[12,0] LETTRE XII. A Urbain, très révérend père des autres pères, son fils très fidèle Ives, qu'on appelle évêque de Chartres, courage et patience dans les tribulations. [12,1] Puisque, par la sacrée imposition de votre main, la divine providence, me tirant du fumier, m'a choisi pour travailler à sa moisson, je m'emploie tant que je le peux à cultiver les champs du Seigneur, mais je ne marche que d'un pas de fourmi, et ma faiblesse m'empêche d'avancer comme je le désirerais. Je mets tous mes soins, aidé de la divine grâce, à répandre la semence de la parole ; mais la moisson est grande et laborieuse, l'ennemi a semé à l'avance et resemé beaucoup d'ivraie : aussi je sens que je tire peu de fruit de mon travail. Craignant d'arracher le froment avec le mauvais grain, et me flattant d'agir avec la prudence d'un sage laboureur, je tolère beaucoup, je dissimule beaucoup. Mais, je l'avoue, je ne distingue pas très clairement si j'agis ainsi par vertu ou par vice, par discrétion ou par paresse, sous prétexte de discrétion. Dans cette anxiété d'esprit, j'implore ardemment le secours des prières nécessaires à mon insuffisance, secours que vous me devez, car aucune raison n'aurait pu me décider à accepter ce fardeau si votre sainteté ne m'y avait engagé, si votre autorité ne m'y avait contraint. Donnez donc au fils de vos entrailles le secours de vos conseils paternels, afin que si la main de Dieu daigne opérer par moi quelque œuvre profitable, ce ne soit pas à ma petitesse, mais à votre sainteté qu'après Dieu le mérite en soit attribué. Je vois qu'il se passe dans la maison de Dieu bien des désordres qui me tourmentent : le principal est que parmi nous ceux qui ne servent pas l'autel vivent de l'autel. Comme j'ai tenté de faire cesser ce sacrilège par mes avis, par mes reproches, par mes excommunications, ils veulent racheter de moi les autels sous le nom d'une personne qui serait chargée de les desservir, comme autrefois par une mauvaise pratique ils les ont rachetés de mes prédécesseurs. C'est en cela surtout que j'ai besoin de votre avis, si vous jugez que je doive le tolérer, de votre secours, si vous croyez que je ne dois pas le souffrir. Quant au reste, je saurai le tolérer ou le corriger, si cet abus est réformé par votre conseil et votre secours. [12,2] Pour vous parler d'autre chose, je veux informer votre béatitude que l'archevêque de Sens, infatué des dires de l'évêque de Paris, s'étant associé ce même évêque de Paris et deux autres évêques non moins insensés, ceux de Meaux et de Troyes, a osé, sans vergogne, cette année, à Etampes, me reprocher l'ordination que j'avais reçue de vous, disant que j'avais offensé la majesté royale en acceptant d'être consacré par le siège apostolique. Comme donc ils s'efforçaient malgré votre décret de rétablir sur son ancien siège Geoffroy que vous avez déposé, et qu'ils prononçaient contre moi une sentence de déposition, j'en ai appelé au siège apostolique et je les ai arrêtés dans leur présomption par la crainte des décrets apostoliques, quoiqu'ils n'eussent à redouter ceux-ci que dans l'avenir. Ils n'ont point osé soutenir l'appel, mais ils n'ont point voulu non plus faire une paix complète avec moi. Il me semble donc nécessaire que vous adressiez des lettres tant à l'archevêque qu'à ses suffragants, afin que, ou bien ils fassent cette paix, ou bien ils se rendent avec moi en votre présence pour vous rendre compte du différend. [12,3] Je prie aussi votre paternité d'envoyer vers nous quelque légat, homme de bon témoignage, qui ne cherche pas son intérêt, mais celui de Jésus-Christ. Il serait bien nécessaire à l'Église de Dieu, où chacun ose ce qui lui plaît, fait ce qu'il ose et jouit de l'impunité pour ce qu'il fait. Mandez à votre fils dévoué l'état prospère ou fâcheux de vos affaires, afin que, autant que Dieu nous le permettra, nous le priions avec ardeur, si vous êtes dans la prospérité, de vous le confirmer, si vous êtes dans le malheur, de le repousser loin de vous. S'il vient vers vous quelqu'un chassé de notre église à cause de son infamie, je vous prie de ne pas statuer à son égard avant d'avoir plus amplement entendu sa cause. Salut à votre sainteté.