sans révéler qu'ils étaient des dieux. 505 Ils pénètrent dans la demeure du vieillard, sale et noircie par la fumée. Un peu de feu couvait sous une bûche de la veille: Le vieux, un genou à terre, ravive les flammes en soufflant, apporte des morceaux de bois coupé, qu'il débite plus menus encore. Il y avait deux marmites: la plus petite contenait des fèves, l'autre du chou, [5,510] toutes deux bouillonnent, sous le couvercle qui les presse. Dans l'intervalle, le vieillard offre du vin rouge d'une main tremblante: le dieu de la mer accepte la première coupe, et la vidant, il dit: "Donne; maintenant c'est à Jupiter de boire à son tour". Au nom de Jupiter, le vieux devient livide. 515 Une fois revenu à lui, il tue le boeuf qui lui servait à labourer son petit champ et le fait griller sur un grand feu; il apporte du vin conservé dans une jarre noircie par la fumée, vin transvasé jadis dans les premières années de son enfance. Sans attendre, les dieux s'étendent sur des couchettes assez basses, [5,520] recouvertes d'une toile bourrée d'herbes de rivière. Tour à tour les plats servis et la liqueur de Lyaeus donnaient à la table de l'éclat le cratère était de terre rouge, les coupes, de bois de hêtre. Jupiter dit: "Si tu éprouves un désir, fais un voeu: il se réalisera intégralement". Le placide vieillard répondit: 525 "J'ai eu une épouse aimée, objet des soins de ma prime jeunesse; maintenant, elle a disparu. Où est-elle, demandez-vous? Dans une urne. Je lui ai fait un serment, - vous avez été pris à témoin, - et j'ai dit: 'pour moi, tu seras seule à jouir du statut d'épouse'. Je l'ai dit, et je tiens parole. Mais pourtant, j'éprouve un autre désir: [5,530] sans être un époux, je veux être père." Tous avaient approuvé d'un signe de tête. Tous s'étaient placés près de la peau du boeuf... ce serait inconvenant d'en dire davantage. Ensuite, ils recouvrirent de terre les taches humides. Bientôt, dix mois passèrent et un enfant naquit. 535 Hyrieus l'appela Urion, vu la façon dont il fut conçu; l'initiale du nom a perdu son ancienne prononciation. L'enfant avait énormément grandi: la Délienne le prit pour compagnon; il était le gardien de la déesse, son garde du corps. Des paroles imprudentes suscitent la colère des dieux. [5,540] Il avait dit: "Il n'est pas de bête sauvage que je ne puisse vaincre". Terre envoya un scorpion, qui tenta de planter les crochets de ses pinces dans la chair de la déesse, mère de jumeaux. Orion s'interposa; Latone l'ajouta aux astres brillants et dit: "Reçois cette récompense pour tes services." 545 Mais pourquoi Orion et les autres astres s'empressent-ils de quitter le ciel et pourquoi la nuit raccourcit-elle son voyage? Pourquoi le jour, précédé par Lucifer, élève-t-il, plus vite que d'habitude, son flambeau lumineux au-dessus de l'océan limpide? Je me trompe ou ai-je entendu sonner des armes? Non; des armes ont sonné. [5,550] Mars arrive et sa venue a donné le signal de la guerre. Le Vengeur en personne est descendu du ciel, pour les cérémonies à sa gloire et pour contempler son temple sur le Forum d'Auguste. Le dieu est grand et l'édifice l'est tout autant: dans la ville de son fils, Mars ne pouvait habiter une demeure autre que grande. 555 Ce temple mérite d'abriter des trophées de Géants. De cet endroit Gradivus doit faire s'ébranler les guerres cruelles, si quelque ennemi nous provoque injustement à l'Orient, ou si, du côté du couchant, quelqu'un doit être dompté. Le maître des armes aperçoit le faîte de l'imposant monument [5,560] et approuve la présence sur son sommet de dieux invaincus. Il aperçoit sur les portes des traits aux formes diverses et des armes conquises par ses soldats dans la terre entière. Puis il voit Énée portant le lourd fardeau qui lui est cher, et tant d'ancêtres de la noble famille Julia. 565 Ensuite il voit le fils d'Ilia portant sur ses épaules les armes d'un général et les actes de bravoure inscrits sous les statues des héros alignés. Il voit aussi le nom d'Auguste sur le fronton du temple, et en lisant le nom de César, il trouve l'ouvrage plus majestueux. Jeune homme, ce dernier avait fait ce voeu, quand la piété lui fit prendre les armes. [5,570] Il devait commencer son principat par des actes de cette grandeur. Tandis que se tenaient debout d'un côté les troupes légitimes, et de l'autre les conjurés, lui, tendant les mains, prononça ces paroles: "Si mon père, prêtre de Vesta, me pousse à faire la guerre et si je me prépare à venger ces deux divinités, 575 Mars, aide-moi, laisse mon arme se rassasier d'un sang scélérat, et puisse ta faveur soutenir la meilleure cause. Tu auras un temple, et si je suis vainqueur, tu seras appelé Vengeur." Il avait fait ce voeu et revint heureux, après avoir défait l'ennemi. Mais il ne se contente pas d'avoir gagné une fois ce surnom pour Mars. [5,580] Il se met à la recherche des enseignes que retient la main du Parthe. C'était un peuple protégé par ses plaines, ses chevaux, et ses flèches, inaccessible aussi grâce aux fleuves qui l'entouraient. La mort des légions de Crassus avait encore accru son ardeur, lorsque périrent en même temps soldats, général et enseignes. 585 Les enseignes romaines, emblème de la guerre, étaient aux mains du Parthe, et un ennemi était le porte-enseigne de l'aigle romaine! Cette infamie aurait subsisté jusqu'à nos jours, si la puissance de l'Ausonie n'avait été sous la protection des armées valeureuses de César. Celui-ci a effacé les anciennes marques d'infamie et un long déshonneur: [5,590] les enseignes récupérées ont reconnu les leurs. À quoi te servent maintenant ces flèches que d'habitude tu lances derrière ton dos, à quoi bon la nature des lieux et l'usage de chevaux rapides? Parthe, tu nous rends nos aigles, et, vaincu, tu nous cèdes tes arcs: tu ne possèdes plus désormais aucun gage de notre déshonneur. 595 C'est à juste titre que le dieu deux fois vengeur a reçu un temple et un titre, et cet honneur mérité a acquitté la dette d'un voeu. Quirites, célébrez les jeux solennels au Grand Cirque: une simple scène n'a pas semblé convenir au dieu vaillant. Tu verras toutes les Pléiades et la troupe entière des soeurs, [5,600] lorsqu'il ne restera plus qu'une nuit avant les Ides. C'est alors que, selon moi, sur la foi d'auteurs crédibles, commence l'été et que la saison du tiède printemps arrive à sa fin. La veille des Ides montre le Taureau soulevant sa tête d'étoiles: une légende notoire est attachée à cette constellation. 605 Sous l'apparence d'un taureau, et portant des cornes sur son front d'emprunt, Jupiter offrit son échine à une jeune fille de Tyr. Elle, de la main droite, tenait la crinière, de la gauche, son vêtement, et sa crainte même ajoutait un attrait de plus à sa beauté. La brise gonflait les plis de sa robe, la brise agitait ses blonds cheveux: [5,610] Fille de Sidon, c'est ainsi que dut te voir Jupiter. Souvent elle éloigna ses pieds de fillette de la surface de la mer, craignant les atteintes de l'eau bondissante. Souvent le dieu avisé enfonça sa croupe dans les flots, pour que la jeune fille s'agrippe plus fortement à son cou. 615 Arrivé au rivage, Jupiter se tint debout, sans cornes aucunes: le bovin qu'il était s'était transformé en dieu. Le Taureau monte au ciel; toi, fille de Sidon, Jupiter te féconde, et la troisième partie du monde porte ton nom. Selon d'autres, cette constellation est la génisse de Pharos, [5,620] qui d'être humain devint vache, et de vache déesse. Ce jour-là aussi, la coutume veut que les Vestales jettent des mannequins de jonc, figurant des hommes des premiers âges, du haut du pont de chêne. Avoir cru qu'on envoyait à la mort des vieux de soixante ans, c'est accuser nos ancêtres d'un crime infâme. 625 Une ancienne tradition, du temps où cette terre était appelée Saturnienne, rapporte ces paroles, prononcées par un vieux devin: "Envoyez en offrande au vieillard porteur de faux deux corps de cette nation, qui soient accueillis dans les eaux étrusques". Jusqu'à l'arrivée en cette contrée de l'homme de Tirynthe, [5,630] ce triste rituel à la manière de Leucade s'est accompli chaque année; on dit qu'Hercule a jeté dans l'eau des citoyens de paille, et qu'à son exemple, on jette des semblants de corps. Certains pensent que, pour laisser aux seuls hommes jeunes le droit de vote, on précipitait du pont les vieillards affaiblis. 635 "Thybris, dis-moi la vérité: tes rives sont plus anciennes que la Ville; tu dois bien connaître l'origine du rituel." Du milieu du fleuve Thybris souleva sa tête couverte de roseaux et écartant les lèvres prononça d'une voix rauque ces paroles: "Ces lieux, je les ai connus herbages abandonnés, sans murs; [5,640] des bovins paissaient çà et là sur mes deux rives; et moi, le Tibre, que maintenant les peuples connaissent et redoutent j'étais alors objet méprisé même par les troupeaux. Souvent on cite devant toi le nom d'Évandre l'Arcadien: cet étranger, à coups de rames, a battu mes eaux. 645 L'Alcide aussi est venu, avec son escorte d'Achéens: mon nom alors était Albula, si je me souviens bien. Le héros descendant de Pallas offrit l'hospitalité au jeune homme, et enfin Cacus reçut le châtiment qu'il avait mérité. Victorieux, Hercule s'éloigne emmenant ses boeufs, son butin d'Érythée; [5,650] mais ses compagnons refusent d'aller plus loin. Beaucoup d'entre eux étaient venus d'Argos qu'ils avaient désertée. Ils installent sur ces collines leurs espoirs et leur dieu tutélaire. Souvent pourtant une douce pensée pour leur patrie les effleure, et quelqu'un, en mourant, fait cette brève recommandation: 655 "Jetez-moi dans le Tibre: emporté par les flots du Tibre, j'aimerais m'en aller, vaine poussière, vers le rivage d'Inachos." Son héritier répugne à lui ménager la sépulture qu'il demande: une fois mort, il est inhumé en Ausonie, sa terre d'accueil; à la place du maître, on jette dans le Tibre son effigie en osier, [5,660] qui regagnera sa patrie grecque, après une longue traversée." Le dieu du fleuve se tut et rentra dans une grotte naturelle, toute ruisselante: ondes légères, vous avez retenu votre course. "Illustre petit-fils d'Atlas, viens à mon aide, toi qu'une Pléiade, autrefois, mit au monde pour Jupiter, dans les montagnes d'Arcadie. 665 Toi, l'arbitre de la paix et de la guerre chez les dieux célestes et infernaux, toi qui prends la route, en fixant des ailes à tes pieds, tu es heureux de jouer de la lyre, heureux aussi sur la luisante palestre, toi qui formes les langues à l'art de bien parler; nos pères t'ont élevé un temple tout proche du Cirque, [5,670] c'était le jour des Ides; depuis lors, c'est pour toi un jour de fête. Tous ceux qui font profession de vendre des marchandises t'offrent de l'encens, te demandant des bénéfices en retour." Il existe, près de la porte Capène, une fontaine de Mercure; si vous croyez ceux qui l'ont essayée, elle a un pouvoir divin. 675 Le marchand s'y rend, la tunique retroussée, et, après s'être purifié, à l'aide d'une urne exposée à des fumigations, il puise l'eau qu'il emportera. Il y trempe du laurier; de ce laurier mouillé il asperge toutes les marchandises destinées à de nouveaux propriétaires. Il asperge ses propres cheveux avec le laurier dégoulinant, [5,680] et de sa voix habituée à tromper, il poursuit par une prière: "Lave-moi de mes impostures du temps passé, lave-moi de mes mensonges d'hier! Si je t'ai pris à témoin ou si j'ai évoqué faussement la toute puissance de Jupiter, peu disposé à m'écouter, 685 si par calcul j'ai trompé quelqu'autre dieu ou déesse, puissent les souffles rapides du Notus avoir emporté mes mensonges; puissé-je, quand viendra demain, recourir encore à des parjures, sans que les dieux du ciel s'occupent de ce que je dirai. Mais, accorde-moi des gains et donne-moi la joie d'en jouir, [5,690] et rends profitables mes boniments aux acheteurs." Mercure, d'en haut, sourit à celui qui l'invoque ainsi, se souvenant d'avoir subtilisé les boeufs d'Ortygie. "Mais, révèle-moi, je t'en prie, d'autant que ma question est plus sérieuse, à quel moment Phébus pénètre dans le signe des Gémeaux." 695 "Lorsque tu verras qu'il reste dans le mois autant de jours qu'il y a de travaux d'Hercule", dit-il. Je rétorquai: "Dis-moi l'origine de cette constellation". De sa bouche éloquente, le dieu me donna cette explication: "Les frères Tyndarides avaient enlevé et emmené Phoebé [5,700] et la soeur de Phoebé; l'un était cavalier, l'autre pugiliste. Idas et son frère se préparent à combattre pour réclamer leurs fiancées, car Leucippe avait décidé de les prendre tous deux pour gendres. L'amour pousse les uns à réclamer les filles, et les autres à refuser de les rendre; de part et d'autre, on se bat pour la même cause. 705 Les Oebalides auraient pu, en courant, échapper à leurs poursuivants, mais une victoire due à une fuite rapide leur parut honteuse. L'endroit était dégagé, sans arbres, surface idéale pour un combat: ils s'étaient arrêtés à cet endroit, qui s'appelle Aphidna. La poitrine transpercée par l'épée de Lyncée, [5,710] Castor, à ce coup inattendu, s'affala sur le sol. Pollux, en vengeur, arrive et de sa lance traverse Lyncée à l'endroit où le cou se rattache directement aux épaules. Idas fonçait sur lui, et la foudre de Jupiter le repoussa avec difficulté; sans toutefois, dit-on, arracher les traits que tenait sa main. 715 Et déjà, Pollux, le ciel t'attendait, ouvert au-dessus de toi, lorsque tu dis: 'Père, écoute mes paroles: le ciel que tu m'offres à moi seul, partage-le entre nous deux; la moitié de ce présent sera plus grand que son entièreté.' Il parla, et racheta son frère, en faisant des séjours alternés. [5,720] Ces astres sont utiles, l'un et l'autre, au navire en détresse." Celui qui s'interroge sur les Agonia doit retourner à Janus: pourtant ces fêtes ont aussi leur place à cette date du calendrier. La nuit suivant ce jour, le Chien d'Érigoné disparaît. L'origine de ce signe a été expliquée en un autre endroit. 725 Le jour suivant, appelé Tubilustria, appartient à Vulcain: c'est le jour de la purification des trompettes que forge ce dieu. Ensuite à cet endroit sont notées quatre lettres qui, lues dans l'ordre, concernent soit une coutume rituelle, soit la fuite du roi. Et toi, Fortune Publique d'un peuple puissant, à qui le lendemain [5,730] un temple a été consacré, je ne te passe pas sous silence. Quand les ondes de la riche Amphitrite auront accueilli ce jour, tu verras paraître le bec de l'oiseau fauve, cher à Jupiter. L'arrivée de l'Aurore retirera le Bouvier de notre vue et, dès le jour suivant, apparaîtra la constellation d'Hyas. [6,0] Ovide, Fastes, livre VI. Le nom de ce mois aussi a des explications incertaines: je te les exposerai toutes; choisis toi-même celle qui te plaît. Je vais chanter des faits réels; mais certains diront que je les ai inventés et penseront que jamais une divinité n'est apparue à un mortel. 5 Un dieu est en nous, dont l'action nous embrase. Cet élan contient les germes de l'inspiration sacrée. J'ai eu le grand avantage d'avoir vu le visage des dieux, soit parce que je suis poète, soit parce que je chante un sujet sacré. Il est un bois épais planté d'arbres, où le seul son [6,10] qui s'entend est le murmure des eaux. C'est là que je m'interrogeais sur l'origine du mois qui commence: son nom me préoccupait. Soudain je vis des déesses, non pas celles qu'avait vues le maître des labours, surveillant ses brebis à Ascra; 15 ce n'était pas non plus celles que dans les vallées de l'humide Ida compara le fils de Priam; l'une d'elles toutefois était présente. L'une d'elles, celle qui est la soeur de son époux; c'était elle, je l'ai reconnue, elle qui se dresse sur la citadelle de Jupiter. J'avais frissonné et ma pâleur silencieuse reflétait mes sentiments. [6,20] Alors la déesse en personne dissipa les craintes qu'elle avait provoquées. Elle dit en effet: "Ô poète, chantre de l'année romaine, toi qui as osé traiter de grands sujets dans des mètres sans grandeur, tu t'es créé le droit de voir une divinité céleste, quand tu as décidé de chanter les fêtes dans tes vers. 25 Pour que tu ne l'ignores pas et que tu ne te laisses pas entraîner dans l'erreur commune, sache que juin tient son nom de mon nom. C'est quelque chose d'être l'épouse de Jupiter, d'être la soeur de Jupiter: je ne sais de qui je suis le plus fière, de mon frère ou de mon époux. Si l'on regarde la naissance, je fus la première à faire de Saturne un père, [6,30] je fus la première que le destin a offerte à Saturne. C'est à cause de mon père que Rome fut jadis appelée Saturnie: pour lui qui venait du ciel, cette terre était la plus proche. Si l'on accorde du prix au mariage, on m'appelle l'épouse du Tonnant, et mon temple est associé à celui de Jupiter Tarpéien. 35 Eh quoi! une concubine a pu donner son nom au mois de mai, et on me refuserait, à moi, cet honneur! Pourquoi donc m'appelle-t-on Reine et la première des déesses, pourquoi a-t-on placé dans ma main droite un sceptre d'or? Le mois sera-t-il constitué de jours lumineux (luces), ce qui me vaudra [6,40] le nom de Lucina, tandis que je ne donnerai mon nom à aucun mois? Dans ce cas, je m'en voudrais d'avoir loyalement fait taire ma colère envers la race d'Électre et la maison de Dardanus. La cause de cette colère était double: je souffrais du rapt de Ganymède, et ma beauté aussi avait été bafouée par le juge de l'Ida. 45 Je pourrais regretter de ne pas favoriser la citadelle de Carthage, alors que c'est là que se trouvent mes armes et mon char. Je pourrais regretter d'avoir préféré le Latium à Sparte, à Argos, à ma chère Mycènes, et à l'antique Samos. Ajoute à cela le vieux Tatius et les Falisques adorateurs de Junon [6,50] que j'ai toléré de voir soumis aux Romains. Mais non, point de regret! Nulle nation ne m'est plus chère. Puissé-je être honorée ici, occuper ici un temple avec mon cher Jupiter. Mavors en personne m'a dit: "Je te recommande ces remparts: tu seras puissante dans la cité de ton petit-fils". 55 Ses paroles sont fidèlement suivies: sur cent autels, on me célèbre et patronner ce mois n'est pas pour moi le moindre de mes honneurs. En outre, cet honneur, Rome n'est pas seule à me l'octroyer: les peuples des environs m'accordent les mêmes hommages. Examine le calendrier d'Aricie et de son bois sacré, [6,60] ceux des Laurentes et de mon cher Lanuvium: ils connaissent tous un mois de Junon. Vois Tibur et les remparts sacrés de la déesse de Préneste: tu y liras une époque liée à Junon; et Romulus n'est pas leur fondateur, alors que Rome par contre était la cité de mon petit-fils." 65 Junon avait fini; je me retournai: l'épouse d'Hercule se tenait debout, arborant un visage éclatant de santé. "Non, dit-elle, si ma mère m'ordonne de me retirer complètement du ciel, je ne m'attarderai pas contre sa volonté. Je ne veux pas non plus me battre maintenant à propos du nom de ce mois: [6,70] je la flatte, je joue presque un rôle de suppliante; je préférerais devoir à des prières la reconnaissance de mon droit: et peut-être toi-même pourras-tu servir ma cause. Ma Mère possède déjà le Capitole doré, et, comme il se doit, associée dans son temple à Jupiter, elle en occupe le sommet. 75 Mais l'honneur qui me revient tient tout entier à l'origine du mois: c'est ma seule source de gloire, et on me la conteste. Est-ce donc grave, Romain, si tu as attribué le patronage du mois à l'épouse d'Hercule, et si la postérité en garde le souvenir? Cette terre aussi a une dette envers moi, au nom de mon illustre époux: [6,80] c'est ici qu'il a amené les boeufs qu'il avait capturés, c'est ici que, mal défendu par les flammes dont l'avait doté son père, Cacus teinta de son sang la terre de l'Aventin. Des faits plus récents m'interpellent: en fonction de leur âge, Romulus a divisé et réparti les citoyens en deux catégories; 85 l'une est plus apte à donner des conseils, l'autre à se battre; les uns conseillent la guerre, les autres la font. Ainsi en a décidé Romulus, qui a appliqué aux mois la même règle: Juin est le mois des jeunes gens; le mois qui précède, celui des vieillards." Hébé avait parlé. Dans l'ardeur du débat, les déesses se seraient disputées, [6,90] et la colère aurait effacé entre elles toute piété filiale. Survint la Concorde aux longs cheveux ceints de laurier d'Apollon, à la fois puissance divine et réalisation d'un chef pacifique. Dès qu'elle eut raconté que Tatius et le vaillant Quirinus avaient réuni leurs deux royaumes et leurs deux peuples, 95 que des foyers communs avaient accueilli beaux-pères et gendres, elle dit: "Juin tient son nom de leur jonction". Voilà exposée la triple explication. Mais, vous, déesses, soyez indulgentes: ce n'est pas mon arbitrage qui doit trancher cette affaire. Pour moi, vous êtes à égalité. L'arbitre de la beauté a perdu Pergame: [6,100] deux déesses font plus de mal que n'apporte d'aide une seule. Le premier jour t'est consacré, Carna. C'est la déesse du gond: son pouvoir lui permet d'ouvrir ce qui est fermé, de fermer ce qui est ouvert. Sur l'origine de ces dons il existe une tradition obscurcie par les ans: tu l'apprendras à la lecture de mon poème. 105 L'antique bois sacré d'Helernus s'étend près du Tibre: de nos jours encore les Pontifes y portent des offrandes sacrées. Il fut le père d'une nymphe (les Anciens l'ont appelée Craniè), que souvent en vain sollicitèrent de nombreux prétendants. Elle avait l'habitude de parcourir les champs, de poursuivre de ses traits [6,110] les bêtes sauvages et de tendre les noeuds de ses filets au creux de la vallée. Elle n'avait pas de carquois; pourtant, on la croyait soeur de Phébus, et elle ne t'aurait pas fait honte, ô Phébus. Si un jeune homme lui tenait des propos galants, elle lui faisait aussitôt ce genre de réponse: 115 "Ici il y a trop de lumière, et la lumière gêne ma pudeur; si tu me mènes vers une grotte plus en retrait, je te suis." Crédule, il la précède, mais elle, rencontrant des buissons, s'y arrête et s'y cache, sans que personne puisse la trouver. Janus l'avait vue et, épris de désir à sa vue, [6,120] il avait usé de paroles tendres pour fléchir sa dureté. La nymphe, à son habitude, lui dit de chercher une grotte écartée, et, comme si elle l'accompagnait, elle suit son guide puis l'abandonne. Sotte qu'elle était! Janus voit ce qui se passe derrière son dos. Inutile; il voit derrière lui tes cachettes. 125 Oui, inutile, ai-je dit: tu as beau te cacher sous un rocher, il te saisit, t'étreint, et, son espoir réalisé, il dit: "Pour prix de notre union, que te revienne le droit sur les gonds: ce sera la récompense de ta virginité perdue". À ces mots, il lui donna une branche d'aubépine - elle était blanche - , [6,130] susceptible de chasser loin des portes les tristes nuisances. Il existe des oiseaux voraces, non pas ceux qui empêchaient Phinée de goûter ses mets, mais ils tirent d'eux leur origine: ils ont une tête énorme, des yeux toujours ouverts, un bec de rapace, un plumage blanc, et leurs ongles sont des crocs. 135 Oiseaux de nuit, ils cherchent des enfants sans leur nourrice, et souillent les corps de leurs proies arrachées à leurs berceaux. Leurs becs, dit-on, fourragent les entrailles des nourrissons et leurs gosiers sont pleins du sang qu'ils ont bu. On les appelle Striges, mais ce nom vient des cris stridents [6,140] qu'ils ont l'habitude de pousser, rendant les nuits effrayantes. Bref, qu'il s'agisse de véritables oiseaux ou qu'ils proviennent d'un charme, une incantation marse ayant transformé en oiseaux des vieilles femmes, ils sont entrés dans la chambre de Procas: Procas, né cinq jours avant, était pour eux une proie toute fraîche. 145 Leurs langues s'abreuvèrent avidement à la poitrine du petit; le malheureux enfant crie et appelle à l'aide. Effrayée au cri de son bébé, la nourrice accourt et le découvre, les joues entaillées par les serres acérées. Que devait-elle faire? Le visage de l'enfant avait la couleur habituelle [6,150] des dernières feuilles que vient blesser l'hiver naissant. Elle va trouver Craniè et lui explique la chose. Celle-ci lui dit: "N'aie plus peur; ton nourrisson sera sauvé". Elle s'était approchée du berceau; le père et la mère pleuraient: "Arrêtez vos larmes, dit-elle; moi, je vais le soigner". 155 Aussitôt, trois fois elle touche successivement avec un rameau d'arbousier les montants de la porte; trois fois, avec l'arbousier, elle marque le seuil; elle asperge d'eau les accès (ces eaux avaient une vertu curative) et, tenant les viscères crues d'un porcelet femelle de deux mois, elle dit: "Oiseaux de nuit, épargnez les entrailles du petit: [6,160] en échange d'un petit être, voici une petite victime. Je vous en prie, prenez un coeur pour un coeur, un foie pour un foie; nous vous donnons cette vie en échange d'une vie plus précieuse". Après cette libation, elle découpa les viscères, les posa à ciel ouvert et interdit à l'assistance de se retourner pour regarder. 165 La baguette d'aubépine consacrée à Janus est posée à l'endroit par lequel une petite fenêtre éclairait la chambre. Après cela, dit-on, les oiseaux ne souillèrent plus le berceau et l'enfant retrouva son teint d'avant. Tu demandes pourquoi en ce jour des Calendes on déguste du lard gras [6,170] et des fèves mélangées à de la farine d'épeautre chaude. Carna est une vieille divinité, elle se nourrit de mets du temps passé; n'aimant pas le luxe, elle ne demande pas des repas recherchés. De son temps, le peuple laissait les poissons nager sans dommage, et les huîtres restaient en sécurité dans leurs coquilles. 175 Le Latium ne connaissait pas l'oiseau qui vient de la riche Ionie ni celui qui se délecte du sang du Pygmée. On n'appréciait rien dans le paon, sinon ses plumes, et le monde ne nous avait pas encore envoyé des fauves en cage. Le porc avait du prix; on célébrait les fêtes en tuant le porc. [6,180] La terre ne produisait que fèves et durs grains d'épeautre. Qui mange, aux Calendes de juin, un mélange de ces deux aliments ne pourra, dit-on, souffrir dans ses organes vitaux. On commémore aussi le temple dédié à Junon Moneta et construit au sommet du Capitole, à la suite à ton voeu, ô Camille. 185 Auparavant, s'élevait là la demeure de Manlius, qui jadis avait refoulé loin de Jupiter Capitolin les armées gauloises. Grands dieux, que n'a-t-il eu le bonheur de tomber dans ce combat, en défenseur de ton trône, ô grand Jupiter! Il a vécu pour mourir, condamné d'avoir aspiré à la royauté: [6,190] tel est le titre que lui offrait une vieillesse prolongée. Ce même jour est une fête de Mars; son temple, hors les murs, proche de la Via Tecta, se voit de la porte Capène. Toi aussi, Tempête, nous proclamons que tu as mérité un sanctuaire, lorsque notre flotte fut presque anéantie dans les eaux de la Corse. 195 Ces monuments des hommes sont sous nos yeux. Si vous regardez les astres, à ce moment, se lève l'oiseau du grand Jupiter aux serres crochues. Le jour suivant fait se lever les Hyades, cornes au front du Taureau, et la terre est détrempée par une pluie abondante. Deux matins après, lorsque Phébus se sera à nouveau levé, [6,200] quand deux fois la rosée se sera posée, mouillant les moissons, ce sera le jour où, dit-on, pendant la guerre étrusque, un temple fut consacré à Bellone, divinité toujours bénéfique au Latium. Appius en est le fondateur: en refusant la paix à Pyrrhus, il voyait loin dans l'avenir, bien que privé de la vue. 205 D'une petite place devant le temple on aperçoit l'extrémité du Cirque: là se dresse une colonne petite, mais d'une grande renommée. C'est de cet endroit habituellement qu'on lance le javelot qui annonce la guerre, lorsque qu'on a décidé de prendre les armes contre un roi ou un peuple. L'autre partie du Cirque est confiée à la garde de Hercule Gardien, [6,210] une charge que détient le dieu suite à un oracle eubéen. La date de cette cérémonie, c'est le jour qui précède les nones. Si tu en recherches l'inscription, tu verras que Sylla a approuvé la chose. Je me demandais si j'allais attribuer les nones à Sancus, à Fidius ou à toi, vénérable Semo. Alors Sancus me dit: 215 "Que tu les attribues à n'importe qui des trois, j'en aurai l'honneur; je porte ces trois noms: ainsi l'a voulu Cures". Les anciens Sabins en effet l'ont gratifié d'un temple qu'ils ont établi sur la colline du Quirinal. J'ai une fille; je prie pour qu'elle vive beaucoup d'années après moi; [6,220] si elle est bien, je serai toujours heureux. Comme je voulais la donner à un gendre, je m'informais des dates compatibles avec les torches nuptiales et des dates à éviter. On m'a alors indiqué qu'après la fête des Ides, le mois de Juin était propice aux épouses, propice aussi aux époux, 225 et la première partie du mois m'est apparue préjudiciable aux mariages. En effet l'épouse consacrée du flamen Dialis me parla ainsi: "En attendant que le Tibre paisible, sur ses flots jaunes, ait charrié vers la mer les ordures du sanctuaire de la Vesta d'Ilion, je n'ai ni le droit de passer dans mes cheveux un peigne de buis [6,230] ni de me couper les ongles avec une lame de fer, ni de toucher mon époux, bien qu'il soit le prêtre de Jupiter, et qu'une loi me l'ait attribué pour toujours. Toi non plus, ne te presse pas: mieux vaudra que ta fille se marie lorsque Vesta brillera de tous ses feux sur un sol purifié". 235 Le troisième jour après les Nones, on dit que Phébé fait disparaître Lycaon et que l'Ourse n'a plus de crainte à avoir sur ses arrières. Alors je me suis souvenu d'avoir assisté, sur la pelouse du Champ de Mars, à des jeux qui te sont consacrés, Thybris au cours fluide. C'est la fête pour ceux qui tirent des filets tout trempés [6,240] et qui cachent leurs hameçons de bronze sous un peu de nourriture. Mens aussi possède un pouvoir divin: nous voyons qu'un sanctuaire fut dédié à Mens, par peur de ta guerre, perfide Punique. Punique, tu avais repris les armes et, à la mort du consul, tous les Romains atterrés redoutèrent les bataillons maures. 245 La crainte avait chassé tout espoir; le sénat alors prit sur lui de faire un voeu à Mens, qui arriva aussitôt, dans les meilleures dispositions. Ce jour-là où s'accomplirent les voeux en l'honneur de la déesse voit s'approcher les Ides, à un intervalle de six jours. Vesta, accorde-moi ta faveur: j'ouvre maintenant ma bouche prête à te servir, [6,250] s'il m'est permis de venir assister à ton culte. J'étais absorbé par ma prière: je sentis une puissance céleste et la terre riante resplendit dans une lumière pourpre. Certes, ô déesse, je ne t'ai pas vue - laissons de côté les fictions des poètes -; d'ailleurs, un homme n'aurait pas pu te voir; 255 mais mes ignorances, les erreurs qui me tourmentaient, me furent révélées, sans que quelqu'un ne les expliquât. On dit que Rome avait célébré quarante fois les Parilia, lorsque fut accueillie dans son temple la déesse gardienne du feu: ce fut l'oeuvre du roi pacifique, l'esprit le plus respectueux de la divinité [6,260] qu'eût jamais porté la terre sabine. Le toit de bronze que tu vois de nos jours, tu l'aurais vu alors couvert de paille, et ses parois étaient faites de souple osier tressé. L'espace étroit où se dresse actuellement l'Atrium de Vesta était à l'époque le grand palais de Numa le barbu. 265 Mais, dit-on, la forme actuelle du temple est restée celle d'autrefois, et on peut la justifier. C'est que Vesta est comme la terre: toutes deux ont en elles un feu perpétuel, terre et foyer indiquent eux-mêmes leur propre assise. La terre ressemble à une balle, elle ne repose sur aucun appui; [6,270] sa masse si lourde est suspendue dans l'air qui la soutient: c'est son mouvement de rotation lui-même qui maintient le globe en équilibre; il n'y a pas d'angle qui pourrait presser sur ses parties. Et comme elle est située au centre des choses sans toucher ni plus ni moins aucun côté, 275 si elle n'était pas ronde, elle serait plus proche d'une partie que d'une autre, et ne constituerait pas la masse centrale du monde. À Syracuse, des artisans ont représenté une sphère suspendue dans un espace clos, modèle réduit de l'immense univers: la terre y figure à égale distance du sommet et de la base, [6,280] ce que rend possible sa forme ronde. L'aspect du temple est semblable; aucun angle n'en ressort, et sa coupole le défend contre les averses de pluie. Tu demandes pourquoi les prêtresses de la déesse sont des vierges? J'en découvrirai aussi les vraies raisons. 285 On raconte que Junon et Cérès sont nées d'Ops, et de la semence de Saturne; Vesta naquit la troisième. Les deux premières se marièrent, et toutes deux, dit-on, devinrent mères; des trois, une seule résista, ne supportant pas d'avoir un époux. Faut-il s'étonner si une vierge, heureuse d'avoir des vierges pour prêtresses, [6,290] ne laisse que des mains chastes s'occuper de son culte? Quant à toi, comprends bien que Vesta n'est autre qu'une flamme vive, et qu'on ne voit aucun corps naître de la flamme. Dès lors, il est normal que celle qui n'émet et ne reçoit aucune semence soit vierge et aime avoir des vierges pour compagnes. 295 Longtemps j'ai stupidement pensé qu'il existait des statues de Vesta, mais j'ai vite appris que sous cet édifice rond, il n'y en avait aucune. L'intérieur du temple recèle un feu qui jamais ne s'éteint: ni Vesta ni le feu ne sont représentés en effigie. La terre se soutient par sa propre force, Vesta également; [6,300] c'est de ce fait qu'elle tire son nom. En grec l'explication du nom peut être la même. Focus (le foyer) tire son nom des flammes et du fait qu'il chauffe (fouet) tout. Ajoutons qu'autrefois le foyer se trouvait à l'entrée de la maison; c'est de là aussi, à mon avis, que vient le nom vestibule. D'où quand nous prions, nous invoquons d'abord Vesta qui occupe l'entrée. 305 Autrefois c'était la coutume de s'asseoir devant le foyer sur de longs bancs, et l'on croyait que les dieux étaient présents à table. Maintenant encore, lorsque on célèbre le culte de l'antique Vacuna, on se tient debout ou assis devant le foyer de Vacuna. Quelque chose de l'ancien rituel est parvenu jusqu'à nos jours: [6,310] on présente sur une patelle pure les aliments offerts à Vesta. Voici le pain suspendu au cou des ânons couronnés et les guirlandes de fleurs recouvrant les meules rugueuses. Autrefois, dans les fours, les paysans ne faisaient que torréfier l'épeautre (du reste, la déesse Fornax a ses propres cérémonies); 315 on préparait le pain en le déposant sous la cendre du foyer même, après avoir étendu sur le sol chauffé une couche de tessons de tuiles. Voilà pourquoi le boulanger vénère le foyer, et la maîtresse des foyers et l'ânesse qui fait tourner les meules de pierre-ponce. Vais-je omettre ou raconter, rubicond Priape, l'aventure [6,320] qui te déshonore? C'est une historiette bien plaisante. Cybèle au front ceint d'une couronne crénelée invite pour célébrer sa fête les dieux éternels; elle invite aussi les satyres et les nymphes, divinités rustiques: Silène est présent, bien que personne ne l'ait convié. 325 Il n'est pas permis de raconter le banquet des dieux, et ce serait trop long. La nuit, abondamment arrosée de vin pur, se passa à veiller. Certains errent à l'aventure dans les vallées sombres de l' Ida, d'autres s'étendent et reposent leurs membres dans l'herbe tendre, ceux-ci jouent, d'autres sont endormis, certains s'accrochent par les bras [6,330] et d'un pied alerte frappent trois fois le sol verdoyant. Vesta s'est couchée, goûtant en toute sécurité un repos paisible, sans façons, la tête posée sur un coussin de gazon. Mais le rougeaud gardien des jardins cherche à saisir nymphes et déesses; il va et vient, traînant ses pas errants. 335 Il aperçoit aussi Vesta: a-t-il pensé qu'elle était une nymphe, ou savait-il qu'elle était Vesta? Lui personnellement nie l'avoir su. Habité par un espoir inavouable, il tente de s'approcher furtivement et, le coeur battant, il s'avance sur la pointe des pieds. Le vieux Silène avait justement laissé l'âne qui l'avait transporté [6,340] au bord d'un ruisseau au doux murmure. Le dieu de l'Hellespont allait commencer à agir quand soudain l'âne se mit à braire intempestivement. Terrifiée par ces cris rauques, la déesse se lève d'un bond; toute une foule accourt; lui échappe aux mains qui le menacent. 345 La ville de Lampsaque a coutume d'immoler l'âne à Priape: "La fressure de l'âne dénonciateur, que nous t'offrons, convient aux flammes". Mais toi, Vesta, te souvenant de son rôle, tu le pares de colliers de pain, le travail s'arrête, les meules restent vides et se taisent. Sur la citadelle du dieu Tonnant, s'élève l'autel de Jupiter Pistor, [6,350] dont le nom est plus fameux que la valeur; je vais en dire la signification. Les Gaulois farouches pressaient et encerclaient le Capitole: un siège de longue durée déjà avait causé une famine. Jupiter convoqua les dieux célestes près du trône royal, et dit à Mars: "Commence!". Celui-ci répond aussitôt: 355 "Sans doute le déroulement de nos malheurs reste-t-il ignoré, et mon âme affligée se doit d'emprunter une voix plaintive! Mais si tu exiges un bref rapport sur les malheurs qui nous déshonorent, Rome gît, abattue par un ennemi venu des Alpes. Est-ce cette cité à qui l'empire du monde avait été promis, [6,360] Ô Jupiter? Ne devais-tu pas l'imposer à l'univers entier? Tout récemment, Rome a brisé ses voisins et les armées étrusques; l'espoir était en marche: maintenant, elle est chassée de chez elle. Dans des atriums ornés de bronze, nous avons vu succomber, drapés de leurs toges brodées, des vieillards jadis honorés du triomphe. 365 Nous avons vu transférer en lieu sûr les gages de Vesta de Troie. Sans doute, les gens croient-ils qu'il existe des dieux! Mais s'ils regardaient la citadelle que vous occupez, où tant de vos maisons sont menacées par les assaillants, ils sauraient qu'il n'est point de recours à attendre des dieux [6,370] et que l'encens offert dans la main tendue est chose perdue. Ah! Puisse un lieu se prêter au combat! Ils prendraient les armes, et, s'ils ne peuvent l'emporter, ils tomberaient! Maintenant, dépourvus de vivres, redoutant le sort des lâches, prisonniers sur leur colline, ils sont pressés par une troupe barbare." 375 Alors Vénus et Quirinus, magnifique avec son sceptre et sa trabée, ainsi que Vesta, parlèrent abondamment en faveur de leur cher Latium. Jupiter répondit: "Ces remparts nous préoccupent tous, la Gaule sera vaincue et rendra des comptes. Toi, Vesta, veille simplement à faire croire que les vivres manquants [6,380] sont surabondants, et ne quitte pas ta demeure. Que l'on écrase avec la meule creuse tous les grains de Cérès et que le feu du foyer durcisse la pâte que la main a travaillée. " Il avait donné ses ordres et la vierge saturnienne suivit les ordres de son frère Jupiter; c'était le milieu de la nuit. 385 Déjà les chefs fatigués étaient endormis. Jupiter les interpelle et de sa bouche sacrée leur apprend ses volontés: "Levez-vous et du haut de la citadelle, jetez au milieu des ennemis le bien que vous souhaiteriez le moins leur envoyer!" Sortis du sommeil, intrigués par cette énigme nouvelle, ils se demandent [6,390] ce qu'ils ne voudraient pas livrer, tout en étant contraints de le faire. Alors ils pensèrent que c'était le blé: ils jettent les dons de Cérès, qui, en tombant, résonnent sur les casques et les longs boucliers. L'espoir de pouvoir vaincre par la faim meurt: une fois l'ennemi repoussé, les Romains élèvent un autel tout blanc à Jupiter Pistor. 395 Je revenais un jour des fêtes de Vesta par l'endroit où la Rue Neuve relie aujourd'hui le Forum romain. Je vis descendre une matrone, pieds nus: étonné, je restai silencieux, et m'arrêtai. Une vieille du voisinage le remarque et, secouant la tête, [6,400] me dit, d'une voix tremblante, de m'asseoir: "L'endroit occupé maintenant par les Forums n'était qu'un humide marécage, l'eau des crues du fleuve remplissait la dépression du sol. Le fameux Lacus Curtius, qui supporte un autel bien au sec, est maintenant de la terre ferme; autrefois, c'était un lac. 405 Là où les deux Vélabres voient passer les processions vers le Cirque, il n'y avait rien sauf des saules et des joncs creux: souvent un fêtard, rentrant des faubourgs à travers ces marais, chantait et lançait aux mariniers des paroles d'homme ivre. Le dieu (Vertumnus) ne portait pas encore le nom correspondant [6,410] à ses formes changeantes, nom qui lui vient d'avoir détourné le fleuve. C'était aussi un bois touffu, plein de joncs et de roseaux, un marais inaccessible pour des pieds chaussés. Les mares ont disparu et les rives du fleuve retiennent les eaux; maintenant la terre est asséchée, mais la coutume cependant subsiste." 415 Elle m'avait fourni l'explication. "Porte-toi bien, vieille femme!", dis-je, "que tout le temps qui te reste à vivre te soit doux!". Ce qui reste à dire, je l'ai appris il y a longtemps, durant mon enfance, ce n'est cependant pas une raison pour moi de le taire. Ilus le Dardanide venait de faire de nouvelles murailles [6,420] (le riche Ilus disposait alors des ressources de l'Asie). On croit qu'une statue de Minerve armée, descendue du ciel, était tombée sur les hauteurs de la ville d'Ilion. J'eus à coeur de voir: j'ai vu et le temple et son site; c'est ce qui reste là-bas, la statue de Pallas est à Rome. 425 On consulte Sminthée, qui, dans l'obscurité d'un bois opaque, émet d'une bouche qui ne ment pas les paroles que voici: "Sauvez la déesse venue de l'éther, et vous sauverez la cité: elle transportera avec elle le siège de la souveraineté ". Elle est conservée par Ilus, qui la tient enfermée en haut de la citadelle; [6,430] ensuite, le soin en revient à son héritier Laomédon. Sous Priam, la surveillance fut moindre: ainsi le voulait la déesse, après le jugement où elle perdit le concours de beauté. C'est soit le gendre d'Adraste, soit Ulysse expert en larcins, soit le pieux Énée, qui, selon la tradition, ont enlevé la statue. 435 Si l'auteur du rapt n'est pas certain, la statue elle est romaine: Vesta la protège, elle qui voit tout grâce à son feu perpétuel. Hélas, quelle ne fut pas la crainte des sénateurs, lors de l'incendie du temple de Vesta qui fut presque ensevelie sous son propre toit! Les feux sacrés étaient la proie de feux criminels, [6,440] flamme profane et flamme sainte se mêlaient. Les prêtresses, cheveux épars, pleuraient, épouvantées: la crainte même leur avait enlevé leurs forces. Métellus se lance au milieu d'elles et d'une voix forte crie: "Faites quelque chose! Cela ne sert à rien de pleurer. 445 Prenez avec vos mains de vierges les gages du destin: c'est avec vos mains, et non avec un voeu qu'il faut les enlever. Malheur à moi! Vous hésitez?", dit-il. Il les voyait hésitantes, effrayées, et prosternées, le genou en terre. Il puise de l'eau et levant les mains, dit: "Pardonnez-moi, objets sacrés: [6,450] homme, je vais pénétrer dans un lieu interdit à un homme. Si c'est un crime, que le châtiment de la faute rejaillisse sur moi; puisse Rome être délivrée au prix de ma vie! Sur ces mots, il s'élança: la déesse approuva le geste qui l'enleva, et grâce à l'intervention de son pontife, elle fut sauve. 455 Aujourd'hui, flammes sacrées, vous brillez heureusement, sous César; maintenant, un feu vit et vivra dans le foyer d'Ilion; et nulle prêtresse ne sera accusée d'avoir profané ses bandelettes sous ce règne, et nulle ne sera enterrée vive; ainsi périt celle qui manque à la chasteté: on l'ensevelit [6,460] dans ce qu'elle a profané: Tellus et Vesta sont la même divinité. À cette même date, Brutus vainqueur de l'ennemi callaïque mérita son surnom et teignit de sang la terre d'Espagne. Bien sûr parfois la tristesse se mêle aux événements joyeux et empêche le peuple de participer de tout coeur aux jours de fête: 465 Crassus, près de l'Euphrate, perdit ses aigles, son fils et ses hommes, et lui-même fut le dernier à être livré à la mort. 'Parthe, pourquoi exultes-tu?', dit la déesse. 'Tu rendras les enseignes, et un vengeur se lèvera qui rachètera la mort de Crassus'. Mais dès que les ânons aux longues oreilles sont dépouillés de leurs violettes, [6,470] et que les meules dures écrasent les grains de Cérès, le matelot, du haut de sa poupe, dit: "Nous verrons le Dauphin, lorsque la nuit humide sera levée et aura chassé le jour ". Déjà, Tithon de Phrygie, tu te plains d'être délaissé par ton épouse et Lucifer le vigilant quitte les eaux de l'Orient. 475 Allez, braves mères (les Matralia sont votre fête), offrez à la déesse thébaine des galettes dorées! Une place très fréquentée proche des ponts et du Grand Cirque, tient son nom de la statue de boeuf qui s'y trouve. C'est en lieu et à cette date, dit-on, que Servius, le sceptre à la main, [6,480] offrit à Mater Matuta un temple saint. Qui est cette déesse? Pourquoi écarte-t-elle ses servantes du seuil du temple - car elle les écarte - et pourquoi exige-t-elle des gâteaux grillés? Bacchus aux cheveux couronnés de lierre et de grappes, s'il est vrai que tu es de sa famille à elle, dirige l'oeuvre du poète! 485 À cause d'une complaisance de Jupiter, Sémélé avait été foudroyée: Ino te recueille tout enfant et met tous ses soins et son zèle à te nourrir. Le coeur de Junon se gonfle de colère, parce qu'Ino élevait l'enfant arraché du sein d'une rivale: mais c'était le sang de sa soeur. Alors Athamas est pris de folie, victime d'une hallucination, [6,490] et toi, petit Léarque, tu tombes, frappé par la main de ton père. Sa mère Ino, affligée, avait mis au tombeau les restes de Léarque et accompli devant le pitoyable bûcher tous les devoirs voulus. Puis, telle qu'elle était, les cheveux arrachés en signe de deuil, elle s'élança et t'enleva de ton berceau, Mélicerte. 495 Serrée en un petit espace, battue de deux côtés par les eaux, une terre à elle seule refoule deux étendues marines. Ino éperdue y parvient, serrant son bébé dans ses bras, et du haut d'un rocher, elle s'élance avec lui dans l'abîme. Indemnes, les malheureux sont recueillis par Panope et la foule de ses soeurs, [6,500] qui en une douce glissade les emportent à travers leur royaume. Elle ne s'appelle pas encore Leucothée, ni l'enfant Palémon, quand ils touchent à l'embouchure du Tibre aux nombreux tourbillons. Il y avait un bois sacré, lié à Sémélé ou à Stimula, on ne sait; selon la tradition, il fut habité par les Ménades d'Ausonie. 505 Ino leur demande quel peuple habite cette contrée. Elle apprend que ce sont des Arcadiens et qu'Évandre est leur roi. En dissimulant sa divinité, la Saturnienne insidieusement excite les Bacchantes du Latium, avec ces paroles mensongères: "Vous êtes des proies trop faciles, votre coeur est complètement abusé, [6,510] cette visiteuse ne vient pas en amie participer à nos choeurs; elle cherche, en recourant à la ruse, à connaître nos rites sacrés; mais elle possède un gage avec lequel nous pourrons la punir". Elle avait à peine fini de parler, que les Thyiades emplissent l'air de leurs hurlements, leurs cheveux répandus sur leurs épaules, 515 et, portant leurs mains sur Ino, luttent pour lui arracher l'enfant. Celle-ci invoque des dieux qu'elle ne connaît pas encore: "Dieux et occupants de ces lieux, secourez une mère en détresse!" Ses cris frappent les rochers tout proches de l'Aventin. Le héros de l'Oeta avait poussé ses vaches d'Ibérie près de la rive; [6,520] il l'entend, et alerté presse le pas en direction de sa voix. À l'arrivée d'Hercule, celles qui à l'instant allaient lui faire violence tournèrent le dos, fuyant honteusement comme des femmelettes. "Que cherches-tu par ici, tante de Bacchus?", dit-il, car il l'avait reconnue, "Toi et moi serions-nous par hasard persécutés par la même divinité?" 525 Elle raconte une partie de son histoire, mais en présence de l'enfant, elle se garde de tout dire, honteuse de la folie qui l'a poussée au crime. La Rumeur, véloce comme on sait, vole de ses ailes agitées, et ton nom, Ino, revient bien souvent sur ses lèvres. Tu entras, dit-on, dans la demeure rassurante de Carmenta, [6,530] où, accueillie en hôte, tu apaisas ta longue faim. Selon la tradition, la prêtresse de Tégée, de sa propre main, s'empressa de préparer des galettes, qu'elle fit cuire sur un feu allumé à la hâte. Lors des Matralia, de nos jours encore la déesse apprécie ces galettes. Un empressement rustique lui fut plus agréable qu'un art recherché. 535 "Maintenant ô prophétesse", dit Ino, "dévoile-moi le sort qui m'attend, si tu le peux; ajoute cette faveur, je te prie, à ton hospitalité". Après un court délai, la prophétesse, visitée par les puissances célestes sent sa poitrine tout entière s'emplir de son dieu. En un instant, il eut été à peine possible de la reconnaître, [6,540] tant elle paraissait plus sainte et plus grande que peu auparavant. "Je t'annonce du bonheur; réjouis-toi, Ino, tu es au bout de tes épreuves", dit-elle, "et assiste toujours ce peuple, lui assurant la prospérité! Tu seras une divinité marine; ton fils aussi appartiendra à la mer. Adoptez un autre nom, dans les eaux qui sont maintenant les vôtres! 545 Leucothée dans les eaux grecques, tu seras appelée Matuta dans les nôtres; la juridiction sur les ports appartiendra entièrement à ton fils: nous, nous l'appelons Portunus et dans sa langue, son nom sera Palémon. Allez, je vous en prie, soyez tous deux équitables pour notre contrée!" Ino avait acquiescé et engagé sa bonne foi; leurs épreuves prirent fin, [6,550] leurs noms furent changés: l'un est un dieu, l'autre une déesse. Vous demandez pourquoi elle interdit aux servantes l'accès de son sanctuaire: elle les hait, et je vais vous donner la raison de sa haine, si elle le permet. Une de tes servantes, fille de Cadmus, avait l'habitude de se soumettre aux étreintes répétées de ton époux. 555 Le méchant Athamas l'aimait en secret: par elle, il découvrit qu'on donnait aux agriculteurs des semences grillées. Ino sans doute nie avoir commis cet acte, mais la tradition le lui attribua: voilà pourquoi la classe des servantes est l'objet de sa haine. Cependant, une mère pieuse ne l'invoquera pas pour ses enfants: [6,560] personnellement elle paraît avoir été une mère peu heureuse. Vous lui confierez plus sagement les rejetons d'une autre mère: elle fut plus utile à Bacchus qu'à ses propres enfants. Rutulius, on rapporte que Matuta t'a dit: "Où cours-tu? Le jour de ma fête, consul, tu tomberas sous l'ennemi Marse". 565 Ces paroles se réalisèrent, et le fleuve Tolénus empourpré roula des eaux mêlées de sang. Au cours de l'année suivante, à la même date, Didius fut abattu, donnant ainsi à l'ennemi des forces redoublées. Fortuna, ce même jour, en ce même site, le même fondateur t'éleva un temple. [6,570] Mais qui est celui qui se cache sous ces toges superposées? À l'évidence, c'est Servius; mais sur la raison de cette dissimulation, les avis divergent, et le doute règne aussi dans mon esprit. La déesse hésite à reconnaître ses amours clandestines; elle rougit, elle un être céleste, d'avoir partagé la couche d'un mortel. 575 En effet, elle a brûlé d'une passion irrépressible pour le roi, le seul homme à l'égard de qui elle ne se montra pas aveugle. Elle avait l'habitude d'entrer chez lui, la nuit, par une petite fenêtre: c'est de là que la porta Fenestella tient son nom. Elle a honte maintenant; elle cache sous un voile les traits aimés, [6,580] et plusieurs toges recouvrent le visage du roi. Ou n'est-il pas plus vrai de dire que, après les funérailles de Tullius, le peuple était bouleversé par la mort du paisible vieillard; que la douleur était sans mesure, et s'accroissait à la vue de l'image royale, jusqu'au moment où celle-ci fut dissimulée sous les toges? 585 Il me faut chanter une troisième raison, sur un espace plus étendu mais je contiendrai mes chevaux, en les dirigeant. Tullia, qui avait contracté son mariage au prix d'un crime, avait l'habitude de stimuler son mari par ces paroles: "À quoi nous sert-il d'être pareils, coupables, toi du meurtre de ma soeur, [6,590] moi de celui de ton frère, si nous nous satisfaisons d'une vie honnête? Mon époux et ta femme auraient dû rester en vie si nous n'étions pas prêts à une entreprise plus audacieuse. Je t'apporte en dot la tête et le trône de mon père! Si tu es un homme, saisis les avantages stipulés par la dot! 595 Le crime est affaire de roi: tue ton beau-père, deviens roi et trempe nos mains dans le sang paternel!" Enflammé par ces propos, de simple particulier qu'il était, il s'était installé sur le trône; la foule stupéfaite se rue pour prendre les armes; sang et carnage s'en suivent; et le roi affaibli par l'âge est vaincu: [6,600] son gendre, le Superbe, tient le sceptre arraché à son beau-père. Massacré au pied de l'Esquilin, où se trouvait son palais, il s'affale, couvert de sang, sur le sol durci. Sa fille, avec l'intention d'entrer en voiture dans la demeure paternelle, s'avançait, hautaine et intrépide, à travers les rues. 605 Quand le cocher aperçut le cadavre, il fondit en larmes et s'arrêta; elle s'en prit à lui en ces termes: "Vas-tu avancer ou attends-tu le prix amer de ta piété? Fais passer les roues sur son visage, te dis-je, même si elles se dérobent!" Une preuve sûre de cet acte, c'est la rue du Crime qui tient son nom de cette femme; [6,610] et cet acte reste à jamais frappé d'un blâme indélébile. Et pourtant, après cela, elle osa pénétrer dans le temple, oeuvre de son père. Je dirai ce qui s'est passé: c'est surprenant certes, mais pourtant authentique. Il y avait, installée sur un trône, la statue représentant Tullius; elle se mit, raconte-t-on, la main devant ses yeux 615 et une voix se fit entendre: "Cachez mon visage, afin qu'il ne voie pas la face criminelle de ma fille!" On apporte un vêtement pour le recouvrir; Fortuna interdit de l'enlever et du fond de son temple, elle prend elle-même la parole: "Le jour où Servius apparaîtra, le visage découvert, [6,620] sera le premier qui verra abandonner toute pudeur". Évitez, matrones, de toucher les vêtements frappés d'interdit; il vous suffit de réciter à voix haute les prières rituelles; laissez toujours couverte d'un manteau romain la tête de celui qui fut le septième roi dans notre ville! 625 Ce temple brûla un jour: mais la statue fut épargnée par ce feu; Mulciber en personne avait apporté son aide à son fils. En effet, Tullius avait pour père Vulcain, et pour mère Ocrisie, une habitante de Corniculum, d'une beauté très remarquable. Après un sacrifice accompli selon l'usage, Tanaquil, qu'elle accompagnait, [6,630] lui ordonna de verser du vin dans le foyer décoré; Là, parmi les cendres, se dressa, ou parut se dresser la forme d'un phallus, réalité ou apparence? Plutôt réalité. Sur ordre de la reine, la captive s'assied sur le foyer: ainsi conçu, Servius tient du ciel la semence de sa lignée. 635 Son père le lui signifia lorsqu'il lui entoura la tête d'un éclair brillant et fit scintiller dans ses cheveux une aigrette de feu. À toi aussi, Concorde, Livie a dédié un temple magnifique en témoignage de la concorde qu'elle assura à son époux aimé. Sachez-le pourtant, générations à venir: là où se trouve actuellement [6,640] le portique de Livie, était construite une immense demeure; cette maison a elle seule était comme une ville et occupait plus d'espace que n'en occupent de nombreuses cités à l'intérieur de leurs murailles. Elle fut complètement rasée, non sur une accusation d'aspiration au trône, mais parce que son luxe même paraissait nocif. 645 César consentit à démolir de fond en comble ces constructions si imposantes et à perdre tant de richesses dont il était l'héritier: C'est ainsi qu'on exerce la censure et qu'on donne des exemples, lorsque, étant juge, on fait soi-même ce que l'on recommande aux autres. Il n'y a rien que l'on puisse signaler pour le jour suivant. [6,650] C'est aux Ides qu'un temple fut dédié à Jupiter l'Invincible. Et maintenant, il me faut parler des Quinquatries mineures. Maintenant, blonde Minerve, viens soutenir mon entreprise! "Pourquoi les joueurs de flûte errent-ils, déambulant dans toute la ville? Que signifient ces masques, et ces longues robes "? 655 Ainsi ai-je parlé. La Tritonienne posa sa lance et répondit (puissé-je rapporter en accord avec elle les paroles de la docte déesse!): "Aux temps de vos lointains ancêtres, la flûte était fort en usage, et les flûtistes furent toujours tenus en grand honneur: on jouait de la flûte dans les temples, on en jouait lors des jeux, [6,660] on en jouait lors des tristes funérailles. Le travail, payé, était léger. Mais vint un temps où cet art venu de Grèce fut brusquement interrompu. Ajoute à cela qu'un édile avait ordonné de limiter à dix les artistes qui participaient aux cortèges funèbres. 665 Les joueurs de flûte quittent la ville et s'exilent à Tibur: Tibur fut, à une certaine époque, une terre d'exil! La flûte creuse est absente des scènes, fait défaut près les autels; aucun chant funèbre n'accompagne plus les derniers convois. Un homme, digne du rang social le plus élevé, avait été esclave [6,670] à Tibur, mais depuis longtemps il était libre. Dans sa demeure de campagne, il organise un banquet et invite la troupe des musiciens, qui se rassemblent pour la fête. C'était la nuit; le vin rendait vagues les yeux comme les esprits, quand se présenta un messager, tenant un discours convenu d'avance, 675 disant: "Qu'attends-tu pour lever le banquet? Le maître qui t'a affranchi arrive; le voici". Sans attendre, les convives s'ébranlent, titubant sous l'effet du vin fort; les pieds mal assurés, ils se tiennent droits, puis vacillent. Alors le maître de maison dit: "Partez!", et, comme ils lambinent, [6,680] il les hisse sur un chariot, équipé d'un large panier d'osier. L'heure, les mouvements du chariot, le vin appellent au sommeil, et la troupe ivre s'imagine qu'elle rentre à Tibur. Déjà, le chariot avait traversé les Esquilies, était entré dans Rome et, dès le matin, il se trouvait au centre du Forum. 685 Plautius, voulant que leur tenue et leur nombre puissent donner le change, leur ordonne de se cacher derrière des masques; il leur adjoint d'autres personnes, et leur recommande de porter des robes longues pour pouvoir étoffer le groupe avec des joueuses de flûte. Ramenés dans ces conditions, ils pouvaient être couverts sans risquer le blâme [6,690] d'être revenus contre les ordres de son collègue. On approuva la chose; aux Ides, les flûtistes peuvent porter des tenues insolites et chanter sur d'anciens airs des chansons joyeuses". Dès qu'elle eut fini de m'instruire, je dis: "Il me reste à apprendre pourquoi ce jour est appelé Quinquatries." 695 "Mars", dit-elle, "célèbre des fêtes du même nom en mon honneur, et ce groupe des flûtistes est lui aussi tributaire de mes inventions. Je fus la première à faire en sorte que la longue flûte produise des sons à travers quelques trous perforés dans le buis. Ce son me plut: mais dans une onde limpide reflétant mon visage, [6,700] je vis mes joues de jeune fille toutes gonflées. "Selon moi, l'art ne vaut pas ce prix; adieu, ma flûte!", dis-je. La flûte tombe dans le gazon de la rive où je l'ai jetée. Un satyre la découvre; d'abord il s'étonne, n'en connaissant pas l'usage, puis s'aperçoit, après avoir soufflé dedans, qu'elle rend un son; 705 à l'aide de ses doigts, il laisse échapper l'air ou le retient; bientôt il se met à se vanter de son art parmi les nymphes: Il va jusqu'à défier Phébus. Phébus l'ayant emporté, il fut pendu; ses membres, dépouillés de leur peau, furent découpés. De toute façon, c'est moi qui ai inventé et fondé cette musique: [6,710] Voilà pourquoi l'art de la flûte célèbre mes jours de fête." Viendra la troisième nuit, au cours de laquelle, Thioné de Dodone, tu seras visible, dressée sur le front du Taureau lié à Agénor. C'est ce jour-là, Thybris, que dans tes eaux étrusques, tu emportes dans la mer les ordures (du temple) de Vesta. 715 Marins, si vous vous fiez aux vents, offrez vos voiles à Zéphyr: demain il répandra sur vos eaux son souffle bienfaisant. Mais dès que le père des Héliades aura plongé ses rayons dans les flots, dès que les étoiles paisibles entoureront les deux pôles, le rejeton d'Hyriée lèvera sur l'horizon ses bras vigoureux; [6,720] la nuit suivante, on pourra voir le Dauphin. C'est ce jour-là, on le sait, qui avait vu jadis, dans tes plaines, terre de l'Algide, la débandade des Volsques et des Èques; Grâce à cette victoire, Tubertus, honoré d'un triomphe sur nos voisins, tu fus transporté en vainqueur sur des chevaux blancs comme neige. 725 Désormais, il reste encore à ce mois deux fois six jours; à ce nombre, ajoute un jour encore: le Soleil sort des Gémeaux et le Cancer se met à rougeoyer; sur la colline de l'Aventin, le culte de Pallas a commencé. Déjà, se lève ta bru, Laomédon; en se levant, elle chasse [6,730] la nuit, et l'humide rosée fuit les prairies. Un temple, dit-on, fut rendu à Summanus - peu importe qui il est - , au moment où, Pyrrhus, tu faisais trembler les Romains. Lorsque Galatée aura accueilli ce jour dans les ondes paternelles et que la terre entière connaîtra la quiétude du repos, 735 le jeune homme, foudroyé par les traits de son aïeul, surgira du sol, tendant ses mains qu'entrelacent deux serpents. La passion de Phèdre est célèbre, célèbre aussi l'injustice de Thésée. Trop crédule, celui-ci sacrifia son fils; malgré sa droiture filiale, Hippolyte fut puni tandis qu'il se dirigeait vers Trézène: [6,740] un taureau parut, fendant de son poitrail les eaux devant lui. Les chevaux troublés sont terrifiés et, impossibles à maîtriser, ils traînent leur maître à travers les rochers et les durs écueils. Tombé de son char, et les membres entravés par les rênes, Hippolyte, le corps en lambeaux, avait été emporté 745 et avait rendu l'âme, à la grande indignation de Diane. "Il n'y a aucune raison de pleurer", dit le fils de Coronis, "je rendrai la vie à ce pieux jeune homme, j'effacerai ses blessures et mon art fera reculer son funeste destin ". Aussitôt il prit des herbes dans un coffret d'ivoire: [6,750] il avait jadis tiré profit, pour ressusciter les Mânes de Glaucus, des herbes auxquelles, en devin, il recourut, après les avoir observées, lorsque il se servit du remède du serpent fourni par un second serpent. Trois fois, il toucha la poitrine du mort et prononça les formules de salut: Hippolyte, qui gisait par terre, souleva la tête. 755 Dictynna le cache dans son bois sacré, en un coin retiré de forêt: dans la région du lac d'Aricie, il est devenu Virbius. Mais Clymenus et Clotho se plaignent, elle de voir se maintenir les fils d'une vie, lui, parce que ses droits souverains sont amoindris. Jupiter, redoutant un précédent, dirigea sa foudre contre Esculape [6,760] qui avait recouru trop efficacement à l'aide de son art. Phébus, tu te plaignais, mais ton fils est dieu; sois en paix avec ton père; il fait pour toi ce qu'il défend qu'on fasse. Non, César, malgré ta hâte de vaincre, je ne voudrais pas que tu engages le combat, si les auspices l'interdisent. 765 Que Flaminius et les rives du lac Trasimène te rappellent les dieux, qui ont la bonté de communiquer par les oiseaux de nombreux messages. Si tu veux connaître la date de ce désastre ancien dû à la témérité, c'est le dixième jour avant la fin de ce mois. Le jour suivant fut meilleur: Masinissa l'emporta sur Syphax [6,770] et Hasdrubal tomba sous ses propres traits. Le temps passe et nous vieillissons au fil des années silencieuses; les jours fuient et aucun frein ne les retient. Combien vite est arrivé le moment d'honorer Fors Fortuna! Dans sept jours, juin sera passé. 775 Allez, célébrez joyeusement la déesse Fors, ô Quirites! Sur la rive du Tibre, elle a reçu le présent d'un roi. Descendez-y en courant, les uns à pied, d'autres en barque rapide, et n'ayez pas honte de revenir de là en étant ivres. Barques couronnées, emportez les jeunes gens qui festoient [6,780] et qu'au milieu des ondes, ils boivent des flots de vin! La plèbe vénère cette déesse, parce que, dit-on, le fondateur de son temple est issu de la plèbe et, malgré son origine modeste, a porté le sceptre. Ce culte convient aussi aux esclaves, parce que Tullius, né d'une esclave, a élevé ce temple voisin en l'honneur de la déesse capricieuse. 785 Voici que, rentrant du temple situé à l'extérieur de la ville, un participant un peu ivre lance aux étoiles ces paroles: "Ta ceinture, cachée aujourd'hui, le sera peut-être aussi demain; c'est après, Orion, que je pourrai la contempler". Mais s'il n'avait été ivre, il aurait dit qu'à cette même date [6,790] allait revenir le temps du solstice. Au jour suivant, les Lares ont obtenu leur sanctuaire, ici, où des mains habiles tressent de nombreuses couronnes. La même date est retenue pour le temple de Jupiter Stator fondé autrefois par Romulus à l'entrée du mont Palatin. 795 Il reste à ce mois autant de jours que les Parques ont de noms; ce jour-là, Quirinus, dieu à la trabée, tu reçus un temple. Le lendemain est le jour des Calendes de juillet. Piérides, portez à son comble mon entreprise! "Dites-moi, Piérides", demandai-je, "qui vous a confiées à ce héros [6,800] à qui sa marâtre, une fois défaite, rendit les armes bien contre son gré?". Clio répondit ainsi: "Tu vois le monument de l'illustre Philippus, de qui la vertueuse Marcia tire sa naissance: Marcia, un nom dérivé d'Ancus, le roi soucieux de sacrifices, Marcia chez qui l'élégance égale la noblesse; 805 chez elle la beauté correspond aussi à l'esprit. Sa naissance, son allure et son intelligence vont de pair; et, toi, ne juge pas malséant que je loue sa beauté: nous louons aussi de cette façon les grandes déesses. La tante maternelle de César avait été jadis l'épouse de ce Philippus: [6,810] Ô honneur, ô femme digne d'une maison sacrée!" Ainsi chanta Clio; ses doctes soeurs l'approuvèrent; Alcide approuva de la tête et fit résonner sa lyre.