[1,0] L'AFRIQUE LIVRE PREMIER : SONGE DE SCIPION. Muse, redis-moi ce héros, illustre par ses mérites et terrible à la guerre, auquel la noble Afrique, abattue sous les armes de l'Italie, a procuré en premier lieu un nom éternel. De grâce, Soeurs objet de mon amour, qu'il me soit permis de sucer quelques gouttes à la source sacrée de l'Hélicon tari, si mes chants vous agréent. Déjà la fortune m'a rendu les prés et les fontaines d'une campagne aimée, le silence des champs déserts, les fleuves et les collines, et le repos des bois exposés au soleil ; vous, rendez la voix au poète, rendez-lui l'inspiration. Et vous, espoir le plus assuré du monde, gloire d'en haut, vous en qui notre ère salue le vainqueur des dieux et de l'Érèbe, vous dont le corps innocent nous montre à nu cinq larges plaies, venez à mon aide, père de toutes choses. En revenant du sommet du Parnasse, je vous rapporterai maints vers pieux, si vous aimez les vers, et, s'ils ne vous plaisent pas, je vous offrirai peut-être des larmes que j'aurais dû répandre jadis et que par un aveuglement fatal je garde depuis longtemps. Vous aussi, puissant maître du royaume de Sicile ornement de l'Hespérie et gloire de notre âge, qui m'avez jugé digne de siéger parmi les favoris des Muses, de ceindre des lauriers longtemps enviés et de porter le titre de poète, daignez, je vous en prie, accueillir ce présent que je vous offre d'un coeur tranquille, car si vous lisez tout, certain passage charmera peut-être vos oreilles libres de tout soin, et vous regretterez moins à la fin la peine que vous aurez prise. De plus, vous aplanirez pour toujours à cette œuvre le chemin de la postérité. Qui oserait blâmer ce qu'il saura vous avoir plu? Je le déclare avec d'autant plus de confiance que j'ai éprouvé qu'il vous suffit d'un simple signe de tete pour rendre digne ce qui ne l'était point. Voyez avec quel tremblement la foule se prosterne devant les offrandes qui tapissent les temples sacrés; ôtez-les, elle les dédaignera. L'éclat de votre renommée peut contribuer autant à ma faveur, pourvu que vous permettiez à ces vers de se cacher à l'ombre de votre doux nom, où ils mépriseront le poison funeste de l'envie, et où ni la vétusté ni les vers ne rongeront mon nom. Accueillez, je vous en conjure, illustre monarque, accueillez donc cette offrande, tendez-lui vos mains bienveillantes, et tournez sur elle vos regards. J'élèverai vos actes jusqu'aux nues par des louanges méritées, et peut-être un jour par un autre poème. Que la mort seulement m'attende un peu, je ne demande point un long délai. Je chanterai le nom du roi de Sicile et ses hautes merveilles non répandues au loin, mais dont nous avons tous été témoins. Car ceux que pareil souci tourmente remontent d'ordinaire vers le passé. Les uns sont préoccupés de l'an mil; les autres rougissent de s'arrêter à cette limite. Nul n'a regardé le temps où il vivait, afin que la Muse errât librement et sans encombre à travers des âges peu connus. [1,50] Aussi celui-ci chante la ruine de Troie ; celui-là, célèbre Thèbes et cache le jeune Achille ; cet autre remplit l'Émathie d'ossements romains. Moi-même, je ne dirai point maintenant les faits de notre temps, je veux à l'aide des armes d'Ausonie détruire de fond en comble les Africains criminels et anéantir leur puissance redoutable. Mais c'est en vous portant toujours dans mon coeur, grand roi, et en me hâtant de revenir, que je suivrai la voie où je me suis engagé. Je n'ai point osé toucher d'abord à vos hauts faits; ils m'attiraient davantage, mais j'ai tremblé en nous envisageant, vous et moi, et en pesant tout. Je veux essayer mon génie. Si par hasard cette épreuve lui réussit, je prendrai un haut et vigoureux essor, car vous me favoriserez, et la célèbre Parthénope me verra revenir de nouveau dans sa vaste enceinte, moi poète rapportant pour la seconde fois la couronne romaine. Maintenant j'ai cueilli un tendre feuillage d'un humble arbrisseau, l'illustre Scipion accompagnant mes premiers pas; je détacherai alors de robustes rameaux ; vous m'aiderez de votre matière, magnanime monarque, vous raffermirez ma plume chancelante, et celui qui vous aime obtiendra, honneur mérité, un autre laurier, le plus beau de notre époque. On se demande quelle fut la cause de si grands maux, quelle a été l'origine de ce désastre, d'où vinrent ces colères, quelle fureur a poussé des nations puissantes à endurer sur mer tant de calamités, et a donné à ravager tour à tour l'Europe à la Libye, et la Libye rebelle à l'Europe. Pour moi, je découvre une cause qui n'exige pas de longues recherches, c'est l'envie, cette racine infecte de tous les maux, à l'extrémité de laquelle naît la mort. L'envie qui voit d'un oeil triste la prospérité d'autrui ne put voir Rome florissante. La jalouse Carthage avait porté envie à Rome naissante, elle la vit ensuite avec peine devenir sa rivale, puis, Rome ayant accru ses forces, Carthage apprit à obéir aux commandements de sa puissante maîtresse, à subir de nouvelles lois et à payer tribut, mais en proférant tout bas mille plaintes et mille menaces. Enfin l'orgueil funeste la poussa à secouer le frein et à redoubler les défaites reçues. Ces hommes traités en esclaves étaient dévorés de chagrin et de honte; à ces rigueurs s'ajoutaient une avarice excessive et une cupidité insatiable. Les prétentions des deux peuples se confondaient, tous deux désiraient l'empire, chacun se croyait digne de tout tenir sous sa domination et de commander à l'univers entier. De plus, les Carthaginois venaient d'essuyer un dommage considérable : ils avaient perdu l'île de Sardaigne, on leur avait enlevé la Sicile et l'Espagne, terre trop voisine des deux peuples, exposée à toutes les attaques, faite pour le pillage, et qui devait être longtemps le théâtre de tant d'horribles calamités. [1,100] Telle une brebis grasse, surprise au milieu des loups, roule çà et là sous les coups de dent qui la déchirent, tremblante elle est mise en pièces et gît baignée dans son sang et dans celui de ses agresseurs. Ajoutez la situation des lieux; la nature a placé ces deux peuples sur deux rivages opposés, d'où ils se regardent de loin. Différents sont leurs caractères, différentes leurs moeurs, différents leurs dieux, les divinités de l'un sont odieuses à l'autre; entre eux rien n'est en paix, les vents et les éléments sont aux prises et les flots luttent sur une mer ennemie. On combattit trois fois avec une haine acharnée et une grande effusion de sang. Si l'on envisage la réalité, la première fois la guerre éclata, la seconde fois elle fut presque décisive, et en troisième lieu elle se termina simplement après de faibles efforts. Nous redirons ici les plus graves de ces événements, les batailles intermédiaires, des capitaines illustres et une guerre inouïe. L'Espagne, accablée de défaites grâce au génie divin d'un jeune héros, avait secoué sa lourde chaîne pour se soumettre au joug de l'Ausonie et aux armes romaines. Les Carthaginois s'étaient enfuis précipitamment au loin par delà les mers. Ils redoutaient ce grand foudre de guerre, sa vaillance, son caractère, sa réputation, sa naissance, sa nouvelle science des armes et ses entreprises illustrées par de sanglants exploits. Enfin le perfide Asdrubal, sur le rivage maure, tournant les yeux vers son ennemi qui le pressait, se croyait à peine en sùreté. Tel un cerf effrayé regarde derrière lui la poursuite ardente des chasseurs et des chiens, en tournant de loin, au sommet d'un mont, son cou haletant. Le vainqueur de l'Ibérie s'arrêta sur le bord de l'Océan, à l'endroit où dans leurs efforts périlleux les nefs et la mer battent les colonnes d'Hercule, et où Phébus fatigué plonge dans l'onde et nettoie son char couvert de la poussière d'été. Il s'arréta là où la nature toute puissante, et non la main de l'homme, fermait le passage. Il regretta d'avoir vaincu à moitié l'ennemi arraché à ses serres avides. Les caresses de la fortune n'apaisent point sa douleur. Carthage debout, la gloire éclatante de ses exploits pâlissait; il voyait l'ennemi en fuite s'enfonçant encore dans des régions lointaines et lançant d'un bras à demi mort des traits débiles. De plus, un bruit lointain, venu de notre contrée et plein de sinistres nouvelles, annonçait qu'Annibal courait en armes çà et là, menaçant les citadelles de l'Ausonie, que l'on dirigeait des torches sous les murs de Rome, que d'illustres généraux avaient succombé, que l'Italie était la proie de flammes criminelles, et que ses campagnes ruisselaient de sang. Scipion brûlait du désir de venger son père, et l'amour de la patrie le poussait à poursuivre son entreprise. Il sentait qu'il fallait des torrents de sang pour apaiser les cendres sacrées et les ombres de ses parents immolés, et pour essuyer la honte du front de l'Italie. Cet amour faisait battre sans relâche le coeur du héros; [1,150] sur son front et dans ses yeux brillants de jeunesse étincelait tout le feu de son âme généreuse. Ses nuits étaient inquiètes, ses jours laborieux, à peine avait-il une heure de repos, tant il déployait une énergie indomptable. Au milieu de ces soucis, alors que la Nuit dégageait peu à peu la terre humide de ses noirs embrassements, quoique l'Aurore tînt encore serré dans ses bras son époux vieux et glacé et que ses servantes, qui règlent le cours des siècles, n'osassent point réveiller leur maîtresse en faisant rouler sur leurs gonds de pourpre les portes brillantes et en ouvrant les fenêtres vermeilles, Scipion accablé de fatigue reposa sa tete. Le doux sommeil ferma ses yeux vaincus. Une grande ombre descendue silencieusement du ciel lui apparut : c'était la figure de son père porté sur des nuages et montrant à son cher fils son coeur, ses flancs et sa poitrine percés de coups. L'intrépide jeune homme sentit tous ses membres se raidir et ses cheveux se dressèrent d'horreur. L'ombre le blâma de sa frayeur, et le caressant, elle lui parla ainsi d'une voix qu'il connaissait : « O toi, la gloire éternelle et le plus bel ornement de notre famille; toi, l'unique espoir de notre patrie chancelante, bannis ta crainte et recueille mes paroles au fond de ton âme! Le très bienfaisant maître de l'Olympe vient de m'accorder une heure courte, mais qui, bien employée, t'apprendra une foule de choses agréables. Vaincu par mes prières, il a ouvert (rare faveur) les portes étoilées du ciel, et il a permis qu'un vivant pénétrât vers les deux pôles, afin que, guidé par moi, tu visses les astres et leurs routes obliques, les épreuves de la patrie et les tiennes, la trame des destins encore inconnue sur la terre, et que les Parques ourdissent d'un doigt inflexible. Dirige ton attention de ce côté. Vois-tu ces murs situés au midi, ces palais parjures fondés par la ruse d'une femme sur une montagne infâme? Vois-tu ces assemblées nombreuses d'hommes furieux et cette foule dégouttante d'un sang qui fume? Hélas! ville trop fameuse par nos désastres ! Hélas ! terre fatale aux femmes italiennes, tu reprends de nouveau tes armes une première fois brisées, et tu disposes derechef tes bataillons pour combler les tombeaux vides ! Est-ce ainsi, paresseux Bagrada, que tu méprises le Tibre indompté? Est-ce ainsi, insolente Byrsa, que tu braves le superbe Capitole? Tu feras une seconde tentative et tu connaîtras ta maîtresse à ses coups. Voilà, mon fils, la tàche qui te reste à accomplir; voilà la gloire qui, en cas de succès, te rendra semblable aux dieux. Je jure par ces blessures sacrées pour moi à juste titre, puisqu'elles m'ont aidé à payer ma dette à ma patrie et qu'elles ont frayé à ma bravoure la route des cieux; je jure, dis-je, que quand les ennemis perçaient mes membres et que, près de rendre l'âme, j'étais dévoré de regrets, toute ma consolation dans mon malheur a été de songer qu'après ma mort un vengeur magnanime restait à mon pays. Cet espoir a calmé d'un côté mes craintes, et de l'autre les souffrances d'une mort cruelle. Tandis qu'il parle ainsi, [1,200] le jeune Scipion promène des regards attristés sur ses affreuses blessures, et examine tout son corps de la tête aux pieds. Sa tendresse éclate, ses larmes coulent abondamment, il ne peut en entendre davantage, et, lui coupant la parole, il s'écrie: « Ah! que vois-je? Qui donc, ô mon père, a percé d'un fer cruel cette chère poitrine ? Quel bras a osé souiller de sang ce front respecté des peuples? Dites-le-moi, père, mes oreilles ne pourront rien entendre auparavant. » En disant cela, il remplit de ses gémissements les astres radieux et leurs tranquilles demeures. S'il est permis de comparer les petites choses aux grandes, le poisson échappé de la mer et placé à l'écart dans un fleuve charmant où il savoure l'eau douce, n'éprouve pas plus de surprise lorsqu'il se sent tout à coup entouré de l'onde amère, que n'en éprouva ce choeur sacré. Il avait connu antérieurement lâ colère, la douleur, les gémissements, l'incertitude de l'avenir, la crainte de la mort, toutes les misères de notre monde, les mille passions dans lesquelles nous consumons au milieu des ténèbres le plus beau temps de notre vie rapide et nos meilleures années. Il coule là des jours purs que rassérène la lumière éternelle, que ne troublent ni les soucis rongeurs ni les tristes murmures, et que la haine n'enflamme point. Ce bruit extraordinaire, dont l'oreille des dieux n'avait pas coutume d'être frappée, avait rempli des accents de la piété filiale le sanctuaire de la lumière inaccessible et sa voûte silencieuse. Le père serre tendrement son fils dans ses bras, il l'invite à la modération et réprime ses soupirs par ces graves paroles: «Cesse de gémir, je t'en prie, car ce n'est ni le lieu ni le moment. Mais puisque la vue de mes blessures t'émeut et que tu désires connaître les malheurs de ta patrie, écoute, je vais toucher bien des événements en peu de mots. La sixième campagne avait vu mes enseignes et celles de mon frère complètement victorieuses dans les champs de l'Hespérie. J'étais las des soucis et des lenteurs de la guerre quand tu m'inspiras, ô fortune, un dessein qui, à en juger par le dénoûment, fut extrêmement malheureux. Je résolus de partager avec mon fidèle frère le fardeau périlleux et de stimuler les lenteurs de la guerre par un double aiguillon. Nous nous divisons donc sous des auspices favorables, et tous deux, à la tête de légions séparées, nous poursuivons au loin l'ennemi dans des contrées éparses. Déjà, avant que leur quenouille soit pleine, les Parques fatiguées abandonnent le fil de nos jours, déjà Mars déserte ses étendards. Craignant de combattre dans des conditions inégales, les Carthaginois, dans cette circonstance critique, recourent à la fraude. C'est un art dans lequel ils excellent et que nous connaissons à nos dépens. Ils tentèrent de corrompre à prix d'or les Celtibériens, troupes auxiliaires qui jusque-là avaient soutenu l'armée de mon frère, et ils leur persuadèrent de fuir. Cet exemple doit être mis à jamais sous les yeux de nos généraux de peur qu'ils ne comptent plus sur le secours de l'étranger que sur leurs propres soldats. Mon frère allègue à ses auxiliaires les dieux, l'équité, la justice; vains discours! [1,250] ils partent précipitamment sans dire adieu. O puissance du métal ! Religion, honneur, bonne foi, vous succombez devant l'or seul. L'armée de mon frère, privée d'appui, prit le parti de rétrograder et de gagner par des chemins détournés des montagnes connues. Il ne restait pas d'autre espoir à son général. L'ennemi la poursuivit sans relâche, serrant de près jusqu'à la fin les derrières des fuyards. Pour moi, éloigné à une grande distance, j'étais également entouré des bataillons carthaginois qu'était venu grossir secrètement un nouvel ennemi perfide et insolent. Je résolus aussi de rebrousser chemin. Impossible. Il me fallut renoncer à faire ma jonction avec mon cher frère. De beaucoup inférieur en nombre, j'étais enveloppé de tous côtés par trois camps, et on me cernait dans un poste très désavantageux. Le fer était notre seule défense; il ne fallait pas songer à fuir; nous fîmes tout ce que nous permettait le destin dans cette conjoncture critique, nous ouvrîmes avec le fer ces coeurs durs et nous précipitâmes dans l'Érèbe ces ombres artificieuses. La colère et la douleur nous enhardissaient; il n'y avait place ni pour l'art de la guerre ni pour les expédients. Ainsi, quand un pâtre cruel, couvert d'un voile protecteur, fait la guerre aux abeilles nourricières, celles-ci s'agitent dans leur nuit obscure, puis elles sortent, éplorées, de leurs douces cellules bâties avec un peu de cire. Elles se précipitent à l'aveugle en bourdonnant, et, dans leur vol disséminé, fondent sur la tête de l'assaillant. L'ennemi rusé tient bon, il poursuit son oeuvre et, après de vaines blessures, d'une main victorieuse il arrache et détruit le berceau de cette peuplade sacrée. De même, ce qui est l'unique salut et le plaisir suprême des malheureux, nous frappons à coups redoublés qui du javelot, qui du glaive vengeur, l'odieuse troupe, et nous laissons dans la blessure tout le venin de notre colère. Les Carthaginois restaient immobiles en ordre de bataille, comme devant le souffle de l'Auster se dressent le haut Éryx et l'Atlas qui touche aux astres. Bref, nous sommes accablés sans défense sous une nuée d'armes et de combattants. La fortune jalouse, fidèle à sa coutume, se déclara contre les gens de bien. Mon sang s'était glacé dans ma poitrine, je reconnais les embûches et la mort prochaine. Tremblant non pour moi, mais pour ma patrie, j'essaye à la hâte, d'après les circonstances, de raffermir par ces paroles mes colonnes qui chancellent: «Ici, soldats, vous est ouverte la route ardue d'un beau trépas. Suivez-moi. Je vous ai souvent conduits ailleurs avec plus de bonheur, il est vrai, mais jamais avec plus de gloire. Que la pointe du fer, que la mort que vous verrez en face ne vous effraye point. Mars offre pour un peu de sang une grande gloire, et il illustre par leur mort ses chers petits-fils. Connaissez votre origine et épousez de bon coeur le sort de votre patrie. Ne regrettez point le sacrifice de votre vie. La même loi de la nature veut que le brave et le lâche meurent, tous deux ont peu de temps à vivre; fût-on exempté de tous les périls de la terre et de la mer, le jour fatal viendra de lui-même. Les braves seuls savent mourir avec joie; le vulgaire périt en sanglotant et répand par crainte des larmes pusillanimes. La dernière heure, court témoin d'une longue vie, est venue. Allons, courage, s'il reste en vous quelques gouttes du sang latin, [1,300] montrez-le par votre mort. Tant que la fortune l'a permis, nous avons été vainqueurs et nos mains lançaient le trépas ; mais maintenant que tout nous est contraire, qu'il nous suffise de barrer la route avec nos corps. L'ennemi montera par-dessus nos poitrines, par-dessus nos yeux menaçants et nos visages terribles dans la mort. Voilà la montagne qu'il faut lui opposer, c'est par de telles barrières qu'il faut fermer le passage. Ils sauront, ces affreux barbares, que là sont tombés des hommes de coeur, et, en foulant aux pieds les cadavres romains, ils reconnaîtront que, quoique pâles, ils ne sont point à mépriser. En avant, généreuse cohorte! à la porte nous attend une mort enviée des bons, et qui, sur les autels romains, sera toujours célébrée par de pieuses larmes et un encens éternel." Enflammés par ces paroles, ils se rallient, et, comme la grêle qui fend la nue, ils se précipitent sur les armes étincelantes. Je m'élance le premier au milieu des bataillons ennemis pour n'en plus revenir. Une vaillante jeunesse, vouée à la mort, me suit. Nous tuons et nous mourons. Que pouvaient faire une poignée d'hommes contre tant de milliers? Tu désires maintenant connaître la fin de mon cher frère, qui ne fut pas plus heureux sur la terre d'Hespérie. Après s'être efforcé en vain de se relever du fond de l'abîme, il fut écrasé comme moi sous le poids d'un grand désastre. Nulle mort ne lui convenait mieux que celle de son frère. Nous avions vécu ensemble dans un accord parfait que n'avait jamais troublé la moindre plainte. Nous eûmes même demeure, même table, même volonté, même mort; le même lieu garde les corps et les cendres de tous deux. Nous sommes venus ici presque dans le même temps; ici nous ne songeons plus à notre ancienne prison, nous méprisons du haut du ciel nos membres dispersés; nous haïssons des liens et des chaînes qui nous sont connus; nous craignons les entraves de la liberté; nous aimons l'état dans lequel nous sommes maintenant."» Le fils, fondant en larmes, lui répliqua : « Votre bonté, cher père, me touche profondément, car la vengeance douce et inoffensive des mots a toujours été la meilleure des choses. Dites-moi cependant, ô vénérable père, dois-je croire que vous vivez, vous, votre frère et ceux que Rome appelle depuis longtemps morts et trépassés? » Le père, à ces paroles, sourit négligemment et s'écria : « Ah! dans quelles ténèbres vous rampez, malheureux mortels, et dans quel aveuglement de la vérité roule le genre humain! Cette vie-là seule est très certaine, et ce que vous appelez votre vie est la mort. Regarde mon frère, ne vois-tu pas le mépris que lui inspire sa mort cruelle? Ne vois-tu pas l'indomptable fermeté de son âme, la beauté vivante de son visage et ses yeux pleins de feu? De plus, regarde derrière toi cette troupe illustre. Qui osera me dire que ce sont là des défunts? Et pourtant, suivant le sort de l'humanité, leurs belles âmes se sont envolées, et ils ont abandonné leurs corps dus à la terre. Vois-tu ces groupes joyeux qui viennent de notre côté et dont les visages éblouissants rayonnent dans la pure lumière ? [1,350] — Oui, parfaitement, dit-il, et je ne crois pas que mes yeux aient jamais rien vu de plus agréable. Mais je voudrais bien savoir leurs noms. Ne me refusez pas cette grâce, ô mon père, je vous en conjure par les dieux, par Jupiter lui-même, par le Soleil qui voit tout, au nom des pénates phrygiens, si cet hommage a quelque valeur, au nom de la patrie, si elle a conservé ici quelque charme. Ou je me trompe, ou je connais des personnages de ce groupe; quoique leurs figures brillent d'un éclat inaccoutumé, je me rappelle leur air, leur port, leur physionomie et leur démarche, car je les ai vus et nous avons vécu ensemble à Rome il n'y a pas longtemps. — Tu dis vrai. La fraude punique a enlevé dernièrement celui-ci aux choses de la terre ; Marcellus, trop crédule, hélas! pour son âge, périt en combattant sur un terrain désavantageux. Se souvenant de sa fin, il aime à se promener avec nous côte à côte dans le vaste ciel. Crispinus le suit de loin; l'ennemi perfide avait essayé de l'immoler le même jour, mais ses blessures le firent languir et différèrent sa mort. Marcellus tomba mourant dans l'embuscade d'où son âme légère s'envola tout droit ici, abandonnant ses membres glacés à son bourreau sanguinaire.Voici Fabius, à qui l'éclat de son nom et de ses exploits a assigné pour demeure la sérénité des cieux. Vois quel grand général! Quoique le peuple entier lui ait donné le nom de Temporiseur, il a puisé dans la lenteur de ses résolutions une gloire éclatante. Ce n'est ni le fer ni la flamme qui l'ont enlevé au Latium; il s'est éteint tranquillement dans un âge très avancé, alors que les armes carthaginoises nous opprimaient le plus. Vois Gracchus, dont le courage plus ardent ne respirait que combats; un indigne trépas dans une embuscade le sépara de son corps robuste et de ses armes puissantes. Outre cela, le sort fut extrêmernent contraire à Paul-Émile. Regarde de combien de blessures est criblée sa noble poitrine. A la journée de Cannes, croyant qu'il avait pleuré pour la dernière fois sur le destin de Rome, il refusa de survivre à la défaite, ne voulut point du cheval qu'on lui offrait et repoussa toutes les instances de Lentulus. «J'ai trop vécu, lui répondit-il; «mais pour toi, jeune homme, du courage, bats en retraite, dérobe ta tête appelée à vaincre et réserve-toi pour un temps meilleur. Dis aux sénateurs qu'ils fortifient Rome; dis leur qu'ils consolident ses remparts et qu'ils apprennent à souffrir les plus dures extrémités, car la fortune cruelle redouble ses menaces terribles et l'ennemi sanguinaire s'avance victorieux. Porte à Fabius mes dernières paroles. Dis-lui que j'ai vécu fidèle à ses instructions, dis-lui que tu es témoin que je meurs en leur restant fidèle. Mais les destins et un collègue fougueux ont semé le désordre partout. La bravoure nue a manqué de place, elle a été emportée par son élan. Fuis pendant que je meurs, de peur qu'en parlant plus longtemps je ne sois la cause de ta mort." Au moment où il prononçait ces paroles, les ennemis l'entourent le fer à la main. Lentulus s'éloigne rapidement; la crainte rend ses membres plus légers, [1,400] elle donne des ailes à son cheval et des éperons à ses pieds. Telle une volatile dont un serpent rusé assiège le nid, d'un côté elle désire se soustraire à la mort qu'elle aperçoit, et de l'autre elle hésite à abandonner le doux fruit de ses entrailles. A la fin sa tendresse malheureuse, vaincue par la crainte, cède, et elle veille tardivement à sa sûreté en prenant son vol. Du haut d'un arbre voisin elle regarde en tremblant la mort de ses petits et la rage du serpent; haletante, elle remplit de ses cris plaintifs toute la forêt, et elle accourt avec un bruit ami. De même ce jeune homme fameux s'en allait en jetant souvent derrière lui ses regards attristés. Il voit apparaître dans la campagne un vaste naufrage, il voit le barbare Carthaginois, après un grand carnage, percer de coups cruels la poitrine sacrée de son général, et il remplit les airs de vains gémissements. Bref, tu peux reconnaître la foule innombrable des jeunes gens immolés dans cette guerre et morts pour la patrie. Le féroce Annibal, dévoré d'un immense désir de nuire, en dépouillant Rome de ses vaillants citoyens, a peuplé le ciel de nos ombres. Pendant ce discours du père, le fils poussa de profonds soupirs. « Il m'a été permis, je l'avoue, dit-il, de connaître ce que je désirais le plus savoir et de contempler les visages de mes compatriotes. Mais, si vous ne vous y opposez point, rien ne me serait plus agréable que de converser avec mon second père. — Approche-toi donc pour lui parler, répliqua le père, et fais-toi entendre sans plus tarder à des oreilles qui te sont ouvertes. » A ces mots, le fils fit un pas en avant, baissa modestement le front, et, tenant son oncle embrassé, s'exprima en ces termes : « O vous que je vénère et que j'aimerai toujours comme un véritable père, puisque Dieu a permis à des yeux mortels de contempler vos traits, puisqu'il m'a ouvert, à moi indigne, les portes du ciel et le brillant Olympe, accordez-moi, je vous en prie, une petite heure d'entretien. Je n'ai que peu de temps ; je songe qu'il me faut retourner au camp, adossé à l'Océan, à l'endroit où la haute Calpé domine la mer et touche le ciel de son sommet. Les enseignes romaines m'y attendent maintenant et réclament leur général. C'est à cette limite que s'est arrêtée enfin la guerre rapide. » Le héros, plein de bienveillance, serra le jeune homme entre ses bras et lui dit : « Puisque tu apportes dans le ciel tes membres mortels par l'ordre des dieux (car il n'y a qu'eux qui puissent accorder une si grande faveur, et tu es le seul à qui cet honneur suprême et privilégié ait été dévolu), il me serait difficile de dire tout l'espoir que je conçois de toi, à qui les dieux ont permis d'accomplir vivant un si grand voyage. Si tu n'étais pas doué d'un esprit divin, la fortune qui dispense les biens communs n'aurait jamais accordé cela à un homme. Démêler les secrets du ciel, lire de loin dans les événements à venir, connaître d'avance son destin, contempler ces âmes bienheureuses, voir sous ses pieds les rayons étincelants du soleil et les pôles perdus dans de si vastes espaces, [1,450] voilà ce que la fortune ne donnera jamais, parce que tout cela est réservé au Dieu tout-puissant. Puisqu'il t'illustre d'une si grande gloire, de quel honneur les autres ne te jugeront-ils pas digne? Ce n'est donc pas à tort que nous avons vu tant de fois d'en haut les ennemis vaincus et gisants çà et là dans les plaines de l'Hespérie : c'était la vengeance de notre mort. Cette vengeance te vaudra dans les siècles le renom d'une rare piété filiale. Demande-moi maintenant tout ce que tu voudras, mon oreille et mon âme te sont ouvertes. Commençons donc tout de suite, et employons à causer une petite heure. — Dites-moi, répliqua le neveu, puisque la vie subsiste au delà du tombeau, comme l'atteste mon vénérable père, puisque cette vie est éternelle et que la nôtre ressemble à la mort, pourquoi demeuré-je désormais sur la terre? Pourquoi mon âme, prenant son essor, ne quitte-t-elle pas la terre et ne s'envole-t-elle pas ici en quelque endroit qu'on lui assigne? — Tu juges mal, lui dit l'oncle. Dieu et la nature ont statué par des lois éternelles que l'homme resterait dans le logis du corps jusqu'à ce qu'il fût rappelé par un édit manifeste. Il ne faut donc pas te presser, mais supporter avec résignation les maux, si nombreux qu'ils soient, de cette courte vie, pour ne point paraître mépriser l'ordre de Dieu. Les hommes sont nés sous la condition d'occuper les royaumes inférieurs. C'est à eux qu'a été confiée la garde de la terre et de ce que contiennent la terre et la mer profonde. Tu dois donc, ainsi que tous les gens de bien, conserver ton âme dans ta chair; il lui est défendu de quitter sa demeure à moins qu'entraînée par de nobles soucis, par le désir et la soif de voir, elle n'émigre, n'abandonne le corps et ne s'enfuie bien loin des sens pour se ranger parmi les astres. Cette fin sied aux grandes âmes; c'est ainsi que sont morts les hommes divins qui ont pratiqué le bien. Mais pendant que tes membres sont vigoureux, écoute, puisqu'il ne me reste que peu de temps, quelle est la substance de mes conseils. Cultive la religion, la bonne foi et la justice. Que la piété soit l'hôtesse sainte de ton coeur et la compagne de tes moeurs. Tu dois une grande piété à ton père, une plus grande à ta patrie, mais une très grande et parfaite au Dieu tout-puissant. La vie ornée de ces vertus est la route assurée du ciel ; elle vous conduira ici tout droit lorsque le jour suprême, en vous débarrassant du fardeau de la chair, aura transmis votre âme au pur éther. Rappelle-toi encore ceci : Parmi vos actes, rien n'est plus agréable à Celui qui gouverne le ciel et la terre, à notre Seigneur et à notre Père, que d'imposer aux villes de justes lois et d'unir la société humaine par d'équitables noeuds. Quiconque par son génie ou sa vaillance aura élevé sa patrie, ou l'aura secourue dans ses revers en prenant les armes, comptera sur une place assurée pour toujours dans la région sereine et réclamera le prix d'une vie irréprochable. Ainsi le veut la justice de Dieu, qui accorde à chaque chose sa punition ou sa récompense. [1,500] Ces paroles furent autant d'aiguillons pour le neveu, qu'embrasait l'amour de la vertu. Pendant ce temps survint une foule considérable dont pas un visage ne lui était connu. Tous avaient le même costume; ils portaient un léger manteau qui brillait d'une lumière étoilée. Un petit nombre, ayant un air majestueux, appesantis par la vieillesse et vénérables par leur dignité, marchaient bien loin en avant de tous. « Voici, dit l'oncle, le groupe des rois qui ont régné dans les premiers temps de Rome. Leur front auguste annonce des monarques. Voici Romulus, le premier fondateur d'un nom fameux et le père du peuple. Tu vois, très cher, de quelle ardeur il est animé: la domination future demandait un tel homme. Le second, qui s'avance plus modéré dans sa démarche, calmera par une religion nouvelle un peuple belliqueux. Célèbre d'abord par ses vertus dans sa patrie, à Cures, ville des Sabins, on l'en tira pour régner sur nous. Vois-le soucieux d'établir des lois bienfaisantes par les conseils de sa maîtresse et de diviser le cours de l'année. La nature l'a mis au monde vieux, et dès ses premiers ans son front, ses tempes et ses joues blanchirent. Le troisième qui suit, roi plein de vaillance, exerça à fond cet art de la guerre que tu pratiques maintenant. Aussi terrible que la foudre, la foudre seule l'a vaincu. Le quatrième creuse des fossés et fonde Ostie, présageant qu'un jour les richesses de tout l'univers y afflueront; il relie entre elles les deux rives du Tibre par le premier pont. Le visage du cinquième m'est peu connu; je soupçonne que c'est ce roi qui nous est venu de la lointaine et puissante Corinthe. Oui, c'est bien lui, je vois les tuniques, les toges, les faisceaux, les lourdes trabées, les chaises curules, les phalères légères et tous les insignes de notre pouvoir; je vois les chars, les chevaux et les pompes du triomphe. Celui que tu vois au sixième rang des rois est un esclave parvenu au trône. Il a un nom servile, mais une âme royale; il a racheté par sa vertu et par ses actes le déshonneur de sa naissance. C'est lui qui le premier a institué le cens, afin que Rome pût connaître ses forces, et qu'après les avoir connues, elle ne craignît aucune puis sance. » Il cessa de parler. Le neveu reprit: «Si je me souviens de ce que j'ai lu, j'ai appris que sept rois ont ceint le diadème de Romulus; je sais leurs noms par coeur; où donc est l'autre? — Très cher fils, dit l'oncle, la mollesse oisive et l'orgueil dur ne montent jamais ici. Ses crimes détestables, son caractère violent et son nom despotique, ont précipité cet autre dans l'Averne. Tu me demandes quel est celui qui a tenu le sceptre le dernier? Un roi cruel, et bon par sa cruauté, car il inspira à Rome, victime de ses excès, son premier amour de la liberté. Vois plutôt cette foule d'âmes joyeuses, habitant un royaume meilleur et amies de la vraie vertu. Trois jeunes gens pleins d'allégresse et se donnant le bras [1,550] marchaient ensemble en avant. Les essaims des ombres et le peuple pieux de tout rang les fêtaient par des applaudissements joyeux. Le neveu s'arrêta surpris. « Quelle est, dit-il, cette si grande gloire de ces trois jeunes gens? Quelle amitié si étroite les unit en marchant? — Ils ont eu le même père, répondit l'oncle, et ils sont sortis du même flanc : de là leur amitié. On leur a confié jadis la défense de la liberté : de là leur triomphe. Hélas! regarde ces blessures saignantes que deux d'entre eux portent à la gorge, et cette noble cicatrice encore fraîche qui brille par devant sur leur poitrine. Les destinées de nations puissantes furent confiées à trois hommes, afin de faire cesser par un peu de sang le trépas d'un peuple innombrable. Six hommes livrèrent la dernière bataille en présence des armées séparées et sous les yeux de leurs compatriotes. Alors notre liberté tremblante et sur le point de succomber dépendit de la vie d'un seul, la victoire restant incertaine. Elle fut sauvée par le bras d'un seul. Deux frères avaient été tués, et la fortune commençait à favoriser hautement le peuple albain, quand le troisième, resté sain et sauf, vengea la mort de ses frères et rétablit le sort de Rome. Attirant dans la plaine les frères victorieux, il les attaqua isolément, perdant tout leur sang, appesantis par leurs blessures, épuisés par la course, et les égorgea l'un après l'autre. Maintenant ce souvenir le transporte de joie. Ses frères dont le trépas a été vengé se réjouissent à leur tour. Ceux à qui sa vaillance a donné l'empire l'entourent avec reconnaissance. Mais pourquoi m'attacher aux détails? Ne vois-tu pas ces milliers d'âmes qui remplissent l'étendue du ciel? Au premier rang est Publicola, digne d'un si beau surnom, chef illustre par son amour pour son pays, et le père de la patrie. Le neveu, curieux de voir, tourna les yeux et aperçut tout près une foule immense là où la Voie lactée parsemée d'astres sans nombre incline vers l'Ourse immuable. Il fut saisi d'étonnement et demanda quels étaient ces personnages, leurs noms et leurs actes. « Cher neveu, dit l'oncle, si je voulais te raconter tous les faits mémorables, il te faudrait une autre nuit. Regarde, les étoiles se couchent toutes dans la mer; le ciel se retourne; déjà le visage radieux de l'Aurore, se préparant à se lever, étincelle et noie le sommeil dans l'onde orientale. » Le père y joignit ses avertissements; montrant du geste à son fils les astres qui disparaissaient, il lui défendit de s'attarder. « Qu'il te suffise de savoir, lui dit-il, que ce sont des âmes romaines qui ont eu pour unique souci la défense de la patrie. La plupart ont gagné ces demeures par l'effusion de leur sang, et ont préféré avec raison à une vie périssable 594 une vie éternelle à travers mille dangers.»