[97,0] LETTRE XCVII. A Pascal, souverain pontife, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, hommage de sa personne comme de celle d'un fils soumis. [97,1] J'ai été réjoui au-delà de ce que je puis dire, et de l'expulsion d'Etienne, ce courtisan de l'église de Beauvais, et de la paternelle remontrance que j'ai reçue de vous à son sujet. Dans ma dernière lettre je n'avais cependant rien écrit de contraire à la première, et si j'avais imploré votre sainteté, ce n'était pas pour sa personne, mais pour la réparation des ruines de l'Église. Car, par son importunité, il m'avait extorqué cette lettre, que je lui ai donnée, non pas que je crusse qu'elle pût lui servir, mais bien plutôt lui nuire grandement, si j'avais affaire à un lecteur intelligent, à un habile interprète. D'après votre lettre j'ai vu clairement quels étaient votre amour de la justice et votre zèle pour la maison de Dieu, et je me suis hâté de les publier dans toutes les églises de notre royaume, à la gloire du nom divin. Il ne reste donc plus rien de cette affaire ; il ne faut plus qu'amener à bonne fin de si bons commencements et de si heureux effets. [97,2] Sur un autre sujet, nous informerons votre prudence que notre vénérable confrère, ami toujours fidèle de l'Église Romaine, l'évêque de Châlons, vient, par nous qui avons assisté au concile de Poitiers, trouver et supplier votre clémence. Il vous demande d'adoucir ou de modifier votre sentence au sujet de la trésorerie de Châlons, sentence extorquée à votre bonne foi par l'importunité de Dreux et par ses paroles nuageuses. Il prie votre modération apostolique de ne lui imposer que des conditions justes et qu'il puisse observer. Et comme les jugements apostoliques ne peuvent être réformés par personne autre que par le souverain pontife, pesez vous-même, jugez vous-même si une sentence synodale, appuyée sur les décrets apostoliques et sur les sanctions canoniques, peut être cassée sans que les deux parties soient entendues. En effet, comme nous le voyons par les exemples et les écrits apostoliques, il n'y a rien d'anormal à ce que le pape lui-même modifie une sentence par lui rendue quand il voit qu'on la lui a arrachée par ruse ou par d'hypocrites prières. Or pour vous démontrer que c'est bien par ruse qu'on a arraché à votre sainteté la lettre écrite par vous à l'évêque de Chàlons, je vais exposer brièvement à votre prudence toute l'histoire de la cause que nous plaidons auprès de vous. [97,3] Ledit Dreux a fatigué, de ses importunes clameurs, les oreilles de tous les prélats séants au concile de Poitiers, répétant sans cesse qu'il avait été investi de la trésorerie de Châlons par Philippe, évêque de cette église, et qu'ainsi c'était injustement qu'il en était dépouillé. On examina la cause avec soin : les clercs de l'église de Châlons s'opposaient aux prétentions de Dreux. On lui objectait que, selon l'ordre ecclésiastique, il ne pouvait posséder la dignité qu'il réclamait s'il n'était chanoine de Châlons, ce qu'il n'était pas et ce qu'il ne pouvait être, étant déjà chanoine et archidiacre dans une autre église et dans une autre province. On ajoutait que l'évêque Philippe, déjà mourant et pourvu des derniers sacrements, vaincu par l'importunité de Dreux, ne l'avait pas investi de la trésorerie, mais lui avait permis de prendre le titre de cette charge, à la condition que, lui vivant, il n'en exercerait jamais les fonctions et n'en toucherait pas les revenus. Invité par vos vénérables cardinaux à exprimer notre opinion, personne ne s'élevant contre les raisons que nous venons d'indiquer, et lesdits cardinaux confirmant notre avis, nous prononçâmes que ce n'était point une investiture canonique celle qui est condamnée par les décrets apostoliques, les prescriptions canoniques et presque tous les conciles. Car les lois ne reconnaissent pas comme l'investiture d'une fonction, mais comme une prise de possession, cette ingérence dans la trésorerie que Dreux n'exerça point pendant la vie dudit évêque, mais qu'il usurpa impudemment après sa mort. L'ordre canonique n'admet pas qu'un homme qui n'a point mérité d'être soumis à une église soit d'un premier bond mis à sa tête. [97,4] Quant au fait de ne pouvoir en même temps avoir un titre dans deux églises, nous pourrions le prouver par vos sentences et par celles de vos prédécesseurs. D'après les paroles du pape Gélase, nous voyons que si un acte est manifestement contraire aux décrets apostoliques, pas n'est besoin de mettre en jugement, comme une chose douteuse, ce qui si fréquemment a été tranché par la décision apostolique et défini par les sentences des conciles généraux. Car si l'on convoque les conciles, c'est seulement pour rappeler à l'observance de vos décrets ceux qui les méprisent. Si donc ceux qui observent les préceptes apostoliques sont inquiétés par vous ou que vous les laissiez inquiéter, jugez vous-même quelle paix reste à l'Église, quelle sanction demeure à la discipline. L'obéissance envers les mandements sacrés sera discutée, non pas seulement par ceux qui la supportent avec chagrin, mais par ceux-là mêmes qui voudraient l'observer avec soin. A quoi bon à l'avenir la réunion de conciles, puisque les décisions appuyées sur les plus hautes autorités seront annulées sur la délation d'un seul individu ? Aussi nous prions votre sainteté de bien peser les avantages et les inconvénients qui peuvent résulter du trouble apporté par ce Dreux, et de revenir à une plus saine sentence, afin que les jugements synodaux ne soient cassés que par les motifs les plus graves, et que les mandements apostoliques soient observés avec la plus grande révérence. Adieu.