[1,00] Ovide, Fastes, livre I. Je chanterai les fêtes qui jalonnent l'année latine, leurs origines, et les constellations qui se lèvent et se couchent sous la terre. César Germanicus, reçois mon oeuvre d'un air serein et dirige la course de mon timide navire. 5 Sans dédain pour mon humble hommage, accorde la faveur de ton pouvoir divin à cet ouvrage que je te dédie ici. Tu reconnaîtras les rites sacrés tirés des annales anciennes, la raison qui valut aux différents jours leur mention. Tu y trouveras aussi les fêtes de votre famille: souvent, [1,10] tu pourras y lire le nom de ton père, et celui de ton aïeul. Et leurs honneurs, signalés en couleur dans les Fastes; toi-même et ton frère Drusus, vous les mériterez aussi. Que d'autres chantent les exploits de César; moi je chanterai les autels, et tous les jours que l'illustre César a ajoutés aux fêtes sacrées. 15 Soutiens mes efforts pour chanter les louanges des tiens, et chasse de mon coeur les craintes qui l'épouvantent. Donne-moi ton indulgence; ainsi tu donneras force à mon chant: mon génie s'affermit et s'affaisse selon les variations de ton visage. Les pages qui vont être soumises au jugement d'un prince cultivé [1,20] tremblent comme un message que devrait lire le dieu de Claros. Nous avons perçu l'éloquence sortant de sa docte bouche lorsqu'il usa des armes du citoyen en faveur d'accusés alarmés. Nous savons aussi, lorsque ton élan se porte vers nos arts, les fleuves immenses qui coulent de ton inspiration. 25 Si les hommes, si les dieux le permettent, ô poète, guide un poète; que, sous tes auspices, l'année tout entière se déroule dans le bonheur. Lorsque le fondateur de la Ville organisait le calendrier, il décida que son année compterait deux fois cinq mois. Certes, Romulus, tu connaissais les armes mieux que les étoiles, [1,30] et ton souci majeur était de vaincre tes voisins. Pourtant, César, la raison qui l'a poussé existe bel et bien et lui fournit de quoi justifier son erreur. Il décida que le temps mis par un nourrisson pour sortir du ventre maternel était le temps suffisant à une année. 35 Pendant ce nombre de mois, une épouse, dans sa maison de veuve, arbore les signes de deuil après les funérailles de son époux. Cela en effet n'échappa pas à la vigilance de Quirinus, vêtu de la trabée, lorsqu'il réglementait l'année pour des populations frustres. Le premier mois appartenait à Mars, le second à Vénus: [1,40] celle-ci était la première de sa lignée et l'autre était son propre père. Le troisième mois tire son nom des aînés, le quatrième des jeunes, les mois qui suivaient furent notés d'après leur numéro d'ordre. Numa, pour sa part, ne négligea ni Janus ni les ombres des aïeux et en tête des anciens mois, il en plaça deux nouveaux. 45 Cependant, tu ne dois pas ignorer les droits des différents jours: chaque apparition de Lucifer ne comporte pas les mêmes obligations. 'Néfaste' sera le jour où l'on ne prononce pas les trois paroles; 'faste', celui où l'on peut agir en justice. Et ne va pas penser que ces règles persistent durant toute une journée: [1,50] tel jour deviendra 'faste', qui le matin était 'néfaste'; car une fois la fressure offerte au dieu, toute parole peut être prononcée, et le préteur en charge a la liberté d'énoncer sa sentence. Il y a aussi le jour où il est permis d'assembler le peuple dans des enclos; et il y a celui qui revient régulièrement tous les neuf jours. 55 En Ausonie, le culte de Junon revendique les Calendes; aux Ides, on immole à Jupiter une agnelle blanche de grande taille; les Nones sont privées de la tutelle d'un dieu. De tous ces jours, (veille à ne pas te tromper), le lendemain sera noir. Cet auspice funeste découle des circonstances: car, au cours de jours tels, [1,60] Rome a essuyé de graves dommages, Mars s'étant montré hostile. J'ai relevé une fois pour toutes, pour éviter de couper mon exposé, ces traits, qui concernent les Fastes dans leur ensemble. Germanicus, voici qu'il vient t'annoncer une année heureuse, Janus, le premier dieu présent dans mon poème. 65 Janus aux deux visages, toi qui commences l'année au cours silencieux, toi, le seul des dieux d'en haut à voir ton propre dos, sois propice à nos princes dont le labeur apporte la paix à la terre féconde et la paix à la mer. Sois propice à tes sénateurs et au peuple de Quirinus, [1, 70] et d'un signe de tête fais ouvrir les temples éclatants. Un jour béni se lève: faites silence et recueillez-vous! En ce beau jour, il faut prononcer des paroles de bonheur. Que les oreilles soient exemptes de débats, et que d'emblée s'éloignent les querelles insanes: diffère ton oeuvre, langue envieuse. 75 Vois-tu comment le ciel resplendit de feux parfumés, et comment crépite le safran de Cilicie dans les foyers allumés? L'éclat de la flamme se reflète sur l'or des temples et répand au sommet du sanctuaire sa lueur tremblante. En vêtements sans taches, on se rend à la citadelle tarpéienne [1,80] et le peuple lui aussi porte la couleur qui s'accorde à sa fête. Et en tête avancent les nouveaux faisceaux, la pourpre nouvelle brille et, sur la chaise curule d'ivoire éclatant, siège un nouveau personnage. De jeunes taureaux, ignorant les travaux et nourris d'herbages dans les champs falisques, tendent leur cou au sacrificateur. 85 Lorsque, de sa citadelle, Jupiter observe l'ensemble de l'univers, il ne peut rien apercevoir qui ne soit romain. Salut, jour heureux, reviens-nous toujours meilleur, digne d'être célébré par le peuple qui gouverne le monde! Mais quel dieu es-tu, comment te décrire, Janus à la double forme? [1,90] La Grèce en effet ne compte aucun dieu qui soit ton pareil. Dis aussi pourquoi, parmi les habitants du ciel, tu es le seul à voir des choses derrière toi, et d'autres devant toi. Comme je remuais tout cela dans ma tête, mes tablettes à l'appui, ma maison me parut plus claire qu'auparavant. 95 Alors, si étonnant avec sa double image, le divin Janus offrit soudain à mes yeux ses deux visages. Je pris peur et sentis mes cheveux se dresser de frayeur tandis qu'un froid soudain me glaçait le cœur. Le dieu, un bâton dans la main droite, une clef dans la gauche, [1,100] m'adressa, de sa bouche antérieure, les paroles que voici: "Poète assidu des jours, laisse toute crainte, apprends ce que tu veux savoir, et perçois le sens de mes paroles. Les anciens (je suis une réalité très ancienne) me nommaient Chaos; vois combien lointains dans le temps sont les événements que je chante. 105 À cette époque l'air lumineux et les trois autres éléments, le feu, l'eau et la terre, formaient un seul tout entassé. Dès que cette masse, suite à un conflit de ses éléments, se fut désagrégée et dissoute pour s'en aller vers d'autres séjours, le feu gagna les hauteurs, l'air s'empara de la zone voisine, [1,110] la terre et les mers occupèrent le centre. Alors moi, primitivement boule et masse sans forme, je retrouvai un visage et des membres dignes d'un dieu. Maintenant encore, petit rappel de ma figure jadis imprécise, ma face antérieure ressemble à ma face postérieure. 115 Apprends la seconde raison de cette forme qui t'intrigue, et, du même coup, tu connaîtras ma fonction. Tout ce que tu vois partout, ciel, mer, nuages, terres, c'est ma main qui tient tout cela fermé et ouvert. La garde du vaste monde me revient à moi seul, [1,120] et le droit de faire tourner l'axe de ses portes m'appartient tout entier. Lorsque je juge bon d'envoyer la Paix hors de sa paisible demeure, elle se promène librement et indéfiniment sur les chemins; mais l'univers entier serait mêlé à de sanglantes tueries, si de rigides verrous ne retenaient les guerres enfouies. 125 Avec les douces Heures, je veille aux portes du ciel: ma fonction assure les allées et venues de Jupiter même. C'est pourquoi on m'appelle Janus; quand le prêtre m'offre un gâteau sacré et l'épeautre mêlé de sel, les noms qu'on me donne t'amuseront: bien que je sois le même, [1,130] la bouche du sacrificateur m'appelle tantôt Patulcius, tantôt Clusius. Sans doute les anciens, alors incultes, ont-ils voulu, par cette alternance de noms, signaler mes rôles opposés. Voilà mon pouvoir expliqué; apprends maintenant la raison de mon aspect, bien que pourtant tu l'entrevoies déjà partiellement. 135 Toute porte a deux faces, donnant de deux côtés, l'une d'elles regarde les gens dehors, l'autre le Lare, à l'intérieur. De même que, assis près du seuil d'entrée de votre maison, votre portier voit les sorties et les entrées, ainsi moi, portier de la cour céleste, j'aperçois [1,140] au même instant les régions de l'Aurore et de l'Hespérie. Tu vois les visages d'Hécate tournés dans trois directions pour surveiller les carrefours à trois branches; moi aussi, j'ai la possibilité, pour ne pas perdre du temps en tournant la tête, de voir des deux côtés sans mouvoir mon corps. 145 Il avait fini de parler, et à voir son air, j'avais compris qu'il ne me ferait pas de difficultés, si je voulais en savoir plus. Je m'armai de courage; sans être intimidé, je remerciai le dieu, et, les yeux baissés vers le sol, je prononçai quelques mots: "Allons, dis-moi pourquoi l'an neuf commence avec les frimas: [1,150] ne devait-il pas de préférence débuter au printemps? Alors, tout fleurit, alors, c'est la saison nouvelle: sur le sarment fécond le jeune bourgeon se gonfle, et l'arbre se couvre de feuilles à peine formées; l'herbe aussi, sortie de la graine, pointe sa tige au ras du sol, 155 et les oiseaux de leurs concerts agrémentent la tiédeur de l'air, tandis que les troupeaux jouent et s'ébattent dans les prairies. Alors le soleil est doux; l'hirondelle, oubliée, reparaît et façonne son nid de boue à l'abri d'une haute poutre; alors le champ labouré souffre, la charrue le rend neuf. [1,160] C'est cette période qui méritait d'être appelée nouvel an". Ma question avait été longue; lui, sans beaucoup attendre, concentra sa réponse dans ces deux vers: "Le solstice d'hiver marque le premier jour du soleil nouveau et le dernier de l'ancien: Phébus et l'an ont même commencement". 165 Après quoi, je m'étonnais du fait que ce premier jour ne fût pas exempté de procès. Janus dit: "Apprends-en la cause! J'ai confié à l'année naissante l'activité judiciaire, par crainte de voir l'année tout entière dépourvue d'activité, à cause d'un tel auspice. Pour la même raison, chacun s'adonne à ses activités propres, [1,170] ne faisant rien d'autre que témoigner de son travail habituel". Aussitôt j'interviens: "Pourquoi, lorsque j'honore d'autres dieux, dois-je commencer par t'offrir à toi, Janus, de l'encens et du vin?" "Pour que tu puisses, dit-il, grâce à moi, gardien des seuils, accéder à ton gré auprès de tous les dieux". 175 "Mais pourquoi prononçons-nous des paroles joyeuses à tes Calendes, et pourquoi faisons-nous cet échange de voeux?" Alors le dieu, appuyé sur le bâton qu'il tenait de la main droite, dit: "D'habitude, les commencements comportent des présages. À la première parole, vous tendez une oreille craintive [1,180] et c'est le premier oiseau entrevu que consulte l'augure. Les temples des dieux sont ouverts, de même que leurs oreilles; nulle langue ne formule en vain des prières; les paroles ont leur poids". Janus en avait fini; je ne gardai pas longtemps le silence, et mes mots suivirent aussitôt ses dernières paroles: 185 "Que veulent dire la datte et la figue ridée", dis-je, "et le miel qu'on offre, contenu dans une jarre blanche?" Il dit: "C'est pour le présage, pour que leur saveur s'attache aux choses et que l'année achève son voyage en douceur comme il a commencé". "Je vois pourquoi on offre des douceurs; dis-moi aussi le pourquoi [1,190] de la pièce de monnaie, pour que rien ne m'échappe de ta fête". Il rit et dit: "Combien tu es abusé sur les temps où tu vis, si tu penses qu'il est plus doux de recevoir du miel qu'une obole! Au temps où régnait Saturne, j'avais peine déjà à trouver quelqu'un dont l'esprit n'appréciait pas les douceurs du profit. 195 Avec le temps grandit le désir de posséder, qui actuellement culmine; à peine est-il possible d'aller plus loin en cette voie. Les richesses sont plus prisées maintenant que dans les premiers temps, quand le peuple était pauvre, quand Rome était dans sa nouveauté, quand une humble cabane accueillait Quirinus, le fils de Mars, [1,200] et quand les roseaux du fleuve lui servaient de petite couchette. Jupiter tenait difficilement debout dans son temple étroit, et en sa main droite, le foudre était d'argile. On ornait le Capitole de feuillages, des gemmes aujourd'hui, et le sénateur menait lui-même paître ses brebis; 205 il n'était pas honteux de prendre un paisible repos sur une paillasse ni de poser sous sa tête un coussin de foin. Le préteur, sa charrue à peine posée, rendait la justice au peuple et on pouvait vous faire grief de posséder une mince lame d'argent. Mais lorsque la Fortune de ce lieu eut relevé la tête, [1,210] et que Rome du haut du front eut touché les demeures des dieux, les richesses s'accrurent, de même qu'une furieuse envie de richesses; et, tout en possédant quantité de biens, on en réclama davantage. On rivalisa pour gagner de quoi dépenser, et regagner sa dépense, et cette alternance même alimenta les vices: 215 ainsi en va-t-il de ceux dont le ventre est gonflé par l'hydropisie, plus ils ont bu d'eau, plus ils sont assoiffés. Actuellement la valeur réside dans l'argent: le cens procure les honneurs; il procure aussi les amitiés; le pauvre, où qu'il soit, reste sur le carreau. Tu te demandes pourtant ce que peut valoir le présage d'une obole, [1,220] et pourquoi nous aimons tenir en mains de vieilles monnaies de bronze. Jadis on offrait du bronze: maintenant, en or, le présage est meilleur et l'antique monnaie, vaincue, a cédé le pas à la nouvelle. Nous aussi, même si nous prisons les temples anciens, nous les aimons quand ils sont dorés: cette majesté sied à un dieu. 225 Nous louons les temps révolus, mais nous vivons à notre époque: de toute façon les deux coutumes méritent un égal respect". Il en avait fini avec ses révélations. Toujours aussi sereinement, je m'adresse à nouveau au dieu porteur de clefs en ces termes: "J'ai vraiment beaucoup appris; mais pourquoi une monnaie de bronze [1,230] a-t-elle une face marquée d'une nef, l'autre d'une figure à deux têtes?" "C'est, dit-il, pour que tu puisses me reconnaître à cette double image, si du moins la vétusté n'avait pas usé cette antique marque. La nef reste à expliquer: c'est en barque que le dieu à la faux, après ses errances à travers le monde, parvint au fleuve étrusque. 235 C'est sur cette terre que fut accueilli Saturne, je m'en souviens; Jupiter l'avait expulsé du royaume céleste. De là le nom de Saturnia qui resta longtemps lié à cette peuplade; la terre fut aussi appelée Latium, à cause de ce dieu qui s'y cachait. Et la postérité eut la bonté de frapper une poupe en bronze, [1,240] témoignant ainsi de l'arrivée de son hôte divin. Pour ma part, j'ai habité près du Thybris sableux, sur la rive gauche qu'effleurent ses ondes paisibles. Ici, où est Rome, s'étendait une forêt inviolée et verdoyante, et ce lieu majestueux servait de pâture à quelques boeufs. 245 Ma citadelle était la colline que le peuple désigne par mon nom et que notre époque nomme Janicule. Moi, je régnais au temps où la terre tolérait la présence des dieux, et où des divinités se mêlaient aux lieux où vivaient les hommes. La scélératesse des mortels n'avait pas encore mis la Justice en fuite: [1,250] elle fut la dernière des divinités célestes à quitter la terre; la pudeur sans violence, plutôt que la crainte, gouvernait le peuple: nul effort n'était requis pour rendre justice à des justes. Je n'avais rien à voir avec la guerre: je veillais à la paix et aux portes", et, montrant sa clef, il dit: "voici les armes que je porte". 255 Le dieu avait fermé la bouche. Alors moi, ouvrant la mienne, je cherchai par mes paroles à provoquer ses paroles: "Les 'passages' sont si nombreux: pourquoi un seul présente-t-il ta statue sacrée, là où ton temple touche aux deux forums?" Lui, caressant de la main la barbe qui lui pendait sur la poitrine, [1,260] rapporta aussitôt les exploits de Tatius l'Oebalien, et la manière dont une gardienne futile, séduite par des bracelets, guida les Sabins silencieux sur la voie montant à la citadelle. "De là", dit-il, "tout comme le sentier que vous descendez maintenant, une pente escarpée menait dans la vallée à travers les forums. 265 Et déjà Tatius avait atteint la porte, dont la Saturnienne, par haine, avait enlevé les barres de fermeture; redoutant d'engager la lutte avec une déesse si puissante, moi, habilement, j'activai les ressources de mon art, et, grâce à mon pouvoir, j'ouvris les bouches d'une source, [1,270] et soudainement je fis jaillir de l'eau. Mais auparavant j'avais jeté du soufre dans les rigoles humides, pour rendre le liquide bouillonnant et fermer la voie à Tatius. La fuite des Sabins démontra l'utilité de cette source, et aussitôt ce lieu paisible retrouva son aspect premier; 275 un autel m'y fut consacré, jouxtant un petit sanctuaire: dans ses flammes on fait brûler l'épeautre et les gâteaux sacrés. "Mais pourquoi te cacher en temps de paix et rester ouvert quand s'ébranlent les armes? Aussitôt, ma question reçoit une explication: "Pour assurer aux hommes partis à la guerre la possibilité de rentrer, [1,280] ma porte est complètement ouverte, sans aucun verrou. En temps de paix, je la ferme pour que la paix ne puisse s'éloigner; et par la sainte volonté de César, je resterai longtemps fermé". Il parla et, levant ses yeux qui voient dans des directions opposées, il observa tout ce qui se passait dans le monde entier: 285 la paix régnait, Germanicus, et, raison de votre triomphe, le Rhin déjà t'avait livré ses eaux asservies. Janus, fais que vivent éternellement la paix et ceux qui la servent, et que l'auteur de cette paix ne délaisse pas son oeuvre! Au reste, les Fastes mêmes me permirent d'apprendre [1,290] que ce jour-là nos pères consacrèrent deux temples. L'enfant né de Phébus et de la nymphe Coronis fut recueilli dans l'île qu'enferme le fleuve entre ses eaux séparées. Jupiter occupe une partie de l'île: un seul endroit accueille les deux dieux, et le temple du petit-fils jouxte celui de son grand aïeul. 295 Qui m'empêche de parler aussi des étoiles, de leur lever, de leur coucher à chacune? Accomplissons ainsi cette part de ma promesse. Heureux les esprits qui, les premiers, eurent le souci de connaître ces choses et de s'élever jusqu'aux demeures d'en haut. On peut croire que ces êtres ont tout à la fois élevé leurs têtes [1,300] bien au-dessus des vices et des séjours des mortels. Ni Vénus ni le vin n'ont brisé la noblesse de leurs coeurs, ni non plus l'activité du forum ni les épreuves militaires. L'ambition futile, la gloire pourprée, la soif de richesses démesurées n'ont pas davantage tourmenté leurs esprits. 305 Ils ont rapproché de nos yeux les astres lointains, et par leur génie ont soumis l'éther. Ainsi se gagne le ciel, et non en superposant l'Ossa sur l'Olympe, ni en forçant la pointe du Pélion à toucher les étoiles les plus hautes. Nous aussi, les prenant pour guides, nous mesurerons le ciel, [1,310] et attribuerons leurs dates propres aux constellations errantes. Donc, dès qu'arrivera la troisième nuit avant les Nones prochaines, quand la terre tout humide sera couverte de rosée céleste, en vain cherchera-t-on les pinces du Cancer octopode: il plongera tête en avant dans les eaux du couchant 315 L'arrivée des Nones te sera signalée par des averses tombant de noirs nuages, tandis que se lève la Lyre. Ajoute quatre jours, à compter depuis les Nones, et le jour de l'Agonium, Janus recevra un sacrifice propitiatoire. Le nom peut s'expliquer par le sacrificateur en tenue retroussée [1,320] qui immole sous ses coups une victime aux dieux du ciel; celui-ci, levant le couteau qu'il va tremper dans le sang chaud, demande toujours s'il doit agir, et il n'agit que sur ordre. Certains croient que les Agonalia tirent leur nom de l'acte d'amener, parce que les bêtes ne viendraient pas d'elles-mêmes mais seraient amenées. 325 D'autres pensent que les anciens appelaient cette fête Agnalia, comme si une seule lettre avait été retirée de sa place. Ou est-ce parce que la victime craint les couteaux aperçus dans l'eau que ce jour-là est marqué par l'anxiété de la bête? Il est possible aussi que le nom grec de ce jour soit dû aux jeux [1,330] qui avaient coutume de se dérouler au temps de nos ancêtres. De plus, dans l'ancienne langue, le bétail se disait agonia; et à mon sens, cette dernière explication est la vraie. Qu'elle soit certaine ou non, le roi des sacrifices doit de toute façon apaiser les dieux en immolant le compagnon de la brebis porte-laine. 335 La bête tombée sous une main victorieuse s'appelle victima; hostia tient son nom des ennemis soumis. Autrefois, ce qui aidait l'homme à se concilier les dieux, c'était une galette d'épeautre et un grain brillant de sel pur. Il n'avait pas encore apporté la myrrhe, aux larmes suintant sous l'écorce, [1,340] le navire étranger qui avait sillonné les plaines marines. L'Euphrate n'avait pas envoyé son encens, ni l'Inde son nard, et on ne connaissait pas les filaments rouges du safran. De l'autel se contentant d'herbes sabines montaient les fumées, et le laurier se consumait en crépitant à grand bruit. 345 Si quelqu'un pouvait ajouter des violettes à des couronnes de fleurs des prés, c'est qu'il était riche. Ce couteau qui maintenant ouvre les entrailles d'un taureau abattu n'avait, lors des sacrifices, nulle raison d'être. Cérès, la première, s'est complue au sang de la truie gourmande, [1,350] vengeant ses richesses par le meurtre justifié de la coupable; en effet, elle découvrit, arrachées par le groin de la truie porte-soies, les pousses semées au début du printemps dans les sillons ameublis. La truie avait eu son châtiment: effrayé par son exemple, bouc, tu aurais dû te tenir à l'écart des sarments de vigne. 355 Quelqu'un, le voyant saccager la vigne de ses dents, ne contint pas sa douleur et lança ces paroles: "Ronge la vigne, bouc; toutefois, quand tu seras près de l'autel, de cette vigne sortira de quoi asperger tes cornes". Ces paroles se réalisent: l'ennemi qu'on t'offre en réparation, [1,360] ô Bacchus, a les cornes aspergées de vin. Leur faute fut fatale tant à la truie qu'à la chèvre. Quel fut ton crime, ô boeuf? Et le vôtre, paisibles brebis? Aristée pleurait, car il avait vu ses abeilles, tuées avec leur couvain, délaisser les rayons de miel qu'elles avaient commencés. 365 Sa mère céruléenne eut peine à le soulager de son chagrin, et ajouta à ses consolations ces dernières paroles: "Mon enfant, sèche tes larmes: Protée réparera le tort que tu as subi et te donnera le moyen de remplacer tes abeilles perdues. Toutefois, pour éviter qu'il ne t'abuse en changeant d'aspect, [1,370] il faut entraver ses deux mains par des liens solides". Le jeune homme arrive près du devin, saisit et enchaîne les bras du vieillard de la mer, engourdis par le sommeil. Lui, recourant à son art des métamorphoses, change d'aspect; bientôt, à cause des liens qui l'entravent, il reprend sa forme normale 375 et levant son visage ruisselant et sa barbe sombre, il dit: "Tu cherches par quel artifice tu reconstitueras tes abeilles? Abats un jeune taureau et recouvre son corps de terre: ce que tu attends de nous, lui, une fois enseveli, te le donnera". Le berger fait ce qu'on lui dit; des essaims bourdonnants [1,380] surgissent du boeuf putréfié: d'une vie immolée mille vies naissent. Le destin exige le sacrifice de la brebis: l'impudente a pris les rameaux sacrés qu'une pieuse vieille avait coutume d'offrir aux dieux des champs. Que reste-t-il de sûr, dès lors que l'animal à la toison de laine et les boeufs de labour perdent leur vie sur les autels? 385 C'est avec un cheval que la Perse apaise Hypérion couronné de rayons, car un dieu rapide ne peut se voir offrir une victime lente. Une fois on immola à Diane, sa jumelle, une biche à la place d'une vierge, et maintenant encore, on sacrifie une biche, qui ne remplace aucune vierge. J'ai vu que les Sapéens et les habitants de tes pentes neigeuses [1,390] ô Hémus, offraient à Trivia des entrailles de chien. On immole aussi un ânon au rigide gardien des champs; la raison en est peu convenable sans doute, mais bien adaptée à ce dieu. Tu célébrais, ô Grèce, en l'honneur de Bacchus à la couronne de lierre, la fête que tous les deux ans l'hiver ramène à sa date habituelle. 395 Les dieux adorateurs de Lyaeus vinrent aussi à cette fête, et tous ceux qui ne rechignent point aux jeux et au badinage, les Pans et les jeunes Satyres, enclins aux plaisirs de Vénus, et les déesses qui hantent les fleuves et les campagnes solitaires. Il était venu aussi, le vieux Silène, sur son âne à l'échine courbée, [1,400] ainsi que le dieu rouge qui de son membre terrifie les oiseaux apeurés. Lorsqu'ils eurent trouvé un endroit boisé propice à d'agréables agapes, ils s'étendirent sur des couchettes garnies de gazon. Liber fournissait le vin, chacun avait apporté sa propre couronne, la rivière offrait de l'eau à profusion pour les mélanges. 405 Les Naïades étaient là, les unes portant leurs cheveux épars, non peignés; d'autres de leurs mains les avaient habilement arrangés. Celle-là fait le service, tunique retroussée au-dessus des mollets, cette autre, le corsage décousu, découvre sa poitrine; celle-ci dévoile son épaule, celle-là traîne dans l'herbe son vêtement, [1,410] nulle sandale n'entrave leurs pieds délicats. Dès lors, certaines éveillent chez les Satyres de doux incendies, d'autres t'enflamment toi, aux tempes ornées d'une couronne de pin; elles t'embrasent toi aussi, Silène, dont le désir est insatiable: ton goût de la débauche ne te permet pas de vivre en vieillard. 415 Mais Priape, le dieu rouge, ornement et protection des jardins, avait, parmi toutes les nymphes, jeté son dévolu sur Lotis. Il la désire, il l'a choisie, il ne soupire que pour elle; de la tête, il lui fait des signes et ses gestes la pressent. La morgue habite les belles, et la beauté engendre la superbe: [1,420] la moue de la nymphe manifestait un mépris moqueur. C'était la nuit, et le vin poussait au sommeil; çà et là, gisaient les corps vaincus par la torpeur. Lotis, lassée des jeux, se reposait bien à l'écart, couchée sur l'herbe, sous les branches d'un érable. 425 Son amoureux survient qui, retenant son souffle, furtivement, sur la pointe des pieds, s'avance en silence. Parvenu à la retraite où couchait la nymphe au teint de neige, il veille à ce qu'on n'entende pas son propre souffle; et déjà il s'avançait en se balançant vers la couche de gazon: [1,430] elle pendant ce temps était plongée dans un sommeil profond. Il s'en réjouit, retira le voile qui lui couvrait les pieds, et déjà il était sur la voie de réaliser ses voeux. Voici que l'âne, la monture de Silène, se met à braire d'une voix rauque, émettant des sons malvenus. 435 La nymphe se redresse effrayée; des mains, elle repousse Priape et, en fuyant, elle ameute tout le bois. Mais le dieu, qui physiquement n'était que trop prêt à son acte indécent, fut la risée de tous, sous l'éclat lumineux de la lune. L'auteur du cri paya sa faute de la mort, [1,440] devenu victime agréable au dieu de l'Hellespont. Oiseaux, consolation des campagnes, vous fûtes longtemps épargnés, vous race inoffensive et familière des forêts, qui construisez des nids et couvez vos oeufs sous vos plumes, vous, dont la voix délicate émet des sons si doux. 445 Mais cela ne vous sert en rien, car on vous reproche de parler et les dieux pensent que vous dévoilez leurs pensées. Et ce n'est pas faux; car, plus vous vous approchez des dieux, plus vraies sont les données que fournissent votre vol ou votre voix. Longtemps à l'abri, la race des oiseaux fut finalement sacrifiée, [1,450] et les dieux apprécièrent la fressure de l'être qui les trahissait. C'est pourquoi, souvent, on éloigne la blanche colombe de son compagnon, pour la brûler sur les foyers de la Cnidienne. Et d'avoir défendu le Capitole ne sert pas à éviter à l'oie d'offrir son foie en sacrifice sur tes plats, noble fille d'Inachus. 455 De nuit, on immole à la déesse Nuit l'oiseau porte-crête, qui, de sa voix vigilante, fait naître la tiédeur du jour. Entre-temps l'astre brillant du Dauphin s'élève sur les flots,sortant la tête des ondes paternelles. Le lendemain marque la moitié de l'hiver [1,460] et la partie restante égale la partie déjà passée. Fastes, 1, 461-637 Le jour suivant, l'Aurore quittera son époux Tithon et verra se dérouler les rites des pontifes en l'honneur de la déesse d'Arcadie. Ce même jour aussi t'accueillera, soeur de Turnus, ici dans le temple où l'Aqueduc de l'Aqua Virgo arrive au Champ de Mars. 465 Où trouverai-je l'explication de ces rituels et leur teneur? Qui guidera ma voile au milieu des flots? Renseigne-moi, toi qui tires ton nom du mot carmen, soutiens mon projet, pour m'éviter de m'égarer en te célébrant. Née avant la Lune, si l'on croit en ses propres dires, [1,470] ta terre d'origine tient son nom du grand Arcas. Là vécut Évandre, qui, bien qu'illustre par ses deux parents, tirait surtout sa notoriété du sang de sa mère divine. Celle-ci recevait en son esprit l'inspiration céleste, et aussitôt émettait à haute voix les oracles véridiques du dieu. 475 Elle avait prédit que des troubles les menaçaient, son fils et elle, et beaucoup d'autres faits encore, qui se vérifièrent avec le temps. En effet, exilé avec sa mère qui n'avait été que trop véridique, le jeune homme quitta l'Arcadie et son Lare parrhasien. Comme il pleurait, sa mère lui dit: "Sèche tes larmes, je t'en prie; [1,480] tu dois supporter en homme ce coup de la fortune. Ainsi le voulaient les destins; ce n'est pas une faute de toi qui t'a exilé, mais un dieu: un dieu irrité t'a chassé de la ville. Tu ne subis pas un châtiment mérité, mais bien la colère d'un dieu: c'est quelque chose d'être sans reproche dans de grands malheurs! 485 Comme chacun a pour lui sa propre conscience, en son cœur, il conçoit espoir et crainte selon sa conduite. Mais ne t'afflige pas comme si tu étais le premier à subir de tels maux: une tempête comparable a écrasé des hommes importants. Chassé jadis des rivages de Tyr, Cadmos a enduré la même épreuve, [1,490] et comme exilé, il s'est installé en terre d'Aonie. Ils ont subi le même sort, Tydée ainsi que Jason de Pagase, et tous ceux qu'il serait long d'énumérer à leur suite. Pour l'homme courageux, toute terre est une patrie; ainsi la mer pour les poissons, ainsi tout espace libre dans l'univers pour les oiseaux. 495 En outre, une tempête violente ne sévit pas une année entière: Toi aussi, crois-moi, tu connaîtras d'autres printemps". L'esprit réconforté par les paroles maternelles, Évandre sur son navire fend les flots et gagne l'Hespérie. Et déjà, grâce aux conseils de la docte Carmenta, [1,500] son esquif avait atteint le fleuve et remontait les eaux étrusques. La prophétesse aperçoit la rive jouxtant les gués du Tarentum et les cabanes éparses dans ces lieux solitaires; telle qu'elle était, cheveux hérissés, elle se dressa à l'avant de la poupe, et, le regard farouche, elle retint la main du pilote; 505 de loin, tendant les bras vers la rive droite, débridée, par trois fois elle frappa du pied la texture de pin; pour l'empêcher de sauter, vu sa hâte à fouler cette terre, la main d'Évandre eut bien du mal à la retenir. Elle dit alors: "Salut, dieux de ces lieux que nous avons désirés, [1,510] et toi, Terre, destinée à peupler le ciel de nouveaux dieux; vous, rivières et sources bénies de cette terre hospitalière, et vous, arbres des forêts et choeurs des Naïades, soyez pour mon fils et pour moi une vision de bon augure, et puissions nous d'un pied heureux fouler cette rive! 515 Suis-je dans l'erreur ou ces collines deviendront-elles d'immenses remparts, et le reste du monde attendra-t-il ses droits de cette terre? À ces monts est promis un jour l'empire sur l'univers. Qui pourrait croire qu'un lieu possède un tel destin? Bientôt les coques de pin de Dardanie toucheront ces bords. [1,520] Ici aussi une femme sera la cause d'une nouvelle guerre. Pallas, mon cher petit-fils, pourquoi revêtir ces armes funestes? Revêts-les: tu seras abattu, et illustre sera ton vengeur. Vaincue, ô Troie, tu vaincras pourtant, et détruite, tu resurgiras: tes ruines voient s'écrouler les demeures de tes ennemis. 525 Flammes victorieuses, brûlez la Pergame de Neptune: Néanmoins, ces cendres ne dominent-elles pas l'univers entier? Bientôt, le pieux Énée apportera les objets sacrés, Et son père, autre trésor sacré: accueille, Vesta, les dieux d'Ilion. Le temps viendra où le même être vous protégera, vous et le monde, [1,530] et les rites s'accompliront, célébrés par le dieu lui-même, et la protection de la patrie appartiendra à la famille d'Auguste: il est juste que cette maison tienne les rênes de l'empire. Dès lors, le fils et petit-fils d'un dieu, même si lui le récuse, portera avec une sagesse céleste la charge paternelle. 535 Et de même que je serai un jour consacrée pour toujours sur les autels, apparaîtra une nouvelle divinité, Iulia Augusta". Dès que ses paroles atteignirent notre époque, sa langue de prophétesse s'immobilisa au milieu de son discours. L'exilé sortit de son bateau et se posa sur l'herbe du Latium. [1,540] Heureux qui eut cette terre comme lieu d'exil! Sans tarder, de nouveaux toits s'élevaient, et personne, sur les monts d'Ausonie, n'était plus puissant que l'Arcadien. Voici que le héros porteur de massue, venant d'Érythée, amène ses vaches en ce lieu, après avoir longuement parcouru le monde; 545 tandis que la maison du Tégéen l'accueille en hôte, ses bêtes errent sans surveillance à travers l'immensité des champs. C'était le matin: tiré de son sommeil, le guide Tirynthien du troupeau remarqua qu'il lui manquait deux taureaux. Il cherche, sans voir aucune trace de ce vol mystérieux: [1,550] le farouche Cacus les avait traînés à reculons dans son antre, Cacus, la terreur de l'Aventin et la honte de la forêt, un fléau bien lourd pour les voisins et leurs hôtes. L'homme paraissait effrayant: des forces proportionnées à son corps, un corps de géant (le père de ce monstre était Mulciber), 555 et pour maison, une immense caverne, aux recoins prolongés, bien cachée, difficile à repérer, même pour les bêtes sauvages. Des têtes et des bras sont fichés et suspendus en haut des portes, et le sol est tout blanc, hérissé d'ossements humains. Le fils de Jupiter, qui n'avait conservé qu'une partie du troupeau, s'en allait, [1,560] quand les bêtes dérobées se mirent à beugler de leurs voix rauques. "J'entends ce rappel", dit-il; et, se dirigeant au son de leur voix, à travers bois, il arriva en vengeur à l'antre impie. Le monstre avait barré l'entrée avec un bloc détaché du rocher, dix attelages auraient eu du mal à mouvoir ce barrage. 565 Hercule y appuie ses épaules -- elles qui avaient aussi supporté le ciel -- et d'un mouvement il ébranle cet énorme roc. Dès que le bloc se renversa, le fracas effraya l'éther même, et le sol s'affaissa, frappé par le poids de cette masse. Cacus, la droite levée, engage un premier combat, [1,570] et, redoutable, mène l'affaire à coups de pierres et de pieux. Comme cela ne donne rien, il recourt, homme sans grand courage, aux arts de son père, et vomit des flammes de sa gueule sonore; chaque fois qu'il souffle, on croirait entendre la respiration de Typhée et voir la foudre rapide s'élancer du feu de l'Etna. 575 Alcide prend les devants, et brandissant sa massue à trois noeuds, il l'abat, trois fois, quatre fois, sur la face de son adversaire. Celui-ci tombe, crache les fumées qui se mêlent à son sang, et, en mourant, il heurte le sol de sa large poitrine. Vainqueur, Hercule immole en ton honneur, ô Jupiter, [1,580] un de ces taureaux et invite Évandre et les campagnards. Il construit pour lui-même un autel, appelé Ara Maxima, à l'endroit de la ville qui tient son nom du boeuf. Et la mère d'Évandre n'omet pas de dire que le temps est proche où la terre aura assez bénéficié de son cher Hercule. 585 Mais l'heureuse prophétesse, qui vécut fort bénie des dieux, en tant que déesse, possède ce jour dans le mois de Janus. Aux Ides, dans le temple du grand Jupiter, le prêtre pur offre aux flammes les entrailles d'un mouton castré. Et c'est le jour où fut rendue à notre peuple la direction des provinces, [1,590] et où ton aïeul reçut le nom d'Auguste. Lis toutes les figures de cire exposées dans les atriums des nobles: nul être humain ne fut honoré de titres aussi prestigieux. L'Afrique donne son nom à son vainqueur; un autre atteste qu'il a dompté la puissance des Isaures ou des Crétois. 595 Les Numides font l'orgueil de celui-ci; tel autre tire sa notoriété de Messine; et tel autre encore de la ville de Numance. La Germanie a valu à Drusus et sa mort et son titre. Malheur à moi, combien brève fut sa vaillante vie! Si César demandait ses titres à ceux qu'il a vaincus, [1,600] il en posséderait autant que les nations qui peuplent le vaste univers. Certains, célèbres pour un seul fait, tiennent leurs titres ou de la conquête d'un collier ou de l'aide d'un corbeau. Grand Pompée, ton nom reflète la mesure de tes exploits, mais ton vainqueur était plus grand qu'un nom. 605 Aucun surnom ne s'est hissé plus haut que celui des Fabii: cette maison doit à ses propres mérites d'être appelée Maxima. Mais toutefois des honneurs humains célèbrent tous ces héros: par contre, celui-ci a un nom associé à Jupiter souverain. Nos pères appellent "augustes" les choses sacrées; on appelle "augustes" [1,610] les temples que consacre rituellement la main des prêtres. Et le mot augurium dérive de la racine de ce mot, de même que tout ce que Jupiter "augmente" grâce à sa puissance. Puisse-t-il accroître l'empire de notre chef, accroître ses années, et puisse une couronne de feuilles de chêne protéger votre porte! 615 Et puisse l'héritier d'un si grand nom jouir, sous les auspices des dieux, des mêmes présages que son père pour assumer la charge du monde! Quand Titan, pour la troisième fois, verra les Ides passées derrière lui, on célébrera des rites sacrés liés à la déesse de Parrhasie. Car autrefois, les matrones d'Ausonie se déplaçaient en char: [1,620] je pense que ce terme aussi dérive du nom de la mère d'Évandre; par la suite, cet honneur est enlevé aux matrones qui, unanimes, décident de ne plus assurer de progéniture à leurs maris ingrats; et pour ne pas enfanter, les téméraires, se blessant en secret, expulsaient le fardeau qui croissait dans leur ventre. 625 Les sénateurs, dit-on, châtièrent les épouses qui avaient osé ces atrocités, mais rétablirent toutefois le privilège qui leur avait été enlevé. Et ils ordonnent de célébrer maintenant en honneur de la mère tégéenne deux cérémonies semblables, pour la naissance des garçons et des filles. Il est interdit d'introduire dans ce sanctuaire des objets de cuir, [1,630] pour éviter que des choses sans vie souillent son pur foyer. Si tu t'intéresses aux vieux rites, tiens-toi près de l'officiant qui prie; tu entendras des noms que tu ne connaissais pas auparavant: on implore Porrima et Postverta; ce sont tes soeurs, ou des compagnes de ton exil, déesse du Ménale. 635 On pense que la première chantait des choses d'un passé lointain, et l'autre tout ce qui se produirait ultérieurement. Fastes, I, 637-724 Brillante déesse, l'aube suivante t'a placée dans un temple blanc comme neige, là où Moneta bien haut porte au ciel ses escaliers. Maintenant, Concorde, tu regarderas avec bonté la foule latine; [1,640] maintenant des mains consacrées t'ont rétablie. Furius, vainqueur du peuple étrusque, en avait fait voeu, et s'était acquitté de son ancienne promesse. La plèbe en effet avait pris les armes et s'était séparée des patriciens, et Rome redoutait ses propres forces. 645 Une raison récente est préférable: sous tes auspices, vénérable chef, la Germanie déploie pour toi ses cheveux. Aussi as-tu consacré les présents de la nation dont tu as triomphé, et élevé le temple de la déesse que tu honores personnellement. Ta mère l'a établi, pourvu d'ornements et d'un autel, [1,650] elle qui, seule, fut jugée digne de la couche du grand Jupiter. Une fois passées ces célébrations, Phébus, tu quitteras le Capricorne, et tu parcourras la constellation du jeune porteur d'eau (Verseau). Lorsque sept fois le Soleil levant aura plongé dans les ondes, la Lyre ne flamboiera plus nulle part dans le ciel. 655 À la suite de cet astre, à la nuit tombante, aura disparu le feu scintillant au centre de la constellation du Lion. Trois et quatre fois, j'ai déroulé les Fastes signalant les jours de fête, sans y avoir trouvé un seul jour consacré aux Semailles; soudain, la Muse, me comprenant, me dit: "Ce jour est annoncé (oralement); [1,660] pourquoi chercher dans les Fastes des fêtes qui ne sont pas fixes?" Si le jour de la célébration varie, la période où elle se déroule est précise, c'est lorsque les champs ont été fécondés, après les semailles. Taureaux, tenez-vous avec vos couronnes près de vos mangeoires pleines: avec la tiédeur du printemps reviendra pour vous le labeur. 665 Que le paysan suspende à un pieu sa charrue qui a bien travaillé: par temps froid, la terre craint toutes les blessures. Intendant, les semailles terminées, laisse la terre au repos; laisse se reposer les hommes qui ont cultivé la terre. Que le village fasse la fête: purifiez le village, paysans, [1,670]et offrez aux foyers des villages les gâteaux annuels. Que l'on se concilie les mères des cultures, Tellus et Cérès, en leur offrant leur épeautre et les entrailles d'une truie pleine. Cérès et la Terre se dévouent à un service commun: l'une fournit aux fruits leur principe, l'autre l'endroit où ils poussent. 675 Participant à une oeuvre commune, vous avez amélioré les usages anciens, et par vous le gland du chêne a cédé le pas à une nourriture plus utile; Comblez les paysans avides d'immenses récoltes, pour qu'ils recueillent des récompenses dignes de leurs efforts. Accordez aux tendres semences de croître sans cesse, [1,680] et faites que la neige et le gel ne brûlent pas la pousse nouvelle. Lorsque nous semons, dégagez le ciel par des vents légers; lorsque la semence est enfouie, aspergez-la de l'eau de l'éther. Et veillez à ce que les oiseaux, nuisibles aux cultures, n'abattent pas leur colonne dévastatrice sur les champs de Cérès. 685 Vous aussi, fourmis, épargnez les graines enfouies dans le sol: après la moisson, l'abondance de votre butin sera plus grande. Que pendant ce temps les plantes croissent à l'abri de la rouille malsaine, sans connaître le manque d'éclat maladif dû aux intempéries, sans s'étioler de sécheresse et de même, parce que trop développées, [1,690] sans dépérir sous le poids de leur richesse surabondante. Puissent les champs être épargnés par l'ivraie qui trouble la vue, et la folle avoine ne pas pousser dans un champ cultivé. Les grains de blé, et l'épeautre destinée à passer deux fois au feu, et les orges, puisse le champ les rendre au centuple. 695 C'est ce que je demande pour vous; vous aussi, paysans, faites ce voeu; puissent les deux déesses approuver et exaucer ces prières. Les guerres ont longtemps retenu les hommes: l'épée était à l'honneur plus que le soc; le boeuf de labour cédait devant le cheval. Les sarcloirs restaient immobiles, les houes étaient devenues javelots, [1,700] et un casque naissait de la masse d'un râteau. Grâces soient rendues aux dieux et à ta maison: depuis longtemps entravées par vos chaînes, les guerres gisent à vos pieds. Que le boeuf passe sous le joug, la semence sous les terres labourées. La Paix nourrit Cérès, Cérès est l'enfant de la Paix. 705 Mais le sixième jour qui précède les Calendes suivantes, fut dédié le temple aux dieux nés de Léda. Des frères nés d'une race de dieux construisirent ce temple en l'honneur de ces frères divins, près de la fontaine de Juturne. Voilà que notre chant nous a conduits à l'Autel de la Paix: [1,710] ce sera le deuxième jour avant la fin du mois. Avec les lauriers d'Actium ceignant ta belle chevelure, viens, ô Paix, et fais régner ta douceur à travers le monde entier! Pourvu que manquent les ennemis, et aussi les raisons de triompher: toi, pour nos maîtres, tu seras plus grande source de gloire que la guerre. 715 Que le soldat porte seulement les armes nécessaires à repousser des armes, et que la cruelle trompette sonne uniquement dans les parades! Que tout le monde, proche ou lointain, redoute les Énéades, et si une nation craint peu Rome, qu'elle se mette à l'aimer! Prêtres, jetez encore de l'encens sur le feu de la Paix, [1,720] et qu'on immole une blanche victime, le front aspergé de vin. Et pour que la maison qui nous offre la paix se perpétue à tout jamais avec elle, invoquez les dieux favorables aux voeux pieux! Mais déjà prend fin la première partie de mon travail et mon petit traité atteint son terme avec ce mois qui lui était consacré.