[51,0] LI. Sères. Laine sérique. En se dirigeant de l'Océan Scythique et de la mer Caspienne vers l'océan Oriental, on trouve d'abord dans ce pays des amas de neige, puis d'immenses solitudes, puis l'affreuse nation des Anthropophages, et enfin un pays infesté de bêtes féroces qui rendent près de la moitié de la route inaccessible. Tous ces obstacles ne disparaissent qu'à une montagne qui domine la mer, et que les barbares appellent Tabis ; et puis viennent encore des déserts. Sur cette plage, du côté de l'orient d'été, les Sères sont le premier peuple que l'on connaisse ; les feuilles de leurs forêts sont couvertes d'un duvet d'une grande délicatesse, qu'on ne peut employer qu'en l'imbibant d'eau, et dont on fait des tissus. C'est ce que l'on nomme le tissu sérique, admis à notre honte dans nos usages, et qui sert à montrer les corps plutôt qu'à les vêtir ; employé d'abord par les femmes, il a été ensuite adopté par les hommes : triste effet de coupables penchants ! Les Sères sont d'un caractère doux, très pacifiques entre eux ; mais ils fuient l'approche des autres hommes : ils se refusent à des rapports avec les autres peuples. Toutefois les marchands de cette nation traversent leur fleuve ; et sur ses bords, sans qu'il y ait aucun commerce de langage entre les parties, ils livrent leurs richesses à ceux qui les apprécient, mais ils n'achètent rien qui vienne de nos contrées. [52,0] LII. Nation des Attaques. Vient ensuite le golfe Attacénien, et la nation des Attaques, à qui le ciel le plus doux a départi un climat privilégié. Ils n'ont à craindre aucun vent nuisible, protégés qu'ils sont par des collines exposées au soleil, qui éloignent tout souffle pernicieux ; et par cela même, à ce qu'assure Amomète, ils ont le même genre de vie que les Hyperboréens. Entre eux et les Indiens, les savants ont placé les Cicones. [53,0] LIII. De l'Inde ; du caractère et des moeurs de ses habitants ; de la douceur du ciel ; de la nature du sol, des serpents indiens, de l'animal dit leucrocotte, de l'éale, des taureaux indiens, de la mantichore, des boeufs de l'Inde, du monocéros, des anguilles du Gange, des vers du Gange, de la baleine de l'Inde, du physétère, du perroquet, des bois, du figuier et des roseaux de l'Inde, des arbres insulaires de l'Inde, de l'arbre à poivre, de l'ébène, du diamant, des pierres dites béryl, chrysobéryl, chrysoprase, hyacinthizonte. Aux monts Émodes commence l'Inde, qui s'étend de la mer du Midi à l'est, et dont la salubrité tient à l'influence du vent d'ouest. Deux fois l'année elle jouit de l'été ; deux fois elle récolte des fruits, et, comme si c'était l'hiver, les vents étésiens y soufflent. Posidonius la croit située vis-a-vis de la Gaule. Il ne peut certes y avoir rien de douteux sur ce pays : car révélé par les conquêtes d'Alexandre et par les excursions des rois ses successeurs, il nous est parfaitement connu. Megasthène, qui resta quelque temps auprès des rois de l'Inde, a écrit l'histoire de ce pays, pour transmettre à la postérité ce qu'il avait observé. Denys, qui de son côté fut envoyé par le roi Philadelphe dans le but d'éclaircir la vérité, a raconté les mêmes choses. Ils disent donc qu'il y avait dans l'Inde cinq mille villes importantes, et neuf mille peuples. Longtemps on l'a regardée comme une troisième partie du monde. Que l'on ne s'étonne pas du nombre des habitants ou des villes de l'Inde, puisque les indigènes de ce pays sont, parmi les nations, les seuls qui ne se sont jamais éloignés du sol où ils sont nés. C'est Bacchus qui le premier entra dans l'Inde ; et c'est lui, en effet, qui le premier soumit les Indiens. De Bacchus à Alexandre, on compte six mille quatre cent cinquante et un ans et trois mois, d'après un calcul établi sur le nombre des cent cinquante-trois rois, qui, dans cet intervalle, ont occupé le trône. Les fleuves les plus considérables de l'Inde sont le Gange et l'Indus. Le Gange, selon quelques auteurs, vient de sources incertaines et, sous ce rapport, ressemble au Nil, d'autres le font venir des montagnes de Scythie. Là aussi se trouve un fleuve célèbre, l'Hypanis, où finit la marche d'Alexandre, comme le prouvent les autels élevés sur ses bords. La plus petite largeur du Gange est de huit mille pas ; la plus grande de vingt mille ; sa profondeur la moins considérable de cent pieds. Les Gangarides sont le dernier peuple de l'Inde. Leur roi dispose pour la guerre de mille cavaliers, de sept cents éléphants, et de soixante mille fantassins. Parmi les Indiens, quelques-uns s'adonnent à la culture, un grand nombre à la guerre, d'autres au commerce ; les plus marquants et les plus riches veillent aux intérêts de l'État, rendent la justice, assistent au conseil des rois. En ce pays, la sagesse suprême consiste, quand on est rassasié de la vie, à périr volontairement sur un bûcher. Il y a des Indiens qui se sont choisis un genre de vie des plus rudes : ils habitent les bois, prennent et domptent les éléphants, qu'ils dressent au labourage et dont ils font leur monture. Il y a dans le Gange une île très populeuse, et qui contient une nation considérable, dont le roi a sous les armes cinquante mille fantassins et quatre mille cavaliers. Tous ceux qui sont revêtus du pouvoir royal ne s'occupent d'exercices militaires qu'avec un grand déploiement d'éléphants, de cavaliers, de fantassins. Les Prasiens, peuple puissant, ont pour capitale Palibotra, ce qui leur a fait donner, par quelques auteurs, le nom de Palibotres. Le roi entretient continuellement une armée de soixante mille fantassins, de trente mille cavaliers et de huit mille éléphants. Au-delà de Palibotra est le mont Matée, où l'ombre a tour à tour deux directions, l'une au nord pendant l'hiver, l'autre au sud pendant les six mois de l'été. La grande Ourse, en ce pays, ne paraît qu'une fois l'année, et pas plus de quinze jours, comme l'atteste Béton, qui ajoute que cela a lieu sur beaucoup d'autres points de l'Inde. Les habitants des bords de l'Indus, du côté du midi, sont brûlés plus que les autres par la chaleur du soleil : leur teint en est la preuve. Les Pygmées occupent les montagnes. Les peuples qui avoisinent l'Océan n'ont point de rois. Les Pandes sont gouvernés par des femmes ; leur première reine fut, dit-on, la fille d'Hercule. La ville de Nysa appartient aussi à cette contrée, ainsi qu'une montagne, consacrée à Jupiter, et du nom de Méros. C'est dans une grotte de cette montagne que fut élevé Bacchus, disent les anciens de l'Inde ; c'est le nom de Méros qui a accrédité ce bruit fabuleux, que Bacchus était né de la cuisse de Jupiter. Au-delà de l'embouchure de l'Indus sont deux îles, Chrysé et Argyre, où abondent les mines, à tel point que quelques écrivains prétendent que le sol même est de l'or et de l'argent. Les Indiens ont une longue chevelure, qu'ils teignent d'une couleur d'azur ou de safran. Leur principal luxe est dans les pierres précieuses. Chez eux, point de funérailles pompeuses. En outre, d'après les livres des rois Juba et Archelaüs, autant diffèrent les moeurs de ces peuples, autant diffèrent leurs vêtements : les uns portent des habits tissus de lin ; les autres, tissus de laine ; les uns vont tout nus ; les autres ne cachent que les parties sexuelles ; d'autres s'enveloppent d'écorces flexibles. Quelques-uns sont d'une stature si haute, qu'ils montent des éléphants, comme on monte des chevaux. Pour les uns, c'est un devoir de ne point tuer l'animal, de s'abstenir de toute chair ; pour d'autres le poisson est la seule nourriture, et ils ne vivent que de la mer. Il en est qui tuent leurs proches et leurs parents, comme on tue des victimes, avant que la vieillesse ou la maladie les aient fait maigrir ; puis ils mangent la chair de ces victimes, ce qui, dans ce pays, au lieu d'être un crime, est un acte de piété. Il y en a qui, lorsque la maladie les surprend, s'isolent, et vont loin de la société des hommes attendre tranquillement la mort naturelle. Le pays des Astacanes produit des forêts de lauriers, des bois de buis; il est fort abondant en vignes, et en toute sorte d'arbres gracieux. Les Indiens ont des philosophes qu'ils nomment gymnosophistes, qui, du matin jusqu'au soir, regardent fixement le soleil, même lorsqu'il est le plus éclatant, cherchant à surprendre dans ce globe de feu quelques secrets, et qui se tiennent tout le jour tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre dans des sables brûlants. Au mont Nulus sont des hommes qui ont les pieds tournés en arrière, et huit doigts à chaque pied. Megasthène dit que sur diverses montagnes de l'Inde les habitants ont des têtes de chien, qu'ils sont armés de griffes, vêtus de peaux de bêtes ; qu'ils n'ont pas de langage humain, mais qu'ils font seulement entendre des aboiements, en ouvrant une gueule menaçante. On lit dans Ctésias, qu'il y a des femmes, en ce pays, qui n'accouchent qu'une seule fois, et que leurs enfants ont les cheveux blancs dès le moment de leur naissance ; qu'il y a aussi un autre pays dont les habitants ont les cheveux blancs quand ils sont jeunes, noirs quand ils sont vieux, et qui vivent au-delà de notre terme ordinaire. On lit encore que là naissent des hommes qui n'ont qu'une jambe, et qui pourtant sont fort agiles : quand ils veulent se protéger contre une chaleur trop vive, ils se couchent sur le dos et se donnent de l'ombre avec le pied, qu'ils ont énorme. Vers la source du Gange, il y a des hommes qui, pour se nourrir, n'ont besoin d'aucunes ressources : ils ne vivent que de l'odeur des fruits de leurs forêts, et s'ils poursuivent une longue route, ils les emportent pour se nourrir en les sentant. S'il leur arrive de respirer une odeur un peu forte, ils le payent toujours de la vie. On rapporte aussi qu'il y a dans l'Inde des femmes qui conçoivent à cinq ans, mais qui ne vivent pas au-delà de huit. Il y a des hommes sans tête, et qui ont les yeux aux épaules. D'autres, qui vivent dans les forêts, ont le corps velu, des dents de chien, et ne font entendre qu'un effroyable glapissement. Chez ceux de ces peuples où l'on adopte un genre de vie régulier, plusieurs femmes sont les épouses d'un seul homme ; quand l'époux meurt, chacune établit ses droits auprès des juges les plus graves, et quand un arrêt a été rendu en faveur de l'une d'elles par les juges, celle qui a obtenu cet honneur peut allumer, comme elle l'entend, le bûcher du mort, et s'y offrir en sacrifice ; les autres vivent dans une sorte de déshonneur. Les serpents de l'Inde parviennent à une telle grandeur qu'ils avalent tout entiers des cerfs et d'autres animaux de la même taille. Bien plus, ils pénètrent au milieu de l'océan Indien, et abordent, pour y chercher leur nourriture, des îles qu'un long espace sépare du continent. Il est évident qu'il leur faut une grandeur extraordinaire pour arriver, à travers une si vaste étendue, au but qu'ils veulent atteindre. Il y a dans ce pays une foule d'animaux remarquables, dont nous allons faire connaître une partie. La leucrocotte l'emporte en agilité sur tous les autres animaux. Elle a la taille de l'âne sauvage, le derrière du cerf, la poitrine et les jambes du lion, la tête du blaireau, les pieds fourchus, la gueule fendue jusqu'aux oreilles, et, au lieu de dents, un os qui garnit toute la mâchoire. Voilà pour la forme ; quant à la voix, on prétend qu'elle ressemble à celle de l'homme. Là aussi se trouve l'éale, qui, sous bien des rapports, ressemble au cheval, mais qui a la queue de l'éléphant, le poil noir, les mâchoires du sanglier, des cornes de plus d'une coudée de long et qui se prêtent aux mouvements que lui imprime l'animal : mais elles ne restent pas raides ; elles ont la mobilité nécessaire pour le combat ; quand l’éale se bat, il dirige l'une d'elles en avant, et replie l'autre, afin que si la pointe de la première vient à s'émousser, l'autre prenne sa place. On le compare à l'hippopotame ; et en effet il aime aussi l'eau des fleuves. Les taureaux indiens sont de couleur fauve, leur agilité est extrême, ils ont le poil à contre-sens, la bouche fendue jusqu'aux oreilles. Ils ont aussi les cornes mobiles à volonté, une peau dure, impénétrable à toute espèce d'armes, et tellement indomptables qu'une fois pris, ils meurent de rage. Chez les mêmes peuples se trouve la mantichore, qui a une triple rangée de dents, s'engrenant les unes dans les autres, la face de l'homme, les yeux glauques, la couleur rouge de sang, le corps du lion, la queue armée d'un aiguillon, comme le scorpion, et dont la voix semble se composer des sons combinés de la flûte et de la trompette. Cet animal recherche la chair humaine avec beaucoup d'avidité. Il a dans les pieds tant de vigueur, il bondit avec tant de souplesse, qu'il n'est arrêté ni par l'espace, ni par la hauteur. L'Inde produit aussi des boeufs qui n'ont qu'une corne et d'autres qui en ont trois ; ils sont solipèdes, et non fissipèdes. Mais le monstre le plus effroyable de ce pays est le monocéros, dont le mugissement est affreux, et qui a la forme du cheval, les pieds de l'éléphant, la queue du sanglier, la tête du cerf. Du milieu du front s'élève une seul corne, d'un éclat remarquable, qui est longue de quatre pieds, et tellement aiguë qu'elle perce facilement tout ce qu'elle frappe. Cet animal ne tombe pas vivant entre les mains de ses ennemis : on peut le tuer, mais non le prendre. Les eaux de ce pays ne produisent pas moins d'animaux merveilleux. On trouve dans le Gange des anguilles de trente pieds ; Statius Sebosus dit que dans ce fleuve, entre autres productions remarquables, on trouve des vers appelés bleus, et qui le sont en effet. Ils ont deux branchies de six coudées de long. Leur force est telle, que lorsqu'un éléphant vient boire, ils lui saisissent la trompe, et l'entraînent au fond de l'eau. Les mers de l'Inde ont des baleines offrant une étendue de plus de quatre jugères. Mais les animaux que l'on nomme physétères, plus hauts que les plus hautes colonnes, s'élèvent au-dessus même des vergues des vaisseaux, et jettent une si énorme quantité d'eau, que souvent, par cette inondation, ils coulent bas les navires. C'est de l'Inde seulement que vient le perroquet ; son plumage est vert ; il a un collier rouge ; son bec est si dur, que quand, du haut des airs, il se précipite sur un rocher, il tombe sur son bec, comme sur un appui d'une solidité extraordinaire ; sa tête elle-même est d'ailleurs si forte, que lorsqu'on veut lui apprendre à parler, car il répète les mots qu'il entend, il faut, pour attirer son attention, le frapper avec une petite verge de fer. Tant qu'il est petit, et dans la première moitié de son âge, il apprend plus vite et retient mieux ; plus tard, il oublie, il est indocile. Le nombre des doigts établit parmi ces oiseaux deux classes : l'une distinguée, l'autre vulgaire ; les premiers ont cinq doigts aux pieds, les seconds n'en ont que trois. Ils ont une langue large, beaucoup plus large que les autres oiseaux, ce qui leur donne la facilité de prononcer distinctement les mots articulés. À Rome, on fut si charmé de cette habileté des perroquets, que pour s'en procurer, on fit commerce avec les barbares. Les forêts des Indiens ont des arbres d'une telle hauteur qu'une flèche n'en peut atteindre le sommet. On trouve dans les vergers des figuiers dont le tronc présente une circonférence de soixante pas, et dont les branches couvrent deux stades de leur ombre. La largeur des feuilles peut se comparer à la pelte des Amazones ; le fruit a une saveur exquise. Les marais produisent des roseaux d'une dimension telle, que de la partie comprise entre chaque noeud on peut former des canots. On exprime des racines une liqueur aussi douce que le miel. Tylos est une île de l'Inde ; elle produit le palmier, cultive l'olivier, et offre de nombreux vignobles. Elle a sur tous les pays cet avantage merveilleux qu'aucun arbre n'y perd ses feuilles. En ces contrées commence le mont Caucase, dont la chaîne pénètre au milieu d'une très grande partie du globe. Du côté le plus exposé au soleil, se trouve l'arbre qui porte le poivre, et qui, dit-on, donne, comme le genévrier, plusieurs fruits : celui qui paraît le premier, semblable aux chatons du coudrier, se nomme poivre long ; celui qui lui succède et qui tombe brûlé par l'ardeur du soleil, tire son nom de sa couleur ; celui enfin que l'on cueille à l'arbre même, est appelé poivre blanc, comme il l'est en effet. Si l'Inde seule produit le poivre, seule aussi elle produit l'ébène : ce n'est pas pourtant dans toute son étendue, mais seulement dans une petite partie, qu'on voit des forêts d'ébeniers. Cet arbre, qui le plus souvent est mince, a beaucoup de branches ; sa souche prend rarement de la grosseur ; son écorce s'entr'ouvre facilement, et présente une espèce de réseau, dont les veines se divisent de telle sorte, que la partie intérieure est à peine couverte d'une pellicule. Le bois en entier, comme le coeur de l'arbre, a l'aspect et l'éclat du jais. Les rois indiens en tirent leurs sceptres, et dans l'Inde toutes les images des dieux sont en ébène. D'après les indigènes, ce bois ne contient aucun suc malfaisant, et détruit par son contact toute mauvaise influence : aussi se servent-ils de vases d'ébène. Il n'est donc pas étonnant que les étrangers l'estiment, puisqu'il est prisé dans le pays même qui le produit. Le grand Pompée fit voir l'ébène à Rome dans son triomphe, après la défaite de Mithridate. L'Inde produit aussi des roseaux, dont l'odeur est un spécifique contre les affections morales. Elle produit d'ailleurs une foule d'autres végétaux d'un parfum délicieux. Parmi les pierres précieuses, les Indiens assignent le premier rang au diamant. Il dissipe les hallucinations, neutralise l'effet du poison, et délivre des vaines frayeurs. Nous avons cru devoir nous occuper d'abord de ce qui regarde l'utilité ; maintenant nous dirons quelles sont les diverses espèces de diamants, et quelle est pour chacune la couleur la plus estimée. Le diamant de l'Inde se trouve dans une espèce de cristal auquel il ressemble par sa brillante transparence ; ses deux moitiés sont légèrement coniques et présentent six facettes. Jamais on n'en a rencontré de plus gros qu'une aveline. Celui que nous placerons au second rang, et qui se trouve dans l'or le plus pur, est plus pâle, et approche de la couleur de l'argent. Le troisième, que l'on rencontre dans les mines de cuivre, tire sur le ton du bronze. Le quatrième, qu'on recueille dans les mines de fer, l'emporte sur les autres en densité, mais non en dureté : car ainsi que celui de Chypre, il peut être brisé, et souvent même percé par d'autres diamants ; tandis que ceux que nous avons désignés les premiers ne peuvent être attaqués ni par le fer, ni par le feu. Si cependant on les laisse tremper dans du sang de bouc, encore chaud, ou fraîchement versé, il arrive qu'après avoir brisé quelques marteaux, quelques enclumes, on parvient à les briser eux-mêmes ; ils se divisent alors en parcelles que les graveurs recherchent pour travailler toute espèce de pierres précieuses. Le diamant a une sorte d'antipathie naturelle pour l'aimant : placé près de lui, il lui enlève la propriété d'attirer le fer, et si le fer est attaché à l'aimant, le diamant le lui enlève, et semble ravir une proie. L'Inde produit aussi la lychnite, dont le feu des flambeaux fait ressortir l'éclat, ce qui lui a fait donner ce nom par les Grecs. On en distingue deux variétés : l'une couleur de pourpre éclatante, l'autre d'un rouge écarlate et qui, lorsqu'elle est pure, offre dans toutes ses parties une admirable transparence. La lychnite, échauffée par les rayons du soleil, ou par le contact des doigts, attire à elle des brins de paille, ou des filaments de papyrus. Elle résiste énergiquement aux efforts du graveur, et si l'on parvient à la décorer d'emblèmes, quand on veut les imprimer sur la cire, la pierre en retient une partie, comme le ferait un animal avec les dents. Les Indiens taillent les béryls en hexaèdre ; car leur nuance terne ne prend d'éclat que par la réverbération de la lumière sur les angles. Il y a plusieurs espèces de béryls ; les plus beaux, par un certain mélange de vert et de bleu, ont l'aspect agréable de la mer calme. Après eux viennent les chrysobéryls, un peu plus pâles, mais dont l'éclat semble voilé par un nuage d'or. On a également rangé parmi les béryls les chrysoparses, dont la couleur tient de celle de l'or et du poireau ; puis entre les hyacinthizontes, celles qui rappellent l'hyacinthe. Quant à celles qui ont l'aspect du cristal, et que des filaments qui parcourent leur eau obscurcissent (car tel est le terme dont on se sert pour exprimer ce défaut), les connaisseurs les abandonnent au peuple. Les rois Indiens aiment à faire tailler les pierres de cette espèce en cylindres très longs, qu'ils enfilent avec des crins d'éléphants, après les avoir percés, pour s'en faire des colliers ; ou bien ils enchâssent les deux extrémités dans de petites bossettes d'or, pour donner à l'aspect de la pierre un éclat plus nourri, et pour qu'elle tire une lumière plus brillante du métal que l'art lui associe. [54,0] LIV. De Taprobane, et du caractère de ses habitants ; des astres, de la nature de la mer, des moeurs du pays, de la grandeur des tortues, de la perle. L'île de Taprobane, avant que les audacieuses investigations de l'homme au sein des mers les plus reculées n'eût dévoilé la vérité, passait pour un autre monde, habité par des Antipodes. Mais, grâce aux armes victorieuses d'Alexandre qui a porté la gloire de son nom jusque dans ces contrées mystérieuses, ce préjugé a été détruit. Onésicrite, amiral de la flotte macédonienne, chargé d'explorer le pays, nous a fait connaître cette terre, son étendue, ses productions, son état : elle a sept mille stades de long sur cinq mille de large. Un fleuve la traverse. Une partie de ce pays est pleine d'animaux de toute espèce et d'éléphants beaucoup plus gros que ceux de l'Inde ; l'autre partie est occupée par les hommes. Elle abonde en perles et en pierreries. Située entre l'est et l'ouest, elle commence à la mer d'Orient, et se développe le long de l'Inde. De la nation indienne, dite Prasie, à cette contrée, on comptait d'abord vingt jours de traversée ; aujourd'hui que nos vaisseaux ont remplacé les bâtiments de papyrus, bons pour la navigation du Nil, on a réduit ce nombre à sept. La mer qui la sépare du continent a beaucoup de bas-fonds ; la hauteur des eaux n'est pas de plus de six pas, excepté dans de certains trous où il y a une telle profondeur que nulle ancre ne peut en mesurer l'étendue. Les navigateurs, pour se diriger, n'ont point recours à l'inspection des astres : car on n'y voit ni la grande Ourse ni les Pléiades. La lune, chez eux, ne se montre à l'horizon que de la huitième à la sixième heure. L'astre majestueux et brillant de Canope les éclaire. Ils ont à droite le soleil levant, à gauche le soleil couchant. N'ayant donc aucune règle pour leur navigation, et rien qui puisse les guider, ils emportent des oiseaux auxquels ils donnent la volée, et comme ces oiseaux se dirigent vers la terre, ils les suivent. Ils ne naviguent que pendant quatre mois de l'année. Voilà tout ce que nous savions de la Taprobane quand Claude parvint à l'empire. Mais alors nous dûmes à la fortune de pouvoir compléter nos notions : car l'affranchi d'Annius Plocamus, qui était chargé de percevoir les impôts des bords de la mer Rouge, se rendant en Arabie, et porté par les vents au-delà de la Carmanie, aborda enfin le quinzième jour à un port nommé Hippures. Au bout de six mois il connut la langue, et, admis à s'entretenir avec le roi, il a pu rapporter ce qu'il avait vu. D'abord le roi s'étonna de ce que les effigies des pièces de monnaies que portait avec lui son captif ne fussent pas les mêmes, quoique leur poids ne présentât aucune différence ; cette égalité qui le frappa l'excita plus vivement à rechercher l'amitié des Romains, et il nous envoya des députés, dont le chef se nommait Rachias : ces étrangers nous firent connaître tout ce qui avait rapport à leur pays. Les naturels de Taprobane ont une taille plus haute que celle des autres hommes ; ils teignent leurs cheveux en rouge ; ils ont les yeux bleus, le regard farouche, un son de voix effrayant. Ceux qui meurent avant l'âge vivent environ cent ans ; les autres parviennent à une vieillesse fort avancée et qui semble dépasser les bornes assignées à la faiblesse humaine. Ils ne dorment ni avant ni pendant le jour : ils consacrent une partie de la nuit au repos ; ils se lèvent avant le jour. Ils bâtissent de modestes maisons. Toute l'année chez eux n'est qu'une récolte perpétuelle. Ils ne connaissent pas la vigne ; ils recueillent des fruits en abondance. Hercule est l'objet de leur culte. Chez eux ce n'est pas la naissance, mais le suffrage universel qui détermine le choix d'un roi. Le peuple élit un homme de moeurs irréprochables, d'une bonté reconnue, et même un peu âgé. On exige toutefois de lui qu'il n'ait pas d'enfants : quelque considéré qu'il soit, s'il est père, il ne peut régner ; et si pendant son règne il songe à avoir de la famille, il abdique le pouvoir. C'est une précaution contre l'hérédité du trône. Quand même les actes du roi seraient tous empreints d'équité, on ne veut pas que tout lui soit permis ; il a quarante conseillers, pour n'être pas seul juge dans les causes capitales, et du jugement même de ce conseil ou peut faire appel au peuple, qui nomme soixante-dix juges, dont l'arrêt est alors définitif. Le roi se distingue du peuple par le costume : il a une robe traînante ; il est vêtu à peu près comme on représente Bacchus. S'il commet quelque faute, on le punit de mort : nul toutefois ne peut porter la main sur lui ; seulement, d'un consentement unanime, on lui interdit toute espèce d'affaires ; on lui refuse même tout entretien. Les habitants de ces contrées s'adonnent tous à l'agriculture. Ils se livrent aussi à la chasse, mais ils dédaignent une proie vulgaire : il leur faut des tigres ou des éléphants. Ils explorent les mers avec une grande sagacité ; ils se plaisent à prendre des tortues marines, dont la dimension est telle qu'ils font avec leurs carapaces des cabanes qui peuvent servir d'abri à une famille entière. La plus grande partie de cette île est brûlée par le soleil, et ne présente que de vastes solitudes. La mer qui la baigne est ombragée par une telle quantité d'arbres, que souvent leurs feuillages sont froissés par le gouvernail des vaisseaux. Du haut de leurs montagnes ils découvrent les Sères. Ils estiment l'or, et ornent leurs vases de pierreries. Ils taillent des marbres qui ont la beauté de l'écaille. Ils pèchent une quantité considérable de perles, et de fort remarquables par leur grosseur. Les coquilles où on les recueille s'entr'ouvrent à une certaine époque de l'année, pour cette sorte de conception ; elles aspirent après la rosée comme après un époux, et écartent leurs valves pour la recevoir ; et c'est surtout quand la lune préside à cette petite pluie du matin qu'elles absorbent le fluide désiré. C'est ainsi qu'elles conçoivent, et que les fruits de leur enfantement sont des perles, dont la qualité diffère selon la qualité de la rosée. Pure, la rosée produit des perles très blanches ; trouble, elle produit des perles pâles ou rougeâtres. Ainsi les perles tiennent plus du ciel que de la mer. Elles sont claires, ou obscures, selon que la rosée est tombée le matin, ou le soir ; plus la rosée est abondante, plus la perle sera grosse. Si l'éclair vient à briller, la coquille épouvantée se resserre avant le temps, et cette frayeur subite produit l'avortement : alors elle ne donne plus que de très petites pierres, ou une vaine apparence. Les coquilles ne sont pas dépourvues de sentiment ; elles craignent que leurs fruits ne soient souillés, et quand la chaleur du jour est trop forte, elles s'enfoncent dans la mer pour garantir les perles de l'atteinte du soleil, et y trouver elles-mêmes un abri. Mais cette précaution n'empêche pas l'action de la vieillesse, qui fait perdre aux perles leur blancheur : quand la coquille grandit, elles jaunissent. Les perles sont molles tant qu'elles restent dans l'eau ; elles durcissent quand elles sont tirées du coquillage. On n'en trouve jamais deux ensemble, d'où leur vient le nom d'unions. On dit qu'on n'en trouve pas qui pèsent plus d'une demi-once. Les coquilles craignent les pièges des pêcheurs ; de là vient qu'elles se cachent ou dans les rochers, ou au milieu des chiens de mer. Elles nagent en troupe, et cette espèce d'essaim a un chef ; s'il est pris, celles même qui s'échappent viennent bientôt se jeter dans les filets. L'Inde et les côtes de la Bretagne fournissent des perles. J. César a fait connaître, par une inscription, que celles qui décoraient la cuirasse dont il orna le temple de Vénus Génitrix venaient de la Bretagne. On sait que l'épouse de Caligula, Lollia Paullina, porta une robe toute couverte de perles, estimée à quarante millions de sesterces : pour satisfaire la cupidité de sa fille, M. Lollius avait pillé tout l'Orient ; par là, il déplut à Caïus César fils d'Auguste, tomba dans la disgrâce de ce prince, et s'empoisonna. Les recherches des anciens nous ont appris que c'est vers le temps de Sylla que l'on apporta, pour la première fois, des perles à Rome. [55,0] LV. Itinéraire de l'Inde. Golfes Persique et Arabique. Mer Azanienne. Il est à propos de revenir des îles au continent. Retournons donc de Taprobane à l'Inde : car il convient d'examiner ce pays. Mais si nous nous étendions trop longuement sur les villes et les peuples qu'elle contient, nous manquerions à cette loi de concision que nous nous sommes imposée. Près de l'Indus est la ville de Caphuse, détruite par Cyrus. Sémiramis bâtit Arachosie sur le fleuve Erumande. La ville de Cadrusie fut fondée par Alexandre le Grand au pied du Caucase, où se trouve aussi Alexandrie, qui a trente stades d'étendue. Il y a beaucoup d'autres villes ; mais celles que nous venons de nommer sont des plus remarquables. Après les Indiens, viennent les Ichtyophages, qui habitent un pays couvert de montagnes. Alexandre, après les avoir soumis, leur interdit l'usage du poisson : c'était auparavant leur seule nourriture. Au-delà, se trouvent les déserts de la Carmanie, ensuite la Perse, et après, la mer où se voit l'île du Soleil, dont la terre est toujours rouge, et que ne touche en vain aucune espèce d'animaux : tous ceux qu'on y transporte y périssent. En revenant de l'Inde vers l'Azarius, fleuve de la Carmanie, on commence à voir la grande Ourse. Là se sont établis les Achéménides. Du cap de la Camanie à l'Arabie, il y a cinquante mille pas ; viennent ensuite trois îles, dans les environs desquelles sont des hydres marines qui ont plus de vingt coudées de longueur. Il faut dire ici comment de la ville d'Alexandrie en Égypte, on va jusqu'à l'Inde. À l'époque des vents étésiens, on navigue sur le Nil jusqu'à Coptos ; puis on va par terre jusqu'à Hydreum ; ensuite, après quelques stations, on arrive à Bérénice, port sur la mer Rouge ; enfin on atteint Océlis, port de l'Arabie. La première ville marchande de l'Inde est Zmiris, fameuse par ses pirates. Par divers ports on arrive à Cottonare, où des canots d'une seule pièce de bois portent des cargaisons de poivre. Ceux qui se rendent dans l'Inde, cessent de naviguer au milieu de l'été, avant le lever de la canicule, ou aussitôt après son coucher. Ceux qui reviennent de l'Inde font leur trajet au mois de décembre. Le vent favorable pour ce trajet est le vulturne, et quand on est entré dans la mer Rouge, l'africus ou l'auster. L'Inde a, dit-on, dix-sept cent cinquante mille pas d'étendue ; la Carmanie, cent mille, dont une partie est en vignobles. Il y a dans la Carmanie des peuples qui ne mangent que de la chair de tortue, et dont tout le corps est velu, sauf la tête ; ils se font un vêtement de peaux de poissons ; on les nomme Chélonophages. La mer Rouge pénètre dans ce pays et se partage en deux golfes : l'un, à l'est, est le golfe Persique, qui doit son nom à ce que les Perses ont habité cette côte ; il a huit millions de pas de circonférence ; vis-à-vis, du côté de l'Arabie, est le golfe Arabique. La mer qui baigne ce pays, s'appelle Azanienne. À la Carmanie confine la Perse, dont l'île d'Aphrodisie est comme la tête. Cette île riche en biens de toute espèce, a pris jadis le nom de Parthie ; ses côtes, dans leur direction occidentale, ont une étendue de cinq cent cinquante mille pas. La ville la plus remarquable est Suse, où se trouve un temple consacré à Diane Susienne. À cent trente-cinq mille pas de Suse est Babytace, où tous les hommes, en haine de l'or, achètent ce métal pour l'enfouir dans les profondeurs de la terre, et pour interdire ainsi à l'avarice le moyen d'altérer l'équité. La dimension des mesures varie extrêmement dans ce pays : et cela doit être : car parmi les nations qui limitent la Perse, les unes font usage du schène, les autres de la parasange, d'autres de dimensions inconnues pour déterminer les distances ; il a dû résulter de cette discordance quelque chose d'irrégulier. [56,0] LVI. Parthie, et régions voisines. Tombeau de Cyrus. La Parthie, dans toute son étendue, est bornée au midi par la mer Rouge, au nord par la mer Hyrcanienne. Elle contient dix-huit royaumes, rangés en deux classes. La première comprend onze royaumes, que l'on nomme supérieurs, qui commencent à l'Arménie et aux côtes de la mer Caspienne, et qui s'étendent jusqu'au pays des Scythes, auxquels ressemblent leurs habitants. Les sept autres, qu'on appelle inférieurs, sont limités à l'est par les Aries et les Ariens, au midi par la Carmanie, à l'ouest par la Médie, au nord par l'Hyrcanie. La Médie s'étend en biais à l'ouest, et embrasse les deux divisions du pays des Parthes ; au nord elle est environnée par l'Arménie ; à l'est elle touche aux Caspiens ; au midi elle touche à la Perse. Puis elle s'avance jusqu'au fort de Passargade, occupé par les Mages. Là est le tombeau de Cyrus. [57,0] LVII. Babylone. Retour vers l'océan Atlantique ; et, îles Gorgades, Hespérides, Fortunées, situées dans cette mer. Babylone, capitale de la Chaldée, bâtie par Sémiramis, est si célèbre, qu'en son honneur le nom de Babylonie a été donné à l'Assyrie et à la Mésopotamie. Babylone a soixante mille pas de tour, des murailles de deux cents pieds de haut sur cinquante de large : or, le pied babylonien a trois doigts de plus que le nôtre. Elle est baignée par l'Euphrate. On y voit un temple de Jupiter Belus, inventeur de l'astrologie, comme l'atteste le culte qui en fait un dieu. Les Parthes ont fondé Ctésiphon, pour rivaliser avec cette ville. Il est temps de revenir à l'Océan, de retourner vers l'Éthiopie : en effet, comme nous l'avons dit, il y a longtemps déjà que l'océan Atlantique commence à l'ouest et à l'Espagne, il convient d'aborder les parties du monde où il commence à prendre ce nom. La mer Azanienne s'étend jusqu'aux rivages de l'Éthiopie ; l'Éthiopie va jusqu'au cap de Mossyle, et là reparaît l'océan Atlantique. La plupart des écrivains pensent que l'extrême ardeur du soleil rend ces parages inabordables ; Juba, en faisant, à l'appui de son assertion, l'énumération des peuples et des îles, prétend que toute cette mer, de l'Inde à Gadès, est navigable, mais toutefois par le souffle du corus, qui peut pousser quelque flotte que ce soit au delà de l'Arabie, de l'Égypte, de la Mauritanie, pourvu que la navigation s'opère en partant du cap indien, nommé par les uns Lepté-Acra, par les autres Drepanum. Il a donné, de plus, et l'indication des lieux où l'on peut s'arrêter, et les distances qui les séparent. Des proéminences de l'Inde à l'île Malichu, il assure qu'il y a quinze cent mille pas ; de l'île de Malichu à Scénéos, deux cent vingt-cinq mille ; de là à l'île Adanu, cent cinquante mille : en tout, pour atteindre la mer libre, dix-huit cent soixante-quinze mille pas. Juba, pour réfuter l'opinion de ceux qui pensent que l'ardeur du soleil rend la plus grande partie de ce pays inaccessible, dit que le commerce, dans ces parages, est troublé par les Arabes, nommés Ascites, désignation prise des outres dont ils font usage : en effet, jetant un pont sur des outres accouplées deux à deux, ils lancent de cette embarcation des flèches empoisonnées. Il ajoute que les parties brûlantes de l'Éthiopie sont habitées par les Troglodytes et les Ichtyophages : les Troglodytes sont d'une agilité telle, qu'ils atteignent les bêtes à la course ; les Ichtyophages nagent avec autant de facilité que les animaux marins. Après avoir ainsi parcouru la mer Atlantique jusqu'à l'ouest, il fait mention des îles Gorgades. Les îles Gorgades sont situées, dit-on, en face du cap Hespérucéras. Les Gorgones les ont jadis habitées, et aujourd'hui encore un peuple monstrueux les occupe. Elles sont à deux jours de navigation du continent. Xénophon de Lampsaque dit qu'Hannon le Carthaginois pénétra dans ces îles, et qu'il y trouva des femmes d'une extrême agilité, et que parmi celles qui s'étaient montrées, on en prit deux qui avaient le corps tellement rude et velu que, soit comme preuve du fait, soit comme monument de cette merveille, on suspendit leurs peaux dans le temple de Juron, où elles restèrent jusqu'à la prise de Carthage. Au-delà des Gorgades sont les îles Hespérides, qui, selon Sébose, se prolongent dans la mer à une distance de quarante jours de navigation. Il est certain, comme on le dit, que les îles Fortunées sont situées à gauche de la Mauritanie ; Juba les place au midi, mais toutefois se rapprochant beaucoup du couchant. Leur nom promet beaucoup ; mais la réalité est loin de ce qu'il fait attendre. Dans la première, nommée Norion, il n'y a pas, et il n'y a jamais eu de maisons. Le sommet des montagnes se ressent de l'humidité des lacs. Les férules s'y élèvent à la hauteur des arbres : les noires donnent une liqueur très amère ; les blanches une boisson agréable. La seconde des îles Fortunées, appelée Junonia, a un petit temple, d'une élévation bien modeste. La troisième, qui porté le même nom que la précédente, n'offre rien qui soit à remarquer. La quatrième s'appelle Capraria, et est infestée d'énormes lézards. Vient ensuite Nivaria, dans une atmosphère dense et nébuleuse, et par cela même toujours couverte de neiges ; puis enfin Canarie, où se trouvent par milliers des chiens magnifiques : on en amena deux au roi Juba. Canarie a quelques restes d'édifices. On y trouve aussi une multitude d'oiseaux, des vergers, des palmiers couverts de dattes, des pommes de pin en abondance, beaucoup de miel, des fleuves qui nourrissent une quantité innombrable de silures. On dit aussi que la mer rejette sur les côtes de cette île des monstres marins, et qu'une fois passés à l'état de putréfaction, ces animaux infectent toute la côte d'une odeur pestilentielle. Comme on le voit, la condition de ces îles ne répond pas complètement à leur dénomination.