[2,0] DIONYSIAQUES. DEUXIÈME CHANT. [2,1] Tandis que le fils d'Agénor, pâtre mensonger, demeure immobile à la limite des pâturages de la forêt, et presse de ses lèvres mobiles le bord de sa flûte, le fils de Saturne se glisse tout à coup dans la grotte sans bruit, sans être aperçu ; et il arme de nouveau ses mains de sa foudre habituelle. Une nue enveloppe aussitôt Cadmus invisible auprès du rocher, de peur qu'en reconnaissant l'artifice, Typhée, trop tardivement avisé, ne prenne le berger pour le mystérieux voleur, et n'immole l'un à la place de l'autre. Le géant toutefois ne songeait qu'a s'abandonner au doux charme des chansons et de leur cadence. (9) Tel que le nautonier, épris du chant artificieux de la Sirène, court prématurément et de lui-même à sa perte. Endormi par la mélodie, il ne fend plus les flots. Sa rame tranquille ne blanchit plus d'écume l'onde azurée; mais, tombé dans les filets de la Parque à la voix séduisante, l'infortuné oublie l'astre des sept Pléiades, la marche circulaire de l'Ourse et son gpuvernail. De même Typhée, enivré par ces accents perfides, reçoit l'agréable trait de l'harmonie, avant-coureur de sa mort. (20) Bientôt cependant, le mélodieux chalumeau du pasteur que cachait une épaisse ceinture de nuages, se tut, et mit fin au concert. Typhée se sent saisi de la rage du combat aérien, il court en hâte vers les profondeurs de la grotte pour y saisir dans sa fureur belliqueuse l'orageux tonnerre, l'éclair insaisissable; et partout il cherche à pas investigateurs l'ardente foudre disparue. La grotte était vide. Il reconnut alors trop tard le stratagème de Jupiter, les fourberies de Cadmus, et, repoussant de sa queue de serpent comme de ses ongles, les rochers de la terre, il s'élance vers l'Olympe. Là, il vomit le venin de son gosier; et aussitôt les torrents bouillonnent accrus des pluies que leur versent les vipère de sa haute chevelure. Le sol de la Cilicie, jusque-là immobile et profondément affermi, oscille sous ses pieds de dragon. Les flancs du Taurus s'agitent bruyamment sur leur base ; les rives de la Pamphylie voisine en tremblent de terreur. Les grottes souteraines grondent, les plages frémissent, les ravins s'ébranlent, et le sable des rives glisse sous l'effort des secousses de ses pieds. (42) Il n'épargne ni les troupeaux, ni les bêtes féroces. Les ours carnassiers sont broyés sous les mâchoires des ours de son visage. Les lions aux têtes fauves et aux membres velus sont engloutis par les gueules béantes de ses lions. Sa gorge de serpent déchire la faibles anneaux des serpents terrestres. Il dévore les oiseaux des airs devenus ses voisins, et jusqu'alors inaccessibles. Il se repaît avant tout des aigles qu'il sait appartenir à Jupiter, et qui planent près de lui. Il ne fait pas même grâce au boeuf du labourage malgré les plaies saignantes du joug. (53) Il eut soif après tant de carnage; et, souillant les fleuves, il chassa les troupes des Naïades de leurs retraites. Puis, quand la nymphe du fleuve traversant l'eau de ses gouffres qui sort et chemine à peine, s'avance dans son cours appauvri, et y demeure les pieds secs et nus, il atteint la jeune fille tremblante sur la route aride de sa demeure, et enferme ses genoux prisonniers dans la vase de son lit. (60) Les vieux bergers, effrayés à l'aspect des mille formes du géant furieux, s'enfuient laissant tomber leurs flûtes. A la vue de toutes ces mains menaçantes, le pasteur des chèvres jette au vent son mobile chalumeau. L'actif laboureur qui vient de livrer la semence au sillon nouvellement creusé, cesse de la recouvrir de terre ; et, ne pouvant plus fendre d'un fer tranchant le sol déjà fendu par les secousses de Typhée, il dételle ses boeufs. Déchirées par les traits du géant, les vastes cavités de la terre apparaissent. Il perce la veine humide; les sources s'échappent. Les torrents déchaînés, inondant les vallons inférieurs, versent sur un sol sans protection toutes les eaux des réservoirs souterrains. Les rochers s'effondrent. Leurs sommets, minés par les vagues torrentueuses comblent en tombant les abîmes de la mer, et de leurs débris terrestres agglomérée créent des îles nouvelles, et enracinent leurs fondements. Les arbres croulent, glissent d'eux-mêmes dans les guérets, et les fruits tout verts encore jonchent le sol. Le jardin à peine en fleur est renversé, l'émail des prairies flétri; le Zéphyr n'agite plus sur les cyprès onduleux que des rameaux desséchés; Phébus auprès de ses hyacinthes détruits, consacre sa voix à d'harmonieuses lamentations, et entonne l'hymne de deuil; bien plus encore que sur les guirlandes d'Amyclée, il gémit sur le laurier brisé près de lui; Pan tout chagrin relève son pin incliné; Minerve, en souvenir de la nymphe Moria qui lui a donné la ville de l'Attique, s'attendrit sur les plaies de l'olivier; Vénus pleure ses anémones dans la poussière, ses rosiers couchés sur le sol, elle arrache les molles boucles de sa chevelure qu'elle ne peut plus parfumer de leurs douces odeurs; Cérès déplore ses épis perdus avant d'avoir, à leur maturité, célébré les fêtes Thalysies; et les Dryades regrettent les arbres de leur âge dépouillés de leurs rameaux ombreux. (94) Après le ravage de ses belles tiges, une Hamadryade s'est échappée sans voile d'un laurier né avec elle, et tout près d'elle une autre Nymphe, quittant d'un pied rapide l'abri d'un pin, parle ainsi à sa compagne exilée. (98) « Hamadryade du laurier, toi qui redoutes comme moi les liens du mariage, fuyons ensemble, toi Apollon et moi Pan. [2,100] Épargnez-nous, ô bûcherons; ne tranchez plus violemment les branches de Daphné déjà si affligée. Et toi, constructeur, ne va pas dresser avec les solives de mes pins un vaisseau destiné à la mer qui vit naître Vénus. Fendeur de chênes, accorde-moi cette grâce dernière; au lieu de ces rameaux, frappe-moi de ta hache, et viens percer mon sein du glaive pudique de la chaste Minerve, afin que je descende aux enfers vierge comme Pitys ou Daphné, et sans avoir connu ni l'hymen ni l'amour. » (109) Elle dit ; et formant avec des feuilles une ceinture imparfaite, elle recouvre son sein sous cette verte écharpe, et cache ses membres repliée. Sa compagne la voit, et lui répond tristement: (113) « J'éprouve moi-même par instinct de biens vives terreurs: née d'un Laurier, je serai sans doute aussi poursuivie comme Daphné. Mais où fuir? Si je me retire sur les rochers, la foudre a réduit en cendre leurs cimes lancées contre l'Olympe; je puis y redouter comme Pitys, Syrinx ou toi, le terrible Pan, et poursuivie, comme elle, au milieu des collines, y devenir une seconde Écho. Non, je ne quitterai pas ces feuillages; après les arbres, je me cacherai encore à demi dans ces montagnes où chasse Diane, l'amie des Vierges. (122) Mais, hélas! le fils de Saturne n'a-t-il pas pris la forme de Diane pour tromper Calisto? La mer sera mon refuge : que me fait sa fureur? Mais Neptune a jusque dans les flots tourmenté Astérie de ses folies ardeurs. Du moins, si j'avais des ailes pour voler, et si je m'élevais avec les vents dans les hautes régions des airs! inutiles efforts! Typhée atteint les nues elles-mêmes de ses mains qui s'élèvent jusqu'à la hauteur du soleil. Mais quoi? S'il me menace de ses injustes violences, je changerai de forme, je me mêlerai aux oiseaux, je volerai comme Philomèle; ou, comme l'hirondelle, chère au Zéphyre printanier, j'annoncerai la rose et la saison des fleurs: puis voltigeant autour des cabanes, chantre babillard, je ferai répéter à l'Écho des toits et des lambris ma chanson sonore. (136) Progné, trop éprouvée, tu regrettes dans tes accents la mort de ton fils, et moi je pleurerai ma virginité. — Mais non, de grâce, roi des Dieux, ne faites pas de moi une hirondelle. Comme Typhée, Térée me poursuivrait de ses ailes et de sa colère à la fois. Puisque l'air, les montagnes et la mer me sont interdits, pourquoi ne pas me cacher dans les entrailles de la terre? Ah! les hydres venimeuses du géant roulent leurs anneaux de vipères jusques dans les cavernes souterraines. Je pourrais peut être devenir une fontaine au milieu des villes, mêlant, comme Cométho, des flots nouveaux- nés aux courants paternels. Que, du moins, ce ne soit pas près du Cydnus. Je ne voudrais pas unir mes eaux chastes aux ondes d'une Nymphe coupable en amour. Si je choisis encore un arbre, et que d'un chêne je passe à un autre chêne, je veux, au moins, rester le rejeton d'une race honorée. (150) Après avoir été Daphné, je ne consentirai jamais à porter le nom infamant de Myrrhe. Oh ! je vous en supplie, roi des Dieux, par les ondes du plaintif Éridan, faites que je sois une des héliades; l'Ambre coulera fréquemment de mes paupières; j'unirai mon feuillage aux rameaux gémissants du peuplier mon voisin; et ce n'est pas Phaéton, mais ma virginité, que pleureront mes précieuses larmes. Pitié, Daphné, pitié! J'ai déjà été l'arbre dans une forêt, et je crains d'être un arbre encore. Soyons pierre plutôt comme cette Niobé de roche, dont les pleurs attendrissent les passants. Mais pourquoi cette forme d'une Nymphe impie et injurieuse? Pardonnez, Latone; et périsse à jamais le nom de la mère infortunée qui osa lutter contre une Déesse! Où fuir Typhée, et le danger pour moi, qui suis d'une nature si différente, de lui donna un fils semblable à son père? » (163) Pendant qu'elle parlait, le Soleil, quittant le pôle arrondi, avait tourné son char vers l'occident. La nuit silencieuse, s'appesantissant sur la terre et émaillant les airs, recouvrait le ciel de son voile constellé, comme d'un immense vêtement. Les Dieux erraient sur les rives du Nil sans nuages; et Jupiter attendait, sur les sommets du Taurus, l'Aurore qui ramène le travail. (170) C'était la nuit. Des sentinelles étaient placées en ligne autour des sept Zones, et leurs cris d'alarme, interrompant la veillée, retentissaient comme du haut des tours. Les bruits divers des astres s'entendaient au loin. Le disque de la lune recevait l'écho que lui renvoyaient les antiques barrières du pôle. Alors les Heures, suivantes du Soleil, et gardiennes des Airs, fortifient le ciel sous le cercle plus épais des nuées. Les étoiles ferment les verrous Atlantiques des portes inviolables, de peur qu'une embuscade ne s'empare du pôle en l'absence des Dieux. Le vieux Bouvier, compagnon céleste des Dragons de l'Ourse Arcadienne, épie d'en haut, de ses yeux vigilants, les mouvements nocturnes de Typhée; l'étoile du matin observe le Levant, Hespéros le Couchant, et Céphée, laissant au Sagittaire la garde du Midi, s'est réservé les portes pluvieuses du Nord. (188) Des feux s'allument de toutes parts. Les flammes des astres et les rayons de la Lune reluisent comme des torches pendant la nuit entière; des étoiles filantes, parties de la droite de Jupiter, et traversant l'Olympe d'un bout à l'outre, sillonnent fréquemment les airs de leur flamme; poussé par un souffle orageux, l'éclair bondit en déchirant les nues. Enfin, la Comète, dont la lueur mobile et variable se montre et se cache alternativement, arrondit en grappes de feu ses tresses flexibles, et projette au loin la mœlleuse traînée de sa chevelure. (199) Des groupes d'étoiles errantes scintillent aussi [2,200] et s'étendent dans les cieux comme de longues poutres resplendissantes, pour venir en aide à Jupiter; tandis que, reflétant les rayons opposés du Soleil, l'arc recourbé d'Iris, compagnon de la pluie, déploie en cercle la trame de ses nombreuses couleurs, et entrelace le jaune, le brun, le blanc et le rose. Enfin, au lieu des fifres du combat et des notes accoutumées, les vents font bruire au loin leurs ailes pendant la nuit entière. (205) Jupiter était seul, quand la Victoire, effleurant de ses ailes les chemins des airs, vient, sous la forme de Latone, à l'aide de son père; et, pour l'encourager, lui crie de ses bouches qui se répondent ces sages paroles : « Roi des Dieux, soyez le premier défenseur de vos enfants. Faudra-t-il que Typhée souille la pureté de l'innocente Minerve? et laisserez-vous devenir mère celle qui n'eut pas de mère? Faites d'abord jouer la foudre, cette lance lumineuse de l'Olympe. Vous rassemblerez ensuite les pluvieuses nuées qui vous obéissent. Déjà les mains du géant ébranlent les fondements les plus solides de l'univers. Déjà les quatre éléments disparaissant ensemble, Cérès renonce à ses moissons, Hébé à sa coupe; Mars jette au loin sa pique, Mercure son caducée, Apollon sa lyre; et, sous la forme et les ailes d'un cygne, il fuit abandonnant ses flèches ailées. (221) La Déesse de l'hymen, Vénus, s'éloigne, et frappe ainsi le monde de stérilité. Les lois indissolubles de l'harmonie se dissolvent. L'invincible Éros lui-même, l'universel vainqueur, l'honneur du mariage, s'enfuit effrayé malgré son audace, et abandonne ses armes fécondes. Votre brûlant Vulcain quitte sa chère Lemnos, et, chancelant sur ses genoux indociles, il s'échappe d'un pas rapide, quoique mal assuré. Enfin, ô prodige! voilà que je m'attendris moi-même sur ma persécutrice, votre Junon! Quoi donc! votre père va-t-il encore envahir le Ciel? Ah! qu'il n'en soit jamais ainsi! J'ai beau m'appeler Titanide, je ne veux pas voir les Titans maîtres de l'Olympe, au lieu de vos enfants et de vous. Prenez vos foudres, et combattez pour sauver la chaste Diane. Est-ce donc pour une union forcée et sans honneur, que j'ai préservé sa pureté? La Déesse qui préside à l'enfantement va-t-elle enfanter elle-même. Et si elle tend les mains vers moi, quelle llithyie appellerai-je au secours de Diane, lorsque Ilithyie partagera les mêmes souffrances? » (237) Elle dit; et tandis que le sommeil entoure de ses ailes sombres toute la nature animée, Jupiter veille seul. Typhée, étendu, pèse sur le sein de la terre, sa mère, de toute la masse de ses reins engourdis; et les têtes de ses serpents, qui se creusent des lits souterrains, reposent enroulées dans les gouffres béants des cavernes. (244) Mais enfin le soleil reparaît; le géant hurle de tous ses gosiers retentissants, et provoque le grand Jupiter au combat. Sa voix redoutable résonne jusqu'aux limites où la base enracinée de l'Océan s'unit aux quatre divisions du globe, et environne le continent tout entier de son flux et de sa ceinture comme d'une couronne. Ce n'est pas une voix isolée, mais bien les cris de Typhée, armé des diverses formes de sa nature, que l'écho répète et multiplie: c'est le hurlement des loups, le rugissement des lions, les souffles des sangliers, les mugissements des boeufs, le sifflement da serpents, les bâillements horribles des léopards, des ours furieux et la rage des chiens. Enfin, le géant lui-même, d'une voix à demi humaine, exhale ses clameurs menaçantes : (258) « Ô mes bras, frappez la demeure de Jupiter; ébranlez les fondements du monde, ainsi que les Dieux. Brisez les barrières roulantes du divin Olympe. Qu'Atlas, éperdu, en voyant sa colonne tomber des airs sur la terre, rejette loin de lui l'orbe constellé, et ne s'inquiète plus de sa marche. Je ne souffrirai pas plus longtemps qu'un fils de la terre agenouillé porte forcément, dans leurs révolutions, de tels fardeaux sur ses épaules courbées et meurtries. Qu'il vienne, laissant au reste des Dieux ce poids immense, les combattre avec moi, rompre les rochers et lancer des flèches acérées contre ce même pôle qu'il a soutenu. Que les timides saisons poursuivies par l'amas des collines, s'enfuient toutes tremblantes hors du ciel ; mêlez l'air à la terre, l'eau avec le feu, l'Océan et l'Olympe. Quant à moi, je vais enchaîner la violence des quatre vents; je châtie Borée, je tourmente Notos, je flagelle Euros, je frappe Zéphyre; puis, mêlant d'une seule main la nuit au jour, j'appelle à moi l'Océan, mon frère; il soulèvera les eaux comme toutes les sources de ses abîmes contre l'Olympe; puis, s'élevant au-dessus des cinq cercles parallèles, il inondera les astres et submergera l'Ourse altérée, qui se cache sous le timon du Chariot. (281) « Mugissez, mes taureaux, mugissez, et, secouant l'orbite de l'équinoxe, brisez de vos cornes aiguës les cornes brûlantes du Taureau, votre pareil. Que les bœufs de la Lune changent de route, effrayés des terribles beuglements de mes têtes. Qu'ouvrant sa gueule formidable, l'ourse de Typhée épouvante l'Ourse du ciel. Que mon lion, vainqueur du Lion céleste, le chasse loin de la route du zodiaque, et que le dragon du Chariot, armé de si peu de flammes, tremble devant mes dragons. (290) « Mes glaives à moi, ce sont les vagues de la mer en furie, les sommets du continent, les vallons des îles. Mes boucliers, ce sont les collines; mes cuirasses, les écueils; mes lances, les rochers, et les fleuves qui sauront éteindre la misérable foudre. (296) « Je garde pour Neptune les chaînes de Japet. C'est à Vulcain, le dieu du feu, que je réserve, sur les sommets du Caucase, un meilleur vautour pour ronger son foie toujours renaissant. [2,300] N'est-ce pas en raison du feu que Prométhée a tant souffert de blessures dans ce foie qui sans cesse renaît de lui-même? Plus heureux que les enfants d'Iphimédie, dont la forme se rapprochait de la mienne, je renfermerai le fils rusé de Maia dans un vase d'airain sous d'indestructibles entraves, et l'on dira : Celui qui délia les chaînes de Mars est donc enchaîné à son tour! Je veux que Diane, si fière de son intacte virginité, devienne l'épouse obligée d'Orion; je veux que Latone, contrainte de s'unir à Titye, lui apporte ses bandelettes surannées; je veux que l'homicide Mars, le roi des batailles, dépouillé de ses boucliers rouillés, change, sous mes verrous, toute sa colère en douceur. Je donnerai ma conquête Pallas pour femme à Ephialte, mari tardif, et j'aurai le plaisir de voir à la fois Mars prisonnier, et Minerve en mal d'enfant. (314) « Il faut aussi que Jupiter, reprenant sur ses épaules fatiguées le poids tournant du globe atlantique le supporte debout à son tour; qu'il écoute les chants de mon hymen, et dissimule sa jalousie, quand je vais épouser Junon. Les flambeaux ne manqueront pas à mes noces; l'Éclair y viendra de lui-même illuminer la chambre nuptiale; au lieu des torches de mélèze, le Soleil, allumant ses rayons à son propre foyer, mettra tout leur éclat à mon service; et les étoiles, lustres du soir, ranimant dans l'Olympe leurs étincelles, brilleront devant moi pour éclairer mes amours. La Lune, mon esclave, compagne d'Endymion, et Vénus amie du mariage, dresseront ma couche. S'il me faut un bain, j'aurai là les eaux de l'Éridan constellé. Heures circulaires, après avoir préparé le lit de Jupiter, formez pour moi l'asile de l'amour; car vous-mêmes, suivantes du Soleil, vous venez de l'Océan; et vous Latone, Minerve, Vénus, Charis, Diane, Hébé, faites la chaîne de vos mains, et apportez ensemble l'eau pour Typhée le nouvel époux. Enfin, que pendant mes festins nuptiaux, Apollon mon serviteur, au lieu des exploits de Jupiter, célèbre ma gloire sur sa lyre. (334) « Après, tout, ce n'est pas un territoire étranger que j'ambitionne. Uranus est mon frère, fils de la Terre comme moi : le ciel étoilé que je vais gouverner nous vient de ma mère. J'y ramènerai en auxiliaire mon autre frère, le vorace Saturne; et je briserai les lions qui le retiennent dans les abîmes souterrains. Je rappellerai les Titans dans les airs. J'amènerai dans les cieux les Cyclopes, fils de la Terre, pour les habiter avec moi; je forgerai d'autres armes de feu ; car il me faut bien des foudres, puisque ce n'est pas avec deux mains comme Jupiter que je les lance, mais avec deux cents bras. Je fabriquerai des éclairs d'une meilleure trempe, et d'une flamme plus vive que leurs aînés. Je créerai aussi un huitième ciel plus élevé et plus large que celui-ci, et des étoiles plus brillantes en seront la parure ; car le pôle, qui est là près de moi, ne suffit pas à me couvrir tout entier. Enfin, pour remplacer les nombreux enfante des deux sexes de Jupiter, je produirai une nouvelle génération de dieux à mille têtes. Je ne veux pas laisser languir dans le célibat le chœur des astres; je marierai aussi les mâles aux femelles, et la Vierge céleste unie au Bouvier me donnera une légion d'esclaves. » (356) Telles furent ses clameurs. Le fils de Saturne en sourit; la charge sonne pour tous les deux. La Discorde conduit Typhée à la bataille ; la Victoire guide Jupiter. II ne s'agit ici ni d'un troupeau de bœufs ou de brebis, ni de la beauté d'une Nymphe, ni d'une ville chétive, mais bien de l'Olympe lui-même. Le prix que décernera la Victoire et qu'elle tient sur ses genoux, c'est le trône et le sceptre de Jupiter. Alors, le roi des dieux fait résonner les mugissements aériens de son tonnerre, trompette de Bellone, au milieu des nues qu'il fouette devant lui; et environnant sa poitrine d'un cercle de nues, il en forme une cuirasse contre les traits du géant. (367) Typhée de son côté ne reste pas muet. Ses têtes de taureau, clairons naturels, mugissent aussi dans tout l'Olympe. Ses serpents, fifres de Mars, sifflent entrelacés. Il entoure les rangées de ses membres d'un rempart de roches arrachées qu'il entasse jusqu'à ce que leurs quartiers rompus et posés, rang par rang, l'un sur l'autre, s'élèvent comme nos tours. Il place le bloc déraciné sur le bloc le plus large; c'est l'image d'une armée véritable. Le rocher y renforce le rocher voisin; le tertre, un tertre; la cime, une cime; le ravin des pics élevés appuie les replis d'un autre ravin ; enfin les collines escarpées servent de casque au géant, et ses têtes se cachent dans les plus hauts sommets. (381) Il n'a qu'un seul corps sans doute, mais il combat sous mille formes avec des légions de bras, de mâchoires de lion armées de dards aigus, et avec sa chevelure de vipères se ruant sur les astres. Il double des arbres entiers pour les brandir contre le fils de Saturne; mais ces énormes produits de la terre, Jupiter les anéantit à regret par une seule étincelle de sa foudre impétueuse. Là, périrent bien des ormes et bien des sapins du même âge, d'immenses platanes, et des peupliers dardés contre le ciel. (390) Bientôt, les entrailles de la terre éclatent ; le globe est frappé sur les quatre points de sa circonférence. Les quatre vents auxiliaires de Jupiter élèvent dans les airs des colonnes d'une ténébreuse poussière. Ils creusent les vagues ; sous la mer fouettée de leurs souffles, la Sicile remue; les rives du Pélore frémissent; les sommets de l'Etna, les rochers de Lilybée, prophétiques emblèmes de l'avenir, mugissent sourdement; et le promontoire de Pachyne s'ébranle sous l'effort des vagues occidentales. Au nord, la Nymphe de l'Athos s'agite autour des vallons de la Thrace ; [2,400] les forêts de la Macédoine résonnent sur les flancs du mont Piérus. Les hases de l'Orient oscillent; et la vallée du Liban, si riche d'encens et d'ombrage, a retenti. Cependant, les traits que Typhée dirige contre la foudre de l'infatigable Jupiter, tombent les uns près du char de la Lune où ils vont effleurer les pas insensibles de ses taureaux capricieux, les autres dans les airs où les vents les font tourbillonner en sifflant, et les dispersent. Le plus grand nombre, écarté par la foudre du dieu invulnérable, est reçu dans les mains joyeuses de Neptune qui s'est dégagé de son trident aigu; et le vieux Nérée les recueille humides encore sur les bords de la mer Adriatique pour en dresser un trophée à Jupiter. (414) Bientôt, armant les deux terribles et inséparables fils de Mars, Phobos et Dimos, le dieu, leur oncle paternel, en fait ses satellites. Il donne à Phobos l'éclair, et à Domos la foudre pour épouvanter Typhée. La Victoire porte un bouclier qu'elle tend devant Jupiter. Bellone jette des clameurs violentes, et la bataille bruit au loin. Le dieu avec son égide déchaîne les tempêtes, et parcourt les hauteurs de l'espace assis sur le char rapide du Temps. Ses coursiers s'avancent d'un pas égal. Il lance d'une main les éclairs, de l'autre les foudres; tantôt le tonnerre, tantôt la pluie; puis, mêlés aux jets de la pluie, des grêlons pétrifiés; les trombes impétueuses fondent sans cesse sur les têtes du géant, et les traits aériens de la grêle ensanglantent ses mains comme un glaive aigu. Une de ses mains toute meurtrie du tranchant de la grêle, tombe sur la poussière, sans lâcher la roche qu'elle porte; elle lutte encore dans sa chute, et, furieuse, bondit sur le sol dans son propre élan, comme si elle voulait frapper encore le globe de l'Olympe. Mais bientôt le protecteur des dieux, vibrant ses brillants javelots du haut des airs, où il brille, transporte le combat de l'aile gauche à l'aile droite. (438) C'est alors que le géant avec tous ses bras excite les eaux des torrents : il entrelace ses doigts les uns aux autres, il forme un creux de ses larges mains, et, soulevant ainsi du milieu des fleuves grossis par les tributs des frimas et des forêts, des vagues détachées, il les lance contre l'éclair. Celui-ci, atteint par ces courants torrentiels, brille à travers les ondes d'une plus vive étincelle, les dessèche par son ardeur, et les consume. L'élément humide cède à la force du feu. L'audacieux géant qui cherchait ainsi à éteindre la flamme céleste, ne savait pas, l'insensé ! que les foudres et les éclairs incandescents naissent des nuages chargés de pluie. (451) Il voulut alors sous les quartiers arrondis des ravins caverneux écraser la poitrine du Dieu que le fer ne pouvait blesser; et déjà le bloc s'avançait menaçant. Mais Jupiter souffla du bout des lèvres, et ce léger souffle détourna l'énorme rocher. (456) Alors faisant tourner dans sa main le promontoire d'une île, Typhée s'apprête de nouveau à en frapper le front infrangible de son adversaire. Celui-ci, par un mouvement de sa tête, évite le choc du pic dirigé contre lui; mais l'éclair brillant se trouve atteint dans sa course oblique; et la roche effleurant ses pointes en est stigmatisée et noircie. (463) Le géant a bientôt décoché une troisième colline; Jupiter l'arrête adroitement dans son vol, au centre de sa main ouverte ; il la lance intrépidement à son tour et la lui renvoie comme un ballon bondissant. La colline retournant sur sa marche, après avoir longtemps tournoyé dans les airs, revient frapper d'elle-même son archer primitif. (469) La quatrième attaque vise plus haut. Mais le rocher se brise dès qu'il a touché le bord de l'égide. Il est suivi d'un dernier bloc que la foudre fait pétiller en le recevant et qu'elle consume à demi. Les pics ne peuvent rien contre les nuages; et les collines se fondent sous leur pénétrante humidité. C'est ainsi que Bellone tenait la balance égale entre le géant et le dieu, en même temps que les foudres grondaient et bondissaient dans le ciel. (478) Jupiter combattait sous toutes ses armes; il a l'éclair pour dard, le tonnerre pour bouclier, pour cuirasse la nue; pour flèches, les foudres à la pointe de feu, lancées du sein des airs. Déjà une vapeur sèche et vagabonde s'échappant des fentes de la terre altérée, cherche à atteindre les flancs de la nue, et à la gonfler en l'échauffant intérieurement. Déjà une flamme intestine et comprimée tente à grand bruit de percer les nuages pressés et fumants : mais il ne lui est pas donné d'atteindre plus haut; car alors l'air chargé de gouttes de pluie, condensé par l'humidité des régions supérieures et chauffé par ces nouvelles exhalaisons, rencontre l'éclair qui l'ouvre et se dilate en feux bondissants. Comme une pierre qui recèle le feu dans son sein, roche femelle heurtée par un rocher mâle, fait jaillir l'étincelle née d'elle-même, qu'elle recèle dans ses flancs; ainsi le feu céleste s'allume au choc de la vapeur et de la nue. Quand cette vapeur se subtilise en s'élevant de la terre, elle produit les vents; [2,500] lorsque le Soleil la rencontre, tiède et tumultueuse, dans le vague des airs, échappée des eaux du sol, il la pénètre et l'empreint de ses rayons brûlants. Alors elle s'épaissit et enfante la nue dont l'enveloppe la grossit encore; puis, se fondant sous une molle évaporation, elle dissout la nue elle-même; et, revenue à ses éléments primitifs, elle retombe en pluie. Ainsi se forment les nuées brûlantes; ainsi s'engendrent à la fois les foudres et les éclairs. (508) Jupiter attaque à son tour, et lance ses feux accoutumés contre les lions de son adversaire. Il frappe d'une trombe céleste les rangs tumultueux de leurs gosiers démesurés. Un seul de ses traits consume la multitude des mains; un seul de ses traits pulvérise ces épaules sans nombre, et ces tribus de dragons à la peau tachetée : les dards éthérées percent des têtes infinies. Une comète tournoyante attache une étincelle jaillie de son ardente chevelure, à la chevelure de Typhée, dont les fronts s'illuminent; ses anneaux sifflent d'abord, s'embrasent; puis la flamme céleste les pénètre sourdement, et l'écume envenimée de ses dragons se dessèche dans leur gueule pantelante. (521) Bientôt les yeux du géant se remplissent d'une fumée et d'une cendre épaisses ; ses visages sont meurtris par les frimas; des flocons de neige blanchissent ses joues. Il souffre aussi de la quadruple violence des quatre vents; s'il regarde à l'orient, les haleines voisines et ennemies de l'Euros le calcinent. S'il se tourne au nord, vers le coucher orageux de l'Ourse Arcadienne, il rencontre le givre et les tourbillons glacés de l'hiver; s'il fuit la froidure du neigeux Borée, il est poursuivi par des atteintes humides et tièdes tout à la fois. S'il considère l'occident, il voit avec effroi se dresser contre lui toutes les tempêtes du couchant en face d'une formidable aurore, et entend bruire le Zéphyre avec ses rafales printanières. (534) Notus, de son côté, bat de ses souffles brûlants les voûtes aériennes, les régions méridionales du Capricorne, et ne présente au géant que l'incendie de ses vapeurs enflammées. Car si Jupiter, le maître souverain des pluies, en eut fait de nouveau descendre les torrents, il aurait rafraîchi et délassé les membres de son adversaire, échauffés et haletants sous la foudre. (540) Alors la Terre desséchée, battue par les grêlons aigus lancés contre son fils, en voyant les traits pétrifiés et les flèches des eaux s'acharner sur le corps du géant, et s'approcher la fin de sa destinée, s'adresse humblement au Soleil, Titanide comme elle, et lui demande un rayon de sa lumière divine pour fondre d'un feu plus ardent les glaçons entassés par Jupiter dont elle souffre elle-même, et pour ranimer de sa chaleur son allié, Typhée, tout engourdi. Puis, à l'aspect de ces légions embrasées de bras brûlants dans les airs, elle implore pour un jour seulement l'un des plus insupportables ouragans de l'hiver qui, de ses froides haleines, puisse apaiser la soif et les tortures du géant. (553) Jupiter fait enfin pencher la balance du combat. La Terre, au même moment, déchire le voile des forets qui la recouvrent; elle gémit à la vue des têtes fumantes de son fils et de ses fronts consumée Le géant s'affaisse sur lui-même, et aussitôt la trompette de l'Olympe fait mugir son tonnerre et entonne le chant prophétique de la victoire. (559) Étourdi par un dernier trait incandescent de la foudre, Typhée, sans être blessé du fer, tombe d'en haut les reins étendus sur le sein de sa mère; il vomit la flamme, et ses membres de serpent gisent sur la poussière. Jupiter alors le provoque par ses sourires et par ces paroles ironiques. (565) « Vraiment, Typhée, le vieux Saturne a enfin rencontré un puissant auxiliaire : à peine la Terre a-t -elle produit un rejeton du grand Japet, qu'il s'est fait déjà le vengeur des Titans. Je le vois bien, les foudres de Jupiter ne peuvent rien contre lui. Que tardes-tu donc, monarque imposteur, d'occuper les airs inaccessibles? Le trône de l'Olympe t'attend. Ennemi des Dieux, reçois le sceptre et le manteau de Jupiter. Ramène au ciel Astres; rappelles-y, si tu le veux, Ophion et Eurynome avec leur compagnon Saturne. Que le fourbe Prométhée, échappé à ses chaînes, et prenant pour guide l'audacieux oiseau qui dévore impitoyablement ses entrailles renaissantes, s'avance avec toi dans les hauteurs du ciel étoilé! (579) « Tu voulais pour prix du combat, voir Jupiter et Neptune derrière ton siège. Eh bien, voici d'abord Jupiter dépouillé de ses forces, de ses nues, de son tonnerre, du sceptre de l'Olympe, enfin réduit à porter au lieu de ses éclairs et de sa foudre accoutumée, les flambeaux de tes amours; et, tout jaloux qu'il est, prêt à te conduire, malgré ses regards courroucés, vers ton épouse Junon, part glorieuse de ton butin. Voici ensuite mon frère Neptune que tu as détaché de ses mers taries pour en faire l'échanson de ta table, et confier à ses mains la coupe en place de ce trident. (590) N'as-tu pas déjà Mars pour esclave et Apollon pour serviteur? Envoie donc en messager le fils de Maïa, afin qu'il annonce aux Titans ton règne et ta splendeur céleste. Mais, crois-moi, laisse à sa Lemnos ton forgeron Vulcain pour y fabriquer à ta nouvelle épouse, soit un riche et brillant collier, dont l'émail siéra si bien à son cou, soit de merveilleuses chaussures qui, par leur richesse, puissent réjouir ta compagne; ou bien un autre trône d'or afin que ta Junon sourie en se voyant maîtresse du plus beau siège de l'Olympe. [2,600] D'ailleurs les Cyclopes de la terre que tu as transportés dans le ciel, sauront bien y renouveler et y perfectionner tes foudres. Enfin cet Éros qui t'a trompé en te flattant de l'espoir du triomphe, attache-le par une chaîne d'or avec la Vénus Dorée, et par des liens de fer retiens aussi Mars armé de fer. (605) « Mais quoi ! les éclairs fuient et désertent le combat. Comment n'as-tu donc pas su éviter un trait de feu si insignifiant et si inoffensif? Comment, avec tant d'innombrables oreilles pour l'entendre, es-tu surpris et effrayé d'un si faible bruit de la pluie et du tonnerre? Qui t'a fait si timide? Où sont tes armes? Tes têtes de chiens? les gueules béantes de tes lions? et le long mugissement de tes gosiers sonores? Où sont les dards de ta chevelure de serpents, qui porte si loin son ombre? Qu'as-tu fait des sifflements de leurs anneaux, des beuglements de tes taureaux, de tous tes bras qui lancent les sommets des collines, et des horribles grincements de ton ourse furieuse? Tu ne troubleras plus maintenant les astres dans leur cours, et tes sangliers ne blanchiront plus de l'écume de leurs gosiers leurs longues défenses. (620) « Fils de la Terre, cède aux habitants des cieux; une seule de mes mains est venue à bout de tes deux cents bras. Je veux que la Sicile, aux trois têtes, écrase de ses collines, aux précipices escarpés, Typhée tout entier; ce Typhée dont les cent têtes sont là, souillées de poussière. Misérable ! bien que, dans ton orgueil et dans tes folles illusions, tu aies assailli l'Olympe lui-même, je vais te dresser un tombeau; mais, sur ce dernier monument vain et vide, je veux, impie, je veux graver ces paroles : « Voici le sépulcre de Typhée, né de la Terre, qui tenta jadis de lapider le ciel, et que le feu du ciel a consumé. » (631) C'est ainsi que Jupiter raillait le cadavre inanimé du fils de la Terre. Cependant le Taurus de la Cilicie mugit, et, par le clairon de ses roches, sonne la victoire du souverain des dieux. Le Cydnus, en tournant sur ses pieds humides, saute de joie, et versant ses flots au sein de Tarse, qu'il habite depuis leur commune enfance, il murmure le triomphe de Jupiter. La Terre, réduite à ses rochers, pleure et s'incline; elle met en pièces ses voiles; et, comme dans le mois qui voit tomber les feuilles, elle attache à son front une boucle touffue de sa chevelure de forêts qu'ont détachée les vents, et non les ciseaux des funérailles. Elle déchire ses joues ravinées, et verse par torrents des larmes que les fleuves répandent, hors de ses flancs, à grand bruit. Des tourbillons impétueux, chassés par les membres de Typhée, séchappent sur les flots, les balayent es les obscurcissant, enveloppent les vaisseaux, galopant sur les vagues, et troublent le calme sous leurs élans redoublés. L'attaque ne se borne pas à la mer; et sur le continent aussi, des trombes incessantes d'une brûlante poussière accablent les tiges des jeunes et robustes épis. (650) C'est alors que la dispensatrice de l'élément régénérateur du monde, la nature, vint cicatriser les plaies de la Terre, fermer ses flancs entrouverts, enfin sceller de nouveau, du sceau d'une indestructible harmonie, les sommets des îles séparés de leurs bases. L'ordre se rétablit aussi dans la sphère. Le soleil replace la crinière du Lion près des épis de la Vierge, en la prolongeant par delà la route du zodiaque; et la Lune, entraînant à la fois l'Écrevisse qui se balance sur le visage du Lion céleste, avec le Capricorne, qui marche en sens contraire, les rattache l'un à l'autre et les raffermit sur leurs fondements. (660) Cependant Jupiter n'oublia pas le chanteur Cadmus. Il dissipe la ténébreuse nuée qui le recouvre, l'appelle, et lui adresse ces paroles : « Cadmus, puisque ta flûte a célébré les portes de l'Olympe, ma Lyre céleste célébrera ton hymen à son tour. Je te donne pour gendre à Mars, à Vénus; et dans tes festins terrestres, tu auras les dieux pour convives. Je viendrai dans ton palais. Que pourrais-tu souhaiter de mieux que de voir le roi des immortels assis à ta table? Si, dans la traversée de la vie, tu veux ne rencontrer que des flots paisibles et éviter les orages de la destinée, crois-moi, crains d'offenser le Dieu de Dircé, Mars toujours violent même quand il est sans colère. Les yeux tendus, dans la nuit, vers le Dragon d'Aonie, fais-lui ton sacrifice en tenant à la main l'ophite odoriférant puis invoque le Scorpion constellé, et brûle au feu de l'autel la corne anguleuse d'une biche d'Illyrie. C'est ainsi que tu échapperas à toutes les amertumes que la destinée promit à la vie, et à la fatalité des fuseaux que filent les Parques, si jamais il fut donné de les conjurer. (679) « Oublie la colère de ton père Agénor, et ne redoute rien pour tes frères condamnés à errer comme toi. Ils vivent encore, mais ils sont séparés. Céphée, qui s'est dirigé vers les contrées méridionales, est chéri des Céphéens d'Éthiopie. Thasos a fondé Thase. Cilix, aux pieds des cimes neigeuses du Taurus, règne sur la Cilicie. Phinée a abordé en Thrace. J'en fais, en l'enrichissant des plus abondants métaux, l'époux prédestiné de la belle Cléopâtre, le gendre d'Orithyie et de Borée. (690) « Enfin, toi, pour qui le destin a réservé un sort tout pareil, tu vas donner et laisser à tes sujets le nom de Cadméens. Renonce désormais à tous les détours errants des voyages; laisse là les traces du taureau ravisseur. Votre soeur est devenue l'épouse légitime et adorée d'Astérion de Dicté, roi de la forêt des Corybantes. Tels sont mes propres oracles; j'abandonne le reste à Apollon. Quant à toi, Cadmus, monte au centre de la terre, et dirige-toi vers les vallées que la Pythie de Delphes fait retentir de sa voix. » (699) Après ces mots, le fils de Saturne prend congé du fils d'Agénor, [2,700] et ramène rapidement son char d'or dans le sein des astres. La Victoire s'y place à côté de lui, et dirige de son fouet céleste les coursiers de son père. A leur retour, les Heures triomphantes ouvrent toutes les portes du ciel, et couronnent les airs. Les dieux, revenus avec le vainqueur dans l'Olympe, quittent leurs ailes empruntées, en reprenant leur ancienne forme; Minerve paraît sans armes, revêtue des plus molles tuniques, et se livre à une danse joyeuse et guerrière, dont la Victoire fait entendre l'harmonie. Enfin Thémis suspend aux portiques les plus élevés du ciel les trophées du combat; et afin d'effrayer à l'avenir la mère des géants, (712) elle montre à la terre épouvantée les dépouilles de Typhée foudroyé.