[2,0] LIVRE II. CORINTHE. [2,1] CHAPITRE I. La Corinthie, qui est une portion de l'Argolide, a pris son nom de Corinthus. Excepté à Corinthe, parmi le bas peuple, on n'a jamais dit sérieusement que Corinthes fût fils de Jupiter (Zeus). Eumélus, fils d'Amphilytus de la famille des Bacchiades, à qui on attribue aussi des vers, raconte dans son ouvrage sur Corinthe (si toutefois cet ouvrage est de lui), que ce pays fut d'abord habité par Éphyra, fille de l'Océan. Quelque temps après, Marathon, fils d'Épopéus, fils d'Aloéus, fils du Soleil ne pouvant plus supporter l'injustice et l'arrogance de son père, le quitta pour aller s'établir sur les côtes de l'Attique. Il revint dans le Péloponnèse après la mort d'Épopéus, partagea ses états entre Sicyone et Corinthos, ses deux fils, et retourna dans l'Attique. Sicyone donna son nom à l'Asopie, et Corinthus, le sien à l'Éphyrée. Il ne subsiste à Corinthe aucun reste des anciens habitants, et les Corinthiens actuels sont une colonie Romaine. L'association des Corinthiens à la ligue Achéenne fut la cause de leur malheur. Critolaüs, préteur des Achéens, ayant soulevé contre les Romains, non seulement les Achéens, mais encore la plupart des peuples Grecs qui sont hors du Péloponnèse; les Romains, après avoir terminé la guerre, désarmèrent les autres peuples Grecs, et rasèrent les murs des villes qui étaient fortifiées; mais Corinthe fut entièrement détruite par Mummius, général de l'armée romaine. Jules César, qui introduisit à Rome la forme actuelle du Gouvernement, rétablit, dit-on, Corinthe, et y envoya une colonie. Il en envoya aussi une à Carthage. Crommyon, bourg de la Corinthie, a pris son nom de Cromus, fils de Neptune (Poséidon). C'est là que fut élevée, dit-on, Phaea, qui, suivant les poètes, était une laie, et qui a donné lieu à l'un des exploits de Thésée. En avançant un peu, vous trouvez sur le rivage un pin qui s'est conservé jusqu'à ce jour, et un autel de Mélicerte. Les gens du pays disent que son corps fut apporté là par un dauphin, et que Sisyphe, l'ayant trouvé sur le rivage, l'enterra dans l'Isthme, et institua les jeux isthmiques en son honneur. (4) Vers le commencement de l'Isthme est l'endroit où le brigand Sinis courbait des pins l'un contre l'autre, et les laissait se redresser après y avoir attaché ceux qu'il avait vaincus. Ces arbres en se relevant, tiraient chacun de son côté, et comme les liens ne cédaient pas, les malheureux ainsi attachés, étaient mis en pièces. Thésée le fit périr par le même supplice; il purgea en effet la route de Trézène à Athènes, des brigands qui l'infestaient, en exterminant ceux dont j'ai déjà parlé. Il tua aussi dans la ville d'Épidaure Périphète, qui passait pour fils de Vulcain (Héphaïstos) et combattait avec une massue d'airain. L'Isthme de Corinthe touche à la mer, d'un côté par Cenchrées, et de l'autre par Léchée. L'espace entre ces deux villes est ce qui réunit le Péloponnèse au continent. Tous ceux qui ont entrepris d'en faire une île, en perçant l'Isthme, ont été forcés de renoncer à ce projet. On voit encore le commencement de leurs travaux, mais la nature pierreuse du sol arrêta leurs premiers efforts. Le Péloponnèse est donc resté tel qu'il était, et il fait encore partie du continent. Alexandre, fils de Philippe, voulut aussi faire percer le mont Mimas, et ce fut la seule entreprise qu'il fût forcé d'abandonner. Les Cnidiens ayant fait la même tentative pour leur Isthme, la Pythie leur défendit de continuer, tant il est difficile aux mortels d'agir contre la volonté des Dieux. Les Corinthiens ne sont pas les seuls qui disent de leur pays, ce que je vais rapporter. Les Athéniens ont, je crois, les premiers imaginé cette fable, pour relever la gloire de l'Attique. Les Corinthiens disent donc que la possession de leur pays fut en litige entre le Soleil et Neptune (Poséidon). Ils prirent pour arbitre Briarée, qui adjugea à Neptune (Poséidon) l'Isthme et tout ce qui en dépend, à condition qu'il donnerait au Soleil la montagne qui est au dessus de la ville. C'est depuis ce temps là, ajoutent les Corinthiens, que l'Isthme appartient à Neptune (Poséidon). Voici maintenant ce que Corinthe offre de plus digne d'être remarqué. C'est d'abord le Théâtre, ensuite un stade de marbre blanc. En allant au Temple de Neptune (Poséidon), vous voyez d'une part les statues des athlètes qui ont remporté le prix aux jeux isthmiques, et de l'autre, des pins, alignés qui s'élèvent très droit pour la plupart. Sur le temple, qui n'est pas très grand, sont placés des Tritons de bronze. Il y a dans le vestibule, des statues; les deux premières de Neptune (Poséidon), ensuite Amphitrite, enfin la Mer, qui est aussi en bronze. Dans l'intérieur du temple est une offrande faite de nos jours par Hérode l'Athénien. C'est un char attelé de quatre chevaux dorés, à l'exception des sabots, qui sont en ivoire. A côté des chevaux sont deux Tritons en or jusqu'à la ceinture, le bas du corps est en ivoire. On voit sur le char Amphitrite et Neptune (Poséidon) et auprès d'eux, Palaemon enfant, debout sur un dauphin. Tout cela est aussi en or et en ivoire. Le socle qui supporte le char est orné de bas reliefs; celui du milieu représente la Mer soutenant Vénus (Aphrodite) enfant. Sur chaque côté sont des Néréides. Ces divinités ont aussi, à ma connaissance, des autels dans d'autres endroits de la Grèce; et on leur a consacré sur différents ports des enceintes où Achille est honoré avec elles. Doto a même à Gabales un temple qui est dans une haute vénération : là se voit le manteau qu'Ériphyle reçut en présent, disent les Grecs, au sujet d'Alcméon son fils. On a sculpté sur le piédestal de la statue de Neptune (Poséidon) les fils de Tyndarée, qui sont aussi des Dieux tutélaires pour les vaisseaux et les navigateurs. Les autres statues qui ornent ce temple sont, Galéné (la déesse du calme); la Mer; un monstre marin qui a jusqu'à la poitrine, le devant du corps d'un cheval, et le reste d'un poisson; Ino, Bellérophon et le cheval Pégase. [2,2] CHAPITRE II. Le temple de Palémon est dans l'enceinte du temple de Neptune (Poséidon), à gauche. On y voit les statues de Neptune (Poséidon), de Leucothée et de Palémon lui-même. Il y a aussi un temple nommé Adyton (secret) dont l'entrée est sous terre. On dit que Palémon y est caché, Corinthien ou étranger, celui qui viole le serment qu'il a fait dans ce temple, peut être assuré qu'il n'échappera pas à la peine de son parjure. Dans la même enceinte est un ancien temple, nommé l'autel des Cyclopes; on y sacrifie aux Cyclopes. Ceux même qui ont lu les ouvrages d'Eumélus chercheraient bien inutilement les tombeaux de Sisyphe et de Nélée. Ils y sont cependant; car Nélée étant venu, dit-on, à Corinthe, y mourut de maladie et fut enterré dans l'Isthme; mais Sisyphe ne voulut pas même montrer son tombeau à Nestor, parce qu'il fallait qu'il restât absolument inconnu. Sisyphe est aussi enterré dans l'Isthme; mais même parmi les Corinthiens de son temps, il y en avait très peu qui sussent où était son tombeau. Les jeux isthmiques ne furent point interrompus par la ruine de Corinthe et la dispersion de ses habitants par Mummius; et tant que cette ville fut déserte, les Sicyoniens furent chargés de les faire célébrer; lorsqu'elle eut été rétablie, cet honneur fut décerné à ses nouveaux habitants. Léchés et Cenchrias, qui passaient pour fils de Neptune (Poséidon) et de Pyrène, fille de l'Achéloüs ont donné leur nom aux deux ports des Corinthiens. On lit dans le poème intitulé Mégalae Eaeae, que Pyrène était fille d'OEbalus. Vous remarquerez à Léchée le temple de Neptune (Poséidon) et la statue en bronze de ce Dieu; sur la route de l'Isthme à Cenchrées, un temple de Diane (Artémis) et sa statue en bois, qui est très ancienne; dans Cenchrées même un temple d'Aphrodite, et sa statue en marbre blanc; sur la levée qui s'avance dans la mer après le temple de la Déesse, un Neptune (Poséidon) en bronze; enfin vers l'autre extrémité du port, les temples d'Esculape et d'Isis. Les bains d'Hélène sont vis-à-vis de Cenchrées; on donne ce nom à une source abondante d'eau salée qui sort d'un rocher et coule dans la mer, elle a le même degré de chaleur que l'eau qui est prête à bouillir. En remontant à Corinthe, vous trouvez sur la route divers tombeaux, et vers la porte même de la ville, celui de Diogène de Sinope que les Grecs surnommèrent le Chien. Devant la ville est un bois de cyprès nommé le Cranium : vous y verrez une enceinte consacrée à Bellérophon, le temple de Vénus (Aphrodite) Melaenide et le tombeau de Laïs, qui est surmonté d'une lionne, tenant un bélier entre ses pieds de devant. On montre dans la Thessalie un autre tombeau de Laïs : elle y avait suivi, dit-on, Hippostrate, dont elle était amoureuse. Née à Hyccare, en Sicile, elle fut prise encore enfant par Nicias et par les Athéniens, et fut vendue à Corinthe. Sa beauté surpassa bientôt celle de toutes les courtisanes de son temps, et les Corinthiens poussèrent l'admiration pour elle à un tel point, qu'ils prétendent encore maintenant qu'elle était de Corinthe. La ville actuelle offre encore quelques restes de ses anciens monuments, mais le plus grand nombre est de ceux qui ont été faits depuis son rétablissement. On voit sur la place publique, où se trouvent la plupart de leurs temples, une Diane (Artémis) d'Éphèse, et deux statues de Bacchus (Dionysos) faites en bois, dorées en entier, à l'exception du visage qui est enluminé de vermillon. Ils sont connus sous les noms de Lysius et de Bacchius, et je vais rapporter ce qu'on en dit. Penthée, après d'autres outrages faits à Bacchus (Dionysos), eut enfin l'audace d'aller sur le Cithéron pour épier la conduite des femmes. Il monta sur un arbre pour voir ce qu'elles faisaient; les femmes l'ayant aperçu, l'en arrachèrent, le déchirèrent tout vivant, et emportèrent chacune un morceau de son corps. La Pythie, ajoutent les Corinthiens, leur ordonna dans la suite de chercher cet arbre et de lui rendre les honneurs divins; c'est par cette raison qu'ils en firent les deux statues dont il s'agit. La Fortune à son temple dans le même endroit, elle est représentée debout, et sa statue est en marbre de Paros. Le temple de tous les dieux en est voisin. On a construit près de ce dernier, une fontaine, sur laquelle est un Neptune (Poséidon) en bronze, qui a sous ses pieds un dauphin qui jette de l'eau. Vous remarquerez encore sur la même place une statue en bronze d'Apollon Clarien, une Vénus (Aphrodite), ouvrage d'Hermogène de Cythère; deux Mercures (Hermès) en bronze, tous deux debout, mais il y en a un qui est dans un petit temple. En plein air, enfin, sont trois statues de Jupiter (Zeus); le premier n'a point de surnom, le second porte celui de Chthonius; et le troisième, celui d'Hypsistus, (très haut). [2,3] CHAPITRE III. Le milieu de cette place publique est occupé par une Minerve (Athéna) en bronze, sur le piédestal de laquelle sont représentées les Muses. Au-dessus de la place, est le temple d'Octavie, soeur d'Auguste, qui régna sur les Romains après Jules César, fondateur de la nouvelle Corinthe. Au sortir de cette place, par le chemin qui conduit à Léchée, s'offrent à vous des Propylées surmontés de deux chars dorés, sur l'un desquels est Phaéton, fils du Soleil; et le Soleil lui-même est sur l'autre. Un peu plus loin que ces Propylées, à droite, vous trouvez, en entrant dans la place, un Hercule en bronze. Vous arrivez ensuite à l'entrée de la fontaine Pyrène. Elle était femme jadis, et fut, dit-on, changée en fontaine à force de pleurer la mort de Cenchrias, son fils, que Diane (Artémis) avait tué involontairement. Cette fontaine est ornée de marbre blanc, et on y a pratiqué des loges en forme de grottes, d'où l'eau coule dans un bassin découvert. Cette eau est très bonne à boire, et l'airain qu'on y trempe, après l'avoir fait rougir au feu, y acquiert cette qualité qui le fait rechercher sous le nom d'airain de Corinthe. Les Corinthiens, en effet, n'ont point de mines de cuivre. Il y a vers cette fontaine, une statue d'Apollon, et une enceinte dans laquelle se trouve un tableau représentant le combat d'Ulysse, contre les amants de Pénélope. En reprenant ensuite la route directe de Léchée, vous remarquez d'abord un Mercure (Hermès) en bronze : auprès du dieu assis, est un bélier; car Mercure (Hermès) est le dieu qui veille le plus spécialement sur les troupeaux et les fait multiplier, comme le dit Homère dans l'Iliade. Fils de Phorbas, dont les troupeaux étaient un don de Mercure (Hermès), qui le préférant à tous les autres Troyens, l'avait comblé de bienfaits. Je sais bien ce que l'on a raconté de Mercure (Hermès) et du bélier dans les mystères de la Mère des dieux, mais je n'en dirai rien. Après cette statue, viennent celles de Neptune (Poséidon), de Leucothée, et Palémon sur un dauphin. Dans divers endroits de la ville sont des bains, construits les uns aux dépens du public, les autres aux frais de l'empereur Hadrien. Les plus renommés sont auprès du temple de Neptune (Poséidon). Ils ont été bâtis par Euryclès, Spartiate, qui les a ornés de marbres de diverses espèces, entre autres de celui qu'on tire des carrières de Crocées, dans la Laconie. On voit à gauche de l'entrée de ces bains, un Neptune (Poséidon), et après lui, une Diane (Artémis) chasseresse. La ville est bien fournie de fontaines; car, outre qu'il y a beaucoup d'eau dans le pays, l'empereur Hadrien y a fait amener celles du Stymphale; la plus remarquable de ces fontaines est un Bellérophon placé auprès de la Diane (Artémis) dont je viens de parler, il est monté sur Pégase, et l'eau sort du sabot du cheval. Vous en verrez une autre en prenant la route qui conduit de la place publique à Sicyone : à droite de cette route, est un temple d'Apollon avec sa statue en bronze, et un peu plus loin, la fontaine qui a pris le nom de Glaucé, cette princesse s'y étant précipitée, dit-on, dans l'espérance d'y trouver un remède contre les poisons de Médée. Au-dessus de cette fontaine, est l'Odéon, auprès duquel se voit le tombeau des enfants de Médée. Ils se nommaient Mermérus et Phérès, et furent, suivant la tradition, tués à coups de pierres par les Corinthiens, à cause des présents qu'ils avaient apportés à Glaucé. Comme cette mort violente était une punition qu'ils n'avaient point méritée, ils s'en vengèrent en faisant périr les enfants nouveaux-nés des Corinthiens, ce qui continua jusqu'à ce qu'on eût institué en leur honneur, des sacrifices annuels, et érigé une statue à la Terreur, ainsi que l'oracle l'avait ordonné. La statue existe encore, elle représenté une femme d'un aspect effrayant; mais les anciens Corinthiens ayant tous péri lorsque leur ville fut prise par les Romains, les nouveaux habitants n'offrent plus ces sacrifices, et leurs enfants ont renoncé à l'usage de couper leurs cheveux et de porter des vêtements noirs. (8) Médée, étant allée à Athènes après cet événement, épousa Égée; elle voulut dans la suite faire périr Thésée; ayant été prise sur le fait, elle s'enfuit et se retira chez les Ariens, qui prirent d'elle le nom de Mèdes. On dit qu'elle emporta chez les Ariens, un fils qu'elle avait eu d'Égée, et qui se nommait Mèdes. Hellanicus, qui le nomme Polyxène, lui donne Jason pour père. Les Grecs ont un poème intitulé les Naupacties, suivant lequel Jason, après la mort de Pélias, quitta Iolcos pour aller s'établir à Corcyre : et Mermérus, l'aîné de ses enfants, qui était allé chasser sur le continent voisin, y fut tué par une lionne; il n'est point question de Phérès dans ce poème. Cinaethon de Lacédémone, qui a aussi écrit des généalogies en vers, dit que Jason avait eu de Médée, Mèdes, et une fille nommée Ériopis. Il ne nous apprend rien de plus sur eux. Enfin, Eumélus raconte que le Soleil avait donné l'Asopie à Aloéus, et l'Éphyrée à AEétés : celui-ci, partant pour Colchos, confia ses états à Bunus, fils de Mercure (Hermès) et d'Alcidamie, à la mort duquel Épopéus, fils d'Aloéus, réunit l'Éphyrée à ses états. Corinthus, fils de Marathon, étant mort dans la suite sans laisser d'enfants, les Corinthiens firent venir Médée d'Iolcos pour lui donner la couronne, et Jason devint par ce moyen roi de Corinthe. Elle eut plusieurs enfants; mais à peine étaient-ils nés, que dans l'espérance de les rendre immortels, elle allait les cacher dans le temple de Junon (Héra). Elle se convainquit à la fin que ses espérances étaient mal fondées. Jason ayant en même temps découvert ce qu'elle avait fait de ses enfants, ne voulut pas lui pardonner, quelques prières qu'elle lui fit, et s'embarqua pour Iolcos; alors elle donna ses états à Sisyphe et disparut aussi. Voilà tout ce que j'ai appris sur ces premiers temps. [2,4] CHAPITRE IV. Le temple de Minerve (Athéna) Chalenites n'est pas loin du tombeau des enfants de Médée. Les Corinthiens disent que Minerve (Athéna) est de toutes les divinités celle qui aida le plus Bellérophon en beaucoup d'autres choses, et en lui donnant le cheval Pégase, qu'elle avait dompté et soumis au frein. La statue de la déesse est en bois, le visage, les pieds et les mains sont en ivoire. Bellérophon, à ce que je crois, ne régnait pas à Corinthe avec une autorité absolue, mais il était soumis à Proetos et aux Argiens : tous ceux qui ont lu Homère avec quelque attention, seront de mon avis. Il paraît même qu'après la retraite de Bellérophon dans la Lycie, les Corinthiens n'en continuèrent pas moins d'obéir aux souverains d'Argos et de Mycènes, car ils n'avaient point de chefs particuliers à la guerre de Troie, et ils y allèrent avec les Mycéniens et les autres peuples soumis immédiatement à Agamemnon. Glaucus, père de Bellérophon ne fut pas le seul fils de Sisyphe; il avait trois frères, Ornytion, Thersandre et Almus; Phocus, fils d'Ornytion, mais à qui on donnait Neptune (Poséidon) pour père, alla s'établir à Tithorée dans la Phocide actuelle. Thoas, le plus jeune des fils d'Ornytion étant resté à Corinthe, fut père de Damophon; Propodas, fils de ce dernier, eut lui-même deux fils, Doridas et Hyanthidas, sous le règne desquels les Doriens vinrent attaquer Corinthe. Alétès, chef des Doriens, était fils d'Hippotès, petit-fils de Phylas, et arrière petit-fils d'Antiochos, qui eut Hercule pour père. Doridas et Hyanthidas lui cédèrent volontairement la couronne, et restèrent à Corinthe; mais leurs sujets, ayant voulu se défendre, furent vaincus et chassés du pays par les Doriens. Alétès et ses descendants régnèrent pendant cinq générations jusqu'à Bacchis, fils de Prumnidus. Les Bacchiades, qui avaient pris leur nom de Bacchis, régnèrent ensuite pendant cinq autres générations, jusqu'à Télesès, fils d'Aristodème. Télesès ayant été victime de la haine d'Aréius et de Perantas, il n'y eut plus de rois à Corinthe, et le gouvernement fut confié à des archontes annuels, choisis dans la famille des Bacchiades; cela dura ainsi jusqu'à Cypsélus, qui chassa les Bacchiades et usurpa la tyrannie. Cypsélus descendait de Mélanus, fils d'Antasus, né dans la ville de Gonnus au-dessus de Sicyone; Mélanus était venu à Corinthe avec les Doriens; Alétès, averti par un oracle de le renvoyer, lui ordonna d'abord de se retirer chez quelque autre peuple de la Grèce; mais dans la suite, il lui permit de rester, sans avoir égard à l'oracle. C'est là tout ce que j'ai pu découvrir sur les rois des Corinthiens. Le temple de Minerve (Athéna) Chalenites est vers le théâtre. L'Hercule en bois, qui en est voisin, est, dit-on, un ouvrage de Dédale. Il est représenté tout nu. Les ouvrages de Dédale offrent tous à la vue quelque chose d'extraordinaire, mais tous aussi, je ne sais quoi de divin. Au-dessus du théâtre est le temple du Jupiter (Zeus) Capitolin des Romains, qu'on pourrait nommer en Grec, Coryphaeus. L'ancien Gymnase et la fontaine de Lerne ne sont pas très éloignés du théâtre. La fontaine est entourée de colonnes, et on y a pratiqué des sièges pour ceux qui veulent venir y prendre le frais pendant l'été : près du Gymnase sont deux temples, dédiés, l'un à Jupiter (Zeus) et l'autre à Esculape. La statue de Jupiter (Zeus) est en bronze, celles d'Esculape et d'Hygiée sont en marbre blanc. L'Acrocorinthe est le sommet d'une montagne qui domine Corinthe. Briarée le donna au Soleil par le jugement dont j'ai parlé, et le Soleil le céda à Vénus (Aphrodite), disent les Corinthiens. En y montant vous trouvez deux enceintes consacrées l'une à Isis Pelagia et l'autre à Isis égyptienne; et deux enceintes consacrées à Sérapis, qui est honoré dans l'une sous le nom de Sérapis de Canope. Viennent ensuite des autels dédiés au Soleil, et le temple de la Nécessité et de la Force où il n'est pas permis d'entrer. Dans celui de la Mère des Dieux, qui est au-dessus, vous remarquerez un cippe et un trône, l'un et l'autre en marbre. Les statues qui sont dans le temple des Parques, ainsi que dans celui de Cérès (Déméter) et de sa fille, ne sont point exposées à la vue. Le temple de Junon (Héra) Bounaea est sur la même montagne; il a été bâti par Bunus, fils de Mercure (Hermès); c'est delà que vient le surnom de la déesse. En montant au sommet de l'Acrocorinthe, vous trouvez le temple de Vénus (Aphrodite), les statues qu'on y voit sont, Vénus (Aphrodite) armée, le Soleil, et l'Amour tenant un arc. [2,5] CHAPITRE V. Derrière ce temple est une fontaine qui est, à ce qu'on prétend, un don de l'Asope : Sisyphe ayant vu Jupiter (Zeus) enlever la fille de ce fleuve, ne voulut pas lui nommer le ravisseur, qu'il ne lui eût fait venir de l'eau sur l'Acrocorinthe. Asope ayant satisfait à la demande de Sisyphe, celui-ci lui apprit ce qu'il savait, et s'il faut en croire les poètes, il subit dans les enfers la peine due à son indiscrétion. J'ai ouï dire que cette eau est la même que celle de la fontaine Pyrène, et qu'elle se rend dans la ville par des canaux souterrains. L'Asope dont je viens de parler prend sa source dans la Phliasie, arrose le pays de Sicyone et va se jeter dans la mer voisine. Les Phliasiens disent qu'il eut trois filles, Corcyre, Égine et Thèbes. Corcyre et Égine donnèrent leurs noms aux îles déjà connues sous les noms de Schérie et d'OEnone, et Thèbes donna le sien à la ville située au bas de la Cadmée. Les Thébains n'en conviennent pas; et Thèbes était, suivant eux, fille de l'Asope de la Béotie, et non de celui de la Phliasie. Entre autres contes que les Phliasiens et les Sicyoniens font sur leur fleuve, ils disent qu'il est étranger et n'a pas sa source dans le pays; que le Méandre, qui descend de Celaenes à travers la Phrygie et la Carie, va se jeter dans la mer auprès de Milet, et se rend de là dans le Péloponnèse, où il forme l'Asope. J'ai entendu également les Déliens raconter que leur Inopus vient du Nil. On dit aussi que le Nil est le même fleuve que l'Euphrate, qui, après s'être perdu dans un marais, va reparaître, sous le nom de Nil, au-dessus de l'Éthiopie. Voilà ce que j'ai entendu dire de l'Asope. En tournant vers les montagnes, au sortir de l'Acrocorinthe, vous trouvez la porte Teneatique et le temple d'Ilithye, et à soixante stades de-là tout au plus, la ville de Ténée, dont les habitants se disent issus des captifs troyens que les Grecs emmenèrent de l'île de Ténédos; Agamemnon leur donna ce canton. C'est pour cela qu'ils regardent Apollon comme leur principale divinité. Sur la route qui conduit de Corinthe à Sicyone, et non dans l'intérieur du pays, vous remarquerez à peu de distance de la ville, à gauche du chemin, un temple détruit par le feu. La Corinthie a été le théâtre de différentes guerres, il n'est donc pas étonnant que des maisons et même des temples situés hors de la ville aient été la proie des flammes; mais ils veulent que ce temple fût dédié à Apollon, et qu'il ait été brûlé par Pyrrhus, fils d'Achille. J'ai aussi entendu dire depuis, que les Corinthiens avaient érigé ce temple à Jupiter (Zeus) Olympien, que le feu y prit subitement, on ne sait comment, et le détruisit. Les Sicyoniens qui de ce côté-là sont limitrophes des Corinthiens, disent qu'AEgialéus Autochthon est le premier homme qui ait paru dans leur pays. C'est de lui, et sous son règne que prit le nom d'AEgialus la portion du Péloponnèse qu'on appelle encore ainsi. Il fonda le premier dans la plaine une ville qu'il nomma AEgialée, dont la citadelle était à l'endroit où est maintenant le temple d'Athéna. AEgialéus eut un fils nommé Europs qui fut père de Thelcin; Apis, fils de ce dernier, devint si puissant que tout le pays situé au dedans de l'Isthme avait pris de lui le nom d'Apia avant que Pélops vînt à Olympie. Thelcin fils d'Apis, fut père d'AEgyrus, qui eut un fils nommé Thourimaque; Leucippe, fils de ce dernier, n'eut qu'une fille nommée Calchinia; elle eut, dit-on, de Neptune (Poséidon) un fils nommé Pératus que Leucippe à qui il laissa ses états en mourant. Il arriva quelque chose de très extraordinaire à Plemnaeus, fils de Pératus. Les enfants qu'il avait de sa femme rendaient l'âme dès le premier cri qu'ils jetaient. Cérès (Déméter), ayant eu pitié de lui, vint à AEgialé, et s'étant présentée à Plemnaeus, comme une femme étrangère, elle lui éleva Orthopolis. Chrysorthé, fille d'Orthopolis eut, à ce qu'on prétend, d'Apollon, un fils nommé Coronus, qui fut père de Corax, et ensuite de Lamédon. [2,6] CHAPITRE VI. Corax étant mort sans enfants, Épopéus, qui arriva de la Thessalie sur ces entrefaites, prit la couronne. Les Sicyoniens qui avaient constamment joui des douceurs de la paix jusqu'à cette époque, virent alors, disent-ils, pour la première fois, une armée ennemie entrer dans leur pays; et voici quelle en fut l'occasion. Antiope, fille de Nyctéus était célèbre dans toute la Grèce par sa beauté, et on disait qu'elle était fille, non de Nyctéus, mais du fleuve Asope, qui sépare le pays de Thèbes de celui de Platées : je ne sais pas si Épopéus l'avait demandée en mariage ou s'il en vint d'abord aux moyens violents; ce qu'il y a de certain, c'est qu'il l'enleva. Les Thébains, ayant pris les armes, allèrent à sa poursuite, et il y eut un combat dans lequel Nyctéus fut blessé; Épopéus le fut aussi, quoique victorieux; Nyctéus fut emporté malade à Thèbes, et voyant sa fin approcher, il remit à Lycus son frère l'autorité qu'il exerçait à Thèbes comme tuteur de Labdacus, fils de Polydore, fils de Cadmus. Il le conjura de marcher contre l'AEgialée avec une armée plus considérable, de le venger d'Épopéus, et de punir Antiope elle-même s'il parvenait à la prendre. Éoopéos, de son côté, offrit sur le champ des sacrifices pour remercier les Dieux de sa victoire, et fit bâtir un temple à Minerve (Athéna); lorsqu'il fut achevé, il pria la déesse de lui témoigner par quelque signe si elle l'agréait, et sa prière achevée, il parût, dit-on, une source d'huile devant le temple. Épopéus mourut aussi lui-même, quelque temps après, des suites de sa blessure qu'il avait négligée dans les premiers moments; de sorte que Lycus n'eut pas besoin de faire la guerre, Lamédon, fils de Coronus et successeur d'Épopéus, ayant rendu Antiope. On prit le chemin d'Éleuthère pour la ramener à Thèbes; et elle accoucha sur la route. Asius, fils d'Amphiptolémus en a parlé dans les vers suivants : Antiope, fille de l'Asope aux gouffres profonds, ayant accordé ses faveurs à Jupiter (Zeus) et au roi Épopéos, donna le jour à Zéthos et au divin Amphion. Homère leur a donné une naissance plus relevée, et il dit qu'ils fondèrent Thèbes, sans doute la ville basse, qu'il distingue de la Cadmée. Lamédon, devenu roi, épousa Phéno, fille de Clytius d'Athènes. La guerre qu'il eût dans la suite avec Archandre et Architèles, fils d'Achaeus, l'obligea d'avoir recours à Sicyon, qu'il fit venir de l'Attique, et à qui il donna Zeuxippe sa fille en mariage. Sicyon, étant monté sur le trône, imposa le nom de Sicyonie au pays, et celui de Sicyone à la ville d'AEgialé. Si l'on en croit les Sicyoniens et le poète Asius, qui est d'accord avec eux, Sicyon était fils de Métion, fils d'Érechthée, et non de Marathon, fils d'Épopéos. Hésiode, de son côté, dit qu'il était fils d'Érechthée lui-même, et Ibycus lui donne Pélops pour père. Chthonophylé, fille de Sicyon, eut de Mercure (Hermès), dit-on, un fils nommé Polybe; elle épousa dans la suite Phlias fils de Bacchus (Dionysos), et Androdamas naquit de ce mariage. Polybe maria Lysianasse sa fille à Talaüs, fils de Bias, roi d'Argos; et Adraste, lorsqu'il fut chassé de cette ville, se rendit à Sicyone vers Polybe, et devint roi du pays après sa mort. Adraste étant retourné à Argos, Janiscus, descendant de Clytius, beau-père de Lamédon, et qui était lui-même venu de l'Attique, devint roi de Sicyone. Il eut pour successeur Phaestus, qui passe aussi pour l'un des fils d'Hercule. Phaestus étant allé s'établir dans l'île de Crète par les ordres de l'Oracle, Zeuxippe, fils d'Apollon et de la Nymphe Syllis, monta sur le trône, à ce que disent les Sicyoniens. Après sa mort, Agamemnon vint avec une armée attaquer Sicyone, qui avait alors pour roi Hippolyte, fils de Rhopalus, fils de Phaestus. A la vue de cette armée, Hippolyte épouvanté consentit, à se soumettre à Agamemnon et aux souverains de Mycènes. Lacestadès, fils d'Hippolyte, était roi de Sicyone lorsque Phalcès, fils de Téménus, et les Doriens s'emparèrent de cette ville durant la nuit; mais, comme Lacestadès était aussi de la race d'Hercule, Phalcès ne lui fit aucun mal et l'associa au trône. Les Sicyoniens devinrent donc alors Doriens, et leur pays fit partie de l'Argolide. [2,7] CHAPITRE VII. Démétrius, fils d'Antigone, ayant détruit la ville qu'AEgialéus avait fondée dans la plaine, la rebâtit vers l'ancienne citadelle, où elle est maintenant. Mais les Sicyoniens étant déjà très faibles (on en chercherait vainement d'autres causes que la volonté de Jupiter (Zeus), qui, suivant Homère, a abattu la puissance de beaucoup de villes), un tremblement de terre qui survint, dépeupla presque entièrement Sicyone et renversa beaucoup de monuments qu'on y admirait. Plusieurs villes de la Carie et de la Lycie furent détruites par ce même tremblement de terre, qui se fit sentir avec beaucoup de violence dans l'île de Rhodes, de sorte que la prédiction de Sibylle concernant cette île, eut son accomplissement. En allant de la Corinthie dans la Sicyonie, vous trouvez une éminence de terre, qui est le tombeau d'un certain Lycus de Messène, qui ne m'est point connu d'ailleurs; car je ne trouve aucun Messénien de ce nom qui se soit exercé au pentathle, ou qui ait remporté de prix aux jeux olympiques. Les Sicyoniens enterrent leurs morts à peu près comme les autres Grecs; mais, lorsque le corps a été par eux couvert de terre, ils l'entourent d'un petit mur, avec des colonnes qui soutiennent un faîte pareil aux frontons des temples. Ils n'y mettent point d'inscription; mais, en rendant au mort les derniers devoirs, ils l'appellent par son nom sans y joindre celui de son père, et lui disent adieu. Après avoir traversé l'Asope, un peu plus loin que le tombeau de Lycus, vous avez à droite l'Olympium, et un peu plus avant, à gauche, le tombeau d'Eupolis, poète comique Athénien. En continuant votre route, et en vous détournant, comme pour aller à la ville, vous trouvez celui de Xénodice, qui mourut en couches. Il n'est point fait comme ceux du pays; il a été bâti pour recevoir des peintures, et celles qu'on y voit peuvent le disputer à ce qu'il y a de plus beau en ce genre. En avançant, vous voyez le tombeau des Sicyoniens qui furent tués à Pellène, à Dymé dans l'Achaïe, à Mégalopolis et vers Sellasie. J'en parlerai plus en détail dans la suite. En arrivant à la ville, vous remarquerez vers la porte même, une source dans une grotte, l'eau sort de la voûte et non du sol de la grotte, ce qui lui a fait donner le nom de Stazousa. On voit dans la citadelle actuelle, le temple de la Fortune, surnommée Acraea; ensuite celui des Dioscures; leurs statues et celle de la Fortune sont en bois. Le théâtre est au-dessous de la citadelle; sur la scène est un guerrier le bouclier à la main; c'est, dit-on, Aratus, fils de Clinias. Après le théâtre vient le temple de Bacchus (Dionysos); la statue du dieu est en or et en ivoire, et près de lui sont des Bacchantes en marbre blanc. On sait que les Bacchantes sont des femmes consacrées à Bacchus (Dionysos), qui les rend furieuses. Les Sicyoniens ont d'autres statues qu'ils tiennent cachées, et qu'ils portent une fois par an, durant la nuit, d'un endroit nommé Cosmétérium, au temple de Bacchus (Dionysos). Ils les accompagnent avec des torches allumées, et en chantant des hymnes qui sont en usage dans le pays. La marche est ouverte par celui qu'ils nomment Bacchéius, statue jadis érigée par Androdamas, fils de Phlias. On porte ensuite celle de Bacchus (Dionysos) Lysius que le Thébain Phanès apporta de Thèbes par les ordres de la Pythie. Phanès vint à Sicyone à l'époque de la tentative que fit Aristomaque, fils de Cléodaeus, pour rentrer dans le Péloponnèse, tentative qui échoua, parce qu'Aristomaque, s'était trompé sur le sens de l'oracle qui lui avait été rendu. En allant du temple de Bacchus (Dionysos) à la place publique, vous laissez à droite celui de Diane (Artémis) Limnaea. On voit bien que le toit de ce temple est tombé; quant à la statue, on n'a su me dire si elle avait été transportée ailleurs, ou si elle a été détruite sur les lieux de quelque autre manière. Le temple de Pitho (la Persuasion), également sans statue, est à l'entrée de la place publique : voici à quelle occasion le culte de cette déesse s'introduisit à Sicyone. Apollon et Diane (Artémis), ayant tué Python, vinrent à AEgialée pour se faire purifier de ce meurtre; mais quelque chose les ayant effrayés vers l'endroit qu'on nomme encore maintenant Phobos (la Peur), ils s'en allèrent dans l'île de Crète chez Carmanor. Une maladie épidémique se déclara sur le champ dans l'AEgialée, et les devins dirent qu'il fallait apaiser Apollon et Diane (Artémis); les AEgialéens envoyèrent alors sept jeunes garçons et sept jeunes filles vers le fleuve Sythas implorer ces deux divinités : elles se laissèrent fléchir, et vinrent, disent les gens du pays, dans l'endroit où était alors la citadelle; et le temple de Pitho est à la place même où elles parurent la première fois. Il se fait encore maintenant quelque chose de pareil; car à la fête d'Apollon, les enfants se rendent vers le Sythas, amènent les dieux dans le temple de Pitho et les reconduisent ensuite, disent-ils, dans celui d'Apollon. Ce temple, qui se trouve maintenant sur la place publique, a été, suivant eux, bâti par Proetus à l'endroit même où ses filles avaient été guéries de leur démence. Ils disent aussi que Méléagre y consacra la lance avec laquelle il avait tué le sanglier de Calydon, et que les flûtes de Marsyas y étaient aussi déposées. Après le malheur arrivé à ce Silène, le fleuve Marsyas apporta, dit-on, ces flûtes dans le Méandre; elles reparurent dans l'Asope qui les jeta sur ses bords dans la Sicyonie, et un berger les ayant ramassées, les consacra à Apollon. Toutes ces offrandes ont été brûlées avec l'ancien temple; celui qui existe actuellement et la statue qu'on y voit ont été érigés par Pythoclès. [2,8] CHAPITRE VIII. Vers le temple de Pitho est une enceinte consacrée aux empereurs romains, qui était autrefois la maison de Cléon le tyran. Les Sicyoniens en effet, habitaient encore la ville basse, lorsqu'ils eurent pour tyran Clisthène, fils d'Aristonyme, fils de Myron; mais ils étaient déjà dans la ville actuelle lorsque Cléon usurpa l'autorité. On voit devant cette maison le monument héroïque d'Aratus, de tous les Grecs de son temps celui qui a fait de plus grandes actions. Voici les principaux traits de son histoire. Après la mort de Cléon, l'ambition de dominer s'empara tellement de ceux qui étaient dans les charges, qu'on vit en même temps deux tyrans à Sicyone, Enthydème et Timoclidas. Le peuple, les ayant chassés, choisit pour chef Clinias père d'Aratus. Peu d'années après, et Clinias étant déjà mort, Abantidas devint tyran des Sicyoniens. Il chassa Aratus du pays; ou peut-être celui-ci s'exila-t-il volontairement. Abantidas ayant été tué par quelques Sicyoniens, Paséas son père se fit sur le champ tyran à sa place, et fut tué lui-même par Nicoclès, qui usurpa aussi l'autorité. C'est contre ce Nicoclès qu'Aratus dirigea son attaque; ayant rassemblé les exilés de Sicyone, et des troupes d'Argos qu'il avait prises à sa solde, il partit durant la nuit, et ayant, grâce à l'obscurité, trompé la vigilance d'une partie de la garnison, et forcé l'autre, il se trouva dans l'intérieur des murs. Le jour commençant alors à paraître, il rassembla le peuple, marcha droit à la maison du tyran, et la prit sans beaucoup de peine; mais Nicoclès s'évada sans qu'on s'en aperçut. Aratus ayant réconcilié ceux qui étaient restés à Sicyone avec les exilés, rétablit le gouvernement populaire; il rendit aux exilés leurs maisons et leurs autres biens qui avaient été vendus, et dont il remboursa le prix à ceux qui les avaient achetés. Antigone, qui gouvernait alors la Macédoine comme tuteur de Philippe, fils de Démétrios, s'était rendu formidable à toute la Grèce; cette considération décida Aratus à faire entrer les Sicyoniens, tout Doriens qu'ils étaient, dans la confédération Achéenne. Les Achéens l'ayant nommé tout de suite préteur, il les conduisit contre les Locriens d'Amphisse, et contre les Étoliens leurs ennemis, dont il ravagea le territoire. Antigone, maître de Corinthe, y tenait une garnison de Macédoniens; Aratus, ayant surpris ces Macédoniens par une attaque imprévue, les défit, en tua un grand nombre, et entre autres Persée leur général, qui avait étudié la philosophie sous Zénon, fils de Mnaséas. Corinthe affranchie, les Épidauriens et les Trézéniens, peuples des côtes de l'Argolide, ainsi que les Mégaréens qui sont en dehors de l'Isthme, entrèrent dans la ligue Achéenne, et Ptolémée fit une alliance avec les Achéens. Commandés par Agis leur roi, les Lacédémoniens s'étaient présentés à l'improviste devant Pellène et l'avaient prise d'assaut; mais Aratus survenant avec son armée, ils furent défaits et retournèrent dans leur pays après avoir capitulé. Voyant que tout lui avait réussi, dans le Péloponnèse, Aratus ne crut pas devoir souffrir que les Macédoniens conservassent en leur pouvoir le Pirée, Munychie, Salamine et Sunium; mais il ne comptait pas assez sur ses forces pour les en chasser : il détermina donc Diogène, qui commandait dans ces places, à les livrer moyennant cent cinquante talents, et il fournit lui-même aux Athéniens la sixième partie de cette somme. Il engagea aussi Aristomacque, tyran d'Argos à rétablir la démocratie dans cette ville et à la faire entrer dans la confédération Achéenne, et il prit Mantinée, qui était au pouvoir des Lacédémoniens. Mais les hommes n'obtiennent pas tous les succès qu'ils désirent, car Aratus se trouva dans la nécessité de devenir l'allié d'Antigone et des Macédoniens, ce qui arriva de la manière suivante. [2,9] CHAPITRE IX. Quand Cléomène, fils de Léonidas, fils de Cléonyme, fut devenu roi de Sparte, il prit Pausanias pour modèle en cherchant à usurper une autorité tyrannique, et à renverser les lois établies. Doué d'un caractère plus ardent que Pausanias, et ne comptant les dangers pour rien, il eut bientôt surmonté tous les obstacles par son courage et son audace. Il empoisonna d'abord Eurydamidas, roi de l'autre branche, encore dans l'enfance, et fit, par le moyen des Éphores, passer le trône à Euclide son propre frère. Il dépouilla le Sénat de toute autorité, et pour en tenir lieu, il établit un fantôme de magistrats, sous le nom de Patronomes. Il forma alors de plus vastes projets; et, voulant soumettre toute la Grèce à sa domination, il attaqua d'abord les Achéens, qu'il espérait avoir pour alliés, s'il était vainqueur : il voulait surtout les empêcher de mettre obstacle à ses desseins. Leur ayant livré bataille vers Dymé au dessus de Patras, il les défit quoique commandés par Aratus; et celui-ci ayant conçu des craintes pour les Achéens en général, mais plus particulièrement pour Sicyone, se vit obligé d'avoir recours à Antigone. Cléomène venait de rompre avec ce prince, en commettant ouvertement diverses infractions au traité de paix qu'il avait fait avec lui, et en chassant les Megalopolitains de leur ville. Antigone passa donc dans le Péloponnèse, et les Achéens, réunis à lui, défirent Cléomène auprès de Sélasie, réduisirent les habitants de cette ville en esclavage, et prirent même Lacédémone. Antigone et les Achéens rendirent aux Lacédémoniens leur ancienne forme de gouvernement. Quant aux fils de Léonidas, Euclide fut tué dans le combat, et Cléomène s'enfuit vers Ptolémée, roi d'Égypte. Il y jouit d'abord de la plus haute considération; mais ayant été convaincu d'avoir conspiré avec quelques Égyptiens contre le roi, il fut enfermé. Échappé de la prison, il commença à exciter quelques troubles à Alexandrie; à la fin, se voyant pris, il se tua lui-même. Les Lacédémoniens, très satisfaits d'être délivrés de Cléomène, ne voulurent plus avoir de rois : pour tout le reste, ils ont conservé jusqu'à ce jour, leur ancienne forme de gouvernement. Antigone témoigna toujours beaucoup de bienveillance à Aratus, comme à un homme qui lui avait rendu de grands services et s'était signalé avec lui dans plusieurs occasions. Mais Philippe étant monté sur le trône, ses emportements fréquents contre ses sujets, ne plurent point à Aratus, qui s'opposa même quelquefois à ses entreprises; et Philippe, pour se délivrer de lui, le fit empoisonner, sans qu'il s'en aperçût. Les Achéens transportèrent son corps d'AEgium, où il était mort, à Sicyone où ils lui donnèrent la sépulture, et ils lui érigèrent un tombeau qu'on nomme encore maintenant l'Aratéum. Philippe se défit également par le poison d'Euryclide et de Micon, orateurs Athéniens, qui avaient quelque crédit sur le peuple. Ce poison dont l'usage lui était si familier, devint dans la suite la cause de son malheur, Persée, le plus jeune de ses fils, s'en étant servi pour faire périr Démétrius son frère. Le chagrin que Philippe éprouva de cette perte fut la cause de sa mort. Cela prouve bien la vérité de cette sentence, dictée à Hésiode par les dieux, que le mal qu'on trame contre un autre, tourne souvent contre soi. Après le monument héroïque d'Aratus viennent l'autel de Neptune (Poséidon) Isthmius, la statue de Jupiter (Zeus) Milichius et celle de Diane (Artémis) Patroa (la protectrice); elles sont faites sans aucun art, car Jupiter (Zeus) Milichius ressemble à une pyramide, et Diane (Artémis) à une colonne. Vous voyez dans le même endroit le Sénat, et un portique qui a pris son nom de Clisthène, ce prince l'ayant fait bâtir du produit du butin qu'il avait eu pour sa part dans la guerre que, de concert avec les Amphictyons, il fit aux Cirrhéens. Il y a sur la place publique, en plein air, un Jupiter (Zeus) en bronze, ouvrage de Lysippe, et auprès de lui, une Diane (Artémis) dorée. Le temple d'Apollon Lycéen, qui en est voisin, tombe en ruine, et n'offre rien de remarquable. Les Sicyoniens racontent que les loups se jetaient sur leurs troupeaux; de sorte qu'ils n'en tiraient plus aucun profit; le dieu leur indiqua l'endroit où était un certain tronc d'arbre sec, leur disant d'en prendre l'écorce, de la mêler à la viande qu'ils jetteraient aux loups : ceux-ci périrent aussitôt qu'ils eurent mangé de cette écorce. On conserve ce tronc dans le temple d'Apollon Lycéen, mais les exégètes sicyoniens eux-mêmes ne savent pas de quelle espèce d'arbre il est. Après ce temple se voient plusieurs statues en bronze, qui représentent, dit-on, les filles de Proetus; cependant l'inscription indique d'autres femmes. La même place vous offre encore, un Hercule en bronze fait par Lysippe de Sicyone, et, non loin de-là, un Mercure (Hermès) Agoraeus. [2,10] CHAPITRE X. On voit dans le Gymnase voisin de la place publique, un Hercule en marbre fait par Scopas. Il y a aussi un temple d'Héraclès ailleurs. L'enceinte où il est porte le nom de Paedizé; le temple est au milieu. On y voit une très ancienne statue en bois, ouvrage de Laphaès de Phlionte. Voici comment les Sicyoniens sacrifient à ce Dieu : ils disent que, lorsque Phaestus arriva dans la Sicyonie, ils sacrifiaient à Hercule comme à un héros. Il ne crut pas devoir les laisser continuer ainsi, et il leur dit de lui sacrifier comme à un dieu. Et maintenant encore, les Sicyoniens égorgent un agneau; après en avoir brûlé les cuisses sur l'autel, ils mangent une partie des chairs comme lorsqu'ils sacrifient à un dieu, et ils brûlent le reste, ainsi que cela s'observe pour les victimes offertes aux héros. Le premier jour de la fête qu'ils célèbrent en l'honneur d'Hercule, se nomme Onomata, et le dernier, Heracleia. Vous allez de là par une rue au temple d'Esculape. En entrant dans son enceinte, vous trouvez, à gauche, un édifice double; la pièce où l'on entre d'abord est consacrée au Sommeil, dont il ne reste plus que la tête. Celle du fond, est consacrée à Apollon Carneios, et il n'y a que les prêtres qui puissent y entrer. On voit dans le portique un os de baleine d'une grandeur extraordinaire; ensuite une statue d'Oneiros (le Songe) et Hypnos (le Sommeil) endormant un lion, et surnommé Épidotès. En entrant dans le temple d'Esculape par l'autre porte, vous voyez d'un côté Pan assis, de l'autre, Diane (Artémis) debout; et en allant plus avant, Esculape lui-même sans barbe; sa statue, en or et en ivoire, est l'ouvrage de Calamis. Il tient d'une main un sceptre, et de l'autre une pomme de pin cultivé. Les Sicyoniens disent que ce dieu leur fut apporté d'Épidaure sous la forme d'un serpent et sur un char traîné par des mules; il était conduit par Nicagora de Sicyone, femme d'Échétimos et mère d'Agasiclès. Il y a dans ce temple plusieurs petites figures suspendues à la voûte. La femme assise sur le serpent est Aristodama mère d'Aratus, disent les Sicyoniens; ils ajoutent qu'Aratus était fils d'Esculape. Voilà tout ce qu'il y a de remarquable dans cette enceinte. Vous passez de là dans un autre temple consacré à Vénus (Aphrodite); la première statue qui s'offre à votre vue est celle d'Antiope; ses fils en effet étaient Sicyoniens, et, soit à cause d'eux, soit parce qu'elle était venue elle-même à Sicyone, les Sicyoniens disent qu'elle appartient à leur pays. Vous voyez ensuite la statue de la déesse. Il n'entre dans son temple que la Néocore à qui il n'est plus permis d'avoir commerce avec les hommes, et une jeune fille qui est prêtresse pour un an sous le nom de Loutrophore. Tous les autres peuvent de la porte voir la déesse, et lui adresser des voeux. La déesse est assise, et sa statue, en or et en ivoire, est de Canachus de Sicyone, qui a fait l'Apollon de Didyme pour les Milésiens et l'Apollon Isménien pour les Thébains. Elle a le Polus sur la tête; tient d'une main un pavot, et de l'autre une pomme. Les Sicyoniens lui sacrifient toutes sortes d'animaux, excepté des porcs. Ils brûlent les cuisses des victimes et font rôtir le reste avec du bois de genévrier. Ils brûlent avec les cuisses des feuilles de paedéros. Le paedéros est une plante qui croît dans la partie de l'enceinte qui est en plein air, on ne la trouve nulle part ailleurs, pas même dans le reste du pays. Ses feuilles ont la forme de celles du chêne, sont un peu plus petites que celle du hêtre et un peu plus grandes que celles du chêne vert. Elles sont très vertes d'un côté, blanches de l'autre, et ont assez la couleur de celles du peuplier. En remontant de ce temple au Gymnase, vous trouvez à droite le temple de Diane (Artémis) Phéraea dont la statue en bois est, dit-on, venue de Phères. Ce gymnase, qui a été bâti par Clinias, sert encore maintenant pour les exercices des jeunes gens. On y voit une Diane (Artémis) en marbre blanc, qui n'est sculptée que jusqu'à la ceinture, et un Hercule dont la partie inférieure est carrée comme les Mercures (Hermès). [2,11] CHAPITRE XI. En vous détournant de là pour aller vers la porte sacrée, vous trouvez, à peu de distance de cette porte, un temple de Minerve (Athéna) érigé jadis par Épopéus, et qui, soit par ses dimensions, soit par sa magnificence, l'emportait de beaucoup sur tous les temples de ces temps-là. Mais le temps devait en faire disparaître jusqu'à la mémoire; car il a été entièrement consumé par le feu du ciel. L'autel seul a été épargné, et il subsiste encore tel qu'Épopéus l'avait fait faire. Le tombeau de ce héros, en terre amoncelée, est devant cet autel. Près de ce tombeau sont les dieux Apotropaei (qui préservent des malheurs). Les cérémonies qu'on fait en leur honneur sont celles que les Grecs ont instituées pour détourner les fléaux. On dit que le temple voisin consacré à Diane (Artémis) et à Apollon a été aussi bâti par Épopéus. Adraste éleva celui de Junon (Héra) qui vient ensuite; il ne reste de statue ni dans l'un ni dans l'autre de ces temples. On voit derrière celui de Junon (Héra) deux autels dédiés l'un à Pan, l'autre au Soleil; ce dernier est en marbre blanc. En descendant de là vers la plaine, on trouve le temple que Plemnaeus érigea à Cérès (Déméter) en action de grâce de ce qu'elle avait élevé son enfant. Le temple d'Apollon Carnien est un peu au-dessous de celui qu'Adraste avait bâti à Junon (Héra). Il n'en reste que les colonnes, et on n'y voit plus ni murs ni toit. Il en est de même de celui de Junon (Héra) Prodomia que Phalcès, fils de Téménus érigea pour remercier cette déesse, qui lui avait, disait-il, servi de guide dans son expédition contre Sicyone. En allant de Sicyone à Phliunte par la route la plus courte, si vous vous détournez à gauche, de dix stades au plus, vous arrivez au Pyrée; c'est le nom qu'on donne à un bois qui entoure le temple de Cérès (Déméter) Prosasia et de sa fille. Les hommes y célèbrent entre eux les fêtes de ces déesses et laissent les femmes les célébrer de leur côté dans l'édifice nommé le Nymphon, où sont les statues de Bacchus (Dionysos), de Cérès (Déméter) et de sa fille, dont on ne voit que les visages. Titane est à soixante stades de Sicyone, mais la route est impraticable pour les voitures à cause de son peu de largeur. Après avoir fait vingt stades, autant que je peux l'évaluer, vous traversez l'Asope, à gauche du chemin, et vous trouvez un bois de chênes verts et le temple des déesses connues des Athéniens sous le nom de Semnae (Sévères), et des Sicyoniens, sous celui d'Euménides. Ils célèbrent tous les ans leur fête, qui ne dure qu'un jour. Ils leur sacrifient des brebis pleines; se servent d'hydromel pour les libations; et de fleurs, au lieu de couronnes. Ils en font autant sur les autels des Parques qui sont dans le même bois, mais en plein air. Si vous traversez de nouveau l'Asope, et que vous repreniez la route, vous arrivez au sommet d'un mont dont Titan fut, suivant les gens du pays, le premier habitant. Il était, disent-ils, frère du Soleil, et ce canton a pris de lui le nom de Titané. Quant à moi, je pense que Titan passait pour frère du Soleil, parce qu'il avait une très grande connaissance des saisons, et des temps où le Soleil fait prendre l'accroissement et la maturité aux grains et aux fruits. Dans la suite Alexanor, fils de Machaon, fils d'Esculape, étant venu dans la Sicyonie, bâtit à Titané un temple à Esculape. Ceux qui habitent les alentours du temple, sont pour la plupart des gens qui viennent implorer l'assistance du Dieu; des cyprès très vieux ornent l'intérieur de son enceinte. On ne sait pas de quel bois ou de quel métal est la statue du Dieu, ni par qui elle a été faite, à moins qu'on ne l'attribue à Alexanor lui-même; le visage, les pieds et les mains d'Esculape, sont tout ce qu'on en voit, le reste est caché par une tunique de laine blanche, que recouvre une robe. Il en est de même de la statue d'Hygiée : à peine aussi la peut-on voir, tant elle est couverte de cheveux offerts par les femmes qui se les coupent en son honneur, et de bandes d'étoffes de Babylone. Quelle que soit la divinité de ce temple dont on implore la faveur, il faut adresser des prières à celle qu'on nomme Hygiée. A l'égard d'Alexanor et d'Évamérion dont les statues sont aussi dans le temple, on sacrifie au premier comme à un héros, après le coucher du Soleil, et à Évamérion comme à un Dieu. Si ma conjecture est juste, cet Èvamérion est connu à Pergame sous le nom de Telesphorus, qu'un oracle lui a donné; et à Épidaure, sous celui d'Acésius. La statue en bois de Coronis, qu'on possède dans le même lieu, n'est point placée dans le temple; lorsqu'on a sacrifié au Dieu un taureau, un agneau ou un porc, on porte cette statue dans le temple de Minerve (Athéna), et c'est là qu'on lui rend les honneurs qui lui sont dus. On ne se borne pas à couper les cuisses des victimes qu'on lui sacrifie, mais on les brûle en entier; on les brûle à terre, excepté les oiseaux qui sont consumés sur l'autel. Vous voyez sur le fronton du temple, Hercule au milieu, et des Victoires aux deux angles. Les statues de Bacchus (Dionysos), de Cérès (Déméter), d'Hécate, de Vénus (Aphrodite), de la Fortune des Dieux, et d'Esculape surnommé Gortynius, ornent le portique; la dernière est en marbre, toutes les autres sont en bois. Personne ne veut entrer dans l'endroit où sont les serpents; mais on met leur manger devant la porte et on ne s'en occupe plus. La statue en bronze qu'on voit dans l'enceinte, est celle de Granianus de Sicyone, qui remporta cinq prix aux jeux olympiques, deux du Pentathle, un de la course du stade, et deux de la course du double stade, une fois nu, et l'autre avec le bouclier; [2,12] CHAPITRE XII. Minerve (Athéna) a aussi dans Titané un temple, qui est celui où l'on conduit Ceronis. Vous y voyez une très ancienne Minerve (Athéna) en bois. On dit que ce temple a aussi été frappé de la foudre. L'autel des vents est au bas de la colline sur laquelle le temple est bâti : un prêtre y offre une fois par an un sacrifice nocturne. Il fait aussi dans quatre fosses, d'autres cérémonies secrètes pour apaiser la fureur des vents, et il chante certaines paroles magiques qui viennent, dit-on, de Médée. Lorsque vous êtes revenu de Titané à Sicyone, en descendant vers la mer, vous trouvez à gauche du chemin un temple de Junon (Héra) où il n'y a plus ni toit ni statue, et les gens du pays disent qu'il avait été bâti, par Proetus, fils d'Abas. Arrivé à l'endroit nommé le port des Sicyoniens, et en vous détournant pour aller à Aristonautes, port des Pellénéens, vous voyez à gauche, un peu au-dessus du chemin, un temple de Neptune (Poséidon). En avançant sur la grande route, vous trouvez le fleuve Élisson et ensuite le Sythas, qui se jettent tous les deux dans la mer. La Phliasie est limitrophe de la Sicyonie, et la ville est à quarante stades, tout au plus, de Titané. Le chemin de Sicyone à Phlionte est tout droit. Les Phliasiens n'ont rien de commun avec les Arcadiens, comme le prouve le catalogue des vaisseaux d'Homère, où ils ne sont point rangés parmi les peuples de l'Arcadie. On verra bientôt qu'ils étaient Argiens d'origine, et qu'ils devinrent Doriens, lorsque les Héraclides rentrèrent dans le Péloponnèse. Comme les traditions, à leur égard, diffèrent beaucoup entre elles, je m'en tiendrai à ce qui est le plus généralement reçu. Aras Autochtone est, dit-on, le premier qui ait habité ce pays. Il fonda une ville autour d'une colline qu'on nomme encore maintenant Arantine, à peu de distance d'une autre colline sur laquelle les Phliasiens ont bâti leur citadelle et le temple d'Hébé. Il fonda donc là une ville qui prit le nom d'Arantia, ainsi que le reste du pays. Asope, qui passait pour fils de Neptune (Poséidon) et de Cegluse, découvrit sous le règne d'Aras le fleuve qui prit de lui le nom d'Asope. Le tombeau d'Aras est dans le bourg de Celées, où l'on dit que Dysaulès d'Éleusis est aussi enterré. Aoris, fils d'Aras, et Araethyrée sa soeur furent tous deux, à ce que disent les Phliasiens, habiles chasseurs et vaillants guerriers. Araethyrée étant morte la première, Aoris donna le nom d'Araethyrée au pays, en mémoire de sa soeur, et Homère, dans le dénombrement des sujets d'Agamemnon dit à ce sujet, ceux qui habitent Ornées et l'agréable Araethyrée. Je ne crois pas que les tombeaux des enfants d'Aras puissent être ailleurs que sur la colline Arantine; ils sont indiqués par les cippes ronds qui les surmontent; et avant de célébrer les mystères de Cérès (Déméter), les Phliasiens invitent Aras et ses enfants aux libations, en regardant ces monuments. Pour Phlias, dont le nom est le troisième que le pays ait porté, je ne crois pas qu'il fût fils de Cisus, fils de Téménus, comme le disent les Argiens. Il passait en effet pour fils de Bacchus (Dionysos), et il fut, à ce qu'on dit, un de ceux qui s'embarquèrent sur le navire Argos. C'est aussi l'opinion du poète rhodien (Apollonius) qui dit dans ses vers : Phlias vint d'Araethyrée; Phlias, que Bacchus (Dionysos) son père avait comblé de biens et qui faisait sa demeure vers les sources de l'Asope. Ce Phlias était fils d'Araethyrée et non de Chthonophylé; celle-ci fut son épouse et il en eut un fils nommé Androdamas. [2,13] CHAPITRE XIII. Lorsque les Héraclides revinrent, tout le Péloponnèse, à l'exception de l'Arcadie, fut bouleversé, de sorte que dans plusieurs villes, on admit les Doriens, et que dans beaucoup d'autres, les anciens habitants furent entièrement chassés. Quant à Phlionte, voici ce qui s'y passa. Rhégnidas Dorien, fils de Phalcès, fils de Téménus, y ayant amené des troupes d'Argos et de Sicyone, une partie des Phliasiens, satisfaits des propositions de Rhégnidas, consentaient à rester dans le pays, en le reconnaissant pour roi, et en faisant un nouveau partage des terres avec les Doriens, tandis qu'Hippasus et ses partisans disaient qu'il fallait se défendre et ne pas abandonner ainsi aux Doriens sans coup férir des possessions vastes et fertiles. Le peuple ayant rejeté ce dernier avis, Hippasus s'enfuit à Samos avec ceux qui voulurent le suivre. C'est de cet Hippasus que le sage Pythagore descendait à la quatrième génération, car il avait pour père Mnésarque, fils d'Euphron, fils d'Hippasus. Voilà comment les Phliasiens racontent leur histoire, et les Sicyoniens sont d'accord avec eux sur la plupart de ces choses. Il me reste maintenant à décrire ce que le pays offre de plus remarquable. Vous verrez d'abord dans la citadelle de Phlionte un bois de cyprès, puis un temple qui depuis les siècles les plus reculés est l'objet d'une très grande vénération. La déesse qu'on y adore portait anciennement dans le pays, le nom de Ganymèda; elle prit dans la suite celui d'Hébé, et Homère la nomme ainsi dans le récit du combat singulier entre Alexandre et Ménélas, où il dit qu'elle versait à boire aux Dieux; et dans la descente d'Ulysse aux enfers, où il nous apprend qu'elle était l'épouse d'Héraclès. Olèn dans son hymne à Junon (Héra) dit que cette déesse avait été élevée par les Saisons et que ses enfants étaient Mars (Arès) et Hébé. Les Phliasiens rendent à Hébé différents honneurs dont le plus considérable est le droit d'asile attaché à son temple. Ceux qui étaient enchaînés avant de s'y réfugier, consacrent leurs fers en les suspendant aux arbres qui sont dans le bois. On célèbre aussi tous les ans, en l'honneur de la déesse, une fête qu'on nomme les Cissotomes (jours où l'on coupe le lierre). Il n'y a dans ce temple aucune statue ni gardée en secret, ni exposée à la vue; et ils se fondent pour en agir ainsi, sur une tradition sacrée. Au sortir de l'enceinte à gauche, vous trouvez un temple de Junon (Héra) avec sa statue en marbre de Paros. Il y a dans la citadelle une autre enceinte consacrée à Cérès (Déméter), et dans cette enceinte un temple avec les statues de Cérès (Déméter) et de sa fille. On voit dans le même endroit une Diane (Artémis) en bronze qui m'a paru ancienne. En descendant de la citadelle vous trouvez à droite le temple d'Esculape et la statue du Dieu, qui est représenté sans barbe. Le théâtre est au-dessous de ce temple; à peu de distance du théâtre on voit un autre temple de Cérès (Déméter) avec des statues assises, toutes anciennes. Il y a sur la place publique une chèvre en bronze, dorée en grande partie; voici l'origine des honneurs que lui rendent les Phliasiens. La constellation de la Chèvre à son lever, fait souvent du mal aux vignes; les Phliasiens pour détourner sa maligne influence, décernèrent divers honneurs à la chèvre qui est sur la place publique, et la dorèrent. On y voit aussi le tombeau d'Aristias, fils de Pratinas. Les drames satyriques d'Aristias et de son père sont les plus estimés après ceux d'Eschyle. Il y a derrière la place publique un édifice qu'on appelle la maison fatidique. Les Phliasiens disent qu'Amphiaraüs ayant dormi une nuit dans cette maison, commença dès lors à prédire l'avenir; il n'était auparavant, suivant eux, qu'un homme ordinaire et nullement versé dans l'art de la divination. On voit à peu de distance de là, l'endroit nommé Omphalos (le nombril), qui, si l'on en croit les Phliasiens, est le milieu du Péloponnèse. En avançant, vous trouvez un ancien temple de Bacchus (Dionysos), celui d'Apollon et celui d'Isis. La statue de Bacchus (Dionysos) est exposée à la vue de tout le monde, ainsi que celle d'Apollon, mais il n'est permis qu'aux prêtres de voir celle d'Isis. Les Phliasiens racontent aussi qu'Hercule à son retour de la Libye, d'où, il avait apporté les pommes des Hespérides, vint à Phlionte pour quelque affaire particulière, OEnée, qui lui avait donné précédemment sa fille en mariage, y vint de l'Étolie; un jour qu'il mangeait chez Hercule, ou qu'Hercule mangeait chez lui, le jeune Cyathus, son échanson, ne versant pas à boire au gré d'Hercule, ce héros le frappa d'un de ses doigts à la tête. Ce jeune garçon mourut sur-le-champ, et les Phliasiens consacrèrent à sa mémoire un édifice qui est vers le temple d'Apollon : on y voit deux statues en marbre, représentant Cyathus, qui offre une coupe à Hercule. [2,14] CHAPITRE XIV. Celées est à cinq stades tout au plus de Phlionte : on y célèbre tous les quatre ans les mystères de Cérès (Déméter). L'Hiérophante n'est pas à vie, on en choisit un chaque fois qu'on célèbre ces mystères, et il peut se marier si cela, lui plaît. Voilà en quoi ces mystères différent de ceux d'Éleusis; du reste, les cérémonies en sont imitées, et les Phliasiens l'avouent eux-mêmes; car ils disent que Dysaulès, frère de Céléus, chassé d'Éleusis par Ion, fils de Xouthos, que les Athéniens avaient pris pour général dans la guerre contre les Éleusiniens, vint dans leur pays, et y institua les mystères; mais les Phliasiens auront de la peine à me persuader que quelque Éleusinien ait quitté le pays après une défaite; la guerre dont il est question se termina en effet par un traité avant qu'il se fut livré de combat décisif, et Eumolpe lui-même resta à Éleusis. Il est possible que Dysaulès soit venu à Celées pour quelque autre raison, mais ce n'est pas pour celle que donnent les Phliasiens. Je ne crois pas non plus qu'il fut parent de Céléus; il n'était pas même un des principaux habitants d'Éleusis, car Homère ne l'aurait pas oublié dans ses vers. Nous avons, en effet, de ce poète un hymne à Cérès (Déméter), dans lequel il nomme les Éleusiniens à qui cette déesse enseigna la célébration des mystères, et il n'y parle point de Dysaulès; voici ce qu'il dit. Elle (Cérès) enseigna les rites des sacrifices et expliqua, les mystères à Triptolème, à Dioclès l'habile cavalier, au vaillant Eumolpe et à Céléus le chef du peuple. Néanmoins, à en croire les Phliasiens, ce Dysaulès est celui qui ai donné le nom de Celées à ce canton, et y a établi la célébration des mystères. On vous montre, dans le même endroit, son tombeau, qui est, dit-on, moins ancien que celui d'Aras, dont le règne précéda, de quelque temps l'arrivée de Dysaulès. Les Phliasiens disent en effet, qu'Aras était contemporain de Prométhée, fils de Japet, et antérieur de trois générations à Pélasgus d'Arcadie et aux Autochtones d'Athènes. Le char de Pélops est, suivant eux, suspendu à la voûte du temple qu'ils nomment Anactorium, (temple des Dioscures). [2,15] CHAPITRE XV. C'est là tout ce que le pays des Phliasiens offre de remarquable. En allant de Corinthe à Argos, vous trouvez une petite ville nommée Cléones, qui a pris son nom de Cléoné, fille de Pélops; où, suivant d'autres, de Cléoné l'une des filles du fleuve Asope qui passe à Sicyone; mais bien certainement de l'une des deux. On y voit un temple d'Athéna, la statue de la déesse est de Dipoenus et de Scyllis, élèves de Dédale, ou ses fils, suivant quelques personnes qui prétendent qu'il les avait eus d'une femme de Gortyne qu'il avait épousée. On y voit aussi le tombeau d'Eurytus et de Ctéatus qu'Hercule tua à coups de flèches, lorsqu'ils passaient par là pour aller de l'Élide aux jeux Isthmiques où ils étaient députés par leur ville. Sa colère, contre eux, venait de ce qu'ils avaient pris le parti d'Augias avec qui il était en guerre. Deux chemins conduisent de Cléones à Argos; l'un, plus court, n'est praticable qu'aux gens de pied; l'autre, qui passe par l'endroit nommé le Trétus, est également très étroit, étant entouré de montagnes; les voitures y passent cependant. On vous montre dans ces montagnes, l'antre du lion de Némée. Environ à quinze stades de là, est le bourg de Némée, où l'on trouve un temple de Jupiter (Zeus) Néméen, qui mérite d'être vu, quoiqu'il n'ait plus de toit, et qu'il n'y reste aucune statue. Il est entouré d'un bois de cyprès, et c'est là, dit-on, qu'Opheltes ayant été posé sur le gazon par sa nourrice, fut tué par le serpent. Les Argiens sont aussi chargés des sacrifices qui se font à Jupiter (Zeus) dans le temple de Némée; ils nomment son prêtre, et président aux courses d'hommes armés qui font partie des jeux Néméens lorsqu'ils se célèbrent en hiver. On voit à Némée le tombeau d'Opheltes, il est entouré d'un parapet de pierres, et il y a des autels dans l'intérieur de l'enceinte. Le tombeau, de Lycurgue, père d'Opheltes, est tout auprès, c'est une éminence de terre faite à la main. La fontaine voisine se nomme Adrastée, soit parce qu'elle a été trouvée par Adraste, soit pour quelque autre raison. On croit que ce canton a pris son nom de Némée, qui était aussi fille d'Asope. Au-dessus de Némée s'élève le mont Apesas, où Persée sacrifia pour la première fois, dit-on, à Jupiter (Zeus) Apesantius. En remontant vers le Trétos, et en prenant ensuite le chemin d'Argos, on laisse à gauche les ruines de Mycènes. Les Grecs savent tous que Persée fut le fondateur de cette ville; mais je vais entrer dans quelques détails sur la cause de cette fondation et les prétextes que les Argiens alléguèrent dans la suite pour la détruire; c'est en effet ce qu'il y a de plus ancien dans l'histoire de l'Argolide. On dit qu'Inachus, étant roi de ce pays, donna son nom au fleuve qui l'arrose, et offrit des sacrifices à Junon (Héra). Suivant une autre tradition, Phoronée est le premier homme qui ait habité ce pays, et Inachus, son père, était un fleuve et non un mortel. Un différend s'étant élevé entre Neptune (Poséidon) et Junon (Héra), au sujet de l'Argolide, Phoronée en fut juge avec les fleuves Céphise, Astérion et Inachos. Ils décidèrent en faveur de Junon (Héra); alors Neptune (Poséidon) fit disparaître, dit-on, toute l'eau du pays, et c'est pour cela que l'Inachus, ainsi que les autres fleuves dont je viens de parler, n'ont pas d'autre eau que celle qui tombe du ciel, et que, dans l'été, tous les courants d'eau de l'Argolide sont à sec, excepté les fontaines de Lerne. Phoronée, fils d'Inachus, réunit le premier en société les hommes qui étaient auparavant épars et habitaient ça et là. On nomma l'endroit où il les rassembla la ville de Phoronée. [2,16] CHAPITRE XVI. Argus, fils de la fille de Phoronée, régna après lui, et donna son nom au pays. Il eut deux fils, Pirasus et Phorbas. Ce dernier fut père de Triopas, qui eut deux fils, Iasus et Agenor. Io, fille d'Iasus, alla en Égypte, soit comme le raconte Hérodote, soit comme le disent les Grecs. Crotopus, fils d'Agénor, monta sur le trône après Iasus. Sthénélas, son fils, fut père de Gélanor sous le règne duquel Danaüs, qui était venu de l'Égypte par mer, enleva la couronne aux descendants d'Agenor. Tout le monde sait ce qui se passa depuis; on connaît l'attentat des filles de Danaüs sur leurs cousins, et la manière dont Lyncée eut la couronne après la mort de Danaüs. Les fils d'Abas, fils de Lyncée, partagèrent le royaume; Acrisius resta roi d'Argos, et Proetus eut pour sa part, Héraeum, Midée, Tirynthe et toute la partie de l'Argolide voisine de la mer. Il reste encore maintenant à Tirynthe quelques vestiges de la demeure de Proetus. Acrisius ayant appris dans la suite que Persée était vivant et s'était distingué par ses actions, se retira à Larisse, sur les bords du fleuve Pénée. Mais Persée voulant absolument voir celui a qui sa mère devait le jour, et acquérir son amitié, soit par des paroles prévenantes, soit par ses procédés, alla le chercher à Larisse. Persée, alors à la fleur de l'âge, se plaisait à faire connaître à tout le monde le disque qu'il venait d'inventer. Un jour qu'il s'y exerçait, Acrisius se trouva conduit, par la fatalité, à la portée du disque, qui l'atteignit et le tua. Ainsi fut accomplie la prédiction des dieux, et toutes les inventions d'Acrisius contre sa fille et contre son petit-fils, ne changèrent rien à l'ordre des destins. De retour à Argos, Persée ne pouvant supporter les discours qu'on tenait sur ce meurtre, engagea Mégapenthès, fils de Proetus, à faire un échange; il lui céda donc Argos, et alla dans ses états où il fonda Mycènes, qu'il nomma ainsi, parce que la poignée de son épée étant tombée en cet endroit, cela lui parut un présage pour y fonder une ville. D'autres disent que, pressé par la soif, il conçut l'idée d'arracher un champignon (Mucès); l'eau étant sortie de terre en abondance, il se désaltéra avec plaisir et donna le nom de Mycènes à ce canton. Homère, cependant, parle dans ses vers d'une femme nommée Mycènes. Tyro, Alcmène et la belle Mycènes. On lit dans le poème connu des Grecs sous le nom de "Megalai Eoiai", qu'elle était fille d'Inachus et femme d'Arestor, et c'est d'elle dit-on, que cette ville a pris son nom. Quant à ceux qui prétendent avoir entendu dire que Mycénéus était fils de Sparton, et Sparton de Phoronée, leur opinion est d'autant moins admissible, qu'elle est rejetée par les Lacédémoniens eux-mêmes : ceux-ci montrent bien à Amycles, la statue d'une femme nommée Sparte; mais ils seraient fort surpris si on leur parlait seulement de Sparton, fils de Phoronée. Les Argiens détruisirent Mycènes par jalousie : en effet, tandis qu'ils regardaient tranquillement l'irruption des Mèdes dans la Grèce, les Mycéniens envoyèrent aux Thermopyles quatre-vingts hommes qui partagèrent avec les Lacédémoniens la gloire de ce combat; l'honneur qu'ils s'étaient acquis, aigrit contre eux les Argiens, et fut la cause de leur ruine. On voit cependant encore quelques vestiges de leurs murs, et une porte sur laquelle sont des lions. Tout cela est, dit-on, l'ouvrage des Cyclopes, qui bâtirent aussi pour Proetus, les murs de Tirynthe. Au milieu des ruines de Mycènes, se remarquent encore divers monuments, savoir : la fontaine Persée; les chambres souterraines d'Atrée et de ses fils, où ils renfermaient leurs trésors; le tombeau d'Atrée; celui des personnes qui revenant de Troie, avec Agamemnon, furent tuées par Égisthe dans un repas; celui de Cassandre, que les Lacédémoniens d'Amycles disent néanmoins enterrée dans leur pays; le tombeau d'Agamemnon, celui d'Eurymédon, conducteur de son char; celui qui renferme Télédamus et Pélops, deux fils jumeaux qu'il avait eus de Cassandre, et qui, enfants encore, tombèrent avec leurs parents sous les coups d'Égisthe. Enfin le tombeau d'Électre, donnée par Oreste en mariage à Pylade, dont elle eut deux fils, Strophius et Médon, selon le récit d'Hellanicos. Clytemnestre et Égisthe ont été enterrés à quelque distance des murs, parce qu'il ne parut pas convenable qu'ils fussent dans la même enceinte qu'Agamemnon et ceux qui avaient été tués avec lui. [2,17] CHAPITRE XVII. Le temple de Junon (Héra) est à quinze stades de Mycènes, sur la gauche. Le ruisseau Éleuthère, coule le long de la route : son eau sert pour les purifications aux prêtresses qui desservent le temple et président aux sacrifices secrets. Le temple est dans l'endroit le plus bas de l'Eubée. Les Argiens donnent ce dernier nom à la montagne sur laquelle est le temple de Junon (Héra). Ils disent que le fleuve Astérion eut trois filles, Eubée, Prosymna et Acraea, qui furent les nourrices d'Héra, Acraea donna son nom à la montagne qui est en face du temple; Eubée à tout ce qui entoure le temple, et Prosymna à la plaine qui est au bas. Le fleuve Astérion coule au bas du temple et se jette dans un gouffre où il disparaît. Il croît sur ses bords une plante qu'on nomme aussi Astérion. On offre cette plante à Junon (Héra) et on fait des couronnes de ses feuilles. Eupolème d'Argos a été, à ce qu'on dit, l'architecte de ce temple. Les sculptures qui règnent au-dessus des colonnes représentent d'un côté la naissance de Jupiter (Zeus) et le combat des dieux et des géants, et de l'autre, la guerre de Troie et la prise de cette ville. Devant l'entrée du temple, sont des statues de femmes jadis prêtresses de Junon (Héra), et les statues de quelques héros, parmi lesquels est Oreste; c'est lui, dit-on, que représente en effet la statue dont l'inscription porte le nom de l'empereur Auguste. Vous voyez dans le vestibule du temple les statues des Grâces, ouvrages très anciens; à droite le lit de Junon (Héra), et le bouclier que Ménélas enleva à Euphorbe devant Troie. Junon (Héra) est assise sur un trône; sa statue, d'une très grande proportion, en or et en ivoire, a été faite par Polyclète. Elle porte une couronne sur laquelle sont représentées les Grâces et les Saisons; elle tient une grenade d'une main et un sceptre de l'autre. Ce qu'on dit au sujet de la grenade étant un mystère, je ne me permettrai pas d'en parler. Quant au coucou qui est sur son sceptre, on raconte que Jupiter (Zeus), étant amoureux de Junon (Héra) encore vierge, se transforma en coucou, et que Junon (Héra) prit cet oiseau pour s'en faire un jouet. Je n'ajoute nulle foi à cette fable ni à celles du même genre qu'on raconte sur les dieux; je ne les en rapporte pas moins. Il y avait, dit-on, près de Junon (Héra), une Hébé, ouvrage de Naucydès, également en or et en ivoire. Là, se voit aussi une ancienne statue de Junon (Héra), sur une colonne : mais la plus ancienne de toutes les statues de cette déesse est celle en bois de poirier sauvage, qui avait été érigée dans Tirynthe par Pirasus, fils d'Argus, et que les Argiens, après avoir détruit cette ville, transportèrent dans le temple de Junon (Héra). Je l'ai vue moi-même; la déesse est représentée assise, et d'une assez petite taille. Les offrandes qui méritent d'être remarquées, sont un autel d'argent sur lequel on a sculpté les noces d'Hercule et d'Hébé; un paon en or et en pierres précieuses, qui est un don de l'empereur Hadrien (le paon est, comme on le sait, un oiseau consacré à Junon (Héra); enfin, une couronne d'or et un manteau de pourpre qui ont été donnés par l'empereur Néron. Au-dessus de ce temple sont les fondements du premier, et ce qu'en épargna l'incendie causé par l'imprudence de Chryséis, prêtresse de Junon (Héra), qui se laissa surprendre par le sommeil, tandis qu'une lampe brûlait devant des guirlandes. Elle s'enfuit à Tégée et se mit sous la protection de Minerve (Athéna) Aléa. Quelque grand que fût ce malheur, les Argiens n'abattirent pas la statue de Chryséis, et on la voit encore devant le temple qui a brûlé. [2,18] CHAPITRE XVIII. En allant de Mycènes à Argos, on trouve sur le bord de la route, à gauche, le monument héroïque de Persée. Les gens du pays lui rendent quelques honneurs, mais il en reçoit de bien plus grands à Sériphe. Les Athéniens lui ont aussi consacré une enceinte, et ont érigé un autel à Dictys et à Clymène, qu'on nomme les Sauveurs de Persée. En partant de ce monument, si vous avancez un peu dans l'Argolide, vous voyez à droite le tombeau de Thyeste; le bélier de marbre qu'on a placé dessus, indique sans doute, le mouton à toison d'or que Thyeste obtint en séduisant la femme de son frère. Atrée ne sut point se contenir dans les bornes d'une juste vengeance; il égorgea les enfants de Thyeste, et lui donna ce festin tant célébré par les poètes. Quant à ce qui se passa dans la suite, je ne saurais dire au juste si l'attentat d'Égisthe sur Agamemnon fut le premier, ou si Agamemnon n'avait pas déjà tué Tantale le fils de Thyeste, qui avait été, dit-on, le premier mari de Clytemnestre. Je ne prétends pas décider que dans cette famille on fût naturellement vicieux : mais que le forfait de Pélops et les Mânes vengeurs de Myrtilus aient poursuivi aussi longtemps les Pélopides, il n'y a rien là qui ne soit d'accord avec ce que la Pythie répondit à Glaucos, fils d'Épicyde, qui la consultait pour savoir s'il ferait un faux serment. Elle lui dit que la seule intention de ce parjure serait punie jusque sur ses descendants. En partant des béliers (c'est le nom qu'on donne au monument de Thyeste), et en avançant un peu, vous laissez à gauche un endroit nommé Mysia, et le temple de Cérès (Déméter) Mysia. Ce canton et ce temple ont pris leur nom d'un certain Mysius qui avait donné l'hospitalité à Cérès (Déméter), à ce que disent les Argiens. Le temple n'a plus de toit; mais on a construit dans son intérieur un autre temple en briques cuites au feu; on y voit les statues en bois, de Cérès (Déméter), de sa fille et de Pluton (Hadès). Vous trouvez un peu plus loin le fleuve Inachus, et, après l'avoir traversé, l'autel du Soleil. Vous arrivez ensuite à la porte d'Argos, qui a pris son nom du temple d'Ilithye qui est dans son voisinage. Les Argiens sont, à ma connaissance, le seul peuple grec qui ait été divisé en trois royaumes. Sous le règne d'Anaxagore, fils d'Argus, fils de Megapenthès, les femmes d'Argos furent attaquées d'une espèce de démence qui leur faisait abandonner leurs maisons pour aller errer à travers les champs. Cette maladie fut guérie par Mélampe, fils d'Amythaon; mais il exigea, pour prix de ses soins, qu'Anaxagoras partageât la royauté avec lui et avec Bias son frère. De Bias à Cyanippus, fils d'AEgialéus, il y eut cinq rois qui régnèrent pendant quatre générations, et qui descendaient de Nélée par la femme de Bias, Il y en eut six de la race de Mélampe qui régnèrent pendant, six générations jusqu'à Amphiloque, fils d'Amphiaraüs. Les Anaxagorides, qui étaient originaires du pays, furent ceux qui régnèrent le plus longtemps; car Iphis, fils d'Alector, fils d'Anaxagoras, laissa la couronne à Sthénélus, fils de Capanée son cousin. Amphiloque, après la prise de Troie, s'étant établi dans le pays qu'on nomme maintenant l'Amphilochie, et Cyanippus étant mort sans enfants, Cylarabes, fils de Sthénélus, réunit les trois royaumes. Il mourut lui-même sans enfants, et ses états passèrent à Oreste, qui régnait dans le voisinage. Indépendamment des états de son père, Oreste avait rangé sous ses lois la plupart des Arcadiens; il était devenu roi de Sparte, et avait pour alliés les Phocéens, toujours prêts à venir à son secours. Les Lacédémoniens lui avaient laissé prendre la couronne, aimant mieux être gouvernés par les enfants des filles de Tyndarée, que par Nicostrate et Mégapenthès, que Ménélas avait eus d'une esclave. Oreste étant mort, Tisamène, qu'il avait eu d'Hermione, fille de Ménélas, lui succéda. On lit dans les vers de Cinaethon, qu'Oreste laissa aussi un fils naturel nommé Penthile, qu'il avait eu d'Érigoné, fille d'Égisthe. Ce fut sous le règne de Tisamène que les Héraclides rentrèrent dans le Péloponnèse; ces Héraclides étaient Téménus, Cresphonte et les fils d'Aristodème, troisième frère, mort auparavant. Comme ils descendaient de Persée, ils avaient des droits bien plus légitimes au royaume d'Argos que Tisamène qui descendait de Pélops. Quant à Lacédémone, ils prétendaient que Tyndarée en ayant été chassé par Hippocoon, avait reçu ensuite ce royaume, à titre de dépôt, d'Hercule, qui avait tué Hippocoon et ses fils. Ils disaient également pour la Messénie, qu'Hercule ayant pris Pylos, l'avait donnée en dépôt à Nestor. En conséquence de ces droits, les Héraclides chassèrent d'Argos et de Lacédémone, Tisamène, et de la Messénie, les descendants de Nestor. Ces derniers étaient, Alcmaeon, fils de Sillus, fils de Thrasymède; Pisistrate, fils de Pisistrate, et les fils d'Antiloque, fils de Paeon. Les Héraclides chassèrent aussi du même pays Mélanthus, fils d'Andropompe, fils de Borus, fils de Penthilus, fils de Périclymène. Tisamène et ses enfants allèrent avec une armée dans l'Achaïe actuelle. Les descendants de Nélée, à l'exception des enfants de Pisistrate, qui se retirèrent je ne sais où, se rendirent à Athènes, où leurs familles subsistèrent longtemps sous les noms de Péonides et d'Alcméonides; et Mélanthus y obtint la couronne qu'il enleva à Thymoetès, fils d'Oxyntès. Ce Thymoetès fut le dernier roi d'Athènes de la famille de Thésée. Ce n'est pas ici le lieu de parler des descendants de Cresphonte et d'Aristodème. [2,19] CHAPITRE XIX. Téménus, au lieu d'employer ses fils, confiait ouvertement le commandement de ses troupes à Déiphonte, fils d'Antimaque, fils de Thrasyanor, fils de Ctésippe, fils d'Hercule; et comme il lui avait donné en mariage Hyrnétho, sa fille, qu'il aimait mieux que ses autres enfants, il le consultait sur toutes choses, et on lui soupçonnait l'intention de disposer de ses états en faveur de sa fille et de son gendre. Ses fils, alarmés de ce bruit, conspirèrent contre lui et le tuèrent, et Cisus, leur aîné, monta sur le trône. Mais les Argiens, qui dès les temps les plus reculés avaient eu beaucoup de goût pour l'indépendance et l'égalité, réduisirent à un tel point l'autorité de leurs rois, qu'il n'en resta que le nom à Médon, fils de Cisus, et à ses descendants. Le peuple condamna même et priva tout à fait de la couronne Miltas, fils de Lacide, et petit-fils de Médon. Le temple d'Apollon Lycien est le plus beau de tous ceux que les Argiens ont dans leur ville. La statue qu'on y voit maintenant est l'ouvrage d'Attale Athénien. L'ancien temple et la statue en bois étaient une offrande de Danaüs : je crois que toutes les statues étaient alors en bois, surtout celles qui venaient de l'Égypte. Danaüs érigea ce temple à Apollon Lycien, à l'occasion suivante. Étant arrivé à Argos, il disputa la couronne à Gélanor, fils de Sthénélas. Ils plaidèrent leur cause devant le peuple, et chacun d'eux fit valoir beaucoup de raisons en sa faveur. Celles de Gélanor ne paraissant pas moins bonnes que celles de Danaüs, le peuple remit, dit-on, son jugement au lendemain. Le jour commençait à peine, lorsqu'un loup se jeta sur un troupeau de boeufs qui paissait devant les murs de la ville, et attaqua le taureau qui était à leur tête. L'idée vint aux Argiens d'assimiler Gélanor au taureau, et Danaüs au loup, cet animal ne vivant point avec les hommes, et Danaüs, jusqu'alors, n'ayant point vécu parmi eux. Le loup ayant tué le taureau, ils donnèrent la couronne à Danaüs; et ce prince imaginant que c'était Apollon qui avait amené ce loup contre le troupeau de boeufs, lui dédia un temple sous le nom d'Apollon Lycien. On y voit le trône de Danaüs et Biton portant un taureau sur ses épaules. Lycias dit dans ses vers que les Argiens conduisant un jour des victimes à Némée pour un sacrifiée à Jupiter (Zeus), ce Biton, qui était d'une force et d'une vigueur extraordinaires, prit un taureau et le porta sur ses épaules. Vient ensuite une place où on allume un feu qu'on nomme le feu de Phoronée, car c'est à lui, et non à Prométhée, que les Argiens attribuent la découverte du feu. Vous y voyez aussi deux statues en bois, l'une de Mercure (Hermès), qui est, disent-ils, l'ouvrage d'Épéius, et l'autre de Vénus (Aphrodite), qui a été érigée par Hypermnestre. Ils racontent que Danaüs irrité de ce que seule de toutes ses filles, elle avait refusé d'exécuter ses ordres, la livra à un tribunal pour la juger, soit qu'il ne se crût pas en sûreté tant que Lyncée serait vivant, soit qu'Hypermnestre refusant de partager le crime de ses soeurs, lui parut blâmer celui qui en avait donné l'ordre. Elle fut jugée par les Argiens, gagna son procès, et érigea par reconnaissance une statue à Vénus (Aphrodite) Nicéphore. Dans l'intérieur du temple est représenté Ladas, l'homme le plus léger à la course qu'il y eût de son temps; on y voit aussi un Mercure (Hermès) qui vient de trouver une tortue pour faire une lyre. Sur un piédestal placé devant le temple, est un bas relief représentant le combat du loup et du taureau, dont nous avons parlé, et une jeune fille jetant une pierre au taureau. On croit que cette jeune fille est Diane (Artémis). Ce piédestal est une offrande de Danaüs, qui a aussi placé, non loin de là, deux colonnes en bois, comme statues de Jupiter (Zeus) et d'e Diane (Artémis). Des tombeaux voisins, l'un est celui de Linos, fils d'Apollon et de Psamathé, fille de Crotopus; l'autre est, dit-on, celui de Linus le poète. Ce que j'ai à dire de ce dernier, se trouvera mieux placé dans un autre livre : quant au fils de Psamathé, j'en ai parlé dans la description de la Mégaride. On voit au-dessus de ces tombeaux la statue d'Apollon Agyieus et l'autel de Jupiter (Zeus) Hyetius (Pluvieux), sur lequel ceux qui avaient promis à Polynice de le ramener à Thèbes, prêtèrent serment de perdre tous la vie plutôt que de revenir sans avoir pris cette ville. Quant au tombeau de Prométhée, les prétentions de ceux d'Opunte me paraissent mieux fondées que celles des Argiens; ces derniers ne laissent cependant pas de le montrer. [2,20] CHAPITRE XX. En laissant de côté la statue de Creugas, vainqueur au pugilat, vous trouvez un trophée élevé à la suite d'une victoire remportée sur les Corinthiens, et une statue en marbre blanc, représentant Jupiter (Zeus) Milichius assis. Elle est de Polyclète, et fut érigée à l'occasion suivante. Les Lacédémoniens dès l'instant qu'ils eurent commencé à faire la guerre aux Argiens, ne leur laissèrent plus de repos que lorsque Philippe, fils d'Amyntas, les eut contraints de s'en tenir à leurs anciennes limites. Avant lui, les Lacédémoniens, lorsqu'ils ne se mêlaient pas encore des affaires étrangères au Péloponnèse, cherchaient à s'agrandir aux dépens des Argiens; et ceux-ci de leur côté ne manquaient pas d'attaquer les Lacédémoniens, dès qu'ils les voyaient engagés dans quelque expédition hors de leur pays. La haine étant portée de part et d'autre à son comble, les Argiens crurent devoir entretenir mille hommes d'élite dont ils donnèrent le commandement à Bryas leur compatriote; celui-ci, entre autres traits d'insolence, se permit d'enlever une jeune fille qu'on conduisait à son fiancé, et de la violer. La nuit étant survenue, cette fille ne vit pas plutôt Bryas endormi, qu'elle lui arracha les yeux. Lorsque le jour parut, se voyant surprise, elle s'enfuit et se mit sous la protection du peuple qui ne voulut pas la livrer à la vengeance des Mille. Les deux partis ayant pris les armes, il y eut un combat dont le peuple sortit victorieux, et dans sa fureur il ne laissa la vie à aucun de ceux du parti contraire. On eut recours à différents moyens expiatoires, pour purifier la ville du sang qui avait coulé dans cette guerre civile, et on érigea cette statue à Jupiter (Zeus) Milichius. On voit près de là un bas relief de marbre qui représente Cléobis et Biton traînant un char et conduisant leur mère au temple de Junon (Héra). Le temple de Jupiter (Zeus) Néméen est vis-à-vis les statues dont nous venons de parler; le dieu est debout; sa statue en bronze est l'ouvrage de Lysippe. Après ce temple, à droite, se présente le tombeau de Phoronée, à qui on offre encore maintenant des sacrifices comme à un héros. Au-dessus du temple de Jupiter (Zeus) Néméen, s'élève l'antique temple de la Fortune, où Palamède fit l'offrande des dés qu'il avait inventés. On dit que le tombeau voisin est celui de la Ménade Choria, qui était du nombre de ces femmes qui combattirent sous les ordres de Bacchus (Dionysos) dans son expédition contre Argos. Persée, ayant remporté la victoire, les tua pour la plupart, et on les enterra toutes ensemble, excepté celle-ci, qui, étant d'un rang plus relevé, eut un tombeau à part. Un peu plus loin est le temple des Saisons. En revenant de là, vous trouvez les statues de Polynice, fils d'OEdipe, et de tous les chefs qui furent tués avec lui en combattant devant les murs de Thèbes. Eschyle n'en compte que sept, mais il y en avait bien davantage, soit d'Argos, soit de la Messénie; il en était même venu quelques-uns de l'Arcadie. Les Argiens se sont conformés à la tragédie d'Eschyle. On voit auprès de ces sept statues celles des chefs qui prirent Thèbes, savoir : AEgialéus, fils d'Adraste; Promaque, fils de Parthénopaeus, fils de Talaüs; Polydore, fils d'Hippomédon; Thersandre; Alcméon et Amphiloque, fils d'Amphiaraüs; Diomède et Sthénélus. On comptait encore parmi ces chefs Euryalus, fils de Mécistée; Adraste, fils de Polynice et Timéas. A peu de distance de ces statues, vous voyez le tombeau de Danaüs, le cénotaphe des Argiens qui périrent soit au siège de Troie, soit en revenant dans leur pays, et le temple de Jupiter (Zeus) Sauveur. De là, vous passez à l'édifice où les femmes d'Argos vont pleurer la mort d'Adonis; le temple du Céphise est à droite de la porte de ce bâtiment. Les Argiens disent que Neptune (Poséidon) n'a pas fait disparaître entièrement les eaux de ce fleuve, et ils l'entendent couler sous terre, principalement à l'endroit où est ce temple. Vers le temple du Céphise, vous apercevez la tête de Méduse; elle est en marbre, et sortie, dit-on, des mains des Cyclopes. L'endroit qui est derrière se nomme encore maintenant Critérion (le tribunal); ce fut là, dit-on, qu'Hypermnestre fut jugée sur les poursuites de Danaüs. Le théâtre est à peu de distance de là; parmi d'autres objets qui fixeront votre attention, vous y remarquerez Périlaüs Argien, ôtant la vie à Othryades Spartiate. Ce Périlaüs, fils d' Alcénor, avait remporté précédemment le prix de la lutte aux jeux Néméens. Il y a au-dessus du théâtre un temple de Vénus (Aphrodite), et devant ce temple un cippe sur lequel on a représenté Télésille, femme célèbre par ses poésies lyriques : ses livres sont épars à ses pieds, et elle tient à la main un casque qu'elle regarde comme pour le mettre sur sa tête. Télésille jouissait déjà à d'autres égards de beaucoup de considération parmi les femmes d'Argos; elle était surtout célèbre par ses poésies, lorsque se passa l'événement que rappelle cette sculpture. Les Argiens avaient été malheureux au-delà de toute expression dans leur guerre contre les Lacédémoniens commandés par Cléomène, fils d'Anaxandride : les uns, en effet, avaient péri dans le combat, et ceux qui s'étaient réfugiés dans le bois Argos y avaient aussi perdu la vie : car on avait massacré ceux qui étaient sortis les premiers par capitulation, et les autres s'étant aperçu qu'on les trompait, ne voulurent plus sortir et furent tous brûlés avec la forêt. Argos se trouvant ainsi sans défenseurs, Cléomène y conduisit les Lacédémoniens, mais Télésille ayant rassemblé les esclaves et tous ceux que leur jeunesse ou leur âge avancé rendaient incapables de porter les armes, les fit monter sur les murs. Ayant ensuite ramassé tout ce qui restait d'armes dans les maisons, et celles que renfermaient les temples, elle les fit prendre aux femmes qui étaient dans la force de l'âge, et rangea celles-ci en bataille à l'endroit par ou elle savait que les ennemis devaient arriver. Les Lacédémoniens s'étant présentés, elles ne s'effrayèrent point de leur cri de guerre, et soutinrent le choc avec la plus grande valeur. Alors les Lacédémoniens, considérant qu'une victoire remportée sur des femmes serait peu honorable pour eux, et qu'une défaite les couvrirait de honte, prirent le parti de se retirer. Ce combat avait été prédit par un oracle qu'Hérodote rapporte, soit que le sens lui en fût connu, soit qu'il l'ait ignoré. Lorsque les femmes victorieuses auront repoussé les hommes, et auront rempli Argos de leur gloire, alors beaucoup d'Argiennes, de douleur, se déchireront les joues. Voilà ce que dit cet oracle, relativement à cet exploit des femmes. [2,21] CHAPITRE XXI. En descendant du temple de Vénus (Aphrodite), pour retourner vers la place publique, on trouve le tombeau de Cerdo, femme de Phoronée, le temple d'Esculape et celui de Diane (Artémis), surnommée Pitho (la Persuasion), temple qu'Hypermnestre érigea, lorsqu'elle eut gagné le procès que son père lui avait intenté au sujet de Lyncée. On y voit aussi une statue d'Énée, en bronze, et une place nommé le Delta. La raison qu'on donne de cette dénomination ne me satisfaisant pas, je la passerai sous silence. Il y a devant cette place un autel de Jupiter (Zeus) Phyxius, et à peu de distance de cet autel, le tombeau d'Hypermnestre, mère d'Amphiaraüs, et celui d'Hypermnestre, fille de Danaüs : Lyncée est enterré avec cette dernière. En face de ces tombeaux est celui de Talaüs, fils de Bias. J'ai déjà parlé de Bias et de ses descendants. Le temple de Minerve (Athéna) Salpinx (trompette) a été, dit-on, érigé par Agéléon, qui passait pour fils de Tyrsénus, fils d'Hercule et de la Lydienne (Omphale). Tyrsénus fut l'inventeur de la trompette, Agéléon enseigna aux Doriens, que commandait Téménus, l'usage de cet instrument; c'est pour cela qu'on a donné à Minerve (Athéna) le surnom de Salpinx. Les Argiens disent que le tombeau d'Épimenide est devant le temple de Minerve (Athéna); ils racontent que les Lacédémoniens, dans une guerre contre les Gnossiens, prirent Épimenide vivant, et le tuèrent, parce qu'il ne leur faisait que des prédictions sinistres : les Argiens, ayant enlevé son corps, l'enterrèrent dans cet endroit. L'édifice en marbre blanc, qui est au milieu de la place publique, n'est point un trophée relatif à Pyrrhus, roi d'Épire, comme le disent les Argiens; il serait plus raisonnable de le regarder comme un monument qu'on aurait érigé à ce prince, à l'endroit où son corps fut brûlé, car on y voit sculptés toutes les machines qu'il employait à la guerre, et les éléphants dont il se servait. Cet édifice fut construit à la place où était son bûcher, et ses os sont dans le temple de Cérès (Déméter), vers lequel il fut tué, comme je l'ai dit dans la description de l'Attique. Son bouclier d'airain est à l'entrée de ce temple de Cérès (Déméter), au-dessus des portes. Sur la place publique d'Argos, à peu de distance de l'édifice dont je viens de parler, se trouve une éminence de terre qui renferme, dit-on, la tête de la Gorgone Méduse. Indépendamment des fables, voici ce qu'on raconte de Méduse. Elle était fille de Phorcus, après la mort duquel elle devint reine des peuples des environs du lac Tritonis; elle commandait les Libyens lorsqu'ils allaient à la chasse ou à la guerre, et marcha à leur tête à la rencontre de Persée, qui avait avec lui quelques troupes d'élite du Péloponnèse. Elle fut tuée par trahison durant la nuit, et, quoiqu'elle fût morte, Persée fut tellement frappé de sa beauté, qu'il lui coupa la tête pour la faire admirer aux Grecs. Proclès, Carthaginois, fils d'Eucrate, croit la tradition suivante plus vraisemblable que la première. Les déserts de la Libye produisent beaucoup de monstres dont l'existence paraît incroyable à ceux qui en entendent parler. On y trouve, entre autres, des hommes et des femmes sauvages, et Proclès assura avoir vu un de ces hommes qu'on avait amené à Rome. Il conjecture donc qu'une femme de cette espèce s'étant égarée, vint aux environs du lac Tritonis, dont elle désolait les habitants, jusqu'à ce que Persée l'eût tuée. Comme cette contrée est consacrée à Minerve (Athéna), le bruit se répandit que cette déesse avait aidé Persée dans son entreprise. Vous remarquerez dans Argos, vers le monument de la Gorgone, le tombeau de Gorgophone, fille de Persée. Son nom s'expliqua de lui-même. Elle est, à ce qu'on dit, la première femme qui ait eu deux maris, ayant épousé OEbalus après la mort de Périérès, fils d'Éole, son premier mari. Avant elle, il était d'usage que les femmes restassent veuves lorsqu'elles avaient perdu leurs époux. Devant ce tombeau est un trophée de marbre érigé en mémoire de la défaite d'un Argien nommé Laphaès, qui, ayant usurpé la tyrannie, (je rapporte ce que disent les Argiens eux-mêmes), fut chassé par le peuple qui s'était soulevé contre lui. Il s'enfuit à Sparte, et les Lacédémoniens cherchèrent à le rétablir; mais ils furent défaits par les Argiens, qui tuèrent dans le combat Laphaès et la plupart des Lacédémoniens. Le temple de Latone n'est pas loin de ce trophée; sa statue est un ouvrage de Praxitèle. La jeune fille qu'on voit auprès de la déesse, est, à ce qu'on dit, Chloris, l'une des filles de Niobé. Elle s'appelait d'abord Mélibée. Quand Apollon et Diane (Artémis) tuèrent les enfants d'Amphion, elle fut épargnée, ainsi qu'Amycla, sa soeur; et elles durent toutes deux la vie aux prières qu'elles adressèrent à Latone. Mais la frayeur dont Mélibée fut saisie lui occasionna sur-le-champ une pâleur qu'elle conserva jusqu'à la fin de ses jours; ce qui lui fit donner le nom de Chloris (blême), au lieu de celui qu'elle portait auparavant. Les Argiens attribuent à ces deux soeurs la première fondation de ce temple de Latone : mais comme Homère me paraît mériter beaucoup plus de confiance qu'on ne lui en accorde ordinairement, je ne crois pas qu'aucun des enfants de Niobé ait échappé à la colère des enfants de Latone. Ce poète dit, en effet, en parlant d'Apollon et de Diane (Artémis) : quoiqu'ils ne fussent que deux, ils les firent tous périr. Il savait donc que la famille d'Amphion avait été entièrement détruite. [2,22] CHAPITRE XXII. A droite du temple de Latone, est celui de Minerve (Héra) Anthéa, devant lequel on voit le tombeau des femmes qui furent tuées dans un combat contre Persée et les Argiens. Ces femmes, qui faisaient partie de l'armée de Dionysos, venaient des îles de la mer Égée; c'est pour cela qu'on les nomme Haliae (femmes marines). A l'opposite de leur tombeau est le temple de Cérès (Déméter), surnommé Pélasgie, parce qu'il a été érigé par le fils de Triopas, Pélasgus, dont le tombeau est à peu de distance de ce temple. Au-delà de ce tombeau est un petit édifice en bronze sur lequel sont placées les statues de Diane (Artémis), Jupiter (Zeus) et Minerve (Athéna), ouvrages anciens. Lycias dit dans ses vers que ce Jupiter (Zeus) est surnommé Méchanéus (l'inventeur); et c'est là que les Argiens avant d'aller au siège de Troie, jurèrent de continuer la guerre jusqu'à ce que cette ville fût prise, ou qu'ils eussent tous perdu la vie en combattant. D'autres disent que ce monument en bronze renferme les os de Tantale, fils de Thyeste ou de Brotéus (car on dit l'un et l'autre), qui avait été le premier mari de Clytemnestre. Je veux bien que ce soit le tombeau de ce Tantale; quant à celui de Tantale, fils de Jupiter (Zeus) et de Pluto, il est à Sipyle, où je l'ai vu moi-même, et il mérite d'être remarqué; Tantale, d'ailleurs ne se vit point dans la nécessité d'abandonner Sipyle, comme le fit dans la suite Pélops, son fils, qu'Ilus le Phrygien vint attaquer à la tête d'une armée. Mais en voilà bien assez sur cet article. Les cérémonies qu'on fait dans la fosse voisine ont été instituées, dit-on, par un Nicostratus d'Argos. On y jette encore maintenant des flambeaux allumés en l'honneur de la fille de Cérès (Déméter). Le temple de Neptune (Poséidon) Prosclystius (inondateur) est dans le même endroit. Ce dieu, irrité de ce qu'Inachus et les Argiens avaient décidé que le pays appartenait à Junon (Héra), en inonda la plus grande partie; Junon (Héra) obtint cependant de lui qu'il fît retirer la mer, et les Argiens érigèrent un temple de Neptune (Poséidon) Prosclystius à l'endroit jusqu'où les flots s'étaient avancés. Vous trouvez un peu plus loin le tombeau d'Argus, qui passait pour fils de Jupiter (Zeus) et de Niobé, fille de Phoronée; et ensuite le temple des Dioscures. On y voit en un groupe leurs statues, celles d'Hilaire et de Phoebé, leurs épouses, et d'Anaxis et de Mnasinoüs, leurs fils. Elles sont d'ébène, de la main de Scyllis et Dipoenus. Les chevaux sont aussi d'ébène, à l'exception de quelques petites parties qui ont été faites en ivoire. Le temple d'Ilithye est voisin de celui des Dioscures; il fut érigé par Hélène, et voici à quelle occasion. Thésée étant allé dans la Thesprotie avec Pirithoüs, les Dioscures prirent Aphidna et ramenèrent Hélène à Lacédémone. Elle était enceinte, à ce que disent les Argiens; et ayant fait ses couches à Argos, elle y érigea ce temple à Ilithye. Elle confia la fille qu'elle avait mise au jour à Clytemnestre, qui était déjà mariée à Agamemnon, et elle épousa dans la suite Ménélas. Les poètes Euphorion de Chalcis et Alexandre de Pleuron, d'accord en ce point avec les Argiens, disent, comme Stésichore d'Himère l'avait écrit avant eux, qu'Iphigénie était fille de Thésée. Le temple d'Hécate est un peu plus loin que celui d'Ilithye; la statue en marbre de cette déesse est de Scopas; et des deux Hécate en bronze, placées vis-à-vis, l'une est de Polyclète, et l'autre de Naucydès, fils de Mothon, et frère de Polyclète. En suivant la route qui conduit directement au Gymnase Cylarabis qui a pris son nom du fils de Sthénélus, on trouve le tombeau de Licymnius, fils d'Électryon. Il fut tué, suivant Homère, par Tléptolème, qui était fils d'Hercule, et que ce meurtre fit exiler d'Argos. En vous écartant un peu de la rue qui conduit au Cylarabis et à la porte voisine, vous voyez le tombeau de Sacadas, qui joua le premier à Delphes le mode Pythique sur la flûte : cette haine qu'Apollon avait toujours conservée pour les joueurs de flûtes, depuis sa dispute avec le Silène Marsyas, cessa, dit-on, à l'occasion de Sacadas. On vous montre dans le Gymnase de Cylarabe la statue de Minerve (Athéna) Pania, le tombeau de Sthénélus et celui de Cylarabe lui- même. Le tombeau commun des Argiens, qui s'embarquèrent avec les Athéniens pour aller conquérir Syracuse et le reste de la Sicile, est à peu de distance du même Gymnase. [2,23] CHAPITRE XXIII. Au sortir de là, en prenant le chemin nommé le Chemin-Creux, on trouve à droite un temple de Bacchus (Dionysos) dont la statue vient, à ce qu'on dit, de l'Eubée. Les Grecs, à leur retour de Troie, ayant fait naufrage vers le promontoire Capharée, ceux des Argiens qui purent gagner la terre se virent bientôt pressés par le froid et la faim. Pour être délivrés de cette situation fâcheuse par quelque divinité, ils firent des prières, et aussitôt, ils aperçurent en avançant un peu, un antre consacré à Bacchus (Dionysos), où ce dieu avait une statue en bois, et où des chèvres sauvages s'étaient rassemblées pour se mettre à l'abri du froid. Les Argiens les ayant égorgées, vécurent de leur chair et se firent des vêtements de leur peau. Lorsque la mauvaise saison fut passée, ils raccommodèrent leurs vaisseaux et retournèrent dans leur patrie, emportant avec eux cette statue de Bacchus (Dionysos), qui est encore maintenant l'objet de leur vénération. Vous verrez tout auprès de ce temple la maison d'Adraste; un peu plus loin le temple d'Amphiaraüs, et vis-à-vis, le tombeau d'Ériphyle. Vous trouvez ensuite une enceinte consacrée à Esculape, et enfin, le temple de Baton, descendant de Mélampus, ainsi qu'Amphiaraüs, dont il conduisait le char dans les combats. Les Argiens ayant été mis en déroute devant les murs de Thèbes, Amphiaraüs, Baton et le char disparurent dans un gouffre qui s'ouvrit sous leurs pas. Au sortir du Chemin-Creux, vous trouvez un tombeau qui est, dit-on, celui d'Hyrnétho. Si c'est un Cénotaphe érigé pour honorer la mémoire de cette femme, les Argiens peuvent avoir raison; mais ils se trompent, s'ils croient que son corps y est renfermé, et ceux qui connaissent l'histoire d'Épidaure seront de mon avis. De tous les temples érigés à Esculape par les Argiens, le plus magnifique est celui où l'on voit maintenant un Esculape assis, en marbre blanc, et Hygiée debout auprès de lui. Xénophilus et Straton, qui ont fait ces statues, sont pareillement assis. Ce temple fut bâti, dans l'origine, par Sphyrus, fils de Machaon, et frère de cet Alexanor, à qui les Sicyoniens rendent un culte à Titane. Les Argiens honorent Diane (Artémis) Phéraea, ainsi que les Athéniens et les Sicyoniens, et ils disent de même que sa statue a été apportée de Phères dans la Thessalie. Voici quelques points sur lesquels je ne suis point d'accord avec les Argiens. Ils veulent que le tombeau de Déjanire, fille d'OEnée soit dans leur ville, ainsi que celui d'Hélénus, fils de Priam. Ils se prétendent aussi possesseurs de la statue de Minerve (Athéna), qu'on apporta de Troie, et de laquelle dépendait le sort de cette ville. Pour parler d'abord du Palladium, (c'est ainsi qu'on nommait cette statue), il est certain qu'il fut porté en Italie par Énée. Quant à Déjanire, on sait qu'elle mourut, non à Argos, mais à Trachine, et son tombeau est auprès d'Héraclée, au pied du mont OEta. Enfin, j'ai déjà dit, qu'Hélénus, fils de Priam, alla en Épire avec Pyrrhus, devint tuteur de ses enfants après avoir épousé Andromaque, sa veuve, et qu'une partie de l'Épire, prit de Cestrinus, son fils, le nom de Cestrine. Les exégètes d'Argos savent bien eux-mêmes que tout ce qu'ils disent n'est pas vrai; ils n'en continuent pas moins à le dire, tant il est difficile de faire revenir le peuple, sur ce qu'il a une fois adopté. Argos offre plusieurs autres choses qui méritent d'être vues; par exemple, un édifice souterrain où fut jadis cette chambre d'airain dans laquelle Acrisius gardait sa fille, chambre qu'enleva Périlaus, tyran des Argiens; ensuite le tombeau de Crotopus et le temple de Bacchus (Dionysos) Crétois. On raconte en effet que ce dieu, après avoir fait la guerre à Persée, se réconcilia avec lui; les Argiens lui rendirent alors de très grands honneurs, et lui firent don de l'enceinte où est ce temple. Il fut surnommé dans la suite, Crésius (le Crétois), parce qu'Ariane fut enterrée dans cette enceinte. Lycias dit, que lorsqu'on rebâtit ce temple pour la seconde fois, on y trouva un cercueil de terre cuite, qu'on crut celui d'Ariane. Ce cercueil avait, dit-il, été vu par lui et par beaucoup d'autres Argiens. Le temple de Vénus (Aphrodite) Uranie est voisin de celui de Bacchus (Dionysos). [2,24] CHAPITRE XXIV. La citadelle d'Argos a pris son nom de Larisse, fille de Pélasgus. On a aussi donné ce nom à deux villes de la Thessalie, l'une auprès de la mer, et l'autre sur les bords du fleuve Pénée. En montant à la citadelle, vous trouvez le temple de Junon (Héra) Acraea et celui d'Apollon qui fut bâti, dit-on, par Pythaeus, le premier qui soit venu de Delphes à Argos. La statue qu'on y voit maintenant est de bronze et représente le dieu debout; on le nomme Apollon Diradiotès, parce que cet endroit se nomme Diras (le col d'une montagne). On y prédit, encore maintenant, l'avenir de la manière suivante. La Prophétesse est une femme à qui le commerce des hommes est interdit : on sacrifie chaque mois, pendant la nuit, un agneau. A peine a-t-elle goûté du sang de la victime, que le dieu s'empare de ses sens et lui fait prédire l'avenir. Le temple de Minerve (Athéna) Oxyderco (à la vue perçante) est voisin de celui d'Apollon Diradiotès. Il a été érigé par Diomède, parce que, lorsqu'il combattait devant Troie, Minerve (Athéna) dissipa le brouillard qu'il avait devant les yeux. Dans le voisinage de ces deux temples, est le stade où se célèbrent les jeux Néméens en l'honneur de Zeus; et les jeux Héraeens en l'honneur de Junon (Héra). En allant à la citadelle, vous trouvez à gauche le tombeau des fils d'Égyptus. Il ne renferme que leurs têtes; les corps sont à Lerne dans un autre tombeau; car c'est à Lerne qu'ils furent tués, et lorsqu'ils furent morts, les Danaïdes leur coupèrent la tête pour faire voir à leur père, ce qu'elles avaient osé faire. Sur le sommet de Larisse vous remarquerez le temple de Jupiter (Zeus) Larisséen, qui n'a point de toit, et dont la statue en bois n'est plus sur sa base; et un temple de Minerve (Athéna) qui mérite d'être vu. Parmi d'autres offrandes s'y trouve un Jupiter (Zeus) en bois, qui, outre les deux yeux placés comme nous les avons, en a un troisième au milieu du front. C'était, à ce qu'on dit, le Jupiter (Zeus) Patroüs de Priam, fils de Laomédon : il était en plein air dans la cour de son palais, et ce fut vers son autel qu'il se réfugia lorsque Troie fut prise par les Grecs. Cette statue échut à Sthénélus, fils de Capanée, dans le partage du butin; c'est pour cela qu'on la voit dans ce temple. Voici probablement pourquoi on a donné trois yeux à ce Jupiter (Zeus). Tout le monde convient qu'il règne dans les cieux. Il règne aussi sous la terre, au moins à ce que dit Homère dans le vers suivant : Jupiter (Zeus) souterrain, et l'auguste Proserpine (Perséphone). Enfin, Eschyle fils d'Euphorion donne aussi le nom de Jupiter (Zeus) au dieu qui tient la mer sous son empire. Celui qui a ainsi représenté Jupiter (Zeus) avec trois yeux, à donc voulu donner à entendre que c'est la même divinité qui gouverne les trois parts dont se compose l'empire du monde. Plusieurs routes conduisent d'Argos dans diverses parties du Péloponnèse. A droite de celle qui mène à Tégée en Arcadie, se trouve le mont Lyconé, qui est tout couvert de très beaux cyprès. On a bâti sur son sommet un temple de Diane (Artémis) Orthia; il est orné de statues en marbre blanc qui représentent Apollon, Latone, et Diane (Artémis); elles sont, à ce qu'on dit, de la main de Polyclète. En descendant de cette montagne, vous trouvez à gauche de la grande route un autre temple de Diane (Artémis). Un peu plus loin, à droite, est le mont Chaon, dont le bas est planté d'arbres cultivés. C'est là que le fleuve Érasinus commence à paraître; mais sa source est bien plus loin, car il vient du lac Stymphale dans l'Arcadie, de même que les Rheiti, qui paraissent vers Éleusis et se jettent dans la mer voisine, viennent de l'Euripe. On offre des sacrifices à Bacchus (Dionysos) et à Pan vers l'endroit de la montagne où l'Érasinus sort de la terre, et on y célèbre en l'honneur de Bacchus (Dionysos) une fête nommée Tyrbé. En reprenant le chemin de Tégée, à droite de ce qu'on nomme le Trochus, vous trouvez Cenchrées : on ne dit pas de qui cet endroit a pris son nom; il est possible que ce soit aussi de Cenchrias, fils de Pyrène. On y voit le tombeau commun des Argiens qui défirent les Lacédémoniens auprès d'Hysies. Ce combat, d'après mes calculs, se livra sous l'archontat de Pisistrate en la quatrième année de l'Olympiade, où Eurybote remporta le prix de la course du stade. En descendant tout à fait au bas de la montagne, vous voyez les ruines d'Hysies, qui était jadis une ville de l'Argolide vers laquelle on dit que les Lacédémoniens éprouvèrent cet échec. [2,25] CHAPITRE XXV. La route d'Argos à Mantinée n'est pas la même que celle d'Argos à Tégée; car elle part des portes vers le Diras. Il y a sur cette route un temple double avec deux entrées, l'une au levant et l'autre au couchant. On voit une statue en bois de Vénus (Aphrodite) dans la première partie, et une statue de Mars (Arès) dans l'autre. Elles sont, à ce qu'on dit, une offrande de Polynice et de ceux des Argiens qui avaient pris les armes pour le venger. Au partir de là, après avoir traversé le torrent nommé Charadrus, vous arrivez à OEnoé, bourg, qui, suivant les Argiens, a pris son nom d'OEnée, roi d'Étolie. Ce prince, ayant été chassé de ses états par les fils d'Agrius, se rendit à Argos vers Diomède, qui le reconduisit à Calydon avec une armée, et le vengea de ses ennemis; mais, ne pouvant pas rester avec lui, il lui proposa de revenir à Argos. OEnée y consentit, et Diomède eut pour lui tous les égards qu'il lui devait comme à son aïeul paternel, et lui donna, lorsqu'il fut mort, la sépulture en cet endroit. C'est donc d'OEnée que ce bourg a pris son nom. Au dessus d'OEnoé s'élève le mont Artémision, sur le sommet duquel est un temple de Diane (Artémis). Les sources du fleuve Inachus sont dans cette montagne; c'est bien là réellement que ce fleuve prend sa source, quoiqu'il ne sorte pas beaucoup d'eau de la terre. Voila tout ce que cette montagne offre de remarquable. Une autre route qui part aussi des portes voisines de Diras, vous conduit à Lyncée. C'est dans cette ville que s'enfuit Lyncée, lorsque, seul des cinquante fils d'Égyptus, il eut échappé à la mort. Arrivé dans ce lieu, il éleva une torche en l'air, comme il en était convenu avec Hypermnestre, pour lui faire savoir qu'après s'être tiré des mains de Danaüs, il s'était mis en sûreté. Hypermnestre en éleva aussi une de Larisse pour lui apprendre qu'elle était elle-même hors de danger : et les Argiens célèbrent tous les ans la fête des torches en mémoire de cet événement. Cette ville prit alors le nom de Lyncée; mais Lycrus, fils naturel d'Abas, étant venu dans la suite s'y établir, on la nomma Lyncée. Parmi d'autres choses qui ne méritent pas qu'on en parle, ses ruines vous offrent un cippe sur lequel Lyrcus est représenté. Elle est à soixante stades ou environ d'Argos et à la même distance d'Ornéus. Elle était déjà déserte à l'époque de la guerre de Troie, et c'est pour cela qu'Homère n'en parle pas dans le catalogue, mais il nomme Ornéus, qui existait encore, et il la place dans l'Argolide, avant Phlionte et Sicyone, ce qui est effectivement sa situation. Cette ville avait pris son nom d'Ornéus, fils d'Érechthée. Cet Ornéus eut pour fils Pétéus, père de Ménesthée, qui, à la tête des Athéniens, concourut avec Agamemnon à renverser le trône de Priam. Les Argiens forcèrent dans la suite les Ornéates à abandonner leur ville, et à venir habiter Argos avec eux. A Ornéus, on voit deux temples; l'un est consacré à Diane (Artémis), il renferme une statue en bois, la déesse est représentée debout. L'autre est érigé à tous les dieux ensemble. La Sicyonie et la Phliasie sont limitrophes d'Ornées. En allant d'Argos à Épidaure, on trouve à droite du chemin un édifice qui ressemble beaucoup à une pyramide : on y voit des boucliers de la forme de ceux des Argiens. C'est là, dit-on, que se livra le combat entre Proetus et Acrisius au sujet de la couronne. La victoire fut indécise, et ces deux princes ne pouvant avoir aucun avantage réel l'un sur l'autre, firent la paix. Ils étaient armés de boucliers eux et leurs troupes, et c'est, dit-on, la première fois qu'on s'en soit servi. Comme ceux qui avaient été tués de part et d'autre étaient du même pays et unis par les liens du sang, on leur érigea un tombeau commun sur le champ de bataille. Un peu plus avant, en vous détournant à droite, vous trouvez les ruines de Tirynthe. Les Argiens forcèrent aussi les Tirynthiens à abandonner leur ville pour venir demeurer avec eux et rendre Argos plus peuplé. Le héros Tiryns, dont cette ville a pris le nom, était, à ce qu'on dit, fils d'Argos, fils de Jupiter (Zeus). Il ne reste de Tirynthe que les murs, qui sont l'ouvrage des Cyclopes. Ils sont construits de pierres brutes, toutes d'une telle dimension, que deux mulets attelés n'ébranleraient même pas la plus petite. Les interstices sont remplis de petites pierres qui servent de liaison aux grosses. En descendant vers la mer, vous trouvez les chambres des filles de Proetus. Reprenant ensuite la grande route, vous voyez Midée, à votre gauche. C'est-là que régnait, dit-on, Électryon, père d'Alcmène. Il ne reste plus de cette ville que la place où elle était bâtie. En prenant la route directe d'Épidaure, vous trouvez Lessa, bourg où il y a un temple d'Athéna et une statue en bois qui ne diffère en rien de celle qu'on voit à Larisse, citadelle d'Argos. Au dessus de Lessa s'élève le mont Arachnaeon, qui prit ce nom sous Inachus, au lieu de celui de Sapyselaton qu'il portait anciennement, il y a sur ce mont les autels de Jupiter (Zeus) et de Junon (Héra), où l'on offre des sacrifices lorsqu'on a besoin de pluie. [2,26] CHAPITRE XXVI. Avant d'arriver à la ville d'Épidaure, vous trouvez le temple d'Esculape. Je ne sais pas par qui cette contrée était habitée avant qu'Épidaurus vînt y demeurer. Les Épidauriens eux-mêmes n'ont pas su m'indiquer les descendants d'Épidaurus, et ils assurent que, lorsque les Doriens vinrent dans le Péloponnèse, ils avaient pour roi Pityrée, l'un des descendants d'Ion, fils de Xouthus; ils ajoutent que Pityrée livra le pays sans combat à Deiphonte et aux Argiens, et se rendit avec ses sujets dans l'Attique, où il s'établit. Deiphonte et les Argiens s'emparèrent ainsi d'Épidaure, mais après la mort de Téménus, ils se séparèrent du reste des Argiens, Deiphonte et Hyrnétho par haine pour les fils de Téménus, et l'armée qu'ils avaient avec eux, parce qu'elle tenait beaucoup plus à Hyrnétho et à son époux, qu'à Cisus et à ses frères. Épidauros, qui a donné son nom au pays, était fils de Pélops, à ce que disent les Éléens; mais suivant les Argiens et le poème intitulé "Megalai Eoiai", il avait pour père Argus, fils de Jupiter (Zeus). Les Épidauriens disent qu'il était fils d'Apollon. Ce pays est spécialement consacré à Esculape, et voici, selon les Épidauriens, à quelle occasion. Phlégyas vint dans le Péloponnèse, sous prétexte de voir le pays, mais c'était réellement pour connaître le nombre des habitants, et pour savoir s'il y en avait beaucoup en état de porter les armes; car Phlégyas était l'homme le plus belliqueux de son temps; et dans les incursions qu'il faisait à chaque instant de côté et d'autre, il enlevait les récoltes et emmenait les bestiaux. Lorsqu'il vint dans le Péloponnèse, il avait avec lui sa fille dont il ignorait encore la grossesse. Elle accoucha dans le pays des Épidauriens d'un enfant dont Apollon était le père, et elle l'exposa sur le mont qu'on nomme maintenant Tithion (le Téton) et qui se nommait alors Myrtium. Une des chèvres qui paissaient sur cette montagne, lui donnait à téter, et le chien qui gardait ces chèvres, veillait à sa sûreté. Aresthanas (c'était le nom du berger) s'étant aperçu qu'il lui manquait une chèvre, et que son chien avait quitté le troupeau, ne négligea rien pour découvrir leur retraite; il trouve l'enfant, veut l'emporter : mais lorsqu'il s'approche de lui, il le voit éclatant de lumière, reconnaît qu'il y a là quelque chose de divin, et s'éloigne. Aussitôt la renommée annonça par tout le monde qu'aucune maladie ne résistait à cet enfant, et qu'il ressuscitait même les morts. On raconte encore cela d'une autre manière. Coronis étant grosse d'Esculape, eut commerce avec Ischys, fils d'Élatus, Diane (Artémis) l'ayant tuée pour venger l'injure faite à son frère, on la mit sur un bûcher, et le feu y était déjà, lorsque Mercure (Hermès) enleva l'enfant du milieu des flammes. Une troisième tradition fait Esculape fils d'Arsinoé, fille de Leucippe; mais elle me paraît la moins croyable. En effet, Apollophane, Arcadien, étant allé à Delphes, demanda à l'Oracle si Esculape était fils d'Arsinoé et si les Messéniens pouvaient le regarder comme leur concitoyen. La Pythie répondit : O toi dont la naissance a fait le bonheur du genre humain, divin Esculape ! l'aimable Coronis, fille de Phlégyas, t'a conçu dans mes embrassements, et t'a donné le jour dans les champs pierreux d'Épidaure. Cet oracle prouve évidemment qu'Esculape n'était point fils d'Arsinoé, et que cette dernière tradition est de l'invention d'Hésiode ou de quelqu'un de ceux qui ont intercalé des vers dans ses ouvrages pour plaire aux Messéniens. Une autre preuve que ce dieu est né à Épidaure, c'est que les temples les plus célèbres d'Esculape tirent tous leur origine de cette ville; car les Athéniens, qui prétendent avoir admis Esculape aux mystères, donnent le nom d'Epidauria au jour où il fut initié, et ils ajoutent, qu'ils lui rendent les honneurs divins depuis cette époque. Archias, fils d'Aristaechmus ayant été guéri à Épidaure d'une luxation qu'il s'était faite en chassant aux environs du Pindasus, apporta le culte de ce dieu à Pergame; culte qui de là est passé à Smyrne, où de mon temps, on a érigé à Esculape un temple auprès de la mer. C'est aussi d'Épidaure que ce dieu a été porté à Balanagres dans la Cyrénaïque, où on l'honore sous le nom d'Esculape le médecin. De Cyrène, ce culte a passé à Lebène, dans l'île de Crète. La seule différence qu'il y ait entre les Cyrénéens et les Épidauriens, c'est que les premiers lui sacrifient des chèvres, ce qui n'est point d'usage à Épidaure. La divinité d'Esculape fut reconnue dès l'origine, et sa réputation ne tarda point à s'établir. Entre autres témoignages, je peux le prouver par celui d'Homère, chez qui Agamemnon dit en parlant de Machaon : Talthybius, vas au plus vite chercher Machaon, le fils mortel d'Esculape; comme s'il disait, cet homme, fils d'un dieu. [2,27] CHAPITRE XXVII. Le bois sacré d'Esculape est entouré de montagnes de tous les côtes. On ne laisse mourir personne dans l'enceinte sacrée, et on ne permet pas que les femmes y accouchent, ce qui s'observe également à Délos. Tout ce qui est offert en sacrifice, soit par un étranger, soit par un Épidaurien, doit être consommé dans l'intérieur, des limites sacrées. Il en est de même à Titané. La statue d'Esculape est moins grande de moitié que le Jupiter (Zeus) Olympien d'Athènes. Elle est toute en or et en ivoire, et on voit par l'inscription qu'elle a été faite par Thrasymède, fils d'Arignotus et natif de Paros. Le Dieu est assis sur un trône; il tient un bâton d'une main, touche de l'autre la tête d'un serpent; un chien est couché auprès de lui. Sur son trône, le sculpteur a représenté les exploits les plus mémorables des héros Argiens, tel que le combat de Bellérophon contre la Chimère, et Persée coupant la tête de Méduse. Un peu au-delà du temple est l'endroit où dorment ceux qui viennent demander au Dieu leur guérison, et dans le voisinage s'élève un édifice rond en marbre blanc, nommé le Tholus, qui mérite d'être vu. Pausias y a peint l'Amour qui vient de jeter son arc et ses flèches, et qui prend une lyre à la place. En un autre tableau, il a représenté l'Ivresse buvant dans une coupe de verre. La coupe se distingue très bien, et le visage de la femme se voit à travers. Il y avait autrefois dans l'intérieur de l'enceinte un grand nombre de cippes, il n'en reste plus maintenant que six, sur lesquels sont inscrits des noms d'hommes et de femmes qu'Esculape a guéris; avec désignation de la maladie de chacun, et de la cure; le tout en dialecte dorien. Un autre cippe très ancien est placé dans un lieu particulier, et l'inscription qu'il porte nous apprend qu'Hippolyte consacra vingt chevaux au Dieu. La tradition des Ariciens s'accorde avec ce qu'on lit sur ce cippe : ils prétendent qu'Esculape ressuscita Hippolyte, qui avait perdu la vie par l'effet des imprécations de Thésée : Hippolyte, lorsqu'il eut revu le jour, ne voulut point pardonner à son père, et sans avoir égard aux supplications de Thésée, il se rendit en Italie chez les Ariciens, devint roi du pays, et y consacra à Diane (Artémis) une enceinte où l'on décerne encore maintenant un prix à celui qui sort vainqueur d'un combat singulier. Ce prix est le sacerdoce de la déesse; mais il n'est disputé que par des esclaves fugitifs, et aucun homme libre ne s'y présente. Il y a dans l'enceinte sacrée d'Épidaure un théâtre qui est, à mon avis, un ouvrage des plus admirables. Les théâtres de Rome surpassent en magnificence ceux de tous les autres pays; il n'en est point qui pour la grandeur se puisse comparer à celui de Mégalopolis en Arcadie; mais si l'on envisage l'ensemble de toutes les parties et l'élégance de la construction, quel architecte oserait se comparer à Polyclète, qui a construit ce théâtre ainsi que l'édifice rond dont j'ai parlé ? Vous verrez dans le bois sacré, le temple d'Artémis, la statue d'Épioné, le temple de Vénus (Aphrodite), celui de Thémis, un stade en terre rapportée et battue, comme la plupart des stades grecs, et une fontaine, dont on admire le toit et les autres embellissements. Un sénateur Romain nommé Antonin a depuis peu orné l'enceinte sacrée de divers édifices, qui sont, le bain d'Esculape, le temple des Dieux qu'on nomme Épidotes, celui d'Hygiée, ceux d'Esculape et d'Apollon surnommés Égyptiens. Le toit du portique qui porte le nom de Cotys était tombé et le reste de l'édifice qui est en briques crues s'en allait en ruines, c'est aussi Antonin qui l'a fait rétablir. Enfin, les Épidauriens qui habitent les environs du temple étaient très malheureux : nul abri où leurs femmes pussent accoucher; leurs malades allaient mourir en plein air; il y remédia en faisant bâtir un édifice où l'on porte les femmes en couche et les moribonds. Les montagnes qui dominent le bois sont le Tithium et le Cynortium. On voit sur ce dernier le temple d'Apollon Maléate, qui est un des anciens édifices du pays, mais tout ce qui l'entoure est l'ouvrage d'Antonin, ainsi que le réservoir ou se rassemblent les eaux du ciel. [2,28] CHAPITRE XXVIII. Tous les serpents, et principalement l'espèce qui est d'une couleur roussâtre, sont consacrés à Esculape, et ne font aucun mal aux hommes. Ces derniers ne sont connus que dans le pays d'Épidaure. D'autres pays ont aussi des animaux qui leur sont particuliers. On ne trouve que dans la Libye des crocodiles de terre ayant jusqu'à deux coudées de long. C'est de l'Inde seule qu'on apporte différentes choses, entre autres, des perroquets. Quant à ces serpents énormes qui ont trente coudées et plus de long, tels qu'on en trouve dans l'Inde et dans la Libye, les Épidauriens en font une espèce particulière de reptiles qu'ils distinguent des serpents. Si vous montez le mont Coryphaius, vous apercevrez sur la route un olivier qu'on nomme l'olivier tordu. On dit que c'est Héraclès qui lui a donné cette forme en le tordant avec ses mains. Était-ce pour marquer les bornes de l'Argolide et du pays des Asinéens? C'est ce que j'ignore, car le pays ayant été dépeuplé, il n'est plus possible de reconnaître positivement les limites, ni là, ni ailleurs. On voit sur le sommet de la montagne le temple d'Artémis Coryphaea dont Télésille parle dans ses vers. En descendant à la ville d'Épidaure, vous trouvez un champ planté d'oliviers sauvages; on le nomme l'Hyrnethium. Voici ce que les Épidauriens en disent, et ce me semble, avec assez de vraisemblance. Cisus et les autres fils de Téménos savaient que le plus grand chagrin qu'ils pussent faire à Deïphonte, était de le séparer d'Hyrnétho par quelque moyen que ce fût; Agraeus, le plus jeune d'entre eux, ne voulut prendre aucune part à ce complot : ses frères Cérynès et Phalces vinrent donc à Épidaure, et laissant leur char sous les murs, ils envoyèrent un héraut prier leur tour de venir leur parler, Hyrnétho s'étant rendue à cette invitation, ils lui dirent beaucoup de mal de Deïphonte, et la supplièrent de revenir avec eux à Argos, lui promettant entre autres avantages un époux meilleur à tous égards que Deïphonte, et qui règnerait sur un pays plus riche et plus peuplé. Hyrnétho, irritée de ces propos, leur rendit la pareille en disant qu'elle était très satisfaite de son mari, qu'il n'avait donné, comme gendre, aucun sujet de plainte à Téménus, dont ils devaient eux-mêmes passer pour les assassins bien plutôt que pour les fils. Sans lui répondre, ils la saisissent, la mettent sur leur char, et s'en vont. Quelqu'un des Épidauriens s'empressa d'informer Deïphonte que Cérynès et Phalcès emmenaient Hyrnétho malgré elle. A l'instant Deïphonte se mit à leur poursuite, et les Épidauriens, à la nouvelle de cette violence, accoururent à son secours. Il atteignit d'abord Cérynès qu'il tua d'un coup de lance; mais, comme Phalcès tenait Hyrnétho, il n'osa pas le frapper, de peur de le manquer et de tuer sa femme. Il le joignit donc corps à corps en cherchant à la lui arracher des mains : Phalcès ne voulant pas céder, la retint avec violence, et comme elle était enceinte, il la tua. Bientôt s'apercevant de ce qu'il vient de faire, il s'enfuit en grande hâte sur son char, pour prendre l'avance et échapper aux Épidauriens, qui se rassemblaient de toutes parts. Deïphonte et ses enfants (car il avait déjà eu d'Hyrnétho trois fils, Antimène, Xanthippe, Argius, et une fille nommée Orsobia, qui fût mariée dans la suite à Pamphyle, fils d'AEgimius) transportèrent le corps d'Hyrnétho dans ce champ qui prit avec le temps le nom d'Hyrnethium. Ils lui érigèrent un monument héroïque, et entre autres honneurs qu'ils lui décernèrent, ils statuèrent que personne ne pourrait emporter chez soi, ni employer à quelque usage que ce fût, les branches qui tomberaient, soit des oliviers sauvages, soit des autres arbres dont ce champ était planté, et qu'on les laisserait sur la place comme consacrées à Hyrnétho. On voit à peu de distance de la ville le tombeau de Mélisse, épouse de Périandre, fils de Cypsélus, et celui de Proclès, père de Mélisse, et tyran d'Épidaure, ainsi que Périandre son gendre était tyran de Corinthe. [2,29] CHAPITRE XXIX. Voici maintenant ce que la ville d'Épidaure elle-même offre de plus remarquable. C'est d'abord une enceinte consacrée à Esculape, avec sa statue et celle d'Épioné son épouse, à ce qu'on dit. Elles sont en marbre de Paros et en plein air. Il y a dans la ville un temple de Bacchus (Dionysos), un bois consacre à Diane (Artémis), où cette déesse est représentée en chasseuse, puis un temple de Vénus (Aphrodite), et auprès du port, sur un promontoire qui s'avance dans la mer, un temple que les gens du pays donnent pour dédié à Junon (Héra). Minerve (Athéna) surnommée Cisséenne, a dans la citadelle une statue en bois qui mérite d'être vue. L'île qu'habitent les Éginètes est en face de l'Épidaurie. On dit qu'elle ne fut pas peuplée dès son origine et qu'elle était encore déserte lorsque Jupiter (Zeus) y transporta Égine, fille d'Asopus, qui lui donna son nom au lieu de celui d'OEnone qu'elle portait auparavant. Éaque devenu grand, ayant demandé à Jupiter (Zeus) des habitants pour cette île, ce Dieu fit, dit-on, sortir, des hommes de la terre. Éaque est le seul qui soit connu pour avoir régné dans cette île, on sait en effet qu'aucun de ses fils n'y resta. Pélée et Télamon ayant été exilés à cause du meurtre de Phocus, et les fils de Phocus, ayant établi leur demeure aux environs du Parnasse, dans la Phocide actuelle, qui portait déjà ce nom lors qu'ils y vinrent; nom qu'elle avait reçu de Phocus, fils d'Ornytion, que la génération précédente avait vu s'y établir. Sous le règne de ce Phocus, la Phocide ne comprenait que les environs du Parnasse et de Tithorée; mais sous celui des enfants du fils d'Éaque, elle s'étendit jusqu'aux Minyens d'Orchomène et jusqu'à Scarphée dans la Locride. C'est de Pélée que descendaient les rois d'Épire. Quant aux fils de Télamon, Ajax n'ayant point été roi, ses descendants sont peu connus, à l'exception de Miltiade, qui commandait les Athéniens à Marathon et de Cimon son fils; mais ceux de Teucer régnèrent dans l'île de Chypre jusqu'à Évagoras. Suivant le poète Asius, Phocus eut deux fils, Panopéus et Crisus, et Panopéus fut père d'Épéus, qui construisit le cheval Dyrien, comme on le voit dans Homère. Pylade était fils de Strophius, fils de Crisus, et sa mère était Anaxabié, soeur d'Agamemnon. Voilà toutes les branches de la famille des Éacides; elles quittèrent dès les commencements l'île d'Égine pour aller s'établir ailleurs. Dans la suite des temps, des Argiens, du nombre de ceux qui s'étaient établis à Épidaure avec Deïphonte, passèrent dans l'île d'Égine, et s'étant mêlés avec les anciens Éginètes, leur firent adopter les moeurs et le langage des Doriens. La puissance des Éginètes s'accrut à un tel point, que leurs forces navales étaient supérieures à celles des Athéniens, et qu'après eux, ils furent ceux qui fournirent le plus de vaisseaux dans la guerre contre les Mèdes; mais cette puissance ne fut pas de longue durée. Chassés de leur île par les Athéniens, ils s'établirent à Thyrée dans l'Argolide, que leur donnèrent les Lacédémoniens. Ils revinrent dans leur île après que les vaisseaux des Athéniens eurent été pris vers l'Hellespont; mais ils ne recouvrèrent jamais la même puissance et la même prospérité. Égine est de toutes les îles grecques celle dont l'accès est le plus difficile, à cause des écueils et des roches cachées sous l'eau qui l'entourent de tous côtés. On dit que les environs de cette île furent disposés ainsi par Éaque, pour en rendre l'accès plus difficile aux ennemis, et se mettre à l'abri des pirates. Tout auprès de l'un des ports, savoir du plus fréquenté, se présente un temple de Vénus (Aphrodite). L'AEacium est dans l'endroit le plus apparent de la ville; c'est une enceinte carrée dont les murs sont en marbre blanc. On a représenté vers l'entrée de cette enceinte les députés que les Grecs envoyèrent jadis à Éaque. Les Éginètes s'accordent avec les autres grecs sur le sujet de cette ambassade. La Grèce était depuis longtemps désolée par la sécheresse, et il n'était tombé de la pluie ni dans les contrées en deçà de l'Isthme ni dans le Péloponnèse. Les Grecs envoyèrent consulter l'oracle de Delphes sur les causes de cette calamité et sur les moyens de la faire cesser : la Pythie leur dit d'apaiser Jupiter (Zeus), et que, pour que leurs prières fussent exaucées, il fallait qu'elles fussent faites par Éaque. Chaque ville envoya donc des ambassadeurs à ce prince, qui, après avoir offert des sacrifices et adressé des prières à Jupiter (Zeus) panhellénien, obtint de la pluie pour la Grèce; et les Éginètes placèrent à l'entrée de cette enceinte les figures de ceux qui étaient venus le trouver. Il y a dans cette enceinte des oliviers très anciens et un autel peu élevé. Cet autel est le tombeau d'Éaque, si l'on en croit une tradition secrète. Le tombeau de Phocus est près de l'AEacium, c'est un monceau de terre entouré d'un mur d'appui. On voit dessus, une pierre toute raboteuse. On dit que cette pierre servit de disque à Télamon et Pélée, qui avaient engagé Phocus à s'exercer au Pentathle avec eux. Pélée, quand son tour vint, la lança contre Phocus, et l'en frappa à dessein : ils se portèrent à cette action pour faire plaisir à leur mère, qui était fille de Sciron, tandis que celle de Phocus était une soeur de Thétis, au moins à ce que disent les Grecs. Ce fut, je pense, à cause de ce meurtre, et non pas seulement par amitié pour Oreste, que Pylade donna la mort à Néoptolème. Phocus étant mort du coup qu'il avait reçu, les fils d'Endéide montèrent sur un vaisseau et s'enfuirent. Télamon envoya dans la suite un héraut à son père pour demander à se justifier du meurtre de Phocus, mais Éaque ne permit point à Télamon de débarquer, et il lui ordonna de se justifier monté sur son vaisseau, ou, s'il l'aimait mieux, sur une jetée qu'il pouvait faire dans la mer. Télamon, étant entré de nuit dans ce qu'on nomme le port secret, y fit une jetée qui subsiste encore maintenant; mais ne s'étant pas justifié complètement du meurtre de Phocus, il s'embarqua une seconde fois pour Salamine. A peu de distance du port secret, est un théâtre qui mérite d'être vu; il ressemble beaucoup à celui d'Épidaure, pour la grandeur et pour le reste de la construction. Il y a derrière ce théâtre un stade dont l'un des côtés est appuyé au théâtre et lui sert lui-même d'appui. [2,30] CHAPITRE XXX. Au même endroit sont trois temples peu distants l'un de l'autre, et consacrés, le premier à Apollon, le second à Diane (Artémis), et le troisième à Bacchus (Dionysos). La statue d'Apollon est en bois et le représente nu; c'est un ouvrage du pays. Diane (Artémis) est vêtue, ainsi que Bacchus (Dionysos), et ce dernier est représenté avec une barbe. Le temple d'Esculape est dans un autre endroit; sa statue est en marbre et le représente assis. Hécate est de toutes les divinités celle que les Éginètes honorent le plus : ils célèbrent tous les ans les mystères d'Hécate qui ont été institués, disent-ils, par Orphée de Thrace. Son temple est dans une enceinte, sa statue en bois est l'ouvrage de Myron; elle n'a qu'un visage et qu'un seul corps. Alcamène, est, je crois, le premier qui ait imaginé de réunir trois statues d'Hécate en une seule; l'Hécate qu'il a faite ainsi est celle que les Athéniens nomment Épipyrgidia, elle est vers le temple de la Victoire sans ailes. Pour en revenir à Égine, en allant vers le mont de Jupiter (Zeus) Panhellénien, vous trouvez le temple d'Aphaea, sur laquelle Pindare a fait un hymne pour les Éginètes. Les Crétois (car les traditions sur cette déesse sont particulières à leur pays ) disent que Carmanor, qui purifia Apollon du meurtre de Python, avait un fils nommé Eubolus. De Jupiter (Zeus) et de Carmé, fille d'Eubolus, naquit Britomartis. Celle-ci se plaisant à la course, à la chasse, était fort chérie de Diane (Artémis), qui l'aimait beaucoup : mais un jour qu'elle voulait se soustraire aux poursuites de Minos, à qui elle avait inspiré de l'amour, elle se précipita dans des filets qu'on avait tendus pour prendre du poisson. Diane (Artémis) la fit déesse, et les Crétois l'adorent, les Éginètes révèrent aussi Britomartis, et disent qu'elle s'est fait voir dans leur île. Ils lui donnent le nom d'Aphaea, et les Crétois celui de Dictynne. Le mont Panhellenium n'offre rien de remarquable que le temple de Jupiter (Zeus) qui porte ce nom; on dit que c'est Éaque qui l'a fait bâtir. Quant à Auxésie et Damie, on sait que les Épidauriens, depuis longtemps privés de pluie, firent faire, d'après le conseil de l'Oracle, ces deux statues avec du bois d'olivier qui leur fut donné par les Athéniens. Les Épidauriens, ne portant plus à Athènes les offrandes qu'on avait exigées d'eux pour ce don, en rejetèrent la faute sur les Éginètes, qui leur avaient enlevé ces statues : ceux des Athéniens qui passèrent à Égine pour les reprendre, y perdirent la vie. Tout cela se trouve fort détaillé dans l'histoire d'Hérodote, et je n'ai pas le projet de répéter ce qui a déjà été si bien raconté : j'ajouterai seulement que j'ai vu ces deux statues, et que je leur ai sacrifié de la même manière à peu près, qu'on a coutume de le faire à Éleusis. Mais en voilà assez sur Égine, sur Éaque et sur ce qu'il a fait de remarquable. Les Trézéniens qui sont limitrophes de l'Épidaurie prétendent ne le céder à personne en antiquité, Orus, disent-ils, naquit le premier dans cette contrée; mais Orus me paraît un nom Égyptien et qui n'a jamais été grec. Ils ajoutent qu'il fut roi du pays, et lui donna le nom d'Oraea. Althépus, fils de Neptune (Poséidon) et de Léïs, fille d'Orus, ayant succédé à ce prince, changea le nom d'Oraea en celui d'Althépie. On dit que, sous son règne, Minerve (Athéna) et Neptune (Poséidon) eurent une contestation au sujet de cette contrée, et finirent par la posséder en commun, Jupiter (Zeus) l'ayant décidé ainsi. C'est pour cela que les Trézéniens adorent Minerve (Athéna) sous les noms de Poliade et de Sthénias, et Neptune (Poséidon) sous celui de roi; et que leurs anciennes monnaies portent d'un côté un trident, de l'autre une tête de Minerve (Athéna). Saron devint roi après Althépus. Ce fut lui, dit on, qui érigea le temple de Diane (Artémis) Saronide, sur les bords, d'une mer qui est très bourbeuse, surtout à sa superficie, de sorte qu'on la nomme le marais Phoebaéen. On raconte que Saron poursuivant un cerf du côté de la mer (car il se plaisait beaucoup à la chasse) s'y précipita après lui. Le cerf s'étant éloigné en nageant, Saron ne voulut pas lâcher prise, et se trouva ainsi porté dans la haute mer; comme il était déjà très fatigué, il fut submergé par les flots. Son corps ayant été jeté dans le bois sacré d'Artémis, vers le marais Phoebaéen, il fut enterré dans l'enceinte sacrée, et cette mer reçut le nom de Saronide, au lieu de celui de Phoebaéenne. On ne connaît pas les noms de ceux qui régnèrent ensuite jusqu'à Hypérès et Anthas, fils de Poséidon et d'Alcyone, fille d'Atlas. Ils fondèrent, à ce qu'on dit, les villes d'Hypérie et d'Anthia. Aétius, fils d'Anthas, ayant hérité des états de son père et de ceux de son oncle, donna le nom de Posidonie à la seconde de ces villes. Troezen et Pitthée étant venus chez Aétius, il y eut trois rois dans le pays, mais les fils de Pélops étaient les plus puissants : la preuve en est que Pitthée, après la mort de Troezen réunit les habitants d'Hypérie et d'Anthia dans la ville actuelle qu'il nomma Trézène, en mémoire de son frère. Les descendants d'Aétius, fils d'Anthas, partirent de Trézène, nombre d'années après, à la tête d'une colonie, et fondèrent dans la Carie, Halicarnasse et Myndos. Quant aux fils de Troezen, Anaphlystus et Sphéttus, ils allèrent s'établir dans l'Attique, ou deux bourgs ont pris leurs noms. Je ne dirai rien de Thésée, fils de la fille de Pitthée, son histoire étant suffisamment connue. Mais j'ajouterai encore quelque chose sur Tréezène. Après le retour des Héraclides, les Trézéniens reçurent parmi eux des Doriens d'Argos; auparavant les Trézéniens avaient été soumis aux Argiens : Homère dit en effet dans le catalogue des vaisseaux, qu'ils marchaient sons les ordres de Diomède : or, Diomède, et Euryale, fils de Mécistée commandaient les Argiens au siège de Troie, comme tuteurs de Cyanippe, fils d'AEgialéus, Sthénélus, comme je l'ai déjà dit, était d'une famille plus illustré, de celle des Anaxagorides, et nul n'avait plus de droits que lui au trône d'Argos. Voila tout ce que j'ai à dire des Trézéniens, en laissant de côté les villes dont ils se disent les fondateurs. Je vais passer maintenant à la description de leurs temples et des autres objets qu'ils montrent aux étrangers. [2,31] CHAPITRE XXXI. On voit sur la place publique de Trézène le temple et la statue de Diane (Artémis) Soteira. On dit que Thésée érigea ce temple et donna ce nom à la déesse à son retour de l'île de Crète où il avait vaincu Astérion, fils de Minos. De tous ses exploits celui-là lui paraissait le plus mémorable : non, ce me semble, que cet Astérion fût plus vaillant que les guerriers jusqu'alors tués par Thésée, mais parce que la difficulté de sortir du labyrinthe et de se retirer sans qu'on s'en aperçût, autorisèrent à dire que Thésée et ses compagnons devaient leur salut à la protection spéciale des dieux. On voit dans ce temple les autels des divinités qui passent pour régner sous la terre. Ce fut par là, dit-on, que Dionysos fit sortir Sémélé des Enfers, et qu'Hercule en amena le chien. Mais on ne me persuadera jamais que Sémélé ait pu mourir, étant épouse de Jupiter (Zeus); quant au chien des Enfers, je dirai ailleurs ce que j'en pense. Derrière ce temple est le tombeau de Pitthée, on voit dessus trois sièges de marbre blanc, sur lesquels Pitthée et deux autres avec lui s'assoyaient pour rendre la justice. Le temple des Muses n'est pas loin de là. Les Trézéniens disent qu'il a été bâti par Ardalus, fils de Vulcain (Héphaïstos), qui fut, ajoutent-ils, l'inventeur de la flûte, et les Muses ont pris de lui le nom d'Ardalides. Ils prétendent que Pitthée donnait des leçons d'éloquence dans ce temple, et j'ai lu moi-même un certain livre écrit par Pitthée, et publié par un habitant d'Épidaure. A peu de distance du Musée (ou temple des Muses) est un autel qu'on croit aussi érigé par Ardalus. Les Trézéniens y sacrifient aux Muses et au Sommeil, qui, suivant eux, est la divinité que les Muses aiment le mieux. Hippolyte a fait bâtir le temple d'Artémis Lycaea qu'on voit près du théâtre. Les exégètes n'ont pas su me dire l'origine de ce surnom d'Artémis, mais je crois qu'il vient de ce qu'Hippolyte avait purgé la Trézènie des loups qui l'infestaient; ou de ce que les Amazones, dont il descendait par sa mère, donnaient ce surnom à Diane (Artémis). Peut-être aussi a-t-il quelque autre origine que je ne connais pas. Devant ce temple est une pierre nommée la pierre sacrée, sur laquelle neuf Trézéniens, dit-on, purifièrent jadis Oreste du meurtre de sa mère. Non loin du temple de Diane (Artémis) Lycaea sont des autels peu distants les uns des autres et dédiés, l'un à Bacchus (Dionysos) surnommé Saotès (le sauveur) d'après un oracle; et le second aux déesses nommées les Thémis : c'est Pitthée, dit-on, qui l'a fait ériger. Le troisième, dédié au Soleil Éleuthère, est un hommage bien mérité que les Trézéniens rendirent à ce dieu, lorsqu'ils se virent à l'abri du joug de Xerxès et des Perses. Le temple d'Apollon Théarius a été construit, à ce qu'ils disent, par Pitthée; il est le plus ancien que je connaisse. Celui de Minerve (Athéna) chez les Phocéens de l'Ionie, qui fut brûlé jadis par Harpage le Mède, est à la vérité très ancien, de même que celui d'Apollon Pythien à Samos mais ils ont été tous deux bâtis bien longtemps après celui de Trézène; la statue qu'on y voit maintenant est une offrande d'Auliscus, et l'ouvrage d'Hermon de Trézène, qui a fait aussi les statues en bois des Dioscures. On voit sous le portique de la place publique, des femmes et des enfants en marbre; ce sont les femmes et les enfants, que les Athéniens confièrent à la garde des Trézéniens, lorsqu'ils jugèrent à propos d'abandonner leur ville, et de ne pas attendre les Mèdes qui venaient les attaquer avec leurs forces de terre. Ces femmes n'y sont pas toutes, car il y en aurait bien davantage, mais on y a seulement placé les plus distinguées par leur rang. Devant le temple d'Apollon est un édifice qu'on nomme la tente d'Oreste. Aucun Trézénien n'ayant voulu le recevoir chez lui avant qu'il eût été purifié du meurtre de sa mère, il fut logé dans cette maison où l'on prit soin de le nourrir, et de lui faire subir des purifications jusqu'à ce que son crime fût expié : encore maintenant, les descendants de ceux qui le purifièrent y font un repas, certains jours de l'année. Les choses qui avaient servi à le purifier furent enterrées à peu de distance de la tente d'Oreste, et il en sortit, dit-on, un laurier, qui se voyait encore de mon temps. Entre les différentes choses qui servirent à purifier Oreste, les Trézéniens citent l'eau de l'Hippocrène, car ils ont aussi une fontaine de ce nom, et ils en racontent l'origine de la même manière que les Béotiens, car ils disent que l'eau jaillit de la terre à l'endroit que le cheval Pégase avait frappé du pied. Bellérophon, suivant eux, était venu à Trézène, pour demander en mariage AEthra, fille de Pitthée, mais il fut exilé de Corinthe avant que le mariage fut célébré. Mercure (Hermès) Polygius a dans le même endroit une statue, contre laquelle Hercule posa sa massue : alors, suivant leur dire, cette massue, qui était d'olivier sauvage, prit racine et poussa des feuilles : le croira qui voudra, mais ils montrent encore l'olivier sauvage qui en est provenu. Hercule avait, disent-ils, coupé cette massue à un olivier sauvage trouvé par lui vers la mer Saronide. On voit aussi à Trézène un temple de Jupiter (Zeus) Soter, qu'Aétius, fils d'Anthas fit bâtir durant son règne, à ce que disent les Trézéniens. Ils donnent le nom de Chrysorhoas à un ruisseau, et ils racontent que la sécheresse ayant duré chez eux pendant neuf ans, sans qu'il tombât de pluie, tous les autres courants d'eau furent à sec, à l'exception du Chrysorhoas qui ne cessa point de couler. [2,32] CHAPITRE XXXII. Les Trézéniens possèdent une très belle enceinte consacrée à Hippolyte, fils de Thésée, avec un temple et une statue fort ancienne : c'est Diomède, disent-ils, qui a rendu tous ces honneurs à Hippolyte, et qui lui a, le premier, offert des sacrifices. Le prêtre d'Hippolyte, chez les Trézéniens, l'est pour toute sa vie, et lui offre tous les ans des sacrifices. Outre cela, chaque fille, avant de se marier, coupe une boucle de ses cheveux et va la porter en offrande dans son temple. Les Trézéniens ne veulent pas qu'Hippolyte soit mort traîné par ses chevaux, et ils ne montrent pas son tombeau, quoiqu'ils le connaissent bien. Ils prétendent que les dieux l'honorèrent en le plaçant dans le ciel, et qu'il est la constellation qu'on nomme le conducteur de chars. Dans l'intérieur de cette enceinte se trouve le temple d'Apollon Épibatérius, que Diomède érigea lorsqu'il eut échappé à la tempête qui dispersa les Grecs au retour de Troie, et ils disent que Diomède célébra le premier les jeux Pythiques en l'honneur d'Apollon. Quant à Damie et à Auxésie (car les Trézéniens leur rendent aussi un culte), ils ne racontent pas leur histoire de la même manière que les Épidauriens. C'était, suivant eux, deux vierges venues de l'île de Crète; étant arrivées à Trézène, au moment où tous les habitants de cette ville étaient divisés en factions, elles furent tuées à coups de pierres, par un des partis, et l'on célèbre en leur honneur une fête appelée Lithobolia {Lapidation}. Vers l'autre partie de l'enceinte, est un stade, qui porte le nom d'Hippolyte, et au-dessus duquel est élevé le temple d'Aphrodite, surnommée Catascopia {qui observe}, parce que c'était de là que Phèdre déjà éprise d'Hippolyte le regardait lorsqu'il se livrait aux exercices de la Gymnastique. C'est là que se voit le myrthe qui a toutes ses feuilles percées, et dont déjà j'ai parlé. Phèdre, dans son désespoir, et ne pouvant trouver aucun soulagement à sa passion, s'en vengeait sur les feuilles de ce myrthe. On vous montre aussi le tombeau de Phèdre, il n'est pas très éloigné de celui d'Hippolyte, qui est une butte de terre élevée exprès à peu de distance du myrthe. La statue d'Esculape est l'ouvrage de Timothée; les Trézéniens disent que c'est Hippolyte et non Esculape. J'ai vu aussi la maison d'Hippolyte, devant laquelle est une fontaine qui porte le nom d'Hercule, parce qu'elle a été découverte par ce héros, à ce que disent les Trézéniens. La citadelle renferme le temple de Minerve (Athéna) Sthénias : la statue en bois qui représente cette déesse est l'ouvrage de Callon d'Égine, élève de Tectaeus et d'Angelion, qui ont fait une statue d'Apollon pour les Déliens; ils étaient eux mêmes élèves de Dipoenus et de Scyllis. En descendant de là vous trouvez le temple de Pan Lyterius; ce surnom lui vient de ce qu'il fit connaître par un songe aux magistrats trézéniens les moyens de remédier à la famine qui les affligeait, ainsi que d'autres peuples, principalement les Athéniens. En traversant la Trézénie vous trouvez le temple d'Isis, et au-dessus de ce temple celui d'Aphrodite d'Ascra : ce dernier a été bâti par les Halicarnasséens, qui ont voulu par là honorer leur métropole. La statue d'Isis a été érigée par le peuple de Trézène. En prenant la route qui conduit a Hermione, par les montagnes, vous rencontrez la source du fleuve Hyllicus, qui se nommait jadis le Taurius; et la pierre qui porte le nom de Thésée; on la nommait auparavant l'autel de Zeus Sthénius, et elle changea de nom lorsque Thésée l'eut soulevée pour prendre l'épée et la chaussure qu'Égée avait cachées dessous. Le temple de Vénus (Aphrodite) Nymphéa est tout auprès de cette pierre, Thésée l'érigea après avoir épousé Hélène. Le temple de Neptune (Poséidon) Phytalmius, est aussi en dehors des murs. Les Trézéniens disent que ce dieu, irrité contre eux, rendait leur pays stérile, en laissant l'eau de la mer pénétrer jusqu'aux semences et jusqu'aux racines des plantes; ils le fléchirent par des prières et des sacrifices, et les eaux de la mer ne s'épanchèrent plus dans les terres. Au-dessus du temple de Neptune (Poséidon) est celui de Cérès (Déméter) Thesmophore qu'on prétend bâti par Althèpus. En descendant au port situé vers Célendéris dont il porte le nom, vous trouvez un endroit nommé Génethlium, où Thésée, dit-on, vit le jour. Il y a devant ce bourg un temple de Mars (Arès), Thésée ayant aussi défait les Amazones dans cet endroit. Ces Amazones faisaient sans doute partie de celles qui combattirent dans l'Attique Thésée et les Athéniens. En avançant vers la mer Psiphaea, on trouve un olivier sauvage nommé Rachos Streptos. Les Trézéniens donnent le nom de Rachos à tout olivier qui ne porte point de fruit, de quelque espèce qu'il soit; ils nomment celui ci Streptos (tordu), parce que les rênes des chevaux d'Hippolyte s'y étant entortillées, son char fut renversé. Le temple de Diane (Artémis) Saronia dont j'ai déjà parlé est à peu de distance de cet olivier; j'ajouterai seulement à ce que j'en ai dit, qu'on y célèbre tous les ans en l'honneur d'Artémis une fête nommée Saronia. [2,33] CHAPITRE XXXIII. Les Troezéniens ont plusieurs îles dont l'une est si près du continent qu'on peut y passer à pied. On la nommait d'abord Sphaeria, parce qu'elle renferme le tombeau de Sphaeros, qui passe pour avoir été le conducteur du char de Pélops : elle prit le nom d'Hiéra, et voici à quelle occasion. AEthra, d'après quelque songe venant d'Athéna, y passa pour offrir des libations sur le tombeau de Sphaeros, et c'est-là, dit-on, que Poséidon, eut commerce avec elle. Elle y érigea par cette raison, un temple à Athéna Apaturia (trompeuse), donna le nom d'Hiéra à l'île au lieu de celui de Sphaeria, et ordonna qu'à l'avenir les filles de Troezène iraient, avant de se marier, consacrer leur ceinture à Athéna Apaturia. Les Troezéniens disent que Calaurie était anciennement consacrée à Apollon, du temps que Delphes l'était à Poséidon, et que ces dieux firent un échange. Ils le disent encore, et citent l'oracle suivant : "qu'importe d'habiter Délos ou Calaurie, la sainte Pytho ou l'orageux Taenare? " Poséidon a dans cette île de Calaurie un temple très vénéré. La prêtresse est une jeune fille qui conserve sa place jusqu'à ce qu'elle soit en âge de se marier. Le tombeau de Démosthène est dans l'enceinte du temple; ce grand homme, et Homère avant lui, ont été deux exemples des plus mémorables de la jalousie de la divinité. Après avoir perdu la vue, pour comble de maux, Homère tomba dans l'indigence, et fut réduit à errer sur la terre en mendiant. Quant à Démosthène, qu'on avait exilé dans sa vieillesse, il fallut encore qu'une mort violente terminât sa carrière. Il s'est justifié très longtemps lui-même, il l'a été aussi par d'autres en ce qui concerne les richesses qu'Harpalos avait apportées de l'Asie, mais je vais rapporter ce qu'on à dit depuis. Harpalos, lorsqu'il s'enfuit d'Athènes, s'embarqua et passa dans l'île de Crète, où il fut tué peu de temps après par les esclaves qui le servaient : d'autres disent qu'il périt victime de la trahison d'un Macédonien, nommé Pausanias. L'esclave qui avait le soin de ses trésors s'étant enfui à Rhodes, y fut pris par Philoxène, Macédonien qui avait déjà demandé que les Athéniens lui livrassent Harpalos. Philoxène questionna cet esclave pour savoir les noms de tous ceux qui avaient reçu de l'argent d'Harpalos. Il écrivit ensuite aux Athéniens des lettres où il faisait l'énumération de ceux qu'Harpalos avait soudoyés, et des sommes distribuées à chacun d'eux : mais il ne nomme point Démosthène, qui était pourtant le plus grand ennemi d'Alexandre, et par qui Philoxène lui-même avait été personnellement offensé. On rend des honneurs à Démosthène dans différents lieux de la Grèce, entre autres à Calaurie. [2,34] CHAPITRE XXXIV. De la Trézènie dépend un Isthme, qui s'avance très loin dans la mer. On y trouve une petite ville nommée Méthane, bâtie sur le rivage même. Vous y remarquez un temple d'Isis, et sur la place publique les statues de Minerve (Athéna) et d'Hercule. Environ à trente stades de la ville sont des bains chauds. L'eau qui y vient ne parut, à ce qu'on dit, que sous le règne d'Antigone, fils de Démétrius roi de Macédoine. Elle ne parut pas tout à coup : on aperçut d'abord un grand feu qui fit en quelque sorte bouillonner la terre; il s'éteignit; et l'on vit couler une eau chaude, extrêmement salée, qui coule encore maintenant. Il n'y a point, dans le voisinage, d'eau froide où l'on puisse se jeter au sortir du bain, et il est dangereux de se baigner dans la mer, parce qu'elle est pleine de chiens et d'autres monstres marins. Voici, un fait qui m'a fort étonné. Le vent du sud-est qui vient du golfe Saronique, brûle ordinairement les bourgeons des vignes, quand il souffle au moment de leur pousse : dès qu'il commence à s'élever, deux hommes prennent un coq tout blanc, qu'ils coupent en deux. Ils en prennent chacun la moitié, partent en se tournant le dos, font le tour des vignes, et revenus à l'endroit d'où ils étaient partis, ils enterrent ce coq. C'est ainsi qu'ils préviennent les ravages de ce vent. On donne le nom d'îles de Pélops à neuf îles situées le long de la côte. Il y en a une où la pluie ne tombe jamais. C'est au moins ce qu'on dit à Méthane, car je n'ai pas vérifié le fait. J'ai cependant vu des hommes, qui détournent la grêle par des sacrifices et des paroles magiques. L'Isthme de Méthane fait partie du Péloponnèse. Hermione, ville limitrophe de Trézène, est dans la même presqu'île. Les Hermionéens prétendent que l'ancienne ville avait été fondée par Hermion, fils d'Europs, fils de Phoronée, Hérophane de Trézène dit qu'Europs était fils naturel de Phoronée; car, ajoute-t-il, si Phoronée avait eu un fils légitime, l'héritier de sa couronne n'eût point été Argus, fils de Niobé sa fille. Mais, quand même Europs aurait été fils légitime de Phoronée, il est évident que s'il était mort avant son père, son fils n'aurait pas osé disputer le trône à celui de Niobé, qui passait pour appartenir à Jupiter (Zeus). Les Doriens d'Argos s'établirent dans la suite à Hermione; je crois que ce fut sans combat, autrement les Argiens en parleraient. Il y a de Trézène à Hermione, une route qui passe vers la pierre nommée jadis l'autel de Jupiter (Zeus) Sthénius, et qui prit le nom de Thésée, après que ce héros eut enlevé les objets qu'elle recouvrait, et qui devaient le faire reconnaître. En suivant donc cette route, qui est à travers les montagnes, vous trouvez d'abord le temple d'Apollon Platanistius; ensuite Eileus, bourg remarquable par les temples de Cérès (Déméter) et de sa fille. Le temple de Cérès (Déméter) Thermésia est dans le voisinage de la mer sur les frontières de l'Hermionide; à quatre vingt stades de là, tout au plus, est le promontoire Scyllaeum qui a pris son nom de Scylla, fille de Nisus. Lorsqu'elle eut livré par trahison Nysée et Mégare à Minos, ce prince ne voulut plus l'épouser et ordonna aux Crétois de la jeter hors du vaisseau, les flots portèrent son cadavre sur ce promontoire : les gens du pays ne montrent point son tombeau, mais ils disent que son corps resta sans sépulture, et fut la proie des oiseaux de mer. En allant par mer de ce promontoire à la ville d'Hermione, on trouve un autre promontoire, nommé Bucéphale, et ensuite quelques îles. La première se nomme Haliuse, elle offre un port très commode : Pityuse est la seconde; et la troisième se nomme Aristerae. Après les avoir passées, vous arrivez à un promontoire nommé Colyergia, qui s'élève en avant du continent, puis à l'île Tricrana, enfin au mont Buporthmus, qui se présente dans la mer en tête du Péloponnèse. On a bâti sur ce mont un temple de Cérès (Déméter) et de sa fille, et un temple de Minerve (Athéna) surnommée Promachorma. Devant cette montagne est l'île Apéropia, et à peu de distance de cette île, celle qu'on nomme, Hydréa. A partir de cette dernière, le rivage forme un croissant. De là une plage s'étend jusqu'à Posidium; elle commence à la mer qui est au levant, et s'avance vers le couchant. Il y a des ports le long de cette plage; elle a environ sept stades de longueur, et sa plus grande largeur est de trois. C'est l'emplacement de l'ancienne ville des Hermionéens, et il y reste encore quelques temples. Celui de Neptune (Poséidon) est à l'entrée de la plage. En vous éloignant de la mer, pour aller sur les hauteurs, vous trouvez celui de Minerve (Athéna), et près de ce temple, les ruines d'un stade, où les fils de Tyndarée allaient, dit-on, s'exercer. On y voit un autre petit temple de Minerve (Athéna) dont le toit est tombé; un temple du Soleil, et un bois consacré aux Charites; un autre temple de Sérapis et d'Isis, et des enceintes entourées de pierres très grandes et choisies. Quelques cérémonies secrètes s'y font en l'honneur de Cérès (Déméter). C'est là tout ce qu'offre de remarquable l'ancienne Hermione. Quatre stades, au plus, séparent la ville actuelle, du Promontoire sur lequel est le temple de Neptune (Poséidon); la ville commence dans la plaine, et s'élève insensiblement avec le coteau, qui fait déjà partie du mont Pron, c'est ainsi qu'on nomme toute cette montagne. De toutes parts entourée de murs, Hermione renferme beaucoup de choses qui mériteraient d'être décrites, outre celles dont j'ai cru devoir parler. On y voit un temple de Vénus (Aphrodite), surnommée Pontia et Liménia, dont la statue en marbre blanc est très grande, et d'un travail admirable. Cette déesse a encore un autre temple à Hermione. Les Hermionéens lui rendent beaucoup d'honneurs; et il est d'usage, entre autres, que les filles, et même les veuves qui vont se marier, aillent avant leur mariage sacrifier dans ce temple. Les Hermionéens ont aussi deux temples de Cérès (Déméter) Thermésia; l'un, sur leurs confins du côté de la Trézènie, fut érigé lorsque le peuple était encore dispersé dans des bourgs; l'autre est dans la ville actuelle. [2,35] CHAPITRE XXXV. Le temple de Bacchus (Dionysos) Mélanaegide est tout auprès de ce dernier temple de Cérès (Déméter). Tous les ans s'y célèbrent des jeux, où l'on distribue des prix de musique, de nage, et de la course des barques. Vous voyez près de là le temple de Diane (Artémis), surnommée Iphigénie, et un Neptune (Poséidon) en bronze, qui a le pied sur un dauphin. Vous passez ensuite dans le temple de Vesta (Hestia), où il n'y a point de statue, mais seulement un autel, sur lequel on sacrifie à Vesta (Hestia). Là sont aussi trois temples et trois statues d'Apollon; le premier n'a point de surnom, on donne au second celui de Pythaeus, et celui d'Horius au troisième. Les Hermionéens ont appris des Argiens le surnom de Pythaeus; car Télésille dit que les Argiens furent les premiers que visita Pythaeus, fils d'Apollon. Quant au surnom d'Horius, je ne peux pas dire au juste quelle est son origine; je conjecture cependant qu'ayant eu avec leurs voisins quelques démêlés sur les limites, et les ayant terminés à leur avantage, soit par la voie des armes, soit par un jugement, ils auront à cette occasion décerné des honneurs à Apollon Horius. Le temple de la Fortune est, suivant les Hermionéens, le plus moderne de tous leurs temples. La statue de la déesse est un colosse en marbre de Paros. Ils ont deux fontaines dont l'une est très ancienne, on ne voit pas d'où l'eau y vient, elle ne tarit cependant jamais, et peut fournir aux besoins de toute la ville. L'autre a été bâtie de mon temps; sa source est dans un endroit nommé Limon. Le temple de Cérès (Déméter), sur le mont Pron, est ce qu'Hermione offre de plus remarquable. Les Hermionéens disent que ce temple a été bâti par Clyménus, fils de Phoronée, et par Chthonia sa soeur. Mais, suivant les Argiens, lorsque Cérès (Déméter) vint dans l'Argolide, Athéras et Mysius lui donnèrent l'hospitalité, tandis que Colontas ne voulut ni la recevoir dans sa maison, ni même lui rendre aucun honneur. Sa fille Chthonia n'approuva point cette conduite; aussi Colontas ayant été, disent-ils, brûlé avec toute sa maison à cause de son impiété, Chthonia fut transportée à Hermione par Cérès (Déméter) et y bâtit ce temple. Quoiqu'il en soit, on a donné le nom de Chthonia à la déesse elle-même, et on célèbre tous les ans, pendant l'été, une fête nommée Chthonia, ce qui se fait de la manière suivante. A la tête de la procession marchent les prêtres des Dieux et tous ceux qui sont revêtus de magistratures annuelles. Les hommes et les femmes viennent ensuite; les enfants eux-mêmes sont admis à honorer la déesse : ils figurent dans cette pompe vêtus de blanc, et portant sur la tête des couronnes faites avec la fleur, appelée dans le pays Cosmosandalum, dont la couleur, et la forme me semblent celles de l'Hyacinthe; on y voit aussi les lettres qui expriment la plainte. La procession est terminée par des gens conduisant une génisse choisie, qui, sauvage encore, et n'ayant pas subi le joug, s'agite dans les liens qui la retiennent. Lorsqu'on est arrivé au temple, ils détachent cette génisse et la poussent dedans; d'autres qui avaient tenu jusque là les portes ouvertes, les referment aussitôt qu'ils voient la génisse dans le temple, et elle est tuée par quatre vieilles femmes restées dans l'intérieur, dont la première venue lui coupe la gorge avec une faux. Alors les portes s'ouvrent, on introduit de la même manière, une seconde génisse, puis une troisième, même une quatrième; et toutes sont immolées pareillement, par ces vieilles femmes. Il se passe encore quelque chose de merveilleux dans ce sacrifice, c'est que toutes ces génisses tombent sur le même coté que la première. C'est ainsi que les Hermionéens font ce sacrifice. Devant le temple sont des statues en assez petit nombre; elles représentent les femmes qui ont été prêtresses de Cérès (Déméter). On voit dans l'intérieur, les sièges sur lesquels les vieilles femmes dont j'ai parlé attendent qu'on introduise les victimes; ainsi que les statues de Cérès (Déméter) et de Minerve (Athéna), qui ne sont pas très anciennes. Quant à celle qui est le principal objet de leur culte, je ne l'ai pas vue, et aucun homme, Hermionéen, ou étranger, ne peut la voir. Les vieilles femmes dont j'ai parlé, sont les seules qui sachent comment elle est faite. Vis-à-vis le temple de Chthonia il y en a un autre tout entouré de statues, il est consacré à Clyménus, et c'est là qu'on lui offre des sacrifices. Je ne crois pas qu'un Clyménus Argien soit jamais venu à Hermione, et ce nom est un de ceux qu'on donne au dieu qui passe pour régner dans les Enfers. Près de là est un temple dédié à Mars (Arès) avec la statue de ce dieu. Le portique d'Écho est à droite du temple de Chthonia. La voix de ceux qui y parlent, s'y répète trois fois au moins. Derrière le temple de Chthonia, on remarque trois places que les Hermionéens nomment, l'une la place de Clyménus, l'autre la place de Pluton (Hadès), et la troisième, le lac Achéron. Elles sont toutes trois entourées de murs de pierres, à hauteur d'appui. Il y a dans celle de Clyménus une ouverture par laquelle Hercule, disent les Hermionéens, amena le chien des Enfers. Le temple d'Ilithye est dans l'intérieur de la ville, vers la porte par laquelle on passe pour aller directement à Masès. Pour se rendre Ilithye favorable, tous les jours les Hermionéens lui prodiguent les sacrifices, les parfums, les offrandes : la vue de sa statue n'est cependant permise à personne, si ce n'est peut-être aux prêtresses. [2,36] CHAPITRE XXXVI. En prenant la route qui conduit directement à Masès, si vous tournez à gauche, après avoir marché sept stades, vous trouvez le chemin d'Halicé. Cette ville, déserte maintenant, était jadis habitée, et il est question d'Halicé sur les cippes des Épidauriens, dont les inscriptions nous apprennent les guérisons faites par Esculape. Je ne connais, du reste, aucun écrit digne de confiance, où il soit parlé de la ville d'Halice ou de ses habitants. La route qui y conduit passe entre le mont Pron et celui qui, connu anciennement sous le nom de Thornax, s'appela depuis Coccygium, parce que Jupiter (Zeus) s'y métamorphosa, dit on, en coucou. Jupiter (Zeus) a un temple au sommet de cette montagne, comme Junon (Héra) au sommet du Pron. Au bas du Coccygium est un autre temple, qui n'a plus ni portes, ni toit, ni statue. On dit qu'il était dédié à Apollon. Arrivé là, si vous quittez la grande route, vous trouvez un chemin qui vous conduit à Masès, ancienne ville dont parle Homère dans le catalogue des Argiens. Elle sert maintenant de port aux Hermionéens. En sortant de Masès, vous prenez le chemin à droite et vous allez au promontoire Stroythoynta (tête de moineau). Par les sommets des montagnes, la distance est de deux cents cinquante stades depuis ce promontoire jusqu'à Philanorium et Bolées : ce dernier nom désigne des tas de pierres choisies. De là, on compte vingt stades jusqu'à un autre endroit nommé Didyme, où l'on voit un temple d'Apollon, un temple de Neptune (Poséidon) et un temple de Cérès (Déméter). Leurs statues sont en marbre blanc, et les représentent debout. De ce lieu, vous passez à celui où était jadis Asiné, ville des Argiens, dont les ruines s'aperçoivent encore sur les bords de la mer. Les Lacédémoniens étant entrés dans l'Argolide avec une armée commandée par Nicandre, fils de Charillus, fils de Polydecte, fils d'Eunomus, fils de Prytanis, fils d'Eurypon. Les Asinéens se joignirent à eux pour ravager l'Argolide; mais, lorsque les Lacédémoniens se furent retirés, les Argiens, avec Ératos leur roi, allèrent attaquer Asiné. Les Asinéens se défendirent pendant quelques temps, et tuèrent plusieurs Argiens, entre autres Lysistrate, l'un des principaux; mais, voyant que leurs murs allaient être pris, ils s'embarquèrent avec leurs femmes et leurs enfants, et abandonnèrent leur ville. Les Argiens la rasèrent et en réunirent le territoire au leur, ils laissèrent cependant subsister le temple d'Apollon Pythaeus, qui se voit encore maintenant, et auprès duquel ils enterrèrent Lysistrate. Il n'y a pas plus de quarante stades d'Argos à la mer voisine de Lerne. En descendant à Lerne, vous trouvez d'abord sur la route l'Érasinus, qui se jette dans le Phrixos; et le Phrixos se perd lui-même dans la mer entre Téménium et Lerne. Prenant à gauche de l'Érasinus, après avoir fait à peu près huit stades, vous arrivez au temple des Dioscures. Leurs statues sont en bois, et de la même forme que celles qui sont dans la ville. Retournant à la grande route vous traversez l'Érasinus, et vous arrivez au fleuve Chimarrhus. Près de ce fleuve est une enceinte entourée de pierres; c'est par là, dit-on, que Pluton (Hadès), après avoir enlevé la fille de Cérès (Déméter), redescendit dans les états souterrains, dont on lui attribue l'empire. Lerne est, connue je l'ai déjà dit, sur les bords de la mer. On y célèbre en l'honneur de Cérès (Déméter) les mystères Lernéens. Le bois sacré commence au mont Pontinus. Les eaux de la pluie, au lieu de se perdre, se réunissent dans le sein de cette montagne, et il en sort un fleuve qui porte aussi le nom de Pontinus. On trouve sur le sommet de ce mont le temple de Minerve (Athéna) Saeitidé, dont il ne reste plus que les ruines; et les fondements de la maison d'Hippomédon, qui alla au siège de Thèbes avec Polynice, fils d'OEdipe. [2,37] CHAPITRE XXXVII. Le bois de platanes, qui commence à cette montagne s'étend presque partout jusqu'à la mer. Il est borné d'un côté par le fleuve Pontinus, et de l'autre par celui qui a pris le nom d'Amymone, l'une des filles de Danaüs. On voit dans ce bois la statue de Cérès (Déméter) Prosymna, une autre petite statue représentant Bacchus (Dionysos) et Cérès (Déméter) assis, le tout en marbre. Il y a dans un autre temple deux statues; l'une en bois, représentant Bacchus (Dionysos) Saotès assis; l'autre en marbre, c'est Vénus (Aphrodite) sortant de la mer. Cette seconde statue est, à ce qu'on dit, une offrande des filles de Danaüs, et c'est Danaüs lui-même qui a fait bâtir sur le mont Pontinus le temple de Minerve (Athéna). Les Argiens disent que les Mystères de Lerne ont été institués par Philammon; mais d'abord, il est évident que ce qui se dit de ces cérémonies secrètes, n'est pas ancien : quant à ce qui est écrit, dit-on, sur un coeur de cuivre jaune, Arriphon a découvert que cela n'était pas non plus de Philammon. Cet Arriphon, originaire de Triconis en Étolie, et de mon temps, l'un des personnages les plus marquants de la Lycie, avait une très grande sagacité à observer ce, qui n'avait frappé personne avant lui. Il a donc découvert que les vers et la prose mêlés ensemble qu'on lit sur ce coeur, sont en dialecte dorien; or, avant le retour des Héraclides dans le Péloponnèse, les Argiens parlaient le même langage que les Athéniens, et du temps de Philammon, le nom des Doriens n'était pas même, à ce que je crois, connu de tous les Grecs. Voilà ce qu'Arriphon a fait voir. La source de l'Amymone est ombragée par un platane sous lequel se tenait, dit-on, l'hydre de Lerne. Je crois sans peine que ce monstre était beaucoup plus grand que les hydres ordinaires, et que son venin était d'une nature si pernicieuse qu'Hercule empoisonna ses flèches en trempant leur pointe dans son fiel. Mais je pense qu'il n'avait qu'une tête, et c'est Pisandre de Camirus qui lui en a donné plusieurs pour le faire paraître plus terrible, et pour donner plus d'éclat à ses vers. J'ai vu aussi la fontaine qui porte le nom d'Amphiaraüs, et le lac Alcyonien, par où Bacchus (Dionysos), disent les Argiens, descendit aux Enfers pour en ramener Sémélé, sa mère; route qui lui avait été indiquée par Polymnus. Ce lac est d'une telle profondeur, que je ne connais personne qui ait pu par aucun moyen, parvenir à en trouver le fond. Néron lui-même ayant fait faire des cordes longues de plusieurs stades, les mit bout à bout, y attacha du plomb, et tout ce qu'il put imaginer de plus propre à faire réussir son expérience; en vain pourtant s'efforça-t-il d'atteindre le fond, il n'y put réussir. Voici encore ce qu'on m'a dit. L'eau de ce lac est toujours tranquille en apparence, et ne paraît jamais agitée; cependant ceux qui osent s'y baigner sont entraînés et engloutis dans l'abîme. Ce lac n'est pas considérable, car il n'a que le tiers d'un stade de circonférence. Ses bords sont couverts d'herbes et de joncs. Il ne m'est pas permis de divulguer ce qu'on y fait une fois par an, pendant la nuit, en l'honneur de Bacchus (Dionysos). [2,38] CHAPITRE XXXVIII. En allant de Lerne à Téménium (Téménium appartient aux Argiens; il a pris son nom de Téménos, fils d'Aristomaque, qui s'en étant emparé et l'ayant fortifié, s'en servait comme de place d'armes pour faire la guerre à Tisamène et aux Achéens), en allant donc à Téménium, on trouve l'embouchure du fleuve Phrixus dans la mer, et à Téménium même un temple de Neptune (Poséidon), un temple de Vénus (Aphrodite) et le monument de Téménus que les Doriens d'Argos honorent de leur culte. Nauplie est, je crois, à cinquante stades de Téménium. Elle est désertée maintenant. Elle avait eu pour fondateur Nauplius, qui passait pour fils de Neptune (Poséidon) et d'Amymone. Il reste encore des ruines de ses murs, un temple de Neptune (Poséidon) et une fontaine nommée Canathus. Les Argiens disent que Junon (Héra) recouvre tous les ans sa virginité en s'y baignant, ce qui est une tradition secrète des mystères qu'ils célèbrent en l'honneur de cette déesse. Je ne répéterai pas ce que les Naupliens disent d'un âne, qui en rongeant un cep de vigne, le rendit plus productif pour la récolte suivante, et de l'âne en pierre qu'on fit pour conserver la mémoire de celui qui avait enseigné l'art de tailler la vigne, tout cela ne méritant pas qu'on en parle. Une autre route, le long de la côte, vous conduit de Lerne à Genésium, où vous voyez, sur les bords de la mer, un petit temple de Neptune (Poséidon) Genésius. Ensuite se présente un autre endroit nommé Apobathmoi, c'est là que Danaüs, avec ses filles, mit pour la première fois le pied sur le territoire de l'Argolide. De là, prenant la route nommée Anigraea, qui est étroite et d'ailleurs assez peu praticable, vous laissez à votre gauche des champs qui s'étendent jusqu'à la mer, et qui sont très propres à la culture des arbres, surtout des oliviers. En remontant dans l'intérieur des terres vous trouvez le canton de Thyrée, dont la possession fut le sujet d'un combat entre trois cents Argiens, et trois cents Lacédémoniens, tous hommes d'élite qui se battirent sur les lieux mêmes. Tous ayant été tués à l'exception d'un Spartiate et de deux Argiens, on éleva des tombeaux aux morts sur le champ de bataille. Mais les Lacédémoniens, après avoir complètement vaincu les Argiens dans un combat général s'emparèrent de ce canton, qu'ils cultivèrent d'abord à leur profit, et qu'ils donnèrent dans la suite aux Éginètes, qui avaient été chassés de leur île par les Athéniens. La Thyréatide appartenait de mon temps aux Argiens, qui disent qu'elle leur a été rendue par un jugement. En partant de ces tombeaux, et en avançant un peu, vous trouvez Athéne, lieu qu'habitaient jadis les Éginètes, un autre bourg nommé Nèris, et un troisième, Éva, qui est le plus grand des trois. On y remarque le tombeau de Polémocrate, l'un des fils de Machaon, et frère d'Alexanor. Les gens du pays lui rendent les honneurs divins et ont recours à lui dans leurs maladies. Au-dessus de ces bourgs s'élève le mont Parnon; on y voit les limites qui séparent la Laconie, l'Argolide et le pays des Tégéates. Ces limites sont marquées par des Hermès de marbre, qui ont donné leur nom au canton. Le fleuve Tanus, qui sort de cette montagne, et le seul qui en descende, coule à travers l'Argolide et va se jeter dans le golfe de Thyrées.