LIVRE VII. CHAPITRE PREMIER. Anthème Préfet du Prétoire est chargé du gouvernement de l'Empire. L'empereur Arcadius étant mort le premier jour du mois de Mai, sous le Consulat de Bassus et de Philippe, Honorius son frère continua de gouverner l'Occident, et Anthème Préfet du Prétoire gouverna l'Orient sous l'autorité de Théodose, qui n'avait encore que huit ans. Il était petit-fils de Philippe, qui sous le règne de Constance avait chassé Paul de L'Eglise de Constantinople, et établi Macédonius en sa place. Il fit fermer la Ville de murailles. Il était estimé avec raison un des plus prudents, et des plus habiles de son siècle. Il ne faisait rien sans en avoir mûrement délibéré avec ses amis et surtout avec le Sophiste Troïle, homme très-intelligent dans les affaires. CHAPITRE II. Mœurs d'Atticus Évêque de Constantinople. Lorsque l'Empereur Théodose était en la huitième année de son âge, Atticus était en la troisième de son Pontificat. Outre qu'il avait une profonde science, il avait encore une singulière piété et une rare prudence. Ce qui fut cause que l'état de l'Eglise fut fort florissant de son temps. Il ne se fit pas seulement aimer des Fidèles. Il se fit aussi admirer des hérétiques. Il ne voulut jamais les persécuter, et s'il leur donnait quelquefois de la crainte, il les rassurait aussitôt par sa douceur. Il était très assidu à l'étude, et passait les nuits entières à lire les ouvrages des Anciens. Il ne s'étonnait point aussi des arguments des Philosophes, ni des subtilités des Sophistes. Il était agréable dans la conversation, compatissait à la douleur des affligés, et se faisait tout à tous à l'imitation de l'Apôtre. Etant Prêtre il composa des Sermons qu'il apprit par cœur. Mais depuis il prêcha sur le champ. Ses Sermons n'étaient pas toutefois assez excellents pour exciter les applaudissements du peuple, ni pour être rédigés par écrit. Je ne dirai rien ici davantage de son esprit, de son érudition, ni de ses mœurs, mais je continuerai à rapporter ce qui se passa de son temps. CHAPITRE III. Théodose Évêque de Synnade persécute les Macédoniens. Agrapet s'empare de son Siège. Théodose Évêque de Syannde Ville de la Phrygie Pacatienne, persécutait avec violence les Macédoniens, les chassant non seulement de la Ville, mais aussi de la campagne. Il n'agissait en cela ni selon la coutume de l'Église Catholique, qui n'a point accoutumé de persécuter les hérétiques, ni aussi par le zèle de la Religion, mais par un motif d'avarice, et à dessein de tirer de l'argent de ceux des autres sectes. Il fit aux Macédoniens tous les mauvais traitements dont il se pût imaginer, mit des armes contre eux entre les mains des Ecclésiastiques, et excita les juges séculiers à les inquiéter. Il tourmenta Agapet leur Evêque plus que tous les autres. Les Juges de la Province n'ayant pas une autorité assez absolue à son gré pour exercer ses violences, il vint à Constantinople pour y mander des Edits du Préfet du Prétoire. Durant son absence, Agapet Evêque des Macédoniens prit une résolution fort sage et fort prudente. Ayant assemblé son Clergé et son peuple, il leur proposa de faire profession de la doctrine de la Consubstantialité du fils de Dieu, et à l'heure-même, alla à l'Eglise suivi d'une multitude incroyable, y fit la prière, monta sur la Chaire de Théodose, y prêcha que le Fils de Dieu est de la même nature que son Père, et se rendit maître des Eglises du Diocèse. Théodose qui ne savait rien de tout ce qui était arrivé retourna à Synnade, avec un Edit du Préfet, mais ayant été chassé de L'Eglise, il revint à Constantinople, et se plaignit à Atticus de la violence qu'il avait soufferte. Cet Evêque considérait que ce changement était avantageux à la Religion, consola Théodose le mieux qu'il pût, l'exhorta à se tenir en repos, et à sacrifier ses intérêts à l'utilité de l'Eglise, et écrivit à Agapet qu'il demeurât en possession de la dignité Episcopale sans rien appréhender de la part de Théodose. CHAPITRE IV. Atticus guérit un Juif d'une paralysie, en lui conférant le Baptême. Si l'Eglise reçut cet avantage au temps d'Atticus, elle ne fut pas privée du don des miracles. Un Juif qui était retenu dans son lit par une paralysie depuis plusieurs années, sans que l'art des Médecins, ni les prières des autres Juifs lui eussent apporté aucun soulagement, eut enfin recours au Baptême, comme à un souverain remède. Atticus Évêque de Constantinople l'ayant instruit des vérités de notre Religion, le fit porter sur son lit aux fonds, et aussitôt qu'il eut reçu ce Sacrement avec une foi vive, il sortit de l'eau avec une parfaite santé. Dieu a bien voulu faire paraître en notre temps ce miracle de sa puissance par lequel plusieurs Païens furent attirés à la foi, bien que les Juifs qui demandent des miracles ne le fusent point. CHAPITRE V. Sabbatius Prêtre des Novatiens se sépare de leur communion. Plusieurs demeurèrent obstinés dans leurs crimes sans être touchés de ce miracle. Non seulement les Juifs n'y ajoutèrent point de foi, mais ceux qui les suivent dans leur discipline les imitèrent encore dans leur infidélité. Sabbatius, dont nous avons parlé ci-devant, ne se contentant pas de l'honneur du Sacerdoce, et aspirant à la dignité Episcopale se sépara en ce temps-là de la communion des Novatiens, sous prétexte de célébrer la Fête de Pâques selon la coutume des Juifs. Comme il faisait des assemblées particulières, et sans la permission de Sisinnius son Évêque, dans un lieu nommé Xèrolophe, où est maintenant le marché d'Arcadius, il se porta à une action fort extraordinaire, et fort dangereuse. En lisant un jour d'assemblée l'endroit de l'Evangile où il est dit, c'était un jour de fête que l'on nomme la Pâques des Juifs, il ajouta de son Chef ces paroles qui n'avaient jamais été ni écrites, ni entendues, malheur à celui qui célébrera la Fête de Pâques en autre temps que celui auquel on ne mange point de levain. Ces paroles s'étant répandues parmi le peuple, les plus simples des Laïques parmi les Novatiens en furent trompés, et le suivirent. Mais la fausseté fut bientôt après découverte. Comme il célébrait la Fête de Pâques avant les Chrétiens, selon l'opinion dont il était prévenu, et qu'il passait la nuit en prières avec une grande multitude de peuple, cette multitude fut saisie tout d'un coup d'une vaine teneur et crut que l'Evêque Sisinnius devait les attaquer à main armée. Ayant l'esprit troublé par cette crainte, ils se pressèrent si fort dans un lieu étroit où ils étaient enfermés, qu'il y en eut soixante et dix écrasés. Cela fut cause que plusieurs quittèrent le parti de Sabbatius. Quelques-uns néanmoins» auxquels il avait inspiré les sentiments, demeurèrent avec lui. Nous verrons incontinent comment il parvint à la dignité Episcopale, et viola le serment par lequel il y avait renoncé. CHAPITRE VI. Evêques de la secte des Ariens. Dorothée Évêque des Ariens, que nous avons dit ci-devant avoir été transféré par ceux de cette secte d'Antioche à Constantinople, étant mon à l'âge de cent dix-neuf ans, le sixième jour du mois de Novembre, sous le septième Consulat d'Honorius et le second de Théodose, Barbas fut élu pour lui succéder. Les Ariens, eurent en ce temps-là deux Prêtres fort éloquents, dont l'un se nommait Timothée, et l'autre George. Le premier excellait dans les sciences profanes, et le second dans les sacrées. L'un avait toujours entre les mains les Ouvrages d'Aristote et de Platon, et l'autre lisait continuellement Origène, expliquait l'Ecriture, et se servait fort bien de la teinture, quoique légère, qu'il avait acquise de la langue Hébraïque. Timothée avait été autrefois de la secte des Psarysienss, et George avait été ordonné par Barbas. J'ai conféré autrefois avec Timothée et reconnu par expérience combien il était prêt à répondre sur le champ aux plus difficiles questions qu'on lui faisait sur l'Ecriture, et à en expliquer les passages les plus obscurs. II confirmait toutes ces réponses par l'autorité d'Origène. Je me suis étonné que ces deux hommes, dont l'un lisait toujours Platon, et l'autre citait toujours Origène, soient demeurés dans la secte des Ariens. Car Platon ne dit point que la seconde cause, ni la troisième cause aient eu un commencèrent ; et Origène avoue en quantité d'endroits de ses Livres, que le Fils est éternel comme son Père. Mais étant demeurés dans cette secte, ils en ont reformé un grand nombre d'abus, et ont aboli par leurs Sermons une partie considérable des impiétés et des blasphèmes d'Arius. Sisinnius Evêque des Novatiens étant mort bientôt après sous le même Consulat, Chrysandre, dont nous parlerons dans la suite de nôtre Histoire, fut choisi pour lui succéder. CHAPITRE VII. Cyrille succède à Théophile au gouvernement de l'Eglise. Théophile Evêque d'Alexandrie étant bientôt après tombé en léthargie, mourut le quinzième jour du mois d'Octobre, sous le neuvième Consulat d'Honorius, et le cinquième de Théodose. Il y eut contestation pour l'élection d'un successeur, les uns proposant Timothée Archidiacre, et les autres Cyrille neveu de Théophile. Timothée était appuyé par Abondantius Chef des troupes d'Egypte. Mais Cyrille ayant été mis en possession du Siège de Théophile son oncle, le troisième jour d'après sa mort, y exerça un pouvoir plus absolu que lui. Car depuis ce temps-là las Evêques d'Alexandrie s'élevèrent si fort au dessus des Prêtres, qu'ils se rendirent maîtres de toutes les affaires. Voila pourquoi Cyrille fit fermer les Eglises que les Novatiens avaient dans la Ville, qu'il enleva tous leu« vases et leurs ornements, et qu'il dépouilla Théopempte leur Evêque de tout son bien. CHAPITRE VIII. La Religion Chrétienne se répand dans la Perse. La Religion Chrétienne fit en ce temps-là des progrès en Perse, à l'occasion des Ambassades fréquentes que les Empereurs y envoyèrent. Marutas Evêque de Mésopotamie dont nous avons déjà parlé, y ayant été envoyé, y fut reçu très civilement par le Roi Isdigerde. Les Mages qui étaient en grand crédit dans le pays, eurent jalousie des honneurs que ce Prince lui rendait, et appréhendèrent qu'il ne le convertît à notre Religion, parce qu'il l'avait guéri par ses prières, d'une maladie dont ils n'avaient pu le soulager. Ayant donc entrepris de le faire chasser, ils usèrent de cet artifice de cacher un homme sous un lieu où l'on entretenait un feu perpétuel, et où le Roi avait accoutumé de l'aller adorer, et de faire crier à cet homme qu'il fallait chasser le Roi comme un impie, qui croyait que le Prêtre des Chrétiens était agréable à Dieu. Le Roi épouvanté par cet oracle avait envie de renvoyer Marutas. Mais ce saint Evêque découvrit dans la prière l'artifice des Mages, et ayant été trouvé le Roi le lui découvrit, et l'assura qu'il le reconnaîtrait s'il avait agréable de faire remuer la terre. Le Roi étant entré selon sa coutume dans le lieu où le feu bûllait toujours, et ayant entendu la même voix, commanda de creuser la terre, trouva l'imposteur, fit décimer les Mages, et permit à Marutas de bâtir des Eglises. Marutas retourna ensuite à Constantinople. Mais ayant fait bientôt après un second voyage en Perse, les Mages inventèrent une nouvelle ruse contre lui, et excitèrent une odeur insupportable dont ils accusèrent les Chrétiens d'être les Auteurs. Le Roi qui se défiait des Mages, reconnut que cette mauvaise odeur était un effet de leurs fourberies, les châtia, et rendit à Marutas de plus grands honneurs que jamais. Cet Evêque ayant depuis délivré avec Abdas Evêque de Perse, par leurs jeûnes et par leurs prières, le fils d'Isdigerde, d'un démon dont il était possédé, peu s'en fallut que ce Roi ne fit profession de la Religion Chrétienne. Mais il fut prévenu par la mort, et Vararane son fils et son successeur, déclara la guerre aux Romains, comme nous le. verrons dans la suite de notre Histoire. CHAPITRE IX. Évêques d'Antioche et de Rome. Flavien Evêque d'Antioche étant mort dans le même temps, Porphyre lui succéda, et Alexandre succéda depuis à Porphyre. Damase après avoir gouverné l'Eglise de Rome, l'espace de dix-huit ans, eut Sirice pour successeur, qui l'ayant gouvernée quinze ans, la laissa à Anastase, qui la gouverna trois autres. Innocent son successeur persécuta le premier les Novatiens, qui demeuraient à Rome et leur ôta plusieurs Eglises. CHAPITRE X. Prise de Rome par Alaric. La Ville de Rome fut réduite au même temps sous la domination des Etrangers. Alaric allié des Romains qui avait été élevé aux premières charges de l'Empire, en récompense des services qu'il avait rendus à l'Empereur Théodose contre le Tyran Eugène, ne pouvant conserver son bonheur, partit de Constantinople, et bien qu'il ne prît point le titre d'Empereur, il alla faire le dégât en Illyrie. Les Thessaliens s'opposèrent à son passage aux environs de l'embouchure du fleuve Pènée, et lui tuèrent environ trois mille hommes. Les autres étant passés mirent tout à feu et à sang, prirent Rome, la pillèrent, brûlèrent les plus magnifiques bâtiments, partagèrent entre eux le butin, et firent mourir par des cruels supplices les principaux du Sénat. Alaric pour se moquer de la Dignité Impériale, fit vêtir un jour un nommé Artalus en Empereur, lut donna des Gardes, et le lendemain le fit paraître en équipage d'esclave. Il prit incontinent après la fuite, au bruit de l'arrivée d'une armée Romaine. Ce bruit-là n'était pas faux. Car l'armée de Théodose marchait. Mais Alaric ne l'attendit pas. On dit qu'allant vers Rome, il rencontra un Moine, qui l'exhorta à épargner le sang, et à ne point mettre son plaisir dans le meurtre et dans le carnage. Alaric lui fit cette réponse. Je ne vais pas de ce côté-là de moi-même; j'y suis poussé par je ne sais qui, qui me presse tous les jours, en me disant : Va ruiner Rome. CHAPITRE XI. Evêques de Rome. Après la mort d'Innocent, Zosime gouverna l'Eglise de Rome l'espace de deux années. Quand Zosime fut mort, Boniface la gouverna trois autres années. Célestin succéda à Boniface, ôta aux Novatiens plusieurs Eglises dans Rome, et obligea Rusticulas leur Evêque de faire ses assemblées sans une maison particulière. Ils avaient été en grande considération à Rome jusqu'en ce temps-là, y avaient possédé d'amples Eglises, et y avaient assemblé une multitude incroyable de peuple. Mais ils furent attaqués par la jalousie, depuis que les Evêques de Rome eurent méprisé, aussi bien que ceux d'Alexandrie, de se tenir dans les bornes de la modestie sacerdotales et eurent commencé à usurper une autorité trop absolue. Voila pourquoi ils ne laissèrent plus la liberté des assemblées publiques à ceux qui n'avaient aucun différend avec eux touchant la foi, et bien qu'ils louassent la pureté de leurs sentiments, ils ne laissaient pas de leur ôter tout leur bien. Les Evêques de Constantinople ne sont jamais tombés dans ce désordre. Ils ont toujours chéri les Novatiens, et permis leurs assemblées, comme je l'ai déjà dit. CHAPITRE XII. Chrysante est ordonné malgré lui, Évêque des Novatiens. Son éloge, Après la mort de Sisinnius, Chrysante fut élevé à la Dignité Episcopale. Il était fils de Marcien, prédécesseur de Sisinnius. Dès sa jeunesse il avait eu une charge dans la maison de l'Empereur. Il avait été depuis Gouvernent d'Italie et Vicaire d'Angleterre, et avait acquis une grande réputation dans ces deux emplois. Il revint dans un âge assez avancé à Constantinople, et dans le temps qu'il sollicitait pour en être Gouverneur, il fut fait Evêque des Novatiens. Sisinnius avait déclaré en mourant qu'il était fort capable de lui succéder, et le peuple qui tenait cette déclaration comme une loi le chercha à l'heure-même pour le faire ordonner. Pendant qu'il s'était caché pour éviter cet honneur, Sabbatius prit l'occasion de se faire imposer les mains par des Evêques inconnus, et entre autres par Hormogène qu'il avait excommunié, à cause de l'impiété, dont ses livres étaient remplis. Mais il ne put réussir dans ce dessein. Car le peuple irrité de ses parjures, et de ses mauvais artifices chercha Chrysante, et l'ayant trouvé en Bithynie, où il s'était caché, l'éleva par force sur le Siège l'Eglise des Novatiens. Il avait une prudence et une modestie singulière. Il conserva et augmenta par ses soins les Eglises que les Novatiens avaient à Constantinople. Il fut le premier de tous les Évêques, qui fit aux pauvres des aumônes de son propre bien. Il ne recevait du peuple que deux pains tous les Dimanches. Il avait une si forte passion pour l'agrandissement de son Eglise, qu'il tira Ablavius un des plus éloquents de son siècle, de l'école de Troïle pour l'ordonner Prêtre. On a des Sermons fort élégants de cet Ablavius. Il devint depuis Evêque des Novatiens de Nicée, et enseigna la Rhétorique dans cette Ville. CHAPITRE XIII. Combat encre les Chrétiens, et les Juifs d'Alexandrie. Les Juifs furent chassés en ce temps-là d'Alexandrie par Cyrille. Le peuple de cette Ville est plus porté à la sédition que nul autre, et quand il est une fois ému, il ne s'apaise point qu'il n'ait répandu beaucoup de sang. Il ne s'émut alors que pour un sujet fort léger, et pour les spectacles des Bateleurs. Un Bateleur avait accoutumé de danser le samedi, et d'amasser une grande multitude de peuple, parce que les Juifs donnaient ce jour-là a leur divertissement, au lieu de l'employer à la lecture de la loi. Oreste Gouverneur de la Ville avait souvent tâché de réprimer ce désordre. Mais les Juifs qui étaient toujours fort animés contre le parti contraire, témoignèrent en cette occasion plus de chaleur que jamais, pour la défense des Bateleurs. Comme le Gouverneur était au théâtre pour y faire préparer ce qui était nécessaire pour la célébration des jeux, les partisans de Cyrille s'y trouvèrent, et entre autres un Professeur de Grammaire, nommé Hiérax, qui était toujours très assidu à ses Sermons, et qui y faisait plus de bruit par ses applaudissements, que nul autre. Dès que les Juifs l'aperçurent, ils s'écrièrent qu'il n'était venu que pour faire sédition. Il y avait longtemps que le Gouverneur regardait avec jalousie le pouvoir que s'attribuaient les Evêques, et les entreprises qu'ils faisaient sur la juridiction des Gouverneurs de Province, et se persuadant alors que Cyrille avait dessein de le troubler dans l'exercice de sa charge, il commanda que l'on arrêtât Hiérax, et que l'on lui donnât la question. Cyrille en ayant eu avis, envoya quérir les principaux d'entre les Juifs, et les menaça de les châtier, s'ils ne cessaient d'exciter des séditions contre les Chrétiens. Bien loin d'appréhender l'effet de cette menace, ils en devinrent plus furieux, et formèrent une conjuration, pour laquelle ils méritèrent d'être chassés de la Ville. Ils convinrent entre eux à se mettre à leur doigt un anneau d'écorce de Palmier, pour se reconnaître, et de fondre à main armée sur les Chrétiens. Ils envoyèrent plusieurs personnes crier durant la nuit, que le feu était à l'Eglise d'Alexandrie. Les Chrétiens étant accourus pour l'éteindre, les Juifs se jetèrent sur eux, et en tuèrent un grand nombre. A la pointe du jour Cyrille mena une multitude incroyable de peuple à la Synagogue, chassa les Juifs de la Ville, et permit de piller leurs biens. Ce peuple fut exterminé de la sorte d'Alexandrie, où il s'était établi dès le temps d'Alexandre Roi de Macédoine. Adamantius Professeur en Médecine, se réfugia chez Atticus Évêque de Constantinople, et s'étant converti à la Religion Chrétienne, retourna à Alexandrie. Oreste Gouverneur de cette Ville, eut un sensible déplaisir de voir qu'elle eût été privée par un si fâcheux accident, d'un si grand nombre d'habitants, et en écrivit à l'Empereur. Cyrille lui écrivit aussi, pour l'informer de l'insolence des Juifs, et envoya, à la prière du peuple, quelques personnes vers Oreste Gouverneur, pour tâcher de l'adoucir. Oreste ayant refusé de se réconcilier, Cyrille lui présenta le Livre de l'Evangile, pour l'obliger, par le respect de la Religion, à oublier son ressentiment. Mais il n'obtint rien de lui par ce moyen-là. CHAPITRE XIV. Sédition excitée par des Moines contre le Gouverneur d'Alexandrie. Quelques Moines des montagnes de Nitrie, qui avaient été autrefois animés pat Théophile contre Dioscore, et ses trois frères, étant alors transportés par un zèle trop ardent, prirent les armes pour la défense de Cyrille. Etant sortis de leur solitude, au nombre d'environ cinq cents, ils allèrent dans Alexandrie, et ayant rencontré le Gouverneur Oreste, que l'on portait dans sa chaise, ils l'appelèrent Païen et Idolâtre. Ce Gouverneur jugeant que c'était un piège qui lui avait été dressé par Cyrille, s'écria qu'il était Chrétien, et qu'il avait été baptisé à Constantinople par Atticus. Les Moines faisant peu d'attention à ses paroles, un d'entre eux, nommé Ammonius, le blessa d'un coup de pierre à la tête, et le mit tout en sang. Ses Gardes appréhendant d'être lapidés, s'enfuirent de côté et d'autre; le peuple accourut au secours du Gouverneur, écarta les Moines, se saisit d'Ammonius, et le mit entre les mains du Gouverneur, qui le fit tourmenter avec tant de violence qu'il en mourut. Il écrivit eu même temps aux Empereurs tout ce qui s'était passé. Cyrille leur écrivit aussi, et leur fit une relation fort différente de la sienne. Ayant redemandé le corps d'Ammonius, il le fit enterrer dans une Église, lui donna le nom de Thaumase, et le loua dans ses Sermons comme un Martyr qui avait perdu la vie pour la défense de la piété. Cette action de Cyrille ne fut pas approuvée par tous les Chrétiens, qui savaient qu'Ammonius, bien loin d'avoir perdu la vie pour la foi, n'avait souffert que le juste châtiment de son insolence. Aussi Cyrille s'efforça-t-il d'en ensevelir peu à peu la mémoire dans l'oubli. Mais son inimitié contre Oreste, bien loin de s'assoupir se réveilla par un nouvel accident. CHAPITRE XV. Mort de la savante Hypatie. Il y avait dans Alexandrie une femme nommée Hypatie, fille du Philosophe Théon, qui avait fait un si grand progrès dans les sciences qu'elle surpassait tous les Philosophes de son temps, et enseignait dans l'école de Platon et de Plotin, un nombre presque infini de personnes, qui accouraient en foule pour l'écouter. La réputation que sa capacité lui avait acquise, lui donnait la liberté de paraître souvent devant les Juges, ce qu'el/e faisait toujours, sans perdre la pudeur, ni la modestie, qui lui attiraient le respect de tout le monde. Sa vertu, toute élevée qu'elle était, ne se trouva pas au dessus de l'envie. Mais parce qu'elle avait amitié particulière avec Oreste, elle fut accusée d'empêcher qu'il ne se réconciliât avec Cyrille. Quelques personnes transportées d'un zèle trop ardent, qui avaient pour chef un Lecteur nommé Pierre, l'attendirent un jour dans les rues, et l'ayant tirée de sa chaise, la menèrent à l'Eglise nommée Césaréon, la dépouiIIèrent, et la tuèrent à coups de pots cassés. Après cela ils hachèrent son corps en pièces, et les brûlèrent dans un lieu appelé Cinaron. Une exécution aussi inhumaine que celle-là couvrit d'infamie non seulement Cyrille, mais toute l'Eglise d'Alexandrie, étant certain qu'il n'y a rien si éloigné de l'esprit du Christianisme que le meurtre et les combats. Cela arriva au mois de Mars durant le Carême, en la quatrième année du Pontificat de Cyrille, sous le dixième Consulat d'Honorius, et le sixième de Théodose. CHAPITRE XVI. Meurtre commis par les Juifs. Les Juifs commirent bientôt après des cruautés horribles, dont ils furent punis comme ils méritaient. Comme ils se divertissaient en un lieu nommé Inmestar, assis entre Antioche et la Calcide, lorsqu'ils furent pleins de vin, ils commencèrent à se moquer de Jésus-Christ et des Chrétiens, et pour déshonorer plus outrageusement la Croix, et ceux qui y mettent leur confiance, ils prirent un enfant, l'attachèrent à une Croix, et se mirent à en rire et à s'en divertir. Puis étant transportés de fureur, ils lui donnèrent tant de coups qu'il en mourut. Cette cruelle exécution ayant excité une petite guerre entre les Juifs et les Chrétiens, les Empereurs envoyèrent ordre aux Gouverneurs d'informer contre les coupables, et de les punir. Ainsi les Juifs furent châtiés de cette action barbare qu'ils avaient commise comme en riant. CHAPITRE XVII. Miracle arrivé au Baptême d'un Juif. Chrysante Evêque des Novatiens étant mort le seizième jour du mois d'Août, sous le Consulat de Monaxius et de Plinthas, Paul fut élu pour remplir sa place. Il avait enseigné la Rhétorique en Latin, et depuis avait renoncé à cette profession pour mener une vie solitaire, et tout-a-fait semblable à celle qu'Evagre témoigne que mènent les Moines. Il observait comme eux le jeûne, l'abstinence de certaines viandes, et le silence. Il prenait un soin particulier d'assister les pauvres, de visiter les prisonniers, et de solliciter les Juges en leur faveur. Sans m'engager à faire ici son éloge, je me contenterai de rapporter une action digne d'être connue de la postérité. Un Juif faisant semblant d'être Chrétien, avait reçu plusieurs fois le Baptême, et avait amassé beaucoup d'argent par cette détestable imposture. Après avoir trompé les Evêques de plusieurs sectes, et avoir reçu le Baptême de la main des Ariens, et des Macédoniens, il se présenta à Paul, à dessein de le tromper encore de la même sorte. Cet Evêque loua son intention, l'instruisit des vérités de notre Religion, et l'obligea à jeûner durant plusieurs jours. Le Juif ennuyé de la longueur et de l'austérité de ce jeûne, pressait fort qu'on lui donnât le Baptême. Paul ne le voulant pas affliger par trop de remises, lui acheta une robe blanche, fit mettre de l'eau dans les fonds, et l'y mena. L'eau étant disparue, par un effet secret de la puissance divine, Paul et les autres qui étaient présents, crurent quelle s'était écoulée par les canaux, par où elle a accoutumé de s'écouler, et les ayant fait boucher avec plus de soin, on en versa d'autre dans les fonds ; mais elle disparut comme celle qui l'avait été mise auparavant. Alors Paul dit au Juif: Ou vous êtes mal disposé à recevoir le Baptême, ou vous l'avez déjà reçu. Le peuple étant accouru en foule pour voir ce miracle, quelques-uns reconnurent l'imposteur, et découvrirent qu'il avait reçu le Baptême de la main d'Atticus. CHAPITRE XVIII. Guerre entre les Perses, et les Romains. Défaite des Perses. Isdigerde Roi de Perse, qui avait toujours été allés favorable aux Chrétiens, étant mort, Vararane son fils et son successeur, les persécuta à la suscitation des Mages, et exerça contre eux une si étrange cruauté, qu'ils furent obligés de se réfugier parmi les Romains. Atticus Évêque de Constantinople les reçut avec beaucoup de charité, et pria l'Empereur Théodose de prendre leur protection. Il survint dans le même temps d'autres sujets de différents entre les Perses et les Romains. Ceux-là ne voulaient point renvoyer à l'Empereur des ouvriers qu'il leur avait prêtés pour travailler aux mines d'or, ni rendre aux marchands les marchandises qu'ils leur avaient prises. Outre cela ils redemandaient les Chrétiens qui avoient abandonné leur état. Les Romains n'avaient garde de les livrer, et ils étaient prêts de tout faire, plutôt que de les abandonner à la cruauté des Perses. La guerre ayant donc été déclarée, l'Empereur envoya une partie de ses troupes sous la conduite d'Ardabure, qui étant entré par l'Arménie dans l'Azazéne, y fit le dégât. Narsès Général des Perses alla au devant de lui, fut vaincu, et mis en fuite. Il entreprit incontinent après, pour se venger de sa défaite, de faire irruption sur les terres des Romains du côte de la Mésopotamie, où il n'y avait point de troupes. Mais Ardabure ayant été averti de son dessein, se hâta de ravager l'Azazène, et étant entré dans la Mésopotamie, l'empêcha d'y faire irruption. Narsès étant allé à Nisibe, Ville assise sur la frontière des deux nations, envoya offrir le combat à Ardabure, et lui demander à quel jour il lui plaisait de le donner. Ardabure lui fit cette réponse ; Sachez que les Romains ne combattront pas quand il vous plaira. L'Empereur ayant considéré que les Perses avaient assemblé toutes leurs forces mit en Dieu son espérance, et envoya des recrues à son armée. Comme les habitants de Constantinople appréhendaient l'événement du combat, des Anges apparurent à quelques personnes en Bithynie, et leur commandèrent de rapporter à la Ville que les Romains remporteraient la victoire, et que Dieu leur avait donné ordre de les défendre. Les habitants furent rassurés par cette promesse, et les soldats en conçurent une nouvelle ardeur. La guerre étant passée d'Arménie en Mésopotamie les Romains assiégèrent les Perses dans Nisibe, approchèrent leurs Tours des murailles, et tuèrent un grand nombre de ceux qui les défendaient. Vararane ayant appris que l'Azazène avait été ruinée par les armes des Romains, et que Nisibe était assiégée, se résolut de matcher lui-même à la tête de ses troupes, et implora le secours des Sarrasins, commandés par Alamondare homme vaillant, qui lui promit de réduire les Romains sous sa puissance, et de reprendre la Ville d'Antioche. Mais ces promesses si magnifiques ne furent suivies d'aucun effet. Car les Sarrasins ayant été surpris d'une terreur panique, s'imaginèrent être poursuivis par les Romains , et se précipitèrent eux- mêmes dans l'Euphrate, bien qu'ils fussent prés de cent mille. Cette prodigieuse multitude étant périe de la sorte, les Romains qui assiégeaient Nisibe apprirent que le Roi de Perse amenait contre eux des Eléphants, et ayant été saisis de peur, ils brûlèrent leurs machines, et s'en retournèrent en leur pays. Je crois devoir omettre les combats qui furent donnés depuis la célèbre victoire que les Romains remportèrent sous la conduite d'Aréobinde, la prise et la mort de sept Capitaines Perses, qui tombèrent entre les mains d'Ardabure, la défaite des Sarrasins par Vitien, de peur de m'éloigner trop de mon sujet. CHAPITRE XIX Diligence extraordinaire d'un Courrier nommé Palladius. Bien que toutes ces choses que je viens de raconter se fussent passées fort loin de Constantinople, l'Empereur ne laissa à pas d'en être informé en très peu de temps. Il avait parmi ses sujets un homme d'une extraordinaire force de corps et d'esprit, nommé Palladius, qui courait la poste avec une telle vitesse, qu'en trois jours il allait de Constantinople à la frontière de Perse, et en trois autres jours revenait à Constantinople II fit plusieurs autres voyages par l'ordre de l'Empereur, et la diligence avec laquelle il s'en acquitta, fut si extraordinaire, qu'un éloquent homme de ce temps-là, dit fort agréablement, que bien que les bornes de l'Empire fussent fort éloignées, il semblait les rapprocher. Le Roi de Perse était lui-même étonné de la manière avec laquelle cet homme se trouvait partout en si peu de temps. CHAPITRE XX. Nouvelle défaite des Perses. L''empereur usa avec une si grande modération de la victoire que Dieu lui avait accordée qu'il souhaita de faire la paix, et envoya, pour cet effet Hélion en Perse. Lorsqu'il fut arrivé en Mésopotamie, à l'endroit où les Romains avaient creusé un grand fossé pour leur défense, il envoya devant lui Maximin Assesseur d'Ardabure, Maître de la milice, pour faire les premières propositions. Comme ce Maximin était fort éloquent, il dit au Roi de Perse qu'il avait été envoyé pour faire la paix, non par l'Empereur qui ne savait rien de la guerre ; mais par les Chefs de son armée. Le Roi de Perse était assez disposé à la paix, parce que ses troupes manquaient de vivre. Mais ceux d'entre ses soldats qui sont surnommés Immortels, et qui étaient au nombre de dix mille, lui conseillèrent de ne rien conclure, qu'ils n'eussent attaqué les Romains à l'improviste. Le Roi ayant approuvé leur avis leur permit de faire ce qu'ils jugeraient à propos, et commanda d'enfermer cependant l'Ambassadeur. Les Immortels se divisèrent en deux bandes à dessein de surprendre les Romains. Ceux-ci n'ayant vu qu'une des deux bandes se mirent en devoir de la recevoir. Au même instant d'autres Romains commandés par Procope Maître de la milice ayant aperçu du haut d'une colline, que leurs compagnons étaient en danger, se rendirent pour les défendre, et ayant enveloppé les Perses, les taillèrent en pièces. Ils marchèrent ensuite vers l'autre bande, et la défirent comme la première. Ainsi ces troupes qu'on appelait Immortelles parurent sujettes à la mort. Plusieurs crurent que cette défaite était un juste châtiment, par lequel Dieu vengeait le sang d'un grand nombre de personnes de piété, que ces peuples avaient fait périr par divers genres de supplices. Le Roi de Perse feignit ne savait rien de la perte de ses armées, et ayant fait venir Maximin devant lui, il lui parla en ces termes. J'accepte la paix, non par l'appréhension de la puissance des Romains, mais par le désir de vous obliger, vous, dis-je, que j'estime comme un des plus prudents de leur nation, et ainsi cette guerre qui avait été entreprise à l'occasion des Chrétiens, qui souffraient persécution en Perse, fut terminée en la quatrième année de la trois centième olympiade, sous le treizième Consulat d'Honorius, et le dixième de Théodose.