[11] XI. De même aussi, lorsque Samuel, prophète et chef d'lsrael, réprimandait le même peuple à cause de ses nombreux désordres, déroulant devant lui les bienfaits du Dieu tout puissant et leurs infidélités, afin que ce peuple comprit qu'il avait fait un grand mal et offensé Dieu en demandant un roi, il obtint par ses prières que, dans un temps inaccoutumé, la pluie vint à descendre sur eux avec des tonnerres et des éclairs terribles. Enfin, il est écrit qu'il parla au peuple en ces termes : « Prenez garde et considérez cette grande chose que le Seigneur va faire devant vos yeux. Ne fait-on pas aujourd'hui la moisson du froment? J'invoquerai le Seigneur, et il fera éclater les tonnerres et tomber la pluie; et vous saurez et vous verrez combien est grand le mal que vous avez fait eu demandant un roi. Samuel cria donc au Seigneur, et le Seigneur en ce jour-là fit éclater le tonnerre et tomber la pluie. Et tout le peuple fut saisi de la crainte du Seigneur et de Samuel. Et ils dirent tous ensemble à Samuel : "Priez le Seigneur votre Dieu pour vos serviteurs, afin que nous ne mourions pas. Car nous avons encore ajouté ce péché à tous les autres, de demander d'avoir un roi". Épouvantés par la voix des tonnerres et l'éclat de la foudre, quoique pécheurs, ils réclamèrent à titre de fidèles l'intercession du saint prophète, non pas comme nos demi-fidèles qui, s'ils entendent les tonnerres ou même le plus léger souffle du vent, disent que c'est un vent levatice et lancent des malédictions en disant : "Qu'elle sèche cette langue maudite qui produit un pareil effet, elle qui dejà eût mérité d'étre coupée !" Dites-moi, je vous prie, sur qui tombent ces malédictions, sur le juste ou sur le pécheur? Celui-ci, d'après son infidélité pareille à la vôtre, n'a pu, comme vous avez coutume de le dire, soulever un vent, parce que ses facultés propres ne le lui ont pas permis et qu'il n'a pas pu commander aux mauvais anges, dont, au reste, le pouvoir ne s'étend pas jusque là. Il n'a pas supplié le Seigneur par des prières pour l'obtenir, parce que, de même que vous, ceux que vous appelez tempestaires pensent que ces choses s'opèrent par des prestiges et non par la volonté de Dieu. Car lors même qu'ils s'adresseraient pour cela au Seigneur Dieu, ils ne mériteraient pas d'obtenir ce qui n'est accordé qu'aux justes et jamais aux méchants, qui, en pareilles choses, lorsqu'ils demandent quoi que ce soit au Seigneur, le font avec un esprit d'infid élité et de duplicité, et non pas avec une foi vive et assurée. [12] XII. Dans le temps ou, par la prière d'Élie, la sécheresse était dans la terre d'Israel, les pàturages manquaient aux troupeaux; car il est écrit : "Achab dit donc à Abdias : Allez par tout le pays, à toutes les fontaines et à toutes les vallées, pour voir si nous pourrons trouver de l'herbe, afin de sauver les chevaux et les mulets, et que les bêtes ne meurent pas toutes". Voilà comme il semble que, désespérant d'obtenir la pluie et de trouver de l'herbe ailleurs qu'aux bords des fontaines et des ruisseaux, déjà ils croyaient vrai cc que Élie avait dit à Achab lui-même : "Vive le Seigneur, le Dieu d'lsrael, devant lequel je suis! il n'y aura pendant ces années ni rosée ni pluie, à moins que ce ne soit par une parole de ma bouche". Et, sans aucun doute. Éliee avait désigné le nombre d'années. Pourquoi donc Achab, au lieu d'agir, comme je l'ai dit, ne demanda-t-il pas aux tempestaires de susciter les tempêtes et, comme vous le dites ordinairement, les vents levatices, afin qu'au moyen de ceux-ci, la terre se trouvant arrosée, il pût avoir de l'herbe pour ses chevaux, ses mulets et les autres bêtes de somme qui étaient l'objet de sa sollicitude; car dans ce moment il ne craignait pas de perdre ses récoltes de blés et ses vignes qui alors étaient complètement nulles ? [13] XIII. De nos jours aussi, lorsque les moissons et les vendanges étaient faites, on a vu les laboureurs ne pouvoir semer à cause de la sécheresse. Pourquoi donc alors n'obtenez-vous pas de vos tempestaires d'envoyer des vents levatices, afin que la terre étant arrosée, vous puissiez ensuite l'ensemencer? Mais parce que vous ne l'avez point fait, que vous ne l'avez jamais vu faire, ni entendu dire qu'on l'ait fait, écoutez maintenant ce que le Seigneur lui-même, le créateur de toutes choses, qui les régit et les gouverne, qui en ordonne et en dispose à son gré, écoutez ce qu'il dit, sur ce sujet, entre autres paroles, à son bienheureux serviteur Job. Lorsque le diable, auteur du mal, source et principe de tout ce qu'il y a de mauvais, l'accusateur de nos frères, eut accusé le bienheureux Job devant le Seigneur, disant que ce n'était pas avec une intention droite, c'est-à-dire dans la vue de plaire à lui seul et de jouir de son Dieu, qu'il le servait, mais bien pour l'augmentation et la conservation des biens de la terre, il demanda à le tenter, afin de prouver ce qu'il avançait, méchant, orgueilleux et insensé qu'il était, comme s'il pouvait mieux connaître l'esprit de l'homme de Dieu que celui qui l'avait créé. Alors le Seigneur, juste et miséricordieux, pour confondre le diable et pour glorifier son fidèle serviteur, accorde la demande de l'esprit des ténèbres; il lui permet d'éprouver le juste, en premier lieu dans ses biens, puis dans ses enfants, ensuite dans sa santé, de le livrer aux mauvais conseils de sa femme, enfin aux reproches et aux dédains multipliés de ses serviteurs. Mais le diable se retira vaincu et confondu, et l'homme du Seigneur grandit dans la victoire et le triomphe. Le Seigneur Dieu voulant traiter Job comme il traita Paul, selon ce que dit l'Apôtre, de peur, quant à lui, que la grandeur des révélations ne l'enorgueillit, et à l'égard de Job, qu'il ne s'enflât de sa victoire, prit soin de l'humilier, non par la privation des biens qu'il avait perdus, non en frappant son corps, accablement qui déjà l'avait éprouvé comme l'or dans le creuset, ni en le comparaut à quelque homme puissant, parce que sur la terre nul n'était semblable à lui, tant il était grand parmi les hommes de l'Orient; il commença toutefois par l'humilier d'une manière sensible, en lui montrant, de la hauteur où il règne, l'immensité de sa puissance, afin que le serviteur fidèle, connaissant les oeuvres ineffables du créateur suprême et infini, se méprisât lui-même, comme il fit, et s'abaissât dans son néant. On en peut juger par ses paroles, quand il dit : "... Je m'accuse moi-même et je fais pénitence dans la poussière et dans la cendre." Ce que cette autre version montre plus clairement encore : "J'ai jeté un regard sur moi, j'ai reconnu que j'étais devenu comme de la boue, et que je ne suis que terre et cendre". Dans cet état d'humiliation, le Dieu tout puissant s'enquérait de son fidèle serviteur, s'il pouvait accomplir telles ou telles choses, ou s'il connaissait qui les avait faites, même où il était quand elles furent créées. Il l'interroge sur ce qui est le fait de sa seule toute puissance, et il dit : "Où étiez-vous quand je jetais les fondements de la terre? Qui en a réglé toutes les mesures? Sur quoi ses bases sont-elles affermies ? Qui a mis des barrières à la mer pour la tenir enfermée ? Pourrez-vous rapprocher les Pléiades, ou disperser les étoiles d'Orion ? Savez-vous l'ordre et les mouvements du ciel ? Commanderez-vous aux tonnerres, et partiront-ils à l'instant?" Je pourrais citer plusieurs autres traits du même genre, je me borne à celui-ci ; le Seigneur continue : "Êtes-vous entré dans les trésors de la neige , ou avez-vous vu les trésors de la grêle que j'ai préparés pour le temps de l'ennemi, pour le jour de la guerre et du combat ? Savez-vous par quelle voie la lumière descend du ciel et la chaleur se répand sur la terre? Qui a donné cours aux pluies impétueuses et un passage au bruit éclatant du tonnerre, pour faire pleuvoir sur une terre qui est sans homme, sur un désert où ne demeure aucun mortel, pour inonder des champs affreux et inhabités, et leur faire produire des herbes verdoyantes? Qui est le père de la pluie, et qui a produt les gouttes de la rosée? Du sein de qui la glace est-elle sortie? et qui a enfanté la gelée blanche qui tombe du ciel? qui fait que les eaux se durcissent comme la pierre, et que la surface même de l'abîme se presse et devient solide? [14] XIV. Voilà donc les grandes oeuvres de Dieu dont le bienheureux Job, avant cet entretien, n'avait pas dû contempler les merveilles avec une si pénétrante intelligence et une adruiratien si profondément sentie. Si le Seigneur possède les trésors de la grêle, et si lui seul il peut les voir, le bienheureux Job ne les ayant point vus, où vos tempestaires les ont-ils trouvés, lorsque lui-même n'y est pas parvenu, non plus que nous qui ignorons les lieux où ils existent? Le Seigneur demande à son fidèle serviteur s'il sait qui a donné cours aux pluies impétueuses et un passage au bruit éclatant du tonnerre. Quant é ceux que je combats dans ce discours, ils nous montrent des hommes sans vertu, dépourvus de sainteté et de justice, étrangers à la sagesse, sans foi et sans vérité, odieux même à leurs proches, et c'est à ces hommes qu'ils attribuent les pluies impétueuses, le bruit éclatant du tonnerre et les vents levatices. Le Seigneur dit qu'il a préparé tout ceci pour le temps de l'ennemi, c'est-à-dire pour le jour de sa vengeance. Eux prétendent que les ennemis mêmes de la justice, des êtres qui sont les premiers voués aux châtiments d'en haut après ceux qui déplacent les bornes , qui prennent pour gage le boeuf de la veuve, qui surchargent les bras de l'orphelin, qui renvoient nus des malheureux privés de tout vêtement, qui chassent les pauvres de leurs demeures, et se plaisent dans l'oppression de l'humanité : ils prétendent, dis-je, que de tels êtres ont à leur disposition les fléaux dont Dieu se sert pour se venger de ses ennemis. Le Seigneur dit qu'il est père de la pluie, et déclare qu'il a enfanté la gelée blanche qui tombe du ciel; et eux prétendent que les plus misérables des hommes possèdent une grande partie de ce pouvoir ; qu'il leur est accordé de faire durcir les eaux comme la pierre ! Le Seigneur propose ce phénomène à notre admiration; certes, s'il. était en la puissance de ces misérables de l'opérer, il n'aurait plus rien qui dût nous étonner. [15] XV. Cette folie tient beaucoup du paganisme, et déjà l'erreur s'est accrue au point qn'il se trouve des gens assez stupides pour dire qu'ils ne savent pas, à la vérité, soulever les tempêtes, mais qu'ils peuvent en garantir et défendre les habitants d'un lieu déterminé. Ils ont un tarif qui règle l'étendue de ce service sur la quantité de fruits qu'on leur donne, et ils l'appellent le canonique. ll est beaucoup de gens qui ne donnent jamais de bonne grâce la dîme aux prêtres, qui ne font pas l'aumône aux veuves, aux orphelins et aux autres indigents, toutes choses qui leur sont fréquemment prêchées et ordonnées et auxquelles ils ne se conforment point : au contraire, ce qu'ils appellent le canonique, sans que personne le leur dise, ils le paient très volontiers à ceux par l'entremise desquels ils croient être préservés de la tempéte, Enfin ils fondent en grande partie sur te secours de ces hommes les espérances de leur vie, comme si elle dépendait d'eux. Ce n'est point ici le commencement, mais c'est presque le comble de l'infidélité; et si nous l'examinons avec soin, nous n'hésiterons point à dire que c'est la consommatien de l'infidélité. Il y a, en effet, selon les divines écritures, trois vertus dans lesquelles tout le culte est compris, et par lesquelles Dieu reçoit le tribut d'adoration qui lui est dû : la foi, l'espérance et la charité. Or donc, quiconque divisera sa foi et son espérance, de telle sorte qu'en croyant à Dieu, il croie aussi que les attributs de Dieu appartiennent â l'humanité, et qu'il espère tout-à-la fois en Dieu et en son semblable, celui-là offre à Dieu une foi et une espérance partagées qu'il ne saurait accepter. Et vous ne pourrez le compter au nombre des fidèles celui qui pense ainsi ; et celui qu'une foi une espérance partagées écartent du nombre des fidèles sera infailliblement absorbé dans le gouffre de l'infidélité, et il encourra à juste titre la malédiction du prophète qui a dit : "Maudit est l'homme qui met sa confiance en l'homme". Et qu'il ne se flatte pas de dire : «J'espère davantage en Dieu que dans l'homme", parce que la confiance ne peut étre divisée ; car, ou elle sera entière et sûre, ou incertaine et nulle.