[7,0] ÉPIGRAMMES LIVRE VII. [7,1] I. A DOMITIEN, SUR SA CUIRASSE. Arme-toi de la cuirasse formidable de la belliqueuse Minerve, de cette cuirasse que redoute la colère même de la tête de Méduse. Tant que tu n'en fais pas usage, César, on pourra l'appeler une cuirasse ; placée sur ta poitrine sacrée, ce sera l'égide. [7,2] II. A LA CUIRASSE ELLE-MÊME. Cuirasse du maître de l'empire, impénétrable aux flèches du Sarmate, plus sûre que le bouclier de cuir du Mars Gétique ; toi qui, pour être à l'épreuve des dards mêmes de l’'Étolie, fus tissée d'un assemblage sans nombre d'ongles polis de sanglier ; que ton sort est heureux ! tu vas toucher la poitrine sacrée de notre dieu, et t'échauffer au feu de son génie. Va, compagne de ses travaux, sois à l'abri de l'ennemi, mérite de nobles victoires, et rends bientôt notre prince à la toge ornée de palmes (triomphale). [7,3] III. A PONTILTANUS. Pourquoi je ne t'envoie pas mes ouvrages, Pontilianus ? C'est de peur que tu ne m'envoies les tiens. [7,4] IV. SUR OPPIANUS. Castricus, c'est lorsqu'il avait les pâles couleurs, qu'Oppianus se mit à faire des vers. [7,5] V. A CÉSAR DOMITIEN. César, si tu es sensible aux regrets du peuple et du sénat, aux vœux sincères de tout le Latium, tends-nous le dieu que réclament nos souhaits empressés : Rome est jalouse de ses ennemis, malgré les nombreux bulletins ornés de laurier qui nous annoncent tes succès. Le barbare voit de plus près le maître du monde, et ton visage l'épouvante et le charme tout à la fois. [7,6] VI. SUR LE BRUIT DU RETOUR DE DOMIITIEN. Eh quoi ! abandonnant les contrées hyperboréennes, déjà César se prépare à reprendre le chemin de l'Ausonie ! La nouvelle n'a encore rien d'officiel, mais mille et mille voix la publient : je te crois, Renommée ; d'ordinaire tu dis vrai. Des bulletins de victoire viennent confirmer l'allégresse publique ; le fer des javelots de Mars est verdoyant de laurier. Rome crie de nouveau : Triomphe, triomphe, César ! et le nom d'Invincible retentit avec le tien dans ta capitale. Mais, pour que nous soyons plus certains encore de notre bonheur, viens toi-même nous annoncer tes victoires sur les Sarmates. [7,7] VII. A CÉSAR DOMIITIEN. Les régions glacées de l'Ourse, la sauvage Peucé, l'Ister échauffé par le piaffement des chevaux, et le Rhin, à la corne rebelle déjà trois fois brisée, te retiennent, je le sais, à dompter des nations perfides, ô toi suprême modérateur du monde, père de l'univers ; mais tu ne peux cependant te soustraire toujours à nos vœux. César, nos yeux et nos cœurs sont près de toi ; et seul tu occupes tellement tous les esprits, que la foule même, au grand Cirque, ne sait pas si c'est Passerinus ou Tigris qui court dans la carrière. [7,8] VIII. SUR LE RETOUR DE DOMITIEN. Maintenant, Muses joyeuses, si jamais vous fûtes dociles à ma voix, soyez tout à l'allégresse ; notre dieu, vainqueur des Odryses, nous est enfin rendu. O décembre, tu confirmes le premier, les vœux du peuple : c'est aujourd'hui que l'on peut crier bien haut : Il vient. Décembre, sois heureux de ton sort, tu pourrais le disputer au mois de Janus, si tu nous donnais le bonheur que celui-ci va nous donner. O César, le soldat le front ceint d'une couronne, va lancer ses sarcasmes au milieu de la fête triomphale, en escortant lès chevaux couronnés de laurier. Daigne donc, toi aussi, prêter l'oreille à mon badinage, à des vers sans prétention, puisque le triomphe lui-même écoute volontiers la plaisanterie. [7,9] IX. SUR CASCELIUS. Cascelius compte soixante années, et il est homme d'esprit : quand sera-t-il éloquent ? [7,10] X. CONTRE OLUS. Éros sert de Ganymède, Linius a la langue libertine : que t'importe, Olus, l'usage que chacun fait de sa peau ? Mathon paye cent mille sesterces une nuit de volupté : que t'importe, Olus ? ce n'est pas toi, c'est Mathon qui se ruinera. Sertorius prolonge ses soupers jusqu'au jour : que t'importe, Olus ? n'as-tu pas la liberté de ronfler toute la nuit ? Lupus doit à Titus sept cents sesterces : que t'importe, Olus ? ne donne pas, ne prête pas un as à Lupus. Tu ne parles jamais de ce qui te regarde, Olus, de ce qui devrait surtout appeler ton attention. Ta guenille de toge, tu la dois encore : cela te regarde, Olus. Personne ne te prêterait même un quadrant ; c'est encore ton affaire. Ta femme est adultère ; cela te regarde, Olus. Ta fille déjà grande réclame une dot ; c'est toujours ton affaire. Je pourrais, quinze fois de plus, te dire ce qui t'importe ; mais ce que tu fais, Olus, m'est fort indifférent. [7,11] XI. A AULUS PUDENS. Tu exiges, Pudens, que pour toi je corrige mes œuvres avec la plume et de ma propre main. C'est trop m'estimer, trop m'aimer que de vouloir posséder mes bagatelles en autographes. [7,12] XII. A FAUSTINUS. Faustinus, mon maître peut me lire avec toute la sérénité de son front, et écouter mes plaisanteries avec sa bienveillance ordinaire ; car les pages de mon livre ne blessent pas même ceux que j'ai le droit de haïr, et je n'aime pas la gloire achetée par le talent de faire rougir les autres. A quoi sert que l'on veuille m'attribuer certains traits de satire imprégnés du sang de Lycambe ? que, sous mon nom, vomissent le venin de la vipère, ceux qui n'osent paraître ni aux rayons du soleil, ni à la clarté du jour ? mon badinage est innocent ; tu le sais bien, Faustinus : j'en jure le génie de la renommée toute puissante, le chœur des vierges de Castalie, et les oreilles aussi, lecteur, toi ma divinité protectrice, toi qui es exempt de l'odieuse passion de la jalousie. [7,13] XIII. SUR LYCORIS. La brune Lycoris entend dire que l'ivoire des vieilles dents (d'éléphant) blanchit au doux soleil de Tibur, et elle se rend sur ces collines consacrées à Hercule : ô prodige de l'air de Tibur ! peu de temps après, elle revient toute noire. [7,14] XIV. A AULUS, SUR UN MALHEUR ARRIVÉ A LA MAÎTRESSE DU POÈTE. Aulus, un malheur affreux vient d'arriver à ma maîtresse ; elle a perdu sa joie, ses délices : non pas un objet comme celui qui faisait couler les larmes de Lesbie, l'amante du tendre Catulle, veuve de son moineau chéri ; non pas la colombe chantée par mon ami Stella, pleurée par Ianthis, et qui maintenant, ombre noire, vole dans l'Élysée. Cette lumière de ma vie ne se laisse pas séduire par de semblables bagatelles, par des amours de ce genre ; de pareils dommages n'affectent pas le cœur de ma belle. Elle a perdu un adolescent qui comptait deux fois dix années, et dont le priape n'avait pas encore un pied et demi. [7,15] XV. A ARGINUS, JEUNE ESCLAVE D'IANTHIS. Quel est cet enfant qui s'éloigne des ondes limpides d'Ianthis. et se réfugie près de la Naïade, leur maîtresse ? serait-ce Hylas ? trop heureux Arginus, de ce que le héros de Tirynthe est honoré dans ce bois, et de ce qu'il veille de si près sur ces eaux amoureuses ! Arginus, puise, en toute sûreté, à la source pour nous en servir les eaux ; les nymphes ne t'enlèveront pas : mais prends garde qu'Hercule lui-même ne veuille te ravir. [7,16] XVI. A RÉGULUS. Chez moi, pas une obole ; je n'ai plus, Régulus, qu'à vendre les présents que tu m'as faits : ne veux-tu pas les acheter ? [7,17] XVII. A LA BIBLIOTHÈQUE DE JULES MARTIAL. Bibliothèque de cette délicieuse villa, d'où le lecteur aperçoit Rome dans les environs ; si, parmi des poésies d'un ordre plus élevé, il y a place pour ma muse folâtre, reçois, ne fût-ce que dans tes derniers rayons, ces sept livres que je t'adresse corrigés de la main de l'auteur : ces ratures surtout leur donnent du prix. Et toi, à qui je dédie ce modeste présent, toi que mes vers rendront célèbre dans le monde entier, protège ce gage de mon amitié, bibliothèque de Jules Martial. [7,18] XVIII. SUR GALLA. Ta figure est charmante, une femme elle-même né saurait en médire ; sur ton corps, pas une tache ; aussi tu es surprise d'exciter si rarement une passion, et des désirs nouveaux chez l'amant qui t'a déjà possédée. C'est que tu as un grand défaut, Galla. Toutes les fois que j'entame avec toi la douce affaire, et que nous agirons nos corps voluptueusement entrelacés, ton vagin fait grand bruit, et tu te tais. Plût aux dieux que tu parlasses et qu'il se tût ! je suis scandalisé de son babil. J'aimerais mieux entendre son voisin : cela, du moins, dit Symmachus, soulage et égaye tout à la fois. Mais qui jamais a pu rire aux gazouillements d'un impertinent vagin ? quand il se met à résonner, le galant le plus intrépide ne voit-il pas tomber chez lui le physique et le moral ? Dis au moins quelque chose, et crie plus haut que ton vagin criard : ou, si décidément tu es muette, que ce babil même t'apprenne à parler. [7,19] XIX. SUR UN DÉBRIS DU NAVIRE ARGO. Ce débris, qui te semble un bois inutile et sans valeur, fut la première carène qui sillonna des flots inconnus. Ce que les écueils si dangereux de Cyane, ce que le courroux plus redoutable encore de la mer de Scythie n'ont pu détruire, autrefois, les siècles l'ont brisé ; mais bien que le navire ait cédé à la force du temps, cette petite planche est plus vénérable que ne serait le vaisseau entier s'il avait survécu [7,20] XX. CONTRE SANCTRA. Rien de plus misérable, de plus gourmand que Sanctra, lorsque, invité, il court à un repas bien ordonné, à l'affût duquel il était depuis tant de jours et tant de nuits ; il demande jusqu'à trois fois des cartilages, et quatre fois du filet de sanglier, les deux cuisses et les deux épaules d'un lièvre: il ne rougit pas de se parjurer pour une grive, et d'enlever les fibres livides des huîtres. Il salit sa serviette en y enveloppant des parts de gâteau ; il y fourre aussi des raisins conservés dans des vases de terre, quelques tranches de grenade, la peau difforme d'une vulve vidée, des figues qui suintent, et de flasques champignons. Lorsque déjà sa serviette rompt sous ses mille larcins, il place dans les plis échauffés de sa robe des os rongés et les restes d'une tourterelle dont on a mangé la tête. Il n'a pas honte de ramasser de sa longue main tous les détritus et ce que les chiens mêmes ont dédaigné. Mais une proie de bonne chère ne suffit pas à sa voracité, il remplit encore de vin mélangé une bouteille qu'il avait à ses pieds. Après avoir monté deux cents degrés, pour déposer chez lui ces provisions, il s'enferme avec sollicitude et à triple verrou dans son galetas, et notre glouton vend tout le lendemain. [7,21] XXI. SUR L'ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE LUCAIN. Voici le jour mémorable qui, témoin d'une naissance illustre, donna Lucain au monde, et à toi, Polla. Cruel Néron, aucune de tes victimes ne te rendit plus odieux; un tel forfait n'aurait pas dû être permis à ta fureur. [7,22] XXII. SUR LE MÊME SUJET. Le jour à jamais illustré par la naissance d'un poète chéri d'Apollon, est enfin de retour: troupe des vierges d'Aonie, soyez favorable à nos sacrifices. C'est pour t'avoir donné à la terre,. ô Lucain, que le Bétis a mérité de mêler ses eaux à celles de Castalie. [7,23] XXIII. SUR LE MÊME SUJET, A PHÉBUS. Viens, ô Phébus, mais avec toute la majesté que tu déployas lorsque tu donnas toi-même au chantre héroïque des guerres civiles la seconde lyre du Latium. Quel vœu formerai-je en un si grand jour ? ô PoIla, offre à l’ombre de ton époux de fréquents hommages, et que lui-même soit sensible au culte de ton amour. [7,24] XXIV. CONTRE UN MÉDISANT. Langue perfide, qui cherche à me compromettre dans l'esprit de mon ami Juvénal, que n'oseras-tu pas inventer? Avec tes criminels mensonges, Oreste serait devenu l'ennemi de Pylade; Pirithoüs aurait cessé d'aimer son cher Thésée. Tu serais parvenue à diviser les deux frères siciliens, les Atrides, dont le nom est plus fameux encore, et les fils mêmes de Léda. Pour prix de tes mérites et de ton audace insigne, je souhaite, langue maudite, que tu fasses ce que tu fais sans doute. [7,25] XXV. CONTRE UN MAUVAIS POÈTE. Avec tes épigrammes doucereuses, plus candides encore qu'une peau blanchie de céruse, sans le plus petit grain de sel, sans la moindre amertume ; sans une goutte de fiel, insensé, tu veux cependant qu'on te lise ! Les mets eux-mêmes n'ont pas de saveur s'il y manque une pointe de vinaigre : une jolie figure est sans charme, si le sourire n'y trace une fossette. Donne aux enfants des pommes douces comme le miel, ou de fades marisques ; pour moi, j’aime la figue âpre et piquante dé l'île de Chio. [7,26] XXVI. ENVOI D'UN SCAZON A APOLLINARIS. Scazon, va visiter mon cher Apollinaris, et, s'il a quelque loisir, car il ne faut pas que tu sois importun, offre-lui, tels que les voilà, ces vers qui sont en partie son ouvrage : que la gaieté de ces poésies légères pénètre ses oreilles. Si tu vois qu'il te fasse un accueil franc et ouvert, demande-lui qu'il te soutienne de son crédit, de sa faveur. Tu sais combien il aime mes bagatelles ; je ne puis moi-même avoir plus d'affection pour toi. Si tu veux être à l'abri des traits de l'envie, Scazon, va visiter mon cher Apollinaris. [7,27] XXVII. SUR UN SANGLIER QUE LUI AVAIT ENVOYÉ DEXTER. Destructeur du gland de la Toscane, sanglier que les nombreux fruits du chêne ont rendu si pesant, toi dont la renommée tient le second rang après le monstre d'Étolie, toi que mon ami Dexter a percé de son brillant épieu, te voilà sans vie devant mon foyer, où une telle proie fera bien des jaloux. Allons, que mes pénates noircis par la flamme s'embaument de ton fumet délicieux, et que le bois coupé sur la montagne brûle dans ma cuisine, comme en un jour de fête. Mais il faudra que mon cuisinier consomme une immense quantité de poivre, et qu'il prodigue le falerne et le garum qu'on met si mystérieusement en réserve. Retourne vers ton maître ; mon foyer est trop petit pour toi, sanglier, tu y jetterais le trouble ; j'ai faim à plus bas prix. [7,28] XXVIII. A FUSCUS. Que ton bois de Tibur consacré à Diane croisse et repousse promptement, chaque fois que la cognée l'aura fait tomber ; que tes olives, ô Fuscus, ne le cèdent pas à celles que foulent les pressoirs de Tartessia et que tes cuves, immenses se remplissent d'excellent vin nouveau ; fais l’admiration du forum ; que le palais impérial retentisse de tes louanges, et que de nombreuses palmes décorent la double porte de ton logis. Pendant que le milieu de décembre te donne quelque loisir, parcours ce badinage ; et juge-le avec ce goût toujours sûr qui te distingue. Je veux savoir la vérité : la chose est épineuse ; mais toi, Fuscus, tu peux bien me dire ce que tu veux qu'on te dise à toi-même. [7,29] XXIX. AU JEUNE TESTILUS. Testilus, tourment si doux de Voconius Victor, aimable enfant connu pour n'avoir pas au monde son égal, que ta beauté le charme toujours, même après le sacrifice de ta chevelure, qu'aucune jeune fille ne séduise le poète qui te chérit ; écarté un moment les doctes ouvrages de ton maître, pendant que je lis mes quelques vers à ton cher Victor. Lorsque Virgile chantait son Alexis à Mécène, celui-ci écoutait aussi Marsus célébrant la brune Melénis. [7,30] XXX. CONTRE CÉLIA. Célia, tu te donnes aux Parthes, tu te livres aux Germains, tu t’abandonnes aux Daces, tu ne dédaignes ni la couche des Ciliciens, ni celle des habitants de la Cappadoce ; pour toi le galant de Memphis quitte la ville du Phare et traverse les flots ; pour toi le noir Indien oublie les bords de la mer Rouge ; tu ne repousses pas les avances des Juifs circoncis ; l'Alain, sur son cheval sarmate, te rend visite à son passage. Comment donc se fait-il qu'étant Romaine, tu ne trouves aucun charme aux caresses d'un Romain ? [7,31] XXXI. A RÉGULUS. Ces oiseaux de la bruyante basse-cour, ces œufs de canes et de poules, ces figues de Chio, jaunies par une chaleur tempérée, ce jeune chevreau arraché à sa mère plaintive, ces olives déjà sensibles au froid, ces légumes blanchis par la neige des frimas ; tu penses que tout cela te vient de ma maison de campagne ? O Régulus, quel soin tu mets à te tromper ! mes champs ne portent rien que moi-même. Tout ce que t'envoient ton fermier Ombrien et ton métayer, ta campagne située à trois milles de Rome, tes cultivateurs de la Toscane et de Tusculum, tout cela, dis-je, naît pour moi dans le marché de Suburra. [7,32] XXXII. A. ATTICUS. Atticus, noble rejeton d'une famille éloquente dont tu renouvelles la gloire ; toi qui ne laisses pas s'éteindre dans l'oubli une illustre maison, tu vois à tes côtés la foule pieuse des sectateurs de la Minerve cécropienne ; tu es l'ami de tous ceux qui aiment la solitude et la sagesse, tandis que les autres jeunes gens ont les oreilles rebattues des leçons d'un gymnaste qui les frotte d'une huile sale et leur vole leur argent. La paume, le ballon, la pelote rustique, ou des coups inoffensifs dirigés contre un piquet nu, ne sont pas pour toi les préparatifs d'un bain ; tu ne vas pas, le corps graissé d'huilé et de cire, opposer au lutteur des bras contournés ; tu n'enlèves pas à la volée la balle poudreuse : mais tu te livres à la course près des eaux limpides de la fontaine Virginale ou près de l'endroit où le Taureau brûle d'amour pour la fille du roi de Sidon. S'adonner aux divers exercices dont le gymnase s'est fait l'esclave, lorsqu'on peut courir en liberté, c'est de la paresse. [7,33] XXXIII. CONTRE CINNA. Ta toge est plus sale que la boue, et ta chaussure plus blanche que la neige qui vient de tomber, Cinna ; pourquoi donc, sot que tu es, laisses-tu traîner ton vêtement sur tes pieds ? Retrousse ta toge, Cinna, ou c'en est fait de tes souliers. [7,34] XXXIV. A SÉVÈRE, SUR CHARINUS. Sévère, tu me demandes comment il est possible que Charinus, le plus méchant des hommes, ait fait une seule chose de bien? - Je vais te le dire, et à l'instant même : quoi de plus mauvais que Néron ? quoi de meilleur que les thermes de cet empereur ? Mais j'entends un de nos esprits caustiques me dire avec aigreur : Préfères-tu les monuments de Néron à tant d'autres de notre maître, de notre dieu? - Je préfère les thermes de Néron aux bains d'un pédéraste. [7,35] XXXV. A LECANIA. Ton esclave se tient debout près de toi, les parties enveloppées d'une ceinture de cuir noir, chaque fois que ton corps se plonge tout entier dans un bain chaud. Mon esclave, Lecania, pour ne rien dire de moi, n'a point ce lourd appareil juif à cacher sous une peau. Cependant, jeunes et vieux se baignent tout nus avec toi. Ton esclave serait-il seul réellement bien membré ? Est-ce qu'en chaste matrone, tu fréquentes les lieux écartés affectés aux femmes et que tu y laves, loin de tous les regards, tes charmes secrets dans une eau qui coule pour toi seule ? [7,36] XXXVI. A STELLA. La maison de campagne, hors d'état de supporter les pluies et l'humidité du ciel, nageait en ruines au milieu des eaux pluviales de l'hiver ; alors, pour me prémunir contre un déluge subit, tu m'as fait présent d'une quantité considérable de tuiles. Voici que décembre, hérissé de frimas, fait entendre les sifflements de Borée ; Stella, tu couvres la maison de campagne, tu ne couvres pas le propriétaire. [7,37] XXXVII. A CASTRICUS, SUR LE THÊTA. Connais-tu, Castricus, le signal de mort que donne le questeur ? Il est assez important de connaître ce nouveau thêta. Toutes les fois que notre homme essuyait son nez que le froid faisait couler comme une rosée, ce geste, d'après ses ordres, était un arrêt de mort. Une roupie dégoûtante pendait de ce nez odieux, un jour que la bise humide de décembre soufflait avec fureur, ses collègues lui retinrent les mains : en un mot, Castricus, le misérable ne put pas se moucher. [7,38] XXXVIII. A POLYPHÈME. Polyphème, esclave de mon ami Sévère, tu es si grand et si bien bâti, que le Cyclope lui-même serait forcé de t'admirer. Mais Scylla n'est pas moins énorme: qu'on accouple ces deux monstres, et l'un deviendra l'effroi de l'autre. [7,39] XXXIX. SUR CÉLIUS. Les pas multipliés, les courses nombreuses qu'exigent les compliments du matin, l'orgueil et le bonjour dédaigneux des grands déplaisaient fort à Célius, qui, pour se soustraire à ces ennuis, feignit d'avoir la goutte. Mais à force de donner la fiction pour la réalité, à force d'envelopper de liniments et de liens ses pieds d’abord sains, à force de marcher d'un pas difficile, ô soin merveilleux ! ô prodige de l'art d'imiter la douleur ! Célius n'eut plus besoin de feindre qu'il avait la goutte. [7,40] XL. ÉPITAPHE D'ETRUSCUS LE PÈRE. Ci-gît un vieillard bien connu à la cour impériale, qui supporta avec dignité la faveur et la disgrâce qu'il dut à notre dieu ; la piété filiale a réuni son ombre à l'ombre sacrée d'une épouse : ils habitent tous deux les bosquets de l'Élysée. La femme mourut la première, moissonnée à la fleur de son âge ; le mari vit s’écouler environ dix-huit olympiades. Mais à l'aspect de tes larmes, Etruscus, chacun put croire que ton père t'avait été enlevé par une mort prématurée. [7,41] XLI. A SEMPRONIUS TUCCA. Tu crois être cosmopolite, Sempronius Tucca; mais les biens et les maux, Sempronius, sont aussi cosmopolites. [7,42] XLII. A CASTRICUS. Que celui qui veut lutter avec toi de libéralité, Castricus, ose aussi lutter de talent poétique. Pour nous, inférieurs à ce double égard et prêts à te céder la victoire, nous aimons à goûter un doux sommeil, un profond repos. Aussi tu vas me demander pourquoi je t'ai donné de si mauvais vers ? Penses-tu que jamais personne n'offrit de fruits à Alcinoüs ? [7,43] XLIII. CONTRE CINNA. Tu commences, Cinna, par m'accorder ce que je te demande, et tu finis bien vite par me refuser. J'aime celui qui rend service ; je ne hais pas celui qui refuse : mais toi, Cinna, tu ne sais ni donner, ni refuser à propos. [7,44] XLIV. SUR. LE BUSTE DE MAXIMUS CÉSONlUS A Q. OVIDE. Ovide, le voilà ce Maximus Césonius ton ami, dont la cire vivante conserve encore les traits. Néron te condamna, mais tu osas condamner Néron, et subir avec le proscrit un arrêt qui n'était pas le tien. Compagnon généreux, tu franchis avec l'exilé les écueils de Scylla, toi qui naguère avais refusé de suivre le consul. Si les noms cités dans mes vers doivent passer à la postérité, et s'il m'est permis de survivre à ma cendre, le siècle présent et l'avenir sauront que tu montras pour Césonius le même dévouement qu'il témoigna lui-même à son cher Sénèque. [7,45] XLV. SUR LE MÊME SUJET. Le voilà ce Maximus, cet ami puissant de l'éloquent Sénèque, qui l'aimait moins que Carus, mais plus que Serenus, et auquel il adressa tant de fois les pages précieuses de ses lettres. Tu l'as suivi sur les mers de Sicile, Ovide, toi que doivent célébrer toutes les bouches, parce que tu as bravé la fureur d’un despote en délire. Que l'antiquité admire son Pylade, compagnon inséparable d'un ami que sa mère contraignit à l'exil. Les périls sont-ils à comparer entre vous deux ? Tu accompagnas fidèlement un proscrit de Néron. [7,46] XLVI. A PRISCUS. En voulant, par des vers, rehausser à mes yeux la valeur de ton cadeau, et, t'exprimer avec plus d'élégance que le chantre de Méonie, tu te mets, tu me mets moi-même, pendant plusieurs jours, à la torture, et ta muse, Priscus, se complaît à mes dépens. Adresse aux, riches des poèmes et des élégies bien ronflantes : fais aux pauvres des présents plus réels. [7,47] XLVII. A LICINIUS SURA. Licinius Sura, toi le plus célèbre de nos érudits, toi dont l'éloquence antique rappelle le langage si mâle de nos aïeux, quel bienfait inappréciable du destin te rend à nos vœux, lorsque déjà tes lèvres effeuraient l'eau du Léthé ? Déjà l'incertitude n'était plus permise à nos cœurs : trop sûrs de ton infortune, nous versions sur ton sort les larmes de la tristesse ; et déjà tout à nos yeux était fini pour toi. Mais le souverain du silencieux Averne n'osa pas affronter notre haine, et rendit lui-même aux Parques les fuseaux qu'il leur avait ravis. Ainsi tu sais que de regrets le faux bruit de ta mort avait causés parmi les hommes, et d'avance tu jouis de ta postérité. Vis donc de cette existence dérobée au trépas et cueille des plaisirs trop fugitifs : la vie à laquelle tu reviens n'aura pas perdu un seul jour. [7,48] XLVIII. A ANNIUS. Annius, qui a peut-être deux cents tables, a autant d'esclaves pour les servir ; aussi les mets et les plats ne font-ils que paraître et disparaître. Riches, gardez pour vous de pareils festins : pour moi c'est un tourment qu'un repas ambulatoire. [7,49] XLIX. A SÉVÈRE. Sévère, je t'envoie ces produits modestes de mon jardin du faubourg : des œufs pour ton gosier, des fruits pour ta bouche. [7,50] L. A LA FONTAINE D'IANTHIS. Fontaine, si chère à ta maîtresse Ianthis, reine de son magnifique séjour, sa gloire et ses délices ; lorsque ta rive est ornée d'une foule de jeunes esclaves plus blancs que la neige ; lorsque tes ondes limpides reflètent cet essaim de nouveaux Ganymèdes, que fait Alcide dans ce bois qui lui est consacré ? pourquoi ce dieu habite-t-il une grotte si voisine de tes eaux ? Surveille~t-il les nymphes dont les amours lui sont connus, et veut-il s'opposer à un autre enlèvement d'Hylas si nombreux ? [7,51] LI. A URBICUS. Si tu ne veux pas, Urbicus, te donner le souci d'acheter mes bagatelles, et si pourtant tu désires connaître le badinage de ma muse, va trouver Pompeius Auctus; il t'est connu peut-être ? il demeure sous le péristyle de Mars Vengeur. Imbu de la science du droit, et rompu à tous les usages de la toge, ce n'est point un de mes lecteurs, Urbicus, c'est mon livre lui-même ! Il se rappelle et répète, en mon absence, si souvent mes vers, qu'il n'en omet pas une seule lettre. Enfin, s'il en avait l'envie, il pourrait passer pour en être l'auteur; mais il préfère s'occuper du soin de ma renommée. Pourvu que tu ne viennes le relancer que vers la dixième heure, car il n'est réellement libre qu'à ce moment, un petit couvert sera aussitôt dressé pour vous deux. Il lira, tu boiras : et malgré que tu en aies, il déclamera; et quand tu lui auras dit : Assez ! assez ! il lira toujours. [7,52] LII. A AUCTUS. Auctus, je suis charmé que tu lises mes ouvrages à Celer, si toutefois cette lecture lui fait plaisir. Il a été, dans ma patrie, gouverneur des Celtibériens, et jamais vertu plus pure ne brilla dans notre hémisphère. Le respect dû à un si grand homme m'impose ; et il me semble que ses oreilles ne sont pas celles d'un auditeur, mais d'un juge. [7,53] LIII. CONTRE UMBER. Umber, tu m'as envoyé, pour les Saturnales, tous les présents que t'avaient produits ces cinq jours : une douzaine de tablettes à trois feuillets, sept cure-dents; et, pour les accompagner, une éponge, une happe, un gobelet, un demi-boisseau de fèves, un panier d'olives du Picenum, et une bouteille noire de vin cuit de Lalétanie ; puis de petites figues de Syrie avec des prunes blanches, et un vase tout plein de figues de Libye. Ces présents, qui, en totalité, je pense, valaient à peine trente sesterces, me furent apportés par huit Syriens de haute stature. N'eût-il pas été plus commode de me faire remettre, sans tant de peine, cinq livres d'argent par un de tes esclaves? [7,54] LIV. CONTRE NASIDIENUS. Chaque matin, tu me racontes, à mon sujet, des rêves infaillibles propres à émouvoir et à inquiéter mon esprit. Déjà le vin de ma précédente récolte, celui même de cette année, a été employé jusqu'à la lie, depuis qu'une sorcière conjure en ma faveur les fantômes de tes nuits. J'ai épuisé des monceaux de farine, de sel et d'encens; mes troupeaux sont dépeuplés par le sacrifice si souvent répété de mes brebis. Il ne me reste ni un porc, ni une volaille de basse-cour, ni un œuf. Veille donc, Nasidienus, ou rêve pour ton propre compte. [7,55] LV. CONTRE CHRESTUS. Si tu ne fais de cadeaux à personne, en échange de ceux que tu reçois, Chrestus; si tu ne m'envoies rien par avance, ou en retour de mes présents , je te supposerai encore assez de libéralité. Mais si tu rends quelque chose à Apicius, et à Lupus, et à Gallus, et à Titius, et à Gellius, il te faut appliquer aussi ta langue libertine, non pas sur mon priape (car il est pur, et n'a pas, d'ailleurs, d'assez belles proportions), mais sur celui d'un juif échappé de Solyme en cendres, et qui vient d'être soumis à un impôt. [7,56] LVI. A RABIRIUS Ta pensée, Rabirius, embrassa le ciel et les astres, lorsque tu élevas, avec un art si merveilleux, l'édifice du mont Palatin. Si Pise veut quelque jour placer le Jupiter de Phidias dans un temple digne de lui ; c'est au dieu puissant de notre empire qu'elle devra demander ces mains si habiles. [7,57] LVII. SUR ACHILLAS. Gabinie a transformé Achillas en Castor de Pollux qu'il était : après avoir été Pixagathos, il sera maintenant Hippodamus. [7,58] LVIII. A GALLA. Déjà, Galla, tu as épousé. six ou sept pédérastes, séduite par leur chevelure, par leur barbe artistement peignée. Bientôt, convaincue de la faiblesse de leurs reins, de la mollesse de leur priape, aussi flasque qu'un cuir mouillé, et que ta main se lassait vainement à rendre plus ferme, tu as renoncé à ces galants sans vigueur, à ces maris blasés: cependant ton lit redevient encore le théâtre de ces mêmes amours. Cherche donc quelqu'un qui parle sans cesse des Curius et des Fabius, qui ait le poil hérissé, l'air rustique, dur, farouche. Tu en trouveras ; mais cette espèce sauvage a aussi ses damoiseaux : il est difficile, Galla, d'épouser un homme qui le soit réellement. [7,59] LIX. SUR CÉCILIANUS. Titus, notre ami Cécilianus ne soupe jamais sans un sanglier. Cécilianus a là un beau convive. [7,60] LX. A JUPITER CAPITOLIN. Souverain vénérable du palais tarpéien, toi que nous reconnaissons pour le maître du tonnerre au soin que tu prends du salut de l'empereur, lorsque chacun te fatigue de ses vœux, et te prie de lui donner ce que vous pouvez accorder, vous autres dieux ; si je ne te demande rien pour moi, ne t'offense pas, Jupiter, et ne m'accuse pas d'orgueil : mon devoir est de t'invoquer pour César, et de prier César pour moi. [7,61] LXI. A CÉSAR LE GERMANIQUE. L'audacieux boutiquier s'était emparé de Rome entière, et l'abord de son échoppe rendait inabordable le seuil de toutes les maisons. O Germanique, tu as fait élargir les voies trop étroites, et ce qui naguère n'était qu'un sentier est aujourd'hui une rue. On ne voit plus de piliers entourés de bouteilles enchaînées, et le préteur n'est plus contraint de marcher au milieu de la bouc. Le rasoir aveugle du barbier ne se promène plus çà et là sur la foule entassée, et de noirs cabarets ont cessé d'obstruer la voie publique. Barbier, aubergiste, rôtisseur, boucher, chacun a son chez lui. Rome existe à présent ; ce n'était autrefois qu'une boutique immense. [7,62] LXII. CONTRE AMILLUS. Amillus, tu laisses les portes ouvertes pour caresser tes mignons de belle taille, et tu veux qu'on te surprenne dans cet exercice, de peur de faire jaser tes affranchis, les esclaves de ta famille et quelque client dangereux par sa mauvaise langue. Amillus, celui qui, en pareil cas, prend des témoins pour faire voir qu'il n'est pas le patient, fait souvent ce qui se fait sans témoin. [7,63] LXIII. SUR SILIUS ITALICUS. O toi, qui lis les ouvrages impérissables de l'immortel Silius, et ses vers si dignes de la toge romaine, tu crois peut-être que ce poète n'aima jamais que les retraites consacrées aux Muses, et les couronnes de lierre des vierges d'Aonie ? Mais avant de chausser le cothurne sacré de Virgile, il avait parcouru la carrière où s'illustra l'éloquent Cicéron. Aujourd'hui il est encore admiré des centumvirs à la haste pesante, et plus d'un client ne parle de lui qu'avec reconnaissance. Après avoir gouverné Rome avec l'insigne des douze faisceaux durant l’année sacrée que signala l'affranchissement de l'univers, il consacra aux Muses et à Phébus ses jours émérites, et l'Hélicon est maintenant le barreau qu'il fréquente. [7,64] LXIV. CONTRE CINNAMUS. Après avoir été barbier, fort connu dans Rome entière, en suite devenu chevalier par l'influence d'une maîtresse, aujourd'hui, Cinnamus, tu as gagné les villes de la Sicile et le majestueux Etna, pour échapper aux tristes poursuites de la justice. Quel art peut maintenant rendre supportable à ta nullité le poids des années ? Que vas-tu faire au sein de ta malheureuse et fugitive tranquillité ? Tu ne saurais être ni rhéteur, ni grammairien, ni maître d'école, ni philosophe cynique ou stoïcien ; tu ne peux vendre aux Siciliens ton éloquence, ni tes applaudissements aux théâtres ; une ressource te reste, Cinnamus, c'est de redevenir barbier. [7,65] LXV. CONTRE GARGILIANUS. Depuis deux fois dix hivers, Gargilianus, un seul procès jugé dans trois tribunaux te mine et te consume. Malheureux et insensé, celui qui plaide pendant vingt ans pour un procès, qu'il lui est si facile de perdre ! [7,66] LXVI. SUR LABIENUS. Fabius a institué Labienus son légataire universel ; toutefois Labienus prétend qu'il a mérité plus encore. [7,67] LXVII. CONTRE PHILÉNIS. La tribade Philénis prend par derrière de jeunes garçons, et plus furieuse qu'un mari dans son ardeur lubrique, en un seul jour, elle dévore de caresses infâmes onze jeunes filles. Retroussée jusqu'à la ceinture, elle joue a la balle ; et le corps frotté de la poussière jaune des lutteurs, elle lance d'un bras souple et vigoureux les pesantes masses de plomb dont se servent les athlètes ; après la lutte, inondée de poussière et de boue, elle se fait flageller par les mains huileuses du maître des jeux : jamais elle ne soupe ! jamais elle ne se couche sur le lit du festin avant d'avoir vomi sept mesures de vin pur ; et elle se croit le droit d'en avaler encore autant lorsqu'elle a mangé seize de ces pains apprêtés pour les lutteurs. Puis enfin, lorsqu'elle se livre à ses ébats libidineux, elle ne caresse pas de sa langue le priape masculin, volupté qu'elle croit peu digne de son rôle d'homme ; mais elle dévore avec frénésie les charmes secrets des jeunes filles. Que les dieux, Philénis, te rendent le bon sens, si tu crois que l'homme doit employer sa langue aux jouissances de la femme. [7,68] LXVIII. A INSTANTIUS RUFUS. Garde-toi, je t'en prie, Instantius Rufus, de recommander mes poésies à ton beau-père : peut-être n'aime-t-il que les choses sérieuses. Si jamais, lui aussi, il approuvait mes écrits licencieux, alors je pourrais lire mes vers à un Curius et à un Fabricius. [7,69] LXIX. A CANIUS, SUR THÉOPHILA. La voici, Canius, cette Théophila qui t'est promise, et dont l’esprit est orné des chefs-d'œuvre de la littérature attique. L'illustre vieillard des jardins d'Académus la réclamerait à bon droit pour disciple et la secte des stoïciens ne mettrait pas moins d'empressement à la proclamer son élève. L'immortalité est réservée à tous les ouvrages que tu auras soumis à l'oreille judicieuse de Théophila ; tant elle est au-dessus de son sexe et du vulgaire ! Que ta Panténis n'ait garde de lui disputer la prééminence, bien que Panténis soit connue avec avantage du chœur des filles de Pierius. L'amoureuse Sapho donnerait des éloges aux vers de Théophila : moins chaste que sa rivale, Sapho n'eut pas plus de génie. [7,70] LXX. CONTRE PHILENIS. Tribade des tribades, Philénis, la femme avec laquelle tu fais l'homme est celle que tu crois devoir appeler ta maîtresse. [7,71] LXXI. SUR UNE FAMILLE QUI AVAIT DES FICS. La femme a des fics, le mari lui-même a des fics, la fille a des fics, le gendre et le petit-fils en ont également. Intendant, métayer, journalier rustique, laboureur, tous sont dévorés de ce honteux ulcère. Jeunes et vieux, tous ont des fics ; et, chose étonnante ! pas un de leurs champs n'a de figuiers. [7,72] LXXII. A PAULLUS. Paullus, que pour toi décembre soit le mois le plus agréable ; qu'il ne t'apporte pas de misérables tablettes à trois feuillets, des serviettes écourtées, ou de mesquines demi-livres d'encens ; mais qu'un riche accusé ou un ami puissant t'envoie la vaisselle de prix ou les vastes coupes de nos aïeux, ou enfin tout ce qui peut te plaire et te charmer. Puisses-tu gagner aux échecs Novius et Publius, et les faire échec et mat ! Que la palme du trigone, que l'on dispute nu, te soit accordée par la justice impartiale de la galerie des lutteurs frottés d'huile, et que l'adresse de ta main gauche obtienne plus d'éloges que celle de Polybius. Si quelqu'un, par méchanceté, m'attribue des vers infectés d'un noir venin, élève, je te prie, la voix pour me défendre ; et, tant que tu le pourras, crie toujours et toujours : mon cher Martial n'a point écrit ces infamies. [7,73] LXXIII. A MAXIMUS. Tu as une maison aux Esquilies, une deuxième sur la colline de Diane, une troisième dans le quartier des patriciens : d'un côté, tu as vue sur le temple de Cybèle, veuve du jeune Atys; de l'autre, sur le sanctuaire de Vesta ; d'ici sur le nouveau, de là sur l'ancien Capitole. Dis-moi où je pourrai te rejoindre ? où je dois te chercher ? Celui qui habite partout, Maximus, n'habite nulle part. [7,74] LXXIV. VOEU POUR CARUS ET NORBANA. Honneur du mont Cyllène et de l'empyrée, éloquent messager des dieux, toi dont la main porte la verge d'or qu'enlacent deux serpents à la peau verdâtre, puisses-tu ne jamais manquer l'occasion d'un amoureux larcin, soit que la déesse de Paphos excite tes désirs, soit que tu brûles pour Ganymède ! Que les ides de ta mère se parent de rameaux sacrés, et que ton vieil aïeul trouve léger le fardeau qui l'accable ; que Norbana et Carus, son époux, célèbrent sans cesse, avec une joie nouvelle, ce jour où le lit nuptial les reçut pour la première fois. Prêtre religieux, Carus présente ses offrandes à la sagesse : il t'invoque et brûle pour toi de l'encens, sans pour cela être infidèle à notre Jupiter. [7,75] LXXV. CONTRE UNE FEMME VIEILLE ET LAIDE. Tu prétends jouir gratis des plaisirs de l'amour, bien que tu sois vieille et laide. C'est le comble du ridicule : tu veux et tu ne veux pas donner. [7,76] LXXVI. A PHILOMUSUS. Il est vrai que les grands s'arrachent ta personne pour leurs festins, leurs palais, le théâtre ; chaque fois qu'ils te rencontrent, ils se plaisent à te faire monter dans leur litière, et à se baigner avec toi ; mais ne va pas être trop fier de ces faveurs. Tu les divertis, Philomusus, mais ils ne t'aiment pas. [7,77] LXXVII. CONTRE TUCCA. Tu exiges, Tucca, que je te donne mes ouvrages. Je n'en ferai rien : car tu veux les vendre, et non les lire. [7,78] LXXVIII. CONTRE PAPILUS. Tandis qu'on te sert la queue d'un poisson de Saxetum, et que des fèves sans assaisonnement forment tes meilleurs repas ; tu envoies en présent des tétines de truie, du sanglier, du lièvre, des champignons, des huîtres , des surmulets, c'est là, Papilus, n'avoir ni raison ni goût. [7,79] LXXIX. A SEVERUS. J'ai bu dernièrement du vin consulaire. Tu me demandes s'il était vieux, s'il était généreux ? Le consul lui-même l'avait mis en bouteille, et, Severus, c'était le consul lui-même qui nous le versait. [7,80] LXXX. A FAUSTINUS, POUR QU'IL ENVOIE A MARCELLINUS LES OUVRAGES DU POETE. Aujourd'hui que Rome laisse respirer en paix les peuples du Nord et que les trompettes guerrières ont cessé de retentir, il te sera facile, Faustinus, de faire passer ce livre à Marcellinus, qui déjà a retrouvé quelques heures pour les lettres et les plaisirs. Toutefois, si tu veux donner plus de prix au léger présent de ton ami, fais porter mes vers par un jeune esclave, non pas de ceux qui, saturés du lait des vaches de la Gétie, jouent avec le trochus sarmate sur leurs fleuves glacés ; mais prends un de ces adolescents au teint de rose, acheté à un marchand d'esclaves de Mitylène; prends un Lacédémonien qui n'aura pas encore reçu, par l'ordre de sa mère, la flagellation à l'autel de Diane. Pour moi, je t'enverrai un esclave né sur les bords de l'Ister asservi, et qui pourra faire paître tes troupeaux de Tibur. [7,81] LXXXI. A LAUSUS. Il y a dans tout ce livre, trente mauvaises épigrammes. Ah ! Lausus ! s'il y en a autant de bonnes, le livre est bon. [7,82] LXXXII. SUR MÉNOPHILE. Le priape de Ménophile est enfermé dans un étui si vaste qu'il suffirait seul à tous les comédiens ensemble. J'avais pensé (car souvent nous nous baignons de compagnie) qu'il usait ainsi de précaution pour conserver sa voix : mais dernièrement, Flaccus, au moment où, en présence du peuple, il s'exerçait à la palestre, son étui se détache et tombe ; le malheureux était circoncis. [7,83] LXXXIII. SUR EUTRAPELUS. Pendant que le barbier Eutrapelus promène son rasoir sur le visage de Lupercus, et qu'il l'épile avec soin d'un côté, la barbe repousse de l'autre. [7,84] LXXXIV. A SON LIVRE. Tandis qu'on fait mon portrait pour Cécilius Secundus, et que la toile s'anime : sous un habile pinceau, va, mon livre, à l'île de Peucé dans le pays des Gètes, cours aux rives silencieuses de l'Ister ; c'est là, au milieu des nations soumises au vainqueur, que réside Cécilius. Tu lui offriras mon présent modeste, mais précieux pour sa tendre amitié ; mes traits se peindront dans mes vers d'une manière plus sûre encore. Ni les accidents, ni le temps même ne pourra les effacer : ils vivront, lorsque l'œuvre de mon Apelle ne sera déjà plus. [7,85] LXXXV. A SADELLUS. Tu fais avec esprit plus d'un quatrain ; tu tournes agréablement quelques distiques ; je t'en félicite, Sabellus, mais sans en être surpris : il est facile d'écrire élégamment mainte épigramme ; mais composer un livre, voilà le difficile. [7,86] LXXXVI. CONTRE SEXTUS. Tu m'invitais au repas de l'anniversaire de ta naissance, alors, Sextus, que je n'étais point ton ami. De grâce, qu'est-il arrivé, qu'est-il survenu tout à coup, pour qu'après tant de gages réciproques d'amitié, après une liaison de tant d'années, je me sois vu oublié, moi, ton vieux camarade ? Ah ! j'en sais bien le motif : je ne t'ai envoyé ni une livre d'argent de coupelle espagnol, ni une toge légère, ni une lacerne d'étoffe plus grosse : fi de la sportule qui devient une spéculation de commerce ! Tu demandes des présents, Sextus, et non pas des amis. Mais tu vas me dire : Je châtierai l'esclave chargé de faire mes invitations. [7,87] LXXXVII. SUR LUI-MÊME. Si Flaccus, mon ami, se plaît à avoir une chouette aux longues oreilles ; si Canius est heureux de posséder un noir Éthiopien ; si Publius témoigne le plus tendre attachement pour une petite chienne; si Cronius aime un singe qui lui ressemble ; si l'ichneumon redoutable (au serpent et au crocodile) fait l'amusement de Marius ; et toi, Lausus, si la pie qui te salue te cause tant de plaisir; si Glacilla lie autour de son cou un serpent glacé ; si Thelesina fit ériger un tombeau à son rossignol ; pourquoi le témoin des goûts bizarres de ses maîtres, n'aimerait-il pas la figute gracieuse de Labyca, qu'envierait Cupidon lui-même ? [7,88] LXXXVIII. SUR SES OUVRAGES. Si j'en crois les bruits de la renommée, Vienne, la belle, fait, dit-on, ses délices de mes ouvrages. Là, chacun me lit, vieux, jeunes, enfants, et même la chaste épouse en présence de son mari timoré. Ce triomphe est pour moi plus flatteur que si mes vers étaient chantés par ceux qui boivent, à la source même, les eaux du Nil ; que si le Tage, ce fleuve de ma patrie, versait pour moi tout l'or de l'Espagne ; que si l'Hybla et l'Hymette prodiguaient à mes abeilles leurs sucs nourriciers. Je suis donc quelque chose, et le murmure d'une langue adulatrice ne m'abuse point : je vois, Lausus, qu'il me faut désormais ajouter foi à tes paroles. [7,89] LXXXIX. ENVOI D'UNE COURONNE DE ROSES A APOLLINARIS. Va, rose fortunée, va ceindre de tes contours délicats la chevelure de mon cher Apollinaris. Souviens-toi de la couronner longtemps encore après qu'elle aura blanchi, et sois toujours la fleur bien aimée de Vénus. [7,90] XC. A CRETICUS. Mathon publie partout que mon ouvrage est inégal : s'il dit vrai, c'est un éloge que Mathon donne à mes vers. Calvinus et Umber composent des œuvres d'une égalité soutenue. Creticus, un style égal indique qu'un livre est mauvais. [7,91] XCI. A JUVÉNAL. Éloquent Juvénal, je t'envoie, pour tes Saturnales, ces noix cueillies dans mon jardin. Le dieu libertin qui le garde a donné mes autres fruits aux jeunes filles amoureuses. [7,92] XCII. CONTRE BACCARA. Si tu as besoin de quelque chose, tu sais qu'il n'est pas nécessaire de me prier ; voilà ce que tu me dis, deux ou trois fois par jour, Baccara. L'impitoyable Secundus me réclame durement ce que je lui dois ; tu l'entends, Baccara, mais tu ignores ce dont j'ai besoin. On exige en ta présence, à haute voix et sans mystère, le payement de mon loyer ; tu l'entends, Baccara, mais tu ignores ce dont j'ai besoin. Je me plains de ce que mes lacernes en lambeaux m'exposent à toute la rigueur du froid ; tu l'entends, Baccara, mais tu ignores ce dont j'ai besoin. J'ai besoin qu'une paralysie subite frappe ta langue, Baccara, afin que tu ne puisses plus me dire : De quoi as-tu besoin ? [7,93] XCIII. A LA VILLE DE NARNIA. Narnia, toi qu'un fleuve à l'écume blanchâtre entoure de ses abîmes sulfureux, toi dont un double mont semble fermer l'accès ; quel plaisir prends-tu donc à m'enlever si souvent mon cher Quintus, et à le retenir si longtemps ? Pourquoi m'ôter tout l'agrément de ma villa de Nomente, que le voisinage d'un ami me rendait si précieuse ? De grâce, un peu de pitié, Narnia, n'abuse pas du privilége de posséder Quintus ; à cette condition, jouis à perpétuité du pont qui relie tes deux montagnes. [7,94] XCIV. SUR PAPILUS. C'était du parfum que renfermait tout à l'heure ce petit vase d'albâtre ; Papilus l'a flairé : c'est maintenant de la saumure fétide. [7,95] XCV. CONTRE LINUS. L'hiver est venu, et décembre se hérisse de glace ; cependant Linus, tu as l'impudence d'arrêter dans les rues tous ceux que tu rencontres, pour leur appliquer un baiser plus froid que la neige, et il faut que Rome entière passe par tes embrassements. Quelle vengeance plus terrible, plus cruelle, pourrais-tu exercer, si l'on t'avait battu, roué de coups ? Par un froid semblable, je ne voudrais ni recevoir les baisers de ma femme, ni sentir les petites lèvres caressantes de ma fille en bas âge. Mais toi, plus aimable, plus raffiné, tu embrasses toujours, malgré la roupie glaciale qui pend à tes narines de chien, malgré ta barbe aussi rude que celle d'un bouc du Cinyphus, tondu par les ciseaux recourbés d'un chevrier cilicien. J'aimerais mieux rencontrer une centaine de débauchés à la langue libertine, et je redouterais moins un prêtre de Cybèle qui viendrait de subir la mutilation. Si donc il te reste encore un peu de bon sens, et de pudeur, Linus, je t'en conjure, ajourne au mois d'avril tes baisers d'hiver. [7,96] XCVI. ÉPITAPHE DE L'ENFANT URBICUS. Je repose en ce lieu, moi, l'enfant que pleure Bassus ; moi, Urbicus, ainsi nommé par la reine des cités, par Rome à qui je dois le jour. Il me manquait six mois pour avoir trois ans, lorsque les déesses impitoyables tranchèrent le fil, hélas ! trop court de ma vie. A quoi m'ont servi mes grâces naïves, mon langage enfantin et mon âge si tendre ? Verse des larmes sur ma tombe, toi qui lis cette inscription. Puisse celui à qui tu souhaiteras des jours plus longs que les tiens, ne descendre aux rives ou Léthé, qu'après avoir passé l'âge de Nestor ! [7,97] XCVII. A SON LIVRE, SUR CÉSIUS SABINUS. Mon petit livre ! si tu connais bien Césius Sabinus, l'honneur de l'Ombrie, ce pays de montagnes, Sabinus le compatriote de mon cher Aulus Pudens, offre-lui ces poésies, fût-il même occupé. Malgré les mille soins qui le pressent et l'assiègent, il trouvera bien quelques instants à donner à mes vers; car il me chérit, et il me lira le premier après les œuvres célèbres, de Turnus. Quelle renommée, quelle gloire vont devenir mon partage ! Pour moi que de fecteurs enthousiastes ! Les festins, le Forum, les maisons, les carrefours, les Portiques et les boutiques, ô mon livre, vont retentir de ton nom. Envoyé à un seul homme, tu seras lu de tout le monde. [7,98] XCVIII. A CASTOR. Castor, tu achètes tout : c'est le moyen de tout vendre. [7,90] XCIX. A CRISPINUS. Crispinus, que le maître du tonnerre te montre un visage toujours serein ; que Rome t'aime à l'égal de, Memphis, ta patrie, si mes vers sont lus à la cour impériale : car, d'ordinaire, ils jouissent de l'oreille sacrée de César. Lecteur bienveillant, ose lui dire de moi : ce poète contribue à la gloire de ton règne ; il n'est pas trop inférieur à Marsus et au docte Catulle. Ces mots suffiront, : j'abandonne le reste au dieu de l'empire. [7,100] C. A PONTICUS. Ponticus, tu es sans cesse chez les grands, et là tu passes tout en revue ; sans doute tu poursuis des projets importants, Ponticus; tu es un grand homme. Ponticus, si tu fais certaines choses, tu les fais sans témoin, et loin de la foule ; tu admets peu de gens dans ta confidence, Ponticus; tu es un homme de précaution. Ponticus, la nature t'a fait un modèle de beauté ; tu étais digne d'Hélène, Ponticus ; tu es un bel homme. Ponticus, ta voix pourrait attendrir le diamant ; rien de si doux que tes accents, Ponticus tu es la douceur même. Ponticus, c'est ainsi que les autres et toi-même vous êtes le jouet d'une erreur ; veux-tu que je te dise la vérité, Ponticus? tu es un homme nul. [7,101] CI. SUR UNE VIEILLE. Tu plais à qui te touche, tu plais à qui t'entend ; pour qui ne te voit pas, tu plais complétement : mais dès qu'on t'a vue, tu ne plais d'aucune manière. [7,102] CII. SUR MILON. Milon n'est pas chez lui ; pendant qu'il voyage, ses champs restent en friche, mais sa femme n'en est pas moins féconde. Pourquoi ses terres sont-elles stériles ? pourquoi sa femme a-t-elle des nourrissons ? Je vais vous le dire : la culture manque au jardin, mais la femme est bien cultivée.