[7,0] LIVRE SEPTIÈME. INTRODUCTION. 1. Nos ancêtres ne pouvaient rien imaginer de plus sage ni de plus utile que de mettre par écrit leurs découvertes, pour les faire passer à la postérité; non seulement le souvenir ne s'en effaçait point, mais chaque âge venant y ajouter ses lumières, elles arrivèrent par degrés, à travers les siècles, à la plus grande perfection. Ce ne sont donc point de légères, mais d'immenses actions de grâces que nous devons leur rendre, puisque, loin d'être assez égoïstes pour garder le silence sur leurs vastes connaissances, ils eurent à cœur de nous les transmettre dans de généreux écrits. 2. Et s'ils n'en avaient point usé ainsi, nous n'aurions pu connaître les malheurs de Troie; et les opinions de Thalès, de Démocrite, d'Anaxagore, de Xénophane et des autres physiciens, sur les lois de la nature; et les principes que les Socrate, les Platon, les Aristote, les Zénon, les Épicure et les autres philosophes ont posés pour la conduite de la vie; et les actions de Crésus, d'Alexandre, de Darius et des autres rois, et les mobiles de ces actions, tout serait resté dans l'oubli, si nos ancêtres n'avaient eu soin de nous les faire connaître dans des ouvrages qui sont arrivés jusqu'à nous. 3. Mais si ces grands hommes méritent notre reconnaissance, nous devons couvrir de blâme ceux qui ont dérobé leurs écrits pour se faire gloire d'en être les auteurs: et ces plagiaires qui n'ont point une idée qui leur soit propre, et que l'envie a poussés à se parer des dépouilles d'autrui, méritent, non seulement une forte censure, mais encore une punition sévère, à cause de leur conduite criminelle. Les anciens, dit-on, ne manquèrent jamais de châtier cette sorte de crime ; et il n'est point hors de propos de raconter ici ce que l'histoire nous a appris des jugements rendus à ce sujet. 4. Les rois attaliques, entraînés par le goût des belles-lettres, avaient formé à Pergame une magnifique bibliothèque, pour la satisfaction de leurs sujets, et Ptolémée, animé du même zèle et de la même ardeur, mit la même activité, le même empressement à en faire une semblable à Alexandrie. Après l'avoir achevée avec le plus grand soin, il ne crut pas devoir en rester là, et voulut l'augmenter, en jetant, pour ainsi dire, des semences pour de nouveaux ouvrages. Il institua donc des jeux en l'honneur des Muses et d'Apollon, et de même qu'il y avait pour les athlètes des récompenses et des honneurs, de même il y en eut pour tous les écrivains qui remporteraient le prix. 5. Lorsque tout eut été ainsi organisé, et que l'époque des jeux fut arrivée, il fallut choisir parmi les gens de lettres les juges qui devaient apprécier le mérite de chaque ouvrage. Le roi en avait déjà choisi six dans la ville; mais il ne pouvait arriver à en trouver un septième qui fût digne de cet honneur. Il s'adresse à ceux qui avaient soin de la bibliothèque, et leur demande s'ils ne connaîtraient point un homme capable de remplir le but. Ils lui parlèrent d'un certain Aristophane qui venait chaque jour, avec la plus grande régularité, lire attentivement tous les livres, les uns après les autres. Dans l'assemblée des jeux, des sièges particuliers avaient été réservés pour les juges, et Aristophane, appelé avec les autres, occupa la place qui lui avait été assignée. 6. La lice fut d'abord ouverte aux poètes qui se mirent à lire leurs pièces. Le peuple, par ses applaudissements, fit comprendre aux juges ceux auxquels il donnait la préférence, et, lorsqu'on leur demanda leur avis, six se trouvèrent d'accord, et attribuèrent le premier prix à celui qu'ils remarquèrent avoir fait le plus de plaisir au peuple, et le second à celui qui suivait. Mais Aristophane, lorsqu'on vint à lui demander son opinion, fut d'avis qu'on donnât le premier prix à celui qui avait le moins plu au peuple. 7. À la vue de la vive indignation que témoignait le roi avec le peuple, Aristophane se lève, et demande qu'on veuille bien l'écouter. On fait silence, et il déclare qu'il ne voit qu'un seul poète parmi les candidats; que les autres n'ont fait que réciter des vers qui ne leur appartenaient pas; que le devoir du juge était de faire récompenser les véritables auteurs, et non les plagiaires. Pendant que le peuple admirait cette réponse, et que le roi balançait encore sur le parti qu'il avait à prendre, Aristophane, comptant sur sa mémoire, fit apporter de certaines armoires un grand nombre de volumes, et par les rapprochements qu'il en fit avec les morceaux qui avaient été lus, il força les plagiaires à confesser leur larcin. Le roi fit intenter contre eux une action, et les renvoya chargés d'une condamnation ignominieuse. Pour Aristophane, il reçut les présents les plus magnifiques, et fut mis à la tête de la bibliothèque. 8. Quelques années après, le Macédonien Zoïle, qui se faisait appeler le Fléau d'Homère, vint à Alexandrie, et lut au roi les écrits qu'il avait composés contre l'Iliade et l'Odyssée. Ptolémée, indigné qu'on maltraitât de la sorte le prince des poètes, le père des lettres, et qu'on fit si peu de cas de celui dont toutes les nations admiraient les écrits, et qui n'était point là pour se défendre, dédaigna de lui répondre. Zoïle, après être resté longtemps dans le royaume de Ptolémée, se sentant pressé par le besoin, fit supplier le roi de lui accorder quelque secours. 9. Le roi lui fit répondre, dit-on, qu'Homère, mort depuis mille ans, avait bien pu, pendant tout ce temps, faire vivre des milliers d'hommes; que Zoïle devait bien pouvoir, lui qui affichait un génie supérieur, entretenir et lui- même et plusieurs autres encore. Bref, sa mort fut celle du parricide, bien que les circonstances en soient rapportées diversement : car les uns disent que Ptolémée le fit mettre en croix; quelques autres, qu'il fut lapidé à Chio; d'autres qu'il fut brûlé vif à Smyrne. Mais quel qu'ait été le genre de son châtiment, il est certain qu'il le mérita : c'est ainsi que doit être traité celui qui s'avise d'attaquer un écrivain qui ne peut être appelé à se présenter pour défendre les pensées qu'il a répandues clans ses écrits. 10. Pour moi, ô César, je n'ai point fait disparaître les noms des auteurs où j'ai puisé, pour les remplacer par le mien. Dans l'ouvrage que je publie, il ne m'est point venu à l'esprit de déprécier les inventions d'autrui pour faire valoir les miennes; je rends, au contraire, mille actions de grâces à tous les auteurs, de ce que, ayant de tout temps recueilli les pensées ingénieuses des hommes de talent, ils nous ont préparé, chacun dans son genre, une ample moisson; c'est là que, puisant comme à une source féconde des idées que nous approprions à notre travail, nous nous sentons pleins d'abondance et de facilité pour écrire; c'est éclairé de leurs lumières que nous avons osé entreprendre un nouveau traité. 11. Riche de matériaux que je trouvais tout préparés pour l'exécution de mon projet, je me les suis appropriés, et j'ai mis la main à l'œuvre. Et d'abord c'est Agatharque qui, lorsque Eschyle faisait connaître la bonne tragédie, faisait les décorations pour le théâtre d'Athènes, et laissa le premier un travail sur cette matière. À son exemple, Démocrite et Anaxagore écrivirent sur le même sujet; ils ont enseigné comment on pouvait, d'un point fixe, donné pour centre, si bien imiter la disposition naturelle des lignes qui sortent des yeux en s'élargissant, qu'on parvenait à faire illusion, et à représenter sur la scène de véritables édifices qui, peints sur une surface droite et unie, paraissent les uns près, les autres éloignés. 12. Un livre fut ensuite composé par Silenus sur les proportions de l'ordre dorique; un autre par Theodorus sur le temple de Junon, d'ordre dorique, qui est à Samos; un autre par Chersiphron et Métagène, sur celui de Diane, d'ordre ionique, bâti à Éphèse; un autre par Phileos sur celui de Minerve, d'ordre ionique, qui est à Priène; un autre par Ictinus et Carpion, sur celui de Minerve, d'ordre dorique, bâti dans la citadelle à Athènes; un autre par Theodorus, le Phocéen, sur le temple en forme de coupole qui est à Delphes; un autre par Philon sur les proportions des temples, et sur l'arsenal qu'il avait fait au port du Pirée; un autre par Hermogène sur le temple pseudodiptère de Diane, d'ordre ionique, qui est à Magnésie, et sur celui de Bacchus qui est monoptère, bâti dans l'île de Téos; un autre par Argelius sur les proportions de l'ordre corinthien, et sur le temple d'Esculape, d'ordre ionique, qu'il bâtit, dit-on, de sa propre main, chez les Tralliens; un autre sur le Mausolée par Satyrus et Phyteus, dont un véritable succès couronna l'oeuvre magnifique et sublime. 13. Ce chef-d'œuvre a mérité l'approbation de tous les siècles qui n'ont cessé de louer et d'admirer le génie de ceux qui avaient conçu l'idée d'un tel ouvrage, à l'exécution duquel ils prêtèrent une main si habile. Les faces de ce monument furent entreprises par autant d'artistes, et les Léocharès, les Bryaxis, les Scopas, les Praxitèle, et même, suivant quelques écrivains, Timothée, travaillèrent à l'envi aux admirables ornements dont ils le décorèrent. Aussi l'éminente supériorité de leur art fit mettre ce monument au nombre des sept merveilles du monde. 14. Il y a encore un grand nombre d'artistes moins renommés qui ont laissé des préceptes pour les proportions, tels que Nexaris, Théocydes, Démophile, Pollis, Léonides, Silanion, Melampus, Sarnacus, Euphranor. D'autres ont écrit sur les machines, comme Diade, Architas, Archimède, Ctesibius, Nymphodore, Philon de Byzance, Diphile, Démoclès, Charidas, Polyidos, Pyrrhos, Agesistratos. Ce que leurs observations m'ont présenté d'utile pour mon travail, je l'ai pris pour en former ce recueil; la principale raison, c'est que j'ai remarqué que sur cette matière les Grecs ont écrit beaucoup de livres et les Romains fort peu. Fussitius est le premier qui ait publié un excellent volume sur cette matière. Terentius Varron, dans ses neuf livres sur les sciences, en a aussi consacré un à l'architecture; Publius Septimius en a écrit deux. 15. Voilà les seuls écrivains qui se soient occupés de cette science, bien que de tout temps Rome ait produit de grands architectes, parfaitement en état d'écrire sur leur art. Les architectes Antistates, Calleschros, Antimachides et Porinos jetèrent les fondements du temple que Pisistrate faisait élever à Jupiter Olympien, à Athènes. À sa mort, les troubles qui survinrent dans la république, leur firent suspendre leurs travaux. Environ quatre cents ans après, le roi Antiochus promit les sommes nécessaires à l'achèvement de cet édifice. Et la vaste cella, et la distribution du double rang des colonnes du portique, et l'harmonie des proportions de l'architrave et des autres parties de l'entablement, on les dut encore à un citoyen romain, à Cossutius, architecte d'un grand talent et d'un rare savoir. Ce n'est point là un ouvrage ordinaire, et dans le petit nombre de temples qu'on cite, il se distingue par sa magnificence. 16. Il n'y a, en effet, que quatre temples bâtis en marbre dont l'admirable disposition a rendu les noms tout particulièrement célèbres. Leurs plans ont été tracés avec une telle supériorité de science et de talent, qu'on les a admirés même dans le conseil des dieux. Le premier est le temple de Diane, à Éphèse, d'ordre ionique, commencé par Chersiphron de Gnose, et par son fils Métagène; ce furent, dit-on, Demetrius, serf de Diane elle-même, et Péonius d'Éphèse qui l'achevèrent plus tard. Le second est celui que le même Péonius et Daphnis le Milésien bâtirent à Apollon dans la ville de Milet ; il était d'ordre ionique. Le troisième est le temple de Cérès et de Proserpine. Il fut bâti à Éleusis par Ictinus dans les proportions de l'ordre dorique, avec une cella d'une grandeur extraordinaire, sans colonnes extérieures, afin qu'il y eût plus d'espace pour l'accomplissement des sacrifices. 17. Par la suite, du temps que Demetrius commandait à Athènes, Philon, ayant orné de colonnes la façade de ce temple, le fit prostyle. Par là le vestibule fut agrandi, ce qui donna plus d'espace à ceux qui ne participaient pas encore à la célébration des mystères, et rendit cet édifice beaucoup plus majestueux. Le quatrième, enfin, est celui de Jupiter Olympien que Cossutius, comme nous l'avons dit ci-dessus, se chargea de bâtir à Athènes, dans les proportions de l'ordre corinthien, et sur une très grande échelle. Cependant on n'a trouvé de lui aucun commentaire. Et Cossutius n'est point le seul dont nous ayons à regretter les écrits sur cette matière, il y a encore C. Mutius qui, plein d'assurance dans ses vastes lumières, acheva le temple de l'Honneur et de la Vertu que fit bâtir Marius. Il donna à la cella, aux colonnes, aux architraves, les proportions dictées par les règles les plus pures de l'art. S'il eût été de marbre, pour que la richesse de la matière répondît à la beauté du plan, il eût été mis en première ligne avec les plus beaux monuments. 18. Comme il s'est trouvé parmi nos ancêtres des architectes aussi distingués que chez les Grecs, et que de notre temps il y en a eu un assez grand nombre, comme je n'en vois d'ailleurs que quelques-uns qui aient donné des préceptes de leur art, j'ai cru que je devais, non garder le silence, mais traiter méthodiquement, dans chacun de mes livres, chaque partie de mon sujet. Voilà pourquoi, après avoir enseigné, dans le sixième livre, la manière de bâtir les édifices particuliers, je vais, dans le septième, expliquer comment les enduits peuvent réunir à la fois la beauté et la solidité. [7,1] 1. De la rudération. Je vais commencer par la rudération, qui est cette première couche grossière destinée à recevoir l'enduit extérieur. Il faut veiller avec le plus grand soin à ce qu'elle ait toute la solidité nécessaire. S'il est question d'un rez-de-chaussée, on doit examiner si le sol est partout bien solide, bien uni, et faire l'application de cette première couche de mortier grossier ; mais si le sol est en tout ou partie composé de terre rapportée, il sera très important de le raffermir en le battant avec le mouton qui sert à enfoncer les pilotis. Quant aux étages supérieurs, il faudra bien prendre garde qu'il ne se rencontre immédiatement sous le plancher quelqu'un de ces murs qui ne s'élèvent point jusqu'au haut de l'édifice, et laisser entre le plancher et le haut de ce mur un espace qui les sépare. Qu'un plancher vienne à sécher ou à s'affaisser sous son propre poids, ce mur, par la résistance qu'offrira la solidité de sa construction, occasionnera nécessairement des fentes dans l'aire. 2. Il faudra encore faire en sorte que des planches d'esculus ne soient point mêlées à des planches de chêne, parce que le chêne n'a pas plutôt pris l'humidité qu'il se déjette et fait fendre les aires. Si toutefois on manque d'esculus, et que, faute de ce bois, on soit obligé de se servir de chêne, il faudra alors employer des planches plus minces; moins elles seront épaisses, plus il sera facile de les fixer, de les arrêter avec des clous. Ensuite on attachera sur chaque solive les deux bords de chaque planche avec un clou de chaque côté, afin que, dans toute leur longueur, ils ne puissent se relever en se tour-mentant. Quant au cerrus, au hêtre, au farnus, ce sont des bois qui n'ont pas de durée. Une fois les planches assemblées, on les couvrira de fougère, si l'on en a, sinon de paille, afin que le bois ne puisse se gâter par la chaux. 3. On posera alors un premier lit fait avec des cailloux qui seront au moins gros à remplir la paume de la main. Ce lit une fois achevé, on s'occupera de la rudération, qui sera composée d'une partie de chaux et de trois de cailloux, si ce sont des recoupes de pierres de taille, et de deux parties de chaux et de cinq de cailloux, s'ils proviennent de démolitions. On étendra ensuite cette matière, et un nombre suffisant d'hommes armés de leviers de bois sera chargé de la battre longtemps, et de la rendre parfaitement compacte; cette couche terminée n'aura pas moins de neuf pouces d'épaisseur. Là dessus on fera le noyau composé de tuileaux avec lesquels on mêlera une partie de chaux contre trois de ciment; son épaisseur sera au moins de six doigts. Sur ce noyau parfaitement dressé avec la règle et le niveau, on appliquera le pavé, qu'il doive être fait en mosaïque ou avec des carreaux. 4. Quand le pavé aura été posé avec la pente qu'il doit avoir, on le polira avec la pierre ponce, de manière que, s'il est composé de petites pièces oblongues, ou triangulaires, ou carrées, ou hexagones, il ne reste rien de raboteux, rien qui présente la moindre aspérité sur le bord des jointures, et que, s'il est formé de carreaux, tous les angles en soient parfaitement unis, sans qu'aucun sorte du niveau, faute d'avoir été frotté : car si tous les angles ne sont pas également aplanis, c'est qu'ils n'auront point été convenablement polis. Les carreaux de Tibur, disposés en forme d'épis de blé, sont d'un bon usage, quand on a eu soin de les choisir sans creux ni bosses, présentant une surface bien unie. Lorsqu'on sera arrivé à avoir une superficie bien polie, bien luisante, on tamisera de la poudre de marbre, et on étendra par-dessus un mélange de chaux et de sable. 5. Quant aux pavés qui doivent être exposés à l'air, il faut les faire avec une solidité toute particulière. Les planches sur lesquelles ils reposent se gonflent par l'humidité, se rétrécissent par la sécheresse, s'affaissent par leur propre poids, et ces différents causes ont bientôt disjoint les pavés; joignez à cela les gelées et les frimas, qui les empêchent de rester en bon état. Voici ce qu'il faudra faire au besoin, pour qu'ils ne perdent rien de leur solidité. Lorsqu'on aura fait un premier plancher, on mettra par-dessus en travers un second rang de planches qui, fixées sur les solives avec des clous, formeront un double plancher. On fera ensuite un mélange de recoupes de pierres de taille et de tuileaux pilés qui y entreront pour une troisième partie, et on ajouter a à cinq parties de cette mixtion, deux parties de chaux. 6. Quand on aura posé un premier lit de ce blocage, on étendra la rudération, et cette couche bien battue n'aura pas moins d'un pied d'épaisseur. On la couvrira alors de cette autre couche dont nous avons parlé plus haut, puis on posera le pavé composé de grands carreaux d'environ deux doigts d'épaisseur, en leur donnant une inclinaison de deux doigts par dix pieds d'étendue. Si toutes ces précautions sont bien prises, si le poli a été ménagé avec soin, cet ouvrage sera à l'abri de toute altération. Et pour que, à travers les joints, les planches n'aient point à souffrir des gelées, il faudra chaque année, avant l'hiver, bien imbiber le pavé de lie d'huile, ce qui empêchera l'humidité de la gelée de pénétrer. 7. Voulez-vous avoir quelque chose de plus soigné encore, mettez sur la rudération qui couvre les planchers, des carreaux de deux pieds, parfaitement joints ensemble, sur les bords desquels vous creuserez de petites rainures d'un doigt de largeur; remplissez-les de chaux détrempée avec de l'huile, et, lorsqu'elle sera durcie, on la polira avec le grès. La chaux renfermée dans ces petits canaux empêchera en durcissant que l'eau ou toute autre chose ne passe à travers les jointures. Sur ces carreaux on étendra le noyau, et on le battra avec force, puis on pavera soit avec de grands carreaux, soit avec des carreaux disposés en forme d'épis de blé, en leur donnant la pente dont on a parlé plus haut. Le pavé ainsi disposé durera longtemps sans perdre de sa solidité. [7,2] II. De la préparation de la chaux pour faire le stuc. 1. Après m'être occupé de la confection des pavés, je vais expliquer la manière de traiter les ouvrages en stuc. Il sera à propos d'éteindre les meilleures pierres de chaux, longtemps avant qu'on ne s'en serve, afin que si quelqu'une d'elles n'a point été assez cuite dans le fourneau, elle puisse eu s'éteignant à loisir se délayer, et acquérir la qualité que lui eût donnée une plus grande cuisson : car si elle est employée toute fraîche, si elle n'est pas entièrement éteinte, si, quand on vient à la mettre en oeuvre, elle renferme encore des grumeaux qui ne soient pas bien cuits, elle produit à l'extérieur de l'ouvrage des espèces de pustules, parce que ces grumeaux ne s'éteignant pas en même temps que la chaux, font éclater l'enduit et lui font perdre son poli. 2. Lorsque la chaux sera éteinte, et qu'elle aura été soigneusement préparée, on prendra une doloire en fer, et on coupera cette chaux délayée dans un bassin, comme on enlève un copeau de bois avec une plane. Si l'outil rencontre des grumeaux, c'est qu'elle n'est pas bien éteinte, s'il en sort sec et pur, c'est qu'elle aura été éventée; sans avoir été assez abreuvée; si elle s'y attache comme de la glu, cette qualité onctueuse prouvera qu'elle est bien détrempée. Il faudra alors préparer les choses nécessaires pour faire les voûtes des appartements dont les planchers ne forment point un plafond horizontal. [7,3] III. De la disposition des planchers en forme de voûte; du stuc et du crépi. 1. Quand on voudra faire un plancher en forme de voûte, voici comment on s'y prendra. Des soliveaux parallèles seront disposés entre eux de manière qu'il n'y ait pas plus de deux pieds d'espace de l'un à l'autre. Les meilleurs sont ceux de cyprès, parce que le sapin ne se conserve pas longtemps; il pourrit promptement. Ces soliveaux disposés en forme de cintre, et retenus avec des clous de fer, seront attachés par de nombreux liens au plancher ou au toit; ces liens devront être faits avec un bois que ne puisse altérer ni la pourriture, ni la vermoulure, ni l'humidité, tel que le buis, le genévrier, l'olivier, le rouvre, le cyprès, et les arbres de même nature, excepté le chêne, qui, en se tourmentant, fait fendre les ouvrages dans lesquels on l'emploie. 2. Les soliveaux une fois mis en ordre, on y attachera, avec des cordes de sparte d'Espagne, des roseaux grecs écachés, en leur faisant suivre la courbure de la voûte. Par-dessus on mettra une couche de mortier de chaux et de sable, afin que les gouttes d'eau qui viendraient à tomber des planchers ou des toits puissent être retenues. Si le roseau grec manquait, il faudrait avoir recours aux roseaux minces des marais. On en ferait des bottes qui auraient une longueur convenable avec une grosseur bien égale; on les attacherait avec les mêmes cordes de sparte, de manière que, entre chaque nœud, il n'y eût pas plus de deux pieds de distance : elles seraient attachées aux soliveaux, comme nous l'avons dit plus haut, et fixées avec des chevilles de bois; tout le reste se ferait comme il a été dit ci-dessus. 3. Lorsque les planchers en forme de voûte et leurs compartiments auront été ainsi préparés, il faudra en crépir la concavité avec du plâtre, puis l'aplanir avec du mortier de chaux et de sable, enfin la polir avec une composition de chaux et de craie ou de marbre. La polissure une fois terminée, on s'occupera des corniches, auxquelles on donnera le plus de finesse et de légèreté possible; si elles sont trop massives, elles ne peuvent soutenir leur poids, qui finit par les faire tomber. Il n'y faut point employer de plâtre; on ne doit se servir, dans toute leur longueur, que de marbre tamisé, de peur que, en prenant plus vite que le marbre, le plâtre ne permette pas que l'ouvrage sèche également. Voilà pourquoi, dans ces sortes de planchers, il faut s'écarter de la manière des anciens, qui donnaient trop d'épaisseur à ces corniches, que leur poids rendait dangereuses. 4. Les corniches sont ou simples ou sculptées. Dans les appartements où l'on doit faire du feu, ou allumer beaucoup de lumières, elles doivent être simples pour être plus faciles à nettoyer. Dans les salons d'été, où il n'y a ni fumée ni suie qui puisse gâter, on peut les sculpter; et la blancheur de cet ouvrage perd toujours de la pureté de son éclat, même par la fumée des édifices voisins. 5. Après l'achèvement des corniches, il faudra crépir les murailles le plus grossièrement possible. Lorsque ce crépi commencera à sécher, on y ébauchera des moulures avec du mortier de chaux et de sable, de manière que les lignes horizontales étant exactement de niveau, et les verticales descendant parfaitement à plomb, leurs angles répondent justement à l'équerre; telle doit être la régularité des encadrements qui renfermeront les peintures. À mesure que l'enduit séchera, on mettra une seconde et une troisième couche; plus ces couches seront nombreuses, plus l'enduit offrira de solidité et de durée. 6. Après que sur le crépi de plâtre on aura mis trois couches de mortier au moins, on fera l'application d'une couche de stuc à gros grains. Il devra être pétri et corroyé de manière qu'il ne s'attache point à la truelle, et que le fer en sorte bien net. Sur cette couche encore humide on en mettra une seconde dont le grain sera moins gros; quand elle aura été bien pressée, bien battue, on en appliquera une troisième faite avec de la poudre très fine. Lorsque les murs auront été ainsi recouverts de trois couches de mortier de sable, et d'autant de celles de stuc, elles ne seront sujettes ni à se fendre ni à s'altérer d'aucune manière. 7. Ces couches qui par le battage acquièrent la plus grande dureté, et auxquelles la polissure donne la blancheur éblouissante du marbre, recevant la couleur en même temps que le poli, projettent l'éclat le plus brillant. Or, les couleurs soigneusement appliquées sur le stuc humide, loin de se ternir, conservent toujours leur fraîcheur, parce que la chaux ayant perdu dans le fourneau toute son humidité, et étant altérée par sa rareté et sa sécheresse, pompe avec avidité tout ce qui la touche, et que de ce mélange naît un composé de différents principes qui se condensent pour ne plus former qu'un seul corps, et qui, en séchant, conservent les qualités propres à chacun d'eux. 8. Aussi les enduits qui sont faits comme il faut, ne s'altèrent point en vieillissant, et ne perdent leurs couleurs, quand on les nettoie, que lorsqu'elles ont été étendues avec peu de soin et sur une couche sèche. Lors donc que sur les murailles les enduits auront été faits comme nous l'avons dit ci-dessus, ils renfermeront toutes les conditions voulues de solidité, d'éclat et de durée. Mais si l'on ne mettait qu'une couche de mortier de sable et une de marbre fin, un enduit aussi mince n'offrant point assez de résistance, se romprait facilement, et ne pourrait, vu son peu d'épaisseur, obtenir un brillant poli. 9. Un miroir d'argent composé d'une lame légère ne représente les objets que d'une manière faible et incertaine, tandis que celui qui est fait d'une plaque solide, pouvant recevoir un poli convenable, reflète les images d'une manière brillante et distincte. Il en est de même des enduits : ceux qui ne sont formés que d'une couche mince, non seulement se gercent, mais encore perdent promptement leur lustre; au lieu que ceux auxquels plusieurs couches de mortier de sable et de marbre ont donné une épaisseur solide, venant à acquérir le plus beau poli à force d'être battus, deviennent si luisants qu'ils réfléchissent parfaitement les objets placés devant eux. 10. Les stucateurs grecs ont encore un autre moyen qui leur réussit aussi bien que celui-là : ils disposent un bassin dans lequel ils mettent pêle-mêle la chaux et le sable, et un nombre d'homme suffisant est chargé de corroyer cette matière avec des leviers de bois; quand elle été fortement battue, on la met en oeuvre. Elle acquiert une telle dureté, qu'on se sert des morceaux arrachés à d'anciennes murailles pour en faire des abaques, et qu'autour de ces enduits taillés en abaques et en miroirs, on fait des moulures qui les encadrent. 11. Si des enduits doivent être faits sur des murs de cloison, il arrivera infailliblement que les pièces de bois qui montent et celles qui traversent se tourmenteront, parce que, lorsqu'on vient à les couvrir de terre grasse, elles prennent nécessairement l'humidité, et qu'en séchant elles se rétrécissent, ce qui fait fendre les enduits. Voici le moyen d'éviter cet inconvénient : lorsque la cloison sera couverte de terre grasse, on attachera sur toute son étendue, avec des clous à tête large et plate, des cannes sur lesquelles on mettra une seconde couche de terre grasse, puis un autre rang de cannes qui seront droites, si les premières ont été mises eu travers; ensuite, comme on l'a dit tout à l'heure, on enduira avec le mortier de sable d'abord, et après avec du stuc. Ce double rang de cannes appliquées sur la cloison, les unes coupant les autres, et clouées partout, empêchera qu'il n'y ait ni rupture, ni gerçure. [7,4] IV. Des enduits qu'il faut faire dans les lieux humides. 1. Je viens d'enseigner la manière de faire les enduits dans les lieux secs; il me reste à expliquer comment on doit s'y prendre pour que, dans les lieux humides, ils puissent durer sans altération. Et d'abord, dans les appartements qui sont au rez-de-chaussée, ce n'est point, jusqu'à la hauteur d'environ trois pieds au-dessus du niveau du pavé, avec du mortier de sable, mais avec du ciment, qu'il faut faire les enduits, pour éviter que cette partie du mur souffre de l'humidité. Mais si le mur était humide dans toute son étendue, il faudrait s'en éloigner un peu et construire à une distance convenable du gros mur un mur étroit, en pratiquant au milieu de ces deux murs un canal qui serait au-dessous du niveau de l'appartement, et qui aurait des ouvertures dans un lieu découvert. Dans la hauteur de ce petit mur, on aurait eu soin de ménager aussi des conduits : car si l'humidité ne trouve point à se dissiper par des ouvertures pratiquées par le haut et par le bas, l'enduit de la nouvelle construction ne sera pas moins exposé à se gâter. Cela fait, on étendra sur le petit mur l'enduit fait de chaux et de ciment; on le dressera ensuite avec le mortier de sable; puis on le polira avec le stuc. 2. Si l'emplacement ne permet pas de bâtir le petit mur, on fera des canaux dont les ouvertures déboucheront dans un lieu découvert. Ensuite, des tuiles de deux pieds seront posées sur l'un des bords du canal, et sur l'autre on élèvera des piles avec des briques de huit pouces, sur lesquelles les angles de deux tuiles pourront poser, de manière qu'elles ne soient pas éloignées du mur de plus d'un palme; d'autres tuiles à rebords, posées sur champ les unes au-dessus des autres, seront attachées depuis le bas du mur jusqu'au haut; l'intérieur en sera soigneusement enduit de poix, afin que l'humidité ne s'y attache point ; il y aura aussi des soupiraux à la partie supérieure, au-dessus de la voûte. 3. On blanchira alors avec de la chaux délayée dans de l'eau, afin que le ciment puisse s'attacher : car à cause de la sécheresse que leur a donnée la chaleur du fourneau, les tuiles ne peuvent ni recevoir ni retenir l'enduit, si la chaux qu'on interpose n'attache ces deux matières l'une à l'autre, et n'en fait, pour ainsi dire, un seul corps. Sur la couche de plâtre on étendra le mortier de ciment en place de celui de sable, et le reste s'achèvera, suivant la méthode que nous avons prescrite plus haut pour les enduits. 4. Les ornements qui relèvent le poli des enduits doivent avoir un caractère qui leur soit propre, offrir des conditions qui conviennent aux pièces qu'ils embellissent, et être en harmonie avec leur destination. Les salles à manger d'hiver n'exigent pas une telle préparation; point de superbes peintures, point de ces sculptures délicates qui ornent les corniches des voûtes : la fumée du feu, la suie produite par les lumières souvent allumées, gâtent tout. On doit se contenter de faire au-dessus des lambris, qui sont à hauteur d'appui, des panneaux en noir, bien polis, que l'on sépare par d'autres compartiments avec de l'ocre ou du cinabre. La voûte doit aussi être simple et polie, et la composition du pavé qu'emploient les Grecs dans ces sortes de pièces, ne déplaira pas à celui qui voudra l'examiner de près, parce qu'il coûte peu et qu'il est commode. 5. On creuse au-dessous du niveau que doit avoir le pavé de la salle à manger, à deux pieds environ de profondeur, et après avoir bien battu le sol, on y met une couche de plâtras ou de tessons, légèrement inclinée vers le canal. On étend ensuite du charbon, qu'on y en-tasse et qu'on bat fortement pour le couvrir d'une couche de mortier composé de sable, de chaux et de cendre, de l'épaisseur d'un demi-pied, et dressé avec la règle et le niveau. Après avoir bien poli avec la pierre la superficie de cet enduit, on a un pavé du plus beau noir. Tel est l'avantage de ces sortes de pavés, que l'eau qu'on y répand, soit en rinçant les coupes, soit en se lavant la bouche, sèche immédiatement, et que ceux qui servent à table peuvent marcher nu-pieds sans prendre froid. [7,5] V. De la manière de peindre les murailles. 1. Dans les autres appartements, c'est-à-dire dans ceux qu'on habite au printemps, en automne, en été, et même dans les vestibules et dans les péristyles, les anciens avaient accoutumé de prendre dans la nature même les sujets de leurs peintures. Et, en effet, la peinture ne doit représenter que ce qui est ou ce qui peut être, comme un homme, un édifice, un vaisseau, ou toute autre chose dont on imite avec exactitude la forme et la figure. Aussi les anciens, qui firent les premières peintures sur les enduits, imitèrent les différentes bigarrures du marbre, et firent ensuite des compartiments variés, traçant des figures rondes et triangulaires en jaune et en rouge. 2. Après cela ils en vinrent à représenter des édifices avec des colonnes et des frontons, qui se détachaient parfaitement sur le fond. Dans les lieux spacieux, dans les salles de conférences, par exemple, où les murs présentent de grandes surfaces, ils peignaient des scènes tragiques, comiques ou satiriques. Les galeries, à cause de leur longueur, furent ornées de paysages qu'ils animaient par des points de vue tirés de certaines localités; c'étaient des ports, des promontoires, des rivages, des fleurs, des fontaines, des ruisseaux, des temples, des bois, des montagnes, des troupeaux, des bergers; dans quelques endroits ils peignaient de grands sujets où figuraient les dieux; ou bien c'étaient des épisodes empruntés à la mythologie, ou les guerres de Troie, ou les voyages d'Ulysse; partout des paysages nulle part rien qui ne fût en harmonie avec les productions de la nature. 3. Mais cette belle nature, dans laquelle les anciens allaient prendre leurs modèles, nos goûts dépravés la repoussent aujourd'hui. On ne voit plus sur les murs que des monstres, au lieu de ces représentations vraies, naturelles ; en place de colonnes, on met des roseaux ; les frontons sont remplacés par des espèces de harpons et des coquilles striées, avec des feuilles frisées et de légères volutes. On fait des candélabres soutenant de petits édifices, du haut desquels s'élèvent, comme y ayant pris racine, quantité de jeunes tiges ornées de volutes, et portant sans raison de petites figures assises; on voit encore des tiges terminées par des fleurs d'où sortent des demi-figures, les unes avec des visages d'hommes, les autres avec des têtes d'animaux. 4. Or, ce sont là des choses qui ne sont pas, qui ne peuvent être, qui n'ont jamais été. Cependant ces nouvelles fantaisies ont tellement prévalu que, faute d'un homme qui soit en état de les apprécier, les arts dépérissent journellement. Quelle apparence, en effet, que des roseaux soutiennent un toit, qu'un candélabre porte des édifices, que les ornements de leur faîte, c'est-à-dire des tiges si faibles et si flexibles, portent des figures assises, ou que des racines et des tiges produisent des fleurs et des demi-figures? À la vue de ces faussetés, il ne s'élève pas un mot de blâme; on s'en amuse, au contraire, sans prendre garde si ce sont des choses qui soient possibles ou non. Les esprits obscurcis par la faiblesse de leur jugement, ne sont point en état d'apprécier le mérite, la beauté d'un ouvrage. Une peinture n'est pas digne d'approbation, si elle ne représente point la vérité. Il ne suffit pas qu'un sujet soit peint avec tout le prestige de l'art, pour qu'on doive immédiatement le juger avec avantage; encore faut-il que le dessin n'offre dans aucune de ses parties rien qui blesse la raison. 5. La ville de Tralles possédait un petit théâtre qui portait le nom d'¤kklhsiast®rion (lieu de réunion), pour lequel Apaturius, Alabandin, avait peint une scène avec talent. Au lieu de colonnes, il y avait représenté des statues et des centaures soutenant les architraves, des toits arrondis comme des dômes, des frontons avec de grandes saillies, des corniches ornées de têtes de lion, toutes choses qui ne conviennent qu'aux larmiers. Il n'en avait pas moins peint au-dessus un second ordre avec d'autres coupoles, des porches, des moitiés de faîte, et toutes les autres parties qui ornent un toit. Tout l'aspect de cette scène charmait les yeux de tous les spectateurs, par l'heureuse distribution des teintes, et on allait approuver ce travail, lorsque le mathématicien Licinius se présenta et dit : 6. Les Alabandins passent pour ne point manquer d'une certaine habileté dans toutes les affaires civiles; mais une petite faute contre la convenance leur a fait perdre l'opinion qu'on avait de leur jugement, en ce que les statues qu'ils ont placées dans le lieu de leurs exercices, représentent toutes des avocats, tandis que celles qui sont dans le barreau, représentent des personnes qui tiennent des disques, qui s'exercent à la course, qui jouent à la paume; ces statues, si maladroitement placées dans des lieux qui ne leur conviennent pas, ont grandement fait tort à la réputation des habitants. Prenons garde que la scène d'Apaturius ne nous fasse prendre pour autant d'Alabandins ou d'Abdéritains. Qui de vous a jamais vu des maisons, des colonnes posées sur les tuiles, ou sur le faîte d'autres maisons? C'est sur les pavés que reposent ces parties d'un bâtiment, et non sur des toits. Si nous approuvons, dans une peinture, ce qui ne peut exister en réalité, nous nous mettrons sur la même ligne que ces peuples, sur le jugement desquels de telles fautes ont fait passer condamnation. 7. Apaturius n'osa rien répondre; il enleva la scène, changea tout ce qui se trouvait contre la vérité, et la fit agréer après avoir fait les corrections convenables. Plût aux dieux que Licinius pût revenir à la vie pour nous ramener à la raison, et rectifier ces erreurs qui se sont introduites dans la peinture ! Pourquoi cet abus a-t-il triomphé de la vérité? C'est ce qu'il ne sera pas hors de propos de dire ici. Autrefois c'était du talent et de la perfection du travail que les peintres faisaient dépendre le succès de leurs efforts; ceux d'aujourd'hui n'attachent de prix qu'à l'éclat des couleurs et à l'effet qu'elles produisent : jadis c'était le talent de l'artiste qui seul donnait du prix à son travail; maintenant les dépenses de celui qui fait travailler en tiennent lieu. 8. Les anciens n'employaient le minium, comme couleur, qu'en très petite quantité; à présent on en voit presque partout peintes des murailles tout entières, aussi bien que de chrysocolle, d'ostrum, d'armenium. Ces couleurs, bien qu'appliquées sans art, ne laissent pas d'éblouir par leur éclat; et c'est à cause de leur cherté que la loi a voulu qu'elles fussent fournies par celui qui fait travailler, et non par celui qui travaille. 9. J'ai cherché, par les avis que je viens de donner, à prévenir, autant qu'il m'a été possible, l'abus qui s'est introduit dans les peintures à fresque; il me reste maintenant à traiter de la manière de préparer les matériaux, et, puisque j'ai commencé par parler de la chaux, je vais m'occuper du marbre. [7,6] VI. De la manière de préparer le marbre pour en faire du stuc. 1. Le marbre ne se rencontre pas partout dans les mêmes conditions : dans certaines localités, on le trouve par morceaux avec de petits grains luisant comme du sel. Pilé et broyé, il est avantageux pour faire les enduits et les corniches. Dans les lieux oh ne se trouve pas cette espèce, on ramasse les éclats appelés ossulae, que les marbriers font tomber du marbre qu'ils travaillent; on les écrase avec des niions de fer, et on les sasse pour en faire trois sortes de poudre : la plus grosse, comme nous l'avons dit ci-dessus, se mêle avec la chaux, pour faire la première couche que l'on met sur le mortier de sable; la moyenne vient ensuite, puis la troisième qui est la plus fine. 2. Après que ces couches d'enduits auront été unies et polies avec soin, il faudra s'occuper des couleurs destinées à les couvrir de leur brillant éclat. Elles sont de différente nature, et leur préparation n'est point la même. Les unes se forment d'elles-mêmes dans certains lieux d'où on les tire; les autres sont un composé de diverses matières dont la préparation, ou le mélange, ou la combinaison produisent dans les ouvrages le même effet que les autres. [7,7] VII. Des couleurs naturelles. 1. Nous allons d'abord parler des couleurs qui se produisent d'elles-mêmes dans la terre, comme le sil, que les Grecs appellent Îxra. On le trouve en plusieurs endroits et même en Italie; mais le meilleur, celui de l'Attique, manque aujourd'hui. Lorsque des compagnies exploitaient les mines d'argent qui sont à Athènes, on creusait des puits pour aller chercher ce métal, et quand on venait à rencontrer quelque filon de sil, on le suivait comme si c'eût été de l'argent; aussi les anciens avaient en abondance de l'excellent sil, qu'ils employaient sur les enduits. 2. La rubrique se tire en abondance de beaucoup de lieux; mais la bonne est rare, et ne se trouve guère qu'à Sinope, dans le royaume de Pont, en Égypte, aux îles Baléares, en Espagne, et dans l'île de Lemnos, dont les revenus ont été laissés aux Athéniens par le sénat et le peuple romain. 3. La couleur parétonienne tire son nom du lieu même où on la trouve. La méline tire de même le sien de l'île de Mélos, une des Cyclades, où ce minéral abonde. 4. La terre verte se rencontre aussi dans plusieurs localités; mais la meilleure vient de Smyrne; les Grecs l'appellent yeodñtion, parce qu'un nommé Théodote possédait le fonds où elle fut trouvée pour la première fois. 5. L'orpiment, qui en grec est appelé Žrs¡nikon, se tire du royaume de Pont. Le minium se trouve également en plusieurs lieux; mais le meilleur s'exploite aussi dans le Pont, auprès du fleuve Hypanis. Il y a d'autres endroits, comme les confins de Magnésie et d'Éphèse, d'où on le tire tout préparé, sans qu'il soit besoin ni de le broyer ni de le sasser; et il est aussi fin que si quelque main d'homme l'eût pilé et tamisé. [7,8] VIII. Du cinabre et du vif-argent. 1. Je vais maintenant parler de la préparation du cinabre. On le trouva, dit-on, pour la première fois, sur le territoire de Cilbianis, près d'Éphèse. La manière de l'extraire et de le préparer est assez curieuse. On le tire de terre par mottes, qu'on appelle anthrax, avant que la manipulation l'ait fait passer à l'état de cinabre, La veine de cette matière, enveloppée d'une poussière rouge, a une couleur de fer un peu roussâtre. Quand on l'extrait, les coups de pic en font sortir de nombreuses gouttes de vif-argent que les ouvriers s'empressent de recueillir. 2. Lorsque ces mottes ont été réunies dans l'atelier, on les jette dans un four pour leur faire perdre l'humidité dont elles sont pleines, et la chaleur du feu en fait sortir une vapeur qui, en retombant sur l'aire du four, se trouve être du vif-argent. On retire les mottes, et les gouttes qui se sont déposées dans le four ne pouvant être ramassées, à cause de leur petitesse, sont balayées dans un vase plein d'eau où elles se mêlent et se confondent. Quatre sétiers de cette matière pèsent cent livres. 3. Que l'on vienne à remplir quelque vase de cette substance, une pierre du poids de cent livres, mise dessus, nagera à sa surface sans pouvoir, par sa pesanteur, ni la comprimer, ni la séparer, ni l'éparpiller. Si à la place de ce poids de cent livres, on met seulement un scrupule d'or, il ne surnagera pas ; il descendra tout de suite au fond; ce qui prouve clairement que la gravité des corps ne dépend pas de la quantité de la matière pesante, mais de sa qualité. 4. On se sert du vif-argent dans beaucoup de cas; sans lui il est impossible de bien dorer l'argent et le cuivre; lorsqu'un vêtement tissé d'or vient à s'user, et que sa vieillesse le met hors d'état d'être décemment porté, on le brûle dans un vase de terre, et la cendre en est jetée dans de l'eau. On y ajoute du vif-argent auquel toutes les parcelles d'or vont s'attacher, se joindre. On répand l'eau, et l'on verse dans un linge que l'on presse avec les mains, le vif-argent qui passe au travers à cause de sa fluidité, et l'or, malgré la compression, reste parfaitement pur dans le linge. [7,9] IX. De la préparation du cinabre. 1. Je reviens à la préparation du cinabre. Lorsque les mottes sont sèches, on les pile, on les broie avec des pilons de fer, et à force de lotions et de coctions, on fait disparaître toute matière étrangère, et la couleur arrive. Lorsque, par le dégagement du vif-argent, le cinabre à perdu les qualités naturelles qu'il contenait, sa substance s'amollit et n'a plus la même force. 2. Lorsqu'il est employé dans les appartements dont les enduits sont à couvert, le cinabre conserve sa couleur sans altération; mais dans les lieux exposés à l'air, comme les péristyles, les exèdres, et quelques autres endroits semblables où peuvent pénétrer les rayons du soleil et l'éclat de la lune, il s'altère, il perd la vivacité de sa couleur, il se noircit aussitôt qu'il en est frappé. C'est une expérience qui a été faite par plusieurs personnes, et entre autres par le secrétaire Faberius. Ayant voulu avoir dans sa maison du mont Aventin d'élégantes peintures, il fit peindre avec du cinabre tous les murs du péristyle, qui au bout de trente jours ne présentaient plus qu'une couleur désagréable et bigarrée; ce qui l'obligea à les faire repeindre une seconde fois avec d'autres couleurs. 3. Voici ce que font des personnes mieux avisées, pour que leurs enduits conservent la couleur du cinabre qu'elles préfèrent. Lorsque la couleur a été parfaitement étendue, et qu'elle est bien sèche, on la couvre, avec un pinceau, d'une couche de cire punique qu'on a fait fondre, et à laquelle on a mêlé un peu d'huile; on met ensuite du charbon dans un réchaud, on chauffe cette cire, aussi bien que la muraille, on la liquéfie, puis on l'étend bien uniment; enfin on prend une bougie et des linges blancs avec lesquels on polit, comme on le fait pour les statues nues faites de marbre. 4. C'est ce qu'on appelle en grec kaèsiw (brûlure); l'application de cette couche de cire punique empêche que la lumière de la lune et les rayons du soleil, en donnant sur ces enduits, n'en enlèvent la couleur. Les fabriques qui étaient autrefois dans les mines d'Éphèse, sont maintenant transférées à Rome, parce qu'on a trouvé ce minéral en Espagne, d'où il est facile d'en transporter les mottes qui sont préparées par des hommes spéciaux dont les fabriques sont situées entre le temple de Flore et celui de Quirinus. 5. On falsifie le cinabre avec de la chaux; quand on voudra s'assurer qu'il n'y a point eu de falsification, voici ce que l'on fera : on prendra une lame de fer sur laquelle on mettra du cinabre; on la soumettra à l'action du feu jusqu'à ce qu'elle devienne blanche, et on ne la retirera que quand de blanche qu'elle était devenue par la chaleur, elle aura pris une teinte noire : si, étant refroidie, elle reprend sa couleur première, on peut être assuré que le cinabre est pur; si, au contraire, elle conserve sa teinte noire, c'est qu'il aura été sophistiqué. 6. Je viens de dire ce que je sais sur le cinabre. La chrysocolle vient de Macédoine; on la tire des lieux voisins des mines de cuivre. L'armenium et l'indicum font connaître par leurs noms les lieux qui les produisent. [7,10] X. Des couleurs artificielles. 1. Je vais maintenant parler des matières qui, par la proportion du mélange de différentes substances préparées d'une certaine manière, perdent leurs qualités naturelles pour acquérir la propriété des couleurs. Commençons par le noir, dont l'usage est si nécessaire dans beaucoup d'ouvrages, afin de bien faire connaître tous les moyens par lesquels on peut arriver à l'obtenir. 2. On bâtit un petit édifice en forme- d'étuve; on en tapisse le dedans avec une couche de stuc que l'on polit avec soin. En avant on construit, avec une bouche dans l'étuve, un petit fourneau dont la porte doit être hermétiquement fermée, pour qu'elle ne puisse livrer passage à la flamme. On jette de la résine dans le fourneau. Soumise à l'action du feu, cette substance produit une fumée qui est forcée de passer dans l'étuve aux parois et à la voûte de laquelle elle s'attache transformée eu suie. On en rainasse une partie que l'on détrempe avec de la gomme, pour en faire l'encre à écrire; le reste, mêlé à de la colle, sert à peindre les murailles. 3. Si l'on manque des moyens de faire ce noir, on pourra, pour qu'aucun retard ne vienne entraver l'ouvrage, faire face à la nécessité de .cette manière : on brûlera des sarments ou des copeaux de pin; lorsqu'ils seront réduits en charbon, on les éteindra. Ce charbon pilé dans un mortier avec de la colle, fournira pour la peinture des murailles un noir assez beau. 4. On pourra encore, avec de la lie de vin desséchée, et cuite dans un fourneau, puis broyée avec de la colle, obtenir un très beau noir, et plus le vin dont elle est le résidu aura de qualité, plus il sera facile d'en obtenir, non-seulement le noir ordinaire, mais encore une couleur imitant l'indicum. [7,11] XI. Du bleu d'azur et de l'ocre brûlée. 1. Ce fut à Alexandrie que se fit, pour la première fois, la préparation du bleu d'azur, et Vestorius en a établi depuis une fabrique à Pouzzol. La manière de le préparer avec les substances qui le composent, est assez curieuse. On broie du sable avec de la fleur de nitre, aussi fin que de la farine; on y mêle de la limaille de cuivre de Chypre faite avec de grosses limes, puis on la mouille pour en faire une pâte, dont on forme avec les mains des boules qu'on presse de manière à les faire sécher. Une fois sèches, elles sont déposées dans un vase de terre qu'on met dans une fournaise. Là, le cuivre et le sable entrant en fusion par la violence du feu, finissent par ne plus faire qu'un seul corps, auquel la liquéfaction a communiqué les qualités réciproques des deux substances qui n'ont plus de propriété distincte, l'action du feu la leur ayant fait perdre, et qui se trouvent converties en une couleur bleue d'azur. 2. L'ocre brûlée, dont on tire un assez bon parti dans les peintures sur enduit, se prépare de cette manière : on fait rougir au feu une motte de bonne ocre jaune; on l'éteint dans du vinaigre, ce qui lui donne une couleur de pourpre. [7,12] XII. De la céruse, du vert-de-gris et du minium. 1. Il n'est point hors de propos de dire ici comment on prépare la céruse et le vert-de-gris que nous appelons aeruca. Les Rhodiens mettent des sarments dans des tonneaux au fond desquels ils versent du vinaigre. Sur ces sarments ils placent des lames de plomb; puis, on ferme soigneusement les tonneaux pour que le contenu ne perde rien de sa force. Après un temps déterminé on ouvre, et les morceaux de plomb se trouvent convertis en céruse. Si on les remplace par des lames de cuivre, on obtient le vert-de-gris qu'on appelle aeruca. 2. La céruse brûlée dans une fournaise perd sa couleur par l'action du feu, et se change en minium. C'est le hasard qui, dans un incendie, apprit aux hommes à la faire. Elle est d'une qualité supérieure à celle que l'on tire des mines, où elle se forme aux dépens du métal. [7,13] XIII. De la pourpre. 1. Je vais commencer à parler de la pourpre, qui, de toutes les couleurs, est la plus chère et celle qui flatte le plus agréablement la vue. C'est d'un coquillage de mer que se tire la matière dont se fait la pourpre, qui offre à l'œil de l'observateur une des plus admirables productions de la nature. Cette couleur ne présente point la même teinte dans tous les lieux où elle est produite; la nature la nuance selon les climats. 2. La pourpre qu'on recueille dans le Pont et la Gaule, doit à ces contrées voisines du septentrion sa teinte foncée. Elle prend une nuance livide entre le septentrion et l'occident; celle qui naît entre l'orient et l'occident équinoxial tire sur le violet. Quant à celle qui nous vient des pays méridionaux, elle est parfaitement rouge; c'est cette qualité que nous envoient l'île de Rhodes, et les autres contrées qui sont plus voisines du cours du soleil. 3. Quand on a ramassé ces coquillages, on fait tout autour une incision d'où coulent quelques gouttes d'une humeur pourprée. On les fait tomber dans un mortier, où on les prépare en les broyant; et parce que ce sont des coquillages de mer qui produisent cette couleur, on lui a donné le nom de ostrum (ostrea = huître). Les parties salées qu'elle contient ne tarderaient pas à la dessécher, si ou ne la conservait dans du miel. [7,14] XIV. Des couleurs qui imitent la pourpre. 1. On compose encore des couleurs pourprées, en teignant la craie avec les racines de la garance et de l'hysginum. Les fleurs produisent aussi d'autres couleurs. Lorsque les teinturiers veulent imiter l'ocre jaune de l'Attique, ils mettent dans un vase plein d'eau des violettes sèches, qu'ils font bouillir sur le feu. Lorsque l'infusion est achevée, on verse le tout dans un linge, d'où l'on exprime avec les mains l'eau colorée par les violettes. On la reçoit dans un mortier, on y répand de la craie érétrienne, et en la broyant on obtient la couleur de l'ocre jaune de l'Attique. 2. Employant le vaccinium de la même manière, on fait, avec le lait qu'on y mêle, une belle couleur de pourpre. Ceux qui ne peuvent se servir de la chrysocolle à cause de sa cherté, teignent l'azur avec le suc d'une plante qu'on appelle pastel, et obtiennent un très-beau vert; c'est là ce qu'on appelle de la teinture. L'indicum est rare; mais pour en imiter la couleur, il suffit de mêler de la craie sélinusienne ou annulaire avec le pastel que les Grecs appellent g-isatin. 3. Je viens de composer ce livre de tout ce que j'ai pu me rappeler sur la manière de crépir, sur le choix des matériaux à employer, sur la solidité de l'enduit destiné à recevoir la peinture, sans qu'elle soit exposée à perdre son éclat, enfin sur les propriétés que renferment les différentes couleurs. Ainsi, ce qui peut contribuer à rendre les édifices aussi parfaits et aussi commodes qu'ils doivent l'être, se trouve réuni dans les sept livres qui précèdent. Dans le suivant, je vais parler des eaux, de la manière d'en trouver dans les lieux qui en manquent, des moyens de les y amener, et des caractères qui eu font connaître la bonté et la qualité.