[186,0] LETTRE CLXXXVI. Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à Gautier, bibliothécaire de l'église de Beauvais, salut. [186,1] Votre fraternité m'a mandé la querelle soulevée par certains laïcs contre l'église de Beauvais. Ils répudient le jugement des clercs de cette église, parce que ceux-ci, disent-ils, sont possesseurs des biens que lesdits laïcs réclament contre eux. Ils ne connaissent pas assurément les lois ecclésiastiques et civiles ceux qui, par de pareilles prétentions, veulent renverser la constitution des églises ; car les décrétales, les lois impériales, les coutumes ecclésiastiques s'opposent manifestement à leurs dires, et les choses divines et humaines perdraient toute sécurité si elles renonçaient à leurs privilèges que nos pères ont établis pour garantir leur sûreté et leur indépendance. [186,2] D'abord on lit dans une foule de sentences décrétales : Toutes les querelles et les différends doivent être en premier lieu discutés et jugés dans les églises où ils sont nés, à moins que les deux parties, d'un commun accord, n'aient choisi d'autres juges, ou qu'une des parties n'ait fait appel à un tribunal supérieur. Les fils mêmes de l'église, où est né le différend, et non d'autres, doivent être les juges de la cause, c'est ce que proclament les décrets de nombreux pontifes : Nous défendons absolument en général les jugements par des étrangers, décrets avec lesquels concordent les Institutes impériales, qui déclarent que les choses ecclésiastiques ne sont pas de droit humain, mais de droit divin. Ainsi Justinien s'exprime de cette sorte dans le 2e livre des Institutes, chap. 1 : Les choses sacrées, religieuses et saintes n'appartiennent à personne ; car ce qui est de droit divin ne peut être la propriété de personne. Or nous appelons sacrées les choses dédiées à Dieu par les pontifes suivant le rite ecclésiastique, comme les temples saints et les biens consacrés solennellement au ministère de Dieu, et par notre constitution nous défendons de les aliéner et de les mettre en gage. Comme la raison et la vérité s'accordent sans difficulté avec la décision de ce religieux prince, rien ne nous paraît s'opposer à ce que les clercs, qui appartiennent à la maison du Seigneur, puissent rendre un jugement équitable au sujet des choses saintes, sur lesquelles tout le monde sait qu'ils n'ont aucune propriété. C'est d'ailleurs là la coutume générale de l'Église, et si elle n'était immuablement observée, l'Église serait privée de tous ou de presque tous ses biens. [186,3] Quant à la règle d'observer les coutumes qui ne sont pas contraires aux lois, on en trouve le commandement dans une foule de passages des Saints Pères. Augustin dit dans sa lettre à un prêtre de Casulae : Dans toutes les choses, au sujet desquelles la divine Ecriture n'a rien statué de positif, la coutume du peuple de Dieu et les institutions des Pères doivent être considérées comme la loi. Ceux qui violent les coutumes ecclésiastiques doivent être punis comme les prévaricateurs des lois divines. Grégoire écrit à tous les évêques de Numidie : Nous voulons que les coutumes qui sont reconnues ne rien avoir de contraire à la foi catholique demeurent immuables. Isidore dit au livre 5 de ses Etymologies, chap. 3 : L'usage est la coutume consacrée par la tradition, autrement dit la loi non écrite. Et aussi : La coutume est le droit établi par nos aïeux, qui devient loi, lorsque la loi fait défaut, et peu importe qu'elle repose sur l'écriture ou sur la raison. Dans le 8e livre du Code, titre 53 : L'autorité de la coutume ou d'un long usage n'est pas à dédaigner ; cependant il ne faut pas lui attribuer une valeur telle qu'elle détruise celle de la raison ou de la loi. Votre prudence peut choisir dans les Ecritures authentiques bien des textes de ce genre, et avec eux vous pourrez étouffer les aboiements des laïcs contre l'Église. Adieu.