Itinera Electronica
Traductions estudiantines

Virgile, Les Bucoliques, Églogue I

sous la direction de Madame Véronique RIFFARD
(Lycée Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, France)


Présentation de Pauline Lorin :

 

            Virgile, sans conteste un des plus grands poètes latins, était un contemporain d’Auguste et de Mécène, son protecteur. Il a composé les Bucoliques entre 49 et 37 A.C. Elles comportent dix églogues, inspirées des Idylles de Théocrite, poète grec du IIIème siècle avant notre ére. Les Bucoliques ont pour cadre l’Arcadie, province quasi-mythique.

            La première Bucolique est un dialogue de 83 vers entre deux bergers, Tityre et Mélibée. Ce dernier, exproprié, doit quitter sa terre tandis que Tityre a obtenu d’un “ deus “, Octave, de pouvoir rester. Le dialogue oppose le malheur de Mélibée et le bonheur de Tityre. Les bergers aspirent tous deux à une vie paisible à la campagne, mais la “ discordia ciuium “ empêche Mélibée de vivre sur sa terre. Cette “ discordia “ est une allusion claire de Virgile aux faits qui lui sont contemporains : les guerres civiles et leur conséquence, les expropriations. Entre le bonheur de l’un et le malheur de l’autre, cette églogue nous dépeint la simplicité et le bonheur d’une vie champêtre.

 

 

Virgile, Bucolique I (texte latin)

 

Vers 1-10 :

Traduction de Pauline Lorin et Morgane Rougeron :

 

Mélibée

           

Tityre, couché sous la voûte d’un vaste hêtre,

tu travailles un air champêtre sur ton léger pipeau.

Nous, nous laissons les frontières de notre patrie et nos douces campagnes,

nous, nous fuyons notre patrie et toi, Tityre, indifférent1 , à l’ombre,

tu apprends à faire retentir les bois du nom de la belle Amaryllis.

 

Tityre

 

O Mélibée, c’est un dieu qui nous a permis ces loisirs,

car celui-ci restera toujours un dieu pour moi ;

souvent un tendre agneau de nos bergeries imbibera de son sang son autel.

C’est lui qui a permis à mes vaches de paître en liberté, comme tu le vois,

et à moi de jouer ce qu’il me plaît sur mon roseau campagnard.

 

1- lentus, a, um  a différents sens : tenace, lent, paresseux, calme, insensible, indifférent. Nous avons préféré le traduire par l’adjectif “ indifférent “, pour montrer que Tityre n’est pas sensible aux malheurs des bergers expatriés. Il ne propose à Tityre de rester pour la nuit qu’à la fin de la  Bucolique , lorsqu’il est trop tard.

 

 

Vers 11-18 :

Traduction de Sandra Barizien et Nicolas Beauger :

 

Mélibée

 

            Assurément, je ne suis pas jaloux, je m’étonne plutôt :  de toutes parts,

dans la vaste campagne, à présent encore, règne le désordre ! Voici que moi-même,

affligé, je mène en avant mes pauvres petites chèvres ;  celle-ci aussi, c’est avec peine, Tityre, que je la conduis :

et en effet, ici, parmi les épais coudriers, après avoir mis bas, elle a laissé à l’instant,

sur la roche nue, deux petits, l’espoir du troupeau, hélas !

Je me souviens que des chênes foudroyés nous prédirent souvent ce malheur,

si seulement mon esprit n’avait pas été aveugle !

Mais cependant, Tityre, qui est-il ce fameux dieu, dis-le nous !

 

 

Vers 19-35 :

 

Traduction de Mathieu Lecat, Corentin Meignié et Fanny Quément  :

 

Tityre

 

La ville que l’on nomme Rome, Mélibée, moi je me la figurais

Pareille à la nôtre, dans ma grande naïveté, où nous avons souvent pour coutume,

Nous autres les bergers, d’amener les tendres agneaux à nos brebis arrachés.

Ainsi je savais les chiots semblables aux chiennes, les chevreaux à leurs mères pareils m’apparaissaient,

Comparer les grandes choses aux petites : cette habitude était mienne.

Mais elle, entre toutes les villes, sa tête, elle l’a dressée,

A l’image des cyprès parmi les souples viornes.

 

Mélibée

 

Pour aller à Rome, quel motif fut si important ?

 

Tityre

 

La liberté qui, tardive, a enfin daigné me regarder, moi, le paresseux avéré

Alors que ma barbe blanche sous le rasoir tombait.

Mais depuis que Galatée m’a laissé,et depuis qu’avec Amaryllis je suis,

Oui, elle a tout de même daigné me regarder, après une attente qui fut pour moi inouïe.

Car, je l’avouerai, pendant que me tenait Galatée,

Aucun espoir de liberté, de mon pécule nul  souci !

Les victimes avaient sortir en nombre de mes enclos,

J’avais beau presser un gras fromage pour la ville ingrate,

Jamais ma main ne revenait à la maison lourde d’argent.

 

 

Vers 36-45 :

 

Traduction de Chloë Manaoui et Stella Cecchetti :

 

Mélibée

 

Je ne savais, Amaryllis, pourquoi aux dieux tu adressais tes prières désespérées,

Et laissais, sur tes arbres, les fruits se dégrader.

La raison en était Tityre loin de ces lieux. Les pins eux-mêmes,

et les sources elles-mêmes, Tityre, les vergers eux-mêmes te priaient de revenir.

 

Tityre

 

Que faire ? Je ne pouvais ni sortir autrement d’esclavage,

ni connaître, ailleurs, dieux si cléments.

Et là, je vis ce jeune héros, Mélibée,

Pour qui, deux jours sacrés durant, et ce, six fois par an,

de nos autels, s’élève une fumée. 

Et là encore, il me répondit en premier :

“ Faites donc paître vos bœufs de même qu’avant, enfants, élevez vos taureaux. “

 

 

Vers 46-63 :

 

Traduction de Jeanne Cohendy et   Marie-Laure Béraud-Levadoux :

 

Mélibée

 

            Heureux vieillard ! Ces champs resteront donc tiens !

Et pour toi ils seront assez grands, bien que la dure pierre

tous les pâturages recouvre, aidée par le marécage aux joncs limoneux.

De nouveaux espaces n’appelleront pas tes brebis pleines

et les contagions malsaines du troupeau voisin ne les atteindront pas.

Heureux vieillard ! Ici, entre des rivières connues

et des sources sacrées, tu rechercheras la fraîcheur de l’ombre !

De là, comme toujours, à la lisière du champ voisin,

la haie, où les abeilles de l’Hybla butinent la fleur du saule,

souvent t’incitera à plonger dans le sommeil, par son léger murmure ;

de là, sous la haute roche, chantera l’émondeur dans les airs ;

et toutefois, pendant ce temps, ni les palombes à la voix rauque, objets de tes soins,

 ni la tourterelle ne cesseront de gémir du haut de l’orme.

 

Tityre

 

Les cerfs agiles iront paître dans le ciel

et les flots déposeront les poissons à sec sur le rivage,

les frontières des uns et des autres ayant été parcourues, en exil,

ou bien le Parthe boira dans la Saône ou le Germain dans le Tigre,

avant que les traits de ce héros ne s’effacent de notre cœur.

 

 

 

Vers 64-83 :

 

Traduction de Fanny Gonzales  et  Audrey Thaury :

 

Mélibée

           

            Mais nous, exilés de ces lieux, nous irons, les uns, chez les Africains altérés,

les autres en Scythie et nous viendrons aux bords du torrent du  crayeux  Oaxe

et chez les Bretons profondément séparés du reste de l’univers.

Ah ! Si jamais je revois, après un long exil, les frontières de mon pays

et le toit couvert de chaume de ma pauvre cabane,

alors aurai-je la surprise de trouver dans mes anciens domaines quelques épis encore ?

Un soldat impie possédera ces champs cultivés avec tant de soin ?

Un Barbare, ces moissons ? Voilà, le fruit de vos discordes,

malheureux citoyens! Voilà pour qui nous avons ensemencé ces champs !

Greffe maintenant tes poiriers, Mélibée ; aligne tes ceps. 

Allez, troupeau jadis prospère ; allez, mes petites chèvres,

je ne vous verrai plus désormais, étendu dans un antre verdoyant,

suspendues aux flancs d’une roche broussailleuse.

Je ne chanterai plus désormais. Non, sous ma conduite, mes petites chèvres,

 vous n’irez plus, brouter le cytise en fleur et les saules amers.

 

Tityre

 

            Cependant, tu pourrais encore te reposer  cette nuit avec moi,

sur un lit de vert feuillage. Nous avons de doux  fruits,

de molles châtaignes et du fromage frais en abondance.

Et déjà, des toits des chaumières, s’élève au loin la fumée

et du haut des monts les ombres descendent plus grandes encore.


26 janvier 2004