[9,0] LIVRE NEUVIÈME. PRÉAMBULE. Le neuvième livre des questions de table, cher Sossius Sénécion, renferme les propos qui furent tenus à Athènes durant les fêtes des Muses, attendu que la neuvaine convient tout particulièrement aux Muses. D'autre part, bien que le nombre des questions excède ici la dizaine habituelle, il n'y a pas lieu de s'en étonner : car il fallait rendre aux Muses ce qui appartient aux Muses, sans en enlever quoi que ce soit, non plus qu'à des choses sacrées ; et à ces déesses sont dus des hommages plus nombreux encore et plus beaux que ce que nous leur offrons ici. [9,1] QUESTION I. Sur les vers qui sont cités à propos, et sur ceux que l'on invoque à contre-temps. PERSONNAGES DU DIALOGUE : AMMONIUS - PLUTARQUE - ERATON - DES INSTITUTEURS - PLUSIEURS FAMILIERS D'AMMONIUS. 1. Ammonius exerçant à Athènes la première magistrature, avait accepté, pour être agréable à Diogénien, la présidence d'un examen que devaient subir les jeunes élèves de ce dernier sur la littérature, la géométrie, la rhétorique et la musique; et il invita à souper ceux des instituteurs qui avaient le plus de renom. Il s'y trouva aussi un grand nombre d'autres amis des bonnes études, et, tout naturellement, les familiers d'Ammonius. Or Achille ne promettait une invitation à souper qu'à ceux des combattants qui se seraient mesurés corps à corps : voulant, dit-on, que si dans la lutte il s'était élevé entre eux de la colère et du ressentiment, ils pussent s'en défaire et y renoncer en prenant place au même festin et à une table commune. Dans la réunion ménagée par Ammonius il arriva tout le contraire. La rivalité et la jalousie des instituteurs devint plus vive quand ils eurent le verre à la main; et c'étaient des défis, des provocations sans ordre ni jugement. 2. Aussi Ammonius invita-t-il d'abord Ératon à chanter en s'accompagnant de la lyre. Ératon fit alors entendre des vers qui se trouvent au commencement du poème des Travaux et des Jours, "Bien nombreux sont, hélas! les sujets de querelles". Ammonius le complimenta sur l'à-propos avec lequel ce passage avait été choisi. Puis il fit tomber l'entretien sur le talent que l'on peut mettre à produire des citations en vers : ce qui est non seulement agréable, mais encore, parfois, d'une grande utilité. Aussitôt tous les convives eurent à la bouche le nom de ce rhapsode qui, à l'occasion du mariage de Ptolémée avec sa propre soeur, union regardée comme étrange et illicite, avait commencé par ces vers : "S'adressant à Junon, sa soeur et son épouse, Jupiter ...". On parla aussi d'un autre, qui, à la table du roi Démétrius, montrait peu d'empressements à chanter après le repas; et comme le monarque eut envoyé vers lui sa royale progéniture, Philippe, encore tout petit enfant, le rhapsode jeta aussitôt ces vers : "En élevant mon fils sachez le rendre digne Et d'Hercule et de nous ...". On fit encore mention d'Anaxarque, qui, assailli de pommes par Alexandre dans un souper, se leva et dit : "Un dieu sera blessé de la main d'un mortel". Mais ce que l'on trouva de plus excellent ce fut le trait d'un Corinthien tout jeune, fait prisonnier au sac de la ville. Mummius ayant ordonné aux enfants de condition libre qui avaient de l'instruction d'écrire un vers sous ses yeux, le jeune captif traça celui-ci : "Trois fois heureux les Grecs qui périrent alors!" On dit, en effet, que Mummius se sentit ému, qu'il versa des larmes, et renvoya libres tous ceux qui appartenaient à la famille de l'enfant. On mentionna également la femme du tragédien Théodore. Elle n'avait pas voulu le recevoir dans son lit parce que l'époque du concours approchait; et lorsque vainqueur il fut revenu près d'elle, elle l'embrassa en disant : "Tu le peux à cette heure, ô fils d'Agamemnon". 3. A la suite de ces exemples on s'avisa de rappeler aussi, comme n'étant pas inutiles à savoir et à éviter, nombre de citations faites mal à propos. Ainsi, le grand Pompée revenant d'une expédition militaire, on rapporte que l'instituteur de sa fille voulut lui donner un échantillon du savoir de l'enfant. Il fit apporter un livre, et, le présenta à sa petite élève à cet endroit : "Tu reviens des combats: que n'y périssais-tu!" Ln bruit vague, parvenu aux oreilles de Cassius Longinus, lui avait annoncé que son fils était mort à l'étranger. Il ne pouvait ni savoir la vérité, ni dissiper ses inquiétudes, lorsque entra chez lui un sénateur, déjà vieux. «Longinus, lui dit ce personnage, ne mépriserez-vous pas la renommée, cette bavarde mal intentionnée qui ne mérite aucune créance? Est-ce vous qui pouvez ignorer et n'avoir pas lu ce vers : "La renommée est loin d'être en tout lettre morte"? Une autre fois, à Rhodes, un grammairien, qui donnait une représentation sur le théâtre, demanda qu'un vers lui fût proposé. Quelqu'un lui présenta celui-ci : "Fuis de cette ile, ô toi la honte des vivants!" On ne sait si c'était pour l'insulter par une plaisanterie ou si ce fut une maladresse involontaire. La mention de ces diverses anecdotes fut un à-propos fort spirituel, qui apaisa tout le désordre. [9,2] QUESTION II. Pour quelle raison la lettre A est mise la première. PERSONNAGES DU DIALOGUE : PLUTARQUE — AMMONIUS — HERMIAS — PROTOGENE. 1. C'était l'usage dans les fêtes consacrées aux Muses, de colporter des sorts par la ville ; et ceux que le tirage avait mis ensemble se proposaient mutuellement des questions littéraires. Ammonius craignit que des gens de même profession ne se trouvassent appareillés. Il décida que, sans tirer au sort, le géomètre proposerait une question au grammairien, le musicien au rhéteur, et qu'ensuite les rôles seraient réciproquement échangés. 2. En conséquence Hermias, le géomètre, proposa le premier au grammairien Protogène la question suivante : pourquoi la lettre A est-elle placée avant toutes les autres? Protogène en donna pour cause la raison qui a cours dans les écoles : "Les voyelles, dit-il, ont, à bon droit, le pas sur les consonnes et les demi-voyelles". Or, parmi les voyelles les unes étant longues, les autres, brèves, et d'autres, douteuses et à deux temps, ces dernières ont, de toute justice, une plus grande importance. Parmi elles, à leur tour, la priorité appartient à celle qui par nature précède les deux autres et ne se place jamais derrière elles : c'est l'A. En effet l'A ne saurait consentir à marcher après l'I ni après l'U; il ne se subordonne jamais à ces lettres de manière à former avec elles une seule syllabe; au contraire, il bondit loin du dernier rang avec une sorte d'indignation, parce qu'il veut toujours avoir la place qui lui est propre. Mais du moment qu'il les précède, soit l'une, soit l'autre, à votre choix, il accepte leur société et leur coopération pour former des syllabes, comme nous le voyons dans les mots g-aurion, g-auléin, g-Aïas, g-aideisthai, et une foule d'autres. Ainsi, comme il arrive aux vainqueurs du pentathle, la supériorité est acquise à l'A sur les trois autres espèces de lettres. Il triomphe des plus nombreuses : à savoir des consonnes, parce qu'il est voyelle; des voyelles, parce qu'il est de celles qui ont deux temps; et enfin de ces dernières, parce que de sa nature il les précède, au lieu de jamais marcher derrière elles et à leur suite. 3. Quand Protogène eut fini, Ammonius m'interpella en ces termes : «Ne prêterez-vous pas, vous, Béotien, votre assistance à Cadmus, qui assigna, dit-on, la première place de toutes à l'A, parce que Alpha est le nom que les Phéniciens donnent au boeuf, faisant de lui, non pas le second ou le troisième, comme Hésiode, mais le premier des animaux indispensables?» — «Non, répondis-je, car mon devoir est de venir en aide à mon grand-père, si j'ai quelque pouvoir, plutôt que je ne dois secourir le fils de Bacchus. Or mon grand-père Lamprias disait, que la première voix distincte et articulée que l'homme émette, il la prononce par la puissance de l'A; que l'air prend une forme dans la bouche, surtout grâce au mouvement des lèvres, et que quand celles-ci s'écartent, leur ouverture donne naissance avant les autres sons à celui de l'A, le plus simple de tous, le plus facile à exécuter; que ce son ne réclame pas le secours de la langue : qu'il n'attend pas cet auxiliaire, et qu'il s'émet au dehors sans que la langue sorte de son immobilité; que pour cette raison c'est la première voix poussée par les petits enfants, et que pour cette raison encore le mot g-aiein signifie "entendre" de même que beaucoup d'autres mots commençant par cette même lettre ont une signification analogue : g-adein, "chanter", g-auleîn, "jouer de la flûte", g-alaladzeïn, "pousser des cris de guerre". Je crois que pareillement les verbes g-aireïn, «hausser», g-anoiguein, "ouvrir", ont dû, non sans motif, leur composition à ce fait, que les lèvres se haussent et s'ouvrent quand elles veulent donner passage au son de l'A dans la bouche. Qui plus est, les noms des consonnes, à l'exception d'une seule, ont besoin du concours de l'A pour être prononcés : il semble que ce soit une lumière indispensable pour les éclairer, comme autant d'aveugles. Cette consonne unique est le pi, dans la prononciation duquel la puissance de l'A n'entre pour rien; car pour le phi et pour le chi, ils ne sont autre chose qu'un pi et un cappa aspirés.» [9,3] QUESTION III. Quelle analogie a présidé au nombre des voyelles et des demi-voyelles. PERSONNAGES DU DIALOGUE : HERMIAS. - PLUTARQUE. - ZOPHYRION. 1. En présence de ces explications, Herméas déclara qu'il approuvait les unes aussi bien que les autres. "Qui vous empêche à votre tour, lui dis-je, de nous donner la raison du nombre adopté pour les lettres de l'alphabet? Quant à moi, je suppose qu'il y en a une ; et ce qui me le fait conjecturer, c'est que le rapport numérique des consonnes et des demi-voyelles, soit mutuellement, soit avec les voyelles, n'est pas un effet du hasard : il est formé selon la première des proportions, celle que nous appelons proportion arithmétique. Le nombre des lettres étant sept, huit, neuf, il se trouve, de cette manière, que le nombre du milieu dépasse le premier et est dépassé par l'autre; et le plus grand des deux extrêmes est au plus petit comme le nombre des Muses est au nombre d'Apollon. Car le "neuf" est attribué aux Muses, le "sept" au Dieu qui les dirige; et joints ensemble, ces deux nombres représentent le double du chiffre moyen. Cela doit être, puisque les demi-voyelles participent jusqu'à un certain point aux propriétés des consonnes et des voyelles". 2. Ici Hermias prit la parole : «Mercure, dit-il, est le premier, parmi les dieux, qui passe pour avoir inventé les lettres en Egypte. Voilà aussi pourquoi les Egyptiens figurent la première lettre de leur alphabet par un ibis, attendu que cet oiseau est consacré à Mercure. Ils ont tort, du moins à mon avis : puisque c'est donner la préséance sur toutes les lettres à une d'elles qui n'émet ni voix ni son. Le nombre est attribué particulièrement à Mercure; et plusieurs, en outre, racontent que ce dieu naquit le quatrième jour d'un mois. Le chiffre 4, multiplié par 4, représente le nombre des premières lettres, appelées phéniciennes à cause de Cadmus. De celles qui furent trouvées plus tard, Palamède en inventa le premier quatre, puis ensuite Simonide en ajouta un nombre égal. Or, de tous les nombres le premier nombre parfait est d'abord 3, comme ayant commencement, milieu et fin; après lui, c'est 6, nombre évidemment égal à ses propres parties. Si maintenant on examine ces deux nombres, on voit que 6 multiplié par 4, et aussi 3 multiplié par le premier cube, donnent pareillement une même somme, qui est vingt-quatre". 3. Comme il parlait encore, nous vîmes le grammairien Zopyrion rire et murmurer entre ses dents. Quand l'autre eut fini, Zopyrion ne se contint plus et traita toutes ces observations de pures niaiseries. Il soutint que c'était sans aucune intention, mais fortuitement, que le nombre des lettres est ce que nous le voyons être. «Comme aussi, ajouta-t-il, le premier vers de l'Iliade renferme autant de syllabes que le premier vers de l'Odyssée, et le dernier de l'une, autant que le dernier de l'autre. Or c'est par hasard; et ces ressemblances se sont produites indépendamment de toute préméditation. [9,4] QUESTION IV. A laquelle des deux mains Diomède blessa Vénus. PERSONNAGES DU DIALOGUE : PLUTARQUE - HERMIAS - ZOPYRION - MAXIME. 1. Quand Zopyrion eut fini, Hermias voulait riposter et lui répondre ; mais nous nous y opposâmes. Alors, du bout de la table, le rhéteur Maxime interpella le même Zopyrion. Prenant son texte dans les poésies d'Homère, il lui demanda à laquelle des deux mains Vénus avait été blessée par Diomède. Incontinent Zopyrion, à son tour, le somma de dire quelle était la jambe dont boitait Philippe. «Ce n'est pas la même chose, allégua Maxime : car Démosthène n'a fourni aucune probabilité à cet égard, tandis que, si vous déclarez votre ignorance, d'autres vous démontreront comment le poète désigne aux esprits sagaces à quelle main fut blessée Vénus.» Zopyrion nous parut fort embarrassé; et comme il restait muet, nous priâmes Maxime de produire sa démonstration. 2. Eh bien , dit Maxime, remarquons premièrement ces deux vers "Bondissant de côté, Diomède s'élance, Et la blesse à la main par le fer de sa lance". Il est clair que s'il avait voulu blesser Vénus à la main gauche, il n'aurait pas eu besoin de faire un bond de côté, puisqu'en s'élançant il se trouvait avoir la main gauche de la déesse en face de sa propre main droite. Or on s'explique bien que ce soit la main la plus vigoureuse, la main qui s'attachait le mieux à Énée et qui le soulevait, que Diomède veuille atteindre, afin qu'étant blessée, la déesse lâche le corps de son fils. Seconde raison : quand Vénus est retournée au ciel, Minerve éclate de rire, et lui dit : "Nul doute que Vénus, arrivant de la Grèce, N'ait pour ses chers Troyens ému mainte princesse Qu'elle aura caressée, et dont l'agrafe d'or Aura piqué ses doigts ...". Je pense, dit Maxime, que vous aussi, le plus affectueux des maîtres, toutes les fois que par amitié vous flattez et caressez un de vos disciples, ce n'est pas de la main gauche que vous vous y prenez, mais de la droite. De même, il est vraisemblable que Vénus, la déesse aux mouvements les plus adroits, aurait, avec sa main droite aussi, fait des amitiés aux princesses grecques. [9,5] QUESTION V. Pourquoi Platon a dit «que l'âme d'Ajax était venue la vingtième au sort.» PERSONNAGES DU DIALOGUE PLUTARQUE — HYLAS — SOSPIS — AMMONIUS — LAMPRIAS. 1. Ce que Maxime venait de dire avait charmé tout le monde. Seul Hylas, le grammairien, gardait le silence et il avait l'air accablé : car il n'avait pas du tout réussi dans les exercices publics Le rhéteur Sospis, voyant cette tristesse, s'écria : "Du fils de Télamon l'âme est seule à l'écart ..." et il continua en élevant la voix du côté d'Hylas, jusqu'à ce . qu'il eût achevé tout le passage, qui se termine ainsi : "Pour entendre ma voix, seigneur, approchez-vous; Et calmez un instant votre bouillant courroux". Hylas, encore tout troublé par son mécontentement, répondit, et rien n'était plus gauche, que l'âme d'Ajax étant descendue dans les enfers la vingtième au sort avait, s'il faut en croire Platon, reçu, en échange de sa nature, celle du lion. «Quant à moi, ajouta-t-il, ces vers du vieillard de la comédie se représentent bien souvent à ma pensée : "Mieux vaut être baudet, qu'avoir devant ses yeux De qui ne nous vaut pas le bonheur scandaleux". A quoi Sospis répondit en riant : «Eh bien, en attendant que nous entrions dans la peau d'un baudet, et pour peu que vous preniez à coeur de justifier Platon, apprenez-nous en raison de quoi il avance que l'âme du fils de Télamon arriva, par le sort, la vingtième à faire son choix." Hylas refusait de répondre, croyant qu'on le plaisantait sur sa mauvaise réussite. Mon frère alors prenant la parole : "Eh quoi! dit-il, Ajax n'a-t-il pas constamment, pour la beauté, pour la grandeur et pour la bravoure, le second rang après l'irréprochable fils de Pélée" ? Or, vingt est la seconde dizaine; et parmi les nombres dix est le plus excellent, comme Achille l'était entre tous les Grecs.» Nous éclatâmes de rire. «Mon cher Lamprias, dit alors Ammonius à mon frère, gardez ces arguments pour vos plaisanteries à l'égard d'Hylas, mais nous autres, traitez-nous sans badinage; et, puisque vous avez accepté volontairement la parole discourez avec tout le sérieux possible sur cette question. 2. Lamprias fut d'abord déconcerté ; mais un instant lui suffit pour se recueillir, et il commença : Nous voyons souvent Platon jouer sur les mots; mais c'est lorsqu'il mêle quelque fable à ses réflexions touchant l'âme, c'est alors surtout qu'il exerce son esprit de cette façon. A la nature intelligente du ciel il donne le nom de "char ailé", pour figurer la révolution harmonieuse de l'univers; et dans le passage en question, où un messager apporte des nouvelles de l'enfer, il fait de ce messager un Pamphylien, à qui il donne pour père Harmonius et qu'il appelle Her. Il fait entendre par là, que c'est suivant des lois harmoniques que les âmes sont produites et se combinent avec les corps; qu'une fois détachées de ceux-ci, elles se répandent de tous côtés dans l'air, et que de l'air elles retournent encore à de secondes générations. Or, rien empêche-t-il que ce mot "eicoston" soit mis non dans le sens réel, mais dans celui de vraisemblable», "éicos", et que ce soit une façon de parler, pour dire que les choses se produisent comme par lots, à savoir au hasard, "eikê", et fortuitement'? Platon s'attache toujours aux trois causes efficientes : parce que le premier, ou mieux que personne, il a vu comment la Fatalité se concerte avec la Fortune, et comment, d'un autre côté, notre libre arbitre se mêle et s'arrange avec ces deux principes, séparés ou réunis. Dans le passage dont il est question maintenant, notre philosophe donne merveilleusement bien à comprendre quelle est l'influence exercée par chacune de ces causes sur nos affaires. Il attribue le choix des conditions à notre libre arbitre : car la vertu ne reconnaît point de maître qui la domine, pas plus que ne fait le vice. Que l'on vive bien quand on a fait un choix sage, et mal quand on a mal choisi, Platon en fait une nécessité du destin. Enfin les chances des sorts disséminés sans ordre sont ce qui donne entrée à la Fortune dans les systèmes d'éducation, dans les gouvernements, selon que les choses se rencontrent pour chacun de nous; et, en ce qui nous concerne, cette déesse prend plus d'une fois les devants. C'est le cas de se demander s'il n'y a pas inconséquence à rechercher la cause de ce qui se fait fortuitement : attendu que si l'on attribuait au sort quelque raison, il ne serait plus l'oeuvre de la Fortune, il ne serait plus du hasard, et l'on serait contraint d'y admettre une sorte de Destin et de Providence." 3. Pendant que Lamprias parlait encore, le grammairien Marcus semblait supputer et faire des calculs en lui-même. Il prit la parole dès que mon frère eut cessé : "Entre toutes les âmes dénommées par Homère dans son évocation des ombres, il faut, dit-il, remarquer celle d'Elpénor. Non encore mêlée avec celles de l'enfer, faute de la sépulture de son corps, elle erre comme sur les confins des deux mondes. Pour l'âme de Tirésias, il n'y a nullement lieu de la compter en même temps que les autres; "Car la reine des morts au seul Tirésias Laissa l'intelligence au delà du trépas". Ce fut la seule âme qui pût converser avec les vivants et comprendre leur langage avant d'avoir bu le sang. Si donc, ô Lamprias , ayant retranché ces deux âmes vous comptez les autres, vous arriverez encore à ce résultat, que l'âme d'Ajax fut la vingtième à se présenter devant les yeux d'Ulysse. C'est là ce que Platon fait comprendre en se jouant, et en donnant à cette fantaisie la couleur de l'évocation qui se trouve dans Homère.» [9,6] QUESTION VI. Ce que veut donner à entendre la fable où il est question de la défaite de Neptune; et, à ce propos, pourquoi les Athéniens suppriment le deuxième jour du mois Boédromion. PERSONNAGES DU DIALOGUE. PLUTARQUE. - MÉNÉPHYLE. - HYLAS. - LAMPRIAS. 1. Ici un tumulte général s'éleva, et le Péripatéticien Ménéphyle, tout en s'adressant à Hylas : «O mes amis, dit-il, vous voyez que la question n'était ni une plaisanterie ni une injure pour personne; mais laissez là, mon cher, ce malencontreux Ajax, dont le nom seul, comme dit Sophocle, est de fâcheux présage ; et rangez-vous du côté de Neptune. Vous-même avez coutume de nous raconter que ce dernier fut souvent vaincu, ici-même par Minerve, à Delphes par Apollon, en Argolide par Junon, à Egine par Jupiter, à Naxos par Bacchus, et que partout il resta plein de douceur, que jamais il ne manifesta aucun ressentiment à la suite de tant d'échecs. Aussi en ces lieux un temple lui est-il commun avec Minerve, et dans ce temple est élevé un autel de l'Oubli.» Hylas, comme devenu plus joyeux, lui répondit : «Il est une chose, Ménéphyle, à quoi vous ne songez plus : c'est que nous avons supprimé aussi le deuxième jour de Boédromion : non par rapport à la lune, mais parce que ce fut le jour où le dieu et la déesse, à ce qu'il paraît, se disputèrent touchant l'Attique. — Neptune, dit alors Lamprias, s'est montré, sous tous les rapports, un politique beaucoup plus habile que Thrasybule. Bien que n'étant pas vainqueur comme lui, et au contraire, étant vaincus...» {lacune} [9,7] QUESTION VII. Pour quelle raison les accords de musique sont divisés en trois espèces. [9,8] QUESTION VIII. Par quoi diffèrent les intervalles et les accords en musique. [9,9] QUESTION IX. Quelle cause produit l'accord en musique; et, à ce propos, pourquoi deux accords étant touchés ensemble, c'est du plus grave que prévaut la mélodie. [9,10] QUESTION X. Pourquoi, bien que les révolutions elliptiques du soleil et de la lune soient inégales en nombre, la lune parait subir des ellipses plus fréquentes que le soleil. [9,11] QUESTION XI. Que nous ne restons jamais les mêmes, attendu que la substance progresse toujours. [9,12] QUESTION XII. La somme des étoiles fait-elle un nombre pair ou un nombre impair? Lequel est plus vraisemblable. PERSONNAGES DU DIALOGUE : PLUTARQUE - GLAUCIAS - SOSPIS - PROTOGENE. «- - - et tromper les hommes avec des serments». Alors Glaucias : J'ai entendu accuser de ce propos le tyran Polycrate; et il est concevable qu'on l'impute également à d'autres. Mais pourquoi faites-vous cette question? «C'est tout simplement, dit Sospis, parce que je vois l'enfance jouer à pair ou non avec les dés, et les académiciens faire de même avec les questions. Des estomacs tels que les leurs ne diffèrent nullement des bambins, qui demandent si ce qu'ils tiennent dans leur main close est en nombre pair ou en nombre impair.» Ici Protogène se leva, et m'interpellant par mon nom : «A quoi pensons nous donc? dit-il. Nous permettons que ces rhéteurs se complaisent à rire des autres, sans se laisser questionner eux-mêmes et sans apporter leur écot à nos entretiens! Peut-être, par Jupiter, allégueront-ils qu'ils n'ont rien à voir dans une réunion où circule le vin, parce qu'ils sont les panégyristes, les imitateurs de Démosthène, et que cet orateur, dans toute sa vie, n'en but jamais une seule goutte. — N'attribuez pas leur silence à cette cause, répondis-je : elle tient à ce que nous ne leur avons adressé aucune question. Toutefois, si vous n'en avez pas quelqu'une qui soit plus utile, j'ai envie de leur en proposer une tirée des questions oratoires qui sont dans Homère, et relative à la contradiction de certaines lois entre elles. [9,13] QUESTION XIII. Sur la question de "lois contraires les unes aux autres", qui se trouve dans le troisième livre de l'Iliade. PERSONNAGES DU DIALOGUE : PLUTARQUE — GLAUCIAS — SOSPIS — PROTOGENE. 1. «Quelle est cette question? demanda Protogène. — Je vais vous le dire, répondis-je, et en même temps la proposer à ceux-ci : qu'ils veuillent donc bien me prêter attention. Le poète nous montre Pâris formulant son défi avec certaines conditions : "Qu'on nous mette en champ clos et Ménélas et moi, Et qu'une convention devienne notre loi : C'est qu'Hélène, sa main, ses trésors et son coeur, Reviendront en partage au fortuné vainqueur". Et à son tour Hector, prenant la parole, proclame le défi de son frère, en présence de tous et il tient presque le même langage : "Obéissez tous, Grecs et Troyens, sans murmure, Et sur le sol fécond déposez votre armure. Ménélas en champ clos va combattre Pâris: Hélène et ses trésors du vainqueur sont le prix". Ménélas accepte; et les serments des deux rivaux scellent les conditions qu'Agamemnon résume en ces termes : "Si ton rival, Pâris, descend aux sombres bords, A toi la belle Hélène avec tous ses trésors; Mais si c'est Ménélas qui doit t'arracher l'âme, Que Ménélas remmène et ses biens et sa femme ...". Ménélas est vainqueur, mais il n'a pas tué son rival. Alors les deux partis reprennent leurs prétentions, et repoussent vigoureusement celles des ennemis. Les Grecs réclament, attendu que Pâris a été vaincu; les Troyens refusent, attendu qu'il n'est pas mort. Quel est, continuai-je, le moyen de prononcer le plus équitablement en ce débat, et comment régler un différend de cette nature? Ce n'est pas une besogne de philosophes ou de grammairiens : il y faut des rhétoriciens versés avec amour, comme vous autres, dans les lettres et la philosophie. 2. Sospis opina donc que ce qui devait prévaloir, c'était la déclaration de celui qui avait provoqué. Selon lui elle avait force de loi. L'agresseur a prononcé les conditions du combat; et ceux qui ont accepté ces conditions, qui y ont donné leur adhésion, ne sont plus maîtres d'y rien ajouter. Or la provocation n'avait pas parlé de meurtre et de trépas, elle n'avait mentionné que la victoire et la défaite. Du reste, c'était justice : car la princesse devait appartenir au meilleur des deux; et le meilleur, c'est celui qui remporte la victoire. Souvent il arrive que des braves meurent de la main des lâches, comme plus tard Achille mourut percé d'une flèche qu'avait lancée Pâris. Vous ne diriez pas, je suppose, continua Sospis, qu'Achille eut le dessous parce qu'il fut tué; vous appelleriez non pas victoire mais bonheur injuste, le coup qui le frappa. Au contraire, Hector fut réellement vaincu avant d'être tué, parce qu'il n'avait pas reçu le choc du héros, mais que, saisi de terreur, il avait pris la fuite. Refuser le combat, tourner le dos, voilà ce qui constitue une défaite sans excuse, voilà ce qui est un aveu de la supériorité de son rival. Aussi, tout d'abord, quand Iris porte la nouvelle à Hélène, elle lui dit : "La javeline en mains ils combattront pour toi, Et de l'heureux vainqueur tu subiras la loi". Ensuite Jupiter décerne à Ménélas le prix de la victoire en lui adressant ces mots : "Le vainqueur, sans nul doute, est l'heureux Ménélas". Car ce serait chose risible, si Ménélas était reconnu vainqueur de Podès, frappé par lui d'un javelot à l'improviste et sans défiance, et si, lorsqu'un adversaire refusant le combat s'enfuit comme un esclave, pour aller se cacher dans les bras d'une femme, lorsqu'il est dépouillé tout vif de ses armes, si, dis-je, ce même Ménélas n'était pas alors jugé digne de recueillir le prix du combat, si, d'après les termes mêmes du défi formulé par son adversaire, il n'était pas reconnu meilleur que celui-ci et proclamé son vainqueur.» 3. Glaucias prit alors la parole : «D'abord, dit-il, en matière de décrets, de lois, de traités, de conventions, les clauses que l'on stipule en dernier sont regardées comme plus valides et plus puissantes que les premières. Or les conditions posées en dernier lieu sont ici celles d'Agamemnon, et elles énoncent la mort du vaincu et non pas simplement sa défaite. Ensuite ce qu'a proposé Ménélas, il ne l'a formulé que par des paroles; ce que déclare Agamemnon est, de plus, suivi de serments. On y voit s'ajouter contre les transgresseurs des imprécations auxquelles se sont associés et que ratifient, non pas un seul homme, mais tous les Grecs : de manière que ce second pacte devient celui qui fait loi, et les autres paroles ne sont que des provocations. C'est ce que confirme Priam, qui, après avoir juré les articles du combat, se retire en disant : "Jupiter et les dieux du Ciel n'ignorent pas A qui des deux le sort réserve le trépas". Il savait que les conditions avaient été faites en ce sens. Aussi, un instant après, Hector dit : "Jupiter a rendu les serments inutiles". Car le combat est demeuré imparfait et l'issue en a été indécise, aucun des deux rivaux n'ayant succombé. Il n'y a donc pas, à mon avis du moins, de contradiction à chercher ici. Les secondes conventions renferment implicitement les premières, puisqu'il y est dit : qui tuera aura vaincu, et non pas, qui aura vaincu tuera. Pour nous résumer, Agamemnon n'a pas annulé la provocation d'Hector, mais il en a rendu les termes les plus clairs; il n'y a changé rien : il y a seulement ajouté la clause la plus importante, en attribuant la victoire à qui donnerait la mort. De fait, c'est la seule victoire qui soit complète. Les autres font naître des prétextes allégués et des doutes : comme il arriva pour celle de Ménélas, qui n'avait ni blessé ni poursuivi son adversaire. De même, donc, que là où les conventions présentent des points qui sont en désaccord, les juges s'attachent à ce qui n'a rien de litigieux et laissent de côté toute équivoque; de même, ici, c'est la clause qui donne le résultat le plus incontestable, un résultat appréciable pour tous, c'est cette clause qu'il faut estimer comme la plus certaine et la plus valable. Mais voici le principal argument : celui qui semble avoir l'avantage ne se désiste ni ne s'interrompt dans la poursuite d'un rival pressé de fuir; il cherche de toutes parts, au sein de la mêlée, "S'il pourra rencontrer Pâris, le beau Pâris". Il témoigne ainsi que sa victoire est incomplète et qu'elle n'a aucune valeur, puisque son ennemi lui a échappé en fuyant. Il n'a pas oublié les paroles par lui-même prononcées : "Que celui de nous deux qu'atteindra le destin Meure, et que les guerriers se dispersent soudain". Aussi a-t-il nécessairement dû s'attacher à la poursuite de Pâris afin que, l'ayant mis à mort, il accomplît dans son entier l'oeuvre du combat. Mais ne l'ayant ni pris ni tué, il n'est pas fondé en justice à réclamer le prix de la victoire. Non, il n'a pas été vainqueur; et je n'en veux pour preuve que ses propres paroles, puisqu'il accuse Jupiter et qu'il se lamente sur sa mauvaise réussite : "Jupiter, aucun dieu n'égale ta rigueur. Je croyais sur Pâris venger mon déshonneur; Voilà que mon épée entre mes mains se brise, Et l'infâme à mes coups échappe par surprise". Il convient lui-même que ce n'est rien d'avoir pourfendu le bouclier de Pâris, de s'être emparé du casque tombé de sa tête, puisqu'il n'a ni atteint ni tué son adversaire. [9,14] QUESTION XIV. Considérations, non communément reproduites, touchant le nombre des Muses. PERSONNAGES DU DIALOGUE : HÉRODE — AMMONIUS — LAMPEIAS — TRYPIION — DENYS MONÉPHYLE — PLUTARQUE. 1. A la suite de ces propos, nous offrîmes des libations aux Muses en l'honneur d'Apollon qui conduit le choeur des Muses. Nous chantâmes le Péan, et nous récitâmes, pendant qu'Eraton nous accompagnait avec sa lyre, les vers qu'Hésiode a composés sur la naissance des Muses. Lorsque les chants eurent cessé Hérode, le rhéteur, prit la parole: "Écoutez, dit-il, vous autres, qui détachez violemment Calliope de nous. On prétend que cette Muse assiste les souverains, et non pas ceux qui font métier de résoudre les syllogismes ou de répondre par de grands mots aux gens qui les interrogent; on prétend qu'elle converse seulement avec les orateurs politiques, avec les hommes d'État. Passons aux autres Muses. Clio s'approprie les panégyriques: car on donnait aux éloges le nom de "Cléa". Polymnie est la Muse de l'histoire, qu'on peut définir «mémoire de beaucoup de faits (g-pollôn g-mnémé). Quelquefois toutes ensemble, elles sont appelées, dit-on, filles de Mémoire. Pour moi, je revendique en partie le patronage d'Euterpe, s'il est vrai, comme le dit Chrysippe, qu'elle ait pour lot l'agrément et les charmes de la conversation. Car l'orateur doit n'être pas moins propre aux entretiens particuliers, qu'il n'est habile dans les plaidoiries et dans les consultations. Oui: notre ministère embrasse également tout ce qui a trait à la bienveillance, tout ce qui est justification et apologie. Mais ce que nous pratiquons le plus souvent, c'est l'éloge ou le blâme. Nous n'y obtenons pas des résultats médiocres et de peu d'importance, quand nous y déployons du talent ; mais si nous y sommes maladroits et inexpérimentés, nous manquons le but. Car ce compliment : "Grands dieux, comme partout on l'aime et le vénère!" ne me semble pas convenir à des souverains : il s'applique plutôt, selon moi, aux orateurs, comme étant ceux qui possèdent le charme principal de toute société, je veux dire, la grâce et la persuasion.» 2. Ici Ammonius : «Hérode, dit-il, quoique vous preniez les Muses à pleine main, il y aurait injustice à vous chercher querelle, attendu que tout est commun entre amis. Et pourquoi Jupiter a-t-il créé un grand nombre de Muses? C'est afin que chacun eût le moyen de puiser abondamment aux belles choses. Nous n'avons pas besoin de nous entendre tous aux détails de la vénerie, de la guerre, de la marine, ni aux différents métiers ; mais il nous est indispensable "à tous tant que nous sommes, Qui vivons des produits de ce vaste univers", d'être instruits et de savoir raisonner. «Voilà pourquoi le Créateur souverain n'a fait qu'une Minerve, qu'une Diane, qu'un Vulcâin, et qu'il a créé plusieurs Muses. Maintenant pourquoi sont elles neuf, et non davantage? Êtes-vous en état de nous le dire? je suppose que cette question vous a préoccupé, ami des Muses comme vous l'êtes et voué au culte de plusieurs d'entre elles. — Qu'y a-t-il là de si savant ? répondit Hérode. Tout le monde a sur les lèvres, tout le monde vante les merveilles du nombre neuf. C'est le premier carré procédant du premier nombre impair, et il est impair d'une façon impaire, en se sens qu'il se divise en trois nombres égaux impairs. Ammonius se mit à sourire : «Voilà, dit-il, qui est vaillamment user de sa mémoire. Ajoutez-y encore les considérations suivantes : que neuf est composé des deux premiers cubes, qui sont l'unité et le nombre huit, et qu'à un autre point de vue, il est formé de deux triangles, à savoir trois et six, dont chacun est un nombre parfait. Mais pourquoi ce nombre convient-il mieux aux Muses qu'aux autres divinités ? pourquoi avons-nous neuf Muses, et n'avons-nous pas neuf Cérès, neuf Minerves, neuf Dianes ? Car je ne suppose pas que vous vous laissiez persuader que les Muses sont neuf parce qu'il y a neuf lettres dans le nom de leur mère. Hérode éclata de rire, et il se fit un moment de silence. Après quoi Ammonius nous pressa de chercher une solution. 3. Mon frère prit donc la parole : «Les anciens, dit-il, connaissaient trois Muses ; et en fournir la preuve dans une réunion telle que celle-ci, ce serait montrer une érudition de fraîche date et maladroite. La raison de ce nombre ne tenait pas, comme le disent quelques-uns, à ce qu'ily a trois genres de mélodies, la diatonique, la chromatique et l'enharmonique, ni à ce que trois limites constituent l'intervalle de l'octave, ces trois limites étant la nète, la mèse et l'hypate. Il est vrai que les Delphiens nommaient ainsi les Muses ; et en cela ils commettaient une impropriété, parce qu'ils les rattachaient à une seule science, ou plutôt à ce qui est une petite partie d'une seule science, à savoir l'harmonie dans la musique. Mais, pour donner ici mon opinion, les anciens pensaient que les sciences et les arts, qui sont du ressort de la raison, se divisaient en trois genres, la philosophie, la rhétorique et les mathématiques. C'est pourquoi ils virent dans chacun de ces genres un don, un bienfait concédé par trois déités, qu'ils appelèrent les trois Muses. Plus tard, et déjà du temps d'Hésiode, les propriétés de ces trois sciences venant à se découvrir davantage, ils les divisèrent en parties et en espèces; et ils reconnurent que chacune d'elles à son tour se compose de trois branches différentes. Les mathématiques comprennent la musique, l'arithmétique et la géométrie; la philosophie comprend la logique, la morale et la physique ; la rhétorique, enfin, comprend en premier lieu le genre démonstratif, en second le genre délibératif, et en dernier le genre judiciaire. Persuadés que de toutes ces connaissances aucune ne pouvait s'apprendre sans le secours d'une divinité, d'une Muse, et qu'aucune ne pouvait exister qu'à l'aide d'une direction et d'un pouvoir supérieurs, ils n'eurent pas, selon toute apparence, à constituer un nombre analogue de Muses : ils les trouvèrent existantes. Ainsi donc, de même que neuf se divise en trois tiers, dont chacun à son tour se décompose en autant d'unités, de même il y a une puissance unique, la rectitude du jugement appliqué à la raison, qui est commune aux trois sciences. Chacune de ces sciences se subdivise en trois espèces; et ces dernières à leur tour ont ensuite leur Muse particulière, qui fait d'elles son attribut et les dispose. Car je ne pense pas que les poètes et les astronomes nous accusent d'avoir laissé de côté leur art : aussi bien que nous, ils savent que l'astronomie se rattache aux mathématiques, et la poésie, à la musique." 4. Quand cela eut été dit, le médecin Tryphon prit la parole : «Et notre art, à quoi pensez-vous, quand vous lui fermez le temple des Muses? — C'est là, reprit aussitôt Denys de Malte, provoquer bien des gens à soutenir votre réclamation. Car nous autres, qui travaillons la terre, nous nous approprions Thalie, lui attribuant le soin et la conservation des plantes et des germes qui fleurissent et se développent heureusement. — Mais vous n'êtes pas justes, dis-je alors : car vous avez Cérès Donatrice, vous avez Bacchus, "Protecteur bienfaisant qui féconde les arbres, Chaste éclat de l'automne", comme dit Pindare. Quant aux médecins, nous savons qu'ils reconnaissent Esculape pour président, qu'ils ont, en toute circonstance, recours à Apollon Péan, et jamais à Apollon Musagète. Car s'il est vrai que tous les hommes ont besoin des dieux, ils n'ont pas tous besoin de tous les dieux. Mais une chose m'étonne : c'est que Lamprias ait oublié ce que disent les Delphiens. Ils prétendent que chez eux les Muses n'ont pas reçu leur nom des cordes et des tons de la musique. A les entendre, l'univers entier est divisé en trois parties : la première, celle des étoiles fixes, la deuxième, celle des planètes, la dernière, celle des corps sublunaires;. puis, toutes ces parties sont séparées et disposées les unes par rapport aux autres suivant des rapports harmoniques, et chacune d'elles est sous la protection d'une Muse. A la première partie préside Hypate, à la dernière, Nète. Mèse est celle du milieu : et elle réunit, autant que possible, dans le même ensemble et dans les mêmes évolutions les choses, mortelles et les choses divines, ce qui tient à la terre et ce qui tient au ciel. C'est, du reste, ce que Platon lui-même a donné à entendre, par les noms des Parques, les ayant appelées Atropos, Lachésis et Clotho. Quant aux évolutions des huit sphères, Platon veut qu'elles soient dirigées par autant de Sirènes, mais non par les Muses.» 5. Ménéphyle le Péripatéticien prit alors la parole : Ce qu'avancent les Delphiens, dit-il, ne manque pas, jusqu'à un certain point, de vraisemblance ; mais ce que prétend Platon est absurde. Quoi ! ces éternelles et divines évolutions, au lieu de les placer solidement sous la direc- tion des Muses, il va les confier aux Sirènes, démons qui ne sont rien moins que bienveillants et propices ! Et quant à ce qui est des Muses, ou bien il les laisse tout à fait de côté, ou bien il leur donne le nom des Parques, et les appelle filles de la Nécessité ! Mais qu'y a-t-il de plus antipathique aux Muses que la Nécessité ? Au contraire la Per- suasion adore les Muses, elle se plaît en leur compagnie ; et beaucoup plus, selon moi, que la Grâce citée par Empédocle, elle a en horreur "Les détestables lois qu'impose la contrainte.» 6. — "Oui, sans doute, reprit Ammonius, quand cette contrainte se produit comme une cause qui violente notre volonté et nos décisions; mais la nécessité qui émane des dieux n'a rien de détestable, rien qui résiste à la persuasion ; elle ne déploie de violence qu'à l'égard des méchants. Je compare cette nécessité à la loi, qui, dans un gouvernement, est la meilleure chose aux yeux des meilleurs citoyens; et s'ils en acceptent les prescriptions inflexibles et immuables, c'est moins parce qu'ils ne peuvent rien y changer que parce qu'ils ne le veulent point. Parlerai-je des Sirènes d'Homère ? La frayeur que nous en inspire la mythologie n'a pas de fondement; et le poète nous donne très raisonnablement à entendre que l'influence de leurs chants mélodieux n'a rien de funeste pour l'humanité, rien qui puisse donner la mort. Mais quand les âmes échangent, comme il est naturel, ce monde-ci contre un autre séjour, lorsqu'après le trépas elles deviennent errantes, les Sirènes leur inspirent l'amour de ce qui est céleste et divin, en même temps qu'elles leur versent l'oubli des misères mortelles. Elles les maintiennent, les charment, les consolent; et ces âmes, par reconnaissance, les suivent et s'attachent à elles. Ici-bas il arrive jûsqu'à nous un écho affaibli de cette musique, qui, grâce aux instructions de la philosophie, évoque devant nos âmes et leur rappelle les vérités dont elles avaient alors la perception. Il est vrai que les oreilles de la plupart des mortels sont bouchées et enduites, non pas de cire, mais bien d'obstructions et d'affections toutes charnelles; mais l'âme, qui par ses heureux instincts de nature, est douée d'intelligence et de souvenir, se trouve saisie de transports dont la vivacité ne le cède en rien aux amours les plus furieux. Elle se consume en désirs et en regrets, parce qu'elle ne peut briser les liens qui la rattachent au corps. Ce n'est pas que j'accepte complétement les paroles de Platon à ce sujet. Il me semble qu'après avoir donné aux essieux du monde le nom de «fuseaux» et de "quenouilles" aux astres celui de «vertèbres», c'est fort étrangement qu'il appelle ici les Muses des Sirènes, chargées de révéler les volontés divines et les annonçant aux Enfers : comme, dans Sophocle, Ulysse dit avoir vu venir les Sirènes, "Ces filles de Phorcus, qui régissent les mânes". Il y a huit Muses qui suivent dans leur mouvement les huit sphères, et à la neuvième d'entre elles est échu l'espace situé autour de notre globe. Celles qui président aux huit révolutions des sphères maintiennent et conservent l'harmonie soit entre les planètes et les étoiles fixes, soit entre ces dernières réciproquement. La Muse qui seule inspecte l'espace placé entre la terre et la lune et qui en suit les mouvements, communique aux mortels, autant que leur intelligence et leur compréhension naturelle le permet, la grâce, la régularité et l'harmonie. A l'aide de la parole et du chant cette Muse fait pénétrer en eux la persuasion, auxiliaire puissant de la politique et de l'oeuvre consolatrice de la société, la persuasion qui apaise nos troubles secrets , qui nous ramène avec douceur de nos égarements comme d'une voie sans issue, et sait enfin nous fixer; "Mais ceux que Jupiter déteste Repoussent tous la voix céleste Des Muses aux divins accents : C'est Pindare qui le dit.» 7. Ammonius termina sa tirade par cette citation de Xénophane qui lui était habituelle : "Voilà ce que je pense; et c'est, je crois, le vrai". Puis il invita chacun de nous à présenter et à développer son opinion. Ce fut moi qui, après m'être un moment recueilli en silence, pris la parole. «Platon, dis-je, en raisonnant d'après les noms des divinités, croit, comme par autant de traces, parvenir à reconnaître quels sont leurs attributs. Suivons sa marche : plaçons dans le ciel et autour des phénomènes célestes une seule des Muses, laquelle est évidemment Uranie. Il est vraisemblable que ces régions ne demandent pas un gouvernement bien étendu et bien compliqué, puisqu'il y règne une cause unique et simple, la nature. Mais là où il y a beaucoup d'irrégularités, beaucoup d'excès et de transgressions, c'est là que nous devrons installer les huit autres, dont les unes auront à redresser telle espèce de vice et de désorganisation, les autres, telle autre. Comme une partie de l'existence est destinée aux affaires sérieuses, une partie à l'amusement, et qu'il y faut de l'harmonie et de l'accord, la partie sérieuse de nos affaires sera présidée par Calliope, Clio et Thalie. Cette dernière sera notre guide dans la connaissance et la contemplation des dieux; et toutes trois sembleront diriger, et redresser au besoin, les affaires les plus graves. Les autres Muses présideront à ce qui incline vers le plaisir et l'amusement : elles veilleront à ce que notre faiblesse ne laisse pas dégénérer la joie en licence et en bestialité. Grâce à elles, la danse, le chant, les concerts savamment organisés, le mélange de l'harmonie et de la raison, feront régner dans nos divertissements la décence et l'ordre. Elles se plairont à accueillir nos jeux et à nous y accompagner. «Je ferai ici une remarque. En même temps que Platon réserve en toute chose deux principes de nos actions, d'abord le goût inné des plaisirs, ensuite l'opinion, venant du dehors, laquelle nous porte vers ce qu'il y a de meilleur, en même temps, dis-je, ce philosophe appelle raison le premier de ces principes, et il appelle l'autre passion. Du reste ce sont des éléments qui diffèrent entre eux par bien des endroits; mais je constate que tous les deux ont besoin d'une direction puissante et véritablement divine. Premièrement, il y a dans la raison un côté politique, spécial aux rois, et qui, selon Hésiode, rentre dans les attributs de Calliope. A Clio est échu le soin de glorifier surtout l'ambition et de contribuer à l'enorgueillir. Polymnie est la Muse du désir d'apprendre, et celle de l'esprit doué de mémoire. Voilà pourquoi les Sicyoniens donnent à l'une de leurs trois Muses le nom de Polymathie. Pour Euterpe, on s'accorde à lui attribuer exclusivement la contemplation des vérités naturelles, et l'on ne saurait réserver à un autre genre d'attribut des satisfactions, des jouissances plus belles ni plus pures. En fait de sensualité, Thalie règle ce qui regarde le manger et le boire : de l'un et de l'autre elle fait un lien, un charme de société, un agrément de table, au lieu de permettre que l'homme abdique sa dignité et se ravale jusqu'à la brute. Voilà pourquoi, lorsque des personnes se réunissent dans des sentiments de bienveillance et de gaieté pour boire ensemble, nous disons qu'elles honorent Thalie; et nous ne parlerions pas ainsi de gens qui seraient insolents à la suite de l'ivresse. Les soucis amoureux sont la spécialité d'Érato, qui s'y associe avec une persuasion pleine d'à-propos et de convenance. Elle fait disparaître, elle éteint ce que le plaisir a de furieux et d'égaré : de manière à ce qu'il aboutisse à de l'amitié et de la confiance, et non pas à de l'emportement et à de la lubricité. Restent enfin les jouissances qui se perçoivent par les oreilles et celles qui se perçoivent par les yeux : lesquelles peuvent tenir d'une façon plus particulière soit au raisonnement, soit à la passion, ou procéder de l'un et de l'autre à la fois. Les deux Muses qui restent, Melpomène et Terpsichore s'attribuent ces deux sortes de jouissances, pour les régler de telle manière que l'une soit une satisfaction sans être un enchantement, et l'autre une douceur sans être une séduction. [9,15] QUESTION XV. Qu'il y a trois parties dans la danse : le mouvement, la figure, la montre. Ce qu'est chacune de ces parties, et ce qu'il y a de commun entre la poésie et la danse. PERSONNAGES DU DIALOGUE PLUTARQUE. — LAMPRIAS, SON FRÈRE — MÉNISCUS — THRASYBULE.— AMMONIUS. 1. Ensuite on apporta les pyramontes, gâteaux destinés à tous ceux qui devaient remporter un prix de danse. Les juges désignés furent Méniscus le maître d'école, et Lamprias mon frère, qui dansait la pyrrhique de manière à bien l'enseigner, et qui, dans les palestres, avait eu autrefois la réputation de faire les gestes de mains mieux que tous les autres jeunes garçons de son âge. Comme un grand nombre de nos concurrents dansaient avec plus d'ardeur que de mesure, on en choisit deux qui, fort habiles d'ailleurs, ne demandaient pas mieux que d'observer les règles de l'art, et on les pria de danser de telle sorte que chaque mouvement fût parfaitement appréciable. A cette occasion Thrasybule, fils d'Ammonius, chercha ce que signifiait ici le mot "mouvement"; et il fournit à Ammonius l'occasion de s'étendre avec détail sur les parties dont se compose la danse. 2. «La danse, dit Ammonius, comprend trois choses : le mouvement, la figure, la montre. Elle se compose de déplacements du corps et d'attitudes, comme le chant est formé de sons et d'intervalles; mais dans la danse les temps d'arrêt déterminent une cessation dans les trémoussements du corps. A ces derniers on donne le nom de "mouvements". De même, on donne celui de "figures" aux attitudes et aux dispositions par lesquelles se terminent les trémoussements, toutes les fois que les danseurs veulent représenter, par une sorte de tableau vivant, Apollon, ou Pan, ou une Bacchante, et qu'ils restent sur telle ou telle pose. La troisième partie, à savoir la montre, est moins une imitation, qu'une production vraie de ce qui fait le sujet de la danse. «Et ici, prenons pour exemple les poètes. Ils emploient les noms propres quand il ne s'agit que de désigner, et ils disent "Achille, Ulysse, la terre, le ciel", comme on fait dans le langage usité; mais quand ils veulent frapper l'imagination ou parler figurément, ils ont recours aux onomatopées et aux métaphores. S'il s'agit de vagues qui se brisent, ils emploient des mots sonores, g-kelaryzein, g-cachlazein; d'un javelot lancé ils disent, que "le javelot désire s'enivrer de sang" ; d'une bataille restée indécise, que "la mêlée présente deux têtes égales". Ils créent souvent aussi des mots composés, pour faire ce qu'on appelle de la poésie imitative. Ainsi dans Euripide : "S'élevant dans les airs, le tueur de Gorgones"..., Pindare vous présentera la description d'un cheval : "Pour courir la glorieuse chance, Aux rives d'Alphée il s'élance Sans avoir besoin d'aiguillon". Homère décrit une course de chars : "Les chars volent, doublés et d'étain et de fer; Leurs rapides coursiers sont plus prompts que l'éclair". Eh bien! de même, ce qu'en termes de danse on appelle figure a pour but d'imiter la forme et le visage. D'un autre côté, ce qu'on appelle le mouvement représente avec vivacité ou une passion, ou un acte, ou un pouvoir. Enfin la montre met, à proprement parler, sous nos yeux ce que l'on veut décrire, à savoir la Terre, le Ciel, les assistants eux-mêmes ; et lorsqu'on procède à la montre par un certain ordre et avec nombre, les effets produits sont les mêmes que ceux qu'obtiennent en poésie les noms propres embellis d'épithètes riches et coulantes. Comme dans ce passage : "C'est la sainte Thémis, c'est Vénus aux grands yeux, Et Dioné la belle, et la reine des dieux A la couronne d'or ..." et dans cet autre : "On y voyait les rois qui gouvernent la Grèce : Dorus, Xuthus, Eole, écuyer plein d'adresse". Autrement, il en sera comme de ces vers dont la marche désagréablement traînante ressemble par trop à de la prose : "Le premier d'Iphitus, l'autre d'Hercule est père. Pour elle, son époux, et son père et son frère, Et son fils, tous sont rois; en Grèce elle a pour nom Olympias ...". Telles sont en effet les fautes commises par les danseurs sous le rapport de la montre, quand celle-ci manque de la vérité et de la grâce que donnent la convenance et le naturel. C'est le cas d'appliquer la définition que Simonide donnait de la peinture, et de dire, que comme la poésie est une danse parlée, de même la danse est une poésie muette. La peinture n'emprunte rien à la poésie, pas plus que la poésie n'emprunte à la peinture, et ces deux arts ne se servent aucunement l'un de l'autre. La danse et la poésie, au contraire, se trouvent constamment unies et rapprochées. Leur mérite d'imitation se combine surtout quand la danse s'exécute avec accompagnement de voix qui chantent, et que toutes deux, l'une par les attitudes, l'autre par les paroles, représentent avec vivacité une action. On pourrait ici, tirant une similitude de la peinture, comparer d'une part la poésie aux couleurs, et de l'autre la danse aux lignes qui déterminent le contour des figures. Du reste, ces effets ne sauraient mieux s'observer que chez le danseur qui aura la réputation d'exceller dans les danses exécutées avec accompagnement de chants. A étudier son jeu là où il est le plus expressif, on reconnaîtra combien la poésie et la danse ont besoin l'une de l'autre. Citons, par exemple, ces vers : "Que le chien d'Amyclée, ou le cheval fougueux, Se trouvent par la danse imités à nos yeux : Que de ton pied savant les flexions agiles Me les montrent ...". Ou ceux-ci : "Lorsque dans la plaine fleurie Le chien, de carnage altéré, Se précipite avec furie, Par lui bientôt est déchiré Un cerf, innocente victime; Puis, méditant un nouveau crime, Il court à d'autres cerfs porter un prompt trépas ..". Et la suite. Eh bien, sans que le poète y eût songé ces vers ont pris une allure dansante. On dirait qu'ils provoquent l'action des deux mains et des deux pieds: ou plutôt, ce sont comme autant de ficelles qui tirent le corps, allongent les memres; et quand la tirade est dite et chantée il est impossible de rester en place. «On peut donc sans honte vanter son talent pour la danse comme son mérite en poésie, et dire : "Je sais légèrement entremêler les pas Qu'on danse à la crétoise." Malheureusement il n'est point d'art qui aujourd'hui ait plus donné dans le mauvais goût que n'a fait la danse. C'est pourquoi il lui est advenu ce qu'éprouve le personnage qui par le poète Ibycus nous est representé saisi de terreur et s'écriant : "J'éprouve le courroux des hommes et des dieux". «Oui, la danse, se prostituant à une poésie toute vulgaire, est descendue de ces hauteurs célestes où elle planait, pour régner sur des théâtres déshonorés par le vertige et la folie. Elle y exerce une absolue domination sur la musique, dont elle a fait entièrement son esclave ; mais aux yeux des mortels sensés et divins elle a véritablement perdu toute estime.» Tels sont à peu près, cher Sossius Sénécion, les derniers entretiens savants qui furent alors, et à l'occasion de la fête des Muses, tenus par l'excellent Ammonius.