[8,0] LIVRE VIII. [8,1] 1. J’ai dit, dans les livres précédents, qu’il y avait lieu d’étudier dans les mots, 1° l’étymologie ; 2° la déclinaison; 3° la syntaxe. Ayant achevé ce qui regarde l’étymologie, je vais m’occuper de la seconde partie, c’est-à-dire des déclinaisons, qui sont des modifications secondaires de la forme primordiale des mots. Ainsi homo (homme) fait hominis (de l’homme). Dans le premier cas, le mot est direct (rectum); et dans le second, oblique (obliquum). — 2. Dans cette cause de la variété munie des mots, j’aurai à considérer, 1° la raison des déclinaisons; 2° leurs différentes formes; 3° leur origine. Je parcourrai rapidement ce qui regarde les deux premiers points, parce que j’aurai à y revenir en traitant de l’abondance des mots, et aussi parce que le troisième m’arrêtera longtemps par ses détails et son importance. 3. La déclinaison est une loi nécessaire et utile, non seulement de la langue latine, mais de toutes les langues : autrement, le nombre des mots excéderait l’étendue de la mémoire; car les modifications des mots déclinés sont infinies; et lors même qu’on parviendrait à retenir cette multitude de mots que supplée la déclinaison, on serait dans l’impossibilité de reconnaitre leur parenté. Mais, au moyen de la déclinaison, on distingue à la fois l’identité et la différence. Ainsi, dans legi (j’ai lu) et lego (je lis), je vois à la fois qu’il est question d’une même chose, et que cette même chose n’a pas été faite dans le même temps. Mais si l’on se servait de deux mots tout à fait différents, de Priamus, par exemple, dans le premier cas, et de Hecuba dans le second, on ne verrait pas le rapport de ces deux mots, comme dans legi et lego, dans Priamus et Priamo. — 4. Il y a donc entre les mots, comme entre les hommes, des liens de descendance et de parenté nominale. En effet, de même que Aemilius, en tant qu’homme, adonné naissance à la famille des Aemilius; ainsi le nom Aemilius a donné naissance à Aemilii, Aemilium, Aemilio, Aemiliorum, etc. — 5. Les mots sont donc, en général, primitifs et déclinés (impositi et declinati). La nature a voulu que les mots primitifs fussent en très petit nombre, afin qu’on pût les apprendre très vite; et que les mots déclinés fussent en très grand nombre, afin qu’on pût exprimer très facilement toutes les nuances de la pensée. — 6. Pour connaître l’origine des mots primitifs, nous avons besoin de l’histoire, parce que cette connaissance ne peut nous arriver que par la tradition; mais, à l’égard des mots déclinés, c’est l’art qui doit nous servir de guide, et cet art repose sur un petit nombre de préceptes, qui sont très simples. En effet, les règles de la déclinaison d’un seul mot peuvent nous servir à décliner, par analogie, une infinité d’autres mots. C’est pourquoi, lorsque de nouveaux mots s’introduisent dans la langue, tout le monde les décline aussitôt sans difficulté. Ne voit-on pas, dans les maisons dont le domestique est fort nombreux, les esclaves nouvellement achetés faire passer par tous les cas obliques les noms de leurs compagnons, aussitôt qu’ils connaissent le cas direct? — 7. Que si quelquefois cette déclinaison est défectueuse, cela ne doit pas étonner, parce que ceux qui, au commencement, ont imposé les noms aux choses, ont bien pu pécher dans la formation de certains mots. Sans doute ils ont voulu faire en sorte que le nom de chaque chose pût passer, par une déclinaison facile, du nombre singulier au nombre pluriel, comme homo, homines, et que le nom d’un homme libre pût également passer, par analogie, du genre masculin au genre féminin, comme Terentius, Terentia; et ainsi pour les différents cas du même mot, soit au singulier, soit au pluriel : mais ils n’ont pas toujours pu ce qu’ils voulaient, et scopa (balai), par exemple, désigne une seule chose; aquila (aigle) désigne à la fois le mâle et la femelle; vis (violence) a le nominatif et le génitif semblables. — 8. Il ne me serait pas difficile de prouver que, dans la plupart des mots de cette espèce, il n’y a pas eu autant de leur faute qu’on le pense : mais cela n’est pas nécessaire ici; car ce qui importe à mon dessein, c’est de constater ce qu’ils ont voulu faire, et non ce qu’il ne leur a pas été donné de faire; d’autant qu’il est aussi facile, par exemple, de tirer scopa de scopae, qu’il l’eût été de tirer scopae de scopa, si scopa était le mot primitif. 9. J’ai exposé la raison de la déclinaison des mots, qui était, comme je l’ai dit au commencement de ce livre, un des trois points que je me suis proposé d’étudier. Je vais maintenant passer en revue, mais sommairement et d’une manière générale, les différentes formes de déclinaisons, dont les mots sont susceptibles. II y a deux genres de mots : des mots féconds, dont la déclinaison engendre une multitude de formes diverses, comme lego (je lis), legis (tu lis), legam (je lirai), etc.; des mots stériles, qui ne sont susceptibles d’aucune modification, comme etiam (aussi), vix (à peine), cras (demain), magis (plus), quor (pourquoi). [8,10] — 10. On conçoit, en effet, que les mots servant à désigner des idées invariables devaient être également invariables, de même que, dans une maison où il n’y a qu’un seul esclave, cet esclave n’a besoin que d’un nom; tandis que, dans une maison où il y en a plusieurs, chaque esclave a besoin de plusieurs noms, pour qu’on puisse le distinguer de ses compagnons. Ainsi les mots et les noms qui expriment des idées variables doivent nécessairement subir des modifications correspondantes à ces idées; tandis que les mots qui ne servent qu’à unir les mots entre eux, sont ordinairement invariables et ressemblent à une courroie, qui peut également servir à attacher un homme, un cheval, etc. Quand nous disons, par exemple: sous le consulat de Tullius et d’Antonius, nous sentons que la conjonction et peut unir non seulement les noms de deux consuls quelconques, mais encore tous les noms et tous les mots sans exception. 11. Il y a deux espèces de mots déclinables, si, à l’exemple de Dion, nous distinguons trois sortes de mots : 1° ceux qui ont des cas; 2° ceux qui ont des temps; 3° ceux qui n’ont ni cas ni temps. Aristote distingue deux parties d’oraison, les vocables et les verbes ; les vocables, comme: un homme, un cheval; les verbes, comme : il lit, il court. — 12. De ces deux espèces de mots, les uns sont principaux, et les autres secondaires : principaux, comme : un homme, il écrit; secondaires, comme savant, savamment. On dit, en effet : un homme savant, il écrit savamment. Viennent ensuite le lieu et le temps, puisqu’on ne peut exister ou faire quelque chose que dans un lieu et dans un temps. Remarquons toutefois que l’idée de lieu se rattache plus particulièrement à l’idée d’être, et l’idée de temps à celle d’action. — 13. Le nom précède donc tous les autres mots; après lui vient le verbe. Nous nous conformerons à cet ordre naturel, et nous commencerons par la déclinaison des noms. 14. Les déclinaisons des noms sont intrinsèques, comme Terentius, Terenti, ou extrinsèques, comme equus (cheval), equiso (écuyer). Les uns désignent les mêmes choses; les autres, des choses différentes. Les déclinaisons intrinsèques sont relatives ou à la chose dont on parle ou à la personne qui parle. Dans le premier cas, elles dérivent de la chose entière ou d’une partie de la chose : de la chose entière, comme homunculus (petit homme), de homo (homme); capitulum (petite tête), de caput (tête); homunculi (hommes), de homo, et, en sens inverse, cervix (cou), qu’on trouve dans les poèmes d’Hortensius, de cervices, dont le singulier n’est pas en usage. — 15. Ou d’une partie de la chose, soit du corps, comme mammosae (qui a de grosses mamelles), de mamma (mamelle); manubria (un manche), de manus (main); soit de l’âme, comme prudens (prudent, savant), de prudentia (prudence, science); ingeniosi (spirituels), de ingenium (esprit). Ces mots ne désignent que des sentiments calmes; mais, pour en exprimer de plus vifs, l’âme a donné naissance à strenui (actifs, courageux), par exemple, de strenuitas (activité, courage); à nobiles (nobles), de nobilitas (noblesse). Ainsi de pugnare (lutter) on a fait pugiles (lutteurs); de currere (courir), cursores (coureurs). De même que les déclinaisons se tirent tantôt de l’âme, tantôt du corps, elles se tirent aussi de choses extérieures, comme pecuniosi (riches en argent), agrarii (riches en terres). 16. Les déclinaisons relatives à la personne qui parle ont pour fin de lui donner le moyen de déterminer, en parlant d’une autre, ce qu’on appelle le nominatif, le datif, l’accusatif, et les autres modifications de noms qui ont passé de la langue grecque dans la nôtre. On s’accorde à en reconnaître cinq : le nominatif, Hercules; l’ablatif, Hercule; l’accusatif, Herculem; le datif, Herculi; le génitif, Herculis. — 17. A l’égard des adjectifs, comme les qualités qu’ils désignent peuvent être plus ou moins prononcées dans le sujet auquel ils se rapportent, on a créé une autre espèce de déclinaison, comme candidum (blanc), candidius (plus blanc), candidissimum (très blanc); et ainsi des autres adjectifs. — 18. Les déclinaisons extrinsèques sont, par exemple, equile (écurie), de equus (cheval); ovile (bergerie), de ovis (brebis), etc. : au contraire de celles dont j’ai parlé plus haut, et qui consistent à changer pecunia en pecuniosus, urbs (ville) en urbanus (urbain), ater (noir) en atratus (noirci). Au nombre des déclinaisons extrinsèques il faut ranger aussi celles qui d’un nom d’homme font un nom de lieu, et réciproquement, comme: Roma, de Romulus, et Romanus, de Roma. — 19. Les déclinaisons qui ont pour principe une chose extérieure sont assez variées. Ainsi autre est la déclinaison d’un nom de famille, comme Latonius (fils de Latone), Priamidae (fils de Priam); autre est la déclinaison qui pour principe une action, comme proeda (proie), de proedari (voler, pilier); merces (récompense), de mereri (mériter), etc. Je pourrais citer d’autres exemples de cette espèce de déclinaison; mais comme il est facile de s’en rendre raison, et que d’ailleurs il me reste beaucoup à dire, je passe à un autre point. [8,20] La distinction du temps en passé, présent et futur, a donné naissance à une triple déclinaison du verbe : saluto (je salue), salutabam (j’ai salué), salutabo (je saluerai). De même la distinction de la personne qui parle, de celle à qui l’on parle, et de celle de qui l’on parle, a également donné naissance à une déclinaison correspondante. Je parlerai de ces deux sortes de déclinaisons en traitant de l’abondance des mots. 21. Des trois points que je m’étais proposé de considérer, j’en ai traité deux, savoir : la raison et la forme des déclinaisons. Il me reste à parler du troisième, c’est-à-dire de leur origine. Considérées sous ce rapport, les déclinaisons sont de deux sortes : volontaires et naturelles. Les déclinaisons volontaires sont celles qui ont pour cause la volonté de chacun. Ainsi, par exemple, trois personnes achètent chacune un esclave à Ephèse: la première donne à son esclave le nom d’Artemidorus ou d’Artemas, du nom du vendeur Artemidorus; la seconde donne au sien celui d’Ion, dérivé d’Ionie, nom de la contrée où l’esclave a été acheté; enfin la troisième choisit celui d’Ephesius, dérivé du nom de la ville d’Ephèse. Ainsi de beaucoup d’autres choses. — 22. Les déclinaisons naturelles, au contraire, sont celles qui ont pour cause, non la volonté particulière de chacun, mais la volonté commune de tous. Ainsi, les noms une fois donnés, tout le monde les décline de In même manière, et dit, par exemple, Artemidorus, Artemidori, etc.; Ion, Ionis, etc.; Ephesius, Ephesii, etc. — 23. Quelquefois, ainsi que je le ferai voir ci-après, ces déclinaisons sont mixtes, c’est-à-dire naturelles et volontaires, et par conséquent disparates dans leurs modifications. Les Grecs et les Latins ont beaucoup écrit sur ce sujet. Les uns veulent qu’on observe ici les lois de l’analogie; les autres veulent qu’on les néglige, et qu’on suive de préférence l’usage commun, ou anomalie. Pour moi, je pense qu’on doit suivre et l’analogie et l’anomalie, selon qu’il s’agit d’une déclinaison naturelle ou d’une déclinaison volontaire. — 24. Je me propose d’écrire six livres sur ces deux sortes de déclinaisons. Dans les trois premiers, je traiterai des règles de ces déclinaisons; dans les trois autres, des conséquences de ces règles. J’exposerai, dans le premier de ceux qui auront pour objet les règles des déclinaisons, ce qui a été dit contre l’analogie ou similitude; dans le second, ce qui a été dit contre l’anomalie ou dissimilitude; dans le troisième, ce qui a été dit sur la forme des similitudes. Je consacrerai donc trois livres distincts à la première partie et autant de livres également distincts à la seconde. 25. Conformément à cette division, je vais exposer d’abord (et ce sera l’objet de ce livre) ce qui a été dit contre l’analogie, laquelle est dans les mots, comme scribo (j’écris), par exemple, et scribam (j’écrirai), dico (je dis) et dicam (je dirai), ce qu’elle est dans un jeune homme opposé à un vieillard, dans une jeune fille opposée à une vieille femme, c’est-à-dire un rapport. J’argumenterai d’abord contre l’analogie en général, puis contre l’analogie en particulier, d’après la nature du langage. 26. Tout langage doit avoir pour base l’utilité, laquelle consiste dans la clarté et la brièveté. Ce sont les qualités fondamentales du langage, et sans lesquelles un orateur ne peut que fatiguer ceux qui l’entendent. La clarté fait comprendre les choses; la brièveté les fait comprendre vite. La première de ces qualités ne peut s’acquérir qu’en se conformant à l’usage; la seconde dépend de l’orateur, et d’une volonté qui sait se maintenir dans de justes bornes. Or, ces deux qualités peuvent s’obtenir sans le secours de l’analogie; donc l’analogie est inutile. En effet, on doit se mettre peu en peine de savoir si, d’après l’analogie, il faut dire Herculi ou Herculis au génitif, puisque ces deux locutions sont autorisées par l’usage, et qu’elles sont également courtes et claires. — 27. Il est certain que, après avoir atteint le but d’utilité qui a fait établir une chose quelconque, il est tout à fait oiseux de se préoccuper d’un autre soin. Or si, en se conformant seulement à l’usage, on atteint le but de tout langage, qui est la signification et la clarté, on doit pareillement conclure que l’analogie est superflue. 28. Dans tout ce qui concerne les besoins de la vie, l’utilité est également la seule règle de notre conduite. Ainsi, dans les vêtements des hommes et des femmes, quoique la toge ne ressemble en rien à la tunique, ni l’étole au pallium, on n’a pas laissé d’accepter cette discordance. —29. Pareillement dans les édifices, quoique l’atrium ne ressemble pas au péristyle, ni une chambre à coucher à une écurie, nous acceptons ces dissemblances à cause de l’utilité. C’est pourquoi les salles à manger d’hiver et d’été ont des portes et des fenêtres de forme différente. [8,30] — 30. Si donc dans les vêtements, dans les édifices, dans les meubles, dans les aliments, en un mot dans tout ce qui concerne les besoins de la vie, règne la dissimilitude, pourquoi la condamnerions-nous dans le langage, dont la base fondamentale est l’utilité? 31. On objectera peut-être qu’on doit se proposer dans le langage le double but de la nature, c’est-à-dire l’utilité et la beauté; que, dans nos vêtements, nous recherchons, non seulement un préservatif contre le froid, mais encore l’élégance; que nous aimons à trouver dans une maison, non seulement un abri et un asile, où la nécessité nous contraint à nous réfugier, mais encore un séjour agréable, où le plaisir nous retienne; que nous buvons avec plus de plaisir dans une coupe sculptée par la main habile d’un artiste, que dans une sébille grossière, parce que ce qui suffit aux besoins du corps ne suffit pas à ceux de l’esprit. Loin de favoriser les partisans de la similitude, cette objection, fondée sur l’alliance naturelle de l’utilité et du plaisir, justifie mon opinion; car c’est de la variété que naît le plus souvent le plaisir. — 32. C’est pour cela qu’on revêt d’un vernis différent des chambres de forme pareille, et que les lits n’ont point tous la même grandeur ni la même forme. Si la similitude était une condition nécessaire d’un bel ameublement, tous les lits auraient la même forme; ils seraient tous ornés de colonnes, ou sans colonnes; les lits de table seraient de la même hauteur que les lits destinés au coucher; et la vue d’un ameublement où brille l’ivoire, et que l’art a embelli d’ornements divers, ne réjouissait pas plus nos yeux que celle de ces lits grossiers qui ont presque tous la même forme et sont faits de la même matière. C’est pourquoi, ou il faut nier que la diversité soit agréable, ou, puisqu’on ne saurait nier cette vérité, convenir que, en se complaisant dans la variété du langage, l’usage n’est point contraire à la nature. 33. Si nous sommes forcés d’observer l’analogie, nous avons à suivre ou celle qui est adoptée par l’usage, ou celle qui ne l’est pas. Dans le premier cas, nous n’avons pas besoin de préceptes, parce que, si nous suivons l’usage, l’analogie usuelle nous suivra d’elle-même; dans le second cas, nous sommes dans la nécessité de recourir à l’art. Supposez deux mots, comme Juppitri et Maspitrem : en dépit de votre répugnance, vous ne pouvez que suivre l’usage; car celui qui, dans ces deux mots, voudrait substituer l’analogie à l’usage, et dire Juppitri, Marspitrem, passerait à bon droit pour insensé. Il faut donc rejeter l’analogie qui n’est pas sanctionnée par l’usage. 34. S’il est vrai que des mots semblables doivent nécessairement avoir des dérivés semblables, il s’ensuit que des mots dissemblables doivent produire des dérivés dissemblables ce qui pourtant n’a pas lieu; car des mots semblables produisent des dérivés tantôt semblables, tantôt dissemblables, et réciproquement. Ainsi bonus et malus ont produit bonum et malum; mais lupus (loup) et lepus (lièvre) ont produit lupo et lepori. Ainsi Priamus et Paris ont pour datifs Priamo, Pari; et Jupiter et avis (brebis), Jovi et ovi. 35. Bien plus, non seulement des mots semblables ont des dérivés dissemblables, mais les mêmes mots ont aussi des dérivés dissemblables; et non seulement des mots dissemblables ont des dérivés semblables, mais des mots dissemblables ont aussi les mêmes dérivés. Ainsi, quoique le nom d’Albe soit commun à deux villes, les habitants de l’une s’appellent Albani, et les habitants de l’autre, Albenses. Le nom d’Athènes est commun à trois villes, et cependant les habitants de ces trois villes s’appellent Athenaei, Athenaeis, et Athenaeopolitae. 36. On voit donc que des mots dissemblables ont très souvent les mêmes dérivés, comme luam, par exemple, accusatif de lua (expiation des Saturnales) et futur du verbe luo (laver, expier). La plupart des noms d’hommes et de femmes sont dissemblables au nominatif pluriel, comme Terentiei, Terentiae; et semblables au datif du même nombre pour les deux genres, comme Terentieis, Terentieis. Plautus et Plautius, dissemblables au nominatif, sont semblables au génitif, Luci Plauti et Marci Plauti. 37. Enfin, si l’on cherche la raison de l’analogie dans le nombre des mots semblables, elle doit être considérée moins comme une règle que comme une exception, parce que le nombre des mots dissemblables est beaucoup plus grand que celui des mots semblables. — 38. En effet, si l’analogie est une loi du langage, elle affecte ou le langage entier ou seulement une partie; et si elle n’affecte pas le langage entier, il importe peu qu’elle en affecte une partie, de même que la blancheur des dents d’un Ethiopien ne suffit pas pour le faire ranger dans la classe des hommes blancs. Donc l’analogie n’est point une loi du langage. 39. Suivant les partisans de l’analogie, il est facile d’observer la similitude dans la dérivation; et cette similitude résulte de celle des genres, des formes et des cas. Or, ceux qui définissent ainsi l’analogie ignorent deux choses : en quoi consiste véritablement la similitude, et à quoi elle se reconnait. Donc, puisqu’ils ne peuvent nous indiquer la voie qu’il faut suivre, nous ne devons tenir aucun compte de ce qu’ils disent. [8,40] — 40. Je leur demanderai, en effet, si la vertu d’un mot consiste dans le son des syllabes qui frappe l’oreille, ou dans la signification que perçoit l’intelligence, ou dans ces deux parties du mot. Si le son doit être semblable au son, il importe peu que ce qu’il signifie soit masculin ou féminin, que ce soit un nom ou un vocable, quoique, suivant mes adversaires, ces deux sortes de mots soient différentes. — 41. Si c’est, au contraire, dans la signification que doit exister la similitude, Diona et Theona, qui, à leurs yeux, sont presque identiques, deviennent pourtant dissemblables, si, entre autres exemples, l’un de ces noms désigne un enfant, et l’autre un vieillard; celui-ci un homme blanc, celui-là un Ethiopien. Si la similitude doit affecter et la forme et la signification du mot, on aura de la peine à trouver un exemple de cette double analogie. Ainsi Perpenna et Alphena ne la renferment pas; car Perpenna est un nom d’homme, et Alphena un nom de femme. Donc, puisqu’ils ne peuvent montrer en quoi consiste la similitude, en affirmant que les analogies existent, ils mentent évidemment. — 42. Ils ignorent également, comme je l’ai déjà dit, à quoi se reconnaît la similitude, et ils sont convaincus de leur ignorance par eux-mêmes; car ils enseignent que la similitude ou la dissimilitude des cas directs s’observe en passant du nominatif au vocatif. Ce raisonnement est de la force de celui d’un homme qui, en voyant deux jumeaux, dirait qu’il ne peut juger s’ils se ressemblent ou non, tant qu’il n’a pas vu ceux dont ils sont nés. — 43. Or, pour juger si deux choses que l’on compare sont plus ou moins semblables, il n’est pas nécessaire de chercher ailleurs un point de comparaison. Donc, puisqu’ils ignorent à quoi la similitude se reconnaît, ils sont incompétents sur cette matière. J’aurais traité ce point avec plus de clarté, si, ayant à y revenir ultérieurement, je n’eusse voulu avant tout être bref. Il me suffit donc d’avoir touché ce qui regarde la nature générale des mots. 44. Je passe aux différentes parties de l’oraison; et comme les grammairiens en distinguent un plus ou moins grand nombre, j’adopterai la division la plus usuelle. L’oraison se divise naturellement en quatre sortes de mots ceux qui ont des cas, ceux qui ont des temps, ceux qui n’ont ni cas ni temps, et enfin ceux qui ont à la fois des cas et des temps. On appelle ces différents mots appellatifs, comme Nestor, homo (homme) ; indicatifs, comme scribo (j’écris), lego (je lis); adminiculatifs, comme docte (savamment), commode (convenablement), conjonctifs, comme et, que. 45. Les mots appellatifs sont de quatre espèces: provocables, comme qui, quae; vocables, comme scutum (bouclier), gladius (glaive) ; noms, comme Romulus, Remus; pronoms, comme hic, haec (celui-ci, celle-ci). Les vocables et les noms sont aussi appelés nominats, et les deux autres espèces, articles. Les premiers sont indéfinis; les seconds, quasi-indéfinis; les troisièmes, quasi-définis; et les derniers, définis. — 46. Chacune de ces espèces de mots se subdivise encore en trois parties relatives au genre, au nombre et au cas. Le genre est masculin, féminin ou neutre, comme doctus, docta, doctum; le nombre est au singulier ou pluriel, comme hic, hi; haec, hae; le cas est, ou direct, comme Marcus; ou oblique, comme Marco; ou commun, comme Jovis. 47. Considérez maintenant chaque partie de l’oraison isolément, et vous verrez que partout les traces de l’analogie sont interrompues. Ainsi elle nous présente comme principe la triple forme du genre: humanus, humana, hunanum; puis, nous rencontrons des mots qui ne comportent que les deux premières formes, comme cervus, cerva; et enfin des mots qui n’en comportent qu’une, comme aper, etc. L’analogie ne se retrouve donc pas ici. — 48. Dans le nombre, pater et patres, par exemple, nous offrent la duplicité comme une règle générale; mais cicer (pois), siser (chervis), et beaucoup d’autres, n’ont point de pluriel; salinae (salines), balneae (bains), etc., n’ont point de singulier. Réciproquement, balneum, usité au singulier, ne l’est point au pluriel. Ce mot, qui est de la même classe que praedium, devrait faire, au pluriel, balnea, comme praedium fait praedia; et cependant cela n’a pas lieu. Donc, l’analogie manque encore ici. — 49. Il y a des mots qui ont à la fois des cas directs et obliques, comme Juno, Junonis; il yen a d’autres qui n’ont que le cas direct, comme Jupiter, Maspiter, et d’autres qui n’ont que les cas obliques, comme Jovis, Jovem. L’analogie ne se retrouve pas non plus dans ces mots. [8,50] Recherchons-la encore dans les quatre espèces de mots que j’ai définies plus haut. D’abord, si l’analogie existait dans les articles indéfinis, de même que l’on dit quis, quem, quoius, on devrait dire qua, quam, quaius; et de même que l’on dit quis, qui, on devrait dire qua, quae. Il y a en effet un rapport naturel entre deae bonae quae sunt, et dea bona qua est, comme entre quem, quis et quos, ques; de sorte qu’on devrait dire ques homines, au lieu de qui homines, que l’usage a consacré. — 51. De même que l’on dit is, ei, au masculin, on devrait dire ea, eae, au féminin, au lieu de ea, ei; de même encore, au lieu de us pour les deux genres, on devrait dire iis pour le masculin, et eis pour le féminin; enfin, puisqu’on dit is, ea, au nominatif, l’analogie voudrait que le génitif féminin fût eaius; et cependant on dit eius non seulement pour le masculin et le féminin, mais encore pour le neutre: eius viri, eius mulieris, eius pabuli, quoique le nominatif ait trois formes distinctes: is, ea, id. Je n’ai fait qu’effleurer cette partie, qui est très épineuse, persuadé que les copistes la reproduiraient avec peu d’exactitude. 52. Je passe aux mots qui tiennent le plus de la nature indéfinie des articles, et qu’on appelle vocables, comme homo, equus. Ces mots sont susceptibles de quatre sortes de déclinaisons: nominative, comme equile (écurie), de equus (cheval); casuelle, comme equus, equum; augmentative, comme album (blanc), albius (plus blanc); diminutive, comme cistula (petit panier), de cista. — 53. La première espèce comprend les vocables, dont le nominatif dérive d’une des quatre parties de l’oraison, comme balneator (baigneur), de balneae (bains). Cette déclinaison a ordinairement trois sources : ou un vocable, comme venator (chasseur), d’où venabulum (épieu); ou un nom, comme Tibur, d’où Tiburs (habitant de Tibur); ou un verbe, comme currere (courir), d’où cursor (coureur). L’analogie, comme vous allez le voir, n’a été observée dans aucun de ces mots. — 54. D’abord, bien que de ovis (brebis) et de sus (porc) on ait fait ovile (bergerie) et suile (toit à porcs), on ne dit pas bovile par dérivation de bos, bovis (bœuf). Bien que avis (oiseau) et ovis se ressemblent, on n’a point formé oviarium de ovis, comme aviarium (volière) de avis, ni réciproquement avile de avis, comme ovile de ovis. De même, cubatio (action de se coucher) a produit cubiculum (chambre à coucher); et sediculum, dérivation naturelle de sessio (action de s’asseoir), n’existe pas. — 55. Si l’analogie s’étendait à toutes les déclinaisons, il s’ensuivrait que, de même que les boutiques où l’on vend du vin, de la craie, ou des parfums, s’appellent vinaria, de vinum; cretania, de creta; et unguentaria, de unguentum, celles où l’on vend de la viande, des peaux, ou des chaussures, devraient s’appeler carnaria, de caro, carnis; pelliania, de pellis; calcearia, de calcei, et non laniena, pellesuina et sutrina. De même encore que unus (un) a produit uni; tres (trois), trini; quatuor (quatre), quadrini, il serait plus conforme à l’analogie de dire duini, dérivé de duo (deux), au lieu de bini. Enfin, duigœ serait plus régulier que bigœ (attelage de deux chevaux), et plus analogue à quadrigœ et trigœ. Je pourrais multiplier les exemples de ce genre, mais ceux que j’ai cités suffisent pour ma démonstration. — 56. Si les vocables qui dérivent des noms étaient également assujettis à la similitude, on devrait dire Romenses et Albenses pour désigner les habitants de Rome et d’Albe, comme on dit Parmenses pour désigner ceux de Parme, puisque les noms de ces trois villes, Parma, Alba, Roma, sont de la même nature; ou, de même qu’on dit Romani et Nolani (habitants de Nole), on devrait dire Parmani pour désigner ceux de Parme, puisque les noms de ces trois villes, Roma, Nola, Parma, sont pareillement de même nature. Pourquoi ne dirait-on pas non plus Ilienus par dérivation d’Ilium, aussi bien que Pergamenus, dérivé de Pergamum; Pergamus et Pergama pour le masculin et le féminin, aussi bien que Ilius et Ilia ? Enfin, pourquoi ne dirait-on pas Libyatici par dérivation de Libya, avec autant de raison que Asiatici, dérivé de Asia? 57. Quant aux vocables dérivés des verbes, comme scriptor (écrivain), de scribere (écrire); lector (lecteur), de legere (lire), même anomalie dans leur déclinaison. Ainsi amare (aimer) a donné naissance à amator; salutare (saluer), à salutator; cantare (chanter), à cantator; on dit encore lassus sum METENDO, FERENDO (je suis las de moissonner, de porter); et cependant l’analogie ne se retrouve pas dans les vocables dérivés de metendo et ferendo; car on ne dit pas fertor, de même qu’on dit messor (moissonneur). Je pourrais citer une infinité de mots de cette espèce, où l’usage prévaut contre l’analogie. 58. Il existe en outre des vocables dérivés également des verbes, mais différents des vocables dont je viens de donner des exemples, en ce qu’ils ont à la fois des cas et des temps : ce qui leur a fait donner le nom de participes. La plupart de ces vocables ont les deux natures du verbe, comme amo (j’aime) et amor (je suis aimé), seco (je coupe) et secor (je suis coupé). Or, le verbe actif amo et tous les autres verbes de cette nature ont un participe présent et un participe futur, comme amans (aimant) et amaturus (devant aimer); mais ils n’ont point de participe qui désigne le passé, ayant aimé, par exemple: ce participe n’existe pas dans la langue latine. L’analogie manque donc ici comme ailleurs. Les verbes passifs amor (je suis aimé), legor (je suis lu), et tous les autres verbes de cette nature, ont un participe passé, comme amatus (ayant été aimé), et n’ont ni participe présent ni participe futur. — 59. L’analogie ne se retrouve pas davantage dans les verbes qui, comme loquor (je parle), venor (je chasse), ont, dans certains modes, la signification active avec la forme passive, et dans d’autres, comme le participe présent et le participe futur, une forme et une signification analogues. Ainsi on dit loquens et venans, locuturus et venaturus : ce qui implique contradiction par rapport à loquor et venor. L’analogie est d’autant moins observée dans les verbes que j’ai cités, que, parmi ceux qui n’ont point la double nature de l’actif et du passif, les uns ont trois formes, comme ceux dont j’ai parlé, et les autres n’en ont que deux, comme currens, ambulans; cursurus, ambulaturus; quant au participe passé, il n’existe pas dans ces verbes. [8,60] — 60. On chercherait aussi en vain l’analogie dans les verbes fréquentatifs; car par exemple, on dit cantilans, par dérivation de cantare, on ne dit pas amitans, dérivation non moins naturelle de amare. Cette anomalie affecte non seulement le singulier, mais encore le pluriel. Ainsi on dit cantitantes, et l’on ne dit pas seditantes. 61. Comme il existe une espèce de vocables qu’on appelle composés, et que, selon mes adversaires, ou ne doit pas les comparer avec les mots simples, dont je me suis seulement occupé jusqu’à présent, je discuterai cette espèce de mots isolément. Tibicines (joueurs de flûte), par exemple, est composé de tibia (flûte) et de canere (chanter, jouer de) pourquoi de cithara (luth), de psalterium (instrument à cordes), ou de pandura (id.), ne formerait-on pas citharicen, etc., si l’analogie est une loi invariable? Pourquoi, à l’imitation de oedilumus (gardien d’un temple), composé de aedes (temple) et de tueri (garder), ne dirait-on pas atritumus, par dérivation de atrium et de tueri, plutôt que atriensis (portier), que l’usage a préféré? On dit bien auceps (oiseleur), de avis (oiseau) et de capere (prendre) : pourquoi ne dirait-ou pas pisceps, de piscis (poisson) et de capere? — 62. Les fourneaux où l’on purifie le cuivre, ubi laveturoes, s’appellent ceraria, et cependant l’analogie exigerait œrelavinœ. On dit argentifodinae (mine d’argent), et l’on ne dit pas ferrifodinae pour désigner une mine de fer. Lapidicida (tailleur de pierres) est usité, et lignicida, dérivation naturelle de lignun (bois) et de caedere (couper), ne l’est pas. On dit aurifex (orfèvre), et l’on ne dit pas argentifex. De même que doctus (savant) a pour corrélatif indoctus (ignorant), salsus (piquant, spirituel) devrait avoir pour corrélatif insalsus; et cependant on dit insulsus (fade, sot). Il est facile de tirer des conséquences de ces anomalies. 63. Il me reste à parler des cas, sur lesquels les partisans d’Aristarque insistent avec le plus d’opiniâtreté. Et d’abord, comme ils doivent le savoir, la loi de l’analogie veut que tous les noms et tous les articles aient le même nombre de cas. Or, les uns, comme les noms des lettres de l’alphabet, n’ont qu’un seul cas; les autres en ont trois, comme praedium, praedii, praedio ; ceux-ci en ont quatre, comme mel, mellis, melli, melle; ceux-là en ont cinq, comme quintus, quinti, quinto, quintum, quinte; enfin d’autres en ont six, comme unus, unius, uni, unum, une, uno. Où est l’analogie? 64. Je demanderai aussi avec Cratès pourquoi, à l’exemple des Grecs, qui donnent des cas aux noms des lettres, nous ne disons pas alpha, alphati, alphatos. Si l’on me répond, comme à Cratès, que les noms de nos lettres ne sont pas latins, mais tout à fait étrangers, je demanderai à mon tour pourquoi les Grecs déciment les noms qu’ils ont empruntés aux Latins, aux Perses et aux autres peuples étrangers. — 65. Car s’ils suivaient l’analogie, ils devraient ne donner qu’un seul cas aux mots phéniciens et égyptiens, et en donner plusieurs aux mots gaulois et autres. Car on dit, par déclinaison d’alauda, alaudas; et ainsi d’autres mots. Si, d’un autre côté, mes adversaires m’objectent, ainsi qu’ils l’ont écrit, que les noms des lettres grecques ne doivent avoir qu’un seul cas, parce qu’elles viennent des Phéniciens, je leur demanderai pourquoi les Grecs ne donnent que cinq cas, au lieu de six, aux mots qu’ils nous empruntent. Or cela est une anomalie. 66. D’après l’analogie, les cas, suivant eux, devraient avoir une seule forme; et cependant il n’en est pas ainsi. Car l’usage permet de dire également ovi, avi, et ave, ove, à l’ablatif singulier; puppis, restis, et puppes, restes, au nominatif pluriel; civitatum, parentum, et civitatium, parentium, au génitif pluriel; montes, fontes, et montis, fontis, à l’accusatif pluriel. 67. Si, d’après la loi de l’analogie, des mots semblables doivent produire des dérivés semblables, et qu’on fasse voir néanmoins qu’il n’en est pas ainsi dans la réalité, il s’ensuit qu’on ne doit tenir aucun compte de cette loi. Or, on peut faire voir qu’il n’en est pas ainsi. Quoi de plus semblable, en effet, que gens, mens, dens? Cependant le génitif et l’accusatif pluriel de ces mots ne se ressemblent pas; car on dit, au génitif, gentium, mentium, dentum, et, à l’accusatif, gentis, mentes, dentes. — 68. Pareillement, puisque sciurus (écureuil), lupus (loup) et lepus (lièvre), sont semblables au nominatif, pourquoi ne dirait-on pas au datif, d’après l’analogie, sciuro, lupo, lepo? Si l’on répond que cela tient à ce que l’on dit au vocatif sciure, lupe, lepus (car je ne fais ici que reproduire la réponse d’Aristarque à Cratès, qui prétendait que Philomedes, Heraclides, Melicertes, étaient des mots semblables, et à qui Aristarque objecta qu’ils ne l’étaient pas, parce que, au vocatif, g-Philomehdehs fait g-Philomehdes; g-Herakleidehs fait g-Herakleideh; g-Melikertehs fait g-Melikerta ; si l’on répond, dis-je, que cela tient à ce que ces mots ne sont pas semblables au vocatif, cette réponse prouve que celui qui la fait ne comprend pas ce dont il est question. — 69. Car répondre que des mots ne sont pas semblables au nominatif parce qu’ils sont dissemblables dans les cas obliques, c’est se placer en dehors des choses que l’on compare, pour savoir si ces choses se ressemblent ou non. [8,70] — 70. Poursuivons. Puisqu’on dit aves, oves, sues, pourquoi ne dirait-on pas ovium, avium, suium? Pourquoi dit-on dii Penates, dii Consentes, et non dei, comme rei, ferrei, puisqu’on dit au nominatif singulier deus, reus, ferreus? — 71. Deorum Consentium ne serait-il pas plus conforme à l’analogie que deum Consentum? denariorum, que denarium? On dit en effet denarius, comme Vatinius, Manilius : pourquoi ne dirait-on pas denariorum, comme Vatiniorurn, Maniliorum? mille assariorum, plutôt que mille assarium (mille as), prix du louage d’un cheval public? car assarius, dont le nominatif pluriel est assarii, devrait faire régulièrement assariorum. — 72. La seconde syllabe de Hectorem, Nestorem, accusatifs de Hector, Nestor, devrait être longue, comme dans quaestorem, praetorem, accusatifs de quœstor, praetor. Où est l’analogie entre quibus et his? Pourquoi ne dirait-on pas hibus quibus, à l’imitation de his quis, ei qui? — 73. On dit, il est vrai, patrifamiliai, mais, d’après l’analogie, on ne devrait pas dire paterfamilias, mais paterfamiliae; car familia devrait faire au génitif familiae, de même que Atinia, scatinia, font Atiniae, scatiniae. On ne devrait pas dire non plus, au pluriel, patres familias, mais, comme Sisenna l’écrit, patresfamiliarum. — 74. On a tort également d’observer l’usage, et de dire boum ou boverum, Joum ou Joverum, en parlant de troupeaux de bœufs ou de statues de Jupiter : ce qui constitue une anomalie avec Jovis, bovis, struis; Jovem, bovem, struem; Jovi, bovi, strui; et l’accord de ces mots dans les cas obliques aurait dû se retrouver dans les cas directs; tandis que l’usage, au contraire, a substitué Juppiter à Jovis, bos à bovis, strues à strus. — 75. Je passe à la seconde espèce de déclinaison, comme album, albius, albissimum, qui est aussi un sujet de dispute entre les grammairiens. Là, comme ailleurs, l’analogie et l’usage se contrarient. Ainsi, par exemple, salsum et caldum font salsius et caldius, salsissimum et caldissimum; et cependant bonum et malum, qui devraient faire, par analogie, bonius et malius, bonissimum et malissimum, font melius et optumum, pejus et pessimum. — 76. Tantôt les trois degrés se trouvent réunis : dulcis (doux), dulcior, dulcissimus. Tantôt le premier manque: pejus, pessimum. Tantôt c’est le second : coesius (bleu), coesissimus. Enfin, mane (matin), optimum (très bon), melius (meilleur), n’ont point de corrélatifs. — 77. On dit macer, macerrimus; sacer, sacerrimus; tener, tenerrimus; mais l’analogie ne se retrouve plus dans le second degré: macrior et tenerior, dont l’un a trois syllabes, et l’autre quatre. On dit encore candidissimus, candidissima; pauperrumus, pauperrima; et l’on ne dit pas pauper, PAUPERA, à l’imitation de candidus, CANDIDA. Pourquoi l’usage n’a-t-il pas adopté frugalissimus, frugalissima; frugus, fruga, conformément à doctus, docta; doctissimus, doctissima? — 78. Sapiens et diligens, sapientior et diligentior, se disent pour le masculin et le féminin; mais au superlatif il n’en est plus de même, et l’on dit sapientissimus, diligentissimus, pour le masculin; sapientissima, diligentissima, pour le féminin. Je pourrais multiplier les exemples; mais ceux que je viens de donner suffisent pour démontrer que l’analogie n’est point une loi dont on ne puisse se départir. 79. Dans les déclinaisons qui indiquent la diminution, comme cista (panier), cistula, cistelia, la similitude est également en défaut. Ainsi dans macer, macriculus, macellus; niger, nigriculus, nigellus, le second degré n’est point conforme à l’analogie. Dans avis, avicula, avicella; caput, capilulum, capitellum, même défaut de rapport entre le dernier degré et les deux autres. Les nombreuses dissimilitudes qui se rencontrent dans cette espèce de déclinaisons prouvent que, ici comme ailleurs, L’usage doit être préféré à l’analogie. C’est la conclusion générale qu’il faut tirer de tout ce que j’ai dit relativement aux quatre espèces de vocables. [8,80] Il me reste à parler des noms, qui, comme je l’ai fait remarquer, différent des vocables, en ce qu’ils sont définis et désignent des choses propres, comme Paris, Helena, tandis que les vocables sont indéfinis et désignent des choses générales, comme vir, mulier. Les noms dérivent, ou d’autres noms, comme Ilium, de Ilus; Ilia, de Ilium; ou de vocables, comme Albius, de albus (blanc); Atrius, de ater, atri (noir). Or, cette déclinaison n’a aucun rapport avec celle de Roma, dérivée de Romulus. — ... 81 … On devrait dire Perpernus, et non Perperna, dont la terminaison indique un nom féminin, de même qu’on dit Arvernus et Arverna, Percelnus et Percelna. Que si l’on dit Marcus Perperna, il faudrait dire, par analogie, Lucius Aelia et Quintus Mutia. Enfin, de même que l’on dit, par exemple, Rhodius, Andrius, par dérivation de Rhodos et Andros, pourquoi ne dirait-on pas Cyzicius, au lieu de Cyzicenus? car ... — 82 ... Athenaeus est le nom d’un rhéteur, quoique ce rhéteur ne soit pas d’Athènes, et ici l’analogie manque encore; car, parmi les noms propres, les uns sont empruntés à la ville natale; les autres n’ont pas cette origine; les autres enfin sont empruntés à des villes qui n’ont pas vu naître ceux qui les portent. — 83. Dans les villes municipales, la plupart des affranchis doivent leurs noms à celui de la ville où ils ont reçu la liberté, tandis que les esclaves des collèges et des temples, après leur affranchissement, empruntent leur nom nouveau à une autre circonstance. De même qu’un affranchi de Faventia est appelé Faventius; un affranchi de Réate, Reatinus, on aurait dû appeler Romanus un affranchi de Rome; mais l’usage, qui ne tient pas compte de l’analogie, a fait appeler Romanenses les affranchis, nés d’esclaves publics, qui n’ont pas encore reçu le nom particulier que le magistrat, qui les affranchit, doit leur imposer. — 84. De là les noms de Lesas, Ufenas. Carinas, Moecenas, qui ...