[0] Vie d'Alcibiade. (Traduction nouvelle de M.-P. Loicq-Berger, 2003). [1](1) La lignée d'Alcibiade semble avoir eu pour fondateur Eurysakès, fils d'Ajax, tandis que, du côté maternel, il était un Alcméonide, puisque né de Deinomachè, fille de Mégaclès. Quant à son père, Clinias, il avait glorieusement combattu à l'Artemision sur une trière équipée à ses frais, et il mourut par la suite lors d'un combat contre les Béotiens, à Coronée. (2) Les tuteurs d'Alcibiade furent Périclès et Ariphron, fils tous deux de Xanthippe, auxquels l'attachaient des liens familiaux. (3) On dit non sans raison que la bienveillance et l'amitié de Socrate à son égard ont largement servi sa gloire: de fait, pour Nicias, Démosthène, Lamachos, Phormion, Thrasybule, Théramène, tous gens célèbres du temps d'Alcibiade, leur mère n'eut pas la moindre renommée, tandis que, pour lui, nous connaissons jusqu'à sa nourrice, une Laconienne appelée Amycla, ainsi que son pédagogue Zopyros - ce dont témoignent Antisthène pour la première, et Platon pour le second. (4) De sa beauté physique, rien à dire sans doute, sauf qu'elle fleurit durant toute sa jeunesse et son âge mûr: enfant, adolescent, adulte, elle le rendit aimable et charmant. (5) Ce n'est pas que, comme le disait Euripide, chez tous les hommes beaux, l'automne encore est beau, mais ce fut pourtant le propre d'Alcibiade (et de quelques autres), grâce à l'excellence de sa nature et à sa qualité corporelle. (6) Pour la voix, son zézaiement même lui conférait, dit-on, quelque chose de séant et donnait à son langage une grâce qui le rendait persuasif. (7) Aristophane aussi mentionne son zézaiement dans ces vers où il brocarde Théôros: "Et alors, Alcibiade me dit en zézayant: "Tu legaldes Théôlos? il a la tête d'un colbeau!". (8) Archippos, raillant le fils d'Alcibiade, affirme: "Sa démarche est languissante, il laisse traîner son manteau, pour avoir l'air tout à fait ressemblant à son père et, tout en zézayant, il dodeline de la tête". [2] (1) Par la suite, comme il est naturel dans les situations importantes accompagnées de nombreux retournements de fortune, son caractère révéla beaucoup de disparates et de retours sur soi-même; mais de toutes les passions violentes qui étaient en lui par nature, la plus forte était l'ambition de vaincre et de primer, ainsi qu'il ressort des faits mémorables de son enfance. (2) Un jour qu'il se trouvait serré dans une lutte, pour ne pas tomber, il attira jusqu'à sa bouche les bras de son adversaire comme s'il allait lui dévorer les mains. (3) L'autre alors relâcha sa prise, en disant: "Mais c'est que tu mords, Alcibiade, comme les femmes!" - "Moi! pas du tout, dit-il, mais comme les lions!". Encore petit, il jouait aux osselets dans une ruelle; c'était son tour de lancer quand survient une charrette chargée de marchandises. (4) Il demanda tout d'abord au conducteur de l'attelage d'attendre, car le lancer tombait sur le passage de la charrette, mais l'homme, grossièrement, n'écoute pas et va de l'avant. Les autres garçons s'écartèrent; quant à Alcibiade, il se jeta par terre devant l'attelage, s'étendant de tout son long et enjoignant à l'homme de passer par-dessus lui s'il le veut. L'autre prit peur et tira son attelage en arrière; ce que voyant, les gens, terrifiés, se mirent à hurler et coururent tous ensemble vers Alcibiade. (5) Lorsqu'il arriva en âge de s'instruire, il écoutait convenablement tous ses maîtres, mais en revanche, il se dérobait aux leçons de flûte, soutenant que c'était là un art sans noblesse et indigne d'un homme libre: c'est que l'usage du plectre et de la lyre n'abîme pas le maintien ni la forme corporelle convenables à un homme libre, tandis que si un homme souffle avec sa bouche dans la flûte, ses intimes mêmes reconnaissent très difficilement son visage. (6) Et de plus, quiconque tient la lyre peut en même temps parler et chanter, tandis que la flûte obstrue et ferme la bouche, privant tout un chacun de la voix et de la parole. "Qu'aillent donc jouer de la flûte", disait Alcibiade, "les enfants des Thébains, car eux ne savent pas tenir de conversation; mais nous autres Athéniens, comme l'affirment nos pères, nous avons Athéna pour fondatrice et Apollon pour ancêtre: or elle a rejeté la flûte et lui, a écorché le flûtiste". (7) Mêlant ainsi le plaisant au sérieux, Alcibiade s'éloigna de cette étude et en éloigna les autres. Car le bruit se répandit vite parmi les enfants qu'Alcibiade - avec raison - détestait la flûte et se moquait de ceux qui l'apprennent. Dès lors, la flûte fut entièrement bannie des études libérales et tout à fait traînée dans la boue. [3] (1) Dans les Invectives d'Antiphon, il est écrit qu'Alcibiade enfant s'était échappé de chez lui pour aller chez Démocratès, un de ses amants, et qu'Ariphron voulait le rappeler par une proclamation publique; mais Périclès n'y consentit pas, disant que s'il était mort, cela ne se saurait que juste un jour plus tôt, grâce à la proclamation, mais que s'il était sain et sauf, bien misérable serait le reste de sa vie. Antiphon ajoute qu'Alcibiade tua l'un de ses serviteurs à coups de bâton dans la palestre de Sibyrtios. (2) Mais il ne vaut peut-être pas la peine de croire ces invectives que l'on avoue avoir lancées par haine contre Alcibiade. [4] (1) Nombre de gens de bonne famille se pressaient et s'empressaient désormais autour d'Alcibiade. La plupart le courtisaient, manifestement subjugués par l'éclat de sa beauté. En revanche, l'amour de Socrate témoignait grandement de l'excellente prédiposition de l'enfant à la vertu; tout en voyant cette disposition révélée par son aspect extérieur jusqu'à l'illuminer, Socrate redoutait d'autre part la richesse d'Alcibiade, son rang, la foule de citadins, d'étrangers, d'alliés qui voulaient l'envelopper à force de flatteries et d'égards. Alors, il se mit à le défendre, pour ne pas le voir, tel une plante en fleur, perdre et détruire le fruit qui est le sien. (2) Il n'est personne, en effet, que la Fortune ait autant enveloppé et prémuni de "biens" extérieurs, de telle sorte qu'il devînt invulnérable à la philosophie et inaccessible aux raisonnements empreints de mordante franchise. Et pourtant Alcibiade eut beau être amolli dès le départ, et empêché par son entourage complaisant de prêter l'oreille à tout mentor ou éducateur: grâce à son excellent naturel, il reconnut néanmoins Socrate et le laissa l'approcher, en écartant ses amants riches et renommés. (3) Rapidement, Alcibiade fit de Socrate son intime et il écouta les paroles d'un amant qui ne faisait pas la chasse au plaisir indigne d'un homme, ne réclamait ni baisers ni caresses, mais lui reprochait les défauts de son âme et réprimait son orgueil stupide et vain. Alors Alcibiade "se blottit tel un coq vaincu, l'aile repliée", (4) et il réalisa que l'oeuvre de Socrate était réellement un service demandé par les dieux pour le soin et le salut de la jeunesse. Rempli de mépris pour lui-même, d'admiration pour Socrate, aimant sa bonté et vénérant sa vertu, il acquit peu à peu un reflet d'amour, un amour en retour comme dit Platon: au point que tous s'étonnaient de voir Alcibiade dîner avec Socrate, lutter avec lui, partager sa tente, alors qu'avec ses autres amants il était difficile, intraitable, se comportant même de façon arrogante avec certains, comme avec Anytos, le fils d'Anthémion. (5) Il se trouvait qu'Anytos, amoureux d'Alcibiade, l'avait invité à dîner un jour qu'il recevait des hôtes. Alcibiade refusa l'invitation mais, après s'être saoulé chez lui, il se rendit avec ses compagnons en cortège chez Anytos. S'étant présenté à la porte de l'appartement des hommes et ayant jeté un coup d'oeil sur les tables chargées de coupes d'argent et d'or, il ordonna à ses esclaves d'en prendre la moitié et de les transporter chez lui, sans même juger bon d'entrer; sur quoi, il s'en alla. (6) Les invités, indignés, dénoncèrent l'excessive insolence dont Alcibiade avait fait montre à l'endroit d'Anytos; mais ce dernier affirma: "Disons plutôt qu'il a fait montre de mesure et d'humanité: alors qu'il lui était loisible de prendre le tout, il nous en a laissé une partie!" [5] (1) C'est ainsi qu'il traitait ses autres amants, à l'exception d'un seul: un métèque, dit-on, peu fortuné mais qui avait vendu tous ses biens et en avait apporté le montant, environ cent statères, à Alcibiade, en le priant d'accepter; Alcibiade se mit à rire et, charmé, l'invita à dîner. (2) Après l'avoir régalé et traité en ami, il lui rendit son or et lui enjoignit d'enchérir dès le lendemain sur les prix offerts par les fermiers de l'impôt public et de leur rafler l'affaire. (3) Comme l'autre refusait, vu que le prix du fermage se montait à plusieurs talents, Alcibiade le menaça du fouet s'il ne s'exécutait pas - c'est que lui-même, justement, se trouvait avoir un grief personnel contre les percepteurs d'impôts! (4) Dès l'aube, donc, le métèque se rendit au marché et renchérit d'un talent sur le prix du fermage. Les percepteurs se groupent et, furieux, lui enjoignent de désigner un garant, dans la pensée qu'il n'en trouverait pas; tout troublé, l'homme veut se retirer, mais Alcibiade se lève et, de loin, lance aux gouvernants: "Inscrivez-moi, c'est un ami à moi, je m'en porte garant". (5) Entendant cela, tous les fermiers se trouvèrent bien embarrassés: habitués qu'ils étaient à toujours régler la première adjudication avec le produit des suivantes, ils ne voyaient pas d'échappatoire à l'affaire et priaient l'homme de s'en aller, contre compensation pécuniaire. Alcibiade ne lui permit pas de prendre moins d'un talent; ils lui donnent alors ce talent, qu'Alcibiade lui enjoint d'accepter avant de se retirer. Voilà de quelle manière il vint en aide à cet homme-là. [6] (1) Tout en rencontrant nombre d'adversaires d'importance, l'amour de Socrate dominait généralement Alcibiade: grâce à l'excellente nature de celui-ci, les paroles de Socrate le touchaient, bouleversaient son coeur et lui faisaient verser des larmes. Il y avait néanmoins des moments où le jeune homme se livrait aux flatteurs qui lui suggéraient une foule de plaisirs; il échappait alors à Socrate et, s'enfuyant comme un esclave, il se trouvait véritablement pris en chasse par cet homme, le seul pour qui il éprouvait respect et crainte, alors qu'il méprisait les autres. (2) Cléanthe affirmait ne tenir l'être aimé que par les oreilles, tandis que ses rivaux se permettaient quantité de prises auxquelles lui-même renonçait, à savoir l'estomac, le sexe, le gosier. Sans doute Alcibiade était-il enclin aux plaisirs; (3) dans sa vie privée, en effet, la propension au plaisir physique que signale Thucydide donne bien lieu à pareil soupçon. (4) Néanmoins, c'est plutôt par l'ambition et l'appétit de gloire que ceux qui voulaient le corrompre s'emparèrent de lui et le précipitèrent avant l'heure dans une recherche de grandes actions; ils le persuadèrent que, sitôt entamée son action publique, non seulement il éclipserait immédiatement les autres, généraux et orateurs, mais qu'il surpassserait même aux yeux des Grecs la puissance et la gloire de Périclès. (5) De même que le fer amolli au feu se contracte à nouveau et condense ses éléments sous l'effet du froid, de la même manière Socrate, chaque fois qu'il ramenait à lui Alcibiade voguant dans la débauche et la frivolité, savait l'écraser par sa parole et le rabaisser jusqu'à le rendre humble et timide: simplement parce qu'il avait appris l'étendue des déficiences du jeune homme et de son imperfection sur le chemin de la vertu. [7] (1) Sorti de l'enfance, Alcibiade aborda un jour un maître d'école et lui demanda un livre d'Homère. Le maître lui disant qu'il n'avait rien d'Homère, le garçon le frappa du poing et passa son chemin. (2) Un autre affirmait détenir un Homère qu'il avait lui-même corrigé: "Et alors, dit Alcibiade, tu enseignes la lecture, toi qui es capable de corriger Homère! Que ne fais-tu plutôt l'éducation des jeunes gens?" (3) Voulant un jour rencontrer Périclès, Alcibiade se présente à sa porte. Apprenant que le grand homme n'a pas le temps car il est en train de chercher comment il va rendre ses comptes aux Athéniens, Alcibiade se retire en disant: "Parbleu, ne serait-il pas préférable de chercher la manière de n'en pas rendre?" Encore adolescent, il fit l'expédition de Potidée; il partageait la tente de Socrate et combattait à ses côtés. (4) Survint une bataille importante où tous deux excellèrent, mais Alcibiade s'étant effondré, blessé, Socrate se mit devant lui, le protégea et, de toute évidence, le sauva avec ses armes. (5) C'était donc à Socrate qu'en toute justice revenait le prix de la bravoure; mais comme les généraux, vu le rang d'Alcibiade, s'efforçaient manifestement de lui conférer cet honneur, Socrate, voulant accroître l'ardeur du jeune homme pour les beaux gestes, fut le premier à témoigner pour lui et à conseiller qu'on lui donne la couronne et la panoplie. (6) Ensuite, lors de la bataille de Délion et de la fuite des Athéniens, Alcibiade, qui était cavalier, vit Socrate qui se repliait avec quelques fantassins; loin de passer outre, il lui fit escorte et, en le couvrant, le protégea contre les ennemis qui les serraient de près et tuaient beaucoup de monde - ces faits, à vrai dire, sont postérieurs. [8] (1) Hipponicos, père de Callias, était un homme de grande réputation et de pouvoir, grâce à sa richesse et à son lignage; Alcibiade lui donna un coup de poing, non qu'il fût poussé par la colère ou par quelque différend, mais parce qu'il avait fait, pour rire, un pari avec ses compagnons. (2) Cette insolence fit beaucoup jaser en ville et tous, naturellement, de s'indigner en choeur. Le lendemain, dès le point du jour, Alcibiade se rendait chez Hipponicos; il frappe à la porte, entre et, déposant son manteau, lui présente sa personne en l'invitant à le fouetter et à le punir. (3) Hipponicos apaisa sa colère, pardonna à Alcibiade et même, par après, fit de lui le mari de sa fille Hipparétè. Certains prétendent néanmoins que ce n'est pas Hipponicos mais Callias, le fils de celui-ci, qui avait donné Hipparétè à Alcibiade, avec une dot de dix talents, mais qu'ensuite, sa femme devenue mère, Alcibiade en exigea encore dix autres, sous prétexte que cela avait été convenu s'ils avaient des enfants. (4) Or Callias, redoutant un traquenard, recourut à l'assemblée du peuple, auquel il fit don de ses biens et de sa maison s'il devait lui arriver de mourir sans descendance. Hipparétè, pour sa part, était une femme rangée et elle aimait son mari, mais celui-ci la rendit si malheureuse durant leur mariage, à force de se commettre avec des courtisanes étrangères et athéniennes, qu'elle quitta la maison et s'en alla chez son frère. (5) Comme Alcibiade n'en avait cure et vivait en débauché, Hipparétè dut déposer chez l'archonte son attestation d'abandon marital et ce, non en recourant à des tiers, mais en se présentant elle-même. Quand donc elle se présenta pour le faire légalement, Alcibiade fit irruption, se saisit d'elle et s'en fut, la ramenant chez lui à travers la place publique sans que personne s'y oppose ni se risque à la lui enlever. (6) Elle resta pourtant chez lui jusqu'à sa mort qui, à vrai dire, arriva peu après, lorsqu'Alcibiade s'embarqua pour Éphèse. Or cette violence ne parut absolument pas illégale, ni inhumaine: c'est que la loi, semble-t-il, contraint la femme qui veut quitter son mari à se présenter en personne au ministère public dans l'intention, précisément, d'offrir au mari la possibilité de se réconcilier avec elle et de la garder. [9] (1) Alcibiade possédait un chien d'une taille et d'une allure admirables, qu'il avait acheté soixante-dix mines; il lui coupa la queue, bien qu'elle fût magnifique. (2) Son entourage le blâme et dit que tout le monde va le mordre et l'invectiver, à cause de ce chien. Alcibiade éclate de rire: "Voilà précisément ce que je veux, dit-il: je veux que les Athéniens jasent là-dessus, de peur qu'ils n'en disent de pires à mon sujet!" [10] (1) Sa première apparition sur la scène publique date, dit-on, d'une donation volontaire impromptue. Alcibiade passait au moment où les Athéniens étaient en train de manifester bruyamment; il en demande la raison. Apprenant qu'il est question de contribution volontaire, il s'approche, fait un don, et le peuple d'applaudir en criant de joie. Alcibiade en oublie la caille qu'il tenait sous son manteau. (2) L'oiseau prend peur, s'enfuit et les Athéniens de hurler plus fort! Beaucoup se lèvent pour le prendre en chasse; c'est Antiochos, le pilote, qui l'attrapa et le lui rendit; aussi devint-il cher entre tous à Alcibiade. (3) Sa naissance, sa richesse, sa vaillance au combat lui ouvraient toutes grandes les portes de la carrière politique; il avait quantité d'amis et de familiers, mais sa force auprès des masses, il croyait la tirer surtout du charme de sa parole. (4) Assurément, qu'il fût doué pour parler, c'est ce qu'attestent les poètes comiques, et le plus doué des orateurs affirme dans son Contre Midias qu'Alcibiade, comparé aux autres, était d'une très redoutable éloquence. Et si nous en croyons Théophraste, homme d'écoute et d'histoire s'il en est parmi les philosophes, Alcibiade était habile entre tous pour inventer et imaginer ce qu'il fallait; mais à force de chercher non seulement ce qu'il fallait dire, mais aussi comment le dire, avec quels mots et quelles tournures, sans les trouver pour autant, bien souvent il se trompait, s'arrêtait au milieu de son discours et, l'expression lui faisant défaut, laissait passer un temps tout en cherchant à se reprendre et en réfléchissant profondément. [11] (1) Ses élevages de chevaux devinrent fameux, et aussi le nombre de ses chars; à Olympie, il en fit entrer sept en lice, chose qu'aucun autre, ni particulier, ni roi, mais lui seul a faite. (2) Avoir gagné d'emblée, puis remporté le deuxième prix et le quatrième, selon Thucydide, le troisième suivant Euripide, voilà qui surpasse en éclat et en renommée toute ambition en ce domaine. (3) Euripide, dans son poème, dit ceci: "C'est toi que je vais chanter, fils de Clinias. C'est une belle chose que la victoire; mais la plus belle, celle que n'a faite nul autre Grec, c'est de gagner à la course des chars le premier, le deuxième et le troisième prix, et de revenir deux fois, sans fatigue, couronné de laurier, offrir proclamation au héraut." [12] (1) Ce qui rendit plus apparent encore cet éclat d'Alcibiade, c'est l'émulation des cités à son égard: les Éphésiens lui dressèrent une tente splendidement décorée, la ville de Chios offrait de la nourriture pour ses chevaux et quantité de victimes sacrificielles, les Lesbiens, du vin et tout le nécessaire à des réceptions où il conviait nombre de gens sans compter. (2) Cependant une rumeur - calomnie ou médisance - relative à cette émulation des cités fit clabauder davantage encore. (3) Il y avait, dit-on, à Athènes un certain Diomède, point méchant homme, ami d'Alcibiade, et qui aspirait à remporter une victoire olympique; apprenant que les Argiens avaient un char officiel et sachant Alcibiade très puissant à Argos où il avait beaucoup d'amis, il le persuada d'acheter ce char pour lui, Diomède. Après l'avoir acheté, Alcibiade l'inscrivit sous son propre nom et envoya promener Diomède, lequel supporta mal la chose, prenant ciel et terre à témoins. Il paraît même qu'un procès survint à ce propos: un discours Sur l'attelage a été rédigé par Isocrate pour le fils d'Alcibiade, discours où, à vrai dire, le plaignant n'est pas Diomède, mais bien Tisias. [13] (1) Dès qu'il se lança, encore adolescent, dans la carrière politique, il éclipsa immédiatement les autres meneurs populaires, mais il eut surtout à lutter contre Phéax, le fils d'Erasistratos, et contre Nicias, fils de Niceratos: ce dernier était déjà avancé en âge et passait pour un général d'élite; Phéax, en revanche, commençait alors à monter, comme Alcibiade lui-même, étant issu lui aussi d'un glorieux lignage, mais il était inférieur à lui sous d'autres rapports, et notamment pour l'éloquence. (2) C'est que Phéax était, semble-t-il, de conversation agréable et persuasive en privé, plutôt que vraiment capable de soutenir des joutes à l'assembée du peuple; il était, comme dit Eupolis "excellent pour bavarder, parfaitement incapable de parler". (3) Il circule encore un discours Contre Alcibiade attribué à Phéax: il y est noté, après d'autres points, que la cité ayant fait l'acquisition de quantité de vases d'or et d'argent, Alcibiade s'en servait dans l'usage quotidien comme s'ils étaient à lui. (4) Il y avait alors un certain Hyperbolos, du dème de Périthoïde, que Thucydide mentionne même comme un méchant homme et qui, continuellement raillé dans les théâtres, fournissait à l'ensemble des auteurs comiques un sujet amusant. (5) Imperturbable face aux critiques, rendu insensible par son indifférence à l'endroit de sa propre réputation - indifférence que certains dénomment audace et courage, alors que c'est tout simplement impudence et déraison -, cet homme-là ne plaisait à personne, mais le peuple se servait souvent de lui quand il avait envie d'insulter et de calomnier les gens estimés. (6) Or donc, à l'instigation d'Hyperbolos, le peuple se préparait à infliger un ostracisme - mesure par laquelle il rabaisse et expulse toujours quiconque surpasse les autres citoyens en renommée et en puissance: le peuple apaise ainsi sa jalousie bien plutôt que sa crainte... (7) Comme il était clair qu'on allait frapper d'ostracisme un des trois orateurs, Alcibiade réunit les partis en un même lieu et, s'étant abouché avec Nicias, fit tomber l'ostracisme sur Hyperbolos. (8) À ce que d'aucuns affirment, ce n'était pas avec Nicias mais avec Phéax qu'Alcibiade se concerta et, en s'adjoignant le parti de ce dernier, il fit bannir Hyperbolos, lequel ne s'y serait jamais attendu. (9) En effet, nul homme médiocre ou sans renom n'encourait ce châtiment, comme l'a dit à peu près Platon le comique en évoquant Hyperbolos: "Assurément, il a fait des choses bien dignes de son caractère, mais en voici qui sont indignes de lui et de ses infamies: ce n'est pas pour de pareilles gens qu'on a inventé l'ostracisme!" - Ce qu'on raconte à ce sujet a été exposé plus longuement par ailleurs. [14] (1) Admiré qu'il était par les ennemis autant qu'honoré par les citoyens, Nicias n'en était pas moins un sujet de chagrin pour Alcibiade. Ce dernier était proxène des Lacédémoniens et il s'était occupé d'hommes à eux faits prisonniers à Pylos. (2) Mais comme c'est surtout grâce à Nicias que les Lacédémoniens avaient obtenu la paix et récupéré leurs hommes, ils l'aimaient tout particulièrement; le bruit courait chez les Grecs que, si Périclès les avait engagés dans la guerre, Nicias les en avait délivrés et la plupart des gens appelaient cette paix "paix de Nicias". Alcibiade en était excessivement contrarié et, dans sa jalousie, projetait une violation des serments échangés. (3) Tout d'abord, sentant que les Argiens, mus par leur haine et leur envie à l'endroit des Spartiates, cherchaient à rompre avec eux, Alcibiade leur insuffla secrètement l'espoir d'une alliance athénienne. Dialoguant avec les chefs du peuple par le truchement de messagers, il les encourageait à ne pas craindre les Lacédémoniens, ni à leur céder, mais à se tourner vers les Athéniens et à attendre que ceux-ci viennent à résipiscence - ce qui ne pouvait tarder - et dénoncent le traité de paix. (4) Après avoir conclu une alliance militaire avec les Béotiens, les Lacédémoniens livrèrent aux Athéniens Panacton non pas intact, comme il se devait, mais complètement détruit. Alcibiade, sentant ses compatriotes furieux, les exaspérait davantage encore, s'en prenait à Nicias et l'accusait - reproche fondé - de n'avoir pas consenti, quand il était général, à chasser lui-même les ennemis laissés en arrière à Sphactérie: une fois que d'autres s'en furent saisis, il les avait relâchés et rendus aux Lacédémoniens pour leur faire plaisir. (5) Ensuite, Alcibiade accusait Nicias de n'avoir pas su convaincre les Lacédémoniens, dont il était l'ami, de ne pactiser ni avec les Béotiens, ni avec les Corinthiens; Nicias cherche même à empêcher qu'aucun Grec veuille être ami et allié d'Athènes dès lors que cela déplaisait aux Lacédémoniens! (6) Après quoi, aux côtés de Nicias (qui se trouvait mal pris) vinrent se ranger, comme par hasard, des ambassadeurs de Lacédémone, porteurs de propositions intéressantes: ils arrivaient, affirmaient-ils, nantis des pleins pouvoirs en vue de toute conciliation équitable. (7) Le Conseil les reçut et le peuple se préparait à en discuter le lendemain en assemblée. Alcibiade, prenant peur, fit en sorte que les ambassadeurs lui ménagent un entretien. (8) Quand ils se trouvèrent ensemble, Alcibiade leur dit: "Dans quelles dispositions êtes-vous ici, Messieurs les Spartiates? Comment ne vous rendez-vous pas compte que le Conseil, c'est vrai, est toujours modéré et bienveillant envers ses visiteurs, mais que le peuple, en revanche, est gonflé d'orgueil et de grandes aspirations? Si vous vous déclarez nantis des pleins pouvoirs, il se montrera intransigeant dans ses directives et ses exigences. (9) Allons! fi de votre candeur! si vous voulez trouver les Athéniens mesurés et ne subir nulle pression violente contre votre avis, discutez des solutions équitables comme si vous n'aviez pas pleins pouvoirs. De mon côté, je travaillerai dans le même sens que vous, afin d'être agréable aux Lacédémoniens". (10) Sur ces mots, il leur engagea sa foi par serment et détourna ainsi de Nicias les ambassadeurs, lesquels se fiaient totalement à lui, Alcibiade, admirant à la fois son habileté et son intelligence comme celles d'un homme hors du commun. (11) Le lendemain, le peuple s'assembla et les ambassadeurs arrivèrent. Alcibiade leur demandant très courtoisement à quel titre ils étaient venus, ils prétendirent qu'ils n'avaient pas pleins pouvoirs. (12) Aussitôt, Alcibiade s'en prit vivement à eux, criant, furieux, comme s'il était non le responsable mais la victime d'une vilaine manigance, leur reprochant dêtre peu fiables, versatiles, venus pour ne rien faire ni rien dire de sensé! Et le Conseil de s'indigner, le peuple de s'irriter, tandis que Nicias était saisi de stupeur et de découragement devant le revirement des Spartiates - il ignorait la duperie et la ruse d'Alcibiade. [15] (1) Les Lacédémoniens ainsi expulsés, Alcibiade, nommé stratège, fit immédiatement entrer Argiens, Mantinéens et Éléens dans l'alliance athénienne. (2) Sa manière d'agir, assurément, personne ne l'approuvait, mais le résultat de son action était considérable: désunir et ébranler l'ensemble du Péloponnèse ou peu s'en faut; en un seul jour aligner contre les Lacédémoniens, à Mantinée, un nombre impressionnant de boucliers; organiser le plus loin possible d'Athènes le combat, avec son péril menaçant pour l'ennemi. Ainsi la victoire n'apportait rien de significatif aux vainqueurs et, dans le cas contraire, il eût été bien difficile à Lacédémone de survivre. (3) Après le combat, les Mille s'appliquèrent immédiatement à renverser le régime populaire à Argos et à faire de cette ville une sujette des Lacédémoniens, dont l'intervention balaya effectivement la démocratie. (4) Mais la majorité populaire reprit les armes, l'emporta et Alcibiade venu à la rescousse confirma la victoire des démocrates; il les persuada de prolonger les longs murs en les faisant descendre jusqu'à la mer et de lier entièrement la cité à la puissance athénienne. (5) D'Athènes, il amena charpentiers et tailleurs de pierres; il faisait montre d'un tel zèle qu'il ne se gagna pas moins de pouvoir pour lui-même que pour sa patrie. (6) D'un autre côté, il avait aussi persuadé les gens de Patras de relier également par de longs murs leur cité à la mer, quand quelqu'un leur dit: "Les Athéniens vous avaleront!". -"Peut-être", dit Alcibiade, "peu à peu et par les pieds, tandis que les Lacédémoniens commenceront par la tête et ne feront de vous qu'une seule bouchée!". (7) Alcibiade conseillait néanmoins aux Athéniens de s'attacher aussi à la terre et de confirmer de façon effective le serment prêté continûment par les éphèbes dans le sanctuaire d'Agraulos: ils jurent en effet de tenir pour frontières de l'Attique blés, orges, vignes, figuiers, oliviers, car on leur apprend à tenir pour leur bien propre la terre cultivée et fertile. [16] (1) Au milieu d'actes politiques aussi considérables et de discours empreints d'intelligence et d'habileté, revenaient la profonde mollesse de son mode de vie, ses excès de boisson et d'amour, ses vêtements efféminés - des robes pourpres qu'il traînait à travers l'agora -, son luxe effréné - il faisait pratiquer des entailles à bord des trières pour y dormir plus douillettement sur des matelas jetés sur des sangles au lieu de planches; et il s'était fait fabriquer un bouclier incrusté d'or, sans aucun des emblèmes traditionnels mais avec un Amour porte-foudre! (2) Toutes choses que voyaient avec indignation et dégoût les citoyens de bon renom, lesquels craignaient sa négligence et son côté hors-la-loi, ressentis comme tyranniques et étranges. Quant au ressentiment du peuple à l'égard d'Alcibiade, Aristophane ne l'a pas mal interprété en disant: (3) "Il le désire, le hait, mais pourtant veut l'avoir". Le même est plus écrasant encore dans cette insinuation: "Surtout ne pas nourrir un lion dans la ville, / Mais si on le nourrit, se soumettre à ses modes". (4) Ses largesses, ses chorégies, ses gestes ostentatoires - non exempts d'excès - envers la cité, la gloire de ses ancêtres, la puissance de sa parole, la beauté de son corps, sa force jointe à l'expérience dans les choses de la guerre et à la vaillance: voilà qui faisait excuser tout le reste aux Athéniens, supportant Alcibiade avec calme et appliquant toujours à ses fautes les plus doux des noms: enfantillages, point d'honneur. (5) Tel était par exemple le fait d'avoir tenu enfermé chez lui le peintre Agatharchos puis, une fois qu'il lui eût décoré sa maison, de l'avoir congédié avec une gratification; ou encore d'avoir giflé Tauréas son rival comme chorège, qui ambitionnait la victoire; et même d'avoir soustrait du nombre des prisonniers une femme de Mélos, de l'avoir gardée avec lui et d'avoir élevé l'enfant qu'il lui avait fait. (6) Voilà ce que les Athéniens appelaient son "humanité" - sauf tout de même qu'il porta la principale responsabilité d'avoir fait égorger la jeunesse de Mélos, puisqu'il se prononça pour le décret de mort. (7) Aristophon avait peint Néméa tenant Alcibiade assis entre ses bras, et les gens accouraient tout réjouis pour contempler le tableau; les plus vieux cependant s'indignaient encore à ce propos,sentant là l'indice de visées tyranniques et hors-la-loi. (8) Archestratos passait même pour dire fort à propos que les Grecs n'auraient pu supporter deux Alcibiades. (9) Timon le Misanthrope rencontre Alcibiade dans un bon jour et sortant de l'Assemblée visiblement bien escorté. Loin de passer son chemin et de se détourner, comme il faisait d'ordinaire avec tout le monde, Timon va à lui et lui tend la main droite en disant: "Tu fais bien de grandir, mon fils, car tu seras, en grandissant, un grand malheur pour tous ces gens-là!". Et les uns de rire, les autres, de l'invectiver, mais il en est que le mot retourna complètement. Ainsi l'opinion sur Alcibiade était-elle indécise, à cause de l'inconstance de sa nature. [17] (1) Les Athéniens s'étaient pris de désir pour la Sicile du vivant même de Périclès et, une fois qu'il fut mort, ils s'y attaquèrent; chaque fois que des cités se trouvaient lésées pas les Syracusains, Athènes leur envoyait des "secours" et gages d'alliance, posant là des passerelles en vue d'une plus grande expédition. (2) Mais celui qui alluma complètement cette passion des Athéniens et sut les convaincre d'agir, non pas partiellement ni progressivement, mais d'entreprendre une grande expédition maritime et de soumettre l'île, ce fut Alcibiade. Il fit miroiter au peuple de grandes espérances, aspirant quant à lui à des résultats plus grands encore; c'est qu'au regard de ses espérances la Sicile constituait le point de départ de l'expédition, non, comme le croyaient les autres, son but final. (3) Nicias, pour sa part, convaincu que c'était tâche ardue que de chercher à prendre Syracuse, s'efforçait d'en détourner le peuple. Alcibiade, au contraire, qui allait jusqu'à rêver de Carthage et de la Libye et qui, à la suite de ces succès, s'emparait déjà de l'Italie et du Péloponnèse, Alcibiade donc ne faisait guère de la Sicile qu'une source d'approvisionnement pour la guerre. (4) Il tenait dès lors les jeunes, déjà soulevés d'espoirs et qui écoutaient leurs aînés alléguer quantité de merveilles à propos de cette expédition; si bien que beaucoup de gens allaient s'asseoir dans les palestres et les hémicycles, y esquissant la forme de l'île et la position de la Libye et de Carthage. (5) Cependant Socrate le philosophe et Méton l'astronome n'espéraient de cette expédition, dit-on, rien de bon pour la cité: le premier, semble-t-il, avait noté l'apparition et l'avertissement de son démon familier; quant à Méton, soit que, par raisonnement, il craignît l'avenir, soit qu'il ait recouru à une forme de divination, il feignit la folie et, prenant une torche enflammée, il avait tout l'air de vouloir mettre le feu à sa maison. (6) Certains affirment que la folie simulée de Méton n'était nullement préméditée, mais qu'il mit nuitamment le feu à sa maison puis que, au petit jour, il vint demander et supplier qu'en raison d'un pareil malheur, on dispense son fils de l'expédition. Ainsi obtint-il ce qu'il demandait, s'étant bien joué de ses concitoyens. [18] (1) Contre son gré, Nicias fut nommé stratège - il cherchait par-dessus tout à éviter le commandement, surtout à cause de son collègue. C'est qu'il paraissait aux Athéniens que la guerre marcherait mieux s'ils n'y laissaient pas aller simplement Alcibiade mais si, à son audace, se mêlait la prévoyance de Nicias. (2) Aussi bien le troisième stratège, Lamachos, pourtant d'un âge avancé, ne semblait pas moins ardent qu'Alcibiade, ni moins téméraire dans les combats. Comme on délibérait sur l'importance et le genre des moyens logistiques, Nicias entreprit à nouveau de s'opposer à la guerre et de l'empêcher. (3) Mais ce fut Alcibiade qui lui répliqua et qui s'imposa; Dèmostratos, un des orateurs, rédigea un décret prévoyant que les stratèges devaient disposer des pleins pouvoirs tant pour la préparation logistique que pour l'ensemble de la guerre. (4) Le peuple ayant voté ce décret, et alors que tout était prêt pour l'appareillage, survinrent des présages fâcheux, jusque dans la fête en cours. (5) Les fêtes d'Adonis tombaient en effet ces jours-là, jours où les femmes, un peu partout, présentaient des simulacres figurant des morts conduits en terre, où elles imitaient, en se frappant la poitrine, des rites d'ensevelissement et où elles entonnaient des hymnes funèbres. (6) Ensuite, il y eut la mutilation des Hermès: en une nuit, la très grande majorité d'entre eux se trouvèrent mutilés sur leur face antérieure et nombre de gens en furent profondément troublés, même ceux qui affichaient du mépris pour ce genre de choses. (7) On dit alors que c'étaient les Corinthiens qui avaient fait cela (parce que les Syracusains étaient colons de Corinthe), dans la pensée que ce mauvais présage provoquerait un retard, voire un retournement d'opinion à propos de la guerre. (8) Mais assurément, cette rumeur ne toucha pas le peuple; pas davantage celle répandue par des gens qui ne voyaient rien de terrible dans le présage, mais plutôt quelque chose comme l'effet habituel du vin pur chez de jeunes libertins portés par jeu à l'excès. Avec colère et crainte tout ensemble, les citoyens prenaient l'événement pour le trait d'audace d'une conspiration fomentée en vue de grands projets. Le Conseil, réuni à ce sujet, et le peuple qui s'assembla plusieurs fois en peu de jours se mirent à examiner sévèrement tout objet de soupçon. [19] (1) Là-dessus, le chef populaire Androclès amena des esclaves et des métèques accusant Alcibiade et ses amis d'avoir mutilé d'autres statues et, avinés, d'avoir parodié les mystères. (2) Ces accusateurs disaient qu'un certain Théodore tenait le rôle du héraut, Poulytion, celui du porte-torche, Alcibiade, celui de l'hiérophante, et que ses autres compagnons, désignés du nom demystes, étaient là pour regarder. (3) Tout cela est consigné dans la dénonciation de Thessalos, fils de Cimon, accusant Alcibiade d'impiété envers les deux déesses. Le peuple était irrité, sévèrement disposé à l'endroit d'Alcibiade et aiguillonné par Androclès - celui-ci était l'un des pires ennemis d'Alcibiade. Ce dernier en fut d'abord troublé. (4) Mais il reprit courage en remarquant que tous les marins qui devaient faire voile vers la Sicile lui étaient acquis, de même que la troupe; il entendait d'autre part les mille hoplites d'Argos et de Mantinée dire ouvertement que c'était bien à cause d'Alcibiade qu'ils entreprenaient une longue expédition outre-mer mais que, si on lui faisait violence, eux feraient immédiatement défection. Alcibiade profita de l'occasion pour présenter sa défense, si bien que ses ennemis, découragés à leur tour, craignirent que le jugement populaire ne lui soit trop clément, vu qu'on avait besoin de lui. (5) Face à cette situation, les adversaires d'Alcibiade, rusés, s'emploient à ce que ceux des orateurs qui ne passaient pas pour ses ennemis mais qui ne le haïssaient pas moins que ses ennemis déclarés se lèvent à l'Assemblée pour dire qu'il est inopportun, alors qu'on dispose d'un stratège investi des pleins pouvoirs et à la tête de pareilles forces, alors même que l'armée et les alliés sont rassemblés, de laisser passer le moment favorable en se contentant de tirer au sort la composition d'un tribunal et de mesurer l'eau des clepsydres... (6) "Soit, disent ces orateurs, pour l'instant, bonne chance, qu'il s'embarque! mais que, la guerre terminée, il se présente pour se défendre dans les mêmes conditions". (7) La malignité de ce report n'échappait pas à Alcibiade. Se présentant devant le peuple, il dit que c'est chose terrible que de s'éloigner à la tête de pareilles forces, en laissant derrière soi accusations et calomnies: pour lui, mieux valait mourir s'il ne se lavait pas de ces accusations, mais s'il le faisait et apparaissait innocent, il lui fallait se porter contre l'ennemi sans avoir à redouter les délateurs. [20] (1) Comme il n'avait pas convaincu le peuple mais que celui-ci lui avait enjoint d'appareiller, Alcibiade prit la mer avec les stratèges, ses collègues, à la tête d'environ cent quarante trières, cinq mille cent hoplites, des archers, des frondeurs et des hommes légèrement armés - à peu près mille trois cents -, outre le reste d'un dispositif logistique considérable. (2) Une fois qu'il eut atteint l'Italie et pris Rhégion, il se prononça sur la manière d'engager la guerre, (3) contredit d'un côté par Nicias mais approuvé de l'autre par Lamachos. Alors Alcibiade fit voile vers la Sicile et soumit Catane, sans rien faire d'autre toutefois, car il fut aussitôt rappelé par les Athéniens pour être jugé. (4) D'abord, comme on l'a dit, ce qui visait Alcibiade, c'étaient de vagues soupçons et des calomnies d'esclaves et de métèques. (5) Mais ensuite, en son absence, ses ennemis s'attaquèrent plus violemment à lui; reliant les outrages infligés aux Hermès et la parodie des mystères comme faits émanant d'une seule conjuration à but révolutionnaire, ils jetèrent en prison sans les juger ceux qui, d'une manière ou d'une autre, se trouvaient accusés - on se morfondait de ne pas avoir, à l'époque, arrêté Alcibiade et de ne pas l'avoir jugé sur d'aussi lourdes présomptions. (6) Parent, ami ou familier, quiconque encourait la colère des citoyens amassée contre lui était traité par eux avec une rigueur particulière. Thucydide, pour sa part, a omis de citer les noms des dénonciateurs, mais d'autres - et notamment le comique Phrynichos, auteur des vers suivants - nomment Diocleidas et Teucros: (7) "Très cher Hermès, prends bien garde de ne pas te heurter en tombant, et d'aller prêter calomnie à un autre Diocleidas désireux de méfaire!" - "Je m'en garderai bien! Car point ne veux qu'à Teucros, cet étranger aux mains sanglantes, soit baillé le salaire de la délation!" (8) Il n'y avait pourtant rien de ferme ni de solide dans ce que révélaient les dénonciateurs. L'un d'eux, à qui l'on demandait comment il avait reconnu les visages des Hermocopides, répondit que c'était au clair de lune. Il se trompait du tout au tout: c'était exactement le jour qui précède la nouvelle lune que le forfait s'était commis, et cela troubla les gens de bon sens sans néanmoins apaiser le peuple face aux calomnies; suivant l'élan pris dès le début, il ne cessa pas de jeter énergiquement en prison tous ceux qu'on lui dénonçait. [21] (1) Or, parmi ceux qui étaient enchaînés et gardés en vue d'un jugement, il y avait alors l'orateur Andocide, que l'historien Hellanicos fait descendre d'Ulysse. (2) Andocide faisait figure d'ennemi du peuple, favorable à l'oligarchie, mais ce qui le rendait surtout suspect d'avoir mutilé les hermès, c'était le grand hermès qui avait été dressé près de sa maison, en guise d'offrande, par la tribu Egéis. (3) Car dans le nombre - très restreint - des hermès célèbres, c'était quasiment le seul demeuré intact. Voilà pourquoi, aujourd'hui encore, il est appelé "l'hermès d'Andocide", et tous le nomment ainsi, malgré le témoignage contraire de son inscription. (4) Parmi ceux qui se trouvaient en prison sous le coup de la même accusation, il arriva que quelqu'un devint l'ami intime d'Andocide; sans avoir la même réputation que celui-ci, l'homme était remarquable par son intelligence et par son audace: il se nommait Timée. (5) Cet individu persuada Andocide de s'accuser lui-même, avec un petit nombre d'autres: s'il avoue, il obtiendra l'impunité, conformément au décret du peuple, tandis que l'issue du jugement est incertaine pour tout le monde, mais particulièrement redoutable aux puissants; mieux vaut se sauver par un mensonge que de succomber sans gloire sous la même accusation et, si l'on tient compte de l'intérêt public, il y a avantage à sacrifier un petit nombre de gens équivoques pour soustraire quantité de braves gens à la vindicte populaire. (6) Voilà ce que disait et professait Timée. Andocide se laissa convaincre, devint son propre dénonciateur, celui d'autres, et eut lui-même l'impunité garantie par le décret; en revanche, tous ceux qu'il avait nommés périrent, à l'exception des accusés en fuite. Et pour assurer sa crédibilité, Andocide ajouta à sa dénonciation des esclaves qui lui appartenaient. (7) Le peuple néanmoins ne relâcha pas dès lors toute sa colère mais, une fois délivré des Hermocopides, sa fureur se trouvant en quelque sorte vacante, il se lança tout entier contre Alcibiade. À la fin, il envoya à sa recherche la Salaminienne, en donnant non sans adresse un ordre précis aux envoyés: ni violence, ni saisie de corps, tenir le langage le plus mesuré, en invitant Alcibiade à les suivre pour être jugé et tenter de convaincre le peuple. (8) C'est qu'on redoutait des troubles dans l'armée en pays ennemi, et une mutinerie qu'Alcibiade eût facilement suscitée s'il l'eût voulu. Lui parti, en effet, les soldats allaient se décourager, s'attendant à ce que la guerre prenne, avec Nicias, beaucoup de retard et traîne en longueur - comme si on lui ôtait le taon qui éperonne l'action. (9) Sans doute Lamachos était-il belliqueux et viril, mais il n'était pas pris en considération et ne faisait pas le poids, en raison de sa pauvreté. [22] (1) L'embarquement d'Alcibiade priva immédiatement les Athéniens de Messine. Il s'y trouvait, en effet, des gens qui s'apprêtaient à leur livrer la ville, gens qu'Alcibiade connaissait parfaitement et qu'il dénonça aux amis des Syracusains: du coup, il ruinait l'affaire! Une fois arrivé à Thourioi et descendu à terre, il se cacha et échappa aux recherches. (2) Mais quelqu'un le reconnut et lui dit: "Tu n'as pas confiance dans ta patrie, Alcibiade?" - "Si fait, dit-il, pour tout le reste; mais s'agissant de ma vie, je ne me fierais même pas à ma mère, craignant en quelque sorte qu'elle ne dépose par erreur le caillou noir au lieu du blanc!" (3) Plus tard, apprenant que la cité l'avait condamné à mort,"Eh! bien, dit- il, je vais leur montrer, moi, que je suis en vie!" (4) L'acte d'accusation est rédigé de la manière suivante: "Thessalos, fils de Cimon, du dème de Lakiadès, accuse Alcibiade, fils de Clinias, du dème Scambonidès, de sacrilège envers les deux déesses: il a parodié leurs mystères, en les faisant voir à ses compagnons dans sa propre maison; vêtu d'une robe semblable à celle que porte l'hiérophante lorsqu'il montre les objets sacrés, il s'estdésigné lui-même comme hiérophante, a nommé Poulytion porte-torche, Théodore, du dème Phégaia, héraut, ses autres compagnons, mystes et époptes, à l'encontre des règles et usages établis par les Eumolpides, les Kéryces et les prêtres d'Eleusis". (5) On condamna Alcibiade par défaut, en confisquant ses biens, et l'on décréta en outre que tous les prêtres et prêtresses le maudiraient; une seule, dit-on, Théanô, fille de Ménon, du dème Agrylè, protesta contre ce décret, affirmant qu'elle était prêtresse pour les prières, non pour les malédictions. [23] (1) Quand fut décrétée cette lourde condamnation, Alcibiade se trouvait en séjour à Argos car, à peine échappé de Thourioi, il s'était transporté dans le Péloponnèse. Comme il redoutait ses ennemis et avait totalement renoncé à sa patrie, il envoya demander à Sparte qu'on assure sa sécurité et qu'on lui fasse confiance - et il rendrait aux Spartiates des services et offices supérieurs aux torts qu'il leur avait causés en les repoussant. (2) Les Spartiates lui donnèrent les assurances demandées et l'accueillirent avec empressement; une fois dans la place, il allait immédiatement réaliser une chose: réveiller les Spartiates, qui différaient et retardaient les secours à porter à Syracuse. Il les poussa à y envoyer comme commandant Gylippe et à briser la puissance des Athéniens là-bas. Second point: reprendre en Grèce la guerre contre les Athéniens; troisième point, et le plus important: fortifier Décélie - la pire chose que fit Alcibiade: il ruina ainsi de fond en comble sa cité. (3) Estimé et admiré sur le plan politique, il ne l'était pas moins sur le plan personnel: il s'efforçait alors de flatter le peuple et de l'enchanter, en imitant les Laconiens dans son mode de vie; à tel point qu'à le voir se raser de près, prendre des bains froids, se contenter de pain d'orge et mangerdu brouet noir, on n'en croyait pas ses yeux et l'on se demandait si cet homme-là avait jamais eu un cuisinier dans sa maison, ou regardé un parfumeur, ou consenti à toucher un manteau milésien. (4) C'est qu'il y avait en lui, prétend-on, ce talent terrible parmi d'autres: un système de chasse aux hommes, qui consistait à se rendre semblable à eux, à se conformer à leurs moeurs et à leur style de vie, se révélant, en ses transformations, plus vif que le caméléon. (5) Sauf qu'il est une couleur, une seule, que celui-ci est incapable, dit-on, de s'assimiler: le blanc. Pour Alcibiade, en revanche, qui passait indifférement au travers du bien et du mal, il n'était rien d'inimitable ni d'impraticable: à Sparte, il était sportif, simple, sévère; en Ionie, efféminé, jouisseur, indolent; en Thrace, ivrogne, bon cavalier; et auprès du satrape Tissapherne, il surpassait par son enflure et son luxe la magnificence des Perses. Non qu'il sortît si facilement de lui-même, en sorte de passer d'un style à un autre, ni que, par tempérament, il acceptât n'importe quel changement. Mais c'est qu'en suivant sa nature, il devait heurter ceux qu'il rencontrait; alors, il revêtait toujours une forme et une figure entièrement adaptées à eux: tel était son refuge. (6) À Lacédémone, en tout cas, à en juger par l'extérieur, on pouvait dire de lui: "Non pas le fils d'Achille, mais ce héros lui-même" - c'est-à-dire un homme tel qu'en formait Lycurgue. Mais à en juger, d'autre part, d'après ses dispositions véritables et d'après ses actions, on se serait exclamé: "C'est toujours la femme d'autrefois!" (7) Il séduisit en effet Timaia, l'épouse du roi Agis, lequel faisait campagne loin du pays; en sorte qu'elle se trouva enceinte des oeuvres d'Alcibiade, sans le nier, et mit au monde un enfant mâle qu'au dehors on appela Léotychidas - mais à l'intérieur, le nom murmuré par sa mère devant ses amies et ses suivantes était: "Alcibiade", si grande était la passion qui possédait cette femme. Quant à lui, il disait complaisamment que ce n'était pas par orgueil qu'il faisait cela, ni sous l'emprise du plaisir, mais afin que sa progéniture règne sur les Lacédémoniens! Et nombre de gens de dénoncer ces faits à Agis. (9) Mais celui-ci s'en rapporta surtout à la date: lors d'un tremblement de terre, effrayé, il s'était enfui de la chambre de sa femme, et ensuite, depuis dix mois, il ne l'avait plus rejointe; il affirma donc que Léotychidas, né après l'événement, n'était pas de lui. Voilà pourquoi cet enfant fut par la suite exclu de la succession royale. [24] (1) Après le désastre des Athéniens en Sicile, les citoyens de Chios, de Lesbos et de Cyzique envoyèrent tous ensemble des ambassadeurs à Sparte pour y discuter de leur défection; les Béotiens épaulaient les Lesbiens et Pharnabaze, les gens de Cyzique mais les Spartiates, écoutant Alcibiade, choisirent de porter secours aux gens de Chios avant tous les autres. (2) Alcibiade prit la mer, provoqua lui-même le soulèvement de presque toute l'Ionie et, aux côtés des généraux lacédémoniens, il causait bien des dommages aux Athéniens. (3) Or Agis, qui le haïssait (il était mal disposé à cause de sa femme!), s'exaspérait en outre de la gloire d'Alcibiade: le bruit courait, en effet, que c'est grâce à lui que la très grande majorité des affaires se décidaient et progressaient. Quant aux autres Spartiates, les plus puissants et les plus ambitieux ne supportaient plus désormais Alcibiade, qu'ils enviaient. (4) Ils usèrent donc de leur influence et firent en sorte que leurs gouvernants donnent aux responsables en Ionie l'ordre de le supprimer. Lui, prévenu secrètement et pris de peur, s'efforçait de participer à toutes les affaires des Lacédémoniens, mais évitait absolument de tomber entre leurs mains. C'est à Tissapherne, satrape du roi de Perse, qu'il s'en remit pour assurer sa sécurité: et d'emblée il fut auprès de lui le premier et le plus considérable des gens en cour. (5) Les mille ressources de son extraordinaire habileté: voilà ce qu'admirait le barbare, lui-même tortueux, de tempérament vicieux et méchant. D'ailleurs, au quotidien, dans les loisirs et les modes de vie partagés, nul caractère n'était insensible aux charmes d'Alcibiade, aucune nature qui ne fût captivée: ceux mêmes qui le craignaient et le jalousaient avaient néanmoins plaisir et agrément à se trouver avec lui et à l'observer. (6) D'ailleurs Tissapherne, qui était cruel et haïssait les Grecs plus qu'aucun autre Perse, s'abandonnait si bien aux flatteries d'Alcibiade qu'il le surpassait lui-même en le flattant à son tour. (7) Par exemple, le plus beau des jardins appartenant à Tissapherne, réputé pour ses espaces verts et ses eaux salubres, offrait des retraites et des refuges aménagés de façon royale et vraiment extraordinaire: le Perse décida de le nommer "Alcibiade", et tout le monde continua de le désigner de cette appellation. [25] (1) Or Alcibiade, se détournant des Spartiates qu'il jugeait peu fiables et de surcroît redoutant Agis, s'efforçait de leur faire tort et les diffamait auprès de Tissapherne; sans laisser celui-ci porter un secours empressé à Lacédémone, non plus que ruiner Athènes, il le poussait plutôt à restreindre chichement ses subsides, à affaiblir progressivement les deux cités pour les mettre l'une et l'autre aux mains du Roi une fois qu'elles se seraient mutuellement épuisées. (2) Tissapherne se laissa aisément convaincre et montra si bien son amitié et son admiration pour Alcibiade que celui-ci devint le point de mire des Grecs des deux camps et que les Athéniens commencèrent à regretter les décisions prises par humeur à son encontre; quant à lui, désormais mal à l'aise, il craignait, si Athènes était entièrement détruite, de tomber aux mains des Lacédémoniens, qui le haïssaient. (3) C'est à Samos que se jouaient alors presque toutes les affaires des Athéniens: c'est de là que, sûrs de leur forces navales, ils s'élançaient pour regagner les alliés qui avaient fait défection, et pour contrôler les autres car, sur mer, eux-mêmes étaient encore capables, jusqu'à un certain point, d'affronter leurs ennemis. (4) Mais ils redoutaient Tissapherne et les trières phéniciennes dont on prétendait l'arrivée prochaine: cent cinquante navires qui, une fois arrivés, ne laissaient à la ville nul espoir de salut. (5) Sachant cela, Alcibiade envoya secrètement un message aux Athéniens influents à Samos: il leur donnait l'espoir de leur gagner l'amitié de Tissapherne, non qu'il se souciât de plaire à la masse - il se défiait de ces gens-là -, mais pour plaire aux nobles si du moins ils osaient se montrer hommes de bien, faire cesser l'insolence du peuple et, en s'y mettant eux-mêmes, sauver les affaires et la cité... (6) Or tous les stratèges étaient entièrement acquis à Alcibiade, sauf l'un d'entre eux: Phrynichos du dème Deiradès, qui cherchait à s'opposer à lui car il soupçonnait (et c'était vrai) qu'Alcibiade ne souhaitait pas plus une oligarchie qu'une démocratie mais que, soucieux avant tout de rentrer à Athènes, il s'efforçait de ménager et de se gagner les puissants en dénigrant le peuple. (7) Toutefois son avis ne s'imposa pas et, s'affichant désormais comme l'ennemi d'Alcibiade, il fit secrètement tenir un message à Astyochos, l'amiral de la flotte adverse, le pressant de surveiller Alcibiade et même de se saisir de lui comme meneur d'un double jeu. Il ne s'apercevait pas que, traître lui-même, il s'entretenait avec un autre traître... (8) Astyochos, en effet, qui avait peur de Tissapherne et voyait l'influence d'Alcibiade auprès de celui-ci, leur dénonça à l'un et à l'autre la démarche de Phrynichos. (9) Aussitôt Alcibiade envoya à Samos des gens susceptibles d'accuser Phrynichos. Et tout le monde de s'indigner, de se liguer contre Phrynichos, lequel, ne voyant pas d'autre échappatoire à la situation, entreprit de guérir le mal par un mal plus grand. (10) Ainsi Phrynichos fit-il à nouveau tenir un message à Astyochos, lui reprochant sa dénonciation et annonçant qu'il allait mettre à sa merci les vaisseaux et le camp des Athéniens. (11) Or la trahison de Phrynichos, assurément, ne causa nul dommage aux Athéniens, grâce à une nouvelle traîtrise d'Astyochos, qui une fois encore dénonça la démarche de Phrynichos à Alcibiade. (12) Mais Phrynichos, qui le pressentait et s'attendait à une seconde accusation de la part d'Alcibiade, le devança: il prévint lui-même les Athéniens que leurs ennemis étaient sur le point d'appareiller et leur conseilla de se tenir près de leurs vaisseaux et de fortifier leur camp. (13) Alors que les Athéniens s'y emploient, arrive à nouveau une lettre d'Alcibiade, les invitant à surveiller Phrynichos car celui-ci veut livrer le port aux ennemis; les Athéniens s'en méfièrent, croyant qu'Alcibiade, qui connaissait fort bien la logistique et les intentions tactiques des ennemis, en profitait pour calomnier Phrynichos, sans l'ombre d'une vérité. (14) Néanmoins, plus tard, quand un des péripoles, Hermon, eut frappé d'un coup de poignard et tué Phrynichos sur l'agora, il y eut un procès où les Athéniens condamnèrent celui-ci pour trahison et couronnèrent Hermon et ses complice. [26] (1) C'est alors que les amis d'Alcibiade, s'étant imposés à Samos, envoient Pisandre à Athènes pour y renverser le régime, encourager les gens compétents à se charger des affaires et dissoudre la démocratie: car c'est à ces conditions qu'Alcibiade fera de Tissapherne leur ami et leur allié. - Tel était en effet le prétexte mis en avant par ceux qui instituèrent l'oligarchie. (2) Mais dès que furent au pouvoir et à la direction des affaires les prétendus "Cinq Mille" (en fait, ils étaient quatre cents), ils ne s'intéressèrent plus le moins du monde à Alcibiade. Ils faisaient la guerre assez mollement, en partie parce qu'ils se méfiaient des citoyens encore troublés par le changement, en partie parce qu'ils croyaient que les Lacédémoniens, toujours favorables à l'oligarchie, leur accorderaient davantage. Dans toute l'étendue de la ville, le peuple restait donc tranquille bien malgré lui, par crainte: car nombre d'opposants déclarés avaient été égorgés par les Quatre-Cents. (3) À cette nouvelle, ceux de Samos, indignés, voulurent faire voile immédiatement sur le Pirée; ayant fait venir Alcibiade, ils le nommèrent stratège, l'invitèrent à prendre le commandement et à abattre les tyrans. (4) Il ne réagit pas comme l'eût fait n'importe qui d'autre devenu, grâce aux masses, tout à coup important et ravi de l'être: un tel homme eût estimé devoir complaire immédiatement en tout, sans nulle opposition, à ceux qui avaient fait de lui, si récemment encore errant et proscrit, leur commandant et leur stratège, maître de tant de vaisseaux, d'un camp et de forces si imposantes: Alcibiade réagit comme il convenait à un grand chef, il résista à ses troupes emportées par la colère, les empêcha en tout cas de commettre une erreur et, d'évidence, sauva alors les affaires athéniennes. (5) En effet, s'ils avaient levé l'ancre et fait voile vers leur patrie, il eût été facile aux ennemis de tenir immédiatement toute l'Ionie, l'Hellespont et les îles, sans combat, alors que des Athéniens se battaient contre des Athéniens et faisaient entrer la guerre dans la cité. C'est Alcibiade seul, ou principalement, qui empêcha cette issue, non seulement en persuadant et en instruisant la foule, mais en prenant même les gens un à un, suppliant les uns, retenant les autres. (6) Avec lui s'activait, à la fois présent et donnant de la voix, Thrasybule du dème Steiria, lequel possédait, dit-on, la plus forte voix d'Athènes. (7) Voici encore un beau geste - le second - d'Alcibiade. Il avait promis que les navires phéniciens envoyés par le Roi pour répondre à l'attente des Lacédémoniens soit se détourneraient au profit des Athéniens, soit qu'il ferait lui-même en sorte qu'ils ne parviennent pas à l'adversaire. Il appareilla donc en toute hâte. (8) Et Tissapherne ne convoya pas les vaisseaux aperçus au large d'Aspendos, décevant ainsi les Lacédémoniens. Dans les deux camps, et plus encore chez les Lacédémoniens, c'est Alcibiade qu'on rendait responsable du détournement de ces vaisseaux, vu qu'il apprenait au barbare à regarder froidement les Grecs se détruire les uns par les autres. (9) Nul doute en effet que celui des deux camps auquel se seraient ajoutées de pareilles forces n'eût totalement enlevé à l'autre l'empire de la mer. [27] (1) Après quoi les Quatre-Cents furent renversés et les amis d'Alcibiade se rangèrent avec empressement aux côtés des partisans de la démocratie; les citadins voulaient, exigeaient même, le retour d'Alcibiade, mais lui n'estimait pas devoir rentrer les mains vides, sans rien faire, grâce à la pitié et à la faveur des masses: il entendait rentrer avec éclat. (2) C'est pourquoi, au départ de Samos, il se se mit d'abord à sillonner avec quelques vaisseaux la mer autour de Cnide et de Cos. Là, apprenant que le Spartiate Mindaros remontait avec toute sa flotte vers l'Hellespont et que les Athéniens le poursuivaient, il se hâta de porter secours à leurs stratèges. (3) Naviguant avec dix-huit trières, Alcibiade arriva par hasard juste au moment où Athéniens et Lacédémoniens, avec tous leurs vaisseaux, se rencontraient au même endroit et engageaient un combat naval au large d'Abydos; ils restèrent aux prises jusqu'au soir, en un grand affrontement où alternaient défaites et victoires. (4) L'apparition d'Alcibiade provoqua dans les deux camps un sentiment opposé: elle encourageait les ennemis et perturbait les Athéniens. Mais sans attendre, ayant fait hisser le pavillon ami sur son vaisseau amiral, il fonça directement sur ceux des Péloponnésiens qui, vainqueurs, poursuivaient les Athéniens. (5) Il les mit en fuite, les drossa à la côte et, les harcelant, il portait aux navires péloponnésiens force coups et blessures tandis que les hommes se sauvaient à la nage; Pharnabaze vint à la rescousse par terre, combattant sur la côte pour assister les navires. (6) Finalement les Athéniens s'emparèrent de trente vaisseaux ennemis et, ayant recouvré les leurs, ils érigèrent un trophée. Fort de cette brillante réussite et ambitionnant de s'en glorifier aussitôt auprès de Tissapherne, Alcibiade prépara des présents d'hospitalité et divers cadeaux et, avec le train d'un commandant, il se rendit chez lui. (7) Mais il n'obtint assurément pas ce à quoi il s'était attendu! Tissapherne, décrié par les Lacédémoniens depuis longtemps déjà et qui craignait de se voir accusé par le Roi, estima qu'Alcibiade arrivait fort à point; il le fit arrêter et emprisonner à Sardes, dans l'espoir que cette injustice lui donnerait la possibilité de se racheter de toute insinuation calomnieuse. [28] (1) Trente jours se passent. Ayant pu se procurer quelque part un cheval, Alcibiade fausse compagnie à ses gardiens et se réfugie à Clazomènes. (2) De surcroît, il calomniait Tissapherne en prétendant que c'est par celui-ci qu'il venait d'être relâché! Quant à lui, il rejoignit par mer le camp des Athéniens; ayant appris que Mindaros et Pharnabaze étaient ensemble à Cyzique, il galvanisa ses soldats en disant qu'il y avait nécessité pour eux de se battre sur mer et sur terre et même, parbleu!, de s'attaquer aux remparts des ennemis: pas d'argent si l'on n'est pas entièrement vainqueur! (3) Ayant chargé ses navires, il aborda à Proconnèse et ordonna d'y enfermer sous bonne surveillance les vaisseaux légers afin que, de nulle part, ne parvienne aux ennemis le moindre indice de sa propre avancée. (4) Il se trouve qu'en plus une forte pluie se mit à tomber, avec des coups de tonnerre et une obscurité qui aidèrent Alcibiade à dissimuler sa manoeuvre. Non seulement les ennemis n'y virent que du feu, mais les Athéniens mêmes étaient au désespoir: alors, il leur ordonna d'embarquer et il gagna la mer avec eux. (5) Peu après l'obscurité se dissipa et l'on vit les vaisseaux péloponnésiens se balançant devant le port de Cyzique. (6) Craignant qu'au vu du grand nombre de ses vaisseaux, les Lacédémoniens ne se réfugient à l'intérieur des terres, Alcibiade ordonna aux stratèges, ses collègues, de naviguer tranquillement en restant en arrière; et lui-même d'apparaître avec quarante vaisseaux seulement, en provoquant les ennemis. (7) Ceux-ci-ci s'y laissent prendre et, méprisants, se lancent contre des forces qu'ils jugent piètres; mais tandis qu'il s'engageaient directement et en venaient aux prises, le reste des navires athéniens se porte derechef contre les combattants ennemis, lesquels, frappés de terreur, prennent la fuite. (8) Alcibiade, avec ses vingt meilleurs vaisseaux, passe au travers de la flotte adverse, aborde le rivage, débarque et, pourchassant ceux qui fuient les navires, il en tue un grand nombre; vainqueur de Mindaros et de Pharnabaze venus à la rescousse, il élimine Mindaros qui luttait de toutes ses forces tandis que Pharnabaze s'enfuit. (9) Quantité de cadavres et d'armes étaient aux mains des Athéniens qui, s'étant emparés de tous les vaisseaux ennemis, soumirent encore Cyzique, une fois Pharnabaze en fuite et les Péloponnésiens, exterminés. Ainsi, non seulement Athènes tenait-elle solidement l'Hellespont mais encore expulsait-elle de force les Péloponnésiens du reste de la mer. (10) On saisit même une dépêche laconique rapportant aux éphores le malheur survenu: "Vaisseaux perdus; Mindaros, éliminé; nos hommes ont faim; ne savons que faire". [29] (1) Ceux qui avaient combattu avec Alcibiade en éprouvèrent tant d'exaltation et d'orgueil qu'ils jugeaient indigne d'eux, les invincibles, de se mêler aux autres soldats, souvent vaincus. (2) De fait, peu auparavant, il était arrivé que Thrasyllos avait été mis en échec à Éphèse et qu'un trophée de bronze avait été dressé par les Éphésiens à la honte des Athéniens. (3) Voilà donc ce que reprochaient aux soldats de Thrasyllos les compagnons d'Alcibiade, lesquels se portaient aux nues, eux-mêmes et leur stratège, et ne consentaient pas à partager avec cette troupe-là exercices et emplacement dans le camp. (4) Or Pharnabaze, avec nombre de cavaliers et de fantassins, leur tomba sus alors qu'ils faisaient incursion dans la région d'Abydos. Alors Alcibiade, arrivé à la rescousse, se lança contre Pharnabaze et, avec Thrasyllos, le poursuivit jusqu'au soir; du coup les deux troupes se mêlèrent, firent amitié ensemble et retournèrent joyeusement au camp. (5) Le lendemain, ayant érigé un trophée, Alcibiade se mettait à piller le pays de Pharnabaze, sans que nul osât s'y opposer. Il se saisit néanmoins de prêtres et de prêtresses, mais les laissa partir sans rançon. (6) Comme les Chalcédoniens avaient fait défection et reçu une garnison et un harmoste lacédémoniens, Alcibiade entreprit de les combattre; mais, apprenant qu'ils avaient rassemblé tout le butin du pays et l'avaient transporté chez les Bithyniens, leurs amis, il se porta à la tête de son armée aux frontières de la Bithynie et envoya un héraut dans le pays pour y faire ses doléances. Les Bithyniens, effrayés, lui livrèrent leur butin et passèrent avec lui un accord d'amitié. [30] (1) Comme Alcibiade, afin de bloquer Chalcédoine, avait fait élever un retranchement qui allait d'une mer à l'autre, Pharnabaze se présenta pour forcer le blocus. L'harmoste Hippocrate fit alors sortir de la ville les forces qui étaient avec lui et assaillit les Athéniens. (2) Mais Alcibiade déploya son armée en bataille contre les deux assaillants à la fois, contraignit Pharnabaze à une fuite honteuse et tua Hippocrate ainsi qu'un grand nombre de gens qui étaient à ses ordres. (3) Puis il appareilla lui-même en direction de l'Hellespont pour y faire de l'argent et s'empara de Sélymbria, sans se ménager personnellement en la circonstance. (4) En effet, ceux qui voulaient livrer la ville avaient convenu avec lui de brandir au milieu de la nuit une torche allumée; or, ils furent contraints de le faire plus tôt que prévu, car on craignait un des conjurés qui avait tout à coup changé d'avis. (5) La torche fut donc brandie avant que l'armée fût prête. Alcibiade, ne prenant avec lui que trente des siens, courut en hâte aux remparts, en ordonnant aux autres de le suivre promptement. (6) La porte de la ville lui fut ouverte et, vingt peltastes s'étant joints à ses trente hommes, il y fit irruption, pour s'apercevoir immédiatement que les Sélymbriens arrivaient en armes du côté opposé. (7) Nul salut, semblait-il, dans la résistance; et quant à fuir, lui, invincible jusqu'à ce jour, lui qui, dans ses campagnes, était de préférence aux côtés de la victoire!... Il fit imposer silence à coups de trompette et ordonna à l'un de ses fidèles de proclamer: "Que les Sélymbriens ne prennent pas les armes contre les Athéniens!" (8) Cette proclamation émoussa l'ardeur des uns au combat (c'est qu'ils croyaient tous les ennemis entrés dans leurs murs!), tandis que les autres se berçaient plutôt de l'espoir d'une réconciliation. (9) Au moment où, réunis, ils engageaient des pourparlers, le gros des forces rejoignit Alcibiade; celui-ci, conjecturant que les Sélymbriens étaient pacifiquement disposés - et c'était bien le cas -, commença à craindre que les Thraces ne pillent la ville. (10) Il y avait, en effet, beaucoup de Thraces pleins de zèle qui, par sympathie et attachement pour Alcibiade, faisaient campagne avec lui. Il renvoya tous ces hommes hors ville et ne fit subir nulle exaction aux Sélymbriens qui l'imploraient, mais il leur prit de l'argent et leur imposa une garnison avant de s'en aller. [31] (1) Les stratèges qui assiégeaient Chalcédoine conclurent alors une trêve avec Pharnabaze, aux conditions suivantes: ils recevraient de l'argent, les Chalcédoniens feraient à nouveau leur soumission à Athènes, le territoire de Pharnabaze échapperait à toute exaction et celui-ci fournirait une escorte avec sauf-conduit aux ambassadeurs athéniens délégués chez le Roi. (2) Au retour d'Alcibiade, Pharnabaze lui demanda de s'engager lui-même par serment à respecter ces accords, ce qu'Alcibiade refusa de faire avant que Pharnabaze ait de son côté prêté le même serment. (3) Les serments échangés, Alcibiade se porta contre les Byzantins qui avaient fait défection et il investit leur cité. Or Anaxilaos, Lycurgue et quelques autres avaient convenu de lui livrer la ville à condition qu'il l'épargnât. Alcibiade répandit le bruit que de nouvelles affaires qui s'engagent en Ionie l'appellent là-bas; au grand jour, il appareille avec tous ses vaisseaux, mais il fait demi-tour pendant la nuit et débarque lui-même avec les hoplites. À l'approche des remparts, il se tient coi, cependant que ses vaisseaux cinglent vers le port et en forcent l'accès à grands cris, dans le tumulte et le tapage: c'était tout à la fois terrifier les Byzantins par l'inattendu de l'événement et permettre aux partisans d'Athènes d'accueillir sans crainte Alcibiade, tous les secours convergeant vers le port et la flotte. (4) Assurément, on n'avança pas sans combat, car les Péloponésiens, les Béotiens et les Mégariens qui se trouvaient à Byzance mirent en déroute les soldats qui sortaient des vaisseaux et les y firent remonter; ensuite, voyant les Athéniens dans leurs murs, ils se rangèrent en ordre de bataille et se portèrent à leur rencontre. (5) Il s'ensuivit un violent combat où la victoire revint à Alcibiade, qui tenait l'aile droite, et à Théramène, qui commandait la gauche. On garda vivants quelque trois cents ennemis rescapés. (6) Après le combat, aucun Byzantin ne fut exécuté ni banni, car c'est à ces conditions que les conjurés avaient livré la ville et c'est ce dont étaient convenus les partisans d'Athènes, sans rien exiger de spécial pour eux-mêmes. (7) C'est bien pourquoi Anaxilaos, poursuivi à Sparte pour trahison, démontra par son discours qu'il n'avait pas honte de son acte. (8) Il affirma en effet que, n'étant pas Lacédémonien, mais Byzantin, voyant en danger non pas Sparte mais Byzance, voyant investie sa cité où plus rien n'entrait, où Péloponnésiens et Béotiens mangeaient les réserves de vivres alors que les Byzantins, avec femmes et enfants, étaient affamés, il n'avait nullement livré sa ville à l'ennemi: il l'avait délivrée de la guerre et de ses misères, imitant en cela l'élite des Lacédémoniens, pour qui il n'est tout simplement qu'une seule chose belle et juste, l'intérêt de la patrie. Ce qu'entendant, les Lacédémoniens, remplis de respect,relâchèrent les accusés. [32] (1) Désormais passionnément désireux de revoir sa patrie et, plus encore, lui qui avait tant de fois vaincu l'ennemi, de se faire voir à ses concitoyens, Alcibiade prit la mer. Les trières attiques étaient sur leur pourtour ornées de quantité de boucliers et de dépouilles; Alcibiade tirait après lui beaucoup de vaisseaux captifs et transportait, en plus grand nombre encore, les figures de proue des trières qu'il avait saisies et détruites. Les deux catégories mises ensemble ne faisaient pas moins de deux cents. (2) Douris de Samos, qui se prétend descendant d'Alcibiade, ajoute encore que c'était Chrysogone, le fameux vainqueur des Jeux Pythiques, qui, sur la flûte, donnait le rythme aux rameurs, tandis que Callipide, l'acteur tragique, commandait la manoeuvre de la voix; ils étaient vêtus de tuniques droites, de manteaux flottants et des autres parures des concours. Douris affirme que le vaisseau amiral se présenta au port avec une voile de pourpre comme si, sous le coup de l'ivresse, on faisait cortège à Dionysos. Ni Théopompe, ni Éphore, ni Xénophon ne l'ont consigné, et il serait invraisemblable qu'Alcibiade se soit ainsi moqué des Athéniens, lui qui rentrait d'exil après tant de vicissitudes. Au contraire, c'est même avec crainte qu'il aborda et, arrivé à terre, il ne quitta pas ses vaisseaux avant d'avoir, debout sur le pont, vu Euryptolème, son cousin, qui était là, et nombre de ses autres amis et familiers qui l'accueillaient et l'engageaient à venir à eux. (3) Quand il eut débarqué, les gens qui allaient à sa rencontre n'avaient pas même l'air de voir les autres stratèges; courant tous ensemble vers lui, ils criaient, l'embrassaient, l'escortaient, se précipitaient pour le couronner. S'il s'en trouvait qui ne pouvaient parvenir jusqu'à lui, ils le saluaient de loin, et les vieux le montraient aux jeunes. (4) Mais beaucoup de larmes aussi se mêlaient à la joie de la cité, et le souvenir des malheurs passés, face au bonheur présent, revenait aux gens qui réfléchissaient qu'ils n'auraient pas échoué en Sicile, et que rien de ce qu'ils avaient escompté ne leur eût échappé s'ils avaient à l'époque laissé Alcibiade à la tête des affaires et de leur célèbre puissance militaire: aussi bien, ayant maintenant récupéré la cité presque chassée de la mer et, sur terre, à peine maîtresse de ses faubourgs, en proie aux luttes intestines, il la relevait de ses ruines, de ses tristes et humbles ruines. Non seulement il lui a rendu l'empire de la mer, mais sur terre également il la fait apparaître partout victorieuse de ses ennemis. [33] (1) Le décret de rappel avait été adopté antérieurement, à l'initiative de Critias, fils de Callaischros, comme lui-même en a fait mention dans ses Élégies, en rappelant au souvenir d'Alcibiade le service rendu, dans les termes suivants: "L'arrêt qui t'a fait rentrer, c'est moi qui entre tous l'ai formulé de vive voix et par écrit; c'est là mon oeuvre. Le sceau de notre arrêt se trouve ici marqué." (2) Alors, le peuple s'étant rendu à l'assemblée, Alcibiade survint et tantôt il pleurait et gémissait sur ses épreuves, tout en n'adressant à ses concitoyens, avec modération, que de faibles reproches, tantôt il mettait tout sur le compte de son mauvais sort et d'un dieu jaloux; s'étant très longuement étendu sur les espoirs des citoyens, les stimulant, les encourageant, il se vit décerner des couronnes d'or et nommer généralissime sur terre et sur mer. (3) Par un vote, on décida que sa fortune lui serait rendue et que les Eumolpides et les Kéryces détourneraient par une expiation les malédictions qu'ils avaient prononcées sur l'ordre du peuple. Alors que les autres se rétractaient, l'hiérophante Théodore affirma: "Pour ma part, je n'avais prononcé contre lui nulle malédiction, à moins qu'il ne commît un crime contre l'Etat." [34] (1) Alors qu'Alcibiade coulait ainsi avec éclat des jours heureux, la date de son retour commençait tout de même à troubler certains citoyens. C'est que le jour où il débarqua se célébraient les Plyntéries en l'honneur de la déesse - les Praxiergides célèbrent ces rites secrets le sixième jour de la fin de Thargélion, en ôtant la parure de la statue cultuelle et en la voilant entièrement. (2) De là vient que ce jour, qui est chômé, les Athéniens le mettent au nombre de ceux qui sont au plus haut point néfastes. La déesse avait donc l'air d'accueillir Alcibiade sans amitié ni bienveillance, en se cachant et en le repoussant. (3) Néanmoins, alors que tout s'était passé au gré d'Alcibiade et que l'on chargeait cent trières avec lesquelles il allait à nouveau prendre la mer, il lui vint une ambition qui n'était pas sans noblesse et qui le retint jusqu'aux Mystères. (4) Depuis le moment où Décélie avait été fortifiée et où les ennemis qui s'y trouvaient contrôlaient les accès vers Éleusis, le cortège d'initiation qu'on envoyait là-bas par mer n'avait plus aucun éclat;sacrifices, danses et quantité de rites qui se pratiquent en cours de route, lorsqu'on fait sortir Iacchos, étaient nécessairement abandonnés. (5) Dès lors Alcibiade jugeait beau, à la fois par piété envers les dieux et pour assurer son renom chez les hommes, de restituer aux cérémonies leur caractère ancestral, en envoyant par terre le cortège d'initiation et en lui assurant une garde du corps contre les ennemis; dans sa pensée, en effet, ou bien il abaisserait à coup sûr et humilierait Agis si celui-ci ne bougeait pas, ou bien lui-même engagerait un combat sacré, destiné à plaire aux dieux, pour les valeurs le plus saintes et les plus grandes: et ce, sous le regard de sa patrie, ayant pour témoins de son courage tous ses concitoyens. (6) Quand il eut pris cette décision et averti les Eumolpides et les Kéryces, il posta des sentinelles sur les hauteurs et, dès l'aube, dépêcha des éclaireurs vers l'avant. Dans le même temps, il prenait avec lui prêtres, mystes et mystagogues et, les entourant d'hommes en armes, il les conduisait en bon ordre et en silence, faisant de cette expédition un spectacle imposant et tellement digne des dieux que ceux qui n'étaient pas jaloux d'Alcibiade la qualifièrent d'hiérophantie et de procession d'initiation. (7) Comme nul ennemi n'avait osé l'attaquer et qu'il avait ramené en toute sécurité son monde en ville, il en fut personnellement soulevé d'orgueil et sut exalter l'armée, convaincue que, sous son commandement, elle était invincible et irrésistible. Quant au vulgaire et aux pauvres gens, il les flatta tellement, en démagogue, qu'ils désiraient avec une étonnante passion tomber sous son gouvernement souverain - certains allaient même jusqu'à le dire et venaient l'inciter à agir et à profiter des circonstances, sans craindre les délateurs, en se plaçant au-dessus de l'envie et en renversant décrets et lois - et, du même coup, les bavards qui perdent la cité. [35] (1) Quelle était son intention personnelle, relativement à la tyrannie, voilà qui est indiscernable; mais les plus puissants des citoyens, effrayés, s'appliquèrent à lui faire prendre le large au plus vite, lui ayant, entre autres choses, accordé par décret les collègues qu'il voulut. (2) Il appareilla avec ses cent navires, aborda à Andros et triompha des Andriens et des Lacédémoniens qui étaient là, mais il ne prit pas la ville, et ceci constitua le premier des nouveaux reproches formulés contre lui par ses ennemis. (3) Si quelqu'un a jamais semblé détruit par sa propre réputation, c'est bien Alcibiade. Car sa réputation d'audace et d'intelligence - qui était grande, vu les situations qu'il avait redressées - faisait que l'échec, dans son chef, était considéré avec méfiance, comme celui de quelqu'un qui a manqué d'application: on croyait, en effet, qu'il devait forcément réussir car, s'il se fût appliqué, rien ne lui eût échappé. Et l'on espérait même apprendre la prise de Chios et du reste de l'Ionie. (4) Aussi les Athéniens s'indignaient-ils d'apprendre qu'Alcibiade n'avait pas tout réalisé rapidement et immédiatement comme ils l'auraient voulu; ils ne prenaient pas en considération l'impécuniosité qui le contraignait, lui qui faisait la guerre à des gens largement pourvus par le Roi, à prendre la mer en abandonnant son camp pour fournir de son côté solde et nourriture. (5) L'ultime reproche de ses adversaires eut pour point de départ la raison que voici: Lysandre, qui avait été délégué par les Lacédémoniens au commandement naval, donnait à ses matelots quatre oboles au lieu de trois, sur les fonds qu'il avait reçus de Cyrus, tandis qu'Alcibiade lui-même n'arrivait que tout juste à leur en fournir trois; aussi dut-il s'éloigner pour faire de l'argent en Carie. (6) Or le surveillant commis à la garde des vaisseaux, Antiochos, était un bon pilote, mais par ailleurs un homme stupide et vulgaire. Alors qu'il avait reçu d'Alcibiade l'ordre de ne pas engager de combat naval, même au cas où les ennemis feraient voile contre lui, il se mit à déborder d'orgueil et d'arrogance au point d'équiper sa propre trière et l'une des autres pour faire voile vers Éphèse et d'aller longer les proues des navires ennemis, en faisant et criant force incongruités et bouffonneries. (7) Tout d'abord Lysandre gagna la haute mer avec un petit nombre de vaisseaux et le poursuivit; mais comme les Athéniens arrivaient à la rescousse, Lysandre prit le large avec tous ses navires et eut le dessus; il tua Antiochos, captura quantité de vaisseaux et d'hommes, et érigea un trophée. (8) Quand Alcibiade apprit cela, il revint à Samos, gagna le large avec toute sa flotte et provoqua Lysandre. Mais celui-ci se tenait satisfait de sa victoire et ne se lança pas à sa rencontre. [36] (1) Au nombre de ceux qui, dans le camp de Samos, haïssaient Alcibiade, il y avait Thrasybule, fils de Thrason, qui, dans des dispositions hostiles, partit pour Athènes afin de l'y mettre en accusation. (2) Et là, excitant les gens, il disait au peuple qu'Alcibiade avait ruiné les affaires et perdu ses vaisseaux parce qu'il se moquait bien de sa responsabilité de chef et livrait le commandement militaire à des hommes qui, au sortir de beuveries et de grossières farces de marins, prenaient sur lui un immense pouvoir; son commandement, il s'en était dessaisi afin de pouvoir, en toute sécurité, faire lui-même de l'argent en bourlinguant et se livrer à la débauche, en s'enivrant et en fréquentant des courtisanes d'Abydos et d'Ionie: tout cela, tandis que l'ennemi mouillait à peu de distance! (3) D'autre part, on lui reprochait aussi la construction du château-fort qu'il s'était aménagé en Thrace près de Bisanthè, en guise de refuge, comme s'il ne pouvait ou ne voulait pas vivre dans sa patrie. (4) Les Athéniens, édifiés, désignèrent d'autres stratèges, montrant par là leur colère et leur ressentiment contre lui. (5) Ce qu'apprenant, Alcibiade, saisi de crainte, quitta définitivement le camp. Ayant rassemblé des mercenaires, il faisait à titre personnel la guerre aux Thraces, qui étaient sans roi; il amassait une fortune considérable grâce à ses prises, en même temps qu'il assurait la sécurité vis-à-vis des Barbares des Grecs installés à proximité. (6) Les stratèges Tydée, Ménandre et Adimante avaient réuni à Aigos Potamoi tous les vaisseaux appartenant alors aux Athéniens et pris l'habitude de faire voile dès l'aube contre Lysandre, qui mouillait près de Lampsaque; ils le provoquaient, faisaient ensuite demi-tour et passaient leur journée d'une manière désordonnée et négligente, parce qu'ils étaient pleins de mépris pour l'adversaire. Alcibiade, qui se trouvait dans les parages, ne put souffrir cela dans l'indifférence et l'insouciance; arrivant à cheval, il représentait aux stratèges qu'ils étaient mal ancrés, à un emplacement dépourvu de port et de ville, qu'il leur fallait aller prendre le nécessaire bien loin de là, à Sestos, en tolérant que les équipages, chaque fois qu'on était à terre, errent et se dispersent à leur guise, alors même que mouillait en face d'eux une flotte importante, accoutumée à tout faire en silence au commandement d'un seul chef. [37] (1) Comme Alcibiade leur disait cela et conseillait d'ancrer la flotte à Sestos, les stratèges ne lui prêtèrent point d'attention et Tydée alla jusqu'à lui enjoindre avec insolence de se retirer: car, disait-il, ce n'était pas lui, Alcibiade, mais d'autres qui commandaient... (2) Alcibiade s'en alla, soupçonnant qu'il y avait en outre chez eux quelque intention de trahison et, à ses amis du camp qui l'escortaient, il disait que, s'il n'eût pas été ainsi insulté par les stratèges, en peu de jours, il eût contraint les Lacédémoniens à engager, même contre leur gré, un combat naval ou à abandonner leurs vaisseaux. (3) Aux yeux des uns, il faisait figure de vantard, mais pour d'autres il y avait de la vraisemblance à dire qu'il pourrait, en amenant de l'intérieur nombre de Thraces, lanceurs de javelots et cavaliers, attaquer par terre le camp ennemi et le mettre sens dessus dessous. (4) Que pourtant il avait nettement aperçu les fautes des Athéniens, c'est ce dont les faits témoignèrent assez vite. Lysandre étant soudain tombé sur eux, à l'improviste, huit trières seulement s'échappèrent, avec Conon, tandis que les autres - près de deux cents - furent emmenées prisonnières. Quant aux hommes, après en avoir capturé trois mille vivants, Lysandre les fit égorger. (5) En peu de temps, Lysandre s'empara aussi d'Athènes, brûla les vaisseaux et fit abattre les Longs Murs. (6) À la suite de cela, redoutant les Lacédémoniens désormais maîtres de la terre et de la mer, Alcibiade passa en Bithynie; il y achemina pas mal d'argent, en transportant beaucoup avec lui, en laissant davantage encore dans la forteresse qu'il habitait. (7) Mais en Bithynie, ayant à nouveau perdu pas mal de ses biens et s'étant vu piller par les Thraces de cette contrée, il décida de monter jusqu'à Artaxerxès; il pensait ne pas apparaître inférieur à Thémistocle, si le Roi le mettait à l'épreuve, et même supérieur pour ce qui est du mobile. (8) Alcibiade pensait en effet que ce n'était pas, comme Thémistocle, contre ses concitoyens, mais pour sa patrie et contre ses ennemis que lui-même prêterait ses services et ferait appel à la puissance royale; et quant à monter en toute sécurité jusqu'au Roi, estimant que Pharnabaze était parfaitement à même de lui en fournir le moyen, il partit chez lui, en Phrygie, où il passa quelque temps, à la fois en courtisan et en hôte comblé d'honneurs. [38] (1) Les Athéniens supportaient difficilement d'être privés de leur hégémonie. Mais lorsque Lysandre, allant jusqu'à leur enlever la liberté, eut livré la cité aux Trente, ils commencèrent à tenir (au moment où leurs affaires étaient désormais perdues!) des raisonnements qu'ils n'avaient pas faits alors qu'ils pouvaient se sauver; ils se lamentaient et passaient en revue leurs propres fautes et leurs ignorances, dont la pire, à leurs yeux, était leur seconde colère contre Alcibiade. (2) En somme, il avait été rejeté sans avoir lui-même aucun tort; parce qu'ils étaient irrités contre un sous-ordre qui leur avait vilainement perdu un petit nombre de vaisseaux, eux-mêmes, plus vilainement encore, venaient d'enlever à la cité son meilleur, son plus valeureux stratège. (3) Néanmoins, un obscur espoir surgissait encore des circonstances présentes: les affaires athéniennes n'étaient pas définitivement perdues puisque Alcibiade était en vie... Pas plus que cet homme-là ne s'était contenté par le passé de vivre un exil sans souci, bien tranquille, pas davantage à présent, s'il dispose de moyens suffisants, il ne verra d'un oeil indifférent l'insolence des Lacédémoniens et les excès des Trente. (4) Il n'était pas absurde que la plupart des Athéniens rêvent ainsi, alors qu'il venait aussi à l'esprit des Trente de se préoccuper, de s'informer et de tenir le plus grand compte de ce que faisait et méditait Alcibiade. (5) Finalement, Critias expliqua à Lysandre que, si les Athéniens vivaient en démocratie, il ne serait pas possible aux Lacédémoniens de gouverner tranquillement la Grèce; et même si les Athéniens sont parfaitement calmes et bien disposés vis-à-vis de l'oligarchie, jamais Alcibiade, de son vivant, ne les laissera rester inertes en présence de l'ordre établi. (6) Mais en fait, Lysandre ne fut point convaincu par ces conseils, jusqu'à ce que lui parvienne, de la part des magistrats en fonction dans sa cité, une scytale lui ordonnant de se débarrasser d'Alcibiade - soit parce que les Spartiates redoutaient eux aussi la finesse et le dynamisme de cet homme-là, soit parce qu'ils voulaient faire plaisir à Agis. [39] (1) Or donc Lysandre dépêcha un messager auprès de Pharnabaze, l'invitant à exécuter l'ordre, et celui-ci confia l'affaire à son frère Bagaios et à Sousamithès, son oncle. Alcibiade se trouvait alors séjourner dans un village de Phrygie, où il demeurait avec la courtisane Timandra, et il eut durant son sommeil la vision suivante: (2) il lui semblait qu'il était lui-même revêtu du vêtement de sa compagne, tandis qu'elle, lui tenant la tête dans ses bras, lui arrangeait le visage comme celui d'une femme, le fardant et l'enduisant de céruse. (3) Une deuxième version prétend qu'Alcibiade vit durant son sommeil Bagaios lui couper la tête, et son corps brûlé. De toute façon la vision se produisit, dit-on, peu de temps avant sa mort. (4) Ceux qui avaient été envoyés pour l'assassiner n'osèrent pas entrer, mais ils encerclèrent la maison et l'incendièrent. (5) Alcibiade s'en aperçut, rassembla le plus grand nombre possible de manteaux et de couvertures et les jeta sur le feu; puis il roula sa chlamyde autour de son bras gauche, saisit son poignard de la main droite et se précipita dehors, sans être atteint par le feu, avant que les étoffes commencent à flamber; et par sa seule vue, il dispersa les barbares. (6) Car nul ne l'attendit de pied ferme et n'en vint aux mains avec lui: c'est en se tenant à distance qu'ils le criblaient de javelots et de flèches. (7) Lorsqu'il fut tombé ainsi et que les barbares furent partis, Timandra releva le cadavre, l'enveloppa et l'ensevelit dans ses propres tuniques et, utilisant ce dont elle disposait, elle lui rendit les honneurs funèbres avec un éclat empreint de vénération. (8) Cette Timandra eut pour fille, dit-on, Laïs appelée la Corinthienne mais qui, en réalité, avait été faite prisonnière à Hyccara, bourgade de Sicile. (9) Concernant la mort d'Alcibiade, il y a néanmoins des gens qui, tout en étant d'accord dans l'ensemble avec ce que je viens de relater, prétendent que la véritable responsabilité, ce n'est ni Pharnabaze, ni Lysandre, ni les Lacédémoniens qui l'ont assumée: c'est Alcibiade lui-même, disent-ils, qui, ayant séduit une jeune femme d'un milieu en vue, la gardait avec lui; les frères de cette femme, ulcérés par l'affront, incendièrent nuitamment la maison où vivait Alcibiade et l'abattirent comme on l'a dit, alors que, traversant le feu, il bondissait au dehors.