[1,3] III. HYMNE AVANT LE REPAS. O Christ, bon Sauveur, créateur de la lumière, par qui tout a été fait, miséricordieux, engendré par la parole du Père, conçu dans le sein d’une vierge, mais déjà puissant dans le sein du Père, avant la création des cieux, de la terre et des mers. Je vous en supplie, dirigez vers nous un brillant regard de votre face salutaire, tournez vers nous votre front rayonnant et serein, afin que nous puissions, en l’honneur de votre nom, prendre ces aliments. Sans vous rien n’est doux, Seigneur, la bouche n’a aucun plaisir à prendre quelque nourriture avant que votre grâce n’ait béni les aliments et les breuvages, et que tout soit sanctifié par la foi. Que nos tables nous fassent goûter Dieu, que le Christ coule dans nos coupes. Que la sainte Trinité, du haut des cieux, règle nos heures sérieuses, nos amusements, nos paroles, nos jeux, tout ce que nous sommes, tout ce que nous faisons. Ici point de roses effeuillées, point d’arome exhalant son parfum, mais pour moi coule, versée du sein du Père, une ambroisie divine, et la foi répand le plus doux nectar. O muse, méprise le lierre dont tu as coutume de ceindre tes tempes; habile à te tresser de mystiques couronnes, mets aujourd’hui pour diadème autour de tes cheveux le chant des louanges de Dieu en strophes dactyliques. Habitante de la lumière et de l’éther, l’âme, dont l’origine est si noble, peut-elle payer à Dieu un plus juste tribut d’hommages qu’en chantant les bienfaits dont elle est comblée, qu’en entonnant les louanges de son créateur? C’est lui qui a tout donné à l’homme, et ce que nous saisissons d’une main puissante, et ce que les cieux, la terre et les mers produisent dans l’air, les flots et les champs. Il a tout soumis à moi et il m’a soumis à lui. Un artifice trompeur emprisonne les oiseaux dans des pièges et des filets. Des baguettes enduites de glu retiennent le peuple ailé et l’empêchent de fuir. Dans les flots, des filets sinueux ramassent les divers animaux qui errent au sein des mers. Le poisson est pris aussi avec un roseau. La pointe de l’hameçon l’entraîne hors de l’eau en déchirant sa bouche trompée par un appât menteur. La campagne, enrichie d’épis chargés de grains, produit d’elle-même des trésors sans nombre. Les rameaux de la vigne étendent ici leur pampre luxuriant, là fleurit l’olivier ami de la paix. Ces richesses suffisent aux chrétiens et contentent leurs besoins. Loin de nous cette faim qui se plaît à égorger des troupeaux et à déchirer des viandes sanglantes. Que les peuples qui ne sont pas soumis au Christ tuent des quadrupèdes pour leurs cruels repas; nous les herbages tendres, les siliques pleines de légumes variés suffisent à nos innocents festins. Un lait plus blanc que la neige, jaillissant d’une double mamelle, écume dans le vase qui sert à traire. Dans d’autres vases, la douce liqueur devient solide, et ce lait encore tendre est pressé dans de frêles corbeilles. Un nouveau rayon de miel attique distille pour moi un nectar odorant; l’abeille, ouvrière virginale, l’a extrait de la rosée aérienne et des petites feuilles du thym. La campagne a aussi des vergers pleins de fruits variés qui m’offrent de doux présents. L’arbre, tremblant sous le poids de ses richesses, laisse tomber de ses branches, comme une pluie, ses fruits rouges et murs qui s’entassent à ses pieds. La trompette épique des anciens poètes, les cordes illustres de leur lyre pourraient-elles louer assez les ouvrages merveilleux du Dieu tout puissant et les biens dont ils font jouir les hommes? O Père très bon, que nos hymnes vous chantent chaque matin, qu’ils vous chantent lorsque le soleil a parcouru la moitié de sa course, qu’ils vous chantent lorsque cet astre disparaît à l’occident, chaque fois que l’heure nous avertit de prendre de la nourriture. Que l’haleine intérieure qui m’échauffe, que le sang qui coule dans mes veines et fait battre mon cœur, que ma langue, ma bouche et mon gosier sonore ne me servent qu’à louer mon père qui est au ciel. O Père saint! ta main nous a donc faits avec du limon humide, tu nous as formés à ton image, et pour que la pensée fût unie à la matière, tu as soufflé, et ta bouche nous a donné une âme. Dieu donne à l’homme pour séjour des jardins délicieux qu’ombragent des arbres magnifiques, qu’embaume un printemps éternel et où les eaux limpides de quatre fleuves arrosent des prairies émaillées de mille fleurs. Tout ici doit te servir, lui dit-il, je te livre tout pour ton usage, cependant je te défends de cueillir le fruit fatal de l’arbre de mort, qui étend ses rameaux au milieu du Paradis. Le serpent perfide tente l’esprit indocile de la femme afin que, donnant à son époux de mauvais conseils, elle lui fasse cueillir le fruit défendu qui donnera aux deux coupables une égale mort. Dès qu’ils ont mangé, chose honteuse à connaître, ils s’aperçoivent que leurs corps sont sans voile. Ils rougissent de leur nudité; après leur faute, afin que la pudeur cache la honte, ils assemblent des feuilles et se font un vêtement. Les coupables, sentant leur faute, ont peur de Dieu. Ils sont chassés du jardin sacré! La femme, jusqu’alors vierge, est soumise à la puissance de son époux et condamnée à subir une alliance pleine pour elle de douleurs. Le serpent lui-même, auteur de tout mal, est puni de sa méchanceté. La femme écrasera sous son pied sa tête aux trois dards. Ainsi le serpent est subjugué par la femme et la femme par l’homme. De cette source découle une postérité vicieuse qui se précipite dans le crime, mêlant sans cesse le bien et le mal, et imitant ses premiers ancêtres. Elle est punie de ses fautes impies par la mort. Voilà que vient une nouvelle race. Un autre homme descend du ciel. Il n’est pas formé du limon comme le premier Adam; c’est un Dieu revêtu de la nature humaine sans avoir aucun des vices de notre corps. Le verbe du Père devient chair vivante. C’est une vierge qui l’a mis au monde sans que jamais l’union nuptiale ou les joies charnelles aient terni sa virginité. C’est l’Esprit-Saint qui l’a rendue féconde. La vipère infernale est écrasée sous le pied d’une femme. Ce triomphe est la cause de la haine antique, de la lutte implacable entre l’homme et le serpent. La Vierge, qui a mérité d’être mère de Dieu, a détruit tout le venin de la vipère. Elle roule en vain ses nombreux anneaux sous le pied qui la broie, et la force à vomir son poison sur le gazon vert comme elle. Quelle bête féroce ne tremblera pas bientôt, effrayée par le blanc troupeau du Christ? Au milieu des brebis sans effroi, le loup se promène triste, et ferme sa gueule affamée, qui oublie le carnage. Par un changement merveilleux, l’agneau commande aux lions; poursuivant les aigles cruels à travers les nuages errants, une colombe descendue du ciel les met en fuite. C’est vous, ô Christ ! qui êtes pour moi la colombe à qui cède l’aigle sanguinaire; vous êtes l’agneau à la blanche toison qui défendez au loup de hurler dans votre bercail, et soumettez au joug le tigre féroce. O Dieu infini, faites que vos serviteurs, dont vous agréez les prières, ne soutiennent les forces de leurs membres qu’avec une légère nourriture, et que leur estomac ne charge pas leurs entrailles de trop copieux aliments. Loin de nous une boisson qui nous serait nuisible. Que notre main ne touche aucune nourriture funeste ou défendue. Soyons sobres et mesurés en mangeant pour nous conserver sans maladie. Ne suffit-il pas au serpent infernal d’avoir donné à nos corps une mort malheureuse par une nourriture impie? Ne suffit-il pas que la créature de Dieu, à cause de son crime, ait pu mourir une fois? Oeuvre de la bouche de Dieu, flamme puissante, l’âme ne meurt pas. Née du souffle de Dieu, découlant du trône élevé du Père son créateur, elle a toute l’énergie de la pensée immatérielle. Bien plus! notre chair morte peut se ranimer après le trépas. La poussière des tombeaux se réunit et notre première forme renait. Je crois, et ma foi n’est point vaine, que les corps vivent comme les âmes, car le Dieu fait chair, je le sais, est remonté facilement de l’enfer aux cieux. Le même sort, je l’espère, attend ma chair. Après qu’elle se sera reposée dans le sépulcre funèbre, celui qui est sorti vivant de cette terre où je serai enseveli, le Christ l’appellera dans les cieux enflammés.