[11b,0] XI, 2 - La Méotide et la Colchide [11b,1] Cela posé, quels peuples se trouveront occuper la première section {de l'Asie septentrionale} ? Nous nommerons d'abord au N. et le long de l'Océan certaines tribus nomades et hamaxoeques appartenant à la nation Scythique, et, en arrière de celles-ci, des tribus de Sarmates également de race Scythique, auxquelles succèdent des Aorses et des Sirakes, ceux-ci s'avançant au midi jusqu'à la chaîne du Caucase et se divisant en nomades d'une part, et en scénites et en agriculteurs d'autre part ; puis des Maeotis sur les bords du Palus Maeotis. Signalons encore, sur le littoral même, où elle occupe la rive asiatique du Bosphore, signalons encore la Sindiké, et, après la Sindiké, le territoire des Achmi, des Zygi, des Héniokhes, des Cercètes et des Macropogons, lesquels habitent au-dessous des défilés occupés par les Phthirophages. Quant aux Héniokhes, ils précèdent la Colchide, laquelle se trouve située juste au pied du Caucase et des monts Moschikes. - Mais nous avons pris le cours du Tanaïs pour la limite de l'Europe et de l'Asie, c'est, donc de là que nous devons partir dans la description détaillée que nous allons entreprendre. [11b,2] Le Tanaïs vient du nord, mais il n'est pas vrai, comme on le croit généralement, qu'il coule juste à l'opposite du Nil, sous le même méridien : celui sous lequel il coule est plus oriental que le méridien du Nil. Toute l'analogie qu'il offre avec ce fleuve, c'est que, comme lui, il cache ses sources ; seulement, tandis qu'une grande partie du cours du Nil nous est parfaitement connue, grâce à cette double circonstance que la contrée qu'il traverse est partout d'un accès facile et que lui-même peut être remonté très haut, du Tanaïs nous ne connaissons guère que les bouches (il y en a deux, comme chacun sait, qui se déversent dans la partie la plus septentrionale du Palus Maeotis à 60 stades de distance l'une de l'autre). Au-dessus de ces bouches, maintenant, l'excès du froid et le peu de ressources du pays (inconvénients supportables peut-être pour les indigènes qui ne vivent, comme tontes les populations nomades, que de la chair et du lait de leurs troupeaux, mais auxquels les étrangers ne résistent pas) ont toujours entravé le progrès de nos connaissances. Ajoutons que ces nomades, peu sociables de leur nature, profitaient de ce qu'ils étaient les plus nombreux et les plus forts pour intercepter tous les chemins pouvant donner accès par terre dans leur pays, ou pour empêcher qu'on ne remontât la partie navigable du fleuve. Aussi que n'a-t-on point supposé ? Les uns ont prétendu que le Tanaïs prenait sa source dans le Caucase, que de là il se portait au N. et qu'après avoir coulé longtemps dans cette direction il se détournait brusquement pour aller se jeter dans le Palus Maeotis (Théophane de Mitylène lui-même se range à cette opinion) ; les autres ont fait du Tanaïs un bras du haut Ister, mais sans produire aucun indice certain d'une origine aussi lointaine et aussi excentrique, et sans paraître se douter que le Tanaïs pouvait tout aussi bien avoir ses sources situées à peu de distance dans le nord. [11b,3] Baignée à la fois par le fleuve dont elle porte le nom et par le lac Maeotis, la ville de Tanaïs a eu pour fondateurs les Grecs du Bosphore. Tout récemment, pour le seul fait d'avoir désobéi, cette même ville s'est vu saccager par ordre du roi Polémon. Elle avait servi jusque-là d'emporium ou de marché commun aux Nomades de l'Europe et de l'Asie et aux Grecs du Bosphore, lesquels traversaient le Palus Maeotis pour s'y rendre, les premiers y transportant des esclaves, des peaux et différents produits de l'industrie nomade, et les seconds des tissus, du vin et maintes autres productions des pays civilisés qui trouvaient à s'y échanger avantageusement. A 100 stades en avant de l'emporium on aperçoit l'île d'Alopécie qui renferme une population très mélangée, sans compter beaucoup d'îlots répandus dans le Palus Maeotis et à une très petite distance de la côte. La traversée en ligne directe depuis l'entrée du Maeotis au S. jusqu'à l'embouchure du Tanaïs au N. mesure 2200 stades. et la distance n'est guère plus forte en longeant la côte. [11b,4] Cette côte, rangée à partir du Tanaïs, nous présentera d'abord, à 800 stades de distance, le Grand Rhombitès, principal centre des pêcheries qui alimentent les tarichées ou établissements de salaison ; puis, à 800 stades plus loin, le Petit Rhombitès {avec} un promontoire {de même nom,} où se trouvent aussi des pêcheries, mais moins importantes. C'est surtout des îles du littoral que partent les bateaux pêcheurs qui alimentent le marché du Grand Rhombitès ; mais celui du Petit Rhombitès est approvisionné par les Maeotes eux-mêmes. Sous ce nom de Maeotes on comprend toute la population répandue le long de cette côte, population agricole, mais non moins belliqueuse que les Nomades, divisée d'ailleurs en plusieurs tribus, les unes plus sauvages (ce sont celles qui sont le plus rapprochées du Tanaïs), les autres plus civilisées (ce sont celles qui touchent au Bosphore). Du Petit Rhombitès à Tyrambé et au fleuve Anticitès on compte 600 stades ; puis 120 jusqu'au bourg de Cimméricum, embarcadère habituel de ceux qui veulent traverser le Palus Maeotis. Signalons encore dans cette partie de la côte quelques observatoires connus sous le nom de Clazomeniônscopae. [11b,5] Cimméricum avait anciennement le rang de ville et s'élevait dans une presqu'île dont l'isthme avait été fermé par les habitants au moyen d'un fossé et d'une levée en terre. Ceux-ci avaient fondé un puissant empire qui s'étendait sur tout le Bosphore et c'est d'eux que le Bosphore a pris le nom de Bosphore Cimmérien. Le même peuple, se ruant sur les populations de l'intérieur établies à la droite du Pont, poussa ses incursions jusqu'à l'Ionie, mais pour se voir à son tour chassé de ses possessions par les Scythes, qui devaient eux-mêmes plus tard être expulsés par les colons grecs de Panticapée et des autres villes du Bosphore. [11b,6] On compte ensuite 20 stades jusqu'au bourg d'Achilléum, ainsi nommé parce qu'il possède un temple d'Achille. C'est à la hauteur d'Achilléum et juste entre ce point et les bourgs de Myrmécium {et de Parthénium} qui lui font face de l'autre côté du détroit, que l'entrée du Maeotis se trouve être le plus resserrée : et en effet, dans cet endroit, elle n'a plus guère que 20 stades de largeur. Ajoutons qu'il existe un Héracléum tout près de Myrmécium. [11b,7] De là au Tombeau de Satyrus la distance est de 90 stades. On nomme ainsi une espèce de tumulus élevé au haut d'un promontoire en l'honneur d'un de ces princes qui ont régné naguère avec gloire sur le Bosphore. [11b,8] Tout auprès est le bourg de Patraeus, distant à son tour de 130 stades du bourg de Corocondamé, point extrême du Bosphore Ciminérien, autrement dit du détroit qui sert d'entrée au Palus Maeotis et qui s'étend depuis la passe comprise entre Achilléum et Myrmécium jusqu'à celle qui sépare Corocondamé d'Acra, petit bourg dépendant du territoire de Panticapée, laquelle n'a encore que 70 stades. C'est jusque-là aussi que s'avancent les glaces, quand le Maeotis, à l'époque des grands froids, se prend au point de permettre le passage des piétons. Tout le détroit, du reste, est pourvu de bons ports. [11b,9] Au-dessus de Corocondamé on découvre un immense lac ou étang appelé de son nom de Corocondamitis et qui débouche à 10 stades du bourg. Ce lac reçoit un bras de l'Anticitès qui se trouve ainsi faire une île de tout le terrain compris entre le lac, le Maeotis et le fleuve. L'Anticitès est appelé par quelques auteurs du nom d'Hypanis, comme cet autre fleuve voisin du Borysthène. [11b,10] Mais pénétrons dans le Corocondamitis, nous y rencontrons successivement Phanagorée, ville de grande importance, Cépi, Hermonasse, et le temple d'Apaturum consacré à Vénus. De ces différentes localités, il en est deux, Phanagorée et Cépi, qui sont situées dans l'île dont nous venons de parler tout de suite à gauche de l'entrée du Corocondamitis ; les autres sont à droite, au delà de l'Hypanis, dans la Sindiké où se trouvent aussi, sans parler de la résidence du roi des Sindi située tout près de la mer, Gorgipia et Aboracé. Comme les habitants de ces localités sont soumis aux rois du Bosphore, on leur donne à tous le nom de Bosporani. Mais les Bosporani d'Europe ont Panticapée pour capitale et ceux d'Asie {Phanagoria ou} Phanagorium (ce nom a les deux formes). Phanagoria paraît être l'emporium ou marché des denrées apportées du Palus Maeotis et des pays barbares situés au-dessus, comme Panticapée est celui des marchandises qui arrivent du côté de la mer. Phanagoria possède aussi un temple célèbre de Vénus Apaturos. Voici comment on explique l'épithète Apaturos jointe au nom de la déesse : on prétend d'après je ne sais quel récit des mythographes que Vénus, se voyant assaillie en ces lieux par les Géants, aurait appelé Hercule à son aide, l'aurait caché au fond d'une caverne, puis, donnant accès à chacun des réarts l'un après l'autre, les aurait tous ainsi au fur et à mesure livrés par traîtrise (ex apatês) aux coups d'Hercule. [11b,11] Sous le nom de Maeotis, on comprend, avec les Sindi dont nous venons de parler, les Dandarii, les Torètes, les Agri, les Arréchi, voire les Tarpètes, les Obidiacènes, les Sittacènes, les Doskes {et} d'autres peuples encore. On peut même étendre cette appellation aux Aspurgiani, nation qui occupe, entre Phanagoria et Gorgipia, une étendue de pays de 500 stades, et qui, menacée naguère par le roi Polémon à l'ombre de fausses démonstrations d'amitié, sut démêler son dessein, et, prenant les devants, l'attaqua, le fit prisonnier et l'envoya au supplice. Il est arrivé souvent, du reste, que tous ces Maeotes, au lieu de demeurer unis, se sont divisés : alors, tandis qu'une partie jurait fidélité à la puissance qui se trouvait posséder dans le moment l'emporium de Tanaïs, les autres se plaçaient sous le protectorat des Bosporani. Quelquefois aussi ce furent les rois ou souverains du Bosphore qui prirent l'offensive et qui s'emparèrent à main armée de tout le pays jusqu'au Tanaïs : c'est ce que firent notamment les derniers rois du Bosphore, Pharnace, Asandre et Polémon. Il paraît même que Pharnace aurait, au moyen d'un ancien canal nettoyé à cet effet, détourné le cours de l'Hypanis et amené ses eaux sur le territoire des Dandarii de manière à inonder leurs campagnes. [11b,12] La côte qui fait suite à la Sindiké et au canton de Gorgipia est occupée par les Achaei, les Zygi et les Héniokhes : elle est presque partout dépourvue d'abris et très montagneuse, {ce qui se conçoit,} puisqu'elle fait déjà partie du Caucase. Ses habitants vivent principalement du produit de leurs pirateries. Ils montent des embarcations fragiles, étroites et légères, faites pour vingt-cinq hommes, mais pouvant, dans des cas exceptionnels, en porter jusqu'à trente. Les Grecs nomment ces embarcations des camares. On prétend que c'est à une colonie de Phthiotes-Achéens, compagnons de Jason, qu'une partie de cette côte doit son nom d'Achaïe, de même que le nom d'Héniokhie donné à une autre partie de la même côte paraît rappeler un établissement de Lacédémoniens venus sous la conduite de Crécas et d'Amphistrate, héniokhes ou écuyers des Dioscures. Ces pirates forment avec leurs camares de véritables escadres et tiennent perpétuellement la mer, soit pour faire main basse sur les vaisseaux de transport, soit pour attaquer quelque province ou quelque ville du littoral, exerçant ainsi par le fait une vraie tyrannie maritime. Du reste, les populations du Bosphore semblent vouloir quelquefois elles-mêmes favoriser leurs déprédations en leur prêtant non seulement des abris pour leurs embarcations, mais encore des comptoirs, des entrepôts pour leur butin. Au retour de leurs expéditions, comme ils n'ont chez eux ni ports ni mouillages, ils portent leurs camares à dos d'hommes au fond des bois. Car c'est là qu'ils habitent n'ayant pour se nourrir que le produit d'assez maigres terres qu'ils cultivent comme ils peuvent ; puis, quand le moment est venu de reprendre la mer, ils redescendent leurs camares de la même façon jusqu'à la côte. Ils ne procèdent pas autrement en pays étranger : ils connaissent à l'avance certaines localités très boisées, y vont cacher leurs embarcations et se répandent ensuite dans toute la contrée, marchant le jour aussi bien que la nuit, et {donnant la chasse aux habitants} pour se procurer des esclaves. Ils facilitent du reste autant qu'il est en eux le rachat de ceux qu'ils ont enlevés, prévenant eux-mêmes une fois qu'ils ont regagné leur pays les familles intéressées du lieu où elles retrouveront les malheureux qu'elles ont perdus. Dans les contrées qui ont conservé leurs chefs ou souverains nationaux les victimes de ces enlèvements ont encore quelque secours à attendre, et il n'est pas rare que ces chefs attaquent à leur tour les camares des pirates et les ramènent à titre de prises avec leur équipage et leur butin. Mais dans la partie du pays actuellement soumise aux Romains, il y a moins d'aide à attendre, vu l'incurie des légats. [11b,13] Tel est le genre de vie que mènent ces peuples. Quant à leur gouvernement, il est confié à des chefs appelés skeptoukhes, qui eux-mêmes relèvent de tyrans ou de rois. Les Héniokhes, par exemple, comptaient quatre de ces rois à l'époque où Mithridate Eupator, chassé du royaume de ses pères, dut, pour aller chercher un refuge au fond du Bosphore, traverser leur pays. Il put le faire sans trop de peine ; mais désespérant de pouvoir traverser aussi aisément le territoire des Zygi à cause de la difficulté des chemins et de la férocité des habitants, il s'astreignit à suivre le rivage de la mer, se rembarquant même de fois à autre, jusqu'à ce qu'il eût atteint les limites des Achaei ; il put alors, accueilli et aidé par ce peuple, achever son voyage : il avait parcouru bien près de 4000 stades depuis le Phase. [11b,14] A partir de Corocondamé, la côte se dirige vers l'E. On y rencontre, à la distance de 180 stades, le port et la ville de Sindicos ; puis, 400 stades plus loin, le bourg de Bata, avec un port de même nom, auquel le port de Sinope, sur la côte méridionale, paraît correspondre aussi exactement que Carambis, avons-nous dit, correspond au Criû-métôpon. Artémidore fait partir de Bata la côte des Cercètes, qu'il nous représente comme bien garnie de ports et de villages et comme mesurant 500 stades de longueur ; puis il nomme successivement la côte des Achaei, longue, suivant lui, de 500 stades ; la côte des Héniokhes, longue de 1000 stades ; et enfin celle du grand Pityûs, à laquelle il donne une longueur de 360 stades jusqu'à Dioscurias. Mais les historiens des guerres de Mithridate, à qui nous devons nous en rapporter de préférence, nomment les Achaei les premiers et les font suivre des Zygi, d'abord, puis des Héniokhes, des Cercètes, des Moskhes et des Colkhes, plaçant au-dessus de ceux-ci les Phthirophages, les Soanes et d'autres peuplades caucasiennes. Toute la première partie du littoral occupé par ces différentes nations forme, avons-nous dit, une ligne droite qui, en même temps qu'elle regarde le midi, court vers l'E.; mais, à partir de Bata, la côte s'infléchit peu à peu jusqu'à ce qu'elle arrive, dans les environs de Pityûs et de Dioscurias, qui sont les premiers ports dépendants de la Colchide, à faire face au couchant. Passé Dioscurias, on achève de ranger le littoral de la Colchide, et, quand on atteint au delà Trapézûs, la côte se trouve avoir décrit une courbe très marquée. Elle recommence alors à courir presque en ligne directe et forme ainsi le côté droit du Pont-Euxin, autrement dit le côté de cette mer qui regarde le nord. Ajoutons que la partie du littoral qu'occupent les Achaei et les autres peuples à la suite jusqu'à Dioscurias et aux pays de l'intérieur situés droit au midi de Dioscurias est dans toute sa longueur dominée par la chaîne du Caucase. [11b,15] Située comme elle est au-dessus de la mer du Pont et de la mer Caspienne, cette chaîne semble un immense boulevard destiné à protéger l'isthme qui sépare ces deux mers. Elle sert de limite entre l'Albanie et l'Ibérie au midi et les plaines de la Sarmatie au nord. On y trouve, et en grande quantité, du bois de toute espèce, notamment d'excellents bois pour les constructions navales. S'il faut en croire Eratosthène, les indigènes ne donnent pas au mont Caucase d'autre nom que celui de Caspius, dérivé apparemment du nom même de la nation des Caspii. La chaîne principale envoie dans la direction du midi quelques rameaux ou contre-forts, qui enveloppent l'Ibérie et vont se relier aux montagnes d'Arménie et aux monts Moschikes, voire même au Skydisès et au Paryadrès, toutes montagnes dépendant de la partie du Taurus qui forme le côté méridional de l'Arménie, mais s'en détachant dans la direction du Nord comme autant de branches distinctes et pouvant s'avancer ainsi jusqu'au Caucase et à la portion de la côte de l'Euxin comprise entre la Colchide et Thémiscyre. [11b,16] En raison de sa situation dans l'espèce de golfe que nous venons de décrire et parce qu'elle marque effectivement le point le plus oriental de la mer {Intérieure}, Dioscurias est souvent appelée le Fond de l'Euxin, et le Terme ou l'extrême barrière de la navigation. Mais c'est aussi ce que dit du Phase un vers devenu proverbe, «Jusqu'au Phase, où des vaisseaux vient s'arrêter la course», seulement il est clair qu'ici il ne peut être question ni du fleuve du Phase ni de la ville de même nom qui s'élève sur ses bords, et que l'ïambographe, auteur de la pièce d'où ce vers est tiré, aura voulu désigner l'ensemble de la Colchide par une de ses parties, puisque depuis l'embouchure du fleuve et depuis la ville à laquelle il donne son nom on compte encore jusqu'au fond de l'Euxin un trajet de 600 stades en ligne directe. La même ville de Dioscurias peut être considérée comme la tête de l'isthme compris entre le Pont et la Caspienne et comme une sorte d'emporium ou de marché commun aux populations de l'intérieur aussi bien qu'aux tribus circonvoisines, vu qu'elle réunit parfois dans ses murs, nous ne dirons pas comme certains auteurs trop peu soucieux de la vérité, trois cents peuples différents, mais soixante-dix peuples, parlant autant de langues distinctes, par suite apparemment de la vie errante qu'ils mènent et de l'isolement auquel les condamnent leur orgueil et leur sauvagerie, Sarmates d'ailleurs pour la plupart, et tous habitants du Caucase. - Ici s'arrête ce que nous avions à dire de Dioscurias. [11b,17] Le reste de la Colchide consiste aussi principalement en une {étroite zone} maritime arrosée par le Phase, grand fleuve qui prend sa source en Arménie et qui se grossit des eaux de deux rivières descendues des montagnes voisines et nommées le Glaucus et l'Hippus. On remonte le Phase jusqu'à Sarapanes, place forte pouvant contenir la population d'une ville, et d'où part une belle route carrossable qui mène en quatre jours aux bords du Cyrus. Sur le Phase même s'élève une ville de même nom, centre du commerce de la Colchide, et qui se trouve protégée, d'un côté par le cours du fleuve, d'un autre côté par un lac ou étang et d'un troisième côté par la mer. De cette ville, le trajet jusqu'à Amisus et Sinope (?) demande {sept à huit jours} à cause du peu de consistance de la plage tout le long de cette côte et {de la formation d'alluvions épaisses} à l'embouchure des fleuves. Le pays abonde, d'une part, en denrées alimentaires toutes d'excellente qualité, sauf le miel pourtant qui y est toujours un peu amer, et, d'autre part, en {matériaux} de toute sorte propres aux constructions navales. Il a déjà le bois en quantité, tant celui que ses forêts lui fournissent que celui qui lui vient par la voie de ses fleuves ; et, pour ce qui est du lin, du chanvre, de la cire et de la poix, l'industrie de ses habitants ne l'en laisse jamais manquer. Sa fabrication de toiles de lin jouit aussi dans un temps d'une très grande renommée : on exportait beaucoup de ces toiles dans les pays les plus éloignés et quelques auteurs désireux de faire croire à l'existence d'un lien de parenté quelconque entre les Colkhes et les Egyptiens n'ont pas manqué d'invoquer cette circonstance comme une preuve à l'appui de leur opinion. Par delà les fleuves que nous venons de nommer, c'est-à-dire en pleine Moschike, s'élève le temple de Leucothée, antique fondation du héros Phrixus, dont les populations continuent à aller prendre les oracles, en ayant bien soin de ne jamais lui immoler de bélier. Ce temple, après avoir été fort riche, s'est vu piller de nos jours, par Pharnace d'abord, puis, peu de temps après, par Mithridate de Pergame ; car une fois qu'un pays commence à déchoir, Euripide l'a dit (Troy. 26), «Bien malade est la cause des Dieux, bien rare aussi l'hommage qu'on leur dresse». [11b,18] {Or la Colchide était à cette époque bien déchue de ce qu'elle avait été}. Dans les temps anciens, en effet, elle avait jeté le plus vif éclat, comme on en peut juger par ce que la Fable nous raconte ou plutôt nous laisse deviner de l'expédition de Jason poussée peut-être jusqu'en Médie et de l'expédition antérieure de Phrixus. Mais les rois successeurs de ces héros ayant divisé le pays en plusieurs skeptoukhies n'eurent plus qu'une médiocre puissance, et, quand survint le prodigieux accroissement des états de Mithridate Eupator, toute la Colchide y fut aisément absorbée. Seulement, Mithridate n'envoya jamais pour la gouverner et l'administrer qu'un de ses plus fidèles serviteurs et amis. C'est à ce titre, notamment, qu'il y avait envoyé Moapherne, oncle paternel de ma mère. De son côté la Colchide fut toujours le pays qui fournit le plus de ressources à ce prince pour l'entretien de ses forces navales. Mais, une fois Mithridate renversé, ses états se démembrèrent et furent partagés entre plusieurs princes. Le dernier qu'ait eu la Colchide est Polémon, et sa veuve Pythodoris qui a continué à régner se trouve aujourd'hui réunir à la fois sous son sceptre la Colchilde, Trapézûs, Pharnacie et certains pays barbares de l'intérieur dont nous parlerons plus loin.- La Moschike si célèbre par son temple {de Leucothée} forme trois régions distinctes occupées, la première, par les Colkhes, la seconde par des tribus Ibères, la troisième par des Arméniens. Le souvenir de Phrixus s'est conservé encore dans le nom d'une petite ville d'assiette assez forte qui est située en Ibérie sur les confins de la Colchide, nous voulons parler de Phrixipolis, plus connue actuellement sous le nom d'Ideessa. [11b,19] Au nombre des peuples qui fréquentent l'emporium ou marché de Dioscurias figurent aussi les Phthirophages, ainsi nommés à cause de leur saleté et de la vermine qui les couvre. Leurs voisins, les Soanes, ne valent guère mieux qu'eux sous le rapport de la propreté, mais ils leur sont bien supérieurs en puissance ; on peut même dire qu'ils surpassent en force et en bravoure tous les autres peuples de ces contrées. Aussi exercent-ils une sorte de domination sur les tribus circonvoisines du haut des cimes escarpées du Caucase qu'ils occupent en arrière de Dioscurias. Ils ont pour les gouverner un roi assisté d'un conseil de trois cents guerriers et peuvent mettre sur pied, à ce qu'on assure, jusqu'à des armées de 200.000 hommes. Chez eux, en effet, tout le monde est soldat, {mais} sans pouvoir se plier à la discipline des armées régulières. Un autre fait qu'on nous donne pour certain, c'est que les torrents de leur pays roulent des paillettes d'or que ces Barbares recueillent à l'aide de vans percés de trous et de toisons à longue laine, circonstance qui aurait suggéré, dit-on, le mythe de la Toison d'or. {Quelques auteurs} prétendent aussi à ce propos que, si l'on a donné à un peuple du Caucase le même nom qu'aux peuples de l'extrême Occident, à savoir le nom d'Ibères, c'est parce que les deux pays se trouvent posséder des mines d'or. Les Soanes trempent la pointe de leurs flèches dans des poisons qui ont cela de particulier que leur odeur insupportable aggrave encore, s'il est possible, la blessure faite par les flèches ainsi préparées. En général, les peuples du Caucase voisins de la Colchide habitent des terres arides et de peu d'étendue ; toutefois les deux nations des Albani et des Ibères, qui à elles seules occupent l'isthme presque tout entier, et qu'on peut à la rigueur ranger aussi parmi les nations caucasiennes, se trouvent posséder une région fertile et capable de suffire amplement aux besoins d'une population nombreuse.