[5,0] LIVRE CINQUIÈME. [5,1] I. - C. PLINE SALUE SON CHER ANNIUS SEVERUS. Il m'est échu un legs modeste, mais qui m'est plus agréable qu'un très ample. Pourquoi plus agréable qu'un très ample? Pomponia Galla ayant déshérité son fils Asudius Curianus m'avait institué son héritier, et donné pour cohéritiers Sertorius Severus, l'ancien préteur, ainsi que quelques autres chevaliers romains distingués. Curianus me pressait de lui faire don de ma part et d'établir ainsi en sa faveur un jugement préalable; mais en même temps, il me promettait, par une convention secrète de me laisser intacte cette part. Je lui objectais que mon caractère répugnait à agir ouvertement d'une façon et en secret d'une autre, qu'en outre il n'était pas très correct de faire une donation à un homme riche et sans enfants, qu'en fin de compte il ne profiterait pas de cette donation, tandis qu'il profiterait d'un désistement, et que j'étais prêt à me désister, s'il était clair à mes yeux qu'il eût été déshérité injustement. « Je vous demande d'en être juge, me dit-il. » Après une courte hésitation : « Je le veux bien, dis-je, car je ne vois pas pourquoi j'aurais de moi moins bonne opinion que vous-même. Mais dès maintenant sachez bien que j'aurai le courage, si la loyauté l'exige, de prononcer en faveur de votre mère. » - « Comme vous voudrez, dit-il, car vous ne voudrez que ce qui sera juste. » Je m'adjoignis comme conseillers deux hommes qui jouissaient alors dans notre cité de la plus haute estime, Corellius et Frontinus. Assis entre eux deux je donnai audience à Curianus dans ma chambre. Il dit ce qui, à son avis, était en sa faveur. Je répliquai en peu de mots moi-même (car il n'y avait là personne pour défendre l'honneur de la défunte); puis je me retirai.et sur l'avis de mon conseil je dis : « Il semble Curianus, que votre mère a eu de justes motifs d'irritation contre vous. » Peu après, il assigna les autres héritiers devant le tribunal des centumvirs, mais il ne me comprit pas dans l'assignation. Le jour du jugement approchait. Mes cohéritiers désiraient un arrangement et une transaction, non par manque de confiance dans leur cause, mais par crainte des circonstances d'alors. Ils redoutaient ce qu'ils avaient vu arriver à beaucoup d'autres, de sortir du tribunal des centumvirs, chargés d'une accusation capitale. Parmi eux en effet il y en avait plusieurs à qui on pouvait reprocher leur amitié avec Gratilla et Rusticus. Ils me prient d'entrer en pourparlers avec Curianus. Nous nous donnons rendez-vous dans le temple de la Concorde; là je lui dis : « Si votre mère vous avait légué le quart de son héritage, auriez-vous lieu de vous plaindre? Et si elle vous avait fait son unique héritier jusqu'au dernier sou, mais avait en même temps grevé sa succession de tant de legs, qu'il ne vous en serait pas resté plus du quart? Vous devriez donc vous tenir pour satisfait, si, déshérité par votre mère, vous receviez néanmoins de ses héritiers le quart de sa succession, auquel je veux encore ajouter du mien. Vous savez que vous ne m'avez pas assigné, que deux ans se sont déjà passés et que j'ai pris possession de tout mon lot par droit d'usucapion. 'Mais pour vous rendre plus conciliant avec mes cohéritiers, pour que votre considération pour moi ne vous nuise en rien, je vous offre une somme égale pour ma part. » J'ai gagné à cette action non seulement la satisfaction du devoir accompli, mais encore de l'honneur. C'est donc ce Curianus qui m'a laissé un legs, rendant ainsi à mon désintéressement, digne, si je ne me flatte trop, des anciens, un éclatant hommage se. Je vous ai écrit tout cela, parce que j'ai coutume de m'entretenir avec vous comme avec moi-même de toutes mes joies et de toutes mes peines, ensuite parce que je trouve cruel, sachant votre grande affection pour moi, de vous frustrer d'un plaisir dont je jouis moi-même. Car ma sagesse ne va point jusqu'à ne compter pour rien, lorsque je crois avoir fait quelque bonne action, cette sorte de récompense qu'est l'approbation des gens de bien. Adieu. [5,2] II. - C. PLINE SALUE SON CHER CALPURNIUS FLACCUS. J'ai reçu vos magnifiques grives, mais je ne peux vous rendre la pareille, n'ayant dans ma propriété des Laurentes ni les ressources de la ville, ni celles de la mer dans cette période de tempêtes. Ma lettre ne vous apportera donc rien que le simple aveu de mon ingratitude, ne sachant pas même imiter l'adresse de Diomède à échanger des présents, mais je connais votre indulgence; vous lui accorderez d'autant plus facilement son pardon, qu'elle avoue ne pas le mériter. Adieu. [5,3] III. - C. PLINE SALUE SON CHER TITIUS ARISTO. Vos services répétés me remplissent toujours de plaisir et de joie, mais je compte comme un des plus grands que vous ayez bien voulu ne pas me cacher la longue et abondante conversation qui s'est engagée chez vous sur mes petits vers, et qui s'est longtemps prolongée par suite de la diversité des jugements; vous me dites que certaines personnes, sans trouver à redire à mes vers en eux-mêmes me blâment cependant, amicalement, et en toute franchise, d'en composer et de les lire en public. Je leur réponds, au risque d'aggraver ma faute, ceci : "J'écris parfois de petits vers peu sévères, j'en conviens; mais j'écoute bien aussi des comédies, j'assiste à des mimes, je lis les lyriques et je goûte les vers sotadiques; enfin, il m'arrive de rire, de plaisanter, de badiner, et pour exprimer d'un mot tous les genres de distractions innocentes, je suis homme". Je ne suis point fâché d'ailleurs que l'on ait de mon caractère une assez haute estime pour que ceux qui ignorent que les hommes les plus savants, les plus graves, les plus irréprochables ont composé de pareils vers, s'étonnent de m'en voir écrire. Quant à ceux qui savent de quels illustres maîtres je suis le disciple, j'espère obtenir d'eux aisément qu'ils me permettent d'être en faute, mais du moins avec ceux dont il est honorable d'imiter non seulement les occupations sérieuses, mais encore les délassements. Dois-je craindre (je ne nommerai aucun vivant, pour ne pas m'exposer au soupçon de flatterie) dois-je craindre qu'il soit peu digne de moi de faire ce qui a été digne de M. Tullius, de C. Calvus, d'Asinius Pollion, de M. Messala, de Q. Hortensius, de M. Brutus de L. Sylla, de Q. Catulus, de Q. Scaevola, de Servius Sulpicius, de Varron, de Torquatus, ou plutôt des Torquatus, de C. Memmius, de Lentulus Getulicus, d'Annéus Sénèque, d'Ann. Lucain, et tout près de nous de Verginius Rufus? et s'il ne suffit pas des exemples de simples particuliers, je citerai encore le divin César, le divin Auguste, le divin Nerva, Tibère César. Je passe en effet Néron, quoique je sache qu'un goût ne devient pas pervers, pour être quelquefois celui des méchants, tandis qu'il reste honorable quand il est généralement celui des gens de bien, parmi lesquels il faut placer au premier rang P. Vergilius, Cornélius Nepos, et avant eux, Ennius et Accius. Ces derniers n'étaient pas, il est vrai, sénateurs, mais la pureté des moeurs ne varie pas selon les classes. Toutefois, dira-t-on, je lis publiquement mes ouvrages et j'ignore si ceux-là ont lu les leurs. Oui, mais eux pouvaient se contenter de leur propre jugement; tandis que je n'ai pas assez de confiance en moi, pour croire parfait ce qui me paraît tel. Je fais donc des lectures et voici pourquoi : d'abord un auteur qui doit lire apporte beaucoup plus de soin à ses ouvrages par respect pour ses auditeurs, ensuite sur les passages dont il n'est pas sûr, il décide comme d'après l'avis d'un conseil. Beaucoup même lui donnent des avertissements et s'ils ne les lui donnent pas, il devine le sentiment de chacun à son air, à ses yeux, à ses signes de tête, à ses gestes, à ses murmures, à son silence; ce sont des indications assez claires qui permettent de distinguer l'opinion vraie de la politesse. Aussi, quand quelqu'un de ceux qui ont assisté à la lecture prendra envie de lire l'ouvrage, il s'apercevra que j'y ai fait des changements, ou des suppressions, peut-être même d'après son propre goût, quoiqu'il ne m'en ait rien dit. Mais j'en suis à me défendre, comme si j'avais convoqué le public dans une salle de conférence, non pas mes amis dans ma chambre; or en avoir beaucoup a souvent fait honneur, et n'a jamais attiré de reproche. Adieu. [5,4] IV. - C. PLINE SALUE SON CHER JULIUS VALÉRIANUS. Petite affaire, mais début d'une grande; l'ancien préteur Solers a demandé au sénat la permission d'établir un marché sur ses terres. Les députés des Vicentins s'y sont opposés, Tuscilius Nominatus a plaidé pour eux. L'affaire a été renvoyée; dans une autre séance du sénat les Vicentins sont revenus sans avocat; ils se plaignirent d'avoir été dupés, soit que ce mot leur fût échappé, soit qu'ils le crussent ainsi; le préteur Nepos leur demanda quel avocat ils avaient pris; ils dirent : « le même que la première fois »; puis « Ne l'avez-vous pas payé alors? » «Six mille sesterces », répondirent-ils; « Ne lui avez-vous plus rien donné ensuite? » - « Mille deniers ». Nepos a demandé l'autorisation de poursuivre Nominatus. Ce fut tout pour ce jour-là, mais d'après mes prévisions, cette affaire ira plus loin. Car bien souvent un simple contact, une légère commotion se propagent au loin. Voilà votre curiosité éveillée. Et maintenant combien il vous faudra de prières, de cajoleries, pour apprendre la suite ! A moins qu'auparavant vous ne veniez à Rome à cet effet, et ne préfériez être spectateur plutôt que lecteur. Adieu. [5,5] V. - C. PLINE SALUE SON CHER NOVIUS MAXIMUS. On m'annonce la mort de C. Fannius, et cette nouvelle m'accable d'un profond chagrin; j'aimais cet homme fin, éloquent et je prenais volontiers ses avis. Il tenait de la nature la pénétration, de la pratique des affaires l'expérience, de la justesse de son esprit la résolution. Je suis affligé aussi de sa propre infortune; il est mort laissant un vieux testament, dans lequel il a oublié ses meilleurs amis, et comblé d'égards ses pires ennemis; mais on peut à la rigueur passer là-dessus, le plus grave est qu'il laisse une très belle oeuvre inachevée. Quoique fort occupé par ses plaidoiries, il écrivait cependant le récit de la mort des malheureux que Néron avait fait périr ou avait exilés, et déjà il avait achevé trois livres, dont on louait la finesse, l'exactitude, la pureté du latin, et qui tenaient le milieu entre le dialogue philosophique et l'histoire; et son désir de terminer les autres était d'autant plus vif, qu'on mettait plus d'empressement à lire les premiers. Or elle me paraît toujours précoce et prématurée la mort de ceux qui travaillent à des oeuvres immortelles. Car ceux qui, adonnés aux plaisirs, vivent pour ainsi dire au jour le jour, n'ont plus à la fin de chaque journée de raison de continuer à vivre; mais ceux qui songent à la postérité et qui veulent éterniser leur mémoire par leurs ceuvres, sont toujours surpris par la mort, puisqu'elle interrompt toujours un travail commencé. D'ailleurs Gaius Fannius a pressenti longtemps d'avance cette triste destinée. Il crut se voir dans le sommeil de la nuit étendu sur son lit de travail, dans l'attitude d'un homme qui étudie, ayant devant lui son portefeuille, selon son habitude; ensuite il vit dans son rêve Néron arriver, s'asseoir sur son divan, sortir le premier livre, déjà publié, sur ses crimes, le lire jusqu'au bout, en faire autant pour le second livre et le troisième, puis se retirer. Fannius en fut effrayé et se figura que ses écrits auraient le même terme que la lecture de l'empereur; et en effet ce fut le même. A ce souvenir j'éprouve une grande pitié pour tant de veilles, tant de peine, dépensées en pure perte. Je songe à ma propre condition mortelle, à mes écrits, et je ne doute pas que la même réflexion ne vous inspire les mêmes alarmes pour les travaux que vous avez encore sur le métier. Ainsi donc, tant que nous jouissons de la vie, tâchons que la mort trouve le moins possible à détruire. Adieu. [5,6] VI. -C. PLINE SALUE SON CHER DOMITIUS APOLLINARIS. Je suis très sensible à votre attention pour moi et à votre inquiétude, qui vous ont poussé, en apprenant que je devais l'été me rendre dans ma villa de Toscane, à me conseiller de n'en rien faire, parce que vous la jugez peu salubre. Il est vrai que le climat est malsain et fiévreux sur la côte de Toscane, qui borde la mer. Mais ma villa en est assez éloignée, et même elle est située au pied de l'Apennin, dont l'air est plus pur que celui d'aucune autre montagne. Du reste, pour vous délivrer de toute crainte à mon sujet, voici quelle est la nature du climat, la situation du pays, l'agrément de la villa; vous aurez plaisir à lire cette description et moi à vous la faire. Le climat y est froid en hiver et il y gèle; aussi n'admetil ni les myrtes, ni les oliviers, ni les autres plantes qui ainlenL une température toujours tiède; elles y sont proscrites; le laurier y résiste cependant et se couvre même du feuillage le plus luisant; s'il y périt quelquefois, ce n'est pas plus souvent qu'aux environs de Rome. L'été y est d'une douceur merveilleuse.. Toujours quelque souffle rafraîchissant agité l'air, mais c'est plutôt la brise que le vent. Aussi y a-t-il beaucoup de vieillards; on peut y voir les grands-pères et les arrière grands-pères d'hommes déjà faits: on peut y entendre de vieux contes el des propos d'ancêtres; quand on arrive dans ce doux pays, on croit vivre dans un autre siècle. Le pays est d'une beauté ravissante. Imaginez une sorte d'amphithéâtre immense, tel que la nature seule peut le créer; la plaine d'une vaste étendue, est entourée de montagnes, les montagnes sont couronnées de hautes et antiques forêts, le gibier y est abondant et varié. Au-dessous, des bois taillis descendent sur la pente de la montagne. Au milieu se mêlent de gras côteaux formés d'humus profond (car il est difficile d'y trouver le rocher, même si on le cherche), qui ne le cèdent pas en fertilité à la plaine la plus égale, et dont les riches moissons, un peu plus tardives seulement, ne parviennent pas moins à leur pleine maturité. Plus bas, sur tous les versants, s'étendent des vignobles, qui tissent de tous côtés un tapis uniforme; sur leur bord inférieur, formant comme un liseré au pied de la colline, croissent des bouquets d'arbres. Puis ce sont des prairies et des terres de labour, des terres, que seuls des bceufs robustes et de puissantes charrues peuvent fendre. Les mottes de ce sol compact à l'excès se dressent si énormes, quand on l'ouvre pour la première fois, qu'il faut jusqu'à neuf labours pour les rendre friables. Les prairies, émaillées de fleurs, fournissent du trèfle, et d'autres herbes toujours aussi tendres et aussi fraiches que si c'était le foin nouveau, car toutes sont alimentées par des ruisseaux qui ne tarissent pas. Cependant, malgré l'abondance de l'eau, il n'y a aucun marécage, parce que, grâce à sa pente, la terre écoule dans le Tibre toute l'eau qu'elle reçoit sans pouvoir l'absorber. Ce fleuve traverse la campagne, et comme il est navigable, il transporte à la ville toutes les productions, mais seulement en hiver et au printemps; en été il baisse tellement que son lit desséché ne mérite plus le nom de grand fleuve; il le reprend en automne. De la montagne la vue de toute cette région est pleine de charme. Ce ne sont pas des terres, mais un paysage peint d'une grande beauté que l'on croit regarder; toute cette variété, cette disposition, récréent les yeux, de quelque côté qu'ils se tournent. La villa, quoique placée au pied d'une colline, jouit de la même vue que si elle était au sommet; le côteau s'élève par une pente si douce et si insensible, que, sans avoir eu l'impression que l'on montait, on s'aperçoit qu'on est monté. Par derrière, elle a l'Apennin, mais assez loin; elle en reçoit même par les jours les plus clairs et les plus calmes, de fraiches brises, qui n'ont rien de violent ni d'excessif, toute leur force s'étant amortie et brisée par leur longue course. Elle est en grande partie exposée au midi, et semble inviter le soleil, en été dès la sixième heure, en hiver bien plus tôt, dans un portique légèrement en saillie, large et long à proportion. Il contient plusieurs pièces et même un atrium à la mode ancienne. Devant le portique un parterre est divisé en plates-bandes par des bordures de buis taillé avec la plus grande fantaisie; de là descend en pente douce un tapis de verdure, dans lequel le buis dessine des figures d'animaux qui se font vis à vis; plus bas dans la partie plate se jouent des acanthes souples et je dirais presque ondoyantes. Ce parterre est entouré d'une allée bordée d'arbustes verts, tenus bas et taillés de mille manières. De là part une promenade pour la litière en forme de cirque, qui court autour de massifs de buis aux formes variées et d'arbrisseaux bas que l'on empêche de s'élever. Cet ensemble est enclos d'un mur de pierres sèches, qu'une haie de buis taillée en talus couvre et dérobe à la vue. Ensuite on voit une prairie aussi remarquable par sa beauté naturelle que les objets précédents par les efforts de l'art, puis des champs, et encore des prairies et des bosquets en grand nombre. A l'extrémité du portique s'avance une salle à manger; de la porte on voit la fin du parterre et tout de suite les prés et une vaste campagne; des fenêtres la vue s'étend d'une part sur le côté du parterre et sur la partie de la villa qui fait. saillie, de l'autre sur les arbres touffus du manège qui la touche. A peu près en face du milieu du portique, un appartement forme un peu retrait, il entoure une petite cour ombragée de quatre platanes. Au milieu dans un bassin de marbre jaillit une eau qui rafraîchit de sa douce rosée le cercle des platanes et les arbustes qui sont au-dessous. Il y a dans cet appartement une chambre à coucher où ne parviennent ni le jour, ni les voix, ni les bruits, et attenante une salle à manger de tous les jours et pour les amis; elle a vue d'un côté sur la petite cour dont je viens de parler, de l'autre sur tout ce que l'on voit du portique. Il y a encore une autre chambre qui jouit de la verdure et de l'ombrage d'un des platanes, tout proche; elle est revêtue de marbre jusqu'à hauteur d'appui; et, ce qui ne le cède pas à l'agrément du marbre, une peinture représente un feuillage où sont perchés des oiseaux. Une mignonne fontaine, avec son bassin, et tout autour plusieurs petits tuyaux y répandent, un délicieux murmure. Au coin du portique une vaste pièce fait face à la salle à manger; les fenêtres donnent les unes sur le parterre, les autres sur la prairie, mais d'abord sur une piscine, qui, dominée par les fenêtres, charme à la fois les oreilles et les yeux; car l'eau tombe de haut dans un bassin de marbre, blanchissante d'écume. Cette pièce est aussi très tiède en hiver, parce qu'elle est inondée de soleil. Elle touche au calorifère souterrain, qui, si le temps est nuageux, y envoie de la chaleur et supplée au soleil. De là on passe dans le vestiaire des bains, vaste et gai, puis dans la salle du bain froid, où se trouve un bassin large et frais. Si l'on veut un bain plus vaste pour nager ou plus chaud, il y a dans la cour une piscine, et tout près un puits, pour se rafraichir, si la chaleur incommode. A côté du bain chaud est le bain tiède, auquel le soleil dispense généreusement ses rayons, mais moins qu'à la salle des bains chauds, qui forme avancement. Celle-ci a trois baignoires où l'on descend par des marches; deux reçoivent le soleil; la troisième est privée de soleil, mais non de lumière. Au dessus du vestiaire est un jeu de paume qui peut contenir plusieurs sortes d'exercices et plusieurs groupes de joueurs. Non loin des bains un escalier conduit à une galerie voûtée et auparavant, dans trois appartements. L'un d'eux a vue sur la petite cour des quatre platanes, l'autre sur les prés, le troisième sur les vignes; celui-ci jouit de perspectives opposées. A l'extrémité de la galerie voûtée est une chambre, prise sur la galerie même, qui regarde l'hippodrome, les vignes, les montagnes. Il s'y joint une autre chambre bien exposée au soleil. surtout en hiver. De là se détache un bâtiment qui joint le manège à la villa; voilà l'aspect, voilà le visage des appartements de la façade; sur le côté, une galerie voûtée pour l'été est située sur un terrain élevé, d'où l'on croit non pas apercevoir, mais toucher les vignes. Au milieu de cette galerie une salle à manger reçoit des vallées de l'Apennin une brise très saine, et par derrière de larges fenêtres semblent laisser entrer les vignes, de même que la porte, mais à travers la galerie voûtée. Sur le côté de la salle à manger qui n'a point de fenêtres, un escalier dérobé permet le service de la table dans les grands dîners. Au bout de cette galerie est une chambre d'où la perspective de la galerie elle-même n'est pas moins agréable que celle des vignes. Au-dessous règne une galerie voûtée presque souterraine; en été l'intérieur en est d'une fraîcheur glacée, aussi se contentant de sa température naturelle, ne réclame-t-elle, ni ne reçoit-elle aucun souffle rafraîchissant. Après ces deux galeries voûtées, du côté où finit la salle à manger, commence un portique bon pour l'hiver le matin, et pour l'été l'après midi. Il conduit à deux appartements, dont l'un a quatre chambres, l'autre trois, et qui, à mesure que le soleil tourne, sont au soleil ou à l'ombre. Cette heureuse disposition des bâtiments est surpassée et de beaucoup par la beauté de l'hippodrome. Le milieu en est découvert, de sorte que le regard l'embrasse dès l'entrée tout entier; il est entouré de platanes, qui vêtus de lierre verdoient à leur cime par leur propre feuillage et sur leurs troncs par un feuillage emprunté. Le lierre court capricieusement sur les troncs et les branches et joint de ses guirlandes les platanes rapprochés. Entre eux croissent des buis; les buis du bord extérieur sont environnés de lauriers dont l'ombre se marie a celle des platanes. L'allée droite qui borde le manège s'incurve à son extrémité en hémicycle et change d'aspect; elle est alors entourée et couverte de cyprès, dont l'ombre plus épaisse lui donne plus de fraîcheur et d'obscurité; les allées circulaires de l'intérieur (il y en a en effet plusieurs) reçoivent une lumière très claire. Aussi il y pousse même des roses et ce n'est pas sans agrément que le soleil y contraste avec la fraicheur des ombres. Après cette infinité de tours et de détours, l'allée redevient droite, mais non plus unique, car elle est partagée en plusieurs chemins séparés par des buis. Tantôt du gazon, tantôt le buis même, forment mille dessins, quelquefois des lettres, qui disent soit le nom du maître, soit celui du jardinier. Alternativement se dressent de petites pyramides, ou bien sont plantés les arbres fruitiers, et à l'ceuvre de la plus fine civilisation succède tout à coup l'apparence de la campagne. Le milieu est orné d'un double rang de petits platanes. Derrière eux se déploie de part et d'autre l'acanthe luisante et flexible, et puis des dessins et des noms. A l'extrémité un lit de table en marbre blanc est abrité par une treille, que soutiennent quatre colonettes en marbre de Caryste. De ce lit s'échappe de l'eau, comme si le poids de ceux qui y sont couchés la faisait jaillir; de petits tuyaux la versent sur une dalle creusée, un gracieux bassin de marbre la retient, et règle d'une manière invisible son écoulement, de façon qu'il est toujours plein sans déborder. Le guéridon des entrées et les mets les plus lourds se mettent sur le bord du bassin, les plus légers flottent dans des corbeilles en forme de barques et d'oiseaux. En face une fontaine verse et recueille l'eau en même temps, car l'eau après s'être élancée retombe sur elle-même, et par deux ouvertures qui se touchent elle est absorbée, puis jaillit tour à tour. En face du lit de table un petit pavillon lui donne autant d'agrément qu'il en reçoit. Il est tout brillant de marbre, sa porte fait un avancement et se termine dans la verdure; de ses fenêtres supérieures et inférieures il voit d'en bas ou d'en haut d'autres verdures. Puis un boudoir semble s'enfoncer à la fois dans la même chambre et en être séparé. Il a un lit et des fenêtres tout autour; cependant la lumière y est tamisée par les ombrages qui l'environnent. Car une treille touffue couvrant le toit, s'élance et monte jusqu'au faite. On croirait être couché là comme dans un bois, sauf qu'on n'y sent pas la pluie ainsi que dans les bois. Là aussi une source naît et se perd aussitôt. En plusieurs endroits de l'hippodrome sont placés des sièges de marbre, qui accueillent, ainsi que le pavillon lui-même, les promeneurs fatigués. Près des sièges jaillissent de petites fontaines; dans tout le manège murmurent des ruisseaux amenés par des tuyaux et qui s'en vont partout où la main les conduit, arrosant tantôt un massif, tantôt un autre, parfois tous en même temps. J'aurais depuis longtemps pris soin de ne pas vous paraître trop minutieux, si je ne m'étais proposé de parcourir avec vous dans cette lettre tous les recoins de ma villa. Je n'ai pas craint en effet qu'il vous fût pénible de lire la description de lieux qui ne l'auraient pas été à visiter, surtout puisque vous pouviez à loisir interrompre la lecture, s'il vous plaisait, et, laissant là ma lettre, comme dans la promenade, vous asseoir souvent. De plus j'ai cédé à mon goût; car j'aime les ouvrages que j'ai en grande partie commencés moi-même ou, s'ils étaient commencés, auxquels j'ai mis la dernière main. En somme (pourquoi en effet ne vous exposerais-je pas mon idée ou si vous voulez, mon erreur?) je considère que le premier devoir d'un écrivain est de lire son titre, de se demander souvent quel est le sujet qu'il traite, et de savoir que, s'il y reste fidèle, il n'est jamais long, mais que c'est être très long que d'aller chercher bien loin et d'y introduire de force des ornements étrangers. Voyez combien de vers Homère, combien de vers Virgile emploient à la description des armes, celui-ci d'Enée, celui-là d'Achille. Ils sont brefs cependant tous les deux, parce qu'ils font ce qu'ils se sont proposé. Voyez avec quel soin Aratus poursuit l'énumération des plus infimes étoiles; il ne dépasse pas pourtant la mesure; car ce n'est pas là une digression, mais son sujet même. Ainsi de moi (pour comparer le petit au grand); quand je m'efforce de mettre sous vos yeux ma villa entière, si je ne m'égare point dans les hors d'eeuvre, ce n'est pas ma lettre qui décrit, mais la villa qu'elle décrit, qui a de grandes proportions. Mais je reviens à mon point de départ, pour n'être pas condamné avec justice par mes propres règles, si je prolonge trop cette digression, Vous savez maintenant pourquoi je préfère ma propriété de Toscane à mes villas de Tusculum, de Tibur, de Préneste. Car outre les avantages que je vous ai apportés, il y règne la tranquillité la plus complète, la plus sûre et par suite la plus exempte de tracas; aucun besoin de prendre la toge, aucun fâcheux à votre porte; tout y est paix et silence; et ce calme ajoute à la salubrité du pays autant que la pureté du ciel et la limpidité de l'air. C'est là que je jouis de la meilleure santé d'esprit et de corps. Car j'y exerce mon esprit par l'étude et mon corps par la chasse. Mes gens aussi ne se portent mieux nulle part; jusqu'à ce jour, grâce pour cette parole ! je n'y ai perdu, aucun de ceux que j'avais amenés avec moi; puissent les dieux garder à l'avenir à moi cette joie, au pays ce privilège. Adieu. [5,7] VII. - C. PLINE SALUE SON CHER CALVISIUS RUFUS. Un état ne peut être héritier ni rien prélever sur une succession, c'est un fait assuré; or Saturninus, qui m'a institué héritier, a légué à notre ville un quart de son héritage, puis, au lieu de ce quart, un prélèvement de quatre cent. mille sesterces. Cette disposition, si l'on consulte le droit, est sans valeur; si l'on s'en tient à la volonté du défunt, elle est valable et régulière. Or à mes yeux la volonté du testateur (que vont penser de ceci les jurisconsultes?) est plus sacrée que la loi, surtout quand il s'agit d'un don qu'il a voulu faire à notre patrie commune. Vais-je après lui avoir donné sur mon propre bien un million six cent mille sesterces, lui disputer ce supplément d'un peu plus du tiers de quatre cent mille sesterces? je sais que vous en jugez comme moi, vous qui aimez notre ville en excellent citoyen. Je désirerais donc qu'à la première assemblée des décurions, vous expliquiez la disposition du droit, mais en peu de mots et avec modération; vous ajouteriez ensuite que j'offre les quatre cent mille sesterces, selon la volonté de Saturninus. A lui l'honneur de ce présent, à lui l'honneur de cette largesse; pour moi seulement le mérite de l'obéissance. Je me suis abstenu d'écrire cela officiellement aux magistrats; j'ai pensé d'abord qu'en raison de notre amitié et de votre grande habileté vous deviez et vous pouviez en cette occasion, parler pour moi comme pour vous-même; j'ai craint ensuite que la mesure, facile à garder par vous dans uh discours, ne parût être mal observée par moi dans une lettre. Car la parole est commentée par la physionomie, le geste, le ton même; une lettre, privée de tout secours, est livrée à la malignité des interprétations. Adieu. [5,8] VIII. - C. PLINE SALUE SON CHER TITINIUS CAPITO. Vous m'engagez à écrire l'histoire, et vous n'êtes pas le seul; beaucoup d'autres me l'ont conseillé souvent, et j'y suis décidé moi-même; ce n'est pas que je me flatte de réussir en ce genre (il y aurait de la témérité à le croire, sans avoir essayé); mais je ne vois rien de plus honorable que d'empêcher de périr la mémoire de ceux qui méritent l'immortalité et d'assurer la gloire des autres en même temps que la sienne. Or nul désir, nulle passion ne me tente plus que celle de la renommée, récompense la plus digne d'un homme, surtout de l'homme qui, n'ayant conscience d'aucune faute, ne redoute pas le souvenir de la postérité. Aussi est-ce jour et nuit le sujet de toutes mes pensées : "oh ! si je pouvais moi aussi m'élever au-dessus de la terre" car cela suffirait à mes voeux. Ceci au contraire dépasse mes voeux : « Victorieux voler sur les lèvres des hommes ! --- Pourtant, oh ! si ---. Mais il suffit de ce que l'histoire semble promettre presque seule. Car un discours ou un poème jouissent de peu de faveur, à moins d'être d'un style parfait; l'histoire, quelle qu'en soit la forme, plaît. C'est que les hommes sont naturellement curieux et s'intéressent à la nouveauté même toute nue, au point qu'ils se laissent séduire par des contes et des fables même. Quant à moi, un exemple domestique m'invite encore à cultiver ce genre. Mon oncle maternel, qui a été aussi mon père par adoption, a écrit l'histoire, et y a mis une scrupuleuse fidélité. Or je lis dans les sages que rien n'est plus beau que de marcher sur les traces des aïeux, quand ils nous ont ouvert la bonne voie. Quelle est donc la cause de mes hésitations? La voici : j'ai plaidé de grandes et lourdes causes; et, quoique je ne mette pas en elles de grandes espérances, je me propose de les retoucher, pour ne pas exposer ce travail, qui m'a tant coûté, si je lui refuse ce dernier soin, à périr avec moi. Car, au regard de la postérité, tout ce qui n'est pas achevé, n'est pas même commencé. "Vous pouvez, direz-vous, mener de front la revision de vos plaidoyers et la composition d'une histoire". Plût aux dieux ! Mais chacun de ces ouvrages est si considérable, que c'est déjà beaucoup d'en éxécuter un. J'ai débuté au barreau à dix-neuf ans, et je commence à peine à entrevoir, confusément encore, toutes les qualités qu'on exige d'un orateur; que sera-ce, si à ce fardeau s'en ajoute un autre? L'éloquence et l'histoire ont, sans doute, bien des traits communs, mais aussi bien des différences dans ces caractères eux-mêmes qui leur paraissent communs. La narration appartient à l'une et à l'autre, mais elles la traitent diversement. La première se plaît aux faits vulgaires, communs, terre à terre; la seconde aux actions rares, éclatantes, sublimes; à l'une convient une forte nature, des muscles et des nerfs, à l'autre un peu d'embonpoint et même quelque panache; l'une aime surtout la vigueur, l'âpreté, la véhémence; l'autre la lenteur, la douceur et même la grâce; enfin elles diffèrent par les mots, par les sons, par la construction des phrases; Thucydide l'a dit, c'est tout autre chose de léguer aux hommes un bien impérissable, comme l'historien, ou de livrer un combat de circonstance, comme l'orateur. Tels sont les motifs qui me détournent de confondre, et de mêler deux sortes d'ouvrages si différents, et d'autant plus opposés qu'ils sont plus importants; je crains que, troublé par un mélange si hétérogène je ne mette là ce qui convient ici; c'est pourquoi provisoirement, je demande, pour ne pas quitter le langage du barreau, un sursis. Vous, néanmoins, réfléchissez dés à présent à l'époque qu'il me convient d'aborder. Sera-ce une époque ancienne et dont on a déjà l'histoire? Les matériaux sont tout prêts, mais la comparaison sera redoutable. Choisirons-nous des temps non déflorés et modernes? C'est beaucoup d'inimitiés et peu de reconnaissance à en attendre. Car, outre que, dans une si grande corruption des mceurs, on a plus souvent à blâmer qu'à louer, on paraîtra toujours avare d'éloges, prodigue de blâmes, même si on distribue les uns à pleines mains, les autres avec une extrême réserve. Mais ce n'est pas ce qui m'arrête (je me sens en effet assez de courage pour dire la vérité); ce que je vous demande, c'est de m'ouvrir la voie que vous m'engagez à parcourir et de me choisir un sujet, afin qu'une fois prêt à écrire, je ne rencontre plus de raison sérieuse d'hésiter et de différer. Adieu. [5,9] IX. - C. PLINE SALUE SON CHER SEMPRONIUS RUFUS. J'étais descendu à la Basilique Julienne pour entendre les avocats auquels je devais répondre à l'audience suivante. Les juges avaient pris place, les décemvirs étaient arrivés, les avocats étaient prêts, le silence se prolongeait; enfin arrive un message du préteur; les centumvirs sont renvoyés, l'audience est ajournée, à ma grande satisfaction, car je ne suis jamais si bien préparé, qu'un délai ne me réjouisse. La cause de cette remise, c'est que le préteur Nepos, qui instruit l'affaire, avait publié un court édit, par lequel il avertissait accusateurs et accusés qu'il se conformerait au décret du sénat. A la suite de l'édit venait le sénatus-consulte; il prescrivait que tous les plaideurs devaient jurer, avant les débats, qu'ils n'avaient fait, pour payer leur défense, à aucun avocat, ni don, ni promesse, ni fourni aucune caution. Par ces mots et par beaucoup d'autres défense était faite et de vendre et d'acheter le ministère des avocats. Toutefois, le procès terminé, on permettait une indemnité de dix mille sesterces au maximum. Embarrassé par cette initiative de Népos, le préteur qui préside aux centumvirs, voulant examiner s'il imiterait Népos, nous a donné ce loisir imprévu. Cependant toute la ville critique ou loue l'édit de Népos. Beaucoup s'écrient : "Nous avons donc trouvé quelqu'un pour redresser les boîteux? Mais quoi? N'y a-t-il pas eu de préteurs avant lui? Quel est donc ce réformateur des mceurs publiques"? D'autres au contraire : "Il a tout à fait raison; avant d'aborder les magistratures il a appris le droit, il a lu les sénatus-consultes, il réprime les trafics honteux, il ne souffre pas que la fonction la plus belle soit rendue vénale". Ainsi vont partout les conversations, et l'opinion l'emportera dans un sens ou dans l'autre selon l'événement. Rien de moins juste, mais rien de plus commun, que de voir les desseins honorables ou honteux, selon qu'ils réussissent ou échouent, recevoir l'approbation ou le blâme. Aussi le plus souvent la même conduite est-elle appelée tour à tour zèle ou prétention, franchise ou folie. Adieu. [5,10] X. - C. PLINE SALUE SON CHER SUÉTONE. Libérez enfin mes hendécasyllabes de l'engagement qu'ils ont pris, en se portant garants de vos ouvrages à nos amis communs. Chaque jour on les invite, on les somme de s'exécuter, et je crains que bientôt on ne les cite pour les obliger à produire l'objet du litige. Je suis moi-même bien hésitant, quand il s'agit de publier, mais vous avez encore surpassé ma timidité et ma lenteur. Mettez donc un terme à vos délais ou prenez garde que ces mêmes livres de vous, que mes hendécasyllabes ne peuvent obtenir par des compliments, des vers épigrammatiques ne vous les arrachent par des injures. Votre ouvrage a atteint son point de perfection; et la lime, au lieu de le polir, ne peut plus que le gâter. Accordez-moi de voir votre nom en tête d'un livre, accordez-moi d'entendre dire que l'on copie, qu'on lit, qu'on vend les ouvrages de mon cher Suétone. Il est bien juste dans notre mutuelle amitié que vous me rendiez la joie que je vous ai donnée. Adieu. [5,11] XI. - C. PLINE SALUE SON GRAND-PÈRE PAR ALLIANCE CALPURNIUS FABATUS. J'ai reçu votre lettre et j'ai appris que vous avez inauguré le splendide portique, offert à notre ville, en votre nom et en celui de votre fils; que le lendemain vous avez promis des fonds pour l'embellissement des portes de la ville, afin que votre nouvelle libéralité servît de couronnement à la première. Je me réjouis d'abord de votre gloire, dont une partie, à cause de notre alliance, rejaillit sur moi; ensuite de ce que la mémoire de mon beau-père soit conservée par de superbes monuments; enfin de ce que ma ville reçoive des ornements nouveaux, dont je suis toujours heureux à quelque main qu'on les doive, mais surtout quand ils viennent de vous. Il ne me reste qu'à prier les dieux de vous conserver à vous ces dispositions, et à ces dispositions de longues années. Car je suis sûr qu'après l'achèvement de ce que vous venez de promettre, vous entreprendrez d'autres ouvrages. Une fois en train la générosité ne sait plus s'arrêter; elle devient en effet plus belle à mesure qu'on la pratique. Adieu. [5,12] XII. - C. PLINE SALUE SON CHER TERENTIUS SCAURUS. Désirant lire en public un petit discours, que je songe à publier, j'ai invité quelques personnes, assez pour redouter leur jugement, mais peu nombreuses, pour être sûr d'entendre la vérité. Car j'ai un double but en faisant ces lectures; d'abord de redoubler mon attention, ensuite d'être averti des défauts qui, parce qu'ils me sont propres, m'échappent. J'ai obtenu le résultat cherché, j'ai trouvé des amis prêts à me donner leur avis; j'ai noté moi-même quelques corrections nécessaires; je les ai faites et je vous envoie le livre. Le sujet vous sera indiqué par le titre, le reste, c'est l'ouvrage qui vous l'expliquera, car il est bon qu'il prenne désormais l'habitude d'être compris sans préface. De votre côté, je voudrais que vous m'écriviez votre sentiment sur l'ensemble et sur les parties. J'aurai en effet plus de prudence pour retenir l'ouvrage ou plus de courage à le publier, si votre autorité vient me seconder dans un sens ou dans l'autre. Adieu. [5,13] XIII. - C. PLINE SALUE SON CHER VALERIANUS. Vous me demandez et je vous ai promis, si vous me le demandiez, de vous écrire le résultat de la plainte déposée par Nepos contre Tuscilius Nominatus. On introduisit Nominatus, il plaida pour lui-même, sans que personne s'élevât contre lui, car les députés des Vicentins, loin de l'accabler, le déchargèrent. Le principal de sa défense fut qu'il avait manqué, dans sa charge non de conscience, mais de courage; qu'il était descendu au forum avec l'intention de plaider, et avait même été vu au sénat; qu'ensuite, effrayé par les propos de ses amis, il s'était retiré; qu'on l'avait averti en effet de cesser de résister, surtout devant le sénat, à un sénateur qui luttait désormais avec tant d'acharnement non plus apparemment sur une question de marché, mais comme s'il y allait de son crédit, de sa réputation, de sa dignité; qu'autrement il s'exposerait à une hostilité plus grande encore que dans la précédente audience. Là en effet, il avait bien recueilli quelques applaudissements, mais peu nombreux, quand il était sorti. Il mêla à ces paroles des prières et des larmes abondantes; et même, en homme habitué au barreau, il tourna tout son discours de manière à paraître plutôt demander grâce (c'est le moyen le mieux reçu et le plus sûr), que présenter sa défense. Le consul désigné Afranius Dexter fut d'avis de l'absoudre; voici son argumentation : Nominatus aurait évidemment mieux agi, s'il eût soutenu jusqu'au bout la cause des Vicentins avec le même courage qu'il s'en était chargé; cependant comme il n'avait mis dans sa faute aucune mauvaise foi, comme il n'était convaincu d'aucun manquement digne de punition, il devait être acquitté, à condition de rendre aux Vicentins ce qu'il en avait reçu. Tous se rangèrent à cet avis excepté Flavius Aperi demanda d'interdire à Nominatus pendant cinq ans la fonction d'avocat, et, quoique son autorité n'eût entraîné personne, il persista dans son sentiment; il alla même, invoquant le règlement du sénat, jusqu'à forcer Dexter, qui le premier avait émis l'opinion opposée de jurer qu'il croyait son avis conforme à l'intérêt de l'état. Quoique la demande fût légale, elle souleva quelques protestations. Elle semblait en effet accuser son auteur de corruption. Mais avant qu'on recueillît les votes, Nigrinus, tribun de la plèbe, lut une requête éloquente et forte, dans laquelle il se plaignait de la vénalité des avocats, de la vénalité même des prévarications, des ententes conclues avant les procès, de l'habitude de substituer à la récompense de l'honneur de gros et solides profits tirés des dépouilles des citoyens. Il lut des textes de lois, il rappela les sénatus-consultes, et conclut qu'il fallait demander au meilleur des empereurs, puisque les lois, puisque les décrets du sénat étaient foulés aux pieds, de remédier lui-même à de si grands maux. Peu de jours s'écoulèrent; puis parut un édit du prince, sévère et pourtant modéré; vous le lirez, il est publié au journal officiel. Combien je me félicite de m'être toujours abstenu, quand j'ai plaidé, de tout contrat, présent, honoraires et même des plus minimes cadeaux. Il est vrai qu'il faut éviter le mal, non parce qu'il est défendu, mais parce qu'il déshonore. On est heureux pourtant de voir interdire par la loi ce qu'on ne s'est jamais permis soi-même; peut-être, ou plutôt certainement ma conduite me vaudra-t-elle moins d'honneur et moins de gloire, quand tous feront par contrainte ce que je faisais de plein gré. Jusque-là je goûte le plaisir d'entendre les uns me traiter de prophète, les autres répéter en riant et en plaisantant que mes rapines et ma cupidité ont bien mérité cette répression. Adieu. [5,14] XIV. - C. PLINE SALUE SON CHER PONTIUS ALLIFANUS. Je goûtais la retraite de ma ville natale, quand la nouvelle m'est arrivée que Cornutus Tertullus avait reçu la mission de surveiller les travaux de la voie Émilienne. Je ne peux vous dire toute la joie que j'en éprouve et pour lui et pour moi; pour lui, parce que, quelle que soit sa modestie, il doit être heureux cependant d'un honneur qu'il n'a pas cherché; pour moi, parce que le mandat qui m'a été confié double de prix à mes yeux, depuis que je vois Cornutus chargé des mêmes fonctions. Car il n'est pas plus flatteur de s'élever en dignité que d'être égalé aux bons citoyens. Or Cornutus n'est-il pas l'homme le meilleur, le plus digne? N'offre-t-il pas le plus parfait exemple de toutes les vertus antiques? Et ces qualités, je ne les connais pas seulement par la haute réputation, dont il jouit à si juste titre d'ailleurs, j'en parle sur la foi d'une longue expérience et de graves épreuves. Nous avons, nous avons toujours eu pour amis communs, tous ceux de l'un et l'autre sexe, que notre époque nous a donnés à imiter; cette communauté dans nos affections nous a unis par la plus étroite intimité. Les charges publiques ont encore resserré ces liens; car, vous savez que le sort, comme s'il eût entendu mes voeux, me l'a donné pour collègue et dans mes fonctions de préfet du trésor et dans mon consulat. C'est alors que j'ai connu à fond son coeur et ses talents; je l'écoutais comme un maître, je le vénérais comme un père; et il le méritait moins par son âge que par sa sagesse. Voilà pourquoi je suis heureux autant pour lui que pour moi, à titre privé comme à titre de citoyen, de ce qu'enfin la vertu conduit non plus aux périls comme autrefois, mais aux honneurs. Ma lettre ne finirait pas, si je m'abandonnais à ma joie. Je veux plutôt vous dire dans quelles occupations m'a trouvé cette nouvelle. Je suis avec l'aieul, avec la tante maternelle de ma femme, je suis avec des amis dont j'ai longtemps regretté l'absence; je visite mes terres, j'entends beaucoup de plaintes de paysans, je lis des comptes bien malgré moi et en courant (car je suis habitué à d'autres écrits, à une autre littérature), je commence même à me préparer au départ. Je n'ai en effet qu'un congé de courte durée, et la nouvelle même de la charge accordée à Cornutus me rappelle la mienne. Je souhaite qu'en même temps votre Campanie vous donne congé à vous aussi, pour qu'après mon retour à Rome, il n'y ait aucun jour de perdu pour notre intimité. Adieu. [5,15] XV. - C. PLINE SALUE SON CHER ARRIUS ANTONINUS. Plus je cherche à égaler vos vers, plus je me rends compte de leur perfection. Les peintres cherchant à rendre une figure d'une beauté parfaite n'en donnent généralement qu'une image affaiblie; comme eux j'échoue dans mes efforts et reste bien au-dessous de mon modèle. Aussi je vous prie de nous donner souvent de tels ouvrages que tous brûlent d'imiter, que personne ou presque personne ne peut égaler. Adieu. [5,16] XVI. - C. PLINE SALUE SON CHER EFULANUS MARCELLINUS. Je vous écris accablé de tristesse, car la fille cadette de notre ami Fundanus est morte. Je n'ai jamais vu de jeune fille plus gracieuse, plus aimable, plus digne non seulement d'une longue vie, mais presque de l'immortalité. Elle n'avait pas encore quatorze ans, et déjà montrait l'avisement d'une femme âgée, le sérieux d'une mère de famille, sans rien perdre du charme d'une jeune fille et de la pudeur virginale. Comme elle s'attachait au cou de son père ! Et nous, les amis de son père, avec quelle affection et quelle modestie en même temps elle nous serrait dans ses bras ! Et ses nourrices, ses pédagogues, ses maîtres, avec quel tact elle donnait à chacun l'affection qui convenait à sa condition. Quelle application, quelle intelligence dans ses lectures ! Quelle retenue, quelle réserve. dans ses jeux ! Avec quelle modération, quelle patience, quel courage même elle supporta sa dernière maladie I Elle obéissait aux médecins, elle encourageait sa sœur, son père et se soutenait elle-même, lorsque les forces l'eurent abandonnée, par son énergie morale. Elle la conserva jusqu'à la fin; ni la longueur de sa maladie ni la crainte de la mort ne purent la briser, comme pour augmenter et aggraver encore nos regrets et notre douleur. O mort cruelle et prématurée ! O mort survenue dans des circonstances plus odieuses encore ! Elle était déjà fiancée à un jeune homme distingué; déjà était fixé le jour des noces; déjà nous étions invités. En quelle affliction s'est changée tant de joie ! Les mots me manquent pour vous exprimer quel coup j'ai reçu au coeur, quand j'ai entendu Fundanus lui-même, (tant la douleur est féconde en désolantes inventions), ordonner que tout ce qu'il devait dépenser en toilettes, en perles, en pierres, fût employé en encens, en baume, en parfums. C'est un homme instruit et sage, qui dès son jeune âge s'est adonné aux connaissances les plus nobles; eh bien, aujourd'hui, il dédaigne tout ce qu'il a souvent entendu dire, tout ce qu'il a dit lui-même, et, renonçant à ses autres vertus, il se consacre tout entier à son affection paternelle. Vous l'excuserez, vous l'approuverez même, si vous songez à la perte qu'il a faite. Il a perdu en effet une fille qui était l'image non moins de son caractère, que de ses traits et de son air, et faisait revivre son père tout entier par une ressemblance étonnante. Si donc vous lui écrivez au sujet d'un chagrin si légitime, souvenez-vous d'user dans vos consolations non pas de paroles trop fortes qui pourraient ressembler à des remontrances, mais de douceur et de compassion. Pour qu'il les reçoive plus volontiers, il faut compter beaucoup sur le temps. Une blessure encore fraîche redoute la main du médecin, puis elle la supporte et même la réclame; ainsi une douleur récente repousse et fuit les consolations, puis les désire et, si elles sont apportées avec douceur, y trouve un apaisement. Adieu. [5,17] XVII. - C. PLINE SALUE SON CHER VESTRICIUS SPURINNA. Je sais quel amour vous avez pour les belles lettres, quelle joie vous éprouvez, quand des jeunes gens de haute naissance se montrent dignes de leurs ancêtres. Je m'empresse donc de vous annoncer que j'ai assisté hier à une lecture de Calpurnius Pison. Il a lu son poème sur les Astres, sujet savant certes et fécond. Il l'a écrit en vers élégiaques coulants, souples et faciles, mais aussi pleins de majesté, comme l'exigeait la matière. Avec à propos et variété, tantôt il élevait, tantôt il baissait la voix; il passait du grandiose au familier, du vif au grave, du sévère à l'agréable, toujours avec le même bonheur. Ces agréments étaient mis en valeur par la douceur de son accent, et son accent par sa modestie. On voyait sur son visage cette vive rougeur, cette grande appréhension qui recommandent si bien un lecteur. Car je ne sais pourquoi la timidité sied mieux que la confiance aux hommes de lettres. Je m'arrête, quoique j'eusse plaisir à ajouter beaucoup d'autres traits, aussi remarquables dans un homme de cet âge, que rares dans un homme de cette condition. La lecture finie, j'ai embrassé plusieurs fois l'auteur, et persuadé que le plus puissant aiguillon est la louange, je l'ai engagé en le félicitant à continuer dans la voie où il était entré, et, portant le flambeau dont ses ancêtres avaient éclairé sa marche, à guider à son tour ses descendants. J'ai complimenté son excellente mère, j'ai complimenté aussi son frère, qui rapporta de cette salle de lecture autant d'honneur pour sa tendresse fraternelle que le lecteur pour son éloquence, tant il montra, pendant que son frère lisait, d'abord d'inquiétude, puis de joie. Fasse le ciel que j'aie souvent de semblables nouvelles à vous donner ! Car mon plus vif désir est que notre siècle ne soit pas impuissant et stérile, et je souhaite ardemment que nos patriciens aient dans leurs demeures d'autres titres de gloire que les images de leurs ancêtres. Quant aux deux jeunes Pisons, il me semble que ces images aujourd'hui les applaudissent en silence, les encouragent et (ce qui suffit à leur gloire à tous les deux) les avouent pour leur sang. Adieu. [5,18] XVIII. - C. PLINE SALUE SON CHER CALPURNIUS MACER. Je suis content puisque vous l'êtes; vous avez près de vous votre femme, et votre fils; vous jouissez de la mer, de vos fontaines, de vos arbres, de votre domaine, d'une délicieuse villa; car je ne doute pas qu'elle soit délicieuse, puisqu'elle a été choisie comme retraite par un homme déjà bien heureux, avant de devenir le plus heureux des mortels. Pour moi, dans ma villa de Toscane, j'ai à la fois la chasse et l'étude, auxquelles je me livre tantôt séparément, tantôt en même temps; et pourtant je ne peux encore décider lequel est, le plus difficile de faire une capture ou d'écrire une ligne. Adieu. [5,19] XIX. - C. PLINE SALUE SON CHER VALERIUS PAULINUS. Voyant votre douceur pour vos gens, je vous avouerai plus franchement mon indulgence à l'égard des miens. J'ai toujours présent à l'esprit et ce mot d'Homère «« Il était pour eux un tendre père » et ce nom de "père de famille" que nous donnons aux maîtres. Mais, même si j'étais d'un naturel plus insensible et plus dur, j'aurais encore le coeur brisé de la maladie de mon affranchi Zosime, à qui je dois montrer d'autant plus de bonté, qu'il en a plus besoin en ce moment. C'est un homme honnête, complaisant, instruit; son principal talent, et son titre pour ainsi dire officiel, est celui d'acteur, où il réussit parfaitement. Son débit est vif, juste, agréable et même noble; il joue en outre de la cithare mieux qu'il est nécessaire à un comédien. Bien plus il lit si agréablement les discours, les histoires et les vers, qu'on croirait qu'il n'a jamais appris autre chose. Je vous donne tous ces détails pour que vous sachiez quels services variés et agréables il me rend à lui seul. Ajoutez-y l'affection déjà ancienne que j'ai pour lui et que ses dangers mêmes ont accrue. Car ainsi le veut la nature : rien n'avive et n'enflamme l'amitié comme la crainte de perdre ce que nous aimons; et cette crainte ce n'est pas la première fois que je l'éprouve pour lui. Il y a quelques années, un jour qu'il déclamait avec force et véhémence, il se mit tout à coup à cracher le sang. Je l'envoyai en Egypte pour soigner ce mal. Après un assez long séjour, il en est revenu depuis peu ayant repris des forces; et puis, ayant trop demandé à sa voix pendant plusieurs jours de suite, une faible toux l'avertit du retour de son ancienne maladie et son crachement de sang le reprit. Voilà pourquoi j'ai décidé de l'envoyer dans le domaine que vous possédez à Fréjus; car je vous ai souvent entendu dire qu'il y a là un air très sain et du lait excellent pour guérir ces sortes de maladies. Je vous prie donc d'écrire à vos gens de l'accueillir dans votre propriété, dans votre maison, de subvenir même à ses dépenses, s'il en a besoin, mais ses besoins seront modiques. Il est en effet d'une telle modération et d'une telle sobriété, qu'il se refuse par économie non seulement les douceurs, mais même les soins qu'exige sa santé. Je lui donnerai à son départ assez d'argent pour arriver chez vous. Adieu. [5,20] XX. - C. PLINE SALUE SON CHER CORNELIUS URSUS. Voici encore les Bithyniens; peu après le procès de Julius Bassus, ce fut le proconsul Rufus Varenus lui-même qu'ils accusèrent, Varenus que naguère ils avaient demandé et obtenu pour avocat contre Bassus. Introduits devant le sénat, ils demandèrent l'information. Alors Varenus réclama pour lui aussi le droit d'obliger des témoins à décharge à se présenter. Les Bithyniens s'y opposant, des débats s'ensuivirent. Je plaidai pour Varenus non sans succès; ai-je parlé bien ou mal, le discours écrit vous l'apprendra. Dans les plaidoiries en effet le succès ou l'échec dépendent de la chance; beaucoup d'avantages vous sont enlevés ou apportés par la mémoire, la voix, le geste, les circonstances même, et enfin les préventions favorables ou contraires à l'accusé; le discours écrit ne se ressent pas de l'hostilité ou de la faveur, des hasards heureux ou malheureux. Fonteius Magnus, un des Bithyniens, me répondit, avec une grande richesse de paroles, une égale pauvreté d'arguments. Chez la plupart des Grecs comme chez lui cette faconde tient lieu d'abondance; tant ils lancent les plus longues et les plus froides périodes d'une seule haleine, avec la rapidité d'un torrent. Aussi Julius Candidus dit-il, non sans esprit, que la loquacité n'est pas l'éloquence. Car l'éloquence n'a été donnée qu'à un ou deux, ou plutôt, si nous en croyons M. Antoine, à personne, tandis que cette loquacité, comme l'appelle Candidus, est le talent de beaucoup de gens et surtout des plus effrontés. Le lendemain Homullus plaida pour Varenus avec adresse, avec vigueur, avec élégance; la réponse de Nigrinus fut concise, ferme, brillante. Acilius Rufus, consul désigné, fut d'avis d'accorder l'information aux Bithyniens; quant à la demande de Varenus, il la passa sous silence, ce qui était une manière de s'y opposer. Cornelius Priscus, ancien consul accorda à la fois aux accusateurs et à l'accusé ce qu'ils demandaient et à la majorité lui donna gain de cause; nous avons ainsi obtenu une décision qui n'avait pour elle ni un texte de loi ni un usage établi, mais juste cependant. Pourquoi juste? je ne vous l'exposerai pas dans ma lettre, pour vous laisser désirer le plaidoyer. Car, si ces paroles d'Homère sont vraies : « les chants les plus admirés des hommes sont ceux qui arrivent à leurs oreilles dans leur plus fraîche nouveauté » je dois ménager ce charme de la nouveauté et cette fleur, qui fait tout le prix de mon petit discours et ne pas laisser le bavardage de ma lettre la flétrir d'avance. Adieu. [5,21] XXI. - C. PLINE SALUE SON CHER POMPEIUS SATURNINUS. Votre lettre m'a causé des émotions diverses, car elle contient à la fois d'heureuses et de tristes nouvelles; les nouvelles heureuses sont d'abord que vous êtes retenu à Rome (je le regrette, dites-vous, mais moi j'en suis charmé); c'est en outre que vous me promettez de donner une lecture dès mon retour, et je vous rends grâce de m'attendre. Les nouvelles tristes, les voici : Julius Valens est gravement malade; encore cette nouvelle n'est-elle pas vraiment triste, si l'on ne consulte que son intérêt, car ce serait un bonheur pour lui d'être délivré au plus tôt d'un mal incurable. Mais ce qui est une grande tristesse et même un déplorable deuil, c'est la mort de Julius Avitus, survenue au moment où il rentrait de sa questure, sa mort sur le navire, loin d'un frère qui l'aimait tendrement, loin de sa mère, loin de ses soeurs. Aucune de ces circonstances ne le touche plus, maintenant qu'il est mort, mais elles l'ont tourmenté dans ses derniers moments et elles tourmentent ceux qui lui survivent; et puis, quelle douleur de voir s'éteindre à la fleur de l'âge, un jeune homme d'un si beau talent, déjà monté si haut, et qui serait monté au premier rang, si ses vertus avaient eu le temps de mûrir. Quelle passion l'enflammait pour les lettres! que de lectures ! Que d'écrits même déjà produits ! Et maintenant tous ces biens, perdus avec lui pour la postérité, se sont évanouis. Mais pourquoi m'abandonner à mon chagrin? Quand on lui lâche la bride, tout sujet lui paraît le plus grand. J'arrête cette lettre, pour arrêter aussi le cours de mes larmes, qu'elle a fait couler. Adieu.