[10,0] LIVRE DIXIÈME. INTRODUCTION. 1. DANS une grande et célèbre ville de la Grèce, à Éphèse, il existe, dit-on, une vieille loi à laquelle on a attaché une sanction sévère, mais juste. Tout architecte qui se charge d'un ouvrage public, est tenu de déclarer quels doivent en être les frais, et une fois l'estimation faite, ses biens passent comme garantie dans les mains du magistrat, jusqu'à l'accomplissement des travaux. Si les dépenses répondent au devis, on lui accorde des récompenses et des honneurs; si elles ne dépassent l'estimation que du quart, on a recours aux deniers publics, sans qu'il soit contraint de subir aucune peine; mais si elles montent au delà du quart, on prend l'excédant sur ses biens. 2. Combien il serait à souhaiter que les Romains eussent une loi semblable, non seulement pour leurs édifices publics, mais encore pour leurs bâtiments particuliers ! l'impunité n'autoriserait pas les désordres de l'ignorance; il n'y aurait que ceux dont l'habileté serait reconnue qui oseraient exercer la profession d'architecte; les pères de famille ne seraient point jetés dans ces dépenses excessives qui les ruinent; les architectes arrêtés par la crainte d'une peine, apporteraient plus de soin dans le calcul de leurs dépenses, et l'on verrait s'achever les édifices pour la somme qu'on se proposait d'y employer, ou peu de chose en sus. Car celui qui veut dépenser quatre cent mille sesterces à la construction d'un bâtiment, peut bien y en ajouter cent mille autres pour avoir le plaisir de le voir terminer; mais quand les frais se trouvent doublés, plus que doublés, on perd toute confiance, on ne veut plus entendre parler de rien, on se voit ruiné, on n'a plus de courage, on est forcé de tout abandonner. 3. Et c'est un vice qui ne frappe pas seulement les édifices, on le voit encore s'attacher aux préparatifs que les magistrats font faire dans le Forum pour la représentation des jeux des gladiateurs et des acteurs. Point de délais, point de retardements pour ces sortes de choses; il faut, à heure dite, avoir établi les gradins pour les spectateurs, étendu les voiles, dressé les machines, fait, en un mot, toutes les dispositions que nécessitent les spectacles donnés au peuple. Ce sont des choses qui exigent toute l'expérience, tout le soin, toute l'application d'un esprit exercé, et dont on ne peut venir à bout sans avoir étudié l'art de faire des machines, sans avoir acquis de nombreuses et solides connaissances. 4. Toutes ces considérations me font penser qu'il ne serait pas inutile, avant de commencer ces travaux, d'examiner avec soin ce qu'ils peuvent coûter. Mais comme il n'y a ni loi ni ordonnance qui prescrive de telles mesures, et que tous les ans les préteurs et les édiles sont obligés de faire préparer des machines pour les jeux, j'ai cru, ô César, qu'il était à propos, après avoir traité des édifices dans les livres précédents, d'expliquer dans celui-ci, qui va terminer le corps de cet ouvrage, quels sont les principes qui doivent diriger la confection des machines. [10,1] Des machines; en quoi elles diffèrent des organa. 1. Une machine est un assemblage solide de pièces de bois disposées de manière à faire mouvoir les plus lourds fardeaux. L'effet de la machine dépend de l'art, et il est fondé sur le mouvement circulaire que les Grecs appellent g-kyklicehn g-kinehsin. Les machines se divisent en trois genres : le premier sert à monter : les Grecs l'appellent g-akrobatikon, le second se meut par le vent : en grec g-pneumatikon; le troisième sert à tirer : les Grecs le nomment g-baroulkon. Les machines qui servent à monter sont organisées de telle sorte qu'à l'aide de pièces de bois mises debout auxquelles s'ajoutent d'autres pièces transversales, on peut monter sans danger pour voir ce qui se passe. Les machines à vent sont celles qui, par l'impulsion de l'air, imitent le son des instruments que l'on touche, et la voix humaine. 2. Les machines qui servent à tirer sont celles à l'aide desquelles on transporte ou on élève des fardeaux. Pour monter on a moins besoin d'art que de hardiesse. La machine se compose de chaînes, de pièces de bois transversales, d'un mannequin fait avec de l'osier entrelacé, et d'un montant solide qui soutient le tout. Celles que la force du vent fait agir, produisent des effets étonnants, grâce aux moyens ingénieux que l'art emploie. Celles qui servent à tirer sont si utiles, que les résultats qu'on en obtient sont prodigieux , quand on met avec habileté leur puissance en action. 3. De toutes ces machines, les unes se meuvent g-mehchanikohs, les autres g-organikohs. Entre les machinae et les organa, il me semble qu'il y a cette différence, que les machinae demandent, pour avoir leur effet, plus de bras, plus de forces, comme les balistes et les arbres des pressoirs, et que les organa, maniés avec adresse par un seul homme, exécutent ce à quoi ils sont destinés. Tels sont les arbalètes et les anisocycles. Toutes ces machines, de quelque espèce qu'elles soient, sont d'un usage indispensable; sans elles il n'est rien qui se fasse sans difficulté. 4. L'art de faire des machines est entièrement fondé sur la nature, et sur l'étude qu'on a faite du mouvement circulaire du monde. Regardons d'abord et observons la marche continuelle du soleil, de la lune et des cinq autres planètes ; si leur mouvement de rotation n'était pas basé sur les règles de la mécanique, nous n'aurions point de lumière pendant le jour, et les fruits n'arriveraient point à leur maturité. A la vue de ce mécanisme, les anciens prirent modèle sur la nature, et, suivant la marche que ces corps divins semblaient leur indiquer, ils obtinrent des résultats qui sont si nécessaires à la vie. Aussi, pour rendre leurs ouvrages plus faciles à faire, ont-ils inventé toutes sortes de machines dont la puissance a été appropriée à leur destination. C'est ainsi que tout ce dont ils ont reconnu l'utilité dans les sciences, dans les arts, dans les métiers, a été insensiblement amené par leur sagacité à une plus grande perfection. 5. Remarquons que la première invention a été due à la nécessité : c'est le vêtement. L'entrelacement des fils de la chaîne avec ceux de la trame, a produit, à l'aide de certains instruments, un tissu qui, en couvrant le corps, ne le protége pas seulement, mais lui sert encore d'un grand ornement. Et les aliments, nous ne les aurions pas eus en abondance, si l'on n'avait point inventé le joug et la charrue pour les boeufs et pour toutes les bêtes de somme; et sans les moulinets, sans les pressoirs, sans les leviers, sans la manière employée pour pressurer les olives et les raisins, nous ne jouirions point des liqueurs qu'on en exprime. Et quels seraient nos moyens de transport, si l'on n'avait inventé les chariots, les voitures et les bateaux, pour transporter par terre et par eau? L'invention des trébuchets et des balances nous met à même de nous assurer du poids de chaque chose, et empêche la fraude d'exercer ses manoeuvres. Il existe encore une infinité d'autres machines dont je crois inutile de parler, parce qu'elles se trouvent journellement sous la main : telles sont les roues, les soufflets de forge, les carrosses, les cabriolets, les tours et toutes les autres choses qui sont d'un usage ordinaire dans la vie. [10,2] II. Des machines qui servent à tirer. 1. Nous allons commencer l'explication de celles dont on se sert rarement, afin de les bien faire connaître. Nous allons commencer par les machines dont l'emploi est nécessaire pour la construction des temples et des édifices publics. Voici comment on les fait. On prépare trois pièces de bois proportionnées au poids des fardeaux qu'elles doivent lever. On les joint ensemble par le haut avec une cheville, puis on les dresse et on les écarte par en bas, après avoir lié à leur tête des cordes qu'on attache dans les environs pour tenir la machine droite et l'affermir. On attache au haut une moufle appelée par quelques-uns rechamus. On y introduit deux poulies qui tournent sur des boulons. Sur la poulie supérieure on fait passer un câble qu'on tire jusqu'à la poulie de la moufle inférieure, sous laquelle poulie on le fait passer pour le ramener à la seconde poulie de la moufle supérieure ; puis on le fait redescendre à la moufle inférieure dans un trou de laquelle on l'attache; l'autre bout du câble est ramené au bas de la machine. 2. A la partie postérieure des pièces de bois équarries, vers l'endroit où elles sont écartées, on fixe deux anses de fer qui reçoivent les bouts du moulinet, afin qu'ils y tournent facilement comme des essieux. Ce moulinet, vers chacun de ses bouts, a deux trous disposés de manière que des leviers puissent y entrer. A la partie inférieure de la moufle d'en bas, on attache des tenailles de fer dont les deux branches vont s'enfoncer dans des trous que l'on fait aux pierres. Comme le bout du câble est attaché au moulinet que les leviers font tourner, le câble, s'enroulant tout autour, se tend et fait monter les fardeaux jusqu'à la hauteur à laquelle ils doivent être placés. 3. La machine dans laquelle se meuvent trois poulies, s'appelle trispaste; quand elle en a cinq, deux dans la moufle d'en bas, trois dans celle d'en haut, on la nomme pentaspaste. Si l'on veut avoir des machines capables de lever de plus lourds fardeaux, il faudra se servir de pièces de bois plus longues et plus grosses, et augmenter à proportion la grosseur des boulons qui sont en haut, et la force des moulinets qui sont en bas. Après ces préparatifs, on commencera par attacher, sans qu'ils soient tendus, les câbles destinés à soutenir la machine; puis pour empêcher que les deux pièces de bois où sont attachées les amarres ne reculent, on y mettra des cordes que, faute de mieux, on liera autour de pieux auxquels on donnera un certain degré d'inclinaison en les fichant en terre, et en les y enfonçant bien avant à coups de maillet. 4. Après cela, on attachera solidement une moufle au haut de la machine d'où l'on fera descendre un câble vers une autre moufle attachée à un pieu; on le fera passer dans la poulie de cette moufle inférieure pour le faire remonter jusqu'à la poulie qui est attachée à la tête de la machine. Après l'avoir fait passer par-dessus la poulie de cette moufle supérieure, on le ramènera vers le moulinet qui est au bas de la machine, et on l'y fixera. Le moulinet mis en mouvement par les leviers fera lui-même monter la machine sans aucun danger; et grâce aux câbles disposés autour d'elle, et aux cordes attachées aux pieux pour la retenir, la machine sera bien affermie. On pourra alors, comme on l'a lu plus haut, se servir des moufles et des cordes qui servent à tirer. 5. Si dans un ouvrage il se rencontre des fardeaux d'une grosseur et d'un poids énormes, il ne faudra point se fier au moulinet; dans les anses qui le retiennent, il faudra passer un essieu au milieu duquel il y aura un grand tympan appelé par quelques Romains rota, et par les Grecs g-amphireusin ou g-peritrochion. 6. Dans ces machines, les moufles sont d'une autre forme : toutes deux, celle du haut comme celle du bas, ont un double rang de poulies. On passe le câble dans l'anneau de la moufle inférieure, jusqu'à ce que les deux bouts soient d'égale longueur, quand il sera tendu. Là, auprès de la moufle inférieure, avec une ficelle qui, après plusieurs tours, y sera fortement nouée, les deux parties du câble seront arrêtées de manière à ne pouvoir glisser ni à droite ni à gauche. Les deux bouts du câble sont ensuite montés jusqu'à la moufle supérieure où on les fait passer, par la partie extérieure, sur les secondes poulies, pour les ramener en bas, les faire passer sous les poulies de la moufle inférieure par la partie intérieure, et les faire retourner encore à droite et à gauche jusqu'en haut, où on les fait passer sur les premières poulies. 7. Après les avoir fait passer par la partie extérieure, on les ramène, à droite et à gauche de la roue, jusqu'à l'essieu, où on les attache pour les y fixer. Alors, de la roue autour de laquelle il est entortillé, un autre câble se dirige vers un vindas. En même temps que ce câble file autour de la roue et du treuil du vindas, ceux qui sont attachés à l'essieu de la machine, se tendent et lèvent insensiblement les fardeaux sans danger. Que si l'on veut, sans employer de vindas, se servir d'une roue plus grande, en la faisant tourner par des hommes qui agiront avec leurs pieds, soit au milieu, soit à l'une de ses extrémités, on en obtiendra des résultats encore plus prompts. 8. Il y a une autre machine assez ingénieuse ; elle est très expéditive, mais elle veut être dirigée par une main adroite. C'est une longue pièce de bois qui, mise debout, est arrêtée de quatre côtés par des cordes. Au haut de cette pièce de bois, au-dessous de l'endroit où ces cordes sont attachées, on cloue deux anses sur lesquelles on fait passer les cordes qui retiennent la moufle. On appuie cette moufle par une règle longue d'environ deux pieds, large de six doigts, épaisse de quatre. Les moufles présentent sur leur largeur trois rangs de poulies, en sorte que trois câbles attachés au haut de la machine descendent jusqu'à la moufle inférieure, sous les trois premières poulies de laquelle on les fait passer du dedans au dehors. On les remonte ensuite à la moufle supérieure pour les faire passer de dehors en dedans sur les poulies d'en bas. 9. De là, descendant à la moufle inférieure, ces câbles passent de dedans en dehors sous les secondes poulies, et retournent en haut pour passer sur les poulies du second rang, d'où ils redescendent en bas pour remonter encore en haut, où, après avoir passé sur les trois poulies du dernier rang, ils redescendent au bas de la machine. Or, au pied de la machine, se trouve une troisième moufle, que les Grecs appellent g-epagonta et les Romains artemon. Cette moufle, qui est attachée au pied de la machine, a trois poulies dans lesquelles passent les trois câbles qu'on donne à tirer à des hommes. Ainsi trois rangées d'hommes, sans le secours d'un vindas, peuvent tirer et élever promptement les fardeaux. 10. Cette espèce de machine s'appelle polyspaste, parce que, à l'aide d'un grand nombre de poulies, on tire avec autant de facilité que de promptitude. L'emploi d'une seule pièce de bois a cela d'avantageux, que, en lui donnant préalablement l'inclinaison que l'on veut, à droite ou à gauche, elle peut déposer les fardeaux sur les côtés. Toutes les machines qui ont été décrites ci-dessus peuvent encore servir à charger et à décharger les navires, les unes debout, les autres couchées sur des pièces de bois faciles à mettre en mouvement. On peut encore, sans élever d'arbre, étendre à terre les mêmes câbles et les mêmes poulies, et s'en servir pour tirer les navires hors de l'eau. 11. Il n'est pas hors de propos d'expliquer aussi l'invention ingénieuse de Chersiphron. Cet architecte voulait transporter des fûts de colonnes, des carrières où on les prenait, jusqu'à Éphèse, où il bâtissait le temple de Diane. Craignant que la pesanteur des fardeaux et le peu de solidité des chemins de campagne ne fissent enfoncer les roues, voici l'expédient qu'il trouva. Quatre pièces de bois de quatre pouces carrés, deux placées en travers et les deux autres en long, égales à la grandeur de chaque fût de colonne, furent solidement assemblées. Aux deux bouts des fûts, il scella avec du plomb des boulons de fer en forme de queue d'aronde, et enfonça dans les traverses des anneaux en fer pour y faire passer les boulons. De plus, il attacha aux deux extrémités de la machine, des timons en bois de chêne auxquels on attela des boeufs, et les boulons passés dans les anneaux de fer y tournaient si librement, que les fûts des colonnes, grâce à ces boulons et à ces anneaux de fer, roulèrent sans aucune difficulté. 12. Quand tous les fûts des colonnes eurent été transportés, il fut aussi question du transport des architraves. Métagène, fils de Chersiphron, prit modèle sur cette machine pour les amener. Il fit des roues de douze pieds environ, et au milieu de ces roues il enchâssa les deux bouts des architraves, auxquels il adapta de la même manière des boulons et des anneaux de fer, de sorte que, les boeufs une fois attelés à la machine faite de pièces de bois de quatre pouces carrés, les boulons passés dans les anneaux de fer faisant tourner les roues; et les architraves enfermées dans les roues comme des essieux, arrivèrent de la même manière que les fûts de colonnes, au lieu de leur destination. On peut avoir une idée de cette machine par les cylindres qui servent à aplanir les allées dans les palestres. Mais il eût été impossible de réussir sans le peu de distance qu'il y avait entre la carrière et le temple, distance qui n'était que de huit mille pas ; encore n'y avait-il ni à monter ni à descendre. 13. De notre temps, le piédestal de la statue colossale d'Apollon menaçait ruine de vétusté. On craignait que cette statue, placée dans son temple, ne vint à tomber et à se briser. On proposa un marché pour tirer de la même carrière un nouveau piédestal. Ce fut un nommé Paconius qui l'accepta. Ce piédestal avait douze pieds de longueur, huit de largeur, six de hauteur. Paconius, piqué d'honneur, ne se servit point de l'appareil de Métagène ; il voulut monter une machine d'un autre genre, d'après le même système. 14. Il fit faire des roues d'environ quinze pieds, et y enferma les deux bouts de la pierre; ensuite, tout autour de cette pierre, il disposa en rond des fuseaux de deux pouces de grosseur qui, passant d'une roue à l'autre, n'avaient entre eux que la distance d'un pied. Puis il entortilla ces fuseaux d'un câble qu'il fit tirer par un attelage de boeufs. A mesure que le câble se déroulait, les roues tournaient; mais elles ne pouvaient aller droit, et dérivaient tantôt à droite, tantôt à gauche. Il fallait à chaque instant reculer. Aussi Paconius, à force d'avancer et de reculer, finit par se mettre dans l'impossibilité de faire face aux frais. 15. Je vais faire une petite digression pour raconter de quelle manière furent trouvées les carrières d'Éphèse. Il y avait un berger nommé Pixodore qui vivait dans ces parages. Dans le temps que les citoyens d'Éphèse pensaient à élever à Diane un temple de marbre, et se proposaient de faire venir leurs marbres de Paros, de Proconèse, d'Héraclée et de Thasis, Pixodore avait mené paître son troupeau dans ce même endroit. Voilà que deux de ses béliers, se précipitant pour se choquer, passèrent l'un à côté de l'autre sans se toucher; mais il y en eut un qui alla donner de ses cornes contre un rocher dont il enleva un fragment de la couleur la plus blanche. Pixodore laisse, dit-on, ses moutons dans la montagne, court à Éphèse, où il arrive avec son fragment au moment où il était le plus question de l'affaire des marbres. On lui décerna à l'instant de grands honneurs; on changea son nom de Pixodore en celui d'Evangelus. Et de nos jours encore, le magistrat est tenu de se rendre tous les mois sur le lieu même, pour y faire un sacrifice, faute de quoi il subit une punition. [10,3] III. De la ligne droite et de la ligne circulaire, principes de tout mouvement. 1. J'ai exposé en peu de mots ce que j'ai cru nécessaire de dire pour l'intelligence des machines qui servent à tirer. Les deux moteurs ou puissances qui les font agir, différents l'un de l'autre, ne se ressemblent pas; ils concourent pourtant à produire les principes de deux actions : l'une est la force de la ligne droite que les Grecs appellent g-eutheia; l'autre , celle de la ligne circulaire qu'ils nomment g-kyklohpeh. Il n'en est pas moins vrai que la ligne droite ne peut agir sans la circulaire, ni la circulaire sans la droite, dans l'élévation des fardeaux. Cette proposition, pour être bien comprise, demande quelque explication. 2. Les chevilles qui traversent les poulies comme des axes, sont placées dans les moufles, et le câble qui passe sur les poulies et qui va directement s'attacher au moulinet, fait monter les fardeaux, grâce au mouvement de rotation que lui imprime le levier. Les bouts du treuil du moulinet qui, comme des centres, s'étendent entre les deux amarres, et les leviers qui entrent dans les trous du moulinet, et dont l'extrémité décrit un cercle dans son mouvement de rotation, semblable à celui d'un tour, élèvent les fardeaux. On peut, de même, au moyen d'un levier en fer, lever un fardeau que plusieurs hommes ne sauraient remuer. Pour servir de centre, on place sous le levier un appui que les Grecs appellent g-hypomochlion; on passe la pince sous le fardeau; qu'un seul homme alors vienne à appuyer sur le manche, on le verra lever ce fardeau. 3. En voici la raison : c'est que la première partie du levier comprise entre le point d'appui, qui est le centre, et le fardeau sous lequel on met la pince, est la plus courte; et que la plus longue, celle qui s'étend depuis ce centre jusqu'à la tête du levier, étant la partie sur laquelle on agit, peut, par le mouvement circulaire qu'on lui fait faire, donner aux quelques mains qui la pressent, une force égale à la pesanteur d'un très lourd fardeau. Mais si l'on met la pince du levier de fer sous le fardeau, et qu'au lieu de peser sur le bout opposé, on veuille, au contraire, le soulever, la pince appuyant sur le sol, agira contre la terre, comme elle agissait contre le fardeau, et l'angle du fardeau sera son point d'appui : l'opération ne sera pas aussi facile que lorsqu'on appuyait sur le levier; on en viendra néanmoins à bout, bien qu'avec plus de peine. S'il arrive que la pince du levier qui est posé sur l'hypomochlium, se trouve engagée sous le fardeau, de manière que la tête du manche sur lequel on appuie, soit plus près du centre , on ne pourra point lever le fardeau , à moins que, suivant ce que nous avons dit plus haut, en allongeant le manche, on ne ramène l'équilibre entre la résistance du fardeau et la puissance qui doit le lever. 4. C'est une expérience qu'il est facile de faire avec les balances qu'on appelle statères. L'anse est placée auprès de l'extrémité à laquelle le bassin est suspendu; c'est là qu'est le centre du mouvement du fléau. De l'autre côté se trouve le poids qui tient la machine en équilibre. Plus, en le faisant glisser vers l'extrémité du fléau, vous lui ferez franchir de ces points qui y sont marqués, plus, malgré l'inégalité de sa pesanteur, vous lui donnerez de force pour faire équilibre avec les plus lourds fardeaux, puisque sa puissance augmente à mesure qu'il s'éloigne du centre. Ainsi, le poids si léger destiné à établir l'équilibre, acquérant en un moment une force proportionnée à son éloignement du centre, peut faire monter doucement et sans peine un très grand fardeau. 5. Cette même force, qui agit loin du centre, fait qu'un pilote qui dirige la barre du gouvernail que les Grecs appellent g-oiax vient à bout de faire tourner en un moment, avec une seule main, les plus gros bâtiments de transport, chargés, en marchandises et en provisions, des fardeaux les plus lourds, les plus considérables. C'est aussi par la même raison que, si les voiles ne sont montées que jusqu'à la moitié du mât, un vaisseau ne peut courir avec rapidité, tandis que si les antennes ont été élevées jusqu'au haut, on le voit alors s'élancer avec impétuosité; c'est que le vent agit avec moins de force sur les voiles qui reçoivent son souffle aussi près du pied du mât, que l'on considère comme le centre, que sur celles qui le reçoivent en haut à une plus grande distance. 6. Ainsi de même que le levier, quand on le prend par le milieu, a beaucoup moins de force, et ne soulève qu'avec peine le fardeau sous lequel il est placé, tandis que, si l'on pèse sur l'extrémité du manche, on le sentira fonctionner avec facilité; de même, les voiles, lorsqu'elles sont attachées au milieu du mât, agissent avec moins de puissance que quand elles sont hissées jusqu'au haut : car alors, se trouvant plus éloignées du centre, bien que le vent ne les enfle pas avec plus de force , elles donnent au vaisseau une impulsion plus énergique et accélèrent sa marche. C'est encore par la même raison que, quand les rames qui sont attachées à leur cheville par un anneau, sont plongées dans l'eau et ramenées à force de bras, si la partie qui va frapper l'eau de la mer s'étend loin de la cheville qui est le centre autour duquel elles se meuvent, le vaisseau sille avec impétuosité, la proue fend les vagues avec plus de légèreté. 7. Lorsque la pesanteur d'un fardeau exige qu'il y ait quatre ou six hommes pour le porter, on le met parfaitement en équilibre au milieu des bâtons qui doivent servir, afin que tout le poids de la charge soit divisé de manière que chaque porteur n'ait à soutenir sur son épaule qu'une part proportionnée à leur nombre. Pour cela, le milieu des bâtons où sont attachées les courroies des porteurs, est armé de clous pour empêcher que les fardeaux ne glissent d'un côté ou de l'autre : car s'ils s'écartent du centre, ils pèsent davantage sur l'épaule de celui dont ils se sont approchés. C'est ce qui arrive dans la statère, lorsque le poids s'éloigne de l'anse pour avancer vers l'extrémité du fléau. 8. C'est encore par la même raison que deux boeufs, lorsque leurs jougs sont attachés par le milieu avec une courroie, ont à tirer autant l'un que l'autre; mais s'ils ne sont pas d'égale force, et que le plus fort fatigue trop son compagnon, on allonge un des côtés du joug avec une courroie qu'on y passe, pour soulager le boeuf le plus faible. Ainsi, pour les bâtons à porter comme pour les jougs, quand la courroie n'est pas placée au milieu, quand, en s'éloignant du centre, elle a rendu l'un des côtés plus court, et l'autre plus long, si sur le nouveau centre formé par le déplacement de la courroie on vient à faire tourner le bâton, l'extrémité de la partie la plus longue décrira un cercle plus grand que l'extrémité de la partie la plus courte. 9. De même que les petites roues ont plus de peine, plus de difficulté à rouler que les grandes, de même aussi les bâtons à porter et les jougs pèsent davantage du côté où il se trouve le moins d'intervalle, depuis le centre jusqu'à l'extrémité, comme ils deviennent plus légers pour ceux qui tirent ou qui portent du côté qui présente le plus de longueur à partir du centre. Puisque c'est en raison de l'éloignement du centre et de la grandeur du cercle que le mouvement devient plus facile, les charrettes, les voitures, les tympans, les roues, les vis, les scorpions, les balistes, les pressoirs et toutes les autres machines remplissent le but auquel elles sont destinées, quand elles sont soumises aux principes qui règlent l'éloignement du centre et le mouvement circulaire. [10,4] IV. Des différentes espèces de machines destinées à tirer l'eau. 1. Je vais maintenant parler des différentes espèces de machines qui ont été inventées pour tirer de l'eau ; je commence par le tympan. Cette machine n'élève pas l'eau bien haut, mais elle en tire une grande quantité en très peu de temps. On fait au tour ou au compas un essieu dont les extrémités sont garnies d'une lame de fer. On le passe au travers d'un tympan formé de planches jointes ensemble, et on le fixe au milieu; puis on le place sur deux pieux qui ont des lames de fer aux deux endroits où portent les deux bouts de l'essieu. Dans la cavité de ce tympan, on dispose huit planches en travers, depuis l'essieu jusqu'à la circonférence, lesquelles divisent le tympan en autant d'espaces égaux. 2. Autour de cette machine, on arrondit des planches dans lesquelles on pratique des ouvertures d'un demi pied, pour que l'eau puisse pénétrer à l'intérieur. De plus, on creuse le long de l'essieu autant de petits canaux qu'il y a de compartiments, et on les fait aboutir à un des côtés de l'essieu. Quand le tout a été bien goudronné comme un bateau, on charge des hommes de faire tourner avec leurs pieds la machine qui, en puisant l'eau par les ouvertures pratiquées dans la circonférence du tympan, la rend par les conduits qui sont le long de l'essieu; elle tombe alors dans une auge de bois à laquelle on a adapté un tuyau. C'est par ce moyen qu'on conduit une grande quantité d'eau dans les jardins pour les arroser, et dans les salines pour les approvisionner. 3. Si l'on veut faire monter l'eau plus haut, on peut employer le même procédé avec cette modification : on fait autour de l'essieu une roue assez grande pour qu'elle puisse atteindre à la hauteur à laquelle on veut élever l'eau. Autour de la circonférence de la roue, on cloue des caisses bien calfeutrées avec de la poix et de la cire, de sorte que, quand des hommes font tourner la roue avec leurs pieds, les caisses s'élèvent pleines jusqu'au haut, puis, lorsqu'elles viennent à redescendre, elles versent d'elles-mêmes dans le réservoir l'eau qu'elles ont montée. 4. Si l'on doit fournir d'eau des lieux plus élevés encore, on placera sur l'essieu de la même roue une double chaîne de fer qui descendra jusque dans l'eau; à cette chaîne seront suspendus des seaux de cuivre de la capacité d'un conge. Le mouvement de la roue, en faisant tourner la chaîne avec l'essieu, fera monter les seaux qui, arrivés au-dessus de l'essieu, se renverseront nécessairement, et verseront dans le réservoir toute l'eau qu'ils contiendront. [10,5] V. Des roues que l'eau met en jeu, et des moulins à eau. 1. On fait aussi dans les rivières des roues du même genre que celles dont nous venons de parler. Autour de la circonférence de ces roues sont fixées des aubes qui, en recevant l'impulsion du courant, donnent nécessairement à cette circonférence un mouvement de rotation, sans qu'il soit besoin d'hommes pour mettre en jeu les roues que la force seule du courant fait tourner; les caisses puisent l'eau, l'élèvent jusqu'en haut et en fournissent la quantité nécessaire pour l'usage. 2. Les moulins à eau que le même mécanisme met en mouvement, sont faits de la même manière, avec cette différence pourtant que l'une des extrémités de l'essieu traverse un rouet qui, posé à plomb, perpendiculairement, tourne avec la roue. Auprès de ce rouet s'en trouve un autre plus petit, dentelé aussi et placé horizontalement; au milieu de ce petit rouet s'élève un essieu à l'extrémité supérieure duquel se trouve un fer en forme de hache, qui l'affermit dans la meule. Ainsi les alichons du grand rouet qui termine l'essieu de la roue, s'engrenant avec ceux du petit qui est placé horizontalement, font tourner la meule au-dessus de laquelle est suspendue la trémie qui laisse tomber le blé entre les meules, où il est converti en farine par le même mouvement de rotation. [10,6] VI. De la limace qui donne une grande quantité d'eau sans l'élever bien haut. 1. La limace est une espèce de machine qui puise beaucoup d'eau, mais qui ne l'élève pas aussi haut que la roue. Voici de quelle manière elle se construit : on prend une pièce de bois qui a autant de pieds en longueur que de doigts en épaisseur. On l'arrondit au compas. Le cercle qui est à chaque bout se divise avec un compas en quatre parties égales ou en huit, en conduisant du centre à la circonférence autant de lignes qu'il y a de divisions, et ces lignes doivent être tracées de telle sorte que, la pièce de bois étant couchée à terre, leurs extrémités correspondent parfaitement. à chaque bout. Puis, d'un bout à l'autre de ces extrémités, on tire le long de la pièce de bois d'autres lignes sur lesquelles on marque des espaces égaux à la huitième partie de la circonférence; si bien que les divisions, prises sur la longueur, sont les mêmes que celles de la circonférence. On tire ensuite autour de la circonférence des lignes qui coupent celles qui sont tracées dans la longueur, et on marque des points aux endroits où elles s'entrecroisent. 2. Toutes ces dispositions ayant été faites avec exactitude, on prend une tringle flexible de saule ou d'osier qui, après avoir été enduite de poix liquide, est appliquée sur le premier point. On la fait passer ensuite obliquement sur les points suivants marqués par les lignes longitudinales et transversales, et en avançant graduellement, après avoir traversé chaque point en tournant, après avoir placé la tringle sur chaque intersection, et l'y avoir fixée, on arrive du premier point au huitième, jusqu'à la ligne sur laquelle on avait commencé à la fixer. Ainsi, la marche qu'on lui fait suivre obliquement à travers huit points de la circonférence, la conduit également au huitième point de la ligne longitudinale. Les tringles fixées obliquement sur les intersections formées par la rencontre de toutes les lignes droites et arrondies, composent autour du cylindre autant de canaux qu'on y a fait de divisions, et ces canaux ressemblent parfaitement à celui que la nature a tracé dans le limaçon. 3. Sur ces premières tringles on en applique d'autres, enduites aussi de poix liquide, et on les accumule les unes sur les autres jusqu'à ce qu'elles aient donné à la limace une grosseur égale à la huitième partie de sa longueur. Sur ces tringles, tout autour de la machine, on attache des planches pour couvrir cet entortillement de canaux. Alors on recouvre ces planches d'une forte couche de poix, et on les lie avec des cercles de fer, pour que la force de l'eau ne les disjoigne pas. Les deux bouts du cylindre armés chacun d'un pivot en fer sont entourés de cercles de même métal qu'on arrête avec des clous. Puis à droite et à gauche de chacun des bouts de la limace, on plante des pieux dont les extrémités sont liées par des traverses. Au milieu de ces traverses, on enchâsse deux pitons dans lesquels on fait entrer les pivots, et dans cet état des hommes la font tourner avec leurs pieds. 4. Le degré d'inclinaison de la limace répond à la description du triangle rectangle de Pythagore, c'est-à-dire que si l'on divise la longueur de la limace en cinq parties, on en donnera trois à l'élévation de sa tête, de sorte qu'il s'en trouvera quatre depuis la ligne perpendiculaire de l'élévation jusqu'aux ouvertures qui sont au bas de la machine. On verra facilement comment cela doit se faire par la figure que j'en donne à la fin du livre. Je viens d'expliquer le plus clairement que j'ai pu, afin de les mieux faire connaître, les machines qui se font avec du bois. J'ai dit de quelle manière on les confectionnait, et comment, à l'aide du mouvement circulaire, on les mettait en jeu pour en retirer de si nombreux avantages. [10,7] VII. De la machine de Ctesibius qui élève l'eau très haut. 1. J'ai maintenant à parler de la machine de Ctesibius qui fait monter l'eau à une grande hauteur. Elle se fait en cuivre. On place en bas de cette machine, à une petite distance l'un de l'autre, deux barillets auxquels on adapte des tuyaux qui vont en forme de fourche s'ajuster à un petit bassin posé entre ces deux barillets. Dans ce bassin sont pratiquées deux soupapes qui s'adaptent parfaitement à l'orifice supérieure des tuyaux qu'elles bouchent hermétiquement, pour empêcher que ce qui a été poussé dans le bassin par le moyen de l'air, ne s'échappe. 2. On ajuste sur le bassin une chape semblable à un entonnoir renversé, et on l'y retient par le moyen de pitons traversés par des clavettes, de crainte que la force avec laquelle l'eau est poussée ne vienne à la faire sauter. On soude avec la chape, perpendiculairement au-dessus, un autre tuyau qu'on appelle trompe. Les barillets ont au-dessous de l'orifice inférieure des tuyaux, des soupapes qui ferment les trous qui sont au fond. 3. Ensuite on fait entrer par le haut, dans les barillets, des pistons polis au tour et frottés d'huile. Ces pistons, une fois enfermés dans les barillets, sont mis en jeu à l'aide de tringles et de leviers; puis par le mouvement répété qui les fait hausser et baisser, ils compriment l'air qui s'y trouve condensé, et l'eau que retiennent les soupapes qui bouchent les ouvertures par lesquelles elle est entrée dans les barillets. Alors l'eau est contrainte, par la compression, de se précipiter par les ouvertures des tuyaux, dans le petit bassin d'où l'air qui la pousse contre la chape la fait sortir par la trompe qui est en haut; par ce moyen, l'eau peut être élevée d'un endroit bas dans un réservoir pour y former un jet. 4. Cette machine n'est pas la seule dont on attribue l'invention à Ctesibius; il en est plusieurs autres de différentes sortes qui, par le moyen de l'eau poussée par la compression de l'air, produisent des effets imités de la nature : telles sont les machines hydrauliques qui imitent le chant des oiseaux, et ces petites figures creuses que l'eau met en mouvement dans des vases de verre, et d'autres encore qui sont faites pour charmer les sens de la vue et de l'ouïe. 5. Parmi ces machines, j'ai choisi celles qui m'ont paru les plus utiles et les plus nécessaires, et, après avoir parlé des horloges dans le livre précédent, j'ai jugé à propos de traiter dans celui-ci des machines hydrauliques. Quant aux autres machines qui sont faites moins pour servir que pour amuser, ceux qui désireront en connaître le mécanisme ingénieux pourront consulter l'ouvrage de Ctesibius lui-même. [10,8] VIII. Des orgues hydrauliques. 1. Je n'omettrai point d'expliquer le mécanisme des orgues mises en jeu par le moyen de l'eau; mais je ne vais traiter cette matière que le plus succinctement que je pourrai, et avec le moins de mots possible. Sur une base faite avec du bois, on met un coffre de cuivre ; de cette base s'élèvent, à droite et à gauche, deux règles jointes ensemble en forme d'échelle; entre ces règles on enferme des cylindres creux en cuivre, avec des pistons parfaitement arrondis au tour et attachés à des branches de fer qui, faisant au milieu le coude à l'aide de charnières, tiennent elles-mêmes de la même manière à des leviers, et sont enveloppées de peaux encore garnies de leur laine. Dans la plaque qui forme le haut des cylindres, sont des trous de la grandeur d'environ trois doigts. Tout près de ces trous sont placés des dauphins de cuivre également attachés avec des charnières. Ils tiennent suspendus à des chaînes des cônes en cuivre qui, ayant leur base en bas, descendent dans les trous des cylindres. 2. Dans le coffre où l'eau est suspendue, il y a un puigée, espèce d'éteignoir, sous lequel on place des sortes de dés d'environ trois doigts qui laissent le même espace entre ses bords inférieurs et le fond du coffre. Au-dessus de son col, qui va en rétrécissant, est soudé un coffret qui soutient la partie supérieure de la machine appelée en grec g-kanohn g-mousikos (règle musicale) : cette partie a dans la longueur quatre canaux, si l'orgue est à quatre jeux; six, s'il est à six jeux; huit, s'il est à huit. 3. Chaque canal a un robinet, avec une clef de fer. Cette clef, quand on la tourne, laisse passer dans les canaux l'air renfermé dans le coffre. Le long de ces canaux qui traversent le g-kanohn, il y a une rangée de trous qui répondent à d'autres qui sont dans la table supérieure, appelée en grec g-pinax (table). Entre cette table et le g-kanohn, on place des règles percées en face des trous du g-kanohn, et frottées d'huile pour qu'elles puissent être facilement poussées et ramenées à l'intérieur. Leur destination est de boucher les trous qui sont le long des canaux : on les appelle pleuritides (côtes); lorsqu'elles vont ou qu'elles viennent, elles donnent ou ôtent le vent aux tuyaux. 4. Ces règles ont des ressorts en fer qui les attachent aux marches; quand ces marches sont touchées, elles font remuer ces règles. Au-dessus de la table il y a des trous qui laissent sortir le vent des tuyaux. A d'autres règles encore sont soudés des anneaux dans lesquels sont enfermés les bouts de tous les tuyaux. Depuis les cylindres jusqu'au col du pnigée, s'étendent les uns à la suite des autres des conduits qui communiquent avec les trous du coffret. Dans ces trous sont placés des focets qui, les bouchant hermétiquement, ne laissent point ressortir le vent que renferme le coffret. 5. Ainsi, quand on lève les leviers, les tringles de fer coudées font couler les pistons jusqu'au fond des cylindres, et les dauphins qui sont retenus par des charnières, laissant descendre les cônes dans les cylindres, donnent entrée à l'air qui les remplit. Puis les tringles de fer, par le mouvement rapide imprimé aux pistons, les faisant monter dans les cylindres, et bouchant en même temps les ouvertures avec les cônes soulevés par la force de l'air intérieur, forcent cet air comprimé dans les cylindres par les coups de piston, à passer dans les conduits par lesquels il se précipite dans le pnigée, et de là, par son col, dans le coffret. Aussi, l'air fortement comprimé par la fréquente impulsion des leviers, entre par les ouvertures des robinets et remplit les canaux de vent. Lors donc qu'une main habile touche les marches qui, en poussant continuellement les règles, et en les laissant revenir, ouvrent ou ferment le passage au vent, elle produit une grande harmonie par la nombreuse variété des inflexions. 6. J'ai cherché, autant qu'il était en mon pouvoir, à éclaircir, dans ce chapitre, une matière par elle-même fort obscure : c'est un instrument qui ne peut être facilement compris que par ceux qui en ont étudié de près toutes les parties. Et si la description que j'en donne est peu intelligible pour quelques personnes, je suis sûr qu'en le voyant exécuté, elles en trouveront le mécanisme aussi ingénieux que régulier. [10,9] IX. Du moyen de connaitre combien on a fait de chemin, dans une voiture ou sur un bateau. 1. Passons maintenant à une invention qui, si elle n'est pas des plus utiles, est au moins une des plus ingénieuses que nous aient laissées les anciens : je veux parler du moyen d'arriver à connaître combien on a fait de milles, soit dans une voiture, soit sur un bateau. Le voici : les roues du char doivent avoir de diamètre quatre pieds, afin que, d'après une marque faite à l'une des roues , à laquelle elle aura commencé à tourner sur la terre, ou puisse connaître d'une manière certaine qu'en revenant au point auquel elle s'était mise à rouler, elle a parcouru un espace de douze pieds et demi. 2. Cela fait, on attachera solidement au moyeu de la roue, du côté intérieur, un tympan ayant une petite dent qui excède sa circonférence au-dessus de ce tympan. Au corps de la voiture, on clouera avec la même solidité une boîte, contenant un autre tympan posé perpendiculairement et traversé par un petit essieu. Ce tympan doit avoir, à sa circonférence, quatre cents petites dents également espacées, qui se rapportent à la petite dent du tympan inférieur. De plus, le tympan supérieur doit avoir, à une de ses parties latérales, une autre dent qui s'avance en dehors de celles qui sont à sa circonférence. Il faudra encore renfermer, dans une autre boîte, un troisième tympan placé horizontalement, et ayant , comme le second, quatre cents dents qui se combinent avec celle qui aura été fixée à la partie latérale du second tympan. 3. Dans ce troisième tympan, on fera autant de trous que la voiture pourra faire de milles en un jour; qu'il y en ait un peu plus ou un peu moins, peu importe. Dans chacun de tous ces trous on mettra un petit caillou rond, et dans l'étui ou boîte qui contient ce tympan, il y aura une ouverture débouchant sur un petit canal par où les petits cailloux qui auront été mis dans ce tympan, arrivés en cet endroit, pourront tomber l'un après l'autre, par le corps de la voiture, dans un vase de cuivre qui sera placé au fond. 4. Ainsi, lorsque la roue du char, dans son mouvement de rotation, emporte avec elle le tympan d'en bas, et que la dent frappant à chaque tour une des dents du tympan supérieur, le fait tourner d'autant, il arrive que les quatre cents tours du premier tympan ne font faire qu'un tour au second, et que la petite dent latérale ne fait avancer que d'une dent le tympan horizontal. Ainsi, pendant que le premier tympan, avec ces quatre cents tours, n'en aura fait faire qu'un seul au second, la voiture aura parcouru un espace de cinq mille pieds, c'est-à-dire de mille pas. Le bruit que fera chaque caillou en tombant, avertira qu'on aura avancé d'un mille, et le nombre de ceux qu'on ramassera au fond du vase fera connaître de combien de milles sera la route parcourue en un jour. 5. Avec quelques changements, on arrivera au même résultat sur l'eau. On fait passer à travers les flancs du vaisseau un essieu dont les extrémités, saillant au dehors, portent des roues de quatre pieds de diamètre, ayant autour de leur circonférence des aubes qui touchent l'eau. Autour de cet essieu s'arrondit, au milieu du navire, un tympan avec une petite dent qui excède sa circonférence. A cet endroit, on place une boîte renfermant un second tympan divisé également en quatre cents dents, qui se rapportent à celle du tympan traversé par l'essieu; il a de plus une autre dent latérale qui dépasse sa circonférence. 6. Dans une autre boîte, on renferme encore un autre tympan posé horizontalement, et dont les dents disposées comme celles du second, se rapportent à cette petite dent qui est attachée au côté du tympan placé verticalement, de sorte que cette dent latérale du tympan vertical, faisant à chaque tour avancer d'une dent le tympan horizontal, finit par lui faire faire un tour entier. Au tympan posé horizontalement, on perce aussi des trous dans lesquels on met des petits cailloux ronds; et dans l'étui ou boîte qui le renferme, on creuse une ouverture communiquant à un canal par où le caillou, libre de tout obstacle, tombera dans le vase de cuivre qu'il fera sonner. 7. Ainsi, lorsque le vaisseau sillera, poussé par la rame ou par le vent, les aubes qui sont aux roues, trouvant dans l'eau une force qui les repousse avec violence, imprimeront aux roues un mouvement de rotation. Ces roues, en tournant, forceront l'essieu de suivre leur mouvement, et l'essieu fera tourner lui-même le tympan dont la dent, à chacun de ses tours, poussera une de celles du second tympan, et lui fera opérer lentement sa révolution. De cette manière, lorsque les aubes auront fait tourner quatre cents fois les roues, elles n'auront fait faire qu'un tour à ce tympan vertical, dont la dent latérale aura fait avancer d'une dent le tympan horizontal. A mesure donc que le tympan horizontal amènera, dans son mouvement progressif de rotation, les petits cailloux à l'ouverture qui est dans sa boîte, ils tomberont dans le petit canal. Par le bruit qu'ils produiront en tombant, et par le nombre qu'on trouvera dans le vase, il sera facile de compter les milles qu'on aura parcourus sur l'eau. Voilà les machines dont on peut retirer de l'utilité et de l'agrément dans les temps de paix et de sécurité. La manière de les construire doit être connue, je crois, par tout ce que j'en ai dit. [10,10] X. Des proportions des catapultes et des scorpions. 1. Je vais maintenant traiter des proportions qu'on peut donner aux machines qui ont été inventées pour nous mettre à l'abri du danger et défendre nos jours : je veux parler des scorpions, des catapultes et des balistes. Toutes les proportions de ces machines se règlent sur la longueur des traits qu'elles sont destinées à lancer. On en prend la neuvième partie pour déterminer la grandeur des trous du chapiteau, à travers lesquels on tend les cordes à boyau qui doivent arrêter les bras des catapultes. 2. Voici quelles doivent être la hauteur et la largeur du chapiteau où ces trous sont percés. Les pièces de bois qui composent le haut et le bas du chapiteau , et que l'on nomme parallèles, doivent avoir d'épaisseur le diamètre d'un des trous, et de largeur un diamètre trois quarts. A l'extrémité, elles ne doivent plus se trouver que d'un diamètre et demi. Les poteaux de droite et de gauche doivent, sans les tenons, avoir de hauteur quatre diamètres, et de largeur cinq, et les tenons trois quarts de diamètre. Depuis le trou jusqu'au poteau du milieu, il doit y avoir aussi trois quarts de diamètre. La largeur du poteau du milieu doit être d'un diamètre et un seizième, et son épaisseur d'un diamètre. 3. L'intervalle où se place le javelot dans le poteau du milieu, doit avoir la quatrième partie d'un diamètre. Que les quatre angles qui sont de côté et de face soient attachés avec des lames de fer ou avec des chevilles de cuivre et des clous. Le petit canal qui, en grec, est appelé g-syringx (canal), doit avoir dix-neuf diamètres de longueur. Des règles, qu'on appelle quelquefois bucculae (Lèvres), sont fixées à droite et à gauche, pour former le canal, et doivent aussi être longues de dix-neuf diamètres; leur largeur et leur épaisseur sera d'un diamètre : on y ajoute deux autres règles, dans lesquelles on fait passer un moulinet; elles ont une longueur de trois diamètres sur une largeur d'un demi diamètre. L'épaisseur du buccula qui s'y attache se nomme scamillum (Petit banc), ou, selon quelques-uns loculamentum (Étui). Il est fixé par des tenons à queue d'aronde, longs d'un diamètre et larges d'un demi diamètre. La longueur du moulinet est de neuf diamètres et un neuvième. Le gros rouleau est de neuf diamètres 4. La longueur de l'epitoxis (qui est sur le dard) est d'un demi diamètre et un huitième; son épaisseur d'un huitième de diamètre. Le chelo (tortue), appelé aussi manucla (Petite main), est long de trois diamètres, large et épais d'un demi diamètre et un huitième. La longueur du canal qui se trouve au bas de la machine, doit avoir de longueur seize diamètres. Son épaisseur doit être de la neuvième partie d'un diamètre, et sa largeur d'un demi diamètre et un huitième. La petite colonne avec sa base, qui est près du sol, est de huit diamètres; sa largeur, au-dessus du plinthe sur lequel elle est placée, est d'un demi diamètre et un huitième; l'épaisseur est d'un douzième et un huitième de diamètre. La longueur de la petite colonne, jusqu'au tenon, est de douze diamètres et un neuvième; sa largeur est d'un demi diamètre et un huitième; l'épaisseur est du tiers et du quart d'un diamètre. Elle a trois arcs-boutants, dont la longueur est de neuf diamètres, la largeur d'un demi diamètre et un neuvième, et l'épaisseur d'un huitième. Le tenon est long de la neuvième partie d'un diamètre. La longueur de la tête de la petite colonne est d'un diamètre et demi et un seizième. La largeur de la pièce de bois placée devant est d'un diamètre et demi, avec un neuvième et un quart; l'épaisseur est d'un diamètre. 5. Une plus petite colonne, qui est derrière, appelée en grec g-antibasis (Arc-boutant), a huit diamètres; sa largeur est d'un demi diamètre ; son épaisseur est d'un douzième et un huitième de diamètre. Le chevalet a douze diamètres; son épaisseur et sa largeur sont égales à la grosseur de la plus petite colonne. Le chelonium (Carapace de tortue), ou oreiller, qui est sur la plus petite colonne, a deux diamètres et demi et un neuvième; sa hauteur est la même; sa largeur est d'un demi diamètre et un huitième. Les mortaises du moulinet ont deux diamètres et demi et un neuvième; leur profondeur est égale; leur largeur est d'un diamètre et demi. Les traverses, avec leurs tenons, ont de longueur dix diamètres et un neuvième, de largeur un diamètre et demi et un neuvième, et dix d'épaisseur. La longueur des bras est de huit diamètres et demi ; leur épaisseur, vers le bas , est d'une douzième partie de diamètre et un huitième; vers le haut, elle est d'une troisième partie de diamètre et un huitième. Leur courbure est de huit diamètres. 6. Telles doivent être les proportions des bras, soit qu'on ajoute, soit qu'on retranche : car, que le chapiteau soit plus haut que ne l'exige la longueur des bras (ce qui le fait appeler anatonum (qui est bandé par le haut)), on devra les raccourcir, afin que, si leur tension est moins grande à cause de la hauteur du chapiteau, plus fort soit le coup, à cause du raccourcissement des bras. Que le chapiteau, au contraire, soit moins haut (ce qui le fait appeler catatonum (qui est bandé par le bas), les bras devant être tendus, il faudra les allonger pour qu'on puisse les courber plus facilement. Un levier de quatre pieds de longueur exigera les bras de quatre hommes pour lever tel fardeau, pour lequel deux hommes suffiront s'il est de huit pieds. Ainsi, plus les bras de la catapulte seront longs, plus ils seront faciles à bander; plus ils seront courts, plus il y aura de difficulté. Telles sont les proportions des catapultes; telles sont les pièces qui les composent. [10,11] XI. Des proportions des balistes. 1. Les balistes offrent des différences dans leur construction, bien qu'elles soient destinées au même but. Il y en a qu'on bande avec des moulinets et des leviers, d'autres avec des moufles, d'autres avec des vindas, quelques-unes enfin avec des roues dentelées. Il ne se fait néanmoins aucune baliste dont la grandeur ne soit proportionnée à la pesanteur de la pierre qu'elles doivent lancer; aussi n'est-il pas donné à tout le monde d'en bien saisir les proportions : il faut pour cela parfaitement connaître les règles de l'arithmétique et la multiplication. 2. On fait au chapiteau de la baliste des trous par où l'on passe des câbles faits surtout avec des cheveux de femmes ou des boyaux; ces câbles sont proportionnés à la grosseur et à la pesanteur de la pierre que la baliste doit jeter, de même que pour les catapultes, les proportions se prennent sur la longueur des javelots. Or, pour que ceux-là mêmes qui ne connaissent pas la géométrie, sachent à quoi s'en tenir, et ne restent pas court au milieu des périls de la guerre, je vais leur faire part des connaissances que j'ai puisées dans l'expérience et dans les leçons de mes maîtres; j'y ajouterai le calcul que j'ai fait pour réduire les mesures grecques aux poids qui sont en usage parmi nous. 3. La baliste doit-elle lancer une pierre du poids de deux livres, le trou de son chapiteau aura la largeur de cinq doigts; doit-elle en lancer une de quatre livres, il aura six doigts; une de six livres, il aura sept doigts; une de dix livres, il aura huit doigts; une de vingt livres, il aura dix doigts; une de quarante livres, douze doigts et trois quarts; une de soixante livres, treize doigts et un huitième; une de quatre-vingts livres, quinze doigts; de cent soixante livres, deux pieds; de cent quatre-vingts livres, deux pieds et cinq doigts; de deux cents livres, deux pieds et six doigts; de deux cent dix livres, deux pieds et sept doigts; enfin, lance-t-elle une pierre de deux cent cinquante livres, il aura deux pieds et onze doigts et demi. 4. Après avoir déterminé la grandeur de ce trou, qui est appelé en grec g-peritrehtos (percé tout autour), on réglera les proportions du gros rouleau, dont la longueur aura deux diamètres deux douzièmes et un huitième; la largeur, deux diamètres un sixième : on divisera en deux parties égales la ligne décrite, et après cela, au point où se rencontrent les sommités des angles, on rapprochera les extrémités pour les contourner obliquement, de manière que la longueur du contour soit d'une sixième partie, et la largeur que forme le pli, d'une quatrième partie. A l'endroit où se fait la courbure, on arrondira le trou, et l'on rétrécira la largeur dans l'intérieur d'une sixième partie. Ce trou doit être oblong, dans la proportion de l'épaisseur de l'epizygis (qui est sous le joug). Après l'avoir tracé, on en adoucit les bords pour leur donner un léger contour dans la circonférence. 5. Son épaisseur sera d'un demi diamètre et un quart. Les barillets auront deux diamètres et un huitième de long, et de large un diamètre et demi et un seizième; leur épaisseur, sans y comprendre ce qui se met dans le trou, aura un diamètre et demi, et leur largeur vers l'extrémité sera d'un diamètre un quart. Les poteaux auront de longueur cinq diamètres et demi et un quart, de tour un demi diamètre, d'épaisseur une moitié et un neuvième de diamètre; on ajoute à la largeur, qui est au milieu, celle qu'on a indiquée devoir se trouver auprès du trou, c'est-à-dire une largeur et une profondeur de cinq diamètres; la hauteur sera d'un quart de diamètre. 6. La règle qui est à la table doit avoir huit diamètres de longueur, et un demi diamètre de largeur et d'épaisseur. Le tenon, de deux diamètres un huitième, aura d'épaisseur un diamètre deux seizièmes. La courbure de la règle sera d'un seizième et cinq quarts de seizième. La règle extérieure aura autant de largeur et d'épaisseur. La longueur que donnera sa courbure avec la largeur du poteau et sa courbure sera d'un quart de diamètre. Les règles supérieures comme les inférieures auront un quart de diamètre. Les travers de la table auront deux tiers et un quart de diamètre. 7. Le fût du climacis (petite échelle) doit être long de treize diamètres, et épais de trois seizièmes de diamètre. L'intervalle du milieu aura de largeur un quart de diamètre, et d'épaisseur un huitième et un quart de huitième. La partie du climacis supérieur qui est près des bras et qui touche à la table, se divisera dans toute sa longueur en cinq parties; on en donnera deux à la pièce que les Grecs appellent g-chehleh (pince); sa largeur sera d'un quart de diamètre, son épaisseur d'un seizième, sa longueur de trois diamètres et demi et un huitième. La saillie de la g-chehleh sera d'un demi diamètre; celle du pterygoma (aile) du douzième d'un diamètre et d'un silique; quant à la partie appelée front de traverse qui est vers l'essieu, elle doit avoir trois diamètres de longueur. 8. Les règles intérieures auront un quart de diamètre de longueur, et d'épaisseur un douzième et un quart de douzième. Le rebord du chelo (tortue) qui sert de couverture à la queue d'aronde, doit être long d'un quart de diamètre. La largeur des montants du climacis doit être d'un huitième, et la grosseur d'un douzième et un quart de douzième. L'épaisseur du carré, qui est au climacis, doit être d'un douzième et d'une huitième partie du douzième, et vers l'extrémité d'un quart de douzième. Le diamètre de l'essieu rond sera égal à la g-chehleh et vers les clavicules, il sera plus petit de la moitié et d'une seizième partie. 9. La longueur des arcs-boutants sera d'une douzième partie et de trois quarts de douzième; la largeur en bas, d'une treizième partie de diamètre; l'épaisseur en haut d'un huitième et d'un quart de huitième. La base qui est appelée eschara (grille) aura de longueur un neuvième de diamètre. La pièce qui est devant la base aura quatre diamètres. L'épaisseur et la largeur de l'une et de l'autre jusqu'à la moitié de leur hauteur auront un neuvième et un seizième de diamètre. La colonne aura en largeur et en épaisseur un diamètre et demi. Sa hauteur ne se règle pas sur le diamètre du trou; on la proportionne à l'usage auquel on la destine. La longueur du bras sera de huit diamètres; son épaisseur vers le bas, d'un demi diamètre, et à son extrémité d'un douzième de diamètre. 10. Après avoir fait connaître les proportions que j'ai jugées être les plus convenables pour les catapultes et les balistes, je vais expliquer le plus clairement qu'il sera possible, comment on doit les bander, en les tendant avec des cordes de boyau ou de cheveux. [10,12] Xll. De la manière de bander avec justesse les catapultes et les balistes. 1. On prend deux longues pièces de bois sur lesquelles on cloue les anses de fer qui retiennent le moulinet : au milieu de ces deux pièces de bois sont faites des entailles dans lesquelles on met le chapiteau de la catapulte qu'on y attache solidement avec des clous pour qu'il ne cède point à l'action du bandage. On fait ensuite entrer dans ce chapiteau de petits tubes en cuivre dans lesquels on passe des clavettes en fer, appelées en grec g-epischides (Coins pour fendre). 2. Après cela on introduit dans l'un des trous du chapiteau le bout du câble, que l'on fait passer de l'autre côté; puis on l'attache au treuil du moulinet, autour duquel on le roule à l'aide de leviers, jusqu'à ce qu'il soit bandé de manière à rendre le son qu'il doit avoir, lorsqu'on vient à le frapper avec la main. Alors pour que les bras de la machine ne puissent plus se détendre, on arrête le câble avec la clavette qui entre dans un des petits tubes; on le passe ensuite de l'autre côté, et on le tend de la même manière à l'aide des leviers et du moulinet, jusqu'à ce qu'il donne un son semblable à celui de l'autre. C'est ainsi que, grâce aux clavettes avec lesquelles on arrête les bras des catapultes, d'après l'observation du son que rendent les câbles, on arrive à leur donner le degré de tension convenable. J'ai dit sur ces matières tout ce que j'ai pu; il me reste à parler des machines qui peuvent servir à l'attaque et à la défense des villes. [10,13] XIII. Des machines qui servent à l'attaque. 1. La première machine inventée pour battre une place fut, dit-on, le bélier. Les Carthaginois campaient devant Gades dont ils faisaient le siége. S'étant emparés d'une forteresse, ils essayèrent de la démolir; mais ils n'avaient point d'instruments de fer dont ils pussent faire usage. Ils prirent une poutre, la soutinrent avec leurs bras , et d'un de ses bouts frappant à coups redoublés le haut de la muraille, ils firent tomber les premiers rangs des pierres, et poursuivant d'assise en assise, ils finirent par abattre toutes les fortifications. 2. Après cela, un ouvrier tyrien, nommé Péphasmenos, tirant parti de cette idée, planta un mât auquel il en suspendit un autre attaché transversalement comme le fléau d'une balance, et à force de le pousser et de le ramener, il fit tomber sous ses coups les murailles de Gades. Ce fut Cétras de Chalcédonie qui, le premier, fabriqua une base en charpente, montée sur des roues. Sur cette base il mit un assemblage de montants et de traverses au milieu desquels il suspendit le bélier. Le tout était recouvert de peaux de boeufs, afin que ceux qui étaient placés dans la machine pour battre le mur y trouvassent un abri sûr. La marche lente de cette machine lui fit donner le nom de tortue à bélier. 3. Tels furent les premiers essais de cette espèce de machine. Plus tard, au siége que Philippe, fils d'Amyntas, mit devant Byzance, Polydus de Thessalie, la perfectionna et en inventa quelques autres plus faciles à manier. Il eut pour disciples Diade et Chéréas qui servirent sous Alexandre. Diade, dans ses écrits, déclare que c'est lui qui a inventé les tours roulantes qu'il démontait pour les faire porter à la suite de l'armée, et qu'il est aussi l'inventeur de la tarrière, de la machine montante, au moyen de laquelle on passait de plein pied sur une muraille, et du corbeau démolisseur qu'on appelle quelquefois grue. 4. Il se servait aussi du bélier monté sur des roues, dont il nous a donné la description. Il dit que la plus petite tour ne doit point avoir moins de soixante pieds de hauteur et de dix-sept de largeur ; que le haut doit être d'un cinquième plus étroit que le bas; que les montants doivent être à la partie inférieure de trois quarts de pied, et à la partie supérieure d'un demi-pied. Il dit que cette tour doit avoir dix étages, tous garnis de fenêtres. 5. Il donne à la plus grande tour cent vingt coudées de haut, vingt-trois et demie de large. Le rétrécissement d'en haut est aussi d'un cinquième ; les montants ont par le bas un pied de grosseur, par le haut un demi-pied. La hauteur de ces grandes tours était divisée en vingt étages, entourés chacun d'un parapet de trois coudées; il les couvrait de peaux fraîches pour les mettre à l'abri de toute espèce de coups. 6. La disposition de la tortue à bélier était la même ; elle avait trente coudées de largeur, seize de hauteur, non compris le toit, qui en avait sept depuis la plate-forme jusqu'au haut. Au milieu du faîte de ce toit on voyait s'élever une petite tour qui n'avait pas moins de douze coudées de largeur; elle se composait de quatre étages, sur le plus élevé desquels on dressait les scorpions et les catapultes; dans les étages inférieurs on amassait une grande quantité d'eau pour éteindre le feu qu'on pourrait lancer dessus. Dans cette tortue on plaçait la machine à bélier, appelée en grec g-kriodocheh, dans laquelle on mettait un rouleau parfaitement arrondi ; sur ce rouleau était placé le bélier qui, allant et venant à l'aide des câbles, produisait de grands effets. Il était couvert de cuirs frais comme la tour. 7. Voici la description qu'il nous a donnée de la tarrière. C'est une machine semblable à la tortue. Au milieu se trouve soutenu sur des piliers un canal semblable à celui des catapultes et des balistes. Sa longueur était de cinquante coudées, sa largeur d'une seule. Un moulinet se plaçait en travers dans un canal. En avant, à droite et à gauche on attachait deux poulies par le moyen desquelles on mettait en mouvement dans le canal où elle se trouvait une poutre ferrée par le bout; sous cette poutre , dans le canal même, on enfermait des rouleaux qui aidaient à lui imprimer une impulsion plus rapide et plus violente. Au-dessus de la poutre ainsi placée, on organisait le long du canal de nombreux demi-cerceaux pour soutenir les cuirs frais qui couvraient la machine. 8. Quant au corbeau, il n'a pas jugé à propos de le décrire, en considérant le peu d'effet qu'il produisait. A l'égard de la machine montante appelée en grec g-epibathra, et des machines navales qui facilitaient le passage sur les vaisseaux, je remarque avec regret qu'il n'a fait que la promesse de les expliquer, sans la tenir. Telle est d'après Diade la manière de construire ces machines. Je vais maintenant parler de ce que j'en ai appris de mes maîtres, et de l'utilité qu'elles me semblent avoir. [10,14] XIV. De la tortue destinée à combler les fossés. 1. La tortue destinée à combler les fossés et à faciliter l'approche des murailles doit se construire de cette manière. Avec quatre poutres on formera une base carrée, appelée en grec g-eschara, dont chaque côté aura vingt-cinq pieds. On y ajoutera quatre traverses qui seront arrêtées par deux autres de l'épaisseur d'un demi-pied et un douzième, et de la largeur d'un demi-pied. Il doit y avoir entre ces traverses une distance d'environ un pied et demi. Sous ces traverses, dans chaque intervalle, on posera debout de petits arbres appelés en grec g-hamaxopodes (Pieds de chariot); c'est dans ces pièces de bois doublées intérieurement de lames de fer que tournent les essieux des roues. Ces petits arbres seront disposés de manière que, grâce à leurs pivots et aux trous dans lesquels on fait passer des leviers pour les tourner, si l'on a besoin de diriger la machine en avant ou en arrière, à droite ou à gauche, ou obliquement dans la ligne des angles, on pourra avec leurs secours, lui faire prendre ces directions. On placera ensuite sur la base deux poutres ayant de chaque côté six pieds de saillie, et sur cette saillie on attachera deux autres poutres qui avanceront par devant et par derrière de sept pieds, et dont l'épaisseur et la largeur seront les mêmes que celles des pièces de bois qui forment la base. Sur cet assemblage on élèvera des piliers qui y seront solidement emboîtés, et qui, sans les tenons, auront neuf pieds de haut. Leur épaisseur en tout sens sera d'un pied et d'un palme. Ils seront distants l'un de l'autre d'un pied et demi. On les assemblera par le haut en les emmortaisant dans des sablières, sur lesquelles on placera des forces liées l'une à l'autre par des tenons, et hautes de neuf pieds. Sur ces forces se mettra une pièce de bois carrée avec laquelle elles s'assembleront. 3. Ces forces seront encore arrêtées par des pannes clouées dessus horizontalement, et couvertes de planches de palmier ou de quelque autre bois qui offre une grande solidité, pourvu que ce ne soit ni pin ni aune , car ces bois sont cassants et prennent facilement feu. Sur la couverture en planches on posera une claie faite de baguettes vertes et flexibles, et entrelacées d'une manière très serrée. Toute la machine sera ensuite recouverte de doubles peaux fraîches cousues ensemble et bourrées d'algues et de paille trempée dans du vinaigre; ce qui la mettra à l'abri des projectiles et du feu. [10,15] XV. De quelques autres espèces de tortues. 1. Il y a encore une autre espèce de tortue dans laquelle on retrouve toutes les parties qui composent celles que nous venons de décrire , à la réserve des forces. Elle a de plus tout à l'entour un parapet et des créneaux en planches, et, par-dessus, des auvents inclinés que recouvrent des planches et des cuirs solidement attachés. Sur tout cela on étend une couche d'argile pétrie avec du crin , assez épaisse pour que la machine puisse être entièrement à l'abri du feu. On peut, si besoin est, si la nature du lieu l'exige, faire rouler ces machines sur huit roues. Les tortues que l'on prépare pour miner les murailles, s'appellent en grec g-oryges (Instruments qui servent à creuser). Elles ressemblent en tout à celles dont nous venons de donner la description, seulement leur partie antérieure est en forme de triangle, afin que les projectiles qui arrivent des murailles ne viennent point frapper sur une surface plate, mais glissent par les côtés sans faire naître de danger pour les mineurs qui sont dessous. 2. Il ne me semble pas hors de propos de parler ici d'une tortue faite par Hégétor de Byzance. Sa base avait soixante pieds de longueur et dix-huit de largeur. Les quatre montants placés sur l'assemblage étaient composés chacun de deux poutres de trente-six pieds de hauteur sur un pied et un palme d'épaisseur et un pied et demi de largeur. Sa base avait huit roues sur lesquelles elle roulait. Ces roues étaient hautes de six pieds trois quarts, épaisses de trois; elles se composaient de trois pièces de bois jointes ensemble par tenons à queue d'aronde, et liées avec des lames de fer battues à froid. 3. Elles tournaient sur des pivots appelés hamaxopodes. Sur l'assemblage des poutres transversales qui étaient au-dessus de la base, il y avait encore des poteaux de dix-huit pieds et demi de hauteur sur trois quarts de pied de largeur et un douzième avec un huitième d'épaisseur. Il y avait entre eux la distance d'un pied et demi et un huitième. Tout cet assemblage de poutres était affermi tout autour par des sablières larges d'un pied un quart et un neuvième, et épaisses d'un demi-pied et un quart. Au-dessus s'élevaient les forces, hautes de douze pieds, qui allaient s'assembler dans un faîtage. Sur ces forces étaient cloués en travers les chevrons, et sur ces chevrons étaient assemblées les planches qui protégeaient les parties inférieures de la machine. 4. Il y avait au milieu un plancher porté par des solives, où l'on plaçait les scorpions et les catapultes. On élevait en outre deux forts montants, longs de trente-cinq pieds un neuvième, épais d'un pied et demi, et larges de deux pieds. Ils étaient liés en haut par une poutre qui s'y emboîtait transversalement, et en bas par une autre poutre semblable, toutes les deux affermies par des lames de fer. Entre ces montants et les traverses, on avait appliqué de chaque côté, à l'intérieur, des dosses percées de deux rangs de trous alternatifs, et solidement fixées avec des équerres. Dans ces trous on mettait deux chevilles, faites au tour, auxquelles on attachait les cordes qui tenaient le bélier suspendu. 5. Au-dessus de ceux qui faisaient manoeuvrer le bélier, il y avait une guérite semblable à une petite tour, pour que deux soldats, qui s'y trouvaient hors de danger, pussent découvrir et faire connaître les desseins de l'ennemi. Le bélier était long de cent quatre pieds, large d'un pied et d'un palme par le bas et épais d'un pied. Il allait en se rétrécissant depuis la tête jusqu'à un pied sur la largeur, et sur l'épaisseur jusqu'à un demi-pied un quart. 6. Ce bélier avait la tête faite de fer battu, semblable à l'éperon qu'ont ordinairement les longs vaisseaux. De cette tête partaient quatre lames de fer, de quinze pieds environ, clouées sur le bois. Depuis la tête jusqu'à l'autre extrémité de la poutre s'étendaient quatre câbles de la grosseur de huit doigts, semblables aux haubans qui arrêtent le mât d'un vaisseau à la poupe et à la proue. Des cordes mises en travers comme des ceintures serraient les câbles contre le bélier à la distance de cinq palmes les unes des autres. Tout le bélier était couvert de peaux fraîches. A l'endroit où les câbles étaient attachés à la tête du bélier, il y avait quatre chaînes de fer, aussi recouvertes de cuirs frais. 7. Il y avait encore sur la saillie du plancher une caisse faite de planches, et liée avec de grosses cordes tendues, grâce auxquelles il était facile d'arriver jusqu'au mur sans que le pied glissât. Cette machine fonctionnait de trois manières, en frappant directement, à droite ou à gauche, en haut ou en bas, selon qu'elle était haussée ou baissée. On l'élevait jusqu'à une hauteur d'environ cent pieds pour battre une muraille; elle allait aussi à droite et à gauche frapper à la distance de cent pieds au moins. Elle était gouvernée par cent hommes et pesait quatre mille talents, c'est-à-dire quatre cent quatre-vingt mille livres. [10,16] XVI. Des machines propres à la défense. 1. Je viens de dire au sujet des scorpions, des catapultes, des balistes, des tortues et des tours, tout ce qui m'a paru mériter d'être connu, sans oublier les noms de ceux qui ont inventé ces machines, et la manière dont elles doivent être faites. Quant aux échelles, aux guindages et aux machines dont la construction n'offre aucune difficulté, je n'ai pas cru nécessaire de les décrire. Les soldats ont l'habitude de les faire eux-mêmes, et telle machine conviendra dans tel lieu qui dans tel autre ne sera d'aucune utilité. Les fortifications sont loin d'être les mêmes partout, et le courage des nations n'a pas toujours le même caractère. Aussi doit-on approprier les machines à l'audace et à la témérité des unes, à la vigilance des autres, à la timidité de quelques-unes. 2. Si l'on veut faire attention aux principes que j'ai établis, la variété de la matière mettra à même de choisir, et de faire d'heureuses applications ; et, loin de manquer de ressources, on pourra certainement faire face à tout ce qu'exigera ou la nature des lieux ou celle des peuples. Quant aux machines propres à la défense, il est impossible de les déterminer dans un ouvrage; l'ennemi ne va pas consulter nos écrits pour la construction des machines qui servent à attaquer une ville; et souvent celles qu'il emploie, ont été renversées sans machines, par les moyens aussi prompts qu'ingénieux que faisaient naître les circonstances. Ce fut, dit-on, ce qui arriva plus d'une fois aux Rhodiens. 3. Il y avait à Rhodes un architecte nommé Diognète ; le trésor public lui faisait tous les ans une pension pour honorer la supériorité de son talent. A cette époque un autre architecte, nommé Callias, étant venu d'Arado à Rhodes, présenta au peuple assemblé le modèle d'une muraille, sur laquelle il plaça une machine qui était ce guindas qu'on tourne facilement. A l'aide de cette machine il enleva une hélépole qu'il avait fait approcher du rempart, et la transporta dans l'intérieur des murs. Voyant l'effet de ce modèle, les Rhodiens, pleins d'admiration, ôtèrent à Diognète la pension qu'on lui accordait chaque année, et en honorèrent Callias. 4. Cependant le roi Demetrius, que son opiniâtreté fit surnommer Poliorcète (Habile dams l'art d'assiéger les villes), déclara la guerre aux Rhodiens. Il se fit accompagner d'un fameux architecte athénien appelé Épimaque, qui construisit à grands frais une hélépole (machine en forme de tour). Cette machine avait coûté beaucoup de soin et de travail; sa hauteur était de cent vingt-cinq pieds (pied romain = 29,64 cm), sa largeur de soixante. Les tissus de poil, les cuirs frais dont on l'avait couverte, lui donnaient une telle solidité qu'elle était à l'épreuve des pierres lancées par une baliste, eussent-elles été de trois cent soixante livres; la machine elle-même pesait trois cent soixante mille livres (1 livre = 324gr.). Les Rhodiens prièrent Callias (leur architecte) de préparer sa machine (le guindas = machine pour élever de lourds fardeaux) contre l'hélépole et de la transporter dans la ville, comme il l'avait promis; il répondit qu'il y avait impossibilité. 5. Et en effet, tout ne se peut pas faire de la même manière. Il y a des machines qui, après avoir réussi sur un petit modèle, peuvent produire en grand le même effet; d'autres ne sauraient être représentées par des modèles ; il faut les voir exécutées; quelques-unes paraissent, d'après un modèle, devoir facilement s'exécuter, qui, lorsque les proportions viennent à grandir, font complètement défaut, comme nous pouvons nous en convaincre par la tarrière (outil pour percer). On peut bien avec cet instrument faire un trou d'un demi-doigt, d'un doigt, d'un doigt et demi; mais qu'on en veuille faire un d'un palme, on n'en trouvera point de ce diamètre; et on n'ira jamais, ce semble, s'imaginer d'en vouloir faire un de plus d'un demi-pied. 6. Ainsi, bien que quelquefois on voie faire certaines choses avec de petits modèles, ce n'est point une raison pour qu'on en puisse faire l'application en grand. Ce fut là l'erreur des Rhodiens, qui avaient joint l'offense au tort qu'ils faisaient à Diognète (architecte rejeté par les Rhodiens). Mais quand ils virent l'ennemi poursuivre le siége avec opiniâtreté, et s'acharner à la prise de la ville, à l'aide de cette machine, effrayés du danger que courait leur liberté, et ne voyant en perspective que la ruine de leur ville, ils allèrent se jeter aux pieds de Diognète, et le supplièrent de secourir sa patrie. 7. Diognète refusa d'abord toute assistance; mais à la vue de la jeune noblesse des deux sexes qui s'était réunie aux prêtres pour venir le prier encore, il se laissa fléchir, à condition que s'il prenait la machine, elle serait à lui; ce qui lui fut accordé. Aussitôt il fait percer le mur du côté par où la machine devait s'approcher, et ordonna que tous les citoyens sans distinction apportassent ce qu'ils auraient d'eau, de fumier, de boue, pour le jeter en avant du mur par le moyen de tuyaux qu'on avait fait passer par l'ouverture pratiquée dans la muraille. Toute une nuit fut employée à jeter quantité d'eau, de boue et de fumier, tellement que le lendemain, quand l'hélépole se mit en mouvement, avant même qu'elle se fût avancée jusqu'au pied du mur, elle enfonça si profondément dans cette terre délayée, qu'il devint impossible de la faire approcher davantage et de la ramener en arrière. Aussi Demetrius se voyant vaincu par la prudence de Diognète, partit avec sa flotte. 8. Les Rhodiens, délivrés de la guerre par l'habileté de Diognète, allèrent tous le remercier, et le comblèrent d'honneurs et de dignités. Pour lui, il fit entrer l'hélépole dans la ville, où elle fut mise sur une place publique avec cette inscription : Diognète a fait ce présent au peuple, des dépouilles de l'ennemi. Ainsi, quand il s'agit de défendre une place, ce n'est pas tant aux machines qu'il faut avoir recours qu'aux expédients dictés par les circonstances. 9. La ville de Chio était aussi assiégée, et l'ennemi avait préparé sur ses vaisseaux des machines appelées sambyces. Pendant la nuit, les habitants jetèrent dans la mer, au pied de leurs murs, de la terre, du sable et des pierres. Le lendemain, les vaisseaux ayant voulu s'approcher, s'engravèrent si bien qu'ils ne purent plus ni avancer ni reculer. On lança dessus des brûlots qui les réduisirent en cendres. Lorsque les ennemis allèrent aussi mettre le siége devant Apollonie, ils s'imaginèrent qu'au moyen d'une mine ils pourraient pénétrer dans la ville. Les habitants furent bientôt instruits de leur projet par les éclaireurs. Cette nouvelle les remplit de trouble. Dans leur frayeur, ils ne savaient quel parti prendre, et le courage leur manquait, ne sachant ni à quel moment ni par quel endroit l'ennemi ferait irruption dans la ville. 10. Il se trouvait parmi eux un architecte d'Alexandrie, nommé Tryphon. Il fit creuser dans l'intérieur de la ville plusieurs contre-mines qu'on étendit en dehors des murailles jusqu'à une portée de trait ; puis il fit suspendre dans toutes ces galeries souterraines des vases de bronze. Dans un de ces conduits, ouvert auprès de la mine que creusait l'ennemi, les vases suspendus se mirent à résonner à chaque coup de pioche qu'on donnait. On apprit par là dans quelle direction minait l'ennemi, et par où il avait l'intention de pénétrer dans la ville. L'endroit ayant été ainsi précisé, Tryphon fit préparer, au-dessus des mineurs ennemis, des chaudières d'eau bouillante et de poix, avec du sable brûlant et des immondices; puis ayant pratiqué pendant la nuit de nombreuses ouvertures dans la mine, il y fit jeter tout d'un coup toutes ces matières, qui firent périr tous les ennemis qui s'y trouvaient. 11. Au siége de Marseille, l'ennemi avait ouvert plus de trente mines. Les habitants, qui s'en doutèrent, creusèrent à une plus grande profondeur le fossé qui entourait leurs murailles, de sorte que toutes les mines vinrent ouvrir dans ce fossé. Mais dans les endroits où l'on n'avait pu creuser, on fit dans l'intérieur de la ville un immense réservoir en forme de vivier, en face de l'endroit vers lequel se dirigeaient les mines; on le remplit d'eau tirée des puits et du port. Lors donc que les mines vinrent à y déboucher, il s'y précipita tout à coup une telle quantité d'eau que les étais furent renversés, et que tous les pionniers ou furent noyés par les eaux ou écrasés par l'éboulement des terres.. 12. Les assiégeants ayant ensuite tenté d'élever en face des murs un rempart composé d'arbres coupés et entassés les uns sur les autres, les Marseillais y lancèrent , avec des balistes, des barres de fer rouge qui mirent en feu tout cet ouvrage; et, lorsqu'une tortue s'approcha pour battre le mur, ils firent descendre une corde avec un noeud coulant dans lequel ils serrèrent le bélier dont ils levèrent si haut la tête par le moyen d'un tympan appliqué à un vindas qu'ils l'empêchèrent de toucher à la muraille. Enfin, grâce aux flèches incendiaires qu'on y lança, grâce aux coups des balistes, la machine fut entièrement ruinée. Ce fut donc moins à leurs machines que ces villes durent leur salut, qu'à l'adresse des architectes qui surent paralyser l'effet de celles des ennemis. 13. Tout ce que j'ai pu trouver de plus utile à dire sur les machines dont on se sert soit en paix soit en guerre, je l'ai consigné dans ce livre. Dans les neuf précédents, j'ai traité séparément des différentes parties de mon sujet, de sorte que dans ces dix livres se trouvent compris tous les membres qui composent le corps complet de l'architecture.