[8,0] LIVRE VIII - Histoire de l'Arcadie [8,1] (1) L'Arcadie est tournée d'un côté vers l'Argolide, et de ce côté-là habitent les Tégéates et les Mantinéens. Eux et tous les peuples d'Arcadie sont en terre ferme, et comme au centre du Péloponnèse; car les Corinthiens occupent le fond de l'isthme; aux Corinthiens touchent les Épidauriens du côté de la mer Égée. Épidaure, Trézène et Hermioné avoisinent le golfe d'Argos, et toutes ces côtes que tiennent les Argiens. Au-delà des Argiens sont les Lacédémoniens qui ont pour voisins les Messéniens; ceux-ci descendent jusqu'à la mer par Méthoné, Pylos et Kyparissia. (2) Du côté de Léchaion les Corinthiens sont bornés par les Sicyoniens, qui de ce côté-là sont les plus reculés de tous les peuples de la domination d'Argos. Au-dessus de Sicyone c'est l'Achaïe qui s'étend aussi jusqu'aux rivages de la mer. À l'autre pointe du Péloponnèse vis-à-vis des îles Échinades, ce sont les Éléens qui confinent aux Messéniens du côté d'Olympie vers l'embouchure de l'Alphée, et aux Achéens du côté de Dymé. (3) Or tous ces peuples sont environnés de la mer. Les Arcadiens seuls sont dans le milieu des terres, et fort éloignés des côtes; c'est pourquoi lorsqu'Homère nous les représente s'embarquant pour le siège de Troie, c'est sur les vaisseaux d'Agamemnon, et non sur les leurs propres. (4) Suivant leur tradition, Pélasgos fut le premier homme qui parut dans le pays. Selon toute apparence, ils ne veulent pas dire qu'il s'y soit trouvé seul; car sur qui aurait-il régné? Je crois donc pour moi que Pélasgos était un homme extraordinairement avantagé du ciel, qui surpassait les autres en grandeur, en force, en bonne mine, et en toutes les qualités de l'esprit et du corps; ce qui revient assez à l'idée que le poète Asios nous en donne, quand il dit: "Sur le sommet d'un roc qui menace les cieux / Pélasgos vint au jour, héros semblable aux dieux. / Les peuples d'alentour, d'une humeur mercenaire / En recevant ses lois trouvèrent leur salaire." (5) Pélasgos ayant donc commencé à régner, apprit aux Arcadiens à se faire des cabanes qui pussent les défendre de la pluie, du froid et du chaud, en un mot de l'inclémence des saisons. Il leur apprit aussi à se vêtir de peaux de sangliers, comme font encore à présent les paysans de l'Eubée et de la Phocide; jusque-là ils ne s'étaient nourris que de feuilles d'arbres, d'herbes et de racines, dont quelques-unes bien loin d'être bonnes à manger, étaient nuisibles. (6) Il leur conseilla l'usage du gland, ou pour mieux dire, du fruit que porte le hêtre; et cette nourriture leur devint si ordinaire, que longtemps après Pélasgos, les Lacédémoniens venant consulter la Pythie sur la guerre qu'ils voulaient faire aux Arcadiens pour les en détourner elle leur répondit ainsi: "Eussiez-vous Jupiter et tous les dieux propices, / Un peuple qui de gland fait toutes ses délices, / Peut-il ne pas livrer de terribles combats? / Mais suivez vos destins, je ne vous retiens pas". On dit que Pélasgos donna son nom à cette contrée, et qu'elle fut appelée la Pélasgie. [8,2] (1) Son fils Lycaon fut à quelques égards encore plus sage et plus prudent; car il bâtit la ville de Lykosoura sur le mont Lycée; il fit honorer Jupiter sous le nom de Jupiter Lykaios, et il institua en son honneur des jeux qui furent aussi appelés Lykaia. Je crois que les Panathénées n'étaient pas encore instituées à Athènes; en effet, ces fêtes s'appelèrent d'abord les Athénaia, et n'eurent le nom de Panathénées qu'après que Thésée eut rassemblé les peuples de l'Attique dans une seule ville. (2) Je ne parle point ici des jeux Olympiques, parce qu'on en place l'institution en des temps si éloignés, qu'à peine y avait-il alors des hommes sur la terre. Si l'on en croit quelques-uns, Saturne et Jupiter luttèrent l'un contre l'autre à Olympie; et les premiers qui disputèrent le prix de la course entre eux, ce furent les Curètes. Pour Lycaon, je crois qu'il régnait en Arcadie dans le temps que Cécrops régnait à Athènes; mais Cécrops régla le culte des dieux, et les cérémonies de la religion avec beaucoup plus de sagesse. (3) Il fut le premier qui appela Jupiter le dieu suprême; il défendit que l'on sacrifiât aux dieux rien qui fût animé, et voulut que l'on se contentât de leur offrir des gâteaux du pays, et de ces espèces de gâteaux que les Athéniens appellent encore aujourd'hui d'un nom particulier. Au contraire Lycaon immola un enfant à Jupiter Lykaios, et trempa ses mains dans le sang humain; aussi dit-on qu'au milieu du sacrifice il fut changé en loup, ce qui n'est pas croyable. (4) Car outre que le fait passe pour constant parmi les Arcadiens, il n'a rien contre la vraisemblance. En effet, ces premiers hommes étaient souvent les hôtes et les commensaux des dieux, c'était la récompense de leur justice et de leur piété; les bons étaient honorés de la visite des dieux, et les méchants éprouvaient sur le champ leur colère; de là vient que plusieurs d'entre les hommes furent alors déifiés, et qu'ils jouissent encore des honneurs divins, témoin Aristée, Britomartis de Crète, Hercule fils d'Alcmène, et Amphiaraos fils d'Oiklès, auxquels on peut ajouter Castor et Pollux. (5) Par la raison contraire on peut bien croire que Lycaon prit la figure d'une bête, et que Niobé fille de Tantale fut changée en rocher; mais aujourd'hui que les hommes sont généralement corrompus, et qu'il n'y a pas une ville, pas un coin de terre qui ne soit plein de leurs iniquités, on ne voit plus que les dieux en adoptent aucun, si ce n'est par de vaines apothéoses qu'invente la flatterie; et la justice divine devenue plus lente et plus tardive se réserve à punir les coupables après leur mort. (6) Or de tout temps les événements extraordinaires et singuliers en s'éloignant de la mémoire des hommes, ont cessé de paraître vrais, par la faute de ceux qui ont bâti des fables sur les fondements de la vérité; car depuis l'aventure de Lycaon l'on a débité qu'un autre sacrifiant à Jupiter Lykaios avait été aussi changé en loup; qu'il reprenait figure d'homme tous les dix ans, si dans cet intervalle il s'était abstenu de chair humaine, et qu'autrement il demeurait loup. (7) D'autres vous diront que durant l'été on voit la Niobé du mont Sipyle toute en pleurs. Quelques-uns m'ont fait des contes d'animaux qui ne furent jamais, comme des griffons, qui, selon eux, ont la peau tachetée ainsi que les léopards, et de Tritons qui ont une voix d'homme, et qui jouent des airs sur leurs conques comme sur une flûte. Ceux qui prennent plaisir au récit de ces fables, y en ajoutent encore d'autres de leur propre invention. Voilà comme la vérité se trouve obscurcie et presque étouffée par les mensonges que l'on y mêle. [8,3] (1) Ce n'était encore que la troisième génération depuis Pélasgos, et déjà il y avait dans le pays une multitude d'hommes et même de villes. Nyktimos, l'aîné des fils de Lycaon, avait succédé à son père; ses autres enfants s'étant séparés bâtissaient des villes, les uns d'un côté, les autres d'un autre. Pallantion fut bâtie par Pallas, Oresthasion par Orestheus, Phigalie par Phigalus. (2) Le poète d'Himère, Stésichore, a fait mention de Pallantion dans sa Géryonide. Pour Oresthasion, elle changea de nom dans la suite, et fut appelée Orestée du nom d'Oreste, fils d'Agamemnon. Phigalie fut aussi nommée Phialie, à cause de Phialos, fils de Boukolion. Les autres enfants de Lycaon furent Trapézous, Daséatas, Makareus, Hélisson, Akakos, et Thoknos. Ce dernier bâtit la ville de Thoknia, et Akakos fut fondateur d'Akakésion. Les Arcadiens prétendent que c'est d'Akakos qu'Homère a pris le surnom qu'il donne à Mercure. (3) Le fleuve et la ville d'Hélisson durent leur nom à Hélisson, de même que Makaria, Daséa, et Trapézonte durent le leur à ses frères. Orchoménos alla bâtir Méthydrion, et fut le père des Orchoméniens, ce peuple si riche en bestiaux, qu'Homère le distingue par cette épithète. Hypsous jeta les fondements de Mélaina, d'Hypsous, de Tyraion et de Haimonia. Si l'on en croit les Arcadiens, Thyréa ville du pays d'Argos eut pour fondateur Thyraios, qui donna aussi son nom au golfe près duquel elle est bâtie. (4) De Mantineus, Tégéatès et Mainalos, le dernier bâtit celle qui fut la plus renommée des villes d'Arcadie, l'antique Mainalon, Tégéatès et Mantineus Tégée et Mantinée. Kromoi fut bâtie par Kromos, Charisia par Charisios. Trikolonoi tire son nom de Trikolonos, Péraitheus de Péraithos, Aséa d'Aséatas, Lykoa et Soumatia de Soumateus. Enfin Aliphéros et Héraieus bâtirent aussi deux villes qui portent le nom de leurs fondateurs. (5) Oinotros, le plus jeune des fils de Lycaon, ayant obtenu de Nyktimos, son frère aîné, de l'argent et des troupes, fit voile en Italie; non seulement il s'y établit, mais il y régna, et donna son nom à cette contrée. Ce fut la première colonie grecque qui alla habiter une terre étrangère; et pour parler en historien exact, je ne crois pas même qu'il y ait eu aucune peuplade de barbares plus ancienne. (6) Parmi ce grand nombre d'enfants Lycaon n'eut qu'une fille; elle se nommait Callisto. Je rapporte ce que disent les Grecs. Jupiter en étant devenu amoureux eut commerce avec elle. Junon le sut, et changea sa rivale en ourse; Diane ensuite, pour faire plaisir à Junon, tua cette ourse à coups de flèches. Jupiter donna ordre à Mercure de sauver l'enfant: car la malheureuse Callisto était grosse. (7) Pour la mère, il la plaça au ciel, et en fit une constellation que l'on nomme la Grande Ourse. Homère en parle, lorsqu'il décrit la navigation d'Ulysse au sortir de chez la nymphe Calypso; cependant je crois que cela ne veut dire autre chose, sinon que l'on appela cette constellation Callisto pour faire honneur à la fille de Lycaon; car après tout les Arcadiens montrent encore aujourd'hui la sépulture de cette princesse. [8,4] (1) Nyktimos étant mort, Arkas, fils de Callisto, prit possession du royaume. Instruit par Triptolème il apprit à ses sujets à semer du blé, à faire du pain, à filer de la laine, et à en faire des étoffes et des habits, comme Adristas lui avait enseigné. Sous son règne le pays quitta le nom de Pélasgie pour celui d'Arcadie, et les Pélasges commencèrent à s'appeler Arcadiens. (2) On dit qu'Arkas épousa non une mortelle, mais une dryade; car les Arcadiens appellent dryades et épiméliades ce que les autres appellent Naïades; dans Homère il est souvent fait mention des Naïades. La nymphe qu'Arkas épousa se nommait Érato; il en eut trois fils, Azan, Apheidas et Élatos; et avant de se marier il avait eu un bâtard nommé Autolaos. (3) Lorsque ses enfants furent en âge, il partagea le royaume entre eux. La part qui échut à Azan fut nommée Azanie, d'où l'on dit que sortit ensuite un essaim de peuples, qui alla se répandre sur les bords du fleuve Penkalas en Phrygie, et aux environs de cette grotte que l'on appelle Steunos. Apheidas eut pour sa part Tégée avec les terres adjacentes; de là vient que les poètes appellent Tégée l'héritage d'Apheidas. (4) Celui d'Élatos fut le mont Cyllène qui alors était son nom. Élatos au bout de quelque temps passa dans le pays que l'on nomme aujourd'hui la Phocide, joignit ses forces à celles des Phocéens pour les aider à repousser les Phlégyens qui leur faisaient la guerre avec avantage, et bâtit en ce pays la ville d'Élatée. Azan eut une fille nommée Kleitor: Apheidas eut Aléos; pour Élatos on lui donne cinq fils, Aipytos, Péreus, Kyllen, Ischys, et Stymphélos. (5) À l'occasion de la mort d'Azan on célébra des jeux funèbres pour la première fois; je suis sûr au moins qu'il y eut des courses de chevaux; d'autres sortes de jeux, je ne le sais pas. Kleitor fit sa résidence à Lykosoura; ce fut un des plus puissants rois de son temps, et il bâtit une ville qui porta le nom de son fondateur. Aléos se maintint en possession des terres qui lui étaient échues en partage. (6) Quant aux enfants d'Élatos, Kyllen donna son nom au mont Cyllène, et Stymphélos donna le sien non seulement à une fontaine du pays, mais à une ville qu'il bâtit auprès. J'ai déjà parlé d'Ischys, fils d'Élatos dans ma description de l'Argolide. Péreus, dit-on, ne laissa qu'une fille, elle s'appelait Néaira, et fut femme d'Autolykos qui habitait le mont Parnasse, et qui passait pour fils de Mercure, quoiqu'à dire le vrai il fût fils de Daidalion. (7) Kleitor, fils unique d'Azan, mourut sans enfants, ce qui fit que le royaume d'Arcadie passa à Aipytos, l'aîné de ses neveux. Ce prince étant à la chasse où il semblait n'avoir à craindre que des bêtes féroces, fut piqué d'un serpent et en mourut. J'ai vu de cette espèce de serpents plus venimeux que les autres, ils sont de la grosseur d'une vipère, de couleur cendrée avec des taches par intervalles; ils ont la tête large, le cou menu, le ventre gros, et la queue fort courte; ces serpents et quelques autres se meuvent obliquement comme les crabes. (8) Aipytos eut pour successeur Aléos; car Agamédès et Gortys, tous deux fils de Stymphélos, descendaient d'Arkas par quatre degrés de génération, tandis qu'Aléos, fils d'Apheidas, était plus proche d'un degré. Cet Aléos fit bâtir le temple de Minerve Aléa qui se voit encore à Tégée, et cette ville fut le siège et la capitale de son empire. Gortys, fils de Stymphélos, fonda, la ville de Gortys sur un fleuve qui du nom de ce prince fut appelle Gortynios. Aléos eut trois fils, Lykourgos, Amphidamas et Képheus, et une fille qui eut nom Augé. (9) Hécatée nous apprend qu'Hercule étant venu à Tégée, eut commerce avec Augé. Aléos informé de l'accouchement de sa fille, enferma la mère et l'enfant dans un coffre qu'il abandonna aux flots de la mer. Ce coffre fut porté jusqu'à l'embouchure du Caïque, et recueilli par Teuthras homme puissant dans le pays, qui l'ayant ouvert fut si charmé de la beauté d'Augé, qu'il l'épousa. On montre encore la sépulture de cette princesse à Pergame sur le Caïque; c'est une petite éminence entourée d'une balustrade de pierres; on voit sur sa tombe une femme toute nue en bronze. (10) Après la mort d'Aléos le royaume vint à Lykourgos par droit d'aînesse. Ce prince employa la ruse et l'artifice pour se défaire d'Aréithoos homme remuant et belliqueux, et ce fut tout ce qu'il fit de considérable. Il eut deux fils, Ankaios et Épochos; ce dernier mourut de maladie. Ankaios, après avoir accompagné Jason dans son expédition de la Colchide, se joignit à Méléagre pour combattre le sanglier de Calydon; mais il fut tué par ce terrible animal. Lykourgos ayant perdu ses deux fils, finit ses jours dans un âge fort avancé. [8,5] (1) Il eut pour successeur Échémos, fils d'Aéropos, petit-fils de Képheus, et arrière-petit-fils d'Aléos. Sous le règne d'Échémos et sous ses ordres, les Achéens remportèrent une grande victoire auprès de l'isthme de Corinthe sur Hyllos fils d'Hercule, qui à la tête d'une armée de Doriens voulait rentrer dans le Péloponnèse. Échémos provoqué par Hyllos à un combat singulier, le tua de sa main; ainsi le rapportent plusieurs historiens, et je crois ce sentiment plus probable que celui de quelques autres, qui disent que ce fut du temps d'Oreste et sous son règne, qu'Hyllos tenta son entreprise sur le Péloponnèse: mais suivant la première opinion, il convient de croire aussi que Timandra, fille de Tyndare, était femme d'Échémos par qui Hyllos fut tué. (2) Échémos eut pour successeur Agapénor, fils d'Ankaios et petit-fils de Lykourgos; il commanda les troupes arcadiennes au siège de Troie. Après la prise d'Ilion, la même tempête qui dispersa la flotte des Grecs, jeta Agapénor et les siens sur les côtes de Chypre: contraint par la nécessité il s'établit à Paphos, et là il bâtit un temple à Vénus; car auparavant cette déesse n'était honorée qu'à Golgoï, petite ville de l'île de Chypre. (3) Ensuite Laodiké fille d'Agapénor envoya un voile à Tégée pour Minerve Aléa: l'inscription portait que Laodiké, par considération pour la célèbre ville de Tégée sa patrie, envoyait de Chypre cette offrande à Minerve. (4) Agapénor n'ayant pu revenir en son pays, l'empire des Arcadiens passa à Hippothoos, qui avait Kerkyon pour père, Agamédès pour aïeul, et Stymphélos pour bisaïeul. Hippothoos ne fit rien de mémorable durant son règne, si ce n'est qu'il transféra le siège de l'empire à Trapézonte; car jusque-là les rois d'Arcadie avaient fait leur séjour à Tégée. (5) Ce prince eut pour successeur son fils Aipytos. Ce fut de son temps qu'Oreste fils d'Agamemnon, averti par l'oracle de Delphes, quitta Mycènes pour se transporter en Arcadie. Aipytos ayant eu la témérité d'entrer dans le temple de Neptune à Mantinée, contre la défense qui subsiste encore aujourd'hui (car les hommes n'y entrent point), il fut privé de la vue, et peu de temps après il mourut, laissant le royaume à son fils Kypsélos. (6) Sous le règne de celui-ci la flotte des Doriens pénétra dans le Péloponnèse, non plus par l'isthme de Corinthe, comme trois générations auparavant, mais en passant par le lieu-dit Rhion. Kypsélos en ayant appris la nouvelle, et songeant à se garantir de l'invasion, donna sa fille en mariage à Kresphontès un des fils d'Aristomachos; par cette alliance il se mit en état de ne rien craindre. (7) Son fils et son successeur fut Holaias; ce prince, soutenu par les Héraclides qui étaient venus d'Argos et de Lacédémone à son secours, ramena à Messène Aipytos, fils de sa soeur. Boukolion, fils de Holaias, succéda à son père; il eut aussi un fils nommé Phialos, qui, pour dépouiller Phigalos fils de Lycaon de l'honneur d'avoir fondé la ville de Phigalie, voulut la faire appeller de son nom Phialie, ce que pourtant il ne réussit pas entièrement. (8) Sous le règne de son fils Simos, une ancienne statue de Cérès surnommée la Noire, fut consumée par le feu, ce que l'on prit pour un présage de la mort du roi, laquelle arriva peu de temps après. Pompos monta sur le trône de son père: il fit fleurir le commerce par l'entremise des Éginètes qui venaient débarquer à Kyllénè, et faisaient ensuite voiturer leurs marchandises en Arcadie sur des mulets; et pour signaler sa reconnaissance envers ces insulaires, il donna le nom d'Aiginétès à son fils. (9) Aiginétès régna donc après lui, et eut pour successeur Polymestor. Ce fut en ce temps-là que les Lacédémoniens, sous la conduite de Charillos, firent pour la première fois une irruption sur les terres des Tégéates. Tout s'arma contre eux, hommes et femmes. Les Lacédémoniens perdirent la bataille, et leur général fut pris avec bon nombre des siens: mais je parlerai plus amplement de Charillos et de son expédition, lorsque j'en serai aux affaires des Tégéates. (10) Polymestor n'ayant point laissé d'enfants, Aichmis lui succéda; il était fils de Briakas frère de Polymestor; car Aiginétès avait eu deux fils, dont Polymestor était l'aîné, et Briakas le cadet. Durant le règne d'Aichmis la guerre éclata entre les Lacédémoniens et les Messéniens. Ceux-ci de tout temps étaient liés d'amitié avec les Arcadiens; c'est pourquoi ils les engagèrent sans peine à se joindre à eux, et à marcher contre les Lacédémoniens sous les enseignes d'Aristodémos roi de Messénie. (11) Aristokratès, fils et successeur d'Aichmis, n'abusa peut-être pas pour une fois de son pouvoir; mais il commit surtout une impiété que je veux raconter. Sur les confins des Orchoméniens du côté de Mantinée il y a un temple dédié à Diane Hymnia, et les Arcadiens ont depuis très longtemps une dévotion singulière à cette déesse, qui avait alors pour prêtresse une jeune vierge. (12) Aristokratès en étant devenu amoureux, et ne la pouvant faire condescendre à ses volontés, la viola dans le temple même de Diane: son crime ayant été divulgué, les Arcadiens l'assommèrent aussitôt à coups de pierres; et pour obvier à un pareil inconvénient, ils ne donnèrent plus ce sacerdoce qu'à une femme mariée. (13) Ce prince eut pour fils Hikétas qui fut père d'Aristokratès second. Celui-ci, de même nom que son aïeul, eut une fin toute semblable; car il fut aussi lapidé par les Arcadiens, convaincu de s'être laissé corrompre par les Lacédémoniens, et d'avoir par sa perfidie causé la défaite des Messéniens auprès de la Grande Fosse. Ce dernier crime fit perdre l'empire d'Arcadie aux descendants de Kypsélos. [8,6] (1) Tout ce que je viens de rapporter sur les généalogies et sur la suite de ces rois, je le tiens des Arcadiens eux-mêmes, auprès de qui je me suis soigneusement informé. Quant à leurs entreprises réalisées en commun par tous les Arcadiens, la plus ancienne est la guerre de Troie. La seconde est cellequ'ils firent conjointement avec les Messéniens contre les Lacédémoniens. La troisième est la part qu'ils prirent au combat de Platées contre les Perses. (2) Ils se liguèrent avec Sparte contre Athènes, mais moins par inclination que par nécessité. Ils passèrent même en Asie avec Agésilas, et suivirent la fortune de Sparte au combat de Leuctres contre les Béotiens. Cependant ils ne furent jamais de bonne foi dans l'alliance des Lacédémoniens, et une marque entre autres qu'ils en donnèrent, c'est qu'après la malheureuse journée de Leuctres ils embrassèrent les premiers le parti des Thébains. Ils ne voulurent point combattre avec les autres Grecs ni contre Philippe à Chéronée, ni contre Antipatros en Thessalie, mais aussi ne prirent-ils point parti contre la cause commune. (3) S'ils ne se trouvèrent pas aux Thermopyles pour en disputer le passage aux Gaulois, ils en donnent pour raison, que s'ils avaient dégarni de troupes leur pays, les Lacédémoniens auraient profité de cette occasion pour le venir ravager. Enfin ils se montrèrent plus ardents que tout autre peuple de la Grèce à entrer dans la Ligue d'Achaïe. Voilà pour ce qui concerne toute la nation en commun. Ce qu'a fait chaque ville en particulier, je le dirai en son lieu, et à mesure que l'occasion s'en présentera. (4) Il y a des voies de pénétration en Arcadie du côté de l'Argolide: l'une en venant de Hysiai et en passant le mont Parthénion, conduit vers les terres des Tégéates; deux autres, en direction de Mantinée, traversent, l'une ce qu’on appelle le Prinos (Chêne-vert), et l'autre la Klimax (L'Échelle). Cette dernière route est la plus large, et porte ce nom parce qu'autrefois on y descendait par des marches faites de main d'homme. En suivant ce chemin on arrive à un endroit nommé Mélangeia (Terres Noires), d'où coule dans la ville de Mantinée une fort bonne eau. (5) À sept stades de Mélangeia est la source dites des Méliastes. Ces Méliastes célèbrent les mystères orgiaques de Bacchus, et il y a auprès de la source un mégaron de Bacchus et un sanctuaire de Vénus dite la Noire, surnom qui vient apparemment de ce que les hommes prennent d'ordinaire le temps de la nuit pour avoir commerce avec leurs femmes, alors que les autres animaux s'accouplent durant le jour. (6) L'autre chemin est beaucoup plus étroit et passe par le mont Artémision dont j'ai parlé ci-devant et où j'ai dit qu'il y avait un temple et une statue de Diane. Le fleuve Inachos a sa source dans cette montagne. Tant qu'il coule le long du chemin qui traverse la montagne, l'Inachos forme la frontière entre les Argiens et les Mantinéens; mais une fois qu'il quitte la route, ses eaux alors coulent en Argolide; c'est pourquoi Eschyle et plusieurs autres poètes l'appellent un fleuve argien. [8,7] (1) Quand on a passé l'Artémision, pour aller à la Mantinique on descend dans une plaine fort stérile qui à cause de cela est appelée Argon Pédion, car en grec le mot Argon signifie stérile. Cette stérilité vient de ce que l'eau du ciel qui tombe des montagnes voisines dans la plaine la tiendrait complètement inondée et en ferait un lac, si l'eau ne disparaissait pas dans une crevasse de la terre. (2) Après avoir disparu, elle ressort ensuite à Diné (= le Tourbillon). Diné se trouve du côté de ce qu'on appelle le Généthlion (= le Berceau familial) de l'Argolide, une eau douce qui jaillit de la mer. Autrefois les Argiens jetaient dans la Diné, en l'honneur de Neptune, des chevaux superbement enharnachés. Que l'eau douce remonte dans la mer en cet endroit en Argolide, c'est clair, comme aussi dans la Thesprotie auprès d'un lieu que l'on nomme Cheimérion. (3) On voit dans le Méandre une chose bien plus merveilleuse, une source d'eau bouillante sortir non seulement d'une roche que le fleuve baigne de tous côtés, mais même du limon du fleuve. C'est ainsi que devant Dikaiarchia aussi, en Étrurie, il y a une source d'eau chaude dans la mer, autour de laquelle on a fait une espèce d'île pour profiter de ces bains salutaires, et ne pas laisser inutile ce bienfait de la nature. (4) Près de la plaine dite Argon Pédion, en Mantinique, s'élève à gauche une hauteur où l'on voit les ruines d'un camp de Philippe, fils d'Amyntas, et du village de Nestané. Car il passe pour constant que Philippe campa là, et une source voisine se nomme encore la source de Philippe. En effet ce prince vint en Arcadie pour séparer les Arcadiens des autres Grecs, et pour tâcher de se les attacher. (5) Personne ne peut douter que Philippe n'ait fait de très grandes actions, et que de ce côté-là il n'ait surpassé tous les rois de Macédoine avant et après lui; mais si l'on en juge sainement, on ne le regardera pas pour cela comme un bon roi. Jamais prince n'a si peu respecté la religion des serments, n'a si mal observé les traités, et n'a été de si mauvaise foi. Aussi n'échappa-t-il pas longtemps à la colère du ciel. (6) Car il n'avait pas plus de quarante-six ans lorsque l'oracle de Delphes se trouva accompli en sa personne. Il l'avait consulté sur la guerre qu'il méditait contre les Perses, et il en avait reçu cette réponse: "Déjà la victime est parée, / Le sacrificateur est prêt à l'égorger; / Je vois le fer tranchant, sa mort est assurée". L'événement fit voir que cet oracle devait s'entendre non du roi de Perse, mais de Philippe même. (7) Il laissa un fils en bas âge, qu'il avait eu de Kéopatra, nièce d'Attale; Olympias fit jeter la mère et le fils dans un récipient d'airain brûlant, et les y tint jusqu'à ce qu'ils eussent expiré dans les tourments. Quelques années après elle fit aussi mourir Arrhidée. Mais la vengeance divine poursuivit Philippe jusque dans la postérité de Cassandre, en ôtant de ce monde deux fils que Cassandre avait eus de Thessalonikè, fille de Philippe. Thessalonikè et Arrhidée étaient nés de deux Thessaliennes. Quant à Alexandre, tout le monde sait quelle fut sa fin. (8) Si Philippe dans toute sa conduite, avait eu devant les yeux cette parole de la Pythie à Glaukos de Sparte, "Qui craint dieu, voit toujours prospérer sa famille", il n'aurait pas attiré sur lui la colère du ciel qui le punit par l'extinction de toute sa race et par la ruine entière du royaume de Macédoine. [8,8] (1) On me pardonnera bien cette petite digression. Après les ruines de Nestané on trouve un temple de Cérès qui est fort célèbre, et où les Mantinéens célèbrent tous les ans la fête de la déesse avec beaucoup de solennité. Au-dessous de Nestané s'étend - - -, partie là encore de la Plaine Stérile qu'on appelle la Piste de danse de Maira. La traversée de la Plaine Stérile compte dix stades. Après avoir un peu monté, on redescend dans une autre plaine, et à quelques pas de là on rencontre près de la grand-route une fontaine appelée Arné. (2) Les Arcadiens disent que Rhéa ayant accouché de Neptune le cacha dans une bergerie pour être élevé par des bergers dont les moutons paissaient là tout près, et qu'alors cette fontaine fut appelée Arné du mot grec "arnes", qui signifie des moutons. Rhéa fit croire ensuite à Saturne qu'elle avait accouché d'un poulain, et le lui donna à dévorer; comme plus tard à la naissance de Jupiter elle remplaça ce dernier par une pierre qu'elle présenta à Saturne, enveloppée de langes. (3) Au commencement de cet ouvrage, lorsque j'avais à rapporter ces sortes de fables inventées par les Grecs, je les trouvais ridicules et pitoyables; mais à présent j'en juge autrement. Je crois que les sages de la Grèce nous ont caché d'importantes vérités sous des énigmes, et que ce que l'on dit de Saturne est de cette nature. Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne les dieux, il faut s'en tenir à ce qui est établi, et en parler comme le commun des hommes en parle. (4) De la fontaine Arné à la ville des Mantinéens il n'y a guère que deux stades. Il est certain que Mantineus fils de Lycaon bâtit ailleurs une ville, que les Arcadiens appellent encore de son nom. Dans la suite Antinoé, fille de Képheus, fils lui-même d'Aléos, en vertu d'un certain oracle transféra sur le site actuel les habitants de cette ville. On dit qu'un serpent lui montra le chemin qu'elle devait tenir, mais on ne dit pas quelle espèce de serpent c'était; on ajoute seulement que le fleuve qui traverse la ville fut nommé de là Ophis, car Ophis en grec veut dire un serpent. (5) S'il est permis de tirer quelque conjecture des vers d'Homère, je croirais que ce serpent était un dragon. En effet lorsque dans le "Catalogue des vaisseaux" ce poète dit que les Grecs laissèrent Philoctète à Lemnos, souffrant des douleurs mortelles de la piqûre d'un serpent, il se sert non du mot Ophis, mais de celui d'hydros, une hydre; et au contraire, quand il dit qu'un aigle qui tenait un dragon dans ses serres le laissa tomber au milieu des Troyens, il emploie le mot ophis: c'est pourquoi on peut croire que le serpent qui servit de guide à Antinoé était un dragon. (6) Les Mantinéens, pour venir à leurs exploits, ne furent que spectateurs du combat que les autres Arcadiens livrèrent aux Lacédémoniens près de Dipaia; mais dans la guerre du Péloponnèse ils se liguèrent avec les Éléens en faveur d'Athènes contre Sparte, et soutenus par les Athéniens ils osèrent combattre les Lacédémoniens en bataille rangée. Ensuite suivant toujours l'inclination qu'ils avaient pour Athènes, ils firent voile sous ses enseignes en Sicile. (7) Quelques années après les Lacédémoniens sous la conduite d'Agésipolis, fils de Pausanias, envahirent la Mantinique, taillèrent en pièces tout ce qui s'opposa à eux, et prirent enfin la ville non pourtant par force, mais par adresse. Car ils détournèrent le fleuve Ophis, et lui firent prendre son cours le long des murs, qui bâtis de brique crue bientôt se délayèrent et ne furent d'aucune résistance. (8) En effet cette sorte de brique soutient mieux l'effort des machines de guerre que les pierres les plus dures, qui rudement frappées ou bien s'éclatent, oubien se détachent et se désunissent; mais à l'eau elle s'amollit et fond comme la cire au soleil. Agésipolis n'eut pas la gloire de l'invention dans cette affaire, il ne fit que ce que Cimon, fils de Miltiad, avait fait avant lui au siège d'Eïon sur le Strymon contre Bogès qui défendait la place pour le roi de Perse. (9) Agésipolis qui pouvait avoir entendu parler de ce stratagème si vanté à Pellène, en profita fort à propos. Lorsqu'il eut pris Mantinée il en rasa une bonne partie, et ne laissa sur pied que quelques maisons pour un petit nombre d'habitants qui y restèrent, les autres furent dispersés dans plusieurs villages. (10) Mais après la bataille de Leuctres ils furent rétablis dans leur ville par les Thébains; bienfait dont ils ne se montrèrent pas fort reconnaissants; car peu après ils traitèrent avec Sparte à l'insu des autres Arcadiens, et craignant les Thébains qui avaient découvert leur dessein, ils se rangèrent ouvertement dans le parti des Lacédémoniens. Du moins est-il certain qu'au combat de Mantinée ils combattirent sous les ordres des Lacédémoniens contre Épaminondas et contre les Thébains. (11) Mais ensuite s'étant brouillés avec eux ils quittèrent leur alliance pour entrer dans la Ligue d'Achaïe. Alors ils prirent les armes contre le roi de Sparte Agis, fils d'Eudamidas, et le chassèrent de leur pays; après quoi s'étant joints aux Achéens commandés par Aratos ils remportèrent une seconde victoire. Ils secondèrent encore les Achéens dans leur expédition contre Cléomène, et contribuèrent beaucoup à abattre la puissance des Lacédémoniens. Enfin parce qu'Antigone, tuteur de ce jeune Philippe qui fut père de Persée, s'était durant sa tutelle montré fort affectionné aux Achéens, les Mantinéens lui rendirent toute sorte d'honneurs, jusqu'à changer le nom de leur ville en celui d'Antigoneia. (12) Dans la suite à la bataille d'Actium qui eut lieu près du promontoire d'Apollon ils combattirent pour Auguste, tandis que les autres Arcadiens suivaient le parti d'Antoine, par aversion comme je crois pour les Lacédémoniens qui avaient embrassé celui d'Auguste. Enfin après dix générations, Hadrien, parvenu à l'empire, fit reprendre à la ville de Mantinée son ancien nom, ne trouvant pas bon qu'elle en portât un qui sentait un peu trop son amour pour les Macédoniens. [8,9] (1) Le principal temple de la ville est double ou pour mieux dire, c'en sont deux qui ne sont séparés que par un mur. Dans l'un il y a une statue d'Esculape, et c'est un ouvrage d'Alcamène; l'autre est consacré à Latone et à ses enfants; leurs statues ont été faites par Praxitèle trois générations après Alcamène. Sur le piédestal de ces statues le sculpteur a représenté d'un côté une Muse, de l'autre Marsyas qui joue de la flûte. Dans ce temple on voit une colonne contre laquelle est adossée une statue de Polybe, fils de Lykortas; je parlerai de lui ailleurs. (2) Les Mantinéens ont plusieurs autres temples; ils en ont un de Jupiter Sauveur, un autre de Jupiter Épidotès (= Dispensateur), comme qui dirait de la divinité dont les hommes tiennent tous leurs biens; un autre de Castor et de Pollux, un autre de Cérès et de Proserpine. Dans ce dernier ils conservent du feu toujours allumé, en prenant grand soin qu'il ne s'éteigne pas. J'ai vu aussi un temple de Junon près du théâtre. (3) La déesse est assise sur un trône, ayant à ses côtés sa fille Hébé et Minerve: c'est une sculpture de Praxitèle. Le tombeau d'Arkas, fils de Callisto, est tout auprès de l'autel de Junon; car c'est-là que ses os ont été apportés du Ménale à la suite d'un oracle rendu à Delphes, et conçu en ces termes: (4) "Ménale fut toujours le séjour des frimas; / Ménale cependant possède votre Arkas. / Peuples qui lui devez un nom si plein de gloire, / Hâtez-vous à l'envi d'honorer sa mémoire. / Qu'incessamment ses os par vos soins rapportés, / Soient au milieu de vous désormais respectés; / Et que ce héros, mis au rang des immortels, / Obtienne enfin chez vous un temple et des autels." Les Mantinéens déposèrent les cendres d'Arkas dans un lieu qu'ils nomment "les Autels du Soleil". (5) Aux environs du théâtre il y a plusieurs monuments dignes de curiosité, entre autres une espèce de rotonde où ils gardent le feu sacré, ou commun, ainsi qu'ils l'appellent. On croit que là repose Antinoé, fille de Képheus. Près de sa tombe on voit une colonne sur laquelle est une statue équestre de Grylos, fils de Xénophon. (6) Derrière le théâtre sont les ruines d'un temple de Vénus dite Symmachia (Alliance), avec quelques statues qui sont restées. Sur un piédestal vous voyez une inscription qui porte que ces statues avaient été consacrées par Nikippé, fille de Paséas. Les Mantinéens bâtirent ce temple à Vénus pour apprendre à la postérité qu'au combat naval d'Actium ils avaient combattu aux côtés des Romains. Ils ont aussi dédié un temple et une statue à Minerve Aléa. (7) Antinoos est encore une de leurs divinités, mais son temple est le plus récent de tous, et c'est pour faire leur cour à Hadrien qu'ils l'ont bâti. Pour moi je n'ai jamais vu Antinoos, mais bien de ses portraits et de ses statues. Mantinée n'est pas le seul endroit où il ait les honneurs divins; les Égyptiens ont sur le Nil une ville qui porte même son nom. Si l'on veut savoir pourquoi il est particulièrement honoré à Mantinée, en voici la raison. Antinoos était de Bithynion qui est au-delà du fleuve Sangarios. Or les habitants de Bithynion sont Arcadiens et même Mantinéens d'origine. (8) Voilà pourquoi l'empereur Hadrien a voulu qu'Antinoos eut à Mantinée un temple et des sacrifices, et qu'on y instituât même en son honneur des jeux célébrés tous les cinq ans. Dans le gymnase, il y a un édifice où l'on conserve des statues d'Antinoos; il mérite d'être vu pour la beauté du marbre dont il est orné et pour ses peintures. Antinoos y est peint en plusieurs endroits sous la forme de Bacchus, et l'on y voit aussi ce combat de la cavalerie athénienne, dont il y a un si beau tableau dans le Céramique à Athènes. (9) Sur la place publique vous verrez une statue de femme en bronze, qui, à ce que disent les habitants, représente Dioméneia, fille d'Arkas. Vous y verrez aussi le monument héroïque de Podarès, qui fut tué, disent-ils, en combattant contre Épaminondas et contre les Thébains. Quelque soixante et dix ans avant moi ils transférèrent au jeune Podarès, petit-fils de celui-ci, l'inscription qui était sur le tombeau de son aïeul. Le jeune Podarès était d'une génération permettant d'obtenir la citoyenneté romaine. (10) Mais à mon époque c'était l'ancien Podarès qui était honoré des Mantinéens. Et en effet ils disent qu'entre tous ceux qui payèrent de leur personne au combat de Mantinée, citoyens ou alliés, celui qui se distingua le plus fut Grylos, fils de Xénophon; après lui Képhisodoros de Marathon qui commandait la cavalerie des Athéniens, et en troisième lieu Podarès, celui-là même dont je parle. [8,10] (1) La ville est percée de telle sorte que de tous côtés il y a des chemins qui mènent dans le reste de l'Arcadie; je n'oublierai rien de ce qui se trouve de remarquable sur chaque route. En allant à Tégée, sur le grand chemin à gauche, et près des murs de Mantinée, vous voyez une plaine qui sert de lice pour les courses des chevaux, et un peu au-delà un stade où l'on court à pied dans les jeux institués en l'honneur d'Antinoos. Au-dessus de ce stade est le mont Alésion, ainsi appelé, dit-on, à cause de la vie errante de Rhéa. Le sommet de la montagne est couvert d'un bois consacré à Cérès. (2) Au bas est le temple de Neptune Hippios, il n'est éloigné de Mantinée que d'un stade. Je ne connais ce temple que par ouï-dire, et ceux qui en ont parlé n'en savaient pas plus que moi; car nul homme n'y peut entrer. En ce qui concerne le temple moderne que l'on voit aujourd'hui, c'est Hadrien qui l'a fait bâtir, en veillant à placer des surveillants pour empêcher que les ouvriers ne regardassent dans l'ancien temple, ni n'en enlevassent aucune démolition, et il a voulu que l'ancien temple fût renfermé dans le nouveau. Quant à l'ancien, on dit qu'il fut bâti par Agamédès et par Trophonios, et qu'eux-mêmes posèrent la charpente qui est en bois de chêne. (3) Pour en défendre l'entrée aux hommes ils n'employèrent ni barrière, ni verrou; ils tendirent seulement un cordon de laine devant la porte, soit qu'alors la religion ayant plus d'empire sur l'esprit des hommes, cela fût suffisant pour leur imprimer de la crainte et du respect, soit que ce cordon eût quelque vertu secrète. Quoi qu'il en soit, on raconte qu'Aipytos, fils d'Hippothoos, sans passer par-dessus, ni par-dessous le cordon, mais après l'avoir coupé, entra dans le temple, au mépris de la religion qui en faisait un crime; mais qu'aussitôt il fut aveuglé par une source d'eau qui lui jaillit au visage, et que peu après il mourut. (4) L'apparition d'une vague marine dans ce sanctuaire est une légende ancienne. On en dit autant du temple qui est dans la citadelle d'Athènes, et à Mylasa, ville de Carie, du temple de ce dieu qui dans la langue du pays se nomme Osogoa. Mais Athènes n'est qu'à vingt stades de Phalère et par conséquent de la mer; alors que du port de Mylasa à la ville on compte quatre-vingt stades. Pour la ville de Mantinée, elle est si loin dans les terres, que la mer ne peut venir dans le temple de Neptune que par un miracle. (5) En face du sanctuaire de Neptune, vous trouvez un trophée de marbre, monument de la victoire remportée sur les Lacédémoniens et sur Agis. Voici quelle fut la disposition de l'une et de l'autre armée. Les Mantinéens, qui avaient fourni un corps d'armée de toute classe d'âge, avaient l'aile droite et étaient commandés par Podarès, le petit-fils de celui qui se signala contre les Thébains. Ils avaient avec eux le devin éléen Thrasyboulos, fils d'Ainéas de la famille des Iamides; ce devin leur prédit la victoire, et lui-même y contribua beaucoup par sa valeur. (6) Tous les autres Arcadiens composaient l'aile gauche; car chaque ville avait fourni un certain nombre de troupes avec leurs chefs. Les Mégalopolitains entre autres étaient menés par Lydiadès et par Léokydès. Aratos, à la tête des Sicyoniens et des Achéens, avait reçu le centre. Les Lacédémoniens de leur côté étendirent leur phalange afin de faire front de toutes parts. Agis se mit au centre, avec la garde royale. (7) Dès le commencement du combat Aratos, suivant qu'il en était convenu avec les Arcadiens, fit semblant de lâcher pied, comme s'il ne pouvait soutenir la première furie de l'ennemi. Par cette feinte le corps de bataille forma une espèce de demi-lune; Agis croyant avoir déjà la victoire poursuit Aratos; les Lacédémoniens, ceux même de l'aile droite, et ceux de l'aile gauche, tous suivent leur général, (8) et tous se trouvent enveloppés par les Arcadiens qui en firent un très grand carnage. Agis fils d'Eudamidas périt en cette occasion. Les Mantinéens disent que Neptune lui-même combattit pour eux, et pour cette raison le trophée qu'ils érigèrent lui fut consacré. (9) Que des dieux assistent en personne aux guerres et aux combats des hommes, ce n'est pas chose nouvelle pour quiconque a lu l'Iliade d'Homère et les aventures de ses héros. Les Athéniens publient aussi qu'aux combats de Marathon et de Salamine les dieux prirent les armes en leur faveur, et il passe pour constant que l'armée des Gaulois fut défaite à Delphes par Apollon, et plus visiblement encore par les génies tutélaires de cette ville. Il ne serait donc pas étonnant que les Mantinéens fussent redevables de leur victoire à la présence et au secours de Neptune. (10) Ce Léokydès, qui fut chef des Mégalopolitains avec Lydiadès, mérite que je dise un mot de lui. J'ai ouï dire aux Arcadiens qu'il était le neuvième descendant de cet Arkésilaos, qui dans le temps qu'il demeurait à Lykosoura, vit un vieux cerf consacré à cette déesse qu'ils nomment la Maîtresse; ce cerf portait un collier, et sur ce collier cette inscription: "Jeune faon je fus pris, quand pour aller à Troie / Agapénor partait, plein d'ardeur et de joie". Ce qui prouve que les cerfs vivent plus longtemps que les éléphants. [8,11] (1) Le temple de Neptune n'est pas loin d'un bois fort épais, qu'ils nomment Pélagos (la Mer). À travers les chênes dont il est planté, un chemin qui conduit à Tégée, et dans le chemin même il y a un autel de figure ronde qui sépare le territoire de Mantinée de celui de Tégée. Si vous aimez mieux prendre la route qui est sur la gauche du temple, vous n'aurez pas fait cinq stades que vous trouverez la sépulture des filles de Pélias. Car les Mantinéens assurent qu'après l'insigne méchanceté de Médée, qui fut si fatale à leur père, elles se transportèrent en ce lieu, pour éviter les reproches qu'elles avaient mérités. (2) En effet Médée ne fut pas plus tôt venue à Iolkos qu'elle machina la perte de Pélias, afin de mettre sur le trône Jason qu'elle faisait semblant de haïr, mais qu'elle aimait au fond de son coeur. Pour y réussir, elle persuade aux filles de Pélias que si l'on veut la laisser faire, elle rajeunira leur père qui était d'un âge fort avancé. En leur présence elle prend un vieux bélier, le coupe en morceaux, le jette dans une chaudière, et après y avoir mêlé je ne sais quelles herbes, le retire et le fait voir transformé en un jeune agneau. (3) Elle entreprend donc de faire la même expérience sur la personne du roi, elle le dissèque de même et le jette dans une chaudière d'eau bouillante; mais la perfide l'y laissa jusqu'à ce que le feu l'eût entièrement consumé, de sorte que ses filles ne purent pas même lui donner la sépulture. Voilà ce qui fit prendre à ces malheureuses princesses le parti de venir en Arcadie où elles finirent leurs jours, et y furent inhumées, comme je l'ai dit. Aucun poète, au moins ceux que j'ai lus, ne nous a appris leurs noms; mais par leurs portraits que j'ai vus de la main de Mikon, je sais que l'une s'appelait Astéropé, et l'autre Antinoé. (4) À vingt stades de ces tombeaux vous verrez un monument de pierre entourée d'un balustrade et peu élevé au-dessus du sol; l'emplacement est nommé Phoizon. Là le chemin se rétrécit très fort; on vous montrera aux environs le monument dit d'Aréithoos surnommé Korynète (= Porteur de massue) à cause de l'arme qu'il portait. (5) Revenons à Mantinée, et prenons le chemin qui va à Pallantion. Quand vous aurez fait trente stades vous trouverez près du grand chemin ce bois qu'il leur a plu d'appeller le Pélagos. Ce fut là qu'eut lieu un combat de cavalerie entre les Athéniens et les Mantinéens d'une part, les Béotiens de l'autre. Épaminondas y fut tué, les Mantinéens en attribuent l'honneur à un de leurs citoyens qu'ils nomment Machairion; les Lacédémoniens disent que ce Machairion était de Sparte. (6) Mais les Athéniens assurent que ce fut Grylos, le brave fils de Xénophon, qui porta ce coup mortel à Épaminondas, et les Thébains en conviennent. Aussi Grylos en a-t-il toute la gloire dans ce beau tableau qui représente le combat de Mantinée, et qui se voit au Céramique d'Athènes. Les Mantinéens eux-mêmes semblent avoir souscrit à cette version par les funérailles officielles qu'ils organisèrent en son honneur et par le monument qu'ils lui érigèrent dans le lieu même où il tomba, monument qui atteste encore que ce fut Grylos qui se distingua le plus à cette fameuse journée. Pour Machairion, les Lacédémoniens et les Mantinéens ont beau en parler, je tiens bien assuré que jamais homme de ce nom n'a reçu de marque d'honneur, ni chez les uns, ni chez les autres. (7) Épaminondas, retiré de la mêlée, ferma sa plaie comme il put; ensuite il observa le déroulement du combat, d'un lieu que l'on a depuis nommé Skopè (l'Observatoire). Quand il vit la victoire disputée et l'avantage égal de part et d'autre, il débanda sa plaie et rendit l'âme avec son sang. Ce grand homme fut inhumé sur le champ de bataille. (8) On lui dressa une colonne à laquelle on attacha son bouclier où un dragon était gravé, pour marquer qu'il était de la race des Spartes, ces hommes sortis des dents de dragon dont la terre avait été semée. Aujourd'hui il y a deux colonnes sur son tombeau, l'une ancienne avec une inscription en béotien, l'autre moderne que l'empereur Hadrien a fait ériger avec une nouvelle inscription. (9) Je crois que l'on peut mettre Épaminondas en parallèle avec tout ce que les Grecs ont eu de plus grands capitaines. Car les plus illustres généraux, soit d'Athènes, soit de Lacédémone, ont eu cet avantage de trouver leur ville en mesure d'imposer sa loi aux autres, et ont commandé des troupes à qui cette supériorité enflait le courage. Mais Épaminondas se mit à la tête des Thébains lorsqu'ils étaient le plus découragés et presque subjugués; cependant en très peu de temps non seulement il les tira de cet état d'humiliation, mais il les rendit supérieurs aux autres. (10) Depuis longtemps l'oracle de Delphes l'avait averti de se défier de ce que les Grecs appellent le Pélagos, et pour profiter de cet avis il évitait soigneusement de monter ni galère, ni bâtiment de transport; mais le dieu voulait dire ce bois que les Mantinéens nommaient le Pélagos. Cette ressemblance de nom avait déjà trompé les Athéniens, et depuis trompa encore Hannibal le Carthaginois. (11) L'oracle d'Ammon avait prédit à ce général carthaginois qu'après sa mort il serait enterré dans la terre de Libye. Sur la foi de cet oracle Hannibal comptait qu'après avoir défait les Romains il reverrait sa patrie et y finirait ses jours. Mais les affaires ayant changé de face, Flaminius qui voulait le prendre vivant obligea Prusias à le chasser de ses états où il s'était réfugié. Hannibal en montant à cheval se blessa le doigt avec son épée qui était à demi sortie du fourreau. Il n'eut pas fait quelques stades que l'inflammation provoqua de la fièvre; au bout de trois jours il mourut et fut enterré dans un village que les Nicomédiens nommaient Libyssa. (12) Quant aux Athéniens, l'oracle de Dodone leur conseilla d'aller s'établir en Sicile; mais cette Sicile était une petite colline peu distante d'Athènes. Eux, prenant l'oncle dans un autre sens, portèrent la guerre fort loin de leur pays et jusqu'à Syracuse. On pourrait trouver bien d'autres exemples de semblables méprises. [8,12] (1) Un stade au-delà du tombeau d'Épaminondas vous verrez le temple de Jupiter surnommé Charmon. Dans les bois d'Arcadie il y a des chênes de plusieurs espèces, les uns ont la feuille fort large, d'où ils prennent leur dénomination; les autres sont des hêtres; d'autres ont l'écorce si poreuse et si légère que dans l'eau elle surnage, et qu'elle peut servir de marque aux mariniers et aux pêcheurs, pour reconnaître l'endroit où ils ont jeté soit l'ancre, soit leurs filets. C'est pourquoi les poètes d'Ionie, et entre autres Hermésianax qui a fait des élégies où il parle de cette écorce, emploient un mot qui signifie du liège. (2) Méthydrion, autrefois une ville, n'est plus qu'un village appartenant aux Mégalopolitains; si vous voulez y aller, un chemin y mène de Mantinée. Quand vous aurez fait environ trente stades, vous entrerez dans la plaine nommée Alkimédon. Au-delà est le mont Ostrakina où l'on vous montrera la grotte qui servait de demeure à Alkimédon; c'était un de ces hommes a qui l'on a donné le nom de héros. (3) Si l'on en croit les Phigaliens, Hercule devint amoureux de sa fille nommée Phialo, et en eut un fils. Alkimédon tout de suite après les couches de sa fille fit exposer la mère et l'enfant sur la montagne. Une pie à force d'entendre crier l'enfant apprit à le contrefaire. (4) Si bien qu'un jour Hercule passant par là et entendant la voix de la pie crut entendre les cris d'un enfant; il se détourna, vit la mère et son fils, les reconnut et les délivra du danger où ils étaient. L'enfant eut nom Aichmagoras; et une source voisine fut nommée Kissa (la Pie). Quarante stades plus loin vous trouvez un lieu qu'ils appellent Pétrosaka, et qui sert de limites entre les Mantinéens et les Mégalopolitains. (5) Outre les deux routes dont j'ai parlé, il y en a deux autres qui vont à Orchomène. Sur l'une des deux est le stade de Ladas, ainsi nommé parce que Ladas avait coutume de s'y exercer à la course. Près de là on voit un temple de Diane, et sur le chemin à droite une petite hauteur que l'on dit être le tombeau de Pénélope. Car la tradition des Arcadiens sur Pénélope ne s'accorde pas avec le texte du poème appelé Thesprotide. (6) Ce poème dit que Pénélope après le retour d'Ulysse lui donna un fils qui eut nom Ptoliporthès; mais les Mantinéens prétendent qu'accusée par son mari d'avoir introduit des amoureux dans sa maison, elle en fut chassée; qu'elle se retira d'abord à Sparte, et qu'ensuite elle vint à Mantinée, où elle finit ses jours. (7) La sépulture de Pénélope touche à une plaine de peu d'étendue bornée par une montagne où l'on voit les ruines de l'ancienne Mantinée, qui conserve encore le nom de Ptolis; et en avançant un peu vers le nord on rencontre la source Alalkoméneia. À trente stades de la ville ce sont les ruines du village de Maira, je ne sais pourtant s'il est bien vrai que Maira ait eu sa sépulture en ce lieu; car les Tégéates, qui prétendent avoir chez eux le tombeau de cette fille d'Atlas, me paraissent mieux fondés. Mais peut-être a-t-elle eu une fille de même nom, qui est venue s'établir chez les Mantinéens. (8) J'ai dit qu'il y avait une autre route qui menait à Orchomène. En suivant celle-là on trouve le mont Anchisia, au bas duquel est le tombeau d'Anchise; car Énée faisant voile en Sicile prit terre en un endroit de la Laconie, et s'y arrêta assez pour fonder les villes d'Aphrodisias et d'Étis. Pendant ce temps-là son père Anchise qui était allé en Arcadie je ne sais pour quel dessein, y mourut et y fut enterré. C'est pourquoi ce lieu fut nommé le mont Anchisia. (9) Et ce qui semble confirmer cette tradition, c'est que les Éoliens qui occupent à présent l'ancienne Troie n'ont trouvé nulle part le tombeau d'Anchise. Près de la montagne on voit encore les restes d'un temple qui avait été dédié à Vénus. C'est cette même montagne qui sépare les Mantinéens des Orchoméniens. [8,13] (1) En entrant sur les terres des Orchoméniens, à la gauche du chemin qui vient du mont Anchisia, on voit sur la pente d'une montagne le temple de Diane Hymnia. Ce temple est commun aux deux peuples. Ils y ont un prêtre et une prêtresse qui font voeu de chasteté perpétuelle et qui mènent une vie fort austère; l'usage du bain et de plusieurs autres choses permises aux autres gens leur est interdit, et jamais ils ne font de visites chez un particulier. Je sais qu'il en est de même des principaux ministres du temple de Diane à Éphèse, avec cette différence que ceux-ci ne gardent la règle que durant leur année d'exercice. La fête de Diane Hymnia se célèbre tous les ans. (2) La première ville d'Orchomène était sur la cime de la montagne; on voit encore les vestiges des murs et de la place publique. Aujourd'hui la ville est bâtie au-dessous des anciens murs. Ce que l'on y trouve de remarquable, c'est une source qui fournit de l'eau en abondance aux habitants; c'est en second lieu un temple de Neptune et un temple de Vénus où ces divinités sont en marbre. Près de la ville on voit une statue en bois de Diane, placée dans le creux d'un grand cèdre; aussi l'appelle-t-on la déesse Kédréatis (= du Cèdre). (3) Au bas de la ville il y a des monceaux de pierres à quelque distance les uns des autres; je crois que ce sont de vieux tombeaux faits à la hâte pour des gens qui ont péri dans quelque combat; mais on ne peut dire si ce combat s'est donné contre des Arcadiens, ou contre d'autres peuples du Péloponnèse, parce qu'aucune inscription ne l'indique, et que les Orchoméniens eux-mêmes n'en ont pas souvenir. (4) En face d'Orchomène est une montagne fort escarpée que l'on nomme par cette raison le mont Trachy (= Abrupt). Entre la montagne et la ville il y a une ravine, où l'eau du ciel forme une espèce de torrent qui se répand dans une grande plaine, dont un marais occupe une bonne partie. Quelque trois stades au-delà d'Orchomène vous trouvez un chemin qui vous mène tout droit à la ville de Kaphya; ce chemin est à côté du torrent, puis tourne sur la gauche vers le marais. (5) Quand vous aurez passé le torrent vous verrez au pied du mont Trachy un autre chemin, près duquel est le tombeau de cet Aristokratès qui viola autrefois la prêtresse de Diane Hymnia. Les sources Téneiai sont tout près. Sept stades plus loin c'est le lieu appelé Amilos, qui était anciennement une ville, à ce que l'on dit. En cet endroit le chemin fourche une seconde fois, allant d'un côté à Stymphale, de l'autre à Phénéos. (6) La route de Phénéos conduit aussi à une montagne qui fait la frontière entre les Orchoméniens, les Phénéates et les Kaphyates. Un rocher fort élevé domine l'endroit: on le nomme la roche Kaphyatique. Après la montagne est un grand vallon, et les villes que j'ai nommées sont sur la hauteur. Le chemin qui conduit à Phénéos passe par ce vallon, au milieu duquel est un ruisseau, et à l'extrémité de la gorge, on a le lieu-dit Karyai (= les Noyers). [8,14] (1) La plaine des Phénéates s'étend au-dessous de Karyai; cette plaine fut autrefois tellement inondée que l'eau gagnant la hauteur, l'ancienne ville de Phénéos fut submergée. Il y a encore sur les montagnes des marques auxquelles on peut juger jusqu'où l'eau monta. À cinq stades de Karyai ce sont les monts Oryxis et Skiathis. Au bas de l'un et de l'autre, un gouffre reçoit l'eau des campagnes voisines. (2) Les Phénéates croient que ces gouffres ont été faits de main d'homme, et même par Hercule dans le temps qu'il demeurait à Phénéos chez Laonomé, mère d'Amphitryon; car ils disent qu'Alcée eut Amphitryon, non, comme on le prétend, de Lysidiké, fille de Pélops, mais de Laonomé, fille de Gounès, et native de Phénéos. S'il est vrai qu'Hercule ait demeuré chez ces peuples, on peut croire que chassé de Tirynthe par Eurysthée, il ne vint pas tout de suite à Thèbes, mais qu'il s'arrêta quelque temps à Phénéos. (3) Il creusa un canal à travers les terres des Phénéates, pour servir de lit au fleuve Olbios, ou Aroanios, comme l'appellent d'autres Arcadiens. Ces travaux s'étendent sur cinquante stades, et aux endroits où les bords sont conservés dans leur entier, le canal mesure trente pieds de profondeur. Mais comme il n'a pas été bien entretenu, le fleuve a repris son ancien cours. (4) Au-delà des gouffres creusés dans les montagnes dont j'ai parlé plus haut, à quelque cinquante stades, il y a la ville. Si l'on en croit les Phénéates, ils ont eu pour fondateur un certain Phénéos originaire du pays. Leur citadelle est sur un roc escarpé de tous côtés, l'avantage de la situation joint à quelques ouvrages que l'on y a faits rend cette place très forte. On y voyait autrefois un temple de Minerve Tritonia, mais il n'en reste plus que des ruines. (5) Les Phénéates disent qu'Ulysse y consacra aussi une statue de bronze à Neptune Hippios (=Protecteur des chevaux). Selon eux ce fut à l'occasion de ses cavales qu'il avait perdues; car après les avoir cherchées inutilement par toute la Grèce, les ayant retrouvées chez eux, il bâtit un temple à Diane sous le nom de Diane Heurhippa (= Qui trouve les chevaux), et en même temps il fit ériger une statue à Neptune Hippios. (6) Quant à ses cavales Ulysse voulait qu'elles fussent nourries dans les pâturages des Phénéates, comme il faisait paître ses troupeaux de vaches dans le continent en face d'Ithaque. Et en effet ils me montrèrent sur le piédestal de la statue une inscription où il était question de la récompense qu'Ulysse promettait à ceux qui prendraient soin de ses juments. (7) Mais je ne tiens pas ce récit véritable en tous ses éléments: on ne me persuadera point qu'Ulysse ait érigé une statue de bronze à Neptune. Les hommes n'avaient point encore alors l'art de fondre le métal et de le jeter en moule. On faisait une statue comme un habit, successivement et par pièces, non d'un seul jet et tout à la fois; c'est ce que j'ai déjà dit dans le troisième livre de cet ouvrage, en parlant de la statue de Jupiter surnommé Hypatos (le Très Haut). (8) En effet les premiers qui aient su fondre une statue ont été Rhoïkos, fils de Philaios, et Théodoros, fils de Téléklès, tous deux de Samos; c'est ce même Théodoros qui avait gravé cette belle émeraude qui servait de cachet à Polycrate tyran de Samos, et dont il faisait tant de cas. (9) Sur la pente de la montagne où la citadelle est bâtie on a aménagé un stade; et sur la cime on voit le tombeau d'Iphiklès, frère d'Hercule et père d'Iolaos. Les Grecs disent qu'Iolaos fut le compagnon d'Hercule en plusieurs de ses travaux. Pour Iphiklès, dès la première expédition d'Hercule contre Argée roi des Éléens, il fut blessé par les fils d'Aktor, que l'on appelait les Molionides du nom de Molioné leur mère. Ses amis le voyant hors de combat, le firent porter à Phénéos, où Bouphagos et Promné sa femme eurent grand soin de lui; cependant il y mourut de sa blessure et y fut enterré. (10) Les Phénéates l'honorent tous les ans sur son tombeau comme un héros. Mercure est de tous les dieux celui à qui ils ont le plus de dévotion; ils célèbrent en son honneur des jeux qu'ils nomment Herméens (= Hermaia), et ils lui ont bâti un temple où le dieu est en marbre; cette statue est un ouvrage de l'Athénien Eucheir, fils d'Euboulidès. Derrière ce temple on voit le tombeau de Myrtilos, que les Grecs ont cru fils de Mercure; il était l'écuyer d'Oinomaos, et il conduisait ses chevaux avec tant d'adresse que sur la fin de la course son maître atteignait toujours ceux qui pour avoir Hippodamie osaient entrer en lice avec lui, et aussitôt il les perçait de son javelot. (11) Myrtilos devenu lui-même amoureux de la princesse et n'osant pas disputer contre son maître continua ses fonctions d'écuyer; mais on dit qu'il trahit Oinomaos en faveur de Pélops après avoir fait promettre à celui-ci qu'il le laisserait jouir d'Hippodamie durant une nuit. Pélops ensuite sommé par Myrtilos de lui tenir sa promesse fut si indigné de son audace, qu'il le jeta du haut de son navire dans la mer. On ajoute que son corps poussé par les flots sur le rivage fut recueilli par les Phénéates qui lui donnèrent sépulture, et qui encore à présent célèbrent tous les ans son anniversaire durant une certaine nuit. (12) Il est évident que Pélops ne faisait pas alors une longue navigation; selon toute apparence il s'était embarqué à l'embouchure de l'Alphée pour venir au port d'Élis. Ainsi je ne crois point que la mer de Myrto ait pris son nom de Myrtilos, fils de Mercure; car cette mer s'étend depuis l'Eubée jusqu'à la mer Égée avec laquelle elle se joint auprès d'une île déserte, dite l'île d'Hélène. J'aime donc mieux croire avec les Eubéens les plus versés dans l'histoire de leur pays, que c'est une femme nommée Myrto qui a donné son nom à cette mer. [8,15] (1) Les Phénéates ont aussi un temple de Cérès Éleusinienne; ils célèbrent une cérémonie d'initiation en l'honneur de la déesse, et ils prétendent que les rites pratiqués chez eux sont les mêmes que ceux d'Éleusis: en effet, Naos serait venu chez eux pour obéir à un oracle de Delphes, et ce Naos serait un arrière-petit-fils d'Eumolpos. Près du temple de l'Éleusinienne est un endroit appelé Pétroma; ce sont deux grosses pierres placées l'une sur l'autre et parfaitement jointes. (2) Quand arrive le jour de l'initiation dite majeure, on sépare ces deux pierres, on en tire les écrits qu'elles renferment, et qui contiennent le rituel et les cérémonies à observer; après les avoir lus de façon que les mystes les entendent, on les remet en place la même nuit. Ces deux pierres sont en si grande vénération que dans les affaires importantes la plupart des gens de Phénéos jurent par le Pétroma. (3) Il y a par dessus une espèce de petit dôme, où l'on conserve un masque de Cérès surnommée Kidaria. Le jour des grands mystères le prêtre se met ce masque pour frapper de verges, selon une tradition, les habitants du monde souterrain. Les Phénéates disent qu'avant Naos, Cérès cherchant sa fille serait venue chez eux, et que pour récompenser ceux qui lui firent un bon accueil elle leur aurait donné toute sorte de légumes sauf des fèves. (4) Pourquoi ils tiennent ce légume pour impur, c'est un donnée qui ne se révèle point. Trisaulès et Damithalès qui d'après le récit des Phénéates eurent l'honneur de recevoir Cérès, lui bâtirent un temple, sous le nom de Thesmia, au bas du mont Cyllène, et instituèrent aussi en son honneur une fête à initiation qu'ils célèbrent encore aujourd'hui. Ce temple dédié à Cérès Thesmia est à quinze stades de la ville. (5) Sur le chemin qui mène de Phénéos à Pellène et à Aigira, cité achéenne, à quelque quinze stades de distance, vous trouverez le temple d'Apollon Pythios. Mais vous n'en verrez que les ruines avec un autel de marbre blanc que le temps a épargné et où les Phénéates sacrifient encore à Apollon et à Diane. Ils croient que ce fut Hercule qui après avoir conquis l'Élide fit bâtir ce temple. Aux environs on voit la sépulture de plusieurs héros qui partagèrent avec lui l'honneur de cette expédition et qui périrent dans ce combat. (6) Je remarquerai entre autres le tombeau de Télamon non loin du temple sur le bord de la rivière Aroanios, et le tombeau de Chalkodon près de la fontaine Oinoé. Mais il ne faut pas croire que ce Chalkodon fût le père d'Éléphénor qui s'embarqua pour Troie avec les autres capitaines grecs, ni que ce Télamon ait été le père d'Ajax et de Teukros. En effet comment Chalkodon eût-il pu suivre Hercule à la guerre d'Élide, puisqu'il avait été tué auparavant par Amphitryon, comme nous le savons avec certitude par l'histoire et par les monuments des Thébains? (7) Et comment Teukros aurait-il bâti Salamine dans l'île de Chypre, si personne ne l'a empêché de revenir chez lui après la prise de Troie, et quel autre pouvait l'empêcher de rentrer chez lui que son père Télamon? Il faut donc conclure que c'est un Chalkodon différent de celui de l'île d'Eubée, et un Télamon autre que le Télamon roi d'Égine. Car dans tous les temps, comme de nos jours, les noms des grands hommes ont été portés par des gens obscurs. (8) Au reste les Phénéates, du côté de l'Achaïe limitrophe, n'ont pas une frontière terrestre d'un seul tenant, mais, du côté de Pellène ils ont la rivière Porinas et du côté d'Aigira, "les confins de Diane". Sur les terres des Phénéates, un peu après le temple d'Apollon Pythios vous trouvez un chemin qui conduit au mont Krathis. (9) C'est sur cette montagne que le fleuve du même nom prend sa source. Il se jette dans la mer auprès d'Aigai, un lieu désert aujourd'hui, mais qui autrefois était une ville d'Achaïe. Le Krathis, fleuve d'Italie dans le pays des Bruttiens, a pris son nom de celui-ci. Sur le mont Krathis il y a un temple de Diane Pyronia (= de la flamme), où les Argiens anciennement venaient chercher du feu pour les Lernaia. [8,16] (1) En allant de Phénéos à l'orient on trouve le mont Géronteion et tout près une route; cette montagne sert de frontière entre les Phénéates et les gens de Stymphale. À la gauche de la montagne, en faisant route à travers les Phénéates, on a les montagnes appelées Trikrènes, à cause de trois fontaines qui sont là et où l'on dit que les nymphes lavèrent Mercure lorsqu'il vint au monde; c'est pourquoi ce lieu est consacré à Mercure. (2) Non loin des Trikrènes est le mont Sépia où l'on tient qu'Aipytos fils d'Élatos mourut de la piqûre d'un serpent; il fut enterré là parce que l'on ne put transporter son corps plus loin. Les Arcadiens disent que cette montagne engendre encore des serpents fort venimeux, mais qu'ils y sont rares, parce que la montagne étant couverte de neige une bonne partie de l'année, s'ils sortent de leurs trous ils périssent dans la neige, et s'ils se cachent, 1a rigueur du froid les fait mourir sous terre. (3) Comme je savais qu'Homère en parlant des Arcadiens a fait mention du tombeau d'Aipytos, je le considérai avec soin; c'est un petit tertre cerné en rond d'une balustrade de pierres. Je crois qu'Homère ne l'a vanté que parce qu'il n'en avait point vu de plus beau; de même qu'il compare les danses gravées par Vulcain sur le bouclier d'Achille à celles que Dédale avait inventées pour Ariadne, parce qu'il ne connaissait rien de plus parfait en ce genre. (4) Pour moi j'ai connaissance de plusieurs tombeaux beaucoup plus dignes d'admiration; j'en puis citer deux autres, l'un à Halicarnasse, et l'autre chez les Hébreux. Le premier érigé pour Mausole qui était roi d'Halicarnasse est d'une grandeur et d'une magnificence telles que les Romains pleins d'admiration pour ce monument, quand ils parlent d'un tombeau magnifique, croient avoir tout dit en disant, c'est un mausolée. (5) Le second était dans la ville de Solymes, qu'un empereur romain a entièrement détruite; c'était la sépulture d'une femme du pays, nommée Hélène. La porte du tombeau qui était de marbre comme tout le reste, s'ouvrait d'elle-même à certain jour de l'année et à certaine heure par le moyen d'une machine, et se refermait peu de temps après. En tout autre temps si vous aviez voulu l'ouvrir, vous l'auriez plutôt rompue. [8,17] (1) Du tombeau d'Aipytos vous arrivez au mont Cyllène, le plus haut de toute l'Arcadie; le temple de Mercure Kyllénios (Cyllénien) est sur la cime, mais tout en ruines. Il est certain que c'est Kyllen, fils d'Élatos, qui a donné son nom à la montagne et au temple. (2) En ces temps-là les statues des dieux, autant que nous puissions le savoir, se faisaient en bois d'ébène, ou de cyprès, ou de cèdre, ou de chêne, ou d'if, ou de lotus. Mais la statue du Mercure du Cyllène est en citronnier, et suivant mes estimations, elle a environ huit pieds de haut. (3) Une des merveilles du mont Cyllène, c'est qu'on y voit communément des merles qui sont tout blancs; les oiseaux que les poètes comiques appellent de ce nom sont d'une autre espèce et ne chantent point. Des aigles blancs, dénommés aigles-cygnes, j'en connais pour en avoir vu au mont Sipyle sur les bords d'un lac dit de Tantale. Des sangliers blancs et des ours blancs sont choses si communes en Thrace que même des particuliers, je crois, en ont chez eux. (4) En Libye on nourrit des lièvres blancs; et j'ai vu à Rome des biches toutes blanches, ce qui à vrai dire, me surprit extrêmement; il ne me vint pas à l'esprit de demander si elles venaient d'une île, ou d'un pays en terre ferme. J'ai voulu rapporter tous ces exemples, pour qu'on ne mette pas ma parole en doute quand je dis qu'il y a des merles blancs au mont Cyllène. (5) Cette montagne est suivie d'une autre que les Arcadiens nomment le mont Chélydoréa, parce que, disent-ils, Mercure y ayant trouvé une tortue, l'ouvrit, tua l'animal, et de l'écaille fit une lyre. Cette montagne, dont les Achéens possèdent la plus grande partie, sert de frontière entre les Phénéates et les Pellénéens. (6) Si vous allez de Phénéos vers le couchant, vous trouverez sur la gauche un chemin qui va à la ville de Kleitor, et sur la droite un autre qui conduit à Nonakris et à l'eau de Styx. Nonakris était autrefois une petite ville d'Arcadie qui avait pris son nom de la femme de Lycaon; aujourd'hui on n'en voit que les ruines, encore sont-elles pour la plupart ensevelies sous terre. Près de ces ruines il y a une partie de la montagne qui s'élève si prodigieusement, que je n'ai rien vu de si haut, et du sommet dégoutte sans cesse une eau que les Grecs nomment l'eau de Styx. [8,18] (1) Hésiode dans sa Théogonie, car quelques-uns lui attribuent cet ouvrage, fait de Styx la fille d'Okéanos et la femme de Pallas. On prétend que Linos dit quelque chose de semblable dans ses poésies; pour moi, à les lire de près, ces histoires me sont apparues entièrement fausses. (2) Mais Épiménide de Crète dit aussi que Styx fut fille d'Okéanos, et il ajoute que mariée à Peiras (on ne sait pas trop qui était Peiras) elle enfanta Échidna. Homère est de tous les anciens poètes celui qui a le plus souvent employé le nom de Styx dans ses vers; témoin cet endroit où il exprime ainsi le serment que fait Junon: "J'en atteste le ciel, la terre et les enfers; / J'en atteste de Styx l'eau qui tombe sans cesse." Il semble qu'en homme qui avait vu les lieux, le poète ait voulu décrire l'eau qui dégoutte continuellement de ce rocher. Dans un autre endroit en faisant le dénombrement de ceux qui avaient suivi Gouneus il parle du fleuve Titarésios, et en parle comme d'un fleuve qui était formé des eaux de Styx. (3) Enfin quand il nous présente Minerve se plaignant à Jupiter, et lui reprochant qu'il a oublié que c'est par elle et par son secours qu'Hercule était si heureusement sorti des travaux qui lui avaient été imposés par Eurystée, il fait de Styx un fleuve qu'il place dans les enfers: "Car si j'avais su cela dans mon âme prudente lorsqu'Eurysthée l'envoya / vers la demeure d'Hadès aux portes solidement closes, / pour ramener le chien de l'odieux Hadès en dehors de l'Érèbe, / il n'aurait pas évité le cours vertigineux de l'eau de Styx". (4) Quoi qu'il en soit, l'eau qui dégoutte de ce rocher près de Nonakris, après s'être fait une route à travers une grosse roche fort haute, tombe dans le fleuve Krathis; cette eau est mortelle aux hommes et à tout animal. Souvent des chèvres sont mortes pour en avoir bu. Par la suite, on apprit à connaître tout ce que cette eau peut posséder encore comme propriétés merveilleuses. 5) Le verre, le cristal, la porcelaine, les objets que les hommes font en pierre et la vaisselle en céramique, tout cela est brisé par l'eau de Styx; les objets de corne et d'os, le fer et le bronze, ainsi que le plomb, l'étain, l'argent et l'électrum sont décomposés par cette eau. L'or souffre de la même manière que tous les autres métaux; et pourtant l'or est exempt de la rouille: la poétesse de Lesbos (Sappho) en témoigne et l'or lui-même en donne la preuve. (6) Tant il est vrai que dieu donne aux choses les plus viles une vertu secrète qui souvent à certains égards les met au-dessus des choses que les hommes estiment le plus. C'est ainsi que le vinaigre dissout les perles, et que le sang de bouc amollit le diamant qui est de toutes les pierres la plus dure. Mais cette même eau de Styx n'agit point sur la corne du pied des chevaux. Un vase en cette matière est le seul où l'on en puisse garder, et qui n'est pas détruit par elle; j'ignore si Alexandre fils de Philippe a été empoisonné avec cette eau, je sais seulement qu'on l'a dit. (7) Au-dessus de Nonakris, ce sont les monts Aroaniens; on y montre une grotte où l'on dit que les filles de Proitos dans leur démence allèrent se cacher, jusqu'à ce que Mélampous par des sacrifices secrets et par des purifications les en fit sortir, pour les mener en un lieu que l'on nomme Lousoi. La plus grande partie des monts Aroaniens est habitée par les Phénéates, mais Lousoi est déjà sur les confins des gens de Kleitor. (8) On assure que Lousoi était autrefois une ville. Du moins est-il certain qu'Agésilas fut proclamé en tant que Lousien lorsqu'il remporta la course de chevaux montés, lorsque les Amphictyons firent célébrer les jeux Pythiques pour la onzième fois. Mais aujourd'hui il ne reste pasle moindre vestige de cette ville. Quant à Mélampous, après avoir mené les filles de Proitos à Lousoi, il les guérit de leur folie dans le temple de Diane; c'est pourquoi les gens de Kleitor honorent la déesse sous le nom de Diane Hémérasia (Douce). [8,19] (1) Les Kynaithéens sont encore un peuple d'Arcadie; ils envoyèrent autrefois à Olympie une statue de Jupiter qui tient un foudre dans chaque main. Ils sont à quelque quarante stades du temple de Diane dont je viens de parler. Dans leur ville au milieu de la place publique ils ont plusieurs autels consacrés à différentes divinités et une statue de l'empereur Hadrien. (2) Ce que j'ai vu de plus remarquable chez eux est ceci: un temple de Bacchus et une fête du dieu célébrée au coeur de l'hiver; les hommes se frottent de graisse, puis ils vont prendre au milieu du troupeau le taureau qu'ils croient devoir être le plus agréable au dieu, et l'apportent jusque dans le temple: telle est leur manière de sacrifier. En second lieu on me fit voir à deux stades de la ville une source d'eau froide, ombragée d'un platane. (3) Si quelqu'un est mordu d'un chien enragé, ou dans les cas de blessure critique ou de tout autre danger de mort, il n'a qu'à boire de cette eau pour être guéri; aussi nomment-ils cette source Alyssos (Qui délivre de la rage). Si donc les Arcadiens sur les confins des Phénéates ont l'eau de Styx qui est mortelle, ils ont aussi du côté des Kynaithéens cette source qui est très salutaire; ainsi l'un compense l'autre. (4) Des deux routes qui vont de Phénéos au couchant, celle de gauche conduit à Kleitor et s'étend le long de ces travaux réalisés par Hercule pour donner un cours à la rivière Aroanios. En les longeant, la route descend au lieu-dit Lykouria qui sert de frontière entre les Phénéates et les gens de Kleitor. [8,20] (1) Cinquante stades plus loin ce sont les sources du Ladon; j'ai ouï dire que les eaux qui font une espèce de marais sur le territoire de Phénéos, après s'être engouffrées sous les montagnes dont le pays est environné, ressurgissent ici et donnent les sources du Ladon. Ce qui en est exactement, je ne le sais pas: mais je sais que dans toute la Grèce il n'y a pas un autre fleuve qui soit comparable au Ladon pour la beauté de ses eaux. Les aventures de Daphné et les chants qui la concernent ont aussi contribué à rendre ce fleuve célèbre. (2) Je ne m'arrête point à raconter ce que les Syriens qui habitent les bords de l'Oronte débitent au sujet de Daphné; les Arcadiens et les Éléens ont une autre tradition qui est bien différente. Selon eux Leukippos était fils d'Oinomaos, roi de Pisa; le jeune prince, passionnément amoureux de Daphné, comprit que s'il la recherchait ouvertement en mariage il s'exposerait à un refus, parce qu'elle avait de l'aversion généralement pour tous les hommes: voici donc le stratagème dont il s'avisa. (3) Il laissa croître ses cheveux pour en faire, disait-il, un sacrifice au fleuve Alphée; après les avoir noués à la manière des jeunes filles il prit un habit de femme et alla voir Daphné; il se présenta à elle sous le nom de la fille d'Oinomaos, et lui dit avoir grande envie de faire une partie de chasse avec elle. Daphné fut trompée par l'habit, et Leukippos passa pour une fille. Comme d'ailleurs sa naissance et son adresse lui donnaient un grand avantage sur toutes les compagnes de Daphné, et qu'il n'oubliait rien pour lui plaire, il eut bientôt gagné ses bonnes grâces. (4) Ceux qui mêlent les amours d'Apollon avec cette aventure ajoutent que le dieu, piqué de voir Leukippos plus heureux que lui, inspira à Daphné et à ses compagnes l'envie de se baigner dans le Ladon; que Leukippos fut contraint de quitter ses habits comme les autres, et qu'ayant été reconnu pour ce qu'il était, il fut tué à coups de javelines et de poignards. [8,21] (1) Voilà ce que disent les Arcadiens. De la source du Ladon à Kleitor, il peut y avoir quelque soixante stades. Vous y allez par un chemin fort étroit qui longe la rivière Aroanios. Près de Kleitor vous passez une rivière de même nom qui se jette dans l'Aroanios à sept stades de la ville. (2) Ce dernier fleuve nourrit plusieurs sortes de poissons et entre autres ce qu'ils appellent des "tachetés", qui, si l'on veut les en croire, ont un cri semblable à celui des grives. Pour moi j'ai vu de ces poissons hors de l'eau, et je n'ai entendu aucun cri, quoique je sois resté sur le bord du fleuve jusqu'après le coucher du soleil, parce que l'on m'assurait que c'était particulièrement en ce temps-là qu'ils se faisaient entendre. (3) La ville de Kleitor a pris son nom d'un fils d'Azan; elle est située dans une plaine, et environnée de collines. Ses principaux temples sont ceux de Cérès, d'Esculape et d'Ilithye. Olen, poète de Lycie en un temps assez ancien, composa des hymnes pour les Déliens, entre autres un hymne à Ilithye; il la qualifie d'Eulinos (Bonne fileuse), en l'identifiant évidemment avec une Parque, et il la dit plus ancienne que Saturne. (4) Ceux de Kleitor ont encore un temple dédié aux Dioscures, qu'ils appellent les Grands Dieux; ce temple est à environ quatre stades de la ville, Castor et Pollux y sont en bronze. À trente stades de la ville, il y a aussi sur le haut d'une montagne un temple de Minerve Koria (des Jeunes Filles), où la déesse a une statue. [8,22] (1) Mais revenons à Stymphale et au mont Géronteion qui sert de frontière entre les Phénéates et les gens de Stymphale. Ces derniers ne sont plus classés avec les Arcadiens, depuis qu'ils s'en sont volontairement séparés pour ne plus dépendre que de la Confédération argienne. Cependant Homère témoigne qu'ils sont originairement Arcadiens; nous savons d'ailleurs que Stymphalos leur fondateur était petit-fils d'Arkas, le fils de Callisto. Quand je dis leur fondateur, ce n'est pas qu'il ait bâti la ville de Stymphale que l'on connaît aujourd'hui, mais il en bâtit une autre qui ne subsiste plus. (2) Ces peuples prétendent que Téménos, fils de Pélasgos, habitait l'ancienne Stymphale, qu'il y éleva Junon, et qu'il lui bâtit ensuite trois temples sous divers noms, suivant les trois états où il l'avait vue, l'un à Junon Pais (Enfant), l'autre à Junon Téleia (Épouse), quand elle eut épousé Jupiter, et le troisième à Junon Chèra (Veuve), quand elle se fut, pour une raison ou pour une autre, brouillée avec Jupiter, et qu'elle se fut retirée à Stymphale. Voilà ce qu'ils disent. (3) La Stymphale de notre époque n'a plus rien des monuments cités, mais seulement ceci: elle possède sur son territoire une source, dont l'empereur Hadrien a fait venir l'eau jusque dans Corinthe. Cette source forme à Stymphale durant l'hiver une espèce de petit lac, d'où part la rivière Stymphalos. L'été ce lac est ordinairement à sec, et alors c'est la source qui fournit directement de l'eau à la rivière, laquelle rivière, à quelque distance de là, disparaît sous terre, pour reparaître en Argolide, non plus sous le nom de Stymphalos, mais sous celui d'Érasinos. (4) On dit que sur l'eau du Stymphale il y avait autrefois des oiseaux carnassiers qui vivaient de chair humaine, et qu'Hercule les tua tous à coups de flèches; Pisandre de Camiros dit qu'il ne fit que les chasser par le bruit des crotales. Quoi qu'il en soit, les déserts de l'Arabie qui engendrent tant de sortes de bêtes ont aussi des oiseaux nommés stymphalides, qui ne sont guère moins à craindre pour les hommes que les lions et les léopards. (5) Car lorsqu'ils sont poursuivis par les chasseurs, ces oiseaux fondent tout-à-coup sur eux, les percent de leur bec et les tuent. Le fer et l'airain sont de faible résistance; mais il y a dans le pays une certaine écorce d'arbre fort épaisse dont on se fait des habits; le bec de ces animaux est retenu par l'écorce du vêtement, de la même manière que les petits oiseaux se prennent à la glu. Les stymphalides sont de la grandeur des grues et ressemblent aux ibis, avec cette différence qu'ils ont le bec beaucoup plus fort et qu'ils ne l'ont pas recourbé. (6) Je ne puis pas dire s'il y a eu autrefois en Arcadie des oiseaux de même nom que ceux qui se voient aujourd'hui dans l'Arabie, quoique d'une forme différente; mais en supposant que l'espèce des stymphalides soit unique, et qu'elle ait toujours existé comme celle des éperviers, des aigles et des autres oiseaux, je me persuade que les stymphalides sont des oiseaux d'Arabie, dont quelques-uns auront volé vers les rives du Stymphale, et que dans la suite la gloire d'Hercule et le nom des Grecs beaucoup plus célèbre que celui des Barbares auront fait appeller ces oiseaux stymphalides dans l'Arabie même, alors qu' ils avaient un autre nom auparavant. (7) À Stymphale il y a aussi un vieux temple de Diane Stymphalia; la statue de la déesse est en bois, et dorée pour la plus grande partie. Le toit du temple est orné de figures d'oiseaux stymphalides; on ne voit pas bien d'en bas si ces oiseaux sont en bois ou en plâtre; mais je les crois plutôt en bois. À l'arrière du temple on voit des statues de marbre blanc qui représentent des jeunes filles avec des pattes d'oiseau. (8) On dit que de nos jours les habitants de Stymphale ont éprouvé la colère du ciel d'une manière terrible. La fête de Diane Stymphalia était négligée de façon générale et, en particulier, on n'observait plus la plupart des rites prescrits pour la déesse. Un jour l'ouverture du gouffre qui permet à la rivière de descendre sous terre se trouva obstruée par un tronc d'arbre, empêchant l'eau de pénétrer dans le sol; l'eau venant à refluer inonda toute la plaine, donnant naissance à un lac sur une étendue de plus de quatre cent stades. (9) Un chasseur qui courait après une biche se laissant emporter à l'envie d'avoir sa proie, se jeta à la nage dans ce lac, et ne cessa de poursuivre l'animal, jusqu'à ce que tombés tous deux dans le même gouffre ils disparurent et se noyèrent. Les eaux se retirèrent à l'instant et en moins d'un jour la terre s'assécha. Depuis cet événement la fête de Diane se célèbre avec plus de pompe et de dévotion. [8,23] (1) De Stymphale vous allez à Aléa, qui fait partie elle aussi du conseil des Argiens; mais elle n'en reconnaît pas moins Aléos, fils d'Apheidas, pour son fondateur. Cette ville a trois temples considérables, celui de Diane Éphésia (d'Éphèse), celui de Minerve Aléa, et celui de Bacchus où l'on voit une statue du dieu. La fête de Bacchus est appelée Skiéria; elle se célèbre tous les deux ans, et depuis un certain oracle de Delphes une de leurs coutumes est de fouetter des femmes à l'autel du dieu, comme on fouette de jeunes enfants à l'autel de Diane Orthia chez les Spartiates. (2) En parlant d'Orchomène j'ai dit qu'à quelque distance de cette ville on trouve un chemin qui mène droit à Kaphyai le long d'une ravine et au-delà d'un marais qui est sur la gauche. Pour empêcher que ce marais n'inonde les terres des Kaphyéens on a fait une levée qui retient l'eau. Le long de la face interne de la levée de terre, passe un autre cours d'eau, assez abondant pour être une rivière et qui, descendant dans une faille de la terre, remonte à la surface près des Nasoi, comme on les appelle. L'endroit où elle remonte a nom Rheunos. L'eau qui jaillit là forme ensuite une rivière permanente, le Tragos. (3) Pour la ville de Kaphyai, il est certain qu'elle a pris son nom de Képheus, fils d'Aléos; mais on dit Kaphyai pour s'accommoder au langage des Arcadiens; les Kaphyéens se disent néanmoins originaires de l'Attique; ils prétendent que chassés d'Athènes par Égée ils vinrent en Arcadie implorer la protection de Képheus qui les reçut dans sa ville, située à l'extrémité d'une plaine au pied d'une montagne de moyenne hauteur. Ils ont un temple de Neptune et un temple de Diane Knakalésia. (4) Elle est ainsi nommée du mont Knakalos où ils célèbrent tous les ans la fête de la déesse. Un peu au-delà de la ville vous trouvez une source et sur le bord de cette fontaine un grand platane d'une beauté merveilleuse; ils l'appellent l'arbre de Ménélas, et disent que Ménélas le planta de sa main, lorsqu'ayant résolu d'aller faire le siège de Troie, il vint lever des troupes en Arcadie; ce qui est certain, c'est que la source et l'arbre portent encore aujourd'hui son nom, Ménélaïs. (5) Si à l'occasion de cet arbre il me fallait compter ceux qui sur la foi des Grecs ont eu une durée extraordinaire, et qui subsistent encore à présent, je mettrais au premier rang ce gattilier que l'on voit dans le temple de Junon à Samos; je mettrais au second le chêne de Dodone, l'olivier de la citadelle d'Athènes, et celui qui est à Délos; je mettrais au troisième ce laurier que les Syriens vantent tant; après ceux-là je crois que le platane de Ménélas est le plus vieux. (6) Le village de Kondyléa n'est qu'à un stade de Kaphyai; ce lieu est connu par un temple et un bois sacré de Diane, autrefois surnommée Kondyléatis; mais ce surnom a été changé par la raison que je vais dire. Des enfants jouant ensemble autour du temple trouvèrent une corde sous leur main; ils la mirent au col de la statue de Diane, et traînant la statue après eux, ils étranglaient, disaient-ils, la déesse. (7) Quelques habitants de Kaphyai les ayant pris sur le fait traitèrent ce badinage si sérieusement, que sur le champ ils tuèrent ces enfants à coups de pierres. Mais leur cruauté ne demeura pas sans châtiment; les femmes du pays furent atteintes d'une maladie qui les faisait accoucher avant terme, de sorte qu'elles ne mettaient au monde que des avortons informes et inanimés; jusqu'à ce qu'enfin ayant consulté la Pythie, il leur fut ordonné de faire des funérailles publiques à ces enfants qu'ils avaient injustement massacrés, et de les honorer tous les ans sur leur tombeau. Ils observent encore aujourd'hui cette coutume, et pour obéir à l'oracle de point en point, c'est à Diane Apanchoménè (= Pendue) qu'ils adressent leurs voeux, et non plus à Diane Kondyléatis. (8) De Kaphyai, après avoir monté pendant environ sept stades, vous redescendrez jusqu'à Nasoi. Cinquante stades plus loin vous trouvez le Ladon; quand vous avez passé cette rivière, vous arrivez à la forêt du Soron en passant par les Argéathes et les Lykontès, comme on les appelle, et par Skotané. (9) Le Soron mène à Psophis. Cette forêt, comme toutes les autres forêts d'Arcadie, nourrit des sangliers, des ours, et des tortues de grande taille, dont on pourrait faire des lyres aussi belles que celles qui se font avec les tortues des Indes. Vers l'extrémité du Soron vous verrez les ruines d'un ancien village que l'on nommait Paos; un peu plus loin vous en rencontrez un autre qu'ils appellent les Seirai. Les gens de Kleitor ont les Seirai pour frontière de leur territoire du côté de Psophis. [8,24] (1) La ville de Psophis selon quelques-uns a été bâtie par Psophis fils d'Arron, fils d'Érymanthos, fils d'Aristas, fils de Parthaon, fils de Périphétès, fils de Nyktimos. qui descendait en droite ligne de Nyktimos. Mais selon d'autres Psophis serait une fille de Xanthos, fils d'Érymanthos, fils d'Arkas. Voilà ce que l'on trouve écrit dans l'histoire des rois d'Arcadie. (2) Cependant l'opinion la plus probable est que Psophis était enfant d'Éryx, qui régna chez les Sicanes. - - - Ne pouvant pas la souffrir dans sa maison il l'abandonne donc enceinte, chez Lykortas, qui était son hôte et qui vivait à Phégia (la Hêtraie), une ville qui avant le règne de Phégeus se nommait Érymanthos. Ayant été élevés là, Échéphron et Promachos, fils d'Hercule et de la femme de Sicanie, changèrent le nom de Phégia en celui de Psophis, le nom de leur mère. (3) La citadelle de Zakynthos s'appelle aussi Psophis, parce qu'un Psophidien nommé Zakynthos, fils de Dardanos ayant débarqué dans l'île, y fit bâtir cette citadelle, et lui donna le nom de la ville d'où il était. De Seirai à Psophis on compte trente stades; le fleuve Aroanios coule près de la ville; un peu plus loin on trouve l'Érymanthos. (4) Cette rivière a sa source au mont Lampeia que l'on dit être consacré au dieu Pan. Cette montagne peut être regardée comme une partie du mont Érymanthos. Homère nous dépeint le mont Taygète et le mont Érymanthos comme des lieux très propres pour le plaisir de la chasse. Quant à la rivière d'Érymanthos, après être sortie, comme j'ai dit, du mont Lampeia, elle prend son cours par l'Arcadie entre le mont Pholoé qui est sur la droite, et Thelpousa qui est à gauche, et va se jeter dans l'Alphée. (5) On dit qu'Hercule pour obéir aux ordres d'Eurysthée entreprit de tuer un sanglier d'une grandeur et d'une force prodigieuses qui infestait le mont Érymanthos; et si l'en en croit les habitants de Cumes dans le pays des Opiques, ils conservent encore dans le temple d'Apollon les défenses de cet énorme animal; mais je n'y vois point de vraisemblance. (6) Les Psophidiens avaient autrefois dans leur ville un temple consacré à Vénus Érycine; le temps l'a détruit. On prétend que les fils de Psophis l'avaient fait bâtir, et cela paraît assez croyable; car en Sicile il y a sur le territoire d'Éryx un temple de l'Érycine, célèbre depuis longtemps, et qui ne le cède pas en richesses au temple de Vénus qui est à Paphos. (7) Les tombeaux des deux fils de Psophis, Promachos et Échéphron ne subsistent plus à mon époque. On voit aussi la sépulture d'Alkméon, fils d'Amphiaraos; c'est un tombeau qui n'a rien de particulier ni pour la grandeur, ni pour le reste. On a laissé croître à l'entour un grand nombre de cyprès qui sont si hauts qu'une montagne voisine en est cachée; ces arbres sont censés appartenir à Alkméon et lui être consacrés; voilà pourquoi on ne les coupe point, et les gens du pays les appellent des arbres vierges. (8) Selon eux Alkméon après avoir tué sa mère s'enfuit d'Argos, et vint à Psophis qui alors du nom de Phégeus se nommait encore Phégia; là il épousa Alphésiboia, la fille de Phégeus, à qui, entre autres présents il donna le collier. Mais en Arcadie comme à Argos tourmenté sans cesse par les furies, il résolut d'aller consulter l'oracle de Delphes. La réponse de l'oracle fut qu'il cherchât une terre nouvellement découverte, et qui fût sortie du sein de la mer depuis son parricide, que là le génie vengeur d'Ériphyle ne le poursuivrait pas. (9) À force de chercher il trouva un monceau de terre qui s'était formé du limon de l'Achéloos. Ce fut là qu'il établit son domicile, et dans la suite il épousa Kallirhoé, qui, si l'on en croit les Acarnaniens, était fille du fleuve Achéloos. Il en eut deux fils, Akarnan et Amphotéros; le premier donna son nom aux peuples qui habitent ce continent; car auparavant on les nommait Curètes. (10) Il arrive souvent aux hommes et encore plus aux femmes de se laisser aller à des désirs déréglés. Kallirhoé ne fut pas exempte d'un défaut si ordinaire à son sexe; elle voulut avoir le collier d'Ériphyle, et ne donna point de repos à Alkméon qu'il ne lui eût promis de l'aller chercher. Il retourna à Phégia, mais pour son malheur; car Téménos et Axion, tous deux fils de Phégeus, lui dressèrent des embûches où il périt, et ensuite ces princes consacrèrent le collier d'Ériphyle à Apollon de Delphes. Ils régnaient, dit-on, dans la cité qui s'appelait encore Phégia, lorsque les Grecs firent campagne contre Troie; et les Psophidiens disent que s'ils n'eurent aucune part à cette expédition, c'est parce que leurs rois haïssaient les chefs des Argiens, dont la plupart étaient parents d'Alkméon, et avaient pris part avec lui à la campagne contre Thèbes. (11) Si les îles Échinades ne sont pas encore aujourd'hui rattachées au continent par l'Achéloos, c'est parce que les Étoliens ont été chassés et que leur terre toute entière est devenue un désert. L'Achéloos ne charriant plus la même quantité de limon n'a pu combler l'espace qui est entre ces îles et la terre ferme. Je n'en veux point d'autre preuve que le Méandre qui traversant la Phrygie et la Carie, pays très cultivé, a fait en assez peu de temps un continent de ce bras de mer qui était entre Priène et Milet. (12) Les Psophidiens ont sur le mont Érymanthos un temple dédié au fleuve de ce nom, avec une statue du dieu, et les fleuves les plus célèbres ont des statues en marbre blanc dans le même temple, à l'exception du Nil qui en a une en marbre noir; car on croit que, parce que le Nil en se rendant à la mer arrose le pays des Éthiopiens, ses statues doivent être noires. (13) J'ai ouï dire qu'aussi bien que Crésus roi de Lydie, un Psophidien nommé Aglaos aurait été heureux tout le temps de sa vie; mais je ne le crois pas. Un homme peut bien être plus heureux qu'un autre, comme un vaisseau peut être exposé à de moindres vents, à de moindres tempêtes. (14) Mais jamais homme n'a été entièrement exempt d'adversité, comme jamais vaisseau en courant les mers n'a manqué d'essuyer quelque tempête. C'est ce qu'Homère a voulu nous faire entendre par ces deux jarres que Jupiter a, dit-il, en sa puissance, l'une pleine de biens, l'autre de maux; et c'est ce qu'il avait appris lui-même de l'oracle de Delphes, qui prononça qu'Homère était à la fois heureux et malheureux, voulant dire par là qu'il était né pour l'un et pour l'autre sort. [8,25] (1) Sur le chemin de Psophis à Thelpousa, on trouve à la gauche du Ladon un village nommé Tropaia. Près de ce village est une forêt dite Aphrodision. Une inscription gravée sur une colonne en vieux caractères presque effacés apprend que ce sont là les confins des Psophidiens et des Thelpousiens. Le territoire de Thelpousa est arrosé par une rivière appelée Arsen; quand vous l'avez passée, vingt- cinq stades au-delà vous voyez les ruines du village de Kaous, et un temple d'Esculape Kaousios, qui est sur la route. (2) À quelque quarante stades de ce temple est la ville de Thelpousa, ainsi appelée du nom d'une nymphe que l'on dit avoir été fille du fleuve Ladon. Le Ladon a sa source comme je l'ai déjà dit assez près de Kleitor; il coule d'abord du côté de Leukasion et de Mésoboa, il passe à Nasoi, à Oryx, nommé aussi Haolus; de là il descend vers Thaliadès et un temple de Cérès Éleusinienne. (3) Ce sanctuaire est sur les confins du territoire de Thelpousa. Il contient des statues de Cérès, de Proserpine, et de Bacchus qui toutes sont en marbre, et ont pour le moins sept pieds de haut. Le Laclon après être passé au pied du temple de Cérès Éleusinienne continue son cours vers Thelpousa qu'il 1aisse sur la gauche. Cette ville est située sur une hauteur, mais elle n'est plus ce qu'elle était autrefois; car la place publique qui était, à ce que l'on assure, au centre de la ville, est aujourd'hui à l'extrémité. On y voit encore un temple d'Esculape. Il y en avait un autre consacré aux douze dieux; mais il est détruit de fond en comble. (4) Après Thelpousa le Ladon vient gagner le temple de Cérès à Onkeion; ce temple est nommé par les Thelpousiens 1e temple de Cérès Érinys, et Antimaque dans ses vers sur l'expédition des Argiens contre Thèbes confirme cette dénomination. Il a ce vers: "Là, dit-on, est le siège de Cérès Érinys". Si l'on en croit la renommée, Onkos était un fils d'Apollon qui donna son nom à tout ce canton où il s'était rendu fort puissant. Quant à Cérès, voici pourquoi elle fut surnommée Érinys. (5) Dans le temps qu'elle cherchait sa fille par le monde, Neptune épris de sa beauté voulut avoir ses bonnes grâces. La déesse pour éviter les poursuites du dieu se métamorphosa en jument et passa quelques temps parmi les cavales d'Onkos. Neptune se voyant trompé, trompa la déesse à son tour; il prit la figure d'un étalon et parvint à ce qu'il souhaitait. (6) Cérès au commencement se mit fort en colère, mais ensuite elle s'apaisa, et l'on dit qu'elle prenait plaisir à s'aller baigner dans la rivière de Ladon. Cette aventure lui fit donner les surnoms d'Érinys et de Lousia; le premier à cause du mot grec qui dans le langage des Arcadiens signifie 'être en fureur'; le second parce qu'elle s'était 'baignée' dans le Ladon. Les deux statues qui représentent Cérès sous ces deux noms sont en bois, à l'exception du visage, des mains et des pieds qui sont en marbre de Paros. (7) Cérès Érinys tient un flambeau de la main droite, et une corbeille de la gauche; c'est une statue de neuf pieds de haut, celle de Cérès Lousia n'en a pas plus de six. Ceux qui ont pris cette dernière pour une statue de Thémis se sont assurément trompés. Cérès, dit-on, eut de Neptune, une fille, dont le nom est un secret pour ceux qui ne sont pas initiés aux mystères de Cérès, et qu'il naquit aussi de l'accouplement un cheval qui eut nom Arion; on tient que ce sont les Arcadiens qui ont donné les premiers le surnom d'Hippios à Neptune. (8) On allègue deux passages en faveur d'Arion, l'un de l'Iliade, l'autre de la Thébaïde. Dans le premier, Nestor parlant à son fils Antiloque, lui dit que s'il suit ses conseils, il n'y aura point de coursiers qui puissent devancer les siens, quand ce serait Arion, ce cheval de race immortelle qu'Hercule donna à Adraste; dans le second le poète nous peint Adraste fuyant de Thèbes en habits de deuil et monté sur Arion, qui avait, dit-il, le poil de couleur céleste. Par ces témoignages on prétend prouver qu'Arion était né de Neptune. (9) Mais Antimaque dit formellement qu'il était fils de la terre; Adraste, dit-il, fils de Talaos poussa le premier son char attelé de deux superbes coursiers, dont l'un était Kairos plus léger que le vent; l'autre Arion de Thelpousa, que la terre enfanta d'une manière miraculeuse près du bois sacré d'Apollon Onkaios. (10) Pour dire le vrai, si ce cheval sortit de la terre, on peut bien croire qu'il était de race divine et que sa crinière paraisse de couleur bleu-noir. Quoi qu'il en soit, on ajoute qu'Hercule voulant faire la guerre aux Éléens demanda Arion à Onkos, que monté sur ce cheval il gagna des batailles, qu'il prit Élis, et qu'ensuite il fit présent de ce merveilleux cheval à Adraste: cette tradition est confirmée par Antimaque, qui dit qu'Adraste fut le troisième qui eut la gloire de dompter Arion. (11) Du temple de Cérès Érinys le Ladon va passer entre le temple d'Apollon Onkeiatas qui est sur la gauche, et le temple d'Esculape Pais (= enfant), qui est sur la droite. Là vous verrez le tombeau de Trygon que l'on dit avoir été la nourrice d'Esculape; car les Arcadiens prétendent qu'Esculape dans son enfance fut exposé près de Thelpousa, et qu'Autolaos, fils naturel d'Arkas, l'ayant trouvé par hasard, le recueillit. - - -; j'ai préféré croire les raisons que j'ai rapportées dans le chapitre qui concerne les Épidauriens. (12) Le Ladon reçoit la rivière de Touthoa à la frontière entre Héraia et Thelpousa, que les Arcadiens appellent Pédion (= la Plaine). Ensuite le Ladon débouche dans l'Alphée près d'un endroit que l'on nomme l'île aux corbeaux. Quelques-uns ont cru que Stratié, Énispé et Rhipé dont Homère fait mention étaient des îles du Ladon qui autrefois étaient habitées; mais cette croyance est sans fondement. (13) Car le Ladon n'a point d'île qui soit plus grande qu'un navire de transport. C'est à la vérité la plus belle rivière qu'il y ait en Grèce, elle n'a même pas sa pareille dans les pays barbares, mais elle n'est pas assez large pour avoir des îles, comme on en voit sur l'Istros et sur l'Éridan. [8,26] (1) Héraia a eu pour fondateur Héraieus, fils de Lycaon; cette ville est bâtie à la droite de l'Alphée, moitié sur la pente d'un coteau, moitié sur les bords du fleuve. On y voit le long de l'Alphée une espèce de cours planté de myrtes et d'autres arbres, où les gens d'Héraia s'exercent à la course; ils ont aussi de ce côté-là des bains publics et deux temples de Bacchus, dont ils nomment l'un Politès (= Protecteur de la cité), l'autre Auxitès (= Qui fait croître), (2) sans compter une chapelle où ils célèbrent les orgies en l'honneur du dieu. Pan a son temple dans la ville; ce dieu est honoré des Arcadiens comme un dieu originaire de leur pays. Junon avait aussi autrefois un temple à Héraia, mais on n'en voit plus que les ruines avec quelques colonnes qui sont restées. Damarétos d'Héraia est de tous les athlètes que l'Arcadie a jamais eus, celui qui s'est acquis le plus de gloire et de réputation; ce fut lui qui le premier aux jeux Olympiques parut à la course armée et fut proclamé vainqueur. (3) À quinze stades de la ville vous êtes sur les terres des Éléens et vous passez le Ladon. Vingt autres stades au-delà vous trouvez l'Érymanthos; les Arcadiens disent que ce fleuve marque la frontière entre Héraia et le territoire d'Élis; mais les gens d'Élis prétendent que c'est le tombeau de Koroibos qui marque vraiment la limite de leur territoire. (4) Lorsque Iphitos restaura les jeux Olympiques, abandonnés depuis longtemps, et que de nouveau les fêtes Olympiques recommencèrent d'être célébrées, c'est uniquement pour la course que des prix furent alors proposés et Koroibos fut le premier qui remporta la victoire. Son épitaphe fait foi de cet événement, et nous apprend aussi qu'il fut enterré sur les confins de l'Élide; ce qui semble appuyer la prétention des Éléens. (5) D'Héraia vous allez à Aliphéra; c'est une petite ville qui fut abandonnée de la plupart de ses habitants, lorsque les Arcadiens prirent la résolution du synécisme à Mégalopolis. En y allant vous passez l'Alphée, et après avoir fait environ dix stades dans des plaines, vous arrivez à une montagne, d'où vous descendez jusque dans la ville par un chemin qui peut avoir trente stades de longueur. (6) Aliphéra a pris son nom d'Aliphéros, fils de Lycaon. Ses temples sont au nombre de deux, dont l'un est dédié à Esculape, l'autre à Minerve, déesse pour laquelle ces peuples ont une dévotion singulière, persuadés qu'ils sont qu'elle est née chez eux et qu'elle y a été nourrie. C'est dans cette idée qu'ils ont érigé un autel à Jupiter Léchéatès, parce que c'est là qu'il aurait mis au monde Minerve, et ils ont donné le nom de Tritonis à une source à laquelle ils attribuent tout ce que l'on dit du fleuve Triton. (7) La statue de Minerve, en bronze, est une oeuvre d'Hypatodoros qui mérite d'être vue tant pour sa grandeur que pour sa beauté. Les gens d'Aliphéra célèbrent aussi une panégyrie en l'honneur d'une des divinités, Minerve je crois. Lors de cette fête, ils font un sacrifice préalable à Myiagros (= celui qui fait la chasse aux mouches), adressant leurs voeux à ce héros et l'invoquant par son nom: avec cette précaution ils ne sont jamais incommodés par les mouches durant leurs sacrifices. (8) Sur le chemin qui va d'Héraia à Mégalopolis on trouve Mélainai, ville autrefois bâtie par Mélaineus, fils de Lycaon, mais aujourd'hui ce n'est plus qu'un village désert et inondé en tout temps. Quarante stades au-dessus de Mélainai vous voyez un lieu nommé Bouphagion, où prend sa source la rivière Bouphagos; c'est une rivière qui se jette dans l'Alphée, et dans la zone de ses sources, les gens d'Héraia ont leur frontière avec Mégalopolis. [8,27a] (1) De toutes les villes non seulement de l'Arcadie mais même de la Grèce, la plus récente est Mégalopolis, si on ne compte pas celles qui depuis la funeste division des Romains et la bataille d'Actium ont été peuplées de nouveaux habitants. Ce qui porta les Arcadiens à bâtir Mégalopolis, ce fut l'envie de réunir leurs forces dans une ville qui fût comme le centre et la capitale de tout le pays. Ils savaient que les Argiens, pendant tout temps qu'ils avaient eu leurs troupes dispersées en plusieurs villes, s'étaient vus sans cesse harcelés par les Lacédémoniens; et qu'au contraire depuis le parti qu'ils avaient pris de raser Tirynthe, Hysiai, Ornéai, Mycènes, Mideia et quelques autres pour en transporter les habitants à Argos, ils avaient moins redouté les Lacédémoniens, et s'étaient fait respecter de leurs voisins. (2) Ce fut dans cette vue que les Arcadiens se décidèrent à aller habiter Mégalopolis. Épaminondas fut regardé à juste titre comme l'auteur de cette entreprise; car il trouva le moyen de rassembler les Arcadiens dans une seule ville, et il envoya à ces peuples une escorte de mille hommes choisis sous la conduite de Pamménès, pour les défendre au cas où les Lacédémoniens s'opposeraient à leur projet de fondation. Furent choisis aussi par les Arcadiens, comme fondateurs, Timon et Proxénos, de Tégée; Lycomédès et Hopoléas, de Mantinée; Kléolaos et Akriphios, pour Kleitor; Eukampidas et Hiéronymos, du Ménale; enfin Possikratès et Théoxénos, pour la Parrhasie. (3) Voici maintenant la liste des villes qui, soit par zèle pour le nouvel établissement, soit par haine pour les Lacédémoniens, se laissèrent persuader d'envoyer la meilleure partie de leurs citoyens à Mégalopolis. Dans la province de Ménale il y eut Aséa, Pallantion, Eutaia, Soumateion, Iasaia, Péraitheis, Hélisson, Oresthasion, Dipaia, et Lykaia. Dans le pays des Eutrésiens il y eut Trikolonoi, Zoition, Charisia, Ptoléderma, Knauson et Paroria. (4) Du côté d'Aigytide il y eut - - - Skirtonion, Maléa, Kromoi, Blénina et Leuktron. Entre les Parrhasiens, ceux de Lykosoura, de Thoknia, de Trapézonte, de Proseis, d'Akakésion, d'Akontion, de Makaria et de Daséa. De la Cynourie d'Arcadie, ceux de Gortys, de Thisoa du Lycée, de Lykoa et d'Aliphéra. Enfin du pays des Orchoméniens furent les villes de Thisoa, Méthydrion et Teuthis. S'y ajouta encore ce que l'on nommait la Tripolis: Kallia, Dipoina et Nonakris. (5) La plupart de ces peuples se soumettant à une résolution prise du consentement unanime de toute la nation se rassemblèrent volontiers à Mégalopolis. Il n'y eut que les gens de Lykoa, de Trikolonoi, de Lykosoura et de Trapézonte qui résistèrent, ne pouvant se résoudre à abandonner les villes où ils avaient pris naissance. Encore même des quatre peuples que je viens de nommer les trois premiers furent-ils obligés de céder. (6) Ainsi les gens de Trapézonte furent-ils les seuls qu'on ne put persuader; ils aimèrent mieux quitter entièrement le Péloponnèse que d'aller demeurer à Mégalopolis. Ceux d'entre eux qui purent échapper à la fureur des Arcadiens, s'embarquèrent et allèrent trouver leurs compatriotes, qui avaient bâti une autre Trapézonte sur le Pont-Euxin, et qui les reçurent comme leurs frères. Quant à ceux de Lykosoura qui d'abord avaient refusé d'obéir, ils furent épargnés par respect pour le temple de Cérès et de Proserpine où ils s'étaient réfugiés. (7) De toutes les autres villes dont j'ai donné le dénombrement, les unes sont aujourd'hui désertes, les autres ne sont plus que des villages qui relèvent des Mégalopolitains, comme Gortys, Dipaia, Thisoa- lès-Orchomène, Méthydrion, Teuthis, Kalliai et Hélisson. Pallantion est la seule qui ait eu un sort plus favorable. Aliphéra s'est aussi maintenue et subsiste encore. (8) Ce synécisme des Arcadiens dans la ville de Mégalopolis arriva la même année que la défaite des Lacédémoniens à Leuctres, et peu de mois après. Phrasikleidès était alors archonte à Athènes, et ce fut en la deuxième année de la cent deuxième olympiade, en laquelle Damon de Thurium remporta le prix du stade. [8,27b] (9) Les Mégalopolitains ayant fait une étroite alliance avec les Thébains, n'eurent plus rien à craindre de la part des Lacédémoniens. Mais cette sécurité ne dura pas longtemps. Car dès que les Lacédémoniens virent les Thébains engagés dans la guerre sacrée (ainsi la nomme-t-on) et attaqués par les Phocéens qui étaient soutenus par leurs voisins les Béotiens et qui ne manquaient pas d'argent parce qu'ils avaient pillé le temple de Delphes, (10) aussitôt ils déclarèrent la guerre aux Arcadiens en général, et surtout à ceux de Mégalopolis. Ceux-ci se défendirent si bien, et furent secourus si à propos par tous les peuples d'alentour, qu'il ne se passa rien de considérable de part ni d'autre. Il faut convenir que les Arcadiens par leur animosité contre Sparte contribuèrent beaucoup à l'agrandissement de Philippe et de la puissance macédonienne; car ils ne se trouvèrent ni à la bataille de Chéronée avec les autres Grecs, ni au combat qui se donna ensuite en Thessalie. (11) Quelque temps après il s'éleva parmi eux un tyran nommé Aristodémos, Phigalien de naissance, fils d'Artylas, et que Tritaios un des plus riches citoyens de Mégalopolis avait adopté; pour comble de bonheur malgré sa tyrannie, il était en si grande réputation de vertu, qu'on le surnommait l'homme de bien. Sous la domination d'Aristodémos Akrotatos à la tête d'une armée de Lacédémoniens fit une irruption dans le pays des Mégalopolitains; Akrotatos était l'aîné des fils de Cléomène dont j'ai rapporté la généalogie comme celles de tous les rois de Sparte. Il y eut un grand combat entre ces deux peuples et beaucoup de monde tué des deux côtés; cependant les Arcadiens eurent l'avantage. Akrotatos périt en cette occasion avec un grand nombre de Lacédémoniens; ainsi ce malheureux prince ne succéda point à son père. (12) Deux générations après la mort d'Aristodémos, Lydiadès usurpa aussi la souveraine autorité; c'était un homme obscur, mais qui avait des sentiments élevés, et qui aimait sa patrie, comme il en donna des marques. Car jeune encore il s'était emparé du gouvernement, et quand il eut plus d'âge et plus d'expérience, il s'en démit volontairement, quoique sa domination fût bien établie. Ensuite les Mégalopolitains étant entrés dans la ligue d'Achaïe, Lydiadès se fit tellement estimer des Achéens et de ses compatriotes que tous le comparaient à Aratos. (13) À quelque temps de là les Lacédémoniens sous la conduite d'Agis fils d'Eudamidas, roi de Sparte, mais de l'autre maison, après des préparatifs de guerre extraordinaires et beaucoup plus grands que n'avaient été les derniers sous Akrotatos, vinrent attaquer les Mégalopolitains, les taillèrent en pièces, et mirent le siège devant Mégalopolis. Déjà ils avaient approché des murs une énorme machine avec laquelle ils ébranlaient la tour, et ils espéraient que dès le lendemain cette tour serait renversée. (14) Mais il était de la destinée des Grecs d'être sauvés plus d'une fois par le vent de Borée; car ce même vent qui avait fait échouer une partie de la flotte des Perses contre les écueils de la côte de Sépias, empêcha aussi que Mégalopolis ne fût prise; sa violence fut si grande et si continuelle qu'elle abattit et brisa la machine de guerre en laquelle les ennemis avaient toute leur espérance. Le roi Agis à qui Borée joua un si mauvais tour est celui-là même sur qui Aratos, général des Sicyoniens, prit la ville de Pellène en Achaïe, et qui depuis fut tué au combat de Mantinée. (15) Enfin peu d'années après, Cléomène, fils de Léonidas, sans aucun égard pour la foi des traités, se rendit maître de Mégalopolis par surprise. Nombre d'habitants étant accourus la nuit à la défense des remparts furent tués en combattant pour leur patrie; et Lydiadès entre autres après avoir fait tout ce que l'on pouvait attendre de son grand courage, eut une fin digne de la mémoire de tous les siècles. Philopoimen, fils de Kraugis, rassembla les deux tiers du peuple tant hommes que femmes et enfants, et se retira avec eux en Messénie. (16) Tout le reste fut passé au fil de l'épée; Cléomène rasa la ville jusqu'aux fondations et y mit le feu. Comment dans la suite les Mégalopolitains y étant rentrés la rebâtirent, et ce qu'ils firent après leur rétablissement, c'est ce que je me réserve de dire lorsque je parlerai de Philopoimen. Cependant il faut rendre justice aux Lacédémoniens; le sac de Mégalopolis ne leur doit pas être imputé, mais uniquement à Cléomène qui gouvernait despotiquement alors, et qui de roi de Sparte s'en était fait le tyran. (17) Les sources de la rivière Bouphagos, comme j'ai dit, marquent la frontières entre les territoires d'Héraia et de Mégalopolis. On tient que ce fleuve a pris son nom du héros Bouphagos, qui était fils de Japet et de Thornax. La mémoire de Thornax est célèbre aussi parmi les Lacédémoniens. Quant à Bouphagos, on dit que Diane le tua à coups de flèches sur le mont Pholoé, pour le punir d'avoir voulu commettre des actes impies envers elle. [8,28] (1) De la source du fleuve on va à Maratha, et de là à un village nommé Gortys, qui était autrefois une ville. Vous y voyez un temple d'Esculape, de ce beau marbre du mont Pentélique, une statue du dieu qui le représente jeune encore et sans barbe, et une statue d'Hygie, l'une et l'autre de la main de Scopas. Les gens du lieu disent qu'autrefois Alexandre consacra dans ce temple sa cuirasse et sa lance à Esculape; ce qui est de certain, c'est que l'on y voit encore une cuirasse et la pointe d'une lance. (2) Le village de Gortys est coupé par un fleuve que l'on nomme à sa source le Lousios, parce que, dit- on, Jupiter venant au monde fut lavé dans l'eau de ce fleuve. Plus bas il prend le nom de Gortynios à cause du lieu par où il passe, et c'est de tous les fleuves celui dont les eaux sont les plus fraîches. Car on ne doit pas simplement appeller frais, certains fleuvent qui gèlent tous les hivers, parce qu'ils coulent à travers des terres presque toujours couvertes de neiges, ou situés sous un climat fort septentrional. Tels sont le Rhin, le Danube, l'Hypanis, le Borysthène et quelques autres. (3) Mais ces fleuves qui, sous un climat plus doux, sans être sujets à geler en hiver, peuvent rafraîchir en été ceux qui boivent de leurs eaux, ou qui s'y baignent, ce sont ceux-là dont on peut vanter la fraîcheur. Je mets de ce nombre le Kydnos qui arrose Tarsé, le Mélas qui passe près de Sidé en Pamphylie, l'Aleis qui embellit la ville de Colophon, et que les poètes élégiaques ont tant chanté; mais le Gortynios l'emporte sur eux tous. Ses sources sont à Thisoa, aux confins du territoire de Méthydrion. L'endroit où se situe le confluent du Gortynios et de l'Alphée se nomme Rhaitéai. (4) Près de Thisoa il y a un village qui a nom Teuthis; c'était même anciennement une ville, qui, à ce que l'on dit, leva des troupes à ses dépens pour le siège de Troie, et les envoya sous la conduite d'un chef particulier nommé Teuthis, d'autres disent Ornytos; ce chef, pendant que les Grecs étaient arrêtés en Aulide par les vents contraires, se brouilla avec Agamemnon, et voulut s'en retourner avec ses Arcadiens. (5) Là-dessus Minerve, dit-on, ayant pris les traits de Mélas, fils d'Ops, tâcha de détourner Teuthis de son dessein; Teuthis transporté de colère frappa la déesse de son javelot et la blessa à la cuisse; ensuite il partit avec sa troupe; mais arrivé chez lui il eut une vision où il lui sembla voir Minerve qui lui montrait sa blessure; aussitôt il tomba malade d'une maladie de langueur dont il mourut; et les Arcadiens de l'endroit furent les seuls auquel la terre ne portait aucune espèce de fruit. (6) Au bout d'un certain temps, les habitants allèrent consulter l'oracle de Dodone, qui leur conseilla d'apaiser la déesse. Ce fut dans cette intention qu'ils lui érigèrent une statue où elle est représentée avec une blessure à la cuisse; j'ai vu cette statue; une des cuisses est encore bandée d'une étoffe pourpre. Il y plusieurs temples à Teuthis; les deux plus considérables sont celui de Vénus et celui de Diane. (7) Voilà donc ce qu'il y a à cet endroit. Sur le chemin qui mène de Gortys à Mégalopolis on voit la sépulture de ces braves Arcadiens qui furent tués en combattant contre Cléomène. On appelle leur tombeau le Parabasion (= le Monument de la transgression), à cause de la perfidie de Cléomène qui surprit Mégalopolis contre la foi des traités. Juste après ce tombeau est une plaine d'environ soixante stades. À votre droite vous voyez les ruines de la ville de Brenthé, et la rivière Brenthéatès qui passe tout près, et qui cinq stades plus loin va se jeter dans l'Alphée. [8,29] (1) Quand on a passé ce fleuve on se trouve dans la région nommée Trapézontie où l'on voit encore les restes de la ville de Trapézonte. En descendant sur la gauche et en côtoyant le fleuve on découvre un vallon que les gens du pays nomment Bathos (= Profondeur), où tous les trois ans ils célèbrent les mystères des Grandes Déesses. Là vous verrez la source Olympias qui est à sec une année sur deux, et dans le voisinage de laquelle jaillissent des tourbillons de flamme. Si l'on en croit les Arcadiens, ce fut là, et non près de Pellène en Thrace, que les Géants combattirent contre les dieux. C'est pourquoi ils sacrifient aux Tempêtes, aux Éclairs et aux Foudres. (2) Homère n'a fait aucune mention des Géants dans l'Iliade; mais dans l'Odyssée il raconte que les vaisseaux d'Ulysse furent attaqués par les Lestrygons qui tenaient plus des Géants que des hommes; ce sont ses termes. Et Alcinoos parlant à Ulysse lui dit que les Phéaciens ressemblaient autant aux dieux par leur piété et leur justice, que les Cyclopes et les Géants se ressemblaient par leur injustice et leur impiété. Ces endroits marquent assez que le poète ne regardait pas les Géants comme issus des dieux, mais comme une race mortelle; et il s'en explique encore plus clairement, lorsqu'il dit: "Autrefois il régnait sur les géants superbes, peuple / présomptueux, dont il causa la perte en se perdant lui-même". Or le mot de peuple, chez Homère, est le nom dont veut être appelé le grand nombre des hommes. (3) Quant à ce que l'on dit que les Géants avaient des serpents en guise de pieds, c'est une folie dont il est aisé de montrer l'absurdité par plusieurs preuves, mais surtout par celle que je vais rapporter. L'Oronte est un fleuve de Syrie, qui en allant se rendre à la mer passe tantôt par des plaines, tantôt aussi par des lieux escarpés et des précipices, en un mot dont le lit est très inégal. Un empereur romain qui voulait transporter son armée par eau depuis la mer jusqu'à Antioche, entreprit de rendre l'Oronte navigable, afin que rien n'arrêtât ses vaisseaux. Ayant donc fait creuser un autre canal avec beaucoup de peine et de dépense, il détourna le fleuve et lui fit changer de lit. (4) Quand le premier lit fut à sec, on y trouva un sarcophage en terre cuite, de plus de onze coudées, qui renfermait un cadavre de pareille grandeur, et de forme humaine en toutes ses parties. Les Syriens ayant consulté l'oracle d'Apollon à Claros pour savoir ce que c'était que ce corps, il leur fut répondu que c'était Orontès et qu'il appartenait à la race des Indiens. En effet si dans les premiers temps la terre encore toute humide, venant à être échauffée par les rayons du soleil a produit les premiers hommes, quelle partie de la terre fut jamais plus propre à produire des hommes d'une grandeur extraordinaire, que les Indes qui encore aujourd'hui engendrent des animaux tels que les éléphants? (5) À dix stades de l'endroit nommé Bathos est la localité de Basilis, bâtie autrefois par ce Kypsélos qui maria sa fille à Kresphontès fils d'Aristomachos; cette ville est présentement en ruines, il ne s'y est conservé qu'un temple de Cérès Éleusinienne. Un peu plus loin vous passez une seconde fois l'Alphée, et vous arrivez à Thoknia, qui a pris son nom de Thoknos fils de Lycaon; cette ville est entièrement déserte; elle est bâtie sur le haut d'une colline; l'Aminios passe au bas; c'est une petite rivière qui se jette dans l'Hélisson, lequel va tomber rejoindre l'Alphée. [8,30] (1) La rivière d'Hélisson a sa source dans un village de même nom; après avoir arrosé le pays de Dipaia et celui de Lykaia, elle traverse Mégalopolis et se décharge enfin dans l'Alphée à - - - stades au-delà. Près des murs de Mégalopolis on voit un temple de Neptune surnommé Époptè (= Qui surveille); il ne reste de la statue du dieu que la tête. (2) L'Hélisson partage la ville à peu près comme ces canaux que l'on nomme Euripes partagent les villes de Cnide et de Mytilène. La place publique est à droite du côté du nord et à l'endroit où les bords de la rivière s'élèvent le plus; cette place est entourée d'une balustrade de pierres. Vous y voyez un temple de Jupiter Lykaios qui n'est précédé d'aucun vestibule; tout ce qu'il contient est exposé aux yeux des regardants. J'y ai vu deux autels, deux tables, deux aigles de même matière que les tables, et une statue de Pan en marbre. (3) Le dieu est surnommé le Sinoeis, du nom de la nymphe Sinoé, qui soit en particulier, soit de concert avec ses compagnes, prit soin de l'éducation de ce dieu. Devant le frontispice du temple il y a un Apollon en bronze qui est une très belle statue, haute de douze pieds. Ce sont les Phigaliens qui l'ont fait faire à leurs frais et elle a été transportée là pour servir d'ornement à la ville de Mégalopolis. (4) Le lieu où les Phigaliens l'avaient d'abord placée se nomme Bassai; de là vient le surnom qu'avait le dieu, et qu'il a quitté pour prendre celui d'Épikourios (Secourable); j'en dirai la raison lorsque j'en serai à l'article des Phigaliens. À la droite de l'Apollon est une petite statue de la Mère des Dieux; en ce qui concerne son temple, il n'en est resté que les colonnes. (5) Devant le temple de la Mère, il n'y a aucune effigie humaine, mais j'ai vu les piédestaux sur lesquels jadis des statues avaient été dressées. Une inscription métrique témoigne que l'on avait érigé une statue à Diophanès, fils de Diaios, qui le premier engagea tous les peuples du Péloponnèse dans ce qu'on appelle la Confédération achéenne. (6) Dans la place on voit un portique qu'ils nomment le Philippeios, non que Philippe de Macédoine l'ait bâti, mais parce que les Mégalopolitains, pour faire leur cour à ce prince, lui donnèrent son nom. Ce portique touchait au temple de Mercure Akakésios, dont il ne reste rien qu'une tortue de marbre. Suit un autre portique de moindre grandeur, où a été construit le local des archives; on y voit encore six pièces. La première est présentement occupée par une statue de Diane Éphésienne, la seconde par une statue de bronze du dieu Pan, haute d'une coudée et dont l'épiclèse est Skoleitas. (7) Il fut en effet apporté de la colline Skoleitas, laquelle est dans l'enceinte de la ville et d'où coule un ruisseau, alimenté par une source et qui va se jeter dans l'Hélisson. Derrière les archives se dresse un temple de la Fortune avec une statue de culte en marbre, de cinq pieds de haut. Le Myropolis est encore un portique qui fait partie de la place; il fut bâti sur les dépouilles des Lacédémoniens, après la victoire qu'Aristodémos, tyran de Mégalopolis, remporta sur eux et sur Akrotatos, fils de Cléomène, leur général. (8) Dans la même place derrière le temple de Jupiter Lykaios et à l'extrémité du terrain qui lui est consacré, on voit une statue de Polybe, fils de Lykortas. Cette statue est sur une colonne, et sur cette colonne on a gravé une inscription en vers élégiaques, qui porte que Polybe voyagea beaucoup par terre et par mer, qu'il servit dans l'armée des Romains, et que souvent il apaisa leur colère contre les Grecs. C'est ce Polybe qui a écrit l'histoire des Romains, particulièrement leurs guerres contre les Carthaginois. (9) Il recherche quelle en fut la cause, et fait voir comment les Romains, après avoir eux-mêmes pensé périr, finalement par la valeur de Scipion, un de leurs citoyens qui fut surnommé l'Africain, vinrent à bout de détruire Carthage. On dit à la gloire de Polybe que tout ce que le général romain fit par son conseil lui réussit, et que dès qu'il cessa de le croire, il fut moins heureux. Toutes les villes grecques qui entrèrent dans la ligue d'Achaïe eurent toujours Polybe pour appui auprès des Romains; non seulement il les protégeait, mais il les gouvernait en quelque façon. À la gauche de sa statue c'est le sénat. (10) Quant au portique appelé Aristandreios, les Mégalopolitains disent qu'il est ainsi appelé du nom d'un de leurs citoyens qui l'a fait bâtir. Tout contre et au soleil levant est le temple de Jupiter Sôter (Sauveur); la belle colonnade qui l'entoure en fait l'ornement et le soutient. On y voit Jupiter assis sur un trône, la ville de Mégalopolis à sa droite, et Diane Sôteira (Sauveur) à sa gauche; ces deux statues, en marbre pentélique, sont l'oeuvre de Céphisidote et de Xénophon, tous deux Athéniens. [8,31] (1) Le portique d'Aristandreios, du côté du soleil couchant, renferme un espace qui est consacré aux Grandes Déesses, c'est-à-dire à Cérès et à Proserpine, comme je l'ai déjà expliqué dans mon livre sur la Messénie. Mais les Arcadiens donnent aussi le surnom de Sôteira (Salvatrice) à Proserpine. Sculptés en bas-relief devant l'entrée, il y a d'un côté Diane, de l'autre Esculape et Hygie. (2) En ce qui concerne les Grandes Déesses, Cérès est toute en marbre, Proserpine n'a en marbre que la tête, les mains et les pieds, tout le reste est en bois, mais il est caché sous ses habits; ces deux dernières statues ont une quinzaine de pieds de haut. - - - Sur le devant, il a fait des statues beaucoup plus petites, représentant des jeunes filles vêtues de longues tuniques, qui portent des corbeilles de fleurs sur leurs têtes. On croit que le statuaire Damophon a voulu représenter là ses filles; ceux qui les prennent pour des divinités disent que ce sont Minerve et Diane qui cueillent des fleurs en compagnie de Proserpine. (3) Il y a aussi à côté de Cérès un petit Hercule de la hauteur d'une coudée. Suivant le poète Onomacrite, cet Hercule est un des Dactyles du mont Ida. Vous y voyez aussi deux Heures, et d'un côté le dieu Pan jouant de la flûte, de l'autre Apollon qui tient une lyre. Une inscription porte qu'ils sont l'un et l'autre au nombre des principaux dieux. Vous verrez encore plusieurs nymphes posées sur une table: (4) Néda porte le petit Jupiter entre ses bras; Anthrakia, autre nymphe d'Arcadie, tient un flambeau. La nymphe Hagno tient une hydrie d'une main, et une coupe de l'autre; Anchirhoé et Myrtoessa ont aussi chacune une hydrie dont elles versent de l'eau. Dans cette grande enceinte qui est consacrée à Cérès et à Proserpine, il y a un temple de Jupiter Philios (= de l'Amitié). Sa statue est l'oeuvre de Polyclète d'Argos, et on la prendrait pour une statue de Bacchus; car le dieu est représenté avec des cothurnes pour chaussures, il tient un thyrse d'une main, et un vase à boire de l'autre. Un aigle est perché sur son thyrse, détail qui ne s'accorde pas avec les traditions sur Bacchus. (5) Derrière le temple est un bois sacré de médiocre étendue, fermé par un petit mur, et où les hommes n'entrent point. À l'entrée, on voit une Cérès et une Proserpine, des statues qui n'ont guère que trois pieds de haut. À l'intérieur de l'enclos des Grandes Déesses, il y a aussi un sanctuaire de Vénus. Le vestibule est orné de quelques statues de bois d'un goût fort antique, vous y voyez une Junon, un Apollon, et les Muses. On dit que ces statues ont été apportées de Trapézonte. (6) Je remarquai dans le temple deux statues exécutées par Damophon, un Mercure en bois, et une idole de Vénus. La Vénus a le visage, les mains et le bout des pieds en marbre. Cette Vénus est surnommée Machanitis (= Industrieuse), et avec raison ce me semble; car qu'est-ce que les hommes n'imaginent point pour réussir en amour? (7) Vous verrez aussi dans un bâtiment des statues de personnages illustres, celles de Kallignotos, de Mentas, de Sosigénès et de Polos, qui, dit-on, apportèrent les premiers aux Mégalopolitains les mystères des Grandes Déesses, et leur apprirent à les célébrer comme on les célèbre à Éleusis. Se trouvent encore à l'intérieur de l'enclos plusieurs autres divinités qui présentent la forme d'un pilier, entre autres, Mercure surnommé Agétor (= Conducteur), Apollon, Minerve, Neptune, et le Soleil, qui a aussi le surnom de Sôter (Sauveur), et Hercule. Il y a là encore un ** fort grand, qu'ils ont fait bâtir et où se célèbrent les mystères des Grandes Déesses. (8) À la droite du temple des Grandes Déesses, il y aussi un sanctuaire de Proserpine avec une statue en marbre, haute de huit pieds et dont le piédestal est tout couvert de rubans. Les femmes ont la liberté d'entrer dans ce sanctuaire en tout temps, mais les hommes n'y sont admis qu'une fois dans l'année. Le gymnase est au couchant et tient à la place publique. (9) Derrière le portique qui doit son nom à Philippe de Macédoine, il y a deux petites collines; sur l'une était autrefois le temple de Minerve Polias (Protectrice de la cité), sur l'autre celui de Junon; ces deux temples sont en ruines. De cette dernière colline coule une source qu'ils nomment Bathyllos et qui va elle aussi grossir l'Hélisson. [8,32] (1) Voilà ce que j'ai vu de plus remarquable dans cette partie de la ville. Au-delà de la rivière, du côté du midi vous voyez un magnifique théâtre, le plus grand qu'il y ait dans toute la Grèce; il est orné d'une fontaine qui coule sans cesse. Non loin du théâtre subsistent les fondations du Sénat où s'assemblaient les Dix Mille qui présidaient aux affaires d'Arcadie; on nommait ce lieu le Thersilion, du nom de son fondateur. La maison toute proche, qui est aujourd'hui à un particulier, fut autrefois bâtie pour Alexandre, fils de Philippe. On voit encore près de la maison une statue d'Ammon, ressemblant aux hermès à fût quadrangulaire, avec des cornes de bélier sur la tête. (2) Près de là est un temple qui est commun aux Muses, à Apollon et à Mercure. Il en est resté de rares fondations; restaient aussi l'une des Muses, et un Apollon du type des Hermès quadrangulaires. Le temps n'a pas non plus épargné le sanctuaire de Vénus; il ne s'en est conservé que le vestibule, ainsi que trois statues de la déesse, l'une sous le nom de Vénus Ourania (Céleste), l'autre sous le titre de Pandémos (Populaire), et la troisième sans aucun surnom. (3) L'autel de Mars n'est pas loin de là, les Mégalopolitains croient cet autel fort ancien. Au-dessus du temple de Vénus il y a un stade qui d'un côté aboutit au théâtre, et une fontaine qu'ils disent être consacrée à Bacchus. À l'autre extrémité du stade ils avaient un temple de Bacchus, qui fut brûlé par le feu du ciel il y a quelque cinquante ans. Hercule et Mercure avaient aussi un temple en commun devant le stade; il n'en reste aujourd'hui que l'autel. (4) Dans ce même quartier s'élève une colline qui regarde le soleil levant, et où Diane surnommée Agrotéra (Chasseresse) a son temple, bâti autrefois par Aristodémos. À la droite de ce temple est un enclos sacré avec un sanctuaire à Esculape et des statues: le dieu lui-même et la déesse Hygie. En descendant un peu vous voyez d'autres dieux, qui présentent aussi une forme quadrangulaire et qui ont l'épiclèse d'Ergatai (Ouvriers): ce sont Minerve Erganè (Industrieuse) et Apollon Agyieus (Protecteur des rues). À Mercure, Hercule et Lucine, Homère rapporte une légende, selon laquelle Mercure est au service de Jupiter, et conduit dans l'Hadès les âmes des morts; Hercule a accompli une infinité de travaux plus difficiles les uns que les autres, et Lucine assiste les femmes qui sentent les douleurs de l'enfantement. (5) Au bas de la colline on voit un autre temple d'Esculape Pais (Enfant), le dieu est debout; c'est une statue d'une coudée. Apollon y est aussi représenté, mais assis dans un trône; sa statue a au moins six pieds de hauteur. À cet endroit sont également consacrés des ossements trop grands pour être attribués à un homme. On prétend que ce sont les os d'un géant qu'Hopladamos appela au secours de Rhéa: j'aurai bientôt l'occasion d'en parler plus au long. Près de ce temple est une source dont l'eau va aussi se jeter dans l'Hélisson. [8,33] (1) Si Mégalopolis bâtie autrefois avec tant d'ardeur par les Arcadiens, après les espérances que les Grecs en avaient conçues, dépouillée aujourd'hui de tous ses ornements ne présente que des ruines de tous côtés, je ne m'en étonne pas. Je sais que la fortune se joue sans cesse des choses d'ici bas, que rien ne lui résiste, et que toutes les productions humaines, fortes ou faibles, anciennes ou nouvelles, sont également sujettes à son empire. (2) Que reste-t-il de Mycènes, qui du temps de la guerre de Troie commandait à toute la Grèce, et de Ninive, autrefois la capitale des Assyriens, et de Thèbes en Béotie jugée digne un temps de présider la Confédération des Hellènes? Les deux premières sont détruites, et la troisième conserve à peine son nom, grâce à la citadelle qui subsiste encore, et à un fort petit nombre d'habitants. Considérons celles qui anciennement surpassaient toutes les autres en richesses, Thèbes en Égypte, Orchomène dans le pays des Minyens, Délos qui s'est vue si florissante par son commerce; que sont-elles devenues? Les unes à présent n'ont pas la richesse d'un simple particulier médiocrement puissant, et Délos serait entièrement abandonnée, sans la garnison que les Athéniens y envoient tous les ans pour la garde du temple d'Apollon. (3) Babylone a été la plus grande ville que le soleil pût voir dans sa course; il n'en est resté que les murs et le temple de Bel. Tirynthe d'Argolide n'a pas eu un meilleur sort. Ces anciennes villes si fortes, si riches, et si grandes ont été réduites à rien, pendant qu'Alexandrie en Égypte, et Séleucie sur les bords de l'Oronte, tout nouvellement bâties l'une et l'autre, sont parvenues à un tel point de grandeur et de puissance, que la Fortune elle-même semble les avoir prises sous sa protection. (4) Mais nous avons vu de nos jours quelque chose de plus étonnant encore que ces jeux de la fortune dans l'abaissement de certaines villes, et dans l'accroissement de quelques autres. Chrysé était une île fort peu distante de Lemnos; ce fut-là, dit-on, que Philoctète souffrit de si grandes douleurs de la piqûre d'un serpent. Cette île submergée par les flots de la mer a entièrement disparu, et en même temps on en a vu paraître une autre qui n'était point, et que l'on appelle l'île Hiéra (Sacrée). Ainsi toutes les choses humaines ne sont que pour un temps, et il n'y a rien de stable dans le monde. [8,34] (1) En allant de Mégalopolis en Messénie on n'a pas fait sept stades que l'on trouve à la gauche de la route un temple dédié à des déesses que les gens du lieu nomment Maniai (les Folles), et tout le canton d'alentour en porte aussi le nom. C'est à mon avis une épiclèse des Euménides (les Furies); aussi disent-ils qu'Oreste ayant tué sa mère perdit l'esprit en ce lieu-là. (2) Assez près du temple on voit un petit tertre avec, pour couronnement, un doigt fait de pierre; ils appellent ce tertre " le monument du doigt", et disent qu'Oreste devenu furieux se coupa là avec les dents un des doigts de la main. Dans le voisinage est un autre endroit qu'ils nomment Akè (les Remèdes), parce qu'Oreste fut guéri là de ses fureurs. On y a bâti aussi un temple aux Euménides. (3) On raconte qu'à la première apparition de ces déesses, lorsqu'elles troublèrent l'esprit à Oreste, il les vit toutes noires; qu'à la seconde apparition, après qu'il se fut arraché un doigt, il les vit toutes blanches, et qu'alors il recouvra son bon sens; qu'à cause de cela il offrit un sacrifice expiatoire aux premières pour détourner leur colère et un sacrifice propitiatoire aux secondes, les blanches. Encore aujourd'hui l'usage est de sacrifier aux Charites en même temps qu'à elles. Auprès du lieu qu'ils nomment Akè il y a un autre sanctuaire nommé où l'on dit qu'Oreste coupa ses cheveux lorsqu'il fut revenu à lui. (4) À dire vrai, ceux qui ont recherché les antiquités du Péloponnèse conviennent qu'Oreste poursuivi par les furies vengeresses de la mort de Clytemnestre, éprouva toutes ces aventures en Arcadie, avant d'être jugé dans l'Aréopage. Ils ajoutent qu'il eut pour accusateur non pas Tyndare, car il n'était plus au monde, mais Périlaos, qui, comme cousin germain de Clytemnestre, demanda la punition du crime d'Oreste; ce Périlaos aurait été fils d'Ikarios, qui eut plusieurs filles ensuite. (5) De Maniai au fleuve Alphée il peut y avoir environ quinze stades. À cet endroit la rivière Gathéatas, après avoir reçu le Karnion, se jette dans l'Alphée. Le Karnion a sa source dans l'Aipytide au-dessous du sanctuaire d'Apollon Kéréatas (Cornu); le Gathéatas a la sienne à Gathéai sur le territoire de Kromoi. (6) La Kromitide est à quelque quarante stades en amont de l'Alphée, où l'on voit à peine quelques traces de l'ancienne ville de Kromoi. De Kromoi à Nymphas on compte quelque vingt stades. Nymphas est un lieu arrosé d'eau et rempli d'arbres. De là à l'Hermaion, lieu consacré à Mercure, on compte encore vingt stades. C'est là que passe la frontière entre les Messéniens et les Mégalopolitains. À cet endroit, on a représenté également Mercure sur une stèle. [8,35] (1) Cet itinéraire conduit à Messène; un autre conduit de Mégalopolis à Karnasion de Messénie. En prenant ce dernier vous trouverez bientôt l'Alphée, et c'est justement à cette hauteur que le Mallous et le Skyros après avoir mêlé leurs eaux viennent se jeter dans ce fleuve. Après avoir longé sur quelque trente stades le Mallous qui est sur la droite, vous traversez la rivière, et vous montez à Phaidrias par un chemin en pente assez rude. (2) À quelque quinze stades de Phaidrias, il y a un Hermaion, dénommé "du côté de Despoina". Ce lieu est aussi la frontière entre les Mégalopolitains et les Messéniens. Vous y verrez de petites statues de Despoina et de Cérès, ainsi que d'Hercule et de Mercure. À mon avis, l'idole faite par Dédale pour Hercule se dressait elle aussi sur les confins de la Messénie et de l'Arcadie, à cet endroit. (3) La route qui va de Mégalopolis à Lacédémone compte trente stades jusqu'à l'Alphée; ensuite après avoir longé la rivière de Theious (qui se jette aussi dans l'Alphée), en laissant le Theious à gauche, à une quarantaine de stades de l'Alphée, on trouve Phalaisiai, d'où il n'y a plus que vingt stades à faire pour arriver à l'Hermaion "du côté de Bélémina". (4) Les Arcadiens prétendent que Bélémina faisait autrefois partie de leur territoire, et que les Lacédémoniens le leur ont prise. Mais cette affirmation ne me paraît pas justifiée, ne serait-ce que parce que les Thébains n'auraient pas manqué de faire valoir les droits de leurs alliés, s'ils avaient cru pouvoir justement revendiquer cette ville en leur nom. (5) De Mégalopolis partent aussi des routes qui mènent aux localités de l'intérieur de l'Arcadie. Il y a cent-soixante-dix stades jusqu'à Méthydrion, et à treize stades de Mégalopolis, on arrive à Skias et aux ruines d'un sanctuaire de Diane Skiatidis (de Skias), bâti, à ce que l'on croit, par Aristodémos durant sa tyrannie. À quelque dix stades de là vous voyez Charisiai, ou plutôt le lieu où cette ville était, car à peine en reste-t-il quelques vestiges. Dix autres stades plus loin, c'était Trikolonoi. (6) Trikolonoi était jadis une cité. Elle est aujourd'hui ruinée; on n'a conservé qu'un sanctuaire de Neptune sur une colline, avec une statue du dieu de figure carrée. Un bois sacré entoure le sanctuaire. Cette ville avait été bâtie par les enfants de Lycaon. Si vous prenez sur la gauche vous arriverez à Zoitia qui est à quinze stades de Trikolonoi, et qui a eu, dit-on, pour fondateur Zoiteus, fils de Trikolonos. Paroreus, son cadet, fonda lui aussi une ville, Paroria, à dix stades de Zoitia. (7) Aujourd'hui ces deux villes sont désertes. Il est seulement resté deux temples à Zoitia, l'un de Cérès, l'autre de Diane. Vous verrez sur cette route les ruines de plusieurs autres villes, comme de Thyraion à quinze stades de Paroria, et ensuite d'Hypsous, ville autrefois située sur une montagne de même nom. Entre Thyraion et Hypsous, c'est un pays de montagnes couvertes de bois et pleines de bêtes fauves. J'ai déjà dit que ces villes avaient été ainsi appelées du nom de Thyraios et d'Hypsous tous deux fils de Lycaon. (8) À Trikolonoi, vous trouverez sur votre droite un chemin escarpé qui va en descendant et qui vous mènera jusqu'à une source qu'ils nomment Krounoi. Trente stades plus bas vous verrez la sépulture de Callisto; c'est une éminence où l'on a laissé croître toute sorte d'arbres, soit fruitiers ou sauvages. À l'endroit le plus haut est un temple de Diane surnommée Kallisté (la Très belle). Pamphos, que je sache, est le premier qui ait donné ce surnom à Diane à l'imitation des Arcadiens. (9) Vingt-cinq stades au-delà et à cent stades en tout de Trikolonoi, sur la route directe de Méthydrion (la route subsiste encore), vous avez la localité Anémosa et le mont Phalanton, sur lequel on voit encore quelques restes de la ville de ce nom. Les Arcadiens disent que Phalantos, son fondateur, était fils d'Agélaos et donc petit-fils de Stymphélos. (10) Au-delà de cette montagne est une plaine dite "de Polos", et après Schoinous, ainsi appelée du nom de Schoineus, un BéotienMais s'il est vrai que Schoineus soit venu s'établir en Arcadie, je croirais aussi que "les pistes d'Atalante" qui sont près de la ville ont été ainsi appelées du nom de sa fille. À la suite se trouve - - - appelé à mon avis, et on dit que le territoire à cet endroit est pour tout le monde l'Arcadie. [8,36] (1) Méthydrion est donc, comme j'ai dit, la seule de toutes ces villes qui mérite qu'on en parle. Elle est à cent trente-sept stades de Trikolonoi. Son nom (Entre deux cours d'eau) vient de ce qu'elle est sur une hauteur entre deux fleuves, le Maloitas et le Mylaon; c'est Orchoménos qui l'a fondée Ses citoyens avant de s'intégrer dans l'ensemble mégalopolitain avaient remporté des victoires aux jeux Olympiques. (2) On voit en cette ville un temple de Neptune Hippios (Protecteur des chevaux), bâti près du Mylaon. Le mont Thaumasion domine la rivière Maloitas. Les Méthydriens disent que Rhéa, grosse de Jupiter, se retira sur cette montagne, et que Hopladamas avec les autres Géants accourut pour l'aider au cas où Saturne viendrait l'attaquer. (3) Ils admettent pourtant qu'elle accoucha quelque part sur le mont Lycée; mais si on les en croit, ce fut sur le mont Thaumasios qu'elle trompa Saturne en lui présentant une pierre au lieu du petit Jupiter, comme les Grecs le racontent. Ce qui est de certain, c'est que l'on voit sur la cime de la montagne une grotte nommée encore la grotte de Rhéa, où il n'est permis à personne d'entrer, sauf aux femmes destinées à y célébrer les mystères de la déesse. (4) À une trentaine de stades de Méthydrion vous verrez la source Nymphasia; et de là jusqu'à un endroit qui sert de frontière aux Mégalopolitains, aux Orchoméniens et aux Kaphyéens on compte encore trente stades. (5) De Mégalopolis, en passant par la porte dite "du marais" (c'est la route de Mainalos qui longe l'Hélisson), on trouve, sur la gauche, un temple d'Agathos Theos (Dieu Bon). Si nous tenons des dieux tout le bien qui nous arrive, Jupiter étant au-dessus de tous, il y a lieu de croire que c'est lui qu'on a voulu surnommer ainsi. Un peu plus loin sur une éminence vous verrez le tombeau d'Aristodémos, qui, bien que tyran, trouva le moyen de conserver le titre d'homme de bien. Il y a aussi un sanctuaire de Minerve dite Machanitis (Industrieuse) et avec raison, parce que la déesse invente toutes sortes de plans et d'artifices. (6) Sur le même chemin à droite il y a un enclos sacré aménagé pour Borée; les Mégalopolitains lui font des sacrifices tous les ans, et l'honorent d'un culte particulier en reconnaissance de l'aide qu'il leur apporta contre Agis qui commandait l'armée des Lacédémoniens. Ensuite vous trouverez la sépulture d'Oiklès, père d'Amphiaraos, si du moins il est vrai qu'il soit mort en Arcadie, et non à Troie, où il suivit Hercule dans son expédition contre le roi Laomédon. Après ce tombeau vous voyez le temple de Cérès dite "au marais" et son bois sacré. Celui-ci n'est qu'à cinq stades de la ville, il n'est permis qu'aux femmes d'y entrer. À trente stades de là est un endroit que l'on nomme Paliskios. (7) En sortant de Paliskios, vous laissez à gauche l'Élaphos, un ruisseau qui est souvent à sec, et après vingt stades de route vous arrivez à la ville de Péraitheis, dont on ne voit plus que les ruines, à l'exception d'un temple du dieu Pan, qui s'est conservé. Là on passe un torrent et quinze stades plus loin on se trouve dans la plaine de Mainalios dominée par une montagne de même nom. Au pied de la montagne on voit encore quelques vestiges de la ville de Lykoa, avec un sanctuaire de Diane Lykoatis (de Lykoa) et une statue cultuelle de la déesse en bronze. (8) Soumétia est autre ville en ruines sur le versant méridional de la montagne. Dans ce massif montagneux il y a aussi ce qu'on appelle les Trois Routes; ce fut de là que les Mantinéens sur le conseil de l'oracle de Delphes recueillirent les os d'Arkas, fils de Callisto. Il ne reste plus que des ruines de la ville de Mainalos, avec les traces d'un temple de Minerve et deux stades, dont l'un était pour les combats des athlètes, l'autre pour les courses de chevaux. Les gens du pays croient cette montagne particulièrement consacrée au dieu Pan, et ils sont si persuadés de la présence du dieu, qu'ils s'imaginent quelquefois l'entendre jouer de la syrinx. (9) Quarante stades séparent le sanctuaire de Despoina et la ville de Mégalopolis. À mi-chemin on rejoint l'Alphée, et si on le traverse, deux stades plus loin, on trouve les ruines de Makaréai, et à sept stades encore celles de Daséai, d'où l'on compte encore sept stades jusqu'au mont Akakésios. (10) Au pied du mont était autrefois la ville d'Akakésion. On y voit encore une statue de marbre qui représente Mercure Akakésios. Si l'on en veut croire les Arcadiens, c'est-là que ce dieu dans son enfance a été élevé par les soins d'Akakos un des fils de Lycaon. Mais les Thébains ont une tradition bien différente, et les Tanagréens une autre aussi différente de celle des Thébains. [8,37a] (1) Le sanctuaire de Despoina est à quatre stades d'Akakésion. On a d'abord un temple de Diane Hégémonè (Conductrice) dont la statue cultuelle en bronze, qui tient un flambeau dans chaque main, et a bien six pieds de haut, autant que je m'en puis souvenir. De là, on accède à l'enceinte du sanctuaire de Despoina. En approchant du temple vous trouvez à droite un portique, et le long des murs des reliefs sculptés en marbre blanc. Sur l'un sont représentées les Parques avec Jupiter surnommé Moiragétès (Conducteur des Moires); sur le second c'est Hercule qui arrache à Apollon le trépied; je dirai l'explication que j'ai ouï donner de cette figure, lorsque je décrirai le temple de Delphes dans mon livre consacré à la Phocide. (2) Dans le portique voisin du temple de Despoina, entre les reliefs que j'ai mentionnés, il y a une tablette inscrite concernant la cérémonie à initiation; sur le troisième relief vous voyez des nymphes et des Pans, et sur le quatrième Polybe, fils de Lykortas. L'inscription porte que la Grèce n'eut pas fait tant de fautes, si elle avait suivi les conseils de ce grand homme, et que tombée dans de grands malheurs, elle n'eut d'espérance et de ressource qu'en lui. Devant le temple on voit trois autels dédiés, l'un à Cérès, un second à Despoina et le troisième à la Mère des Dieux. (3) Quant aux statues mêmes des déesses, Déméter et Despoina, le trône où elles sont assises et le tabouret placé sous leur pied sont faits d'un seul bloc de pierre. On n'aperçoit ni dans les draperies, ni dans les autres ornements aucune jointure, ni quoi que ce soit qui puisse faire soupçonner que la pièce soit en plusieurs morceaux. Les Arcadiens disent que ce bloc ne leur a point été apporté, mais qu'avertis en songe de creuser la terre dans l'enceinte du temple, ils l'y trouvèrent. Chacune des statues est à peu près aussi grande que celle de la Mère des Dieux qui se trouve à Athènes. Ce sont aussi des oeuvres de Damophon. (4) Cérès tient un flambeau de la main droite, et pose la main gauche sur Despoina; celle-ci tient un sceptre et a sur ses genoux une corbeille qu'elle soutient de la main droite. Flanquant le trône, Diane est debout à côté de Cérès; elle est vêtue d'une peau de cerf, le carquois sur l'épaule, tenant d'une main un flambeau, et de l'autre deux serpents; une chienne est couchée à ses pieds, de celles qui conviennent pour la chasse. (5) Debout près de la statue de Despoina, on voit Anytos dans l'équipage d'un homme de guerre. Les gens de l'endroit disent que la déesse fut élevée par cet Anytos qui était un des Titans. Homère est le premier qui ait parlé des Titans; il en fait des dieux du Tartare dans le serment qu'il prête à Junon. Onomacritos a depuis emprunté cette fable d'Homère, et dans son poème sur les orgies de Bacchus, il dit que les Titans causèrent bien des maux à ce dieu. [8,37b](6) Quant à Anytos, je rapporte ce que les Arcadiens en disent. Mais que Diane soit fille de Cérès et non de Latone, c'est une tradition égyptienne que le poète Eschyle, fils d'Euphorion, a le premier répandue parmi les Grecs. Je ne dis rien ni des Curètes qui sont figurés sous les statues, ni des Corybantes que l'ouvrier a sculptés en relief sur la base (leur race est différente et ce ne sont pas des Curètès. (7) Les Arcadiens apportent au temple des fruits de toute espèce, excepté des grenades. En sortant du temple vous verrez sur votre droite un miroir encastré dans le mur; quand on s'y regarde, à peine se voit-on, mais on voit distinctement aussi bien les statues des déesses que leur trône. 8) Si vous avancez un peu au-dessus du temple, vous verrez sur votre droite ce qu'ils appellent le Mégaron, où ils célèbrent les mystères de la déesse et lui sacrifient des victimes aussi nombreuses qu'abondantes. Chacun d'eux sacrifie telle bête qu'il possède, mais au lieu de trancher la gorge des victimes, comme dans les autres sacrifices, c'est un membre au hasard que chacun détache en coupant de l'animal offert. (9) Despoina est de toutes les déesses celle pour qui les Arcadiens ont le plus de dévotion; ils la disent fille de Neptune et de Cérès, et ils l'appellent la Maîtresse (Despoina), comme on appelle Coré cette autre déesse qui est fille de Jupiter et de Cérès, quoique Homère lui ait donné le nom de Perséphone, et Pamphos avant Homère. Mais pour le vrai nom de Despoina, je n'ai pas osé le divulguer aux non-initiés. (10) Au-delà du Mégaron il y a un bois consacré à Despoina, entouré d'une clôture de pierres. À l'intérieur poussent, entre autres arbres, un olivier et un chêne vert qui sont sortis de la même racine, sans que cela puisse s'imputer à l'habileté d'un paysan. Au-delà du bois sacré on trouve un autel dédié à Neptune Hippios, en tant que père de la déesse, et quelques autres encore. Une inscription apprend que le dernier d'entre eux est un autel commun à tous les dieux. (11) De là on monte par un escalier au sanctuaire du dieu Pan. Vous voyez d'abord un portique et au-dedans une statue de moyenne grandeur. Les Arcadiens mettent ce dieu au nombre des plus puissantes divinités, qui exaucent les prières des bons, et font sentir leur colère aux méchants; ils tiennent une lampe perpétuellement allumée en son honneur; ils croient qu'anciennement ce dieu rendait des oracles, et qu'il avait pour interprète la nymphe Érato, celle-là même qui épousa Arkas, fille de Callisto. (12) On mentionne aussi des vers d'Érato, que j'ai rassemblés moi-même. Vous verrez aussi dans cet endroit un autel dédié à Mars et dans le temple deux statues de Vénus, l'une en marbre blanc, l'autre en bois, plus ancienne. Il y a également des idoles d'Apollon et Minerve. Minerve aussi a son sanctuaire. [8,38] (1) Un peu plus loin s'élève le mur d'enceinte de Lykosoura, où il n'y a plus aujourd'hui qu'un petit nombre d'habitants; c'est néanmoins la plus ancienne ville qu'il y ait dans le monde, la première que le soleil ait vue, et celle qui a fait naître aux hommes l'idée de bâtir toutes les autres. (2) Sur la gauche du sanctuaire de Despoina, vous voyez le mont Lycée. Il est aussi appelé Olympe, et même "sommet sacré", par d'autres Arcadiens; car ils prétendent que Jupiter a été nourri sur cette montagne dans un petit endroit nommée Krétéa, qui est à la gauche du bois sacré d'Apollon surnommé Parrhasios; c'est à cet endroit-là, disent-ils, et non dans l'île de Crète, que Jupiter aurait été élevé. (3) À ces nymphes qui auraient élevé Jupiter, ils donnent pour nom Thisoa, Néda, et Hagno. Du nom de Thisoa une ville fut fondée dans la Parrhasie, et de nos jours le village de Thisoa appartient à un district de la Mégalopolitide. La seconde donna son nom au fleuve Néda; et la troisième donna le sien à une source du mont Lycée, dont le niveau d'eau, à l'instar de celui de l'Istros, est toujours égal hiver et été. (4) Dans les temps de sécheresse prolongée, lorsque la terre aride et brûlée ne peut nourrir les arbres et les fruits qu'elle donne, le prêtre de Jupiter Lykaios (du Lycée) tourné vers la fontaine adresse ses prières au dieu, et lui fait des sacrifices en observant toutes les cérémonies prescrites; ensuite il jette une branche de chêne sur la surface de l'eau, sans qu'elle aille au fond. Cette légère agitation de l'eau fait sortir de la source une vapeur semblable à un brouillard. Au bout d'un moment, la vapeur devient nuage et, attirant à elle d'autres nuages, elle fait bientôt descendre la pluie sur la terre d'Arcadie. (5) Il y a aussi sur le mont Lycée un sanctuaire de Pan avec un bois sacré, près duquel se trouvent un hippodrome et, avant lui, un stade; anciennement on y a célébré le concours des Lykaia. On voit encore là plusieurs piédestaux, mais les statues n'y sont plus. J'y remarquai un distique gravé disant qu'une des statues était celle d'Astyanax, qui était par sa naissance un descendant d'Arkas. (6) Le mont Lycée est fameux par plusieurs curiosités. Ainsi notamment il n'est pas permis aux hommes d'entrer dans l'enclos consacrée à Jupiter Lykaios. Si quelqu'un au mépris de la loi est assez audacieux pour y mettre le pied, il meurt infailliblement dans l'année. On dit aussi que tout ce qui entre dans cette enceinte, hommes et animaux, n'y fait point d'ombre. Si une bête poursuivie par des chasseurs peut s'y sauver, elle est en sûreté; les chasseurs ne la poursuivent pas, ils se tiennent en dehors, mais ils ne distinguent aucune ombre provenant de son corps de cette bête. À Syène, ville voisine de l'Éthiopie, durant le temps que le soleil est dans le signe du Cancer, il n'y a ni arbres, ni animaux qui fassent de l'ombre; mais dans l'enclos du Lycée dont il s'agit ici, cela arrive en tout temps. (7) Sur la croupe la plus haute de la montagne on a fait à Jupiter Lykaios un autel de terres rapportées, d'où l'on découvre presque tout le Péloponnèse. Devant cet autel on a posé deux colonnes au soleil levant, sur lesquelles il y avait dans des temps plus anciens deux aigles dorés; c'est sur cet autel qu'ils sacrifient à Jupiter Lykaios en secret. Je n'ai pas tenu à m'informer indiscrètement des cérémonies de ce sacrifice; ainsi laissons les choses comme elles sont, et comme elles ont toujours été. (8) Dans cette partie du mont Lycée qui est à l'orient vous verrez un temple d'Apollon Parrhasios (de la Parrhasie), ou Pythios (Pythien), car on lui donne l'un et l'autre surnom. Les Arcadiens célèbrent tous les ans une fête en l'honneur de ce dieu, ils lui sacrifient un sanglier sur la place publique, et alors c'est à Apollon Épikourios (Secourable) qu'ils adressent leurs voeux. Mais ensuite ils portent la victime au sanctuaire d'Apollon Parrhasios, en procession et au son des flûtes. Là ils coupent les cuisses de la victime, ils les font rôtir, et ils les consomment sur place. (9) Telle est la coutume. Au nord de la montagne c'est le territoire de Thisoa; les gens du lieu honorent particulièrement la nymphe de ce nom. Le Mylaon, le Naous, l'Achéloos, le Kélados, et le Naphilos sont autant de rivières qui arrosent ce canton et qui vont se jeter dans l'Alphée. Je connais deux autres fleuves homonymes de l'Achéloos d'Arcadie, mais ils sont beaucoup plus célèbres. (10) L'un traverse le pays des Acarnaniens et des Étoliens, et a son embouchure en face des Échinades; Homère l'appelle le roi des fleuves; l'autre descend du mont Sipyle, et le même poète en a fait encore mention en parlant de Niobé. Ainsi l'Achéloos qui passe aux environs du mont Lycée est le troisième. (11) À la droite de Lykosoura vous voyez de hautes montagnes que l'on appelle les monts Nomiens; Pan surnommé Nomios y a son temple, et l'on donne à l'endroit le nom de Melpeia, parce que, disent-ils, ce fut là que Pan inventa l'art de jouer de la syrinx. Quant aux monts Nomiens, il serait naturel de croire qu'ils portent ce nom à cause de leurs pâturages (nomai) qui sont consacrés au dieu Pan; cependant les Arcadiens disent qu'ils sont ainsi appelles du nom d'une nymphe. [8,39] (1) La rivière Plataniston passe près de Lykosoura du côté du couchant. Pour aller à Phigalie il faut traverser cette rivière; quand c'est fait, vous trouvez un chemin qui monte sur environ trente stades. (2) Nous avons déjà vu plus haut dans le livre ce qui regarde Phigalos, fils de Lycaon et fondateur de Phigalie, comment ensuite cette ville s'est appelée Phialie du nom de Phialos, fils de Boukolion, et comment, au bout d'un certain temps, on est revenu à sa première dénomination. On raconte beaucoup d'autres choses, mais qui ne me paraissent pas fort dignes de foi; car les uns disent que Phigalos était un homme originaire du pays, mais nullement fils de Lycaon; les autres, que Phigalie était une nymphe au nombre des Dryades. (3) Quoi qu'il en soit, lorsque les Lacédémoniens firent la guerre aux Arcadiens, ils tournèrent d'abord leurs forces contre Phigalie, entrèrent dans le pays avec une armée, repoussèrent les habitants jusque dans leurs murs, et mirent le siège devant la ville. Les Phigaliens se voyant près d'être forcés capitulèrent et eurent la liberté de se retirer où ils voudraient; ils évacuèrent donc la place, à l'époque de l'archontat de Miltiade à Athènes, la seconde année de la trentième olympiade, en laquelle Chionis de Lacédémone fut proclamé vainqueur aux jeux olympiques pour la troisième fois. (4) Ces fugitifs ayant jugé à propos d'aller à Delphes pour consulter l'oracle sur les moyens de rentrer dans leur pays, il leur fut répondu qu'en vain ils tenteraient leur retour par eux-mêmes, qu'ils prissent avec eux cent hommes d'élite de la ville d'Oresthasion, que ces cent hommes périraient tous dans le combat, mais que grâce à leur valeur les Phigaliens rentreraient dans leur ville. Lorsque les Oresthasiens surent la réponse de l'oracle, ce fut parmi eux à qui s'enrôlerait le premier pour être au nombre des Cent qui devaient assurer le retour des Phigaliens. (5) Ils marchèrent contre la garnison lacédémonienne et vérifièrent l'oracle de point en point, car ils périrent tous jusqu'au dernier; mais les Spartiates furent chassés, et les Phigaliens purent rentrer dans leur patrie. Phigalie est sur un rocher fort haut et fort escarpé, les murs sont même bâtis pour la plus grande partie sur le roc; et tout en haut il y a une plate-forme assez spacieuse, où Diane Sôteira (Salvatrice) a un temple et une statue de marbre qui la représente debout; ils descendent de ce sanctuaire en procession dans la ville. (6) Vous verrez dans le gymnase un Mercure enveloppé d'un manteau; au lieu de se terminer par des pieds, cette statue s'achève en pilier quadrangulaire. Bacchus surnommé Akratophoros (= Qui produit du vin pur) a aussi son temple à Phigalie; le bas de sa statue est tellement couvert de feuilles de lierre et de laurier qu'on ne le peut voir; les parties visibles sont enluminées de cinabre qui les font briller; ce produit passe pour être trouvé par les Ibères en même temps que l'or. [8,40] (1) Sur la place publique on voit une statue en marbre d'Arrachion, un célèbre pancratiaste, dont l'antiquité se marque en particulier dans l'attitude: les pieds sont presque joints, et les mains pendent sur les côtés jusqu'aux cuisses. On prétend qu'elle portait une inscription, mais elle est entièrement effacée par le temps. Arrachion remporta deux fois des victoires olympiques en la cinquante-deuxième et en la cinquante-troisième olympiade; mais en la suivante sa victoire fut mémorable autant par la décision des juges que par son courage. (2) Car ayant vaincu tous ses adversaires, à l'exception d'un seul qui lui disputait la couronne d'olivier, celui-ci lui embarrassa les jambes et se jeta en même temps à son cou pour l'étrangler. Arrachion en cet état ne sut faire autre chose que de briser un orteil au pied à son adversaire, qui en ressentit une si grande douleur qu'il lui céda la victoire un moment avant qu'Arrachion étranglé rendît le dernier soupir. Les Éléens prononcèrent en faveur d'Arrachion, et tout mort qu'il était il fut couronné. (3) Je sais que les Argiens en usèrent de même envers Kreugas, fameux pugiliste natif d'Épidamne. Ils le proclamèrent vainqueur après sa mort, et lui adjugèrent le prix des jeux Néméens, parce que Damoxénos de Syracuse, son antagoniste, ne l'avait vaincu que par une lâche trahison, et en violant les lois dont ils étaient convenus l'un et l'autre. Ils devaient sur le soir combattre ensemble au pugilat, et ils étaient convenus en présence de témoins qu'après que l'un aurait porté un coup à son adversaire, celui-ci aurait son tour et en porterait un réciproquement à l'autre. Le ceste ne s'attachait point alors avec des courroies autour du poignet; on s'enveloppait seulement la paume de la main d'un cuir de boeuf que l'on faisait tenir avec des lanières, mais de sorte que les doigts demeuraient découverts. (4) Kreugas frappa le premier Damoxénos et lui déchargea un grand coup sur la tête; celui-ci dit à Kreugas de tenir ses mains en repos, et d'attendre le coup à son tour; Kreugas obéit; aussitôt Damoxénos lui plongea les doigts dans le flanc avec tant de violence qu'il le perça, et à coups redoublés élargissant la plaie il lui arracha les boyaux. (5) Kreugas expira sur le champ; mais parce que Damoxénos avait manqué de bonne foi, et qu'au lieu d'un seul coup il en avait porté plusieurs de suite, les Argiens le chassèrent honteusement de l'arène, et adjugèrent la victoire à Kreugas, même après sa mort. Ils firent plus, ils lui érigèrent une statue que l'on voit encore aujourd'hui dans le temple d'Apollon Lykios à Argos. [8,41] (1) Vous verrez aussi sur la place publique de Phigalie la sépulture collective de ces braves Oresthasiens dont j'ai parlé; les Phigaliens leur font un sacrifice tous les ans en tant que héros. (2) La rivière Lymax se jette dans la Néda en passant à côté de Phigalie elle-même. On dit que le nom de Lymax vient de la purification de Rhéa après qu'elle eut mis Jupiter au monde, et de ce que les nymphes qui assistèrent à ses couches jetèrent les souillures dans cette rivière. En effet les Achéens emploient le mot de "lumata" dans cette acception, et Homère qui nous apprend que les Grecs après s'être purifiés, à cause de la peste dont ils avaient été frappés, jetèrent dans la mer ce qui avait servi à leur purification, emploie aussi le mot "lumata" dans le même sens. (3) La Néda a sa source au mont Kérausion qui fait partie du mont Lycée; elle passe assez près de Phigalie, et les enfants de la ville vont en cet endroit couper leurs cheveux pour les consacrer au fleuve; près de son embouchure elle peut être remontée par des petits bateaux. De tous les fleuves que nous connaissons le Méandre est celui qui fait le plus de détours, se repliant pour ainsi dire sur lui-même, et serpentant en plusieurs manières; s'il y en a quelque autre qu'on puisse lui comparer en ce point, c'est la Néda. (4) À quelque douze stades au-dessus de Phigalie il y a des bains chauds, près desquels le Lymax se jette dans la Néda. Au confluent on voit un sanctuaire fort célèbre et fort antique, celui d'Eurynomé; il est entouré d'une si grande quantité de cyprès, que l'on dirait une forêt, et l'accès en est difficile à cause de sa situation. (5) Le peuple de Phigalie s'imagine qu'Eurynomé est une épiclèse de Diane; mais ceux qui ont quelque connaissance de l'antiquité savent bien qu'Eurynomé était une fille d'Okéanos, et qu'Homère en fait mention dans l'Iliade, lorsqu'il dit que Vulcain fut reçu par Thétis et par Eurynomé. On ouvre ce temple un certain jour de l'année, et tout le reste du temps on le tient fermé; ce jour-là les officiels et les particuliers y viennent sacrifier. (6) Comme je ne me suis point trouvé dans le pays le jour de la fête, je n'ai pu voir la statue d'Eurynomé; mais j'ai ouï dire à des Phigaliens qu'elle était attachée avec des chaînes d'or, et qu'elle présentait l'image d'une femme jusqu'aux hanches et, à partir de là, celle d'un poisson. Si c'est une fille d'Okéanos et si elle habite les profondeurs de la mer avec Thétis, le poisson pourrait servir à la caractériser. Mais à Diane, on ne voit pas comment, du moins en saine logique, pourrait être attribué pareil aspect. (7) La ville de Phigalie est entourée de montagnes, du mont Kotilion qui la domine à gauche et du mont Élaion qui à droite forme un rempart devant elle. Le Kotilion est à quelque quarante stades de la ville; s'y trouve une localité nommée Bassai, où vous verrez un temple d'Apollon Épikourios, dont même le toit est en pierre. (8) Après celui de Tégée c'est de tous les temples du Péloponnèse le plus estimé, soit pour la beauté de la pierre, soit pour l'élégance et pour la finesse de l'ajustage. Le surnom d'Épikourios vient de ce que ces peuples furent délivrés de la peste par le secours du dieu, de même que les Athéniens l'appelèrent Alexikakos (Qui écarte les maux) pour avoir détourné d'eux la maladie. (9) Je crois que l'un et l'autre nom lui furent donnés durant la guerre des Athéniens avec les Phigaliens et les autres peuples du Péloponnèse. Ce qui me le persuade, c'est premièrement la conformité des deux noms, et en second lieu c'est qu'Iktinos qui a été l'architecte du temple de Phigalie vivait au temps de Périclès, et qu'il fut aussi l'architecte du temple que l'on nomme le Parthénon à Athènes. J'ai déjà dit que la statue du dieu avait été transportée sur la place publique de Mégalopolis. (10) On trouve une source sur le mont Kotilion; mais l'historien qui a écrit que c'est la source du Lymax donne lieu de croire qu'il ne l'a pas vue par lui-même, et qu'il ne s'en est pas même rapporté à des personnes qui l'eussent vue; pour moi j'en parle comme témoin oculaire et comme quelqu'un d'instruit par les gens du pays: cette source est très faible et se perd vite dans les terres. Je ne puis néanmoins dire en quel endroit de l'Arcadie le Lymax a sa source, parce qu'il ne m'est pas venu à l'esprit de m'en informer. Au-dessus du temple d'Apollon Épikourios il y a un lieu qu'ils appellent Kotilon, où vous verrez un temple de Vénus et une statue de la déesse: le temple n'a plus de toit. [8,42] (1) L'autre montagne, l'Élaion, n'est qu'à trente stades de Phigalie. Ce que l'on y voit de plus curieux, c'est une grotte consacrée à Cérès dite Mélaina (la Noire). Il faut savoir que les Phigaliens admettent tout ce qu'on dit à Thelpousa du commerce que Neptune eut avec Cérès; ils prétendent seulement que ce qui en naquit ne fut pas un cheval, mais cette divinité que les Arcadiens appellent Despoina. (2) Ils ajoutent que Cérès, irritée contre Neptune et inconsolable de l'enlèvement de Proserpine, pour marquer son déplaisir prit un habit noir, s'enferma dans la grotte dont je parle, et y demeura longtemps cachée. Cependant les fruits et les moissons ne venaient point à maturité, et les hommes périssaient de faim. Les dieux n'y pouvaient apporter de remède, parce qu'aucun d'eux ne savait ce que Cérès était devenue. (3) Enfin Pan prenant un jour le plaisir de la chasse, après avoir couru toutes les montagnes d'Arcadie, vint sur le mont Élaion, où il trouva Cérès dans l'état que j'ai dit. Aussitôt il en informa Jupiter qui envoya les Parques à la déesse pour tâcher de la consoler et de la fléchir, ce qu'elles réussirent à faire. Les Phigaliens depuis cet événement ont toujours regardé cette grotte comme sacrée. Ils y avaient placé une statue de bois. (4) La statue représentait une femme, assise sur un rocher, mais avec la tête et la crinière d'un cheval, et des représentations de serpents et d'autres bêtes sauvages ajoutées sur la tête. Elle était vêtue d'une tunique qui descendait jusqu'aux pieds; elle tenait sur une main un dauphin, et sur l'autre un oiseau, une colombe, symboles faciles à interpréter pour tout homme de quelque intelligence et de jugement, un tant soit peu versé dans les traditions. Cérès était surnommée la noire parce qu'elle avait pris un habit noir. (5) Les Phigaliens ne savent ni de qui était cette statue, ni comment elle fut brûlée; car elle le fut. Après cet accident non seulement ils n'en mirent pas une autre à la place, mais ils négligèrent entièrement la fête et les cérémonies de la déesse. Aussitôt la terre cessa de donner ses richesses ordinaires; les Phigaliens punis par une stérilité qui causa la famine allèrent consulter l'oracle de Delphes, et en eurent cette réponse: (6) "Malheureux habitants de la triste Azanie, / De Cérès autrefois nation si chérie, / À vous nourrir de gland, à paître dans les bois / Vous voilà condamnés pour la seconde fois. / Mais des maux plus cruels vous menacent encore: / Oui, je vous le prédis; la faim qui vous dévore / Va croissant tous les jours irriter vos fureurs, / Et vous accoutumer aux plus grandes horreurs. / Des membres de son fils, ô barbare courage! / Le père assouvira sa famélique rage; / La mère, de l'enfant qu'elle porte en son sein, / Pour s'en rassasier, deviendra l'assassin. / Et vous périrez tous, si Cérès offensée / Dans son antre profond n'est par vous encensée, / Et si rétablissant son culte et ses autels, / Vous ne lui décernez des honneurs immortels." (7) Les Phigaliens depuis cet oracle rendirent à Cérès tous les honneurs imaginables, et entre autres marques de respect et de dévotion qu'ils lui donnèrent, ils engagèrent Onatas d'Égine, fils de Mikon, à leur faire une statue de la déesse, lui promettant la récompense qu'il voudrait. On voit aussi à Pergame un Apollon en bronze qui est de la façon d'Onatas; c'est une statue admirable tant pour sa grandeur que pour la beauté de l'ouvrage. Le même Onatas fit donc une Cérès en bronze, les uns disent d'après un dessin ou une copie de la vieille idole, d'autres d'après une apparition qu'il eut en songe. Quoi qu'il en soit, je crois que cette statue en bronze fut faite environ une génération après l'irruption des Perses en Grèce. (8) Car Xerxès passa en Europe dans le temps que Gélon, fils de Deinoménès, était tyran de Syracuse et de toute la Sicile. À Gélon succéda son frère Hiéron; celui-ci étant mort sans accomplir le voeu qu'il avait fait à Jupiter Olympien pour plusieurs victoires remportées à la course de chevaux, son fils Deinoménès second du nom l'acquitta pour lui. (9) Il consacra à Jupiter un char de bronze attelé de deux chevaux, et c'était un ouvrage d'Onatas. Deux inscriptions à Olympie s'y rapportent. L'une a trait à la dédicace: "Arbitre souverain des hommes et des dieux, / Mon père aux jeux sacrés trois fois victorieux, / À ton puissant secours dut l'éclat de sa gloire; / Et voulant signaler son zèle et sa victoire / Par un monument éternel, / De ce char il fit voeu d'enrichir ton autel; / De son sceptre héritier j'acquitte sa promesse: / Puissé-je ainsi toujours imiter sa sagesse." (10) La seconde est conçue en ces termes: "D'Onatas à ce char reconnais l'industrie. / Mikon était son père, Égine sa patrie." Ce statuaire vivait en même temps qu'Hégias d'Athènes et qu'Agéladas d'Argos. (11) J'étais venu à Phigalie exprès pour voir sa Cérès. Conformément à la coutume du pays, je n'immolai aucune victime à la déesse. Les produits des arbres cultivés (en particulier les fruits de la vigne), des rayons de miel et des laines qui n'ont pas encore été traitées mais restent imprégnées de suint, voilà les offrandes qu'on pose sur un autel qui est devant la grotte, et on verse de l'huile dessus. Cette espèce de sacrifice se fait tous les jours par les particuliers, et une fois l'an par la ville en corps. (12) C'est une prêtresse qui accomplit les rites, et avec elle le plus jeune de ceux qu'on appelle hiérothytes (ce sont des citoyens au nombre de trois). La grotte est entourée d'un bois sacré de chênes où il y a une source d'eau froide. La statue d'Onatas n'y était plus de mon temps, et la plupart des Phigaliens doutaient qu'elle y eût jamais été. (13) Un vieillard m'assura qu'environ trois générations avant lui cette statue avait été fracassée par de grosses pierres qui s'étaient détachées du plafond, et en effet l'on voit encore au plafond l'endroit d'où ces pierres s'étaient détachées. [8,43] (1) L'ordre de ma narration demande que je parle à présent de Pallantion, et que je dise pourquoi l'empereur Antonin en a fait une cité au lieu d'un village, et pour quel motif il lui accorda la liberté et une exemption d'impôts. (2) On dit qu'Évandre fut le plus grand capitaine et la meilleure tête qu'il y eût de son temps dans toute l'Arcadie. Il passait pour être fils de Mercure et d'une nymphe qui était fille du fleuve Ladon; ayant reçu ordre d'aller établir une colonie, il prit avec lui quelques troupes de Pallantion où il habitait et vint s'établir sur les bords du Tibre. Il y bâtit une ville qui depuis a fait partie de la ville de Rome, et du consentement de ceux qui l'avaient suivi il lui donna le nom de Pallantion pour faire honneur à leur commune patrie; nom qui dans la suite par le retranchement de deux lettres lamba et nu, a été changé en celui de Palatium. Voilà ce qui engagea l'empereur Antonin à combler de faveurs les habitants de l'ancienne ville de Pallantion. (3) On peut dire à la louange de cet empereur qu'il n'a jamais engagé volontairement les Romains dans une guerre. Mais quand la guerre fut déclenchée par les Maures, la fraction la plus importante des Lybiens autonomes (des nomades encore plus difficiles à combattre que les Scythes, dans la mesure où ils se déplaçaient non sur des chariots mais à cheval, eux et leurs femmes), Antonin les chassa du pays qu'ils occupaient, et les obligea de s'enfuir jusqu'aux limites de la Libye, sur le mont Atlas et auprès des populations voisines de l'Atlas. (4) Il dépouilla aussi les Brigantes de Bretagne d'une grande partie de leur territoire, parce qu'ils avaient pris l'initiative, eux aussi, d'une invasion à main armée dans la province de Génounia dont les habitants étaient sujets de Rome. Un tremblement de terre ayant détruit plusieurs villes de la Lycie et de la Carie, même l'île de Rhodes et l'île de Cos, Antonin par le soin qu'il eut d'y envoyer de nouveaux habitants et par d'importantes largesses répara tous ces malheurs. D'autres ont dit avant moi, avec beaucoup d'exactitude, les divers bienfaits que les Grecs et les barbares ont reçus de ce prince dans leurs besoins; et les travaux qu'il lança en Grèce, en Ionie, à Carthage et en Syrie. (5) Mais un monument plus précieux encore de sa bonté, c'est celui dont je vais parler. À tous les provinciaux qui possédaient la citoyenneté romaine, mais dont les enfants étaient classés dans la catégorie des Grecs, il ne restait que deux possibilités: ou distribuer leurs biens à des gens qui n'étaient pas de leurs parents, ou accroître la richesse de l'empereur en vertu d'une certaine loi. L'empereur Antonin les autorisa à donner, eux aussi, leur héritage à leurs enfants, préférant se montrer ami des hommes que de garder une loi qui lui rapportait de l'argent. Les Romains le surnommèrent le Pieux, parce qu'en effet il était plein de religion et de piété. (6) Mais à mon avis il mérita aussi le surnom de Cyrus l'Ancien, que l'on appelait "le Père des hommes". Il a eu pour successeur un fils de même nom que lui; ce second Antonin a dompté les Germains, nation fort belliqueuse, et rangé à leur devoir plusieurs autres peuples barbares de l'Europe, particulièrement les Sauromates qui avaient injustement déclaré la guerre aux Romains. [8,44] (1) Mais achevons de parcourir le reste de l'Arcadie. De Mégalopolis il y a un chemin qui mène à Pallantion et à Tégée, et qui va même jusqu'à un lieu que l'on nomme Chôma (la Digue). Sur ce chemin, le faubourg Ladokeia tient son nom de Ladokos, fils d'Échémos. Aux environs on voyait autrefois la cité d'Haimoniai dont Haimon, fils de Lycaon, avait été le fondateur; le nom d'Haimoniai est resté aujourd'hui encore celui de cet endroit. (2) Au sortir d'Haimoniai, à droite de la route, vous verrez les ruines de la ville d'Oresthasion et quelques colonnes d'un temple de Diane dont l'épiclèse est Hiéreia (la Prêtresse). Si vous allez tout droit vous rencontrerez deux bourgs, nommés l'un Aphrodision, l'autre Athénaion. Sur la gauche de ce dernier il y a un temple de Minerve, avec à l'intérieur une statue de la déesse en marbre. (3) Vingt stades au-delà d'Athénaion vous trouvez les ruines d'Aséa, et une éminence où était autrefois la citadelle; on voit encore quelques vestiges de murs. À cinq stades d'Aséa, un peu à l'écart de la route, on vous fera remarquer la source de l'Alphée, et tout contre la route celle de l'Eurotas. Près de la première on voit un temple de la Mère des Dieux qui n'a plus de toit, mais où il est resté deux lions de marbre. (4) L'Eurotas mêle ses eaux avec celles de l'Alphée, et, sur une vingtaine de stades, leur cours est commun; après être tombés dans un gouffre, ils réapparaissent, l'Eurotas en Laconie, l'Alphée à Pégai (les Sources) près de Mégalopolis. Depuis Aséa jusqu'au mont Boreion on va toujours en montant; sur la cime de cette montagne on aperçoit quelques restes d'un vieux sanctuaire qu'Ulysse, dit-on, bâtit à Minerve Sôteira (Salvatrice) et à Neptune, lorsqu'il fut enfin revenu de Troie. (5) Le lieu qu'ils appellent Chôma (la Digue) sépare les Mégalopolitains, les Tégéates, et les Pallantiens. Sur la gauche c'est une plaine qui conduit à Pallantion. On voit dans cette ville un temple consacré à Évandre et à Pallas avec leurs statues de marbre. Cérès et Proserpine y ont aussi un sanctuaire, près duquel se trouve une statue de Polybe. La ville est dominée par une hauteur qui servait autrefois de citadelle. On voit encore sur la cime un temple bâti à des dieux. (6) Ils portent l'épiclèse de Katharoi (Purs), et l'usage est établi de prêter à cet endroit les serments relatifs aux plus importantes affaires; mais pour le reste les gens ignorent quelles sont ces divinités, ou s'ils le savent, c'est un secret qu'ils ne révèlent point. S'il est permis de deviner, je croirais pour ma part que ces dieux ont été appelles Katharoi parce que Pallas ne leur sacrifia pas de la même manière qu'Évandre son père avait sacrifié à Jupiter Lykaios. (7) À la droite de ce qu'on appelle Chôma, on trouve la plaine de Manthourie; elle est déjà à la frontière du territoire de Tégée et s'étend sur une cinquantaine de stades jusqu'à Tégée. Il y a, à droite, le mont Krésion qui n'est pas très haut, et où l'on a bâti le sanctuaire d'Aphneios (l'Opulent) pour la raison que je vais dire. Aéropé, fille de Képheus et petite-fille d'Aléos, ayant eu commerce avec le dieu Mars mourut dans les douleurs de l'enfantement. (8) Le fils qu'elle venait de mettre au monde cherchant à téter sa mère, ne laissa pas de trouver ses mamelles pleines de lait; car, disent les Tégéates, Mars opérait ce miracle en faveur de son fils. Voilà pourquoi ils donnèrent à ce dieu le surnom d'Aphneus. Pour l'enfant, il fut nommé Aéropos. Sur le chemin de Tégée vous verrez la source Leukonienne, ainsi dite du nom de Leukoné que l'on croit avoir été fille d'Apheidas, et non loin de la ville on vous montrera son monument [8,45] (1) Les Tégéates prétendent que Tégéatès, fils de Lycaon, ne donna son nom qu'au seul territoire, tandis que les habitats de la population étaient répartis en dèmes: Garéatai, Phylakeis, Karyatai, Korytheis, et aussi Potachidai, Oiatai, Manthyreis et Écheuéteis. Sous le règne d'Apheidas il y eut un neuvième dème, les Apheidantès. Quant à la ville qui subsiste aujourd'hui, c'est Aléos qui l'a bâtie. (2) Les Tégéates ont eu part à toutes les expéditions communes aux Arcadiens, je veux dire, la guerre de Troie, les guerres médiques, la bataille qui fut livrée contre les Lacédémoniens à Dipaia. Mais voici d'autres exploits dont la gloire n'appartient qu'à eux. Ankeios, fils de Lykourgos, à la chasse du sanglier de Calydon attendit de pied ferme ce terrible animal, quoiqu'il en eût déjà été blessé; Atalante lui décocha la première une flèche et l'atteignit; aussi pour récompense de son courage eut-elle la hure et la peau du sanglier. (3) Les Héraclides voulant rentrer dans le Péloponnèse, Échémos de Tégée, fils d'Aéropos, soutint un combat singulier contre Hyllos et triompha de lui. Les Lacédémoniens ayant fait une irruption en Arcadie, les Tégéates eurent l'honneur de marcher les premiers contre eux, de les battre, et d'en faire un grand nombre prisonniers de guerre. (4) Aléos avait bâti dans la ville de Tégée un temple à Minerve Aléa; mais dans la suite les habitants en bâtirent un beaucoup plus grand et plus magnifique; car le feu prit tout d'un coup au premier et le consuma entièrement; ce malheur arriva du temps que Diophantès était archonte à Athènes, et la seconde année de la quatre-vingt-seizième olympiade en laquelle Eupolémos d'Élis fut vainqueur à la course du stade. (5) Le temple qui subsiste de nos jours est le plus grand et le plus orné qu'il y ait dans tout le Péloponnèse. Sa principale beauté consiste en trois rangs de colonnes, dont les deux premiers sont au-dedans du temple, l'un de l'ordre dorique, l'autre de l'ordre corinthien, et le troisième de l'ordre ionique, qui est au-dehors. J'ai ouï dire que l'architecte de ce superbe édifice a été Scopas de Paros, celui-là même qui a enrichi l'ancienne Grèce de tant de belles statues, ainsi qu'en Ionie et en Carie. (6) Sur le fronton de devant vous voyez la chasse du sanglier de Calydon. L'animal est représenté au centre avec d'un côté Atalante, Méléagre, Thésée, Télamon, Pélée, Pollux, Iolaos le fidèle compagnon des travaux d'Hercule, les fils de Thestios, frères d'Althaia, Prothous et Kométès, tous ces héros attaquent fièrement le monstrueux animal et le prennent en flanc. (7) De l'autre côté du sanglier, Ankaios déjà blessé a laissé tomber sa hache et est soutenu par Épochos; près de lui vous reconnaissez Castor et Amphiaraos, fils d'Oiklès; ensuite Hippothoos, fils de Kerkyon, petit-fils d'Agamédès et arrière-petit-fils de Stymphale, enfin Pirithoos. Sur le fronton de derrière le sculpteur a représenté le combat de Télèphe et d'Achille dans la plaine du Caïque. [8,46] (1) Auguste après la bataille d'Actium enleva l'ancienne statue de Minerve Aléa avec les défenses du sanglier de Calydon, pour punir les Arcadiens d'avoir porté les armes contre lui; car tous avaient suivi le parti d'Antoine à l'exception des seuls Mantinéens. (2) Mais Auguste n'est pas le premier qui ait ainsi dépouillé les vaincus des offrandes faites à leurs dieux; c'est une coutume des plus anciennes. Nous voyons qu'après la prise de Troie les Grecs ayant partagé le butin entre eux, la statue de Jupiter Herkeios échut à Sthénélos, fils de Kapaneus. Plusieurs années après lorsque les Doriens allèrent s'établir en Sicile, Antiphémos qui les conduisait, après avoir saccagé Omphaké, une ville sicane, en transporta à Géla une statue faite par Dédale. (3) Nous savons aussi que Xerxès, fils de Darius et roi des Perses, enleva d'Athènes plusieurs choses consacrées aux dieux, mais entre autres la statue de Diane Brauronia; le même prince, sous prétexte que les Milésiens s'étaient laissé battre exprès dans un combat naval qui se donna en Grèce contre les Athéniens, leur prit l'Apollon de bronze des Branchides; Séleucos le leur renvoya dans la suite, à Argos, on voit encore aujourd'hui deux statues qui ont été enlevées de Tirynthe; l'une est une idole que l'on garde à côté de Junon, l'autre est exposée dans le temple d'Apollon Lycien. (4) Les habitants de Cyzique ayant forcé les Proconnésiens à venir demeurer avec eux, ne se firent aucun scrupule de leur enlever une statue de la Mère Dindyméné (du mont Dindymon) qui était à Proconnèse; c'était une statue d'or, mais comme l'ouvrier manquait apparemment d'ivoire, il avait employé des dents d'hippopotame pour le visage de la déesse. Ainsi Auguste ne fit que suivre une coutume établie de longue date et pratiquée par les Grecs et les Barbares. On voit à Rome la statue de Minerve Aléa, sur le forum construit par Auguste, à l'entrée de la place. (5) C'est une statue d'ivoire et de la main d'Endoios. Quant aux défenses du sanglier de Calydon, l'une d'elles a été brisée, d'après ceux qui sont versés dans les curiosités: celle qui subsistait est exposée dans les jardins impériaux, dans un sanctuaire de Bacchus; elle présentait une circonférence d'environ une demi-brasse. [8,47] (1) La Minerve Aléa qui se voit aujourd'hui à Tégée a été apportée du dème des Manthoureis, qui honoraient cette déesse sous le nom de Minerve Hippia (Protectrice des chevaux), parce que, disent-ils, dans le combat des Géants contre les dieux, Minerve poussa son char contre Encélade. Malgré cette première dénomination il a plu aux Grecs et particulièrement aux peuples du Péloponnèse de donner à cette statue le nom de Minerve Aléa. Aux côtés de la déesse sont représentés debout, d'un côté Esculape, de l'autre Hygie: ces statues sont en marbre pentélique, et dues à Scopas de Paros. (2) Voici les plus notables des ex-voto consacrés dans le temple de Minerve; la peau du sanglier de Calydon, fort endommagée par le temps et dépouillée de ses soies; les chaînes que l'on mettait aux pieds des Lacédémoniens pris à la guerre, qui, traités en esclaves, labouraient les terres des Tégéates; toutes celles que la rouille n'a pas détruites sont suspendues. Sont encore exposés un lit consacré à Minerve; un portrait d'Augé représentée en peinture et l'arme de Marpessa, dite Choira (Truie); c'était une femme de Tégée dont je ferai mention dans la suite. (3) Le sacerdoce de la déesse est confié à une jeune fille; je ne sais pas combien de temps elle l'exerce, mais je sais qu'elle le quitte sitôt qu'elle a atteint l'âge de puberté. Vous y verrez aussi un autel que l'on dit avoir été consacré à la déesse par Mélampous, fils d'Amythaon. Rhéa et la nymphe Oinoé sont représentées sur cet autel, tenant entre leurs mains Jupiter enfant; elles sont assistées d'un côté des nymphes Glauké, Néda, Thisoa, et Anthrakia; et de l'autre des nymphes Idé, Hagno, Alkinoé et Phrixa. Les Muses et Mnémosyne (Mémoire) y ont aussi leurs statues. (4) Non loin du temple il y a un stade formé d'une levée de terre, où l'on donne des concours; les uns sont appelles Aléaia (Aléens), du nom de la déesse, les autres Halotia (fêtes de la Capture), en mémoire du grand nombre de Lacédémoniens qui furent faits prisonniers à la bataille dont j'ai parlé. À la partie septentrionale du temple on voit une fontaine près de laquelle les Tégéates disent qu'Augé fut violée par Hercule, ce qui ne s'accorde pas avec ce qu'Hécatée nous apprend à ce sujet. Le temple de Mercure Aipytos est à trois stades de cette fontaine. (5) Dans la ville même il y a un second temple dédié à Minerve, celui de Minerve Poliatis (Protectrice de la cité); il est desservi par un prêtre qui y entre une seule fois chaque année; ils le nomment encore Éryma (le Rempart), car, disent-ils, Képheus, fils d'Aléos, aurait obtenu comme faveur de la part de Minerve que Tégée restât à jamais imprenable, et ils ajoutent que, pour la protection de la ville, la déesse lui aurait donné des cheveux qu'elle avait coupés sur la tête de Méduse. (6) Ils ont aussi un temple dédié à Diane Hégémoné (Conductrice), et voici ce qu'ils en disent: Aristomélidas s'étant fait le tyran d'Orchomène en Arcadie devint amoureux d'une jeune Tégéate dont il voulut avoir les bonnes grâces à quelque prix que ce fût; pour y parvenir, il en confia la garde à un certain Chronios, mais la jeune personne, avant d'être conduite auprès du tyran, se suicida, sous l'effet de la crainte et de la pudeur. La nuit suivante Diane s'apparut à Chronios et lui conseilla de tuer le tyran, ce qu'il fit; il se sauva ensuite à Tégée où il bâtit un temple à la déesse. [8,48] (1) La place publique ressemble pour la forme à un carreau de brique, d'où Vénus qui y a son temple avec une statue de marbre a tiré sa dénomination de Plinthiô (sur la Brique). Des stèles portent des figures en relief: Antiphanès, Krisos, Tyronidas et Pyrrhias sont sur l'une; on leur a fait cet honneur, parce que ce sont eux qui ont donné des lois aux Tégéates. Iasios est à cheval sur l'autre, tenant de la main droite une branche de palmier. On dit que cet Iasios vainqueur à la course de chevaux fut couronné à Olympie la même année qu'Hercule le Thébain y institua ces jeux célèbres. (2) Pourquoi les vainqueurs sont couronnés d'olivier à Olympie, et de laurier à Delphes, comme j'ai rendu raison de l'un dans mon mémoire sur l'Élide, je rendrai aussi raison de l'autre dans mon mémoire sur Delphes. Dans l'Isthme la couronne est de feuilles de pin, et à Némée de feuilles d'ache en souvenir des aventures de Palémon et d'Archémoros, en l'honneur desquels les jeux sont institués. Dans la plupart des autres jeux c'est une couronne de palmier, et le vainqueur reçoit aussi une palme qu'il tient de la main droite. (3) On rapporte l'origine de cette coutume à Thésée qui à son retour de Crète institua des jeux en l'honneur d'Apollon à Délos, et couronna les vainqueurs de feuilles de palmier: Homère a célébré ce palmier de Délos dans la prière que fait Ulysse à la fille d'Alkinoos. (4) On voit encore sur l'agora de Tégée une figure du dieu Mars gravée en relief sur une stèle; ils nomment le dieu Gynaikothoinas (l'Hôte du banquet des femmes) pour la raison suivante. Lors de la guerre de Laconie et de la première invasion menée par Charillos, roi de Sparte, les femmes du pays prirent les armes et s'embusquèrent au pied d'une montagne que l'on appelle encore aujourd'hui le mont Phylaktris (Poste de garde). Les deux peuples en étant venus aux mains, le combat fut extrêmement sanglant et opiniâtre, le courage était égal de part et d'autre, l'avantage égal, (5) lorsque les femmes sortant de leur embuscade fondirent tout à coup sur les Lacédémoniens et les mirent en fuite. On dit que Marpessa, surnommé Choira, se signala particulièrement. On ajoute que Charillos fut fait prisonnier et renvoyé sans rançon après avoir juré que les Lacédémoniens ne feraient jamais plus la guerre aux Tégéates, serment qu'il eut bientôt oublié. Les femmes de Tégée sacrifiant au dieu Mars en action de grâces de cette victoire, ne voulurent pas admettre les hommes à leur sacrifice, ni partager avec eux les chairs de la victime. (6) De là l'épiclèse Gynaikothoinas donnée au dieu Mars. Ils ont aussi au même endroit un autel dédié à Jupiter Téleios (Qui accomplit toutes choses) et une statue-pilier de ce dieu, de figure carrée; car en fait de statues j'ai remarqué que les Arcadiens semblaient avoir une prédilection pour cette forme. On voit encore au même endroit des monuments funéraires: le tombeau de Tégéatès, fils de Lycaon, et celui de Maira, sa femme, que l'on croit avoir été fille d'Atlas. Homère ne l'a pas oubliée dans l'entretien qu'Ulysse a avec Alcinoos lors de son voyage aux Enfers et où il lui fait le récit de tous ceux dont il a vu les âmes aux enfers. (7) Lucine dite "l'Augé à genoux" a aussi son temple et sa statue sur l'agora; ce surnom lui vient de ce qu'Aléos ayant marié sa fille Augé à Nauplios, et donné ordre à celui qui la menait à son mari de la jeter dans la mer, Augé étant tombé à genoux accoucha en chemin dans le lieu même où est aujourd'hui le temple de Lucine. Mais d'autres disent qu'Augé à l'insu de son père accoucha de Télèphe qui fut exposé sur le mont Parthénion et allaité par une biche; les Tégéates eux-mêmes racontent cette dernière tradition. (8) Près du temple de Lucine il y a un autel de la déesse Tellus, et à côté de lui deux stèles de marbre blanc; vous voyez sur l'un Polybe, fils de Lykortas, et sur l'autre Élatos, un des fils d'Arkas. [8,49] (1) Non loin de l'agora, ils ont un théâtre autour duquel on voit encore les socles de plusieurs statues en bronze dont il était autrefois orné. Sur l'un d'eux, une inscription métrique dit que la statue est celle de Philopoimen. Les Grecs révèrent la mémoire de ce grand homme à cause de la rare prudence qu'il sut joindre à l'éclat de ses exploits. (2) Sa naissance était illustre, et Kraugis son père ne le cédait en noblesse à aucun citoyen de Mégalopolis. Kraugis étant mort, Philopoimen encore enfant eut pour tuteur Kléandros, un Mantinéen, qui banni de sa patrie suite à des événements malheureux, était venu demeurer à Mégalopolis chez Kraugis, hôte et ami de son père. Parmi les maîtres de Philopoimen, on cite en particulier Mégalophanès et Ekdélos, qui, à ce que l'on croit, avaient été disciples d'Arkésilas de Pitané. (3) Philopoimen était d'une taille si avantageuse que dans tout le Péloponnèse personne ne le surpassait en grandeur et en force de corps, mais il était laid de visage. Il méprisa la gloire que l'on acquiert aux concours athlétiques, s'occupant plus volontiers du soin de cultiver ses terres et du plaisir de la chasse; tuer de sa main un ours ou un sanglier était son plus doux passe-temps. Il se plaisait fort aussi à la lecture, particulièrement à celle des philosophes grecs les plus renommés, et des historiens qui ont écrit les actions des grands capitaines, et leurs divers stratagèmes. Il se proposa Épaminondas pour modèle, et voulut régler sa conduite sur celle de ce général thébain, mais il ne put l'imiter en tout; car le Thébain né doux se mettait rarement en colère, tandis que l'Arcadien naturellement prompt et bouillant se possédait moins. (4) Cléomène s'étant rendu maître de Mégalopolis par surprise, Philopoimen ne perdit point le jugement dans ce malheur inopiné; il rassembla au moins la moitié de ce qu'il y avait d'habitants en âge de porter les armes avec les femmes et les enfants, et les conduisit en Messénie, dont les peuples étaient alors alliés et amis des Arcadiens. Le roi de Sparte qui se repentait déjà des cruautés qu'il avait exercées sur les Mégalopolitains, voulut rappeler les fugitifs, et leur fit des propositions de paix; mais Philopoimen leur persuada de ne devoir leur retour qu'à leur courage, et non aux promesses d'un prince qui les avait déjà trompés. (5) À la bataille qui se déroula près de Selassie entre les Lacédémoniens commandés par Cléomène, et les Arcadiens soutenus par Antigone qui du fond de la Macédoine était accouru à leur secours, Philopoimen eut la conduite de la cavalerie. Mais voyant que toute la ressource était dans l'infanterie il mit pied à terre, et combattant aux premiers rangs il eut les deux cuisses percées et comme enfilées du même trait. (6) En cet état, tombé sur ses genoux il se traîna encore en avant comme il put, et à force de s'agiter et de se débattre il rompit le trait dont il était percé. Les Arcadiens ayant eu la victoire, Philopoimen fut rapporté au camp, où les médecins tirèrent de l'une de ses plaies la pointe du javelot, et de l'autre un tronçon qui y était resté. Antigone au récit de tant de marques de courage, dont il avait été témoin lui-même, conçut tant d'estime pour Philopoimen, qu'il voulut l'attacher à sa personne et l'emmener en Macédoine. (7) Mais lui, nullement touché des prières et des offres de ce prince, aima mieux aller servir en Crète, qui était alors en proie à la guerre civile. Il commanda un corps de mercenaires. Ensuite étant revenu à Mégalopolis, les Achéens lui donnèrent le commandement de leur cavalerie et de toute celle qui suivait leurs drapeaux; il la disciplina si bien qu'en peu de temps elle devint la meilleure cavalerie qu'il y eût en Grèce. Au combat qui eut lieu près du Larisos contre les Éléens et contre les Étoliens, leurs alliés et leurs frères, il tua de sa main Démophantos, chef de la cavalerie adverse, et mit ensuite toute cette cavalerie en déroute. [8,50] (1) Philopoimen par tous ces exploits acquit tant d'autorité parmi les Achéens, que maître de faire ce qu'il lui plaisait, il jugea à propos de changer les armes de l'infanterie. Alors qu'elle s'était servie jusqu'alors de piques fort courtes et de boucliers longs, mais fort légers à la façon des thyreoi (boucliers en forme de porte) des Celtes ou des gerra (boucliers en osier) des Perses, il lui fit prendre des cuirasses et des jambières, ainsi que des boucliers argiens et des longues lances. (2) Machanidas ayant accédé à la tyrannie à Sparte, et les Achéens étant obligés de reprendre les armes et de lui faire la guerre, ils élurent Philopoimen pour général. Les deux armées ne furent pas longtemps sans se rencontrer. Machanidas à la tête de son infanterie légère battit l'infanterie légère des Achéens, et la voyant en fuite il se mit à ses trousses. Mais Philopoimen avec sa phalange culbuta la phalange lacédémonienne, et le hasard lui ayant fait rencontrer Machanidas qui revenait de poursuivre les fuyards, il le tua; de sorte que par la mort du tyran les Lacédémoniens furent dédommagés de la perte de la bataille. (3) Peu de temps après comme les Argiens célébraient les jeux Néméens, et que Philopoimen assistait au concours des citharèdes, Pyladès de Mégalopolis, un des plus habiles en cet art, et qui avait déjà remporté le prix aux jeux Pythiques se mit à chanter un nome de Timothée de Milet, intitulé les Perses, et qui commence par ce vers: "Héros, qui rends aux Grecs l'aimable liberté". Tout le monde jeta les yeux sur Philopoimen, on battit des mains, et tous s'écrièrent que rien ne convenait mieux à ce grand homme. Semblable chose arriva, je le sais, à Olympie pour Thémistocle, où tous les assistants se levèrent pour lui faire honneur. (4) Cependant Philippe, fils de Démétrios et roi de Macédoine, celui-là même qui avait déjà empoisonné Aratos de Sicyone, envoya secrètement à Mégalopolis des assassins pour tuer Philopoimen; mais ces scélérats manquèrent leur coup, et Philippe ne s'en attira pas moins la haine et l'indignation de toute la Grèce. Ce fut environ à cette époque-là que les Thébains, après avoir défait les Mégaréens en rase campagne, assiégèrent Mégare. Ils étaient sur le point de donner l'assaut, lorsque les assiégés s'avisèrent de semer le bruit que Philopoimen arrivait à leur secours; au seul nom de Philopoimen les Thébains levèrent le siège. (5) D'un autre côté il s'éleva un nouveau tyran à Sparte; c'était Nabis, et les Messéniens furent les premiers peuples du Péloponnèse contre lesquels il tourna ses armes. Il les attaqua durant la nuit, lorsqu'ils s'y attendaient le moins, et se rendit maître de Messène à l'exception de la citadelle. Mais le lendemain Philopoimen étant arrivé avec des troupes, Nabis fut obligé de capituler et d'abandonner la ville. (6) Après cet événement Philopoimen voyant expiré son temps de commandement et d'autres généraux nommés à sa place, prit le parti de passer une seconde fois en Crète pour aller secourir les Gortyniens réduits à la dernière extrémité. Mais les Arcadiens mécontents de son départ le rappelèrent bientôt. Il revint donc et justement dans le temps que les Romains venaient de prendre les armes contre Nabis. (7) Comme il ne cherchait que l'occasion d'acquérir de la gloire il monta sur la flotte des Romains; mais en homme peu entendu dans la marine, il ne prit pas garde que la galère où il s'embarquait faisait eau de tous côtés. Les Romains et leurs alliés s'en étant aperçus, se souvinrent aussitôt du vers d'Homère où il est dit que les Arcadiens ne sont pas gens de mer. (8) Philopoimen quelques jours après son combat naval prit une troupe d'élite avec lui, et s'en alla par une nuit obscure brûler le camp des Lacédémoniens à Gythion. Nabis échappé du danger marcha droit à lui, espérant le forcer à combattre dans un lieu désavantageux. Philopoimen avait un fort petit nombre d'Arcadiens avec lui, mais c'étaient tous de bons guerriers. (9) Il fit semblant de fuir, et tout en fuyant il changea son ordre de bataille, jusqu'à ce qu'ayant gagné l'avantage du terrain il fit volte face, tomba sur Nabis, lui tua autant de monde que l'obscurité de la nuit le put permettre, et par cette action augmenta encore le renom qu'il avait parmi les Grecs. (10) Ensuite Nabis obtint des Romains une trêve; mais avant qu'elle fut expirée il perdit la vie. Un homme de Calydon sous prétexte de venir lui proposer une ligue avec les Étoliens, s'insinua dans ses bonnes grâces et le tua; aussi les Étoliens l'avaient-ils envoyé à ce dessein. [8,51] (1) Philopoimen profitant de la conjoncture entra dans Sparte, et obligea les Spartiates à se déclarer pour la Ligue d'Achaïe. Cependant peu de temps après, Titus Flamininus qui commandait l'armée romaine, et Diophanès de Mégalopolis, fils de Diaios, que les Achéens avaient élu préteur, sous prétexte que les Lacédémoniens tramaient quelque entreprise contre les Romains, s'approchèrent de Lacédémone avec des troupes; mais Philopoimen, tout simple particulier qu'il était alors, s'étant jeté dans Sparte, leur en fit fermer les portes. (2) Les Lacédémoniens pour reconnaître ce service et tous ceux qu'il leur avait rendus contre deux tyrans consécutifs lui offrirent la maison de Nabis estimée à plus de cent talents; Philopoimen rejeta ces offres, et dit qu'il valait mieux employer cet argent à gagner ceux qui, dans l'assemblée des Achéens, avaient le plus d'autorité sur le peuple; on a cru qu'il voulait parler de Timolaos. Il fut nommé encore une fois général de l'armée d'Achaïe. (3) Les Spartiates étant alors divisés en plusieurs factions, il en chassa trois cents non seulement de la ville, mais du Péloponnèse, comme auteurs de la sédition; il fit vendre à l'encan plus de trois mille esclaves, rasa les murs de Sparte, interdit à la jeunesse lacédémonienne les exercices dans lesquels on l'élevait suivant les lois de Lycurgue, et ordonna qu'à l'avenir la jeunesse achéenne serait élevée dans ces exercices. Mais dans la suite les Romains rendirent à la jeunesse de Sparte sa discipline et ses exercices accoutumés. (4) Après qu'Antiochos, descendant de ce Séleucos qui fut surnommé Nikator (Vainqueur), eut été défait avec les Syriens par le Manius et les Romains aux Thermopyles, comme Aristainos de Mégalopolis exhortait les Achéens à se soumettre aux Romains, et à ne rien faire qui pût leur déplaire, Philopoimen lui jeta un regard terrible, et ne put s'empêcher de dire que c'en était fait de la Grèce. Ensuite Manius voulant rappeler ceux qui avaient été bannis de Sparte, Philopoimen s'y opposa fortement en plein conseil, mais, une fois le Romain parti, il laissa rentrer les exilés à Sparte. (5) Enfin l'heure vint où il dut payer lui aussi son arrogance. Désigné préteur d'Achaïe pour la huitième fois il eut la dureté de reprocher à un homme, Lykortas, qui n'était pas sans renom de s'être laissé prendre prisonnier par les ennemis. Cependant quelque temps après les Messéniens s'étant brouillés avec les Achéens, Philopoimen donna un corps de troupes à ce même Lykortas avec ordre d'aller ravager la Messénie; et trois jours après, lui-même, quoiqu'il eût la fièvre et qu'il fût âgé de plus de soixante et dix ans, il voulut être de la partie. Il prit environ soixante hommes avec lui tant cavaliers que fantassins et suivit Lykortas. (6) Mais celui-ci revenait déjà sain et sauf avec sa troupe sans avoir ni fait grand mal aux ennemis, ni souffert aussi aucun échec. Philopoimen, lors du combat, reçut une blessure à la tête, et tombé de cheval fut amené vivant à Messène. Aussitôt on convoqua le peuple pour délibérer ce que l'on ferait de sa personne: les opinions étaient très diverses et loin d'aller pour tous dans le même sens. (7) Deinokratès et les plus considérables d'entre les Messéniens voulaient qu'on le fît mourir; le peuple au contraire prenait sa défense, l'appelant le père des Grecs et lui donnant les titres les plus magnifiques. Dans cette diversité de sentiments, Deinokratès contre l'avis des Messéniens envoya un homme à la prison avec un breuvage empoisonné que Philopoimen fut obligé d'avaler: ainsi finit ce grand homme. (8) Lykortas peu après, ayant levé des troupes en Arcadie et en Achaïe, mit une armée sur pied, et marcha droit à Messène; le peuple lui ouvrit les portes, et lui abandonna tous ceux qui avaient opiné à la mort de Philopoimen, à l'exception de Deinokratès qui, pour éviter de tomber entre les mains de Lykortas, s'était déjà tué lui-même. Tous les autres furent exécutés. Ensuite les Arcadiens recueillirent les cendres de leur concitoyen et les rapportèrent à Mégalopolis. [8,52] (1) Après lui il semble que la Grèce épuisée n'ait pu porter des hommes aussi magnanimes. Car si Miltiade, fils de Cimon, par la victoire qu'il remporta sur les Perses à Marathon, et par son combat naval contre ces barbares, fut le premier libérateur des Grecs, on peut regarder Philopoimen comme le dernier. En effet, ceux qui avant Miltiade se sont signalés par de grandes actions, comme Kodros, fils de Mélanthos, Polydoros de Sparte, Aristoménès de Messène, et quelques autres, s'il y en a eu d'autres qu'on leur puisse comparer, ceux-là, dis-je, se sont rendus infiniment utiles à leur patrie, mais non à toute la Grèce. (2) Je mets donc immédiatement après Miltiade, Léonidas, fils d'Anaxandridès, et Thémistocle, fils de Néoklès, qui tous deux chassèrent Xerxès de Grèce, l'un par deux victoires remportées sur mer, et l'autre par le fameux combat des Thermopyles. Car ni Aristide, fils de Lysimaque, ni Pausanias, fils de Kléombrotos, que le combat de Platées avait couvert de gloire, n'ont su conserver le glorieux titre de bienfaiteurs des Grecs; ils le perdirent tous les deux, celui-ci en trahissant sa patrie, celui-là en imposant un tribut aux Grecs habitants des îles, chose inconnue avant lui. (3) Xantippos, fils d'Ariphron, et Cimon sont encore de ceux qui ont rendu d'importants services à toute la Grèce; le premier secondé par Léotychidas, roi de Sparte, défit la flotte des Perses à Mycale, et le second se distingua par plusieurs exploits dignes de l'émulation des plus grands capitaines. Quant à ceux qui ont commandé des armées dans la guerre du Péloponnèse contre les Athéniens, et qui y ont même acquis le plus de gloire, on doit les regarder comme des furieux qui ont immolé tous les peuples de la Grèce à leur propre ambition et à leur intérêt particulier. (4) Conon, fils de Timothéos, et l'illustre fils de Polymnis, Épaminondas, trouvèrent la Grèce ébranlée par les violentes secousses qu'elle avait souffertes; ils travaillèrent à la raffermir, l'un en tirant de nouvelles forces des îles et des pays maritimes, l'autre en expulsant les garnisons et les gouverneurs lacédémoniens et en supprimant les décadarchies; outre qu'il ajouta à la Grèce deux villes considérables, comme Messène et Mégalopolis en Arcadie, Épaminondas rehaussa également le prestige de la Grèce. (5) Je donnerai encore le titre de bienfaiteur de la Grèce à Léosthénès et à Aratos; car Léosthénès, malgré Alexandre, ramena sains et saufs par bateaux en Grèce, après les avoir fait descendre jusqu'à la mer, quelque cinquante mille Grecs qui avaient servi comme mercenaires dans les armées de Darius. Quant à Aratos, j'ai raconté ses grandes actions en parlant des Sicyoniens. (6) Mais pour revenir à Philopoimen, voilà l'inscription qui se lit sur sa statue à Tégée: "Tel fut Philopoimen, l'honneur de l'Arcadie. / Pour le salut des Grecs prodigue de sa vie, / À deux tyrans de Sparte il livra des combats / Et les fit trébucher sous l'effort de son bras. / Autant que son courage, éclata sa prudence; / L'un et l'autre toujours furent d'intelligence. / Tégée à ce héros devait sa liberté. / Puisse un si grand bienfait par ce marbre attesté / De nos derniers neveux présent à la mémoire, / Du héros à jamais éterniser la gloire!" [8,53] (1) Il y a donc là cette inscription. Les Tégéates ont consacré plusieurs statues à Apollon Agyieus (Protecteur des rues), et voici la raison qu'ils en apportent. Ils disent qu'Apollon et Diane se vengèrent partout, et à Tégée comme ailleurs, de tous ceux qui avaient méprisé Latone, lorsqu'enceinte de ces deux divinités elle était errante par le monde. (2) Apollon étant venu à Tégée, il eut un entretien secret avec Sképhros, fils de Tégéatès. Leimon, frère de celui-ci, s'imagina que cet entretien roulait sur lui et qu'il était trahi; persuadé de cela, il se jette furieusement sur son frère et le tue, mais aussitôt Diane le perça de ses flèches et vengea la mort de Sképhros. (3) Tégéatès et Maira sa femme apaisèrent sur le champ Apollon et Diane par un sacrifice. Cependant une extrême stérilité ayant affligé le pays, on envoya consulter l'oracle de Delphes; et la réponse fut qu'il fallait pleurer Sképhros. C'est pourquoi à la fête du dieu ils pratiquent certaines cérémonies en l'honneur de Sképhros; en particulier la prêtresse de Diane poursuit un des assistants, pour marquer que Leimon fut poursuivi par Diane à coups de flèches. (4) L'opinion des Tégéates est que Kydon, Archédios et Gortys, tous fils de Tégéatès, allèrent volontairement s'établir en Crète, où ils donnèrent leur nom aux villes de Kydonia, de Gortyne et de Katreus. Mais les Crétois n'en conviennent pas. Ils prétendent au contraire que Kydon était fils de Mercure et d'Akakallis, fille de Minos, que Katreus était fils de Minos, et Gortys fils de Rhadamanthe. (5) En ce qui concerne Rhadamanthe, nous voyons dans Homère que Prothée prédit à Mélénas qu'il ira dans les Champs Élysées, où Rhadamanthe, dit-il, donne des lois. Kinaithon dans ses poésies fait de Rhadamanthe un fils de Vulcain, de Vulcain un fils de Talos, et de Talos un fils de Cérès. Mais les auteurs grecs ne sont guère d'accord entre eux sur bien des points, et encore moins sur les anciennes généalogies. (6) Apollon Agyieus a quatre statues à Tégée, et chaque tribu a érigé la sienne: la tribu de Klaréotis, celle de Hippothoitis, celle d'Apolloniatis et celle d'Athanéatis, ainsi appelées du nom des terres que le sort attribua aux enfants d'Arkas, à l'exception de la seconde qui a pris son nom d'Hippothoos, fils de Kerkyon. (7) Il y a aussi à Tégée un temple de Cérès et de Proserpine, qualifiées de Karpophoroi, c'est-à-dire qui produisent les fruits. Près de ce temple est celui de Vénus Paphia (de Paphos), fondé par Laodiké, fille de cet Agapénor qui commandait les Arcadiens au siège de Troie. Laodiké vivait néanmoins à Paphos, comme je l'ai dit ci-devant. Non loin de là vous voyez deux sanctuaires de Bacchus, un autel de Proserpine et un temple d'Apollon avec une statue du dieu, qui est dorée. (8) Cette statue est une oeuvre de Cheirisophos; on sait que ce statuaire était de Crète, mais on ignore en quel temps il vivait et de quelle école il était. Ce qui est de certain, c'est que Dédale fit un assez long séjour auprès de Minos à Cnossos pour y fonder une excellente école de sculpture. Quoi qu'il en soit, Cheirisophos en pied est représenté lui-même en marbre à côté d'Apollon. (9) Les Tégéates ont encore un temple qu'ils appellent le "Foyer commun" des Arcadiens. Là Hercule est représenté avec une cicatrice à la cuisse, provenant de la blessure qu'il reçut dans le premier combat qu'il eut à soutenir contre les fils d'Hippokoon. Près de la ville il y a une éminence où l'on voit la plupart des autels de Tégée, et qu'ils nomment le mont de Jupiter Klarios (du Tirage au sort), sans doute parce que les fils d'Arkas tirèrent là au sort leurs héritages. (10) Les Tégéates célèbrent une fête en ce lieu tous les ans, et ils racontent qu'un jour pendant les solennités de cette fête les Lacédémoniens entrèrent dans leur pays avec une armée, mais qu'il tomba une si grande quantité de neige que les ennemis transis de froid ne purent rien entreprendre; ils disent que pour eux ils allumèrent des feux, et qu'après s'être réchauffés ils allèrent surprendre les Lacédémoniens, et les taillèrent en pièces. J'ai vu quelques autres curiosités à Tégée, comme la maison d'Aléos, le tombeau d'Échémos, et une stèle où l'on a représenté en relief son combat avec Hyllos. (11) Sur le chemin qui mène de Tégée vers la Laconie vous trouvez sur votre gauche deux autels, l'un du dieu Pan, l'autre de Jupiter Lykaios, et l'on voit encore les fondations de deux temples bâtis à ces divinités; ces autels ne sont qu'à deux stades des murs de la ville. Sept stades plus loin vous verrez le sanctuaire de Diane Limnatis (des Marais), où la déesse a une statue en bois d'ébène dans le goût de ces statues que les Grecs appellent "éginétiques". Et dix stades au-delà vous pourrez remarquer les ruines du temple de Diane Knakéatis. [8,54] (1) L'Alphée sert de frontière entre les Lacédémoniens et les Tégéates. Il prend sa source à Phylaké, et tout près de sa source il reçoit plusieurs petits ruisseaux dans un lieu que l'on nomme à cause de cela Symbola (Confluences). (2) L'Alphée est d'une nature toute différente des autres fleuves; car il lui arrive plus d'une fois de se cacher, puis de reparaître. En effet après être sorti de Phylaké et avoir reçu les petits ruisseaux dont j'ai parlé, il disparaît sous terre dans la plaine de Tégée; ensuite il remonte à Aséa; puis mêlant ses eaux avec celles de l'Eurotas il disparaît une seconde fois sous la terre. (3) Revenu à la surface à l'endroit que les Arcadiens nomment Pégai (les Sources) et après avoir longé le territoire de Pisa et Olympie, il se jette dans la mer au-dessus de Kylléné, le port des Éléens. Encore alors conserve-t-il son cours malgré la violence et l'étendue de la mer Adriatique qu'il traverse pour aller gagner l'île Ortygie près de Syracuse, où reprenant son nom il renaît pour ainsi dire, et va enfin se perdre dans la fontaine Aréthuse. (4) Sur la route directe qui mène de Tégée à Thyréa et aux villages de la Thyréatide, il y avait autrefois un monument digne de remarque, c'était la sépulture d'Oreste, fils d'Agamemnon. Les Arcadiens disent que ses ossements en ont été enlevés par un Spartiate; aussi aujourd'hui la sépulture n'est plus à l'intérieur des portes. En suivant cette route on côtoie le fleuve Garatès; quand on l'a traversé et que l'on a fait quelque dix stades on trouve un sanctuaire de Pan, et aux environs un grand chêne consacré à ce dieu. (5) La route qui va de Tégée à Argos est fort commode pour les charrois; c'est un axe de circulation majeur. Sur cette route vous verrez premièrement un temple d'Esculape avec une statue du dieu; en second lieu à un stade du chemin sur votre gauche, un autre temple d'Apollon Pythios, mais tout en ruines. Si vous reprenez la grand route, vous verrez beaucoup de chênes, et dans le bois qu'ils forment, un temple de Cérès dite des Korytheis. Près de là est le sanctuaire de Bacchus Mystès (Initié). (6) Là commence le mont Parthénion, où Téléphos a un enclos: c'est là qu'enfant il aurait été exposé et qu'il aurait été allaité par une biche. Un peu plus loin vous verrez un sanctuaire de Pan, bâti à l'endroit où le dieu serait apparu à Philippidès et lui aurait tenu des propos que rapportent de la même manière les Athéniens et les Tégéates. (7) Le mont Parthénion nourrit beaucoup de tortues dont l'écaille est très propre à faire des lyres. Mais les gens du lieu qui croient ces tortues consacrées à Pan se font un scrupule de les tuer, et ne permettent pas non plus que les étrangers en emportent. Quand on a passé le sommet de la montagne, là où les terres deviennent cultivées, on a la frontière entre les Tégéates et les Argiens, du côté d'Hysiai en Argolide. Telles sont les régions du Péloponnèse, avec les cités qui s'y trouvent, et, dans chaque cité ce qu'il y a de plus important à retenir.