[16,0] Il y a peu d'années, à l'occasion d'une mortalité de boeufs, on avait semé le bruit absurde que Grimoald, duc de Bénévent, parce qu'il était ennemi de l'empereur très chrétien Charles, avait envoyé des hommes chargés de répandre, sur les plaines et les montagnes, dans les prairies et les fontaines, une poudre pernicieuse qui, ainsi répandue, donnait la mort aux bœufs. Nous avons ouï dire que beaucoup de personnes prévenues de ce délit furent arrêtées, et que quelques-unes furent massacrées, d'autres attachées sur des planches, et jetées à l'eau; et ce qu'il y a de plus étrange, c'est que ces hommes, après avoir été pris, rendirent témoignage contre eux-mêmes, disant qu'ils possédaient une pareille poudre et qu'ils l'avaient répandue çà et là ; car le diable par un jugement équitable de Dieu, usait si bien du pouvoir qu'il avait reçu contre ces misérables, qu'il les faisait servir à eux-mêmes de faux témoins pour leur condamnation, et que ni les châtiments, ni les tortures, ni la mort elle-même ne pouvaient les détourner de témoigner à faux contre eux. Telle était la conviction publique qu'il y avait bien peu d'individus qui trouvassent absurde une pareille chose. On ne pouvait raisonnablement imaginer de quoi se composait une poudre qui ne donnait la mort qu'aux bœufs, en épargnant les autres animaux, ni comment elle pouvait avoir été portée sur des régions si étendues, qu'il eût été impossible aux hommes de les couvrir de cette poussière, quand même tous les Bénéventins, hommes, femmes, vieillards et jeunes gens, seraient sortis du pays, chacun avec trois chars qui en fussent chargés. Une si grande démence s'est emparée de notre malheureux siècle, que des chrétiens croient aujourd'hui des choses absurdes qu'on n'aurait jamais pu faire croire autrefois aux païens qui ignoraient le créateur de l'univers. J'ai voulu citer ce fait, parce qu'il est semblable à celui sur lequel roule ce traité, et parce qu'il peut être une preuve et un exemple des vaines séductions et des altérations du bon sens.