[110,0] LETTRE CX. A Pascal, souverain pontife, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, obéissance et respect qui lui sont dus. [110,1] La sollicitude des pontifes Romains a toujours veillé avec amour au repos des moines ; elle s'est toujours efforcée d'éloigner des monastères les outrages de ceux qui ne songeaient qu'à les opprimer ; elle a toujours apporté la plus grande prudence dans l'examen des personnes et des dépositions des accusateurs et des témoins. Ce n'est pas à nous à apprendre cela à nos docteurs, de qui nous attendons la forme à suivre pour accomplir les préceptes, comme nous avons déjà reçu la règle à observer pour donner les enseignements. Si votre sainteté veut se conformer à ces traditions dans la cause du seigneur abbé de Marmoutier, nous croyons qu'il n'y a pas lieu d'entendre les accusateurs dans leurs accusations ni les témoins dans leurs témoignages. Car si nous considérons d'abord la personne de l'accusateur, l'archevêque de Tours, nous trouvons que dans son ordination presque tout a été fait contre l'ordre canonique. Les crimes commis contre lui ou faits à son préjudice, le parjure et la trahison, qu'il reproche audit abbé, ne peuvent facilement, ce nous semble, être admis par les juges ecclésiastiques, car, ou ils n'ont pas été perpétrés, ou ils ont été pardonnés par une expiation légitime, selon la parole de l'Apôtre : Ceux qui paraissent être des colonnes, peu m'importe quels ils ont été auparavant : Dieu en effet ne tient pas compte de la personnalité humaine. Si ces crimes étaient vrais, il fallait donc les proclamer quand il voyait cet homme dans les réunions publiques siéger avec les évêques pour la discussion des affaires ecclésiastiques, lorsqu'il le voyait administrer les sacrements pontificaux, car celui-là seul peut administrer ces sacrements qui a les mains pures de tout crime, qui sent sa conscience témoin de son innocence. Si on pouvait l'accuser justement, n'était-ce pas plutôt d'avoir usurpé le sacerdoce que d'avoir pris l'administration d'un monastère ? Car, dans cette charge, nous ne reconnaissons aucune sorte de sacrement ecclésiastique. Jérôme, le principal instituteur de l'ordre monastique, ne disait-il pas : Le moine n'a pas pour office d'enseigner, mais de pleurer, de pleurer sur lui et sur le monde. [110,2] Mais, dira quelqu'un, il a eu raison de se taire, tant qu'il n'était pas lésé dans son épiscopat. S'il en est ainsi, pour nous au contraire, il doit d'autant moins être cru, ce scrutateur curieux de la vie d'autrui, si peu soucieux de corriger la sienne, qui s'efforce de ternir un vase pur, non par amour de la justice, mais par désir de vengeance, et qui se met peu en peine de purger le vase de ses souillures. Quant à moi, je crois et j'ai toute raison de croire que lorsque, sur le point de quitter le vieil homme et de revêtir l'homme nouveau, Bernard vidait devant moi, sous les yeux de Dieu, le sac de ses anciennes iniquités, et que, par la confession, il versait dans mes oreilles le secret de ses fautes cachées, s'il avait reconnu en lui ces méfaits, il ne me les eût en aucune sorte dérobés. Enfin, si vous recherchez la source de cette accusation, vous reconnaîtrez évidemment que l'ardeur de cette malveillance ne vient que du décret du siège apostolique, interdisant à l'archevêque de Tours de célébrer publiquement la messe dans l'abbaye de Marmoutier, de commander impérieusement aux moines, d'usurper à son bon plaisir les biens du monastère. Aussi, cette année, en plein synode, comme nous l'ont rapporté ceux qui y assistaient, il a renouvelé, autant qu'il le pouvait, le décret de Julien qu'aucun de ses paroissiens qui veut renoncer au monde n'entre dans le grand monastère. Si nous examinons les personnes des témoins et les motifs qui les font agir, nous verrons que ceux qu'il a subornés sont, à la connaissance de tous, ou souillés de taches, ou ses parents, ou des gens achetés, ou des individus de sa maison, toutes personnes, vous le savez, faciles à commander et prêtes à rendre témoignage aussi bien au mensonge qu'à la vérité. Dans un tel état de choses, bien que cela ne nous semble pas nécessaire, nous supplions cependant avec instance votre sainteté d'observer en cette cause les traditions paternelles. Que l'innocence ne coure aucun péril, que la volonté perverse trouve sa juste punition dans la ruine de ses efforts et qu'elle soit enveloppée dans ses propres filets. Adieu.