[5,0] Livre cinquième. [5,42] XLII. RARETÉ DES GENS DE BIEN. Quoi! votre ami vous a déjà persuadé qu'il est homme de bien ! Ce n'est pourtant pas si promptement qu'on peut le devenir, ni même le paraître. Encore savez-vous de quel homme de bien je parle? De celui de la seconde classe; pour l'autre, c'est un phénix qui naît peut-être une fois tous les cinq cents ans. Rien de plus simple ; il faut du temps pour créer des merveilles. La nature est fertile en productions médiocres et communes : la rareté de ses chefs-d'oeuvre en fait sentir le prix. Mais que votre ami est loin du terme où il se croit arrivé! S'il savait ce que c'est qu'un homme de bien, il ne se flatterait pas sitôt de l'être, peut-être même désespérerait-il de le devenir jamais. - Pourtant il hait les méchants! - Les méchants les haïssent aussi. Le plus grand supplice de la méchanceté, c'est d'être odieuse à elle-même et aux siens. - Mais il déteste ceux qui abusent d'un pouvoir subit et absolu ! - Il ferait ce qu'ils font, s'il pouvait ce qu'ils peuvent. Que de vices cachés par l'impuissance de mal faire, et qui, une fois secondés, éclateront avec autant d'audace que ceux que la prospérité a révélés! Pour déployer leur méchanceté, il ne leur manque que l'occasion. Ainsi le serpent le plus venimeux est manié sans danger, tant qu'il est engourdi par le froid ; son venin n'est pas mort, seulement il sommeille. Chez une foule de gens, la cruauté, l'ambition, la débauche n'attendent souvent pour les égaler aux plus grands scélérats que les faveurs de la fortune. Ils ont les mêmes penchants; voulez-vous vous en convaincre, donnez-leur le même pouvoir. Vous rappelez-vous cet homme que vous pensiez être à vous ? Il est bien léger, bien frivole, vous disais-je; vous le tenez par l'aile et non par les pieds. Je me trompais, vous ne teniez qu'une plume; il vous la laissa dans la main et s'envola. Vous savez quels tours il vous a joués depuis, et comment, par ses entreprises téméraires, il se fit l'artisan de sa ruine. Il ne voyait pas qu'en cherchant à perdre les autres, il se perdait lui-même ; et que les biens qu'il convoitait étaient onéreux ou du moins superflus. Oui, Lucilius, les choses que l'on ambitionne, que l'on recherche avec le plus d'ardeur, on doit voir qu'elles sont ou inutiles ou plus tôt nuisibles. Les unes sont superflues; les autres ne sont pas de si grande valeur. Mais notre prévoyance ne va pas jusque-là; et ce qui nous coûte le plus, nous croyons l'acquérir pour rien. Étrange aveuglement de l'homme ! Il ne croit acheter que ce qu'il paye de son argent ; et il appelle gratuit ce qu'il paye de lui-même. Ce qu'on ne voudrait point acquérir au prix d'une maison, d'une terre agréable et fertile, on est prêt, pour l'obtenir, à sacrifier son repos, sa sûreté, son honneur, son indépendance et son temps. Ainsi l'homme n'a rien de plus vil à ses yeux que lui-même ! Il faut donc, avant de former un dessein, une entreprise, traiter avec nous-mêmes comme avec le possesseur d'une marchandise; comparer avec son prix l'objet de nos désirs. Souvent ce qu'on paye le moins est ce qui coûte le plus. Combien ne pourrais-je pas vous montrer de choses acquises ou reçues aux dépens de notrd liberté! Nous serions à nous-mêmes, si elles n'étaient à nous. Faites donc ces réflexions et dans le gain et dans la perte. Dites : Ce bien doit-il partir? oui, car il est venu. Vous avez su vous en passer, vous saurez vous en passer encore. Après une longue jouissance, vous le perdez rassasié ; sinon, avant d'en avoir pris l'habitude. Vous aurez moins d'argent ! ainsi moins d'embarras. Moins de crédit ! partant moins d'envieux. Voyez tous ces objets qui nous poussent à l'extravagance, qu'on ne quitte qu'avec larmes ; ce n'est pas leur perte qui est insupportable, mais l'idée de leur perte. La perte, on ne la sent pas, on la pense. Qui se possède encore n'a rien perdu; mais aussi combien sont capables de se posséder? [5,43] XLIII. LE SAGE DOIT TOUJOURS VIVRE COMME EN PUBLIC. Vous me demandez qui m'a si bien instruit, et m'a fait part d'un secret que vous n'avez dit à personne ---. - Celle qui sait bien des choses, la Renommée. - Quoi! direz-vous, suis-je donc assez important pour mettre la renommée en émoi? - Lucilius, ne vous mesurez pas sur l'endroit où je suis, mais sur celui où vous êtes. Qui domine ses voisins est grand là où il domine. La grandeur est relative ; elle croit et décroît par comparaison. Ce qui sur le fleuve est vaisseau, est barque sur la mer; le même gouvernail est trop grand pour un navire et trop petit pour un autre. Vainement vous voulez vous rabaisser, vous êtes grand dans votre province; vos actions, vos repas, votre sommeil, tout est épié, tout est connu. Raison de plus pour veiller à votre conduite. Or, vous pourrez vous dire heureux quand vous pourrez vivre en public; quand votre toit vous couvrira sans vous cacher; ce toit qui, pour la plupart des gens, est moins une garantie de sûreté qu'un asile de vices. Voici qui doit vous donner une idée de nos moeurs : à peine trouveriez-vous un homme qui voulût vivre les portes ouvertes. Les portiers sont une invention de la honte et non de l'orgueil ; et, de la manière dont on vit, c'est être surpris que d'être vu tout à coup. Mais à quoi sert de se cacher, de fuir les yeux et les oreilles d'autrui? La bonne conscience appelle les témoins ; la mauvaise, dans un désert, est inquiète, en proie aux alarmes. Vos actions sont honnêtes ? que tous les sachent; honteuses? à quoi sert qu'on les ignore? vous les savez. Et malheur à vous si vous bravez un pareil témoin ! [5,44] XLIV. LA VRAIE NOBLESSE EST DANS LA PHILOSOPHIE. Voilà que vous vous rabaissez encore ; à vous entendre, vous êtes maltraité de la nature, de la fortune. Pourtant elles vous élèvent au-dessus du vulgaire et vous permettent d'aspirer à la suprême félicité. La philosophie, et c'est là son principal mérite, ne regarde pas à la noblesse. Remontez à l'origine des temps, tous les hommes sont issus des dieux. Vous êtes chevalier romain, votre mérite vous a fait entrer dans cet ordre ; mais à combien d'autres les quatorze gradins ne sont-ils pas interdits! Le sénat ne s'ouvre pas à tout le monde ; et la milice elle-même se rend difficile sur le choix de ceux qu'elle destine aux dangers et aux fatigues. Mais la vertu est accessible à tous; pour elle, nous sommes tous nobles. La philosophie ne refuse, ne préfère personne; son flambeau luit pour tout le monde. Socrate n'était pas patricien; Cléanthes louait ses bras pour arroser un jardin ; et sa noblesse, Platon la dut à la philosophie. Pourquoi désespérer d'égaler ces grands hommes? ils seront vos ancêtres, si vous êtes digne d'eux; et vous le serez, avec la conviction que nul n'est plus noble que vous. Nous avons tous autant de degrés de noblesse; notre origine à tous se perd dans la nuit des temps. "Point de roi, dit Platon, qui n'ait pour aïeux des esclaves ; point d'esclave qui n'ait des rois pour aïeux". Une longue suite de révolutions a mêlé, confondu les générations. Quel est donc l'homme véritablement noble ? Celui que la nature a formé pour la vertu. C'est là le seul titre de noblesse; autrement, si vous me renvoyez à l'antiquité des races, tout homme date d'une époque avant laquelle il n'y eut rien. Depuis le commencement du monde jusqu'à nos jours, les vicissitudes du sort nous ont fait passer tour à tour par des degrés obscurs ou brillants. Un vestibule rempli de portraits enfumés ne fait pas la noblesse. Personne n'a vécu pour notre gloire; et ce qui fut avant nous n'est pas à nous. L'âme seule ennoblit; elle peut de toutes les conditions s'élever au-dessus de la fortune. Supposez que vous ne soyez pas chevalier romain, mais affranchi; vous pouvez être le seul homme libre parmi tant de citoyens distingués. - Comment? direz-vous. - En ne prenant pas le vulgaire pour juge des biens et des maux; en considérant moins d'où ils viennent qu'où ils vont. Ce qui rend la vie heureuse est le vrai bien : car le vrai bien ne peut se changer en mal. Où donc est l'erreur? On veut être heureux, mais on prend l'instrument du bonheur pour le bonheur lui-même; et on s'éloigne de lui en voulant le poursuivre. Au lieu de cette paix solide, de cette confiance inébranlable qui font le bonheur, on ne recueille qu'inquiétudes; et, sur la route si périlleuse de la vie, l'homme ne porte pas son fardeau, il le traine; de plus en plus il s'écarte du but qu'il poursuit; tous ses efforts ne servent qu'à l'embarrasser davantage et à le ramener en arrière. Ainsi, dans un labyrinthe, on s'égare d'autant plus, que l'on court plus promptement. [5,45] XLV. DES VAINES SUBTILITÉS DE LA DIALECTIQUE. Vous vous plaignez de la disette des livres dans votre province ! L'important n'est pas d'en avoir beaucoup, mais d'en avoir de bons : à continuer les mêmes lectures il y a profit, agrément à les varier. Qui veut arriver à un but déterminé doit suivre un chemin, et non pas en parcourir plusieurs ; autrement il n'avance pas, il erre à l'aventure, - J'aimerais mieux, dites-vous, des livres que des conseils ? - Je suis prêt à vous envoyer tous les miens, à dégarnir ma bibliothèque; je me transporterais même auprès de vous, si faire se pouvait. Oui, sans l'espoir de la fin prochaine de votre mission, je forcerais ma vieillesse à ce voyage tardif; ni Charybde, ni Scylla, ni ce détroit dont on fait tant de contes ne pourraient m'arrêter. Je le franchirais, que dis-je ? je le passerais à la nage pour embrasser Lucilius, pour juger par mes yeux des progrès de son âme. Quant à votre désir de posséder mes ouvrages, il ne m'abuse point sur mes talents, pas plus que la demande de mon portrait ne m'abuserait sur ma figure. C'est l'amitié qui vous le suggère, et non pas votre goût; ou, si c'est votre goût, l'amitié l'a séduit. Mais quels qu'ils soient, regardez-les comme ceux d'un homme qui cherche la vérité sans se vanter de la connaître, et qui la cherche avec opiniâtreté. Je ne m'asservis à personne ; je ne me couvre d'aucun nom. Sans récuser le témoignage des grands hommes, j'attache quelque prix au mien. En effet, ils ont plus laissé à découvrir qu'ils n'ont transmis de découvertes; et peut-être eussent-ils trouvé le nécessaire, s'ils n'avaient couru après le superflu. Que de temps ils ont perdu en chicanes de mots, en argumentations captieuses qui n'exercent qu'une vaine subtilité ! Nous faisons des noeuds pour les défaire ; nous attachons aux mots un sens équivoque pour l'en détacher ensuite. Nous avons donc bien du temps ! Nous savons donc vivre ! nous savons donc mourir! Notre sagacité doit se déployer tout entière à fuir les erreurs de choses et non pas celles des mots. Pourquoi ces distinctions dans le sens d'un mot, sens partout évident, hormis dans nos disputes ? Lucilius, c'est la chose qui nous trompe; sachons la discerner. Nous prenons le mal pour le bien ; nous désirons les contraires; nos voeux se combattent; nos conseils se détruisent. Que la flatterie ressemble à l'amitié ! elle la simule ; je dis plus, elle la surpasse et la domine ! elle trouve des oreilles disposées et favorables, elle pénètre au fond des coeurs, et sait plaire en blessant. Dites, comment me tirer de ces ressemblances? Un ennemi caressant vient à moi comme ami; le vice, pour s'insinuer, prend le masque des vertus; la témérité veut passer pour courage, la lâcheté pour modération, la timidité pour prudence. C'est là qu'on risque à se tromper, c'est là qu'il faut des marques distinctives ! Mais l'homme à qui l'on demande "s'il a des cornes, ne sera pas assez sot pour se tâter le front, assez stupide, assez hébété pour ignorer qu'il n'a pas ce qu'à force de subtilités vous voulez lui prouver qu'il possède. Ces finesses trompent sans nuire; elles trompent comme les tours des escamoteurs, dont l'illusion fait tout le charme ; le secret découvert, adieu le plaisir. Il en est de même de vos arguties; et on effet, quel autre nom donner à des sophismes, inutiles à qui les possède, inutiles à qui les ignore ? Si vous voulez à toute force ôter aux mots tout sens équivoque, dites-nous que l'homme heureux n'est pas celui que le peuple appelle de ce nom, celui qui nage dans l'opulence, mais le sage qui trouve en lui-même ses trésors ; qui, fier et magnanime, foule aux pieds ce que l'on admire; qui ne voit personne contre qui il voulût se changer ; qui ne prise dans l'homme que ce qui est de l'homme; qui prend pour guide la nature, obéit à ses lois, se conforme à ses préceptes; qui ne se laisse ravir ses biens par aucune force ; qui, ferme dans ses principes, intrépide, inébranlable, sait changer le mal en bien ; le sage enfin, que la violence peut ébranler, mais non renverser, jamais et que, la fortune, de ses traits les plus meurtriers, les plus redoutables, effleure sans le blesser et n'effleure que rarement ; car ces traits vulgaires qui triomphent du genre humain, sur le sage ne font que rebondir comme la grêle qui bat les toits, retentit, et se fond sans causer de dégâts au dedans. Pourquoi me retenir sur cet argument que vous-même appelez le "menteur", et sur lequel on a tant écrit de livres? Ma vie entière n'est que mensonge; réfutez mes erreurs, ramenez mon esprit au vrai. On appelle nécessaires des choses en grande partie superflues, ou qui, sans l'être précisément, sont inutiles au bonheur. Une chose n'est pas un bien, pour être nécessaire ; et c'est prostituer ce nom, que de l'appliquer à du pain, à de la farine, à des objets de première nécessité. Ce qui est un bien, est par le fait nécessaire; mais ce qui est nécessaire, n'est pas pour cela un bien ; souvent une chose est nécessaire et de nulle valeur. Nul ne peut ignorer l'excellence du bien, au point de la ravaler à des choses d'une utilité momentanée. Eh quoi ! n'est-ce pas une tâche plus digne de vous de prouver aux hommes qu'ils perdent leur temps à la recherche du superflu, et que leur vie se passe à chercher les moyens de vivre? Examinez les individus, contemplez l'espèce entière : nul ne songe au présent. - Quel mal y a-t-il, dites-vous ? - Un mal infini. On ne vit pas, on se prépare à vivre et on ajourne la vie. Nous ferions tous nos efforts, que la vie nous dépasserait ; aujourd'hui, elle fuit loin de nous, au milieu de tous ces délais ; elle finit à notre dernier jour, à chaque jour nous la perdons. Mais j'oublie qu'une lettre ne doit occuper que la main gauche du lecteur; je termine celle-ci, et remets à un autre temps le procès des dialecticiens, ces hommes trop subtils, trop occupés de la forme, et pas assez du fond. [5,46] XLVI. JUGEMENT ET ÉLOGE D'UN OUVRAGE DE LUCILIUS, SUR LA PHILOSOPHIE, A CE QUE L'ON CROIT. L'ouvrage de vous que vous m'aviez promis, je l'ai reçu, et, voulant le lire à mon aise, je m'étais contenté de l'ouvrir pour en prendre une idée; peu à peu il m'inspira le désir d'aller plus loin. Rien de plus éloquent; et la preuve, c'est qu'il m'a paru court, quoiqu'à son volume il eût dès l'abord semblé de Tite-Live ou d'Épicure, et non de vous ou de moi. Attaché, entrainé par un charme irrésistible, je le parcourus d'une seule traite. Le déclin du soleil m'avertissait, la faim me pressait, le ciel se couvrait de nuages : rien ne m'arrêta ; je le lus tout entier. Ce n'était pas du plaisir, c'était du ravissement. Quel génie! quelle âme! je dirais quel enthousiasme! s'il y avait des repos, si le style ne s'élevait que par intervalles. Mais non, son mouvement est soutenu, sa marche mâle et sévère; et pourtant il y règne un heureux mélange de gracieux et de doux. Lucilius, vous avez l'âme grande et forte; poursuivez votre route, et marchez du même pas. Votre sujet vous a secondé; il faut en choisir de fertiles qui inspirent votre génie, et excitent son ardeur. Je vous écrirai plus au long sur votre livre, quand je l'aurai repris; aujourd'hui mon jugement n'est pas plus arrêté que si je l'avais entendu lire, et non pas lu moi-même. Laissez-moi le temps de l'examen : vous n'avez rien à craindre, vous saurez la vérité. Que vous êtes heureux de n'avoir rien qui intéresse personne à vous mentir de si loin ! il est vrai qu'à défaut de motifs, on ment aujourd'hui par habitude. [5,47] XLVII. TRAITER AVEC BONTÉ SES ESCLAVES. J'ai appris avec plaisir de ceux qui viennent d'auprès de vous que vous vivez en famille âvec vos esclaves! je reconnais là votre prudence et vos principes. Ils sont esclaves; mais ils sont hommes. Ils sont esclaves! mais ils logent sous votre toit. Ils sont esclaves! non ; ils sont des amis dans l'abaissement. Ils sont esclaves! eh! oui, nos compagnons d'esclavage, si nous considérons que la fortune a un égal pouvoir sur eux et sur nous. Aussi je ris, quand je vois des hommes tenir à déshonneur de souper avec leur esclave; et pourquoi? parce qu'un usage insolent entoure le maitre, à son souper, d'une foule d'esclaves debout autour de lui. Il prend, ce maître, plus de nourriture qu'il n'en peut contenir; il surcharge avec une effrayante avidité son estomac déjà plein et déshabitué de ses fonctions; il avale avec peine, pour rejeter avec plus de peine encore ; cependant ses malheureux esclaves ne peuvent ouvrir la bouche, pas même pour lui parler. Le fouet est là pour étouffer tout murmure; le hasard lui-même n'est pas pour eux une excuse; une toux, un éternument, un hoquet, le plus léger bruit, sont autant de crimes suivis du châtiment. Toute la nuit, ils restent debout, à jeun, en silence. Qu'en arrive-t-il? on se tait devant le maître; on parle de lui en arrière. Mais les esclaves dont les lèvres n'étaient pas cousues, ceux qui pouvaient converser devant le maître et avec lui, ceux-là étaient prêts à mourir pour lui, à détourner sur leur tête le péril qui le menaçait. Ils parlaient à table, mais ils se taisaient à la torture. C'est encore notre arrogance qui a créé ce proverbe : « Autant d'esclaves, autant d'ennemis. » Nos ennemis! ils ne le sont pas; c'est nous qui les faisons tels. Je me tais sur d'autres preuves de notre barbarie et de notre inhumanité à leur égard ; je ne vous les montre pas assimilés aux bêtes de somme, et comme tels, encore trop accablés; tandis que nous sommes mollement étendus pour souper, l'un essuie les crachats, l'autre, penché, recueille ce que rejette l'estomac des convives pleins de vin; un troisième découpe les oiseaux les plus rares, et, promenant avec aisance sa main savante de l'estomac au croupion, les partage en aiguillettes. Il ne vit, le malheureux, que pour dépecer proprement des volailles; heureux encore de faire ce métier par besoin, au lieu de l'enseigner par plaisir! Voyez cet autre qui verse le vin : paré comme une femme, il lutte avec son âge ; il veut sortir de l'enfance, on l'y retient de force. On arrache, on déracine tous les poils de son corps. Avec la taille d'un guerrier et la peau lisse d'un enfant, il veille la nuit entière, servant tour à tour l'ivrognerie et l'impudicité de son maître: époux dans la chambre à coucher, échanson à table. Cet autre, chargé de la censure du repas, reste sans cesse debout, et note ceux des convives dont les flatteries, dont les excès de gourmandise ou de langue mériteront une invitation pour le lendemain. Ajoutez ces pourvoyeurs habiles, initiés à tous les goûts du maître ; qui savent quel mets le réveille par sa saveur, le réjouit par son aspect, triomphe de ses dégoûts par sa nouveauté; celui dont il est déjà las, celui dont il aura faim tel jour. Et lui n'oserait souper avec eux; il croirait compromettre sa dignité que de s'asseoir à la même table; mais, grâces aux dieux, il trouve en eux des maîtres. A la porte de Calliste, j'ai vu se morfondre son ancien maître; j'ai vu celui qui lui avait mis l'écriteau, qui l'avait exposé parmi les esclaves de rebut, exclu seul quand tout le monde entrait. Ce n'était que justice. Rejeté par son maître dans la première série par où prélude le crieur, l'esclave le rejeta à son tour, et ne le jugea pas digne d'entrer chez lui. Calliste a été vendu par son maître; mais que de choses ne lui a-t-il pas vendues! Songez un peu que cet homme que vous appelez votre esclave est né de la même semence que vous, qu'il jouit du même ciel, respire le même air, et, comme vous, vit et meurt. Il peut vous voir esclave, comme vous pouvez le voir libre. A la défaite de Varus, que de Romains d'une illustre naissance, à qui leurs exploits allaient ouvrir le sénat, se sont vus rabaissés par la fortune! De l'un elle a fait un berger, de l'autre un gardien de chaumière. Méprisez donc un homme pour sa condition, qui, toute vile qu'elle vous paraît, peut devenir la vôtre. Je ne veux point entreprendre une tâche immense, discuter l'emploi que l'on doit faire de ces esclaves, victimes de notre orgueil, de notre cruauté, de nos mépris; je réduis mes préceptes à un seul : « Traitez votre inférieur comme vous voudriez être traité par votre supérieur. » Ne pensez jamais à votre pouvoir sur votre esclave, sans songer en même temps à celui qu'un maître aurait sur vous. - Mais je n'ai pas de maître. - Vous êtes dans l'âge heureux de votre vie; peut-être en aurez-vous. Ne savez-vous donc plus à quel âge Hécube, Crésus, la mère de Darius, Platon, Diogène, sont devenus esclaves? Traitez les vôtres avec indulgence et même avec familiarité; admettez-les à votre conversation, à votre confidence, à votre intimité. Ici tous nos voluptueux de se récrier : Quelle honte! quelle bassesse! Et pourtant ces .mêmes hommes, je les surprendrai baisant la main des esclaves d'autrui. Ne voyez-vous pas d'ailleurs avec quel soin nos pères ont sauvé aux maîtres, l'odieux; aux esclaves, l'humiliant de la servitude? Le maître, ils l'ont appelé père de famille; l'esclave, homme de la famille; nom qu'il porte encore à la scène. Une fête même fut par eux instituée, dans laquelle les esclaves avaient le droit de manger avec leur maître, et d'exercer des charges, de rendre la justice dans l'intérieur de la maison, qui présentait alors l'image d'une petite république. - Quoi donc? je recevrai tous mes esclaves à ma table! - Pas plus que tous les hommes libres. N'allez pas croire, je vous prie, que je rejetterai certaines fonctions comme trop basses, que j'exclurai ce muletier ou ce bouvier; non, je mesurerai l'homme à ses moeurs et non pas à son ministère. Les moeurs, chacun se les fait; les emplois, le sort en dispose. Admettez les uns à votre table, parce qu'ils en sont dignes, les autres pour qu'ils le deviennent. Ce qu'ils ont pris de bas dans le commerce des esclaves, une société plus honnête l'effacera. Pourquoi, Lucilius, ne chercher un ami qu'au sénat ou sur la place publique ? Cherchez bien et vous en trouverez dans votre propre maison. Souvent les meilleurs matériaux se perdent, faute d'ouvrier; il ne s'agit que de les mettre en oeuvre, de les essayer. Celui-là est un fou, qui, faisant marché pour un cheval, n'en regarde que la housse et le frein, sans songer à la bête; mais plus fou encore est celui qui juge un homme sur son habit, ou bien sur sa condition, qui est encore pour nous une espèce d'habit. Il est esclave; mais peut-être son âme est libre. Il est esclave; doit-on lui en faire un crime? Eh! qui ne l'est pas? esclave de la débauche, esclave de l' avarice, esclave de l'ambition: tous du moins esclaves de la peur! Je vois ce consulaire asservi à une vieille femme, ce riche à une servante, des jeunes gens de la première qualité à des comédiennes. Il n'est pas de servitude plus honteuse que la servitude volontaire. Que les dédains de ces hommes ne vous empêchent donc pas de vous dérider avec vos esclaves, et d'exercer votre autorité sans orgueil. Faites-vous respecter plutôt que craindre. On va m'accuser d'arborer pour les esclaves le bonnet de la liberté, d'attaquer l'autorité des maîtres; eh bien! je le répète, mieux vaut de leur part le respect que la crainte. - Ainsi donc les voilà sur le pied de nos clients et de protégés? - Et vous-même, voulez-vous donc que les maîtres soient plus difficiles que Dieu? il se contente de respect et d'amour. Il est donc très sage à vous de ne vouloir pas être craint de vos esclaves, de ne les châtier qu'en paroles; les coups sont pour les brutes. Ne blesse pas tout ce qui peut nous atteindre; mais la mollesse dispose à la colère; elle nous rend furieux, à la moindre contradiction. Nous devenons autant de petits rois. Les rois aussi, oubliant et leur force et la faiblesse d'autrui, s'emportent, deviennent furieux, comme s'ils avaient reçu quelque injure : accident au-dessus duquel s'élève leur fortune. Ils ne l'ignorent pas, mais ils recherchent, ils saisissent l'occasion de nuire; ils supposent une injure, afin de la venger. Je ne veux pas vous retenir plus longtemps; vous n'avez pas besoin d'exhortation. C'est un avantage de la vertu, de se complaire en elle-même et de s'y arrêter. Le vice est inconstant, il change à chaque heure, non pour être mieux, mais pour être autrement. [5,48] XLVIII. DE L'AMITIÉ; FUTILITÉS DES DISCUSSIONS SOPHISTIQUES. La lettre que vous m'avez envoyée en route, lettre aussi longue que la route elle-même, aura plus tard sa réponse. Pour vous conseiller, il me faut de la retraite et une mûre délibération. En effet, vous-même qui me demandez un avis, vous avez longtemps réfléchi avant de le demander; à plus forte raison ai-je le même droit, puisqu'il faut plus de temps pour résoudre une question que pour la proposer; puisque surtout nos intérêts ne sont pas les mêmes. Mais voilà que je parle encore en épicurien; car nos intérêts sont les mêmes; ou je ne suis pas votre ami, ou tout ce qui vous concerne me regarde autant que vous. L'amitié rend tout commun entre nous; plus de chagrins, de plaisirs à part; nous vivons solidaires. Il n'y a point de vie heureuse pour quiconque n'envisage que soi, rapporte tout à ses intérêts; vivez pour autrui afin de vivre pour vous-même. II le faut garder religieusement ce pacte qui unit l'homme à l'homme, car s'il établit des droits communs à tout le genre humain, il ne contribue pas moins à cette association plus intime, à cette amitié dont nous parlions. Tout vous sera commun avec votre ami, si presque tout l'est avec votre semblable. 0 Lucilius, le meilleur des hommes, j'aime mieux que nos sophistes me disent quels sont mes devoirs envers mes amis, envers les hommes, que de me dire les différentes acceptions des mots d'homme et d'ami. Ici deux routes opposées, celle de la sagesse et celle de la sottise. Dans laquelle suis-je? et laquelle prendre? Pour l'un, tout homme est un ami; pour l'autre, un ami n'est qu'un homme : tel prend un ami pour soi, tel autre se donne à son ami. Mais on torture les mots, on épluche les syllabes. Ainsi, à moins de construire un argument captieux, à moins d'appuyer un mensonge sur un principe vrai, à l'aide d'une fausse conséquence, je saurai distinguer ce qu'il faut choisir de ce quil faut éviter. J'en rougis, nous; vieillards, jouer sur des choses aussi graves! "Un rat est une syllabe; or, un rat ronge du fromage; donc une syllabe ronge du fromage". Supposez que je ne puisse débrouiller ce sophisme, où serait pour moi le grand péril, le grand inconvénient? Sans doute il est à craindre qu'un beau jour des syllabes ne se viennent jeter dans mes ratières, ou que, si je n'y prends garde, un de mes livres ne me mange un fromage; mais j'ai, pour me rassurer, ce victorieux syllogisme : "Un rat est une syllabe; or, une syllabe ne ronge pas du fromage; donc un rat ne ronge pas du fromage". Quelles puérilités ! quelles sottises! et voilà pourquoi nous fronçons les sourcils, nous laissons croître nos barbes! Voilà les vérités que nos visages pâles et renfrognés enseignent au genre humain! Voulez-vous savoir à quoi s'engage la philosophie envers l'homme? à le conseiller. L'un est en face de la mort, l'autre en proie à la misère, un troisième gémit sous le poids de richesses usurpées ou légitimes; celui-ci a l'adversité en horreur, celui-là veut se dérober à ses prospérités; ce dernier est persécuté par les hommes, et cet autre par les dieux. Qu'ai-je à faire de vos arguties? ce n'est pas le moment de plaisanter : des malheureux vous invoquent. Ce naufragé, ce captif, ce malade, ce misérable, ce condamné dont la tête est sous la hache, tous réclament de vous le secours que vous avez promis. A quoi pensez-vous ? que faites-vous? Vous jouez, et ils meurent d'effroi ! Homme éloquent, qui que tu sois, soulage les angoisses de ces mourants; tous ces hommes tendent vers toi les bras ; ils implorent ton assistance dans leur malheur, dans leur désespoir. Tu es leur seul espoir, leur seul appui. Retire-les de ce précipice; ils t'en supplient; fais briller aux yeux de cette foule errante et dispersée le flambeau de la vérité. Dis-leur ce que la nature a fait de nécessaire et de superflu; combien sont faciles à suivre les lois qu'elle a posées ; combien la vie est douce et libre à qui les observe, rude et semée d'entraves à qui s'en rapporte plus à l'opinion qu'à la nature. Commence par leur apprendre ce qui peut alléger leurs maux, éteindre leurs passions, ou du moins les amortir. Encore si ces sophismes n'étaient qu'inutiles ! mais ils sont. dangereux. Je suis prêt à vous le prouver jusqu'à l'évidence : le plus beau génie s'énerve et se rapetisse, égaré dans de telles subtilités! Quelles armes nous donnent-elles pour vaincre la fortune? pour parer ses coups? j'ai honte de le dire. Et c'est là la route du souverain bien ! non, cette philosophie n'est qu'un dédale de chicanes ténébreuses, indignes et avilissantes même pour ceux qui vivent de procès. Quand, par vos subtilités, vous induisez sciemment en erreur celui que vous interrogez, quel est votre dessein, sinon de le forcer à sortir de la formule? Mais, comme un préteur équitable, la philosophie le rétablit dans son droit. Pourquoi manquer à vos magnifiques promesses? A entendre vos pompeux discours, « l'éclat de l'or, pas plus que celui du fer, ne devait éblouir mes yeux; armé d'un courage surhumain, j'allais fouler aux pieds les objet les plus craints et les plus désirés; » et voilà que vous me faites descendre aux éléments de la grammaire! Répondrez-vous : C'est par là qu'on s'élève, jusqu'aux cieux? - Loin de là, ce que me promet la philosophie, c'est de me faire l'égal de Dieu ; c'est sur cette promesse que je suis venu : remplissez vos engagements ! Ainsi donc, mon cher Lucilius, échappez autant que vous le pourrez à ces subtilités d'une philosophie captieuse. La clarté, la simplicité sont les ornements du bon. Nous aurions du temps de reste, qu'il faudrait encore le ménager pour nos besoins ; quelle folie donc de s'occuper du superflu, quand la vie est si courte! [5,49] XLIX. LA VIE EST COURTE; NE POINT LA DÉPENSER EN FUTILITÉS. Sans doute, mon cher Lucilius, il y a de l'apathie et de l'indifférence à ne se rappeler son ami qu'à la vue de certains lieux; il peut se faire cependant que ces lieux, naguère par lui fréquentés, raniment en nous le chagrin de son absence; ils ne ressuscitent pas un souvenir éteint, ils réveillent un souvenir assoupi. Ainsi, après la perte d'un être chéri, notre douleur, bien qu'adoucie par le temps, renaît à l'aspect de son esclave, de sa maison, de l'habit qu'il portait. Cette Campanie que voici, et surtout cette ville de Naples, en vue de vos chers Pompéïes, vous ne sauriez croire à quel point elles me rendent présent le chagrin de la séparation. Vous êtes là, devant moi; il faut m'arracher de vos bras; je vous vois, dévorant vos larmes, et à demi vaincu parla douleur qui se trahit à travers vos efforts. Il me semble que c'est d'hier que je vous perdis. Eh! à bien y réfléchir, tout n'est-il pas "hier"? Hier, enfant, j'étais assis à l'école de Sotion; hier, j'ai plaidé ma première cause; hier, j'ai cessé de vouloir plaider; hier, de le pouvoir. La rapidité du temps est incroyable ; pour s'en rendre compte, il faut regarder en arrière; car, si nous l'observons dans le présent, elle échappe à notre vue, tant est fugitive la trace d'un vol aussi prompt! Vous en demandez la cause? c'est que tout le passé se rassemble en un même espace, présente le même aspect, et gît confondu, pour tomber dans les abîmes du néant. Dans un tout si petit, les parties ne peuvent être longues. Notre vie n'est qu'un point, et moins encore; mais ce point, en le divisant, la nature lui a donné une apparence d'étendue. Elle y a distingué l'enfance, l'adolescence, la jeunesse, le passage de la jeunesse à la vieillesse, enfin la vieillesse elle-même. Que de parties dans l'infinie petitesse! Hier, je vous reconduisais; et, hier, est une grande partie de notre vie, qui bientôt ne sera plus. Autrefois le temps me paraissait moins rapide; maintenant sa vitesse me confond, soit que je sente approcher mon terme, soit que je commence à examiner, à calculer mes pertes. Et voilà ce qui m'indigne contre certains philosophes : ce temps (qui, soigneusement ménagé, suffit à peine au nécessaire), l'employer en grande partie à des superfluités ! Cicéron nous assure que, « dût-on lui doubler le nombre de ses années, il n'aurait pas le temps de lire les lyriques.» Il pouvait dire : Ni les dialecticiens. Ce ne sont que des fous plus tristes. Les premiers avouent leur folie; les seconds se croient de quelque importance. Leur art mérite bien l'attention, mais l'attention d'un moment; il faut le saluer, mais de loin, uniquement pour n'y être pas pris, et pour reconnaître qu'il n'a ni une grande ni une utile propriété. Pourquoi vous tourmenter, vous dessécher sur une question qu'il y aurait plus d'adresse à mépriser qu'à résoudre.Celui qui déménage tranquillement et à son aise peut ramasser jusqu'à ses moindres effets; mais quand l'ennemi vous presse, quand le signal de la retraite est donné, la nécessité fait jeter à la hâte le butin recueilli pendant les loisirs de la paix. Non, je n'ai pas le temps de rechercher des mots à double sens, pour exercer sur eux ma subtilité. "Voyez courrir le peuple et border les remparts ; Voyez le fer aigu briller de toutes parts". C'est un grand courage qu'il me faut pour entendre sans effroi ce fracas de la guerre. Quand les femmes et les vieillards entassent des pierres sur les retranchements ; quand la jeunesse en armes derrière les portes attend et demande le signal du combat, que le fer de l'ennemi brille sous les murs, que le sol lui-même tremble ébranlé par la mine, n'y aurait-il pas de la folie à rester tranquillement assis, proposant de pareilles questions : "Ce que vous n'avez pas perdu, vous l'avez; or, vous n'avez pas perdu des cornes, donc vous avez des cornes"; et mille autres visions subtiles d'un esprit en délire. Et certes, vous me tiendriez pour également fou de m'en occuper. Moi aussi on m'assiège, avec cette différence que le péril ne me vient pas du dehors, qu'un mur ne me sépare pas de l'ennemi, mais que la mort me menace au dedans. Je n'ai pas de temps pour ces futilités; j'ai sur les bras une grande affaire. Que devenir? la mort me presse, la vie m'échappe. Venez à mon aide; dites-moi comment ne pas fuir la mort, comment retenir la vie ? Enseignez-moi la fermeté en présence des choses difficiles; et, en présence des maux inévitables, reculez pour moi les bornes du temps ; apprenez-moi que le bonheur de la vie ne consiste pas dans sa durée, mais dans l'usage qu'on en fait; qu'il est possible, et même ordinaire, d'avoir une vie à la fois longue et courte. Dites-moi, quand je vais dormir : Tu peux ne plus te réveiller; et, quand je me réveille: Tu peux ne plus dormir, quand je sors : Tu peux ne plus rentrer ; et, quand je rentre Tu peux ne plus sortir. Croyez-moi, ce n'est pas sur les flots seulement qu'une planche nous sépare de la mort; partout, entre elle et nous, l'intervalle est également court : elle ne se montre pas partout aussi proche, mais elle l'est partout. Dissipez les ténèbres qui me la cachent, et vous transmettrez plus facilement la vérité à un auditeur désormais préparé. La nature nous a faits dociles; elle nous a, donné une raison imparfaite, mais perfectible. Enseignez-moi la justice, la piété, la frugalité, la double continence, et celle qui respecte autrui, et celle qui se respecte elle-même. Épargnez-moi les détours, et j'arriverai plus facilement au terme. Car, suivant un tragique, "La vérité parle sans artifice". Il ne faut donc pas l'embarrasser ; rien en effet de plus contraire à l'enthousiasme des grandes choses, que cette subtilité voisine de la fourberie. [5,50] L. LE PLUS GRAND NOMBRE NE CONNAIT PAS SES DÉFAUTS ; TANT QU'ON S'EN APERÇOIT, IL EST ENCORE DU REMÈDE. Je n'ai reçu votre lettre que plusieurs mois après son envoi, J'ai donc cru ne devoir point interroger le porteur sur votre manière de vivre ; il lui faudrait, pour se la rappeler, bien de la mémoire. Telle est cependant, je l'espère, votre conduite, que, partout où vous êtes, je puis, sans qu'on me le dise, savoir ce que vous faites. Que pourriez-vous faire, en effet, sinon de travailler à vous rendre chaque jour meilleur, à. vous dépouiller de quelques-unes de vos erreurs, à comprendre qu'ils viennent de vous, ces vices que vous attribuez aux choses? Vainement nous les mettons sur le compte des lieux et des années; nous avons beau nous déplacer, ils nous suivent. Vous savez que j'ai gardé chez moi, comme une des charges de la succession, Harpaste, la folle de ma femme ; car, pour moi, j'ai la plus grande aversion pour de tels monstres; et si je veux m'amuser d'un fou, je ne vais pas le chercher bien loin ; je ris de moi-même. Harpaste a perdu tout à coup la vue ; voici un fait incroyable, mais très vrai: elle ne sait pas qu'elle est aveugle, et ne cesse de prier son guide de déménager: « Dans la maison, dit-elle, on ne voit goutte. » Nous rions d'elle, et autant nous en arrive tous les jours. Personne ne se voit avare, personne ambitieux. Et encore les aveugles prennent un guide; mais nous, nous errons sans conducteur, et nous disons : Ambitieux, je ne le suis pas; à Rome on ne peut vivre autrement. Je ne suis pas prodigue, c'est la ville elle-même qui exige ces grandes dépenses. Si je suis emporté, si je n'ai point encore adopté un plan de vie réglé, la faute n'en est pas à moi, mais à la jeunesse. Pourquoi nous faire illusion? Notre mal n'est pas au dehors, il est au dedans de nous-mêmes : il a son siège dans nos entrailles. Si nous recouvrons difficilement la santé, c'est que nous ne nous savons pas malades. Même à l'entreprendre sur-le-champ, combien de temps faudrait-il pour obtenir la guérison de tant de maladies, de tant d'humeurs corrompues? Et l'on n'appelle pas même le médecin, qui aurait beaucoup moins à faire, si le mal n'était pas ancien. Ignorante et docile, la jeunesse suivrait qui lui montrerait le droit chemin. On ne ramène difficilement à la nature, que celui qui s'en est écarté. Nous rougissons d'apprendre la vertu, comme si pour un tel art il était honteux de prendre un maître! N'espérez pas que le hasard la fasse descendre en pluie dans votre âme : il y faut du travail; mais la peine, à vrai dire, n'est pas grande: il suffit de commencer à réformer, à corriger notre âme, avant qu'elle soit endurcie dans le vice. L'endurcissement lui-même, je n'en désespérerais pas; il n'est rien dont ne puissent triompher la persévérance, l'attention, les soins soutenus. Les bois les plus durs, quelque tortus qu'ils soient, peuvent être redressés; les poutres recourbées cèdent à l'effet de la chaleur, et, perdant leur forme naturelle, se plient à l'usage que nous en voulons faire. Combien l'âme reçoit plus facilement les impressions ! combien elle est plus souple, plus flexible que les corps les plus mous! Qu'est-ce en effet que l'âme, sinon un air modifié? or, vous le savez, l'air est de tous les corps le plus léger, et partant le plus souple. Ce ne doit pas être pour vous, mon cher Lucilius, un motif de désespérer d'un homme, parce qu'il est ou qu'il aura été livré à la dépravation. La sagesse vient toujours après la folie : c'est notre tâche d'apprendre la vertu, de désapprendre le vice ; mais ce qui nous doit encourager, c'est qu'une fois acquise, la sagesse reste toujours. La vertu ne se désapprend pas. Le vice est dans l'âme une plante étrangère; aussi on l'en arrache, on l'en bannit aisément. La vertu tient plus fortement ; elle se trouve sur son terrain. Elle est dans l'ordre de la nature; le vice lui est contraire et ennemi. Mais si une fois entrée dans l'âme la vertu n'en sort plus, si elle se garde facilement, on n'y arrive pas sans peine, car le premier mouvement d'une âme faible et malade est de craindre ce qu'elle ne connaît pas. Il faut donc employer la violence pour la mettre dans la voie; puis la médecine n'aura plus d'amertume : dès qu'elle opère, elle plaît. Les autres remèdes ne font plaisir qu'après la guérison : la philosophie est tout ensemble salutaire et agréable. [5,51] LI. LE SAGE DOIT CHOISIR UN SÉJOUR CONFORME A SES GOUTS. Chacun fait comme il peut, mon cher Lucilius : vous avez là-bas l'Etna, cette montagne célèbre de la Sicile, que Messala, ou bien Valgius (ainsi l'ai-je lu dans leurs livres) a nommé l'unique, je ne sais trop pourquoi; car les volcans ne sont pas rares, non-seulement sur les hauteurs où on les rencontre plus fréquemment à cause de la tendance de la flamme à s'élever, mais même dans les terres basses. Quant à moi, il a fallu me contenter de Baïes, que j'ai quitté le lendemain de mon arrivée. C'est un lieu qu'il faut éviter, malgré tout ce qu'il possède d'avantages naturels, parce que la débauche en a fait son séjour favori. Quoi donc! faut-il prendre les lieux en aversion? Non, sans doute. Mais si tel vêtement sied mieux que tel autre à l'homme sage et honnête, si, tout en n'ayant de répugnance pour aucune couleur, ce même homme ne les regarde pas toutes comme également compatibles avec des habitudes de frugalité, il est aussi des pays qu'un esprit sage ou aspirant à la sagesse évitera comme contraires aux bonnes moeurs. Ainsi celui qui songe à la retraite ne choisira pas Canope, quoique Canope n'ait aucune loi qui interdise la frugalité. Il ne choisira pas non plus Baïes, qui devient le rendez-vous des vices, Baïes où la débauche ne se refuse aucune satisfaction, où les désordres sont tels, que la licence semble un tribut qu'on doit à ce lieu. Dans le choix d'un séjour, nous devons avoir égard à nos moeurs non moins qu'à notre santé. Pas plus que sur une place d'exécutions, je ne voudrais habiter dans une taverne. Quel besoin a-t-on de voir et des gens ivres chanceler sur le rivage, et des repas sur l'eau, et des lacs retentissant du bruits des concerts, et mille autres excès que la débauche, comme si elle ne reconnaissait aucune loi, ose non-seulement commettre, mais afficher? Nous devons nous tenir le plus possible loin des séductions du vice. Il faut fortifier nos coeurs et les entraîner loin des appâts de la volupté. Un seul hiver suffit pour amollir Annibal, et ce guerrier, dont le courage avait tenu contre les Alpes et leurs neiges, fut énervé par les délices de la Campanie. Vainqueur par les armes, il fut vaincu par les vices. Nous aussi, nous avons une guerre à soutenir, une guerre qui ne nous laisse ni paix ni trêve. Il nous faut avant tout triompher de la volupté, qui, vous le voyez, sait asservir les coeurs même les plus farouches. Pour peu que l'on comprenne l'étendue de la tâche que l'on s'est imposée, on sentira qu'il faut agir sans recherche et sans mollesse. Qu'ai-je besoin de ces étangs d'eau chaude ? de ces étuves pleines d'une vapeur sèche qui épuise le corps? Le travail seul doit faire couler ma sueur. Si, comme Annibal, nous nous arrêtions en chemin ; si, négligeant la guerre, nous ne songions qu'à prendre soin de nos corps, qui ne serait en droit de blâmer cette nonchalance intempestive, dangereuse après la victoire, plus dangereuse encore à qui la veut obtenir? Et pourtant, nous avons moins de temps à perdre que ceux qui marchaient sous les étendards de Carthage : la retraite offre plus de péril, la persévérance plus de fatigues. Je suis en guerre avec la fortune, et ne veux pas me soumettre ; je ne reçois pas son joug; bien plus, par un effort de courage moins facile, je le secoue. Est-ce le moment de me laisser aller à la mollesse? Si je cède au plaisir, il faut céder à la douleur, céder à la fatigue, céder à la pauvreté ; bientôt l'ambition et la colère voudront aussi me dominer ; entre tant de passions diverses, je serai tiraillé ; je dis plus, je serai déchiré. La liberté est mon but, elle doit être le prix de mes efforts. Vous me demandez en quoi consiste la liberté ? à ne dépendre ni de la nécessité, ni des hasards; à tenir la fortune en respect. Le jour où j'aurai reconnu qu'elle peut moins que moi, elle ne pourra plus rien. Souffrirai-je ses caprices, quand la mort est à ma disposition ? Pour de telles pensées, il faut choisir un séjour sérieux, un sanctuaire. Trop de bien-être amollit le coeur; et, on n'en saurait douter, les lieux mêmes influent sur les hommes. Les bêtes de somme s'accommodent de tous les chemins, lorsque leur sabot s'est endurci sur un sol raboteux; si, au contraire, leur corne n'a foulé que l'herbe tendre des marécages, en très peu de temps elle est usée. Les meilleurs soldats viennent des pays de montagnes; l'homme né et élevé à la ville est dépourvu de toute énergie. La main qui a quitté la charrue pour les armes ne se refuse à aucune fatigue; dès la première marche, c'en est fait du citadin aux cheveux parfumés et à l'élégante parure. Le climat est une école rude et sauvage, il affermit l'âme et la rend capable des plus grands efforts. Literne était pour Scipion un exil plus convenable que Baies ; à un pareil homme il fallait, dans sa disgrâce, une moins molle retraite. Les hommes que la fortune du peuple romain investit les premiers du pouvoir suprême, C. Marius, Cn. Pompée et César, se bâtirent, il est vrai, des maisons de campagne sur le territoire de Baies, mais ils eurent soin de les placer sur la cime des montagnes. Il y avait quelque chose de plus militaire à dominer ainsi sur tout ce pays d'alentour. Examines la position, l'assiette, la forme de ces édifices, et vous les prendrez plutôt pour des forteresses que pour des maisons de plaisance. Pensez-vous que Caton se fût jamais établi dans le Mica, pour voir sous ses yeux naviguer des femmes adultères? pour suivre de ses regards des essaims de barques de toute espèce et de toute couleur sur un lac parsemé de roses? pour entendre pendant la nuit des voix confuses de chanteurs ? N'eût-il pas mieux aimé rester toute sa vie dans un retranchement, que de demeurer une seule nuit dans un pareil lieu ? Et qui de nous, s'il est homme, n'aimera mieux être éveillé par la trompette que par une symphonie? Mais en voilà assez contre Baies, sinon contre les vices. Je vous en conjure, mon cher Lucilius, poursuivez les vôtres sans mesure et sans fin, car les vices ne connaissent ni fin ni mesure. Arrachez de votre ceeur ceux qui le dévorent; et si vous ne pouvez les déraciner, arrachez plutôt votre cceur avec eux. Rejetez surtout loin de vous les voluptés, comme vos plus cruelles ennemies : semblables à ces voleurs que les Égyptiens appellent "philètes", elles ne nous embrassent que pour nous étouffer. [5,52] LII. TOUS LES HOMMES QUI SE PIQUENT DE SAGESSE MANQUENT DE GUIDE. IL FAUT S'EN CHOISIR UN BON. Quelle est donc, Lucilius, cette maligne influence qui nous détourne de ce que nous cherchons, et nous pousse vers ce que nous fuyons ; qui, toujours aux prises avec notre âme, n'y souffre point de volonté fixe? Nous flottons entre mille projets divers, nous ne savons rien vouloir librement, rien d'une manière absolue et immuable. - C'est la folie, dites-vous, qui ne s'arrête à rien, à qui rien ne plait longtemps. - Mais quand, et comment nous en affranchir? Personne n'est par soi-même assez fort pour y réussir; il faut que quelque autre nous tende la main, nous tire de l'abime. Épicure parle de plusieurs personnages qui, sans aucune aide, sont parvenus à la sagesse, et il se cite, entre autres, comme s'étant lui-même frayé la voie. Il donne les plus grands éloges à ces esprits vigoureux qui ne reçurent d'élan que d'eux-mêmes, qui d'eux-mêmes se sont produits. D'autres, selon lui, ont besoin d'aide; ce sont des hommes incapables de marcher, si personne n'est là pour leur montrer la route, mais excellents pour suivre; et, parmi eux, il nomme Métrodore. Ce sont encore des esprits distingués, mais ils n'occupent que le second rang. Quant à nous deux, nous n'appartenons pas à la première catégorie; que dis-je ? on nous traiterait avec faveur en nous admettant dans la seconde. Et qu'on se garde de mépriser celui qui peut être sauvé avec le secours d'autrui; car c'est déjà beaucoup que de vouloir être sauvé. Vient ensuite une autre espèce d'hommes qui n'est pas non plus à dédaigner, ceux qui, pour faire le bien, ont besoin d'y être poussés et contraints; à qui il faut non seulement un guide, mais même un aide; et, si je puis m'exprimer ainsi, un tyran. C'est là le troisième degré. Si vous en voulez un exemple, Épicure nous fournit celui d'Hermarchus; et s'il félicite davantage Métrodore, il admire davantage Hermarchus. Quoique tous deux soient parvenus au même but, il est plus glorieux de réussir dans un sujet plus rebelle. Supposons deux édifices pareils en tout, égaux en hauteur et en magnificence; l'un, établi sur un sol ferme, s'est élevé promptement; l'autre a de vastes fondations assises au milieu d'un terrain mou et fangeux, et il a fallu s'épuiser en efforts pour arriver jusqu'au roc. Le travail de l'architecte se montre à découvert dans le premier; dans le second, les ouvrages les plus considérables et les plus difficiles sont cachés sous terre. Ainsi certains caractères sont faciles et accessibles à la perfection; d'autres, au contraire, ont besoin d'être façonnés et exigent qu'on les remanie jusque dans leurs fondements. Je regarde donc comme plus heureux l'homme qui n'a aucune lutte à soutenir contre lui-même; et comme ayant mieux mérité de lui-même, celui-qui a vaincu ses mauvais penchants et a trainé son âme plutôt qu'il ne l'a conduite dans la voie de la sagesse. Ce naturel revêche et difficile est tout à fait le nôtre, Lucilius; nous avons à lutter contre de grands obstacles. Il faut donc combattre et invoquer le secours d'autrui. Mais à qui s'adresser? me direz-vous ; est-ce à celui-ci ou à celui-là? - Retournez aux anciens, qui toujours sont disponibles, aussi bien que les vivants, ceux qui ne sont plus peuvent nous être en aide. Mais, parmi les vivants, gardons-nous de choisir ceux qui entassent précipitamment paroles sur paroles, qui ressassent des lieux communs, qui rassemblent à plaisir un auditoire autour d'eux. Attachez-vous à ceux dont la vie est un enseignement; qui, après avoir dit ce qu'il faut faire, le prouvent par leurs actions; qui enseignent ce qu'il faut fuir et ne sont jamais surpris dans les fautes qu'ils ont recommandé d'éviter. Prenez un guide qui gagne plus encore à être vu qu'à être entendu. Ce n'est pas que je veuille vous interdire d'écouter ceux qui professent en public; pourvu toutefois qu'ils se soient placés au milieu de la foule pour devenir meilleurs et rendre les autres meilleurs, et non pour chercher la célébrité. Quoi de plus misérable, en effet, que la philosophie cherchant les acclamations? Le malade loue-t-il le médecin qui l'ampute? Taisez-vous, écoutez, et soumettez-vous au traitement, voilà ce que je vous demande; et si des cris doivent vous échapper, tout ce que j'en veux entendre, c'est la plainte que vous arrachera le froissement de vos vices. Voulez-vous témoigner par vos acclamations que vous êtes attentif et que vous êtes ému de la grandeur des objets? A la bonne heure! Mais, dites-vous, pourquoi nous défendre de juger et d'applaudir le mérite? Les disciples de Pythagore . étaient obligés à cinq années de silence ; pensez-vous donc qu'avec le droit de parler ils obtenaient celui de louer? Quelle folie n'est-ce pas d'ailleurs que de se réjouir d'être reconduit par les acclamations d'une multitude ignorante? Le beau triomphe d'être loué par des gens que vous ne pouvez louer vous-même! Fabianus discourait en publie; mais on l'écoutait avec calme. Quelquefois un cri d'admiration universelle s'élevait, mais provoqué par la grandeur des idées et non par l'effet d'une période bien conduite et agréablement terminée. Qu'une différence existe au moins entre les applaudissements du théàtre et ceux de l'école! La louange aussi a sa licence. Pour qui sait observer, tout dans la nature a un indice; de même dans l'ordre moral le plus petit fait a un sens, une signification. La démarche, le geste, quelquefois une simple réponse, un doigt porté à la tête, un coup d'œil trahissent un débauché; le rire, un méchant; le fou se révèle à son air et à sa contenance. En effet, chaque vice a un caractère distinctif. A ses éloges, vous savez quel est un homme. Voyez ce philosophe au milieu de son auditoire : mille mains de toutes partssont tendues vers lui, et la foule en extase s'élève au-dessus de sa tête. Pour qui a du sens ce n'est pas un panégyrique, c'est une oraison funèbre. Laissons ces clameurs aux arts qui ont pour but de plaire à la multitude; la philosophie ne doit prétendre qu'aux hommages. Permettons aux jeunes gens de céder parfois à l'enthousiasme de leur âge, mais seulement lorsque, emportés par un mouvement irrésistible, ils ne seront plus maitres de se commander le silence. Un tel éloge, en même temps qu'il stimule ces jeunes gens, devient en quelque sorte un encouragement pour l'auditoire même. Mais que les pensées et non l'arrangement des mots les émeuvent; car l'éloquence leur est un poison, quand elle les passionne pour elle , et non pour la vérité. J'en reste là pour le présent. Ce ne serait pas trop d'un traité spécial pour enseigner l'art de disserter devant le peuple, pour montrer ce qu'on peut lui permettre vis-à-vis de soi ou se permettre vis-à-vis de lui; car, bien qu'en se prostituant la philosophie se soit fait tort, elle n'en pourra pas moins briller dans son sanctuaire, lorsque l'enseignement sera un sacerdoce, et non un ignoble courtage.