[1,0] L'ART VETERINAIRE, ou L'HIPPIATRIQUE DE VEGETIUS RENATUS. LIVRE PREMIER. PRÉFACE. L'Hippiatrique est un art qui a été un des plus cultivés tant par les Auteurs Grecs que par les Auteurs Latins, par la raison qu'il tient le second rang après celui de la Médecine, de même que les animaux tiennent dans la nature le fécond rang après l'homme. En effet, les chevaux et les mulets sont les ressources de la guerre ainsi que les agréments de la paix. Il faut cependant convenir que cet art, paraissant moins relevé que celui de la Médecine, parce qu'il n'avait pour but que la guérison des bestiaux, n'a été exercé que par des hommes peu brillants et que ceux qui en ont consigné l'enseignement dans leurs ouvrages, n'étaient pas des gens fort diserts. Ce n’est pas que si l'on remonte à des temps voisins des nôtres, on ne soit forcé de convenir que Pelagonius n'a pas manqué d'éloquence et que Columelle en avait infiniment. Mais ce dernier qui se proposait de donner des préceptes généraux d'Economie rurale, n'a fait qu'effleurer ce qui concerne les soins qu'on doit prendre des animaux, en se contentant de donner sur cet objet quelques légers avertissements, de même que le premier, ne parlant en aucune façon des symptômes ni des causes des maladies, se trouve avoir négligé ce qui fait le fondement d'une matière aussi importante. D'un autre côté, quoique Chiron et Absyrthus se soient appliqués davantage à faire des recherches sur tous ces différents objets, ils sont dégoûtants par le défaut d'éloquence, on pourrait même dire par la bassesse de leur langage. D'ailleurs rien n’est digéré dans leur ouvrage et tout y est confus ; de sorte que, si l'on veut y chercher le traitement particulier d'une maladie, on est forcé d'errer dans tous les titres, puisqu'il se trouve des remèdes applicables à la même maladie, tant au commencement de leur ouvrage qu'à la fin. Ajoutez à ces inconvénients que l'avidité du gain a porté les Hippiatres à composer des potions d'un prix exorbitant, de façon que le coût de la guérison semble presque égaler la valeur de l'animal et que souvent des personnes ménagères ou au moins prudentes aiment mieux jeter leurs animaux aux chiens quand ils sont malades, ou discontinuer des traitements ruineux, que de les guérir. Comme j'ai toujours eu, dès ma jeunesse, la passion d'entretenir des chevaux, cette raison et d'autres semblables m'ont excité à entreprendre ce travail ci : je me suis en conséquence appliqué, avec bien du plaisir, autant que la médiocrité de mes talents me l'a permis, à rassembler en abrégé, dans ce petit ouvrage, tout ce qui a été dit sur cette matière, en ne faisant néanmoins contribuer à cette collection que les Auteurs Latins seuls et en puisant dans les Hippiatres, sans cependant négliger les Médecins eux-mêmes, d'autant que l'Art vétérinaire ne diffère pas en beaucoup de points de celui de la Médecine et qu'au contraire ces deux Arts ont bien des rapports communs, pour ne pas dire que presque tout est commun entre eux. En effet, si le premier mérite d'un Médecin consiste à découvrir le genre de la maladie dans l'homme, qui peut indiquer lui-même la nature de ses souffrances, tant avec le secours de la main qu'avec celui de la voix, combien ne doit-on pas penser qu'il est encore plus nécessaire dans l'Art vétérinaire de connaitre le genre de la maladie d'un animal, qui, étant privé par la nature de l'usage de la voix, ne peut jamais l'indiquer lui-même et qui se trouve souvent forcé au travail et à de certains ouvrages par des ignorants, de sorte qu'il court par là deux dangers à la fois, celui qui vient de la maladie et celui qui vient de la fatigue, ou au moins, qu'étant négligé longtemps, le retard des traitements le met dans l'impossibilité d'être guéri d'une maladie invétérée. C’est ce qu'atteste le divin poète de Mantoue par ce vers: "J’enseignerai aussi les causes et les symptômes des maladies" (Virgile, Géorgiques, III, v. 440). En effet, il n'y a point de traitement dont le succès ne soit douteux, lorsqu'on ignore la nature de la maladie qu'on a à traiter. Le mal vient de ce que les gens les plus honnêtes croient que la connaissance de la Médecine qui concerne les animaux, est une science vile et dont on doive rougir : mais cette opinion est vaine pour plusieurs raisons. Premièrement, il n est aucune science qui soit vile en elle-même, tel qu'en soit l'objet, puisque, de même que dans le cours de la vie humaine, il y a des choses à éviter et d'autres auxquelles il faut s'attacher, il n'y a point non plus de science parfaite, si ce n’est celle par laquelle on acquiert la connaissance des unes et des autres. En second lieu, y a-t-il quelqu'un qui puisse regarder comme une chose dont on doive rougir, une science qui nous fait éviter les pertes que nous essuierions sans elle ? or, si nous tirons du profit de la bonne constitution des animaux, leur mort doit, sans contredit, être une perte pour nous et ce raisonnement est d'autant plus fort, que le traitement des esclaves en maladie ne passe pas pour une chose ignoble, quoique ceux-ci soient souvent vendus moins cher que les chevaux ou les mulets. Enfin il est certain que tous les animaux ont un attachement très vif et une amitié sincère pour leurs maîtres, tant ceux qui sont destinés à servir de monture aux gens riches, que ceux qui doivent remporter des victoires dans les combats du Cirque, ainsi que ceux qui font, pour m'exprimer ainsi, des guerriers invincibles dans les batailles. Ce n'est donc pas sans raison qu'on peut assurer que de tels animaux, nés pour notre plaisir et notre conservation, méritent de la reconnaissance de la part de l'homme. D'ailleurs, comment peut-on s'imaginer qu'il y ait à rougir de la connaissance des soins qu'il faut prendre des animaux, quand on met sa gloire à en avoir d'excellents en sa possession ? et comment regarder comme un talent méprisable celui de pouvoir guérir ce que l'on se fait honneur de posséder ? J'avoue que la pratique même des Médecins vétérinaires peut paraître abjecte, mais il est constant que l'étude de la théorie de cet Art convient aux personnes non seulement les plus honnêtes, mais encore les plus savantes, puisque c’est par son moyen que le traitement de leurs animaux étant dirigé par une prévoyance et une règle éclairée, ils n'essuient eux mêmes aucunes pertes et se procurent des jouissances. Au reste, il y a des maladies qui n'attaquent que les animaux qui en sont affligés en particulier, au lieu qu'il y en a d'autres qui, en ne faisant périr qu'un seul animal ou un petit nombre de bêtes, se transmettent, par l'effet d'une contagion cruelle, à une foule d'animaux établés avec ceux qui sont élevés dans des pâturages communs avec eux : elles se transmettent souvent même à des troupeaux entiers, de façon qu'en très peu de temps l'infection des animaux malades fait périr les animaux les plus sains qui sont dans leur voisinage. Il est donc à propos de commencer par indiquer les symptômes et les causes des maladies qui affligent plusieurs animaux à la fois, comme si elles passaient sur leurs têtes et par en montrer le traitement, parce que les plus grands accidents sont ceux qui demandent le plus de soins. Or la première chose qui soit profitable aux animaux, c’est l'attachement et l'attention soit de leur Maître, soit de son Intendant, soit du Pâtre lui-même, d'autant que l'industrie est toujours la compagne de l'affection et que nous souhaitons que tout ce qui fait l'objet de notre attachement soit sain et sauf. On élève les animaux domptés dans des écuries ou dans des pâturages et les animaux indomptés dans des forêts d'une plus grande étendue. Il faut donc commencer par examiner tous les jours ou au moins très fréquemment l’état dans lequel se trouvent les animaux, parce qu'il n'y a point de maladie qui ne se manifeste à quiconque y fait attention.