[0] MARBODE DE RENNES. LE LAPIDAIRE. PROLOGUE. Evax, roi d'Arabie, avait écrit, dit-on, Un livre curieux pour l'empereur Néron : Des gemmes il disait le nom, la provenance, La forme, la couleur, l'espèce, la puissance. Ce sujet me séduit à mon tour, et je veux En faire un traité clair et peu volumineux. Ce livre est réservé pour mes amis d'élite. Ce que sait le vulgaire a perdu son mérite : N'allons point profaner les mystères trahis! Mon trésor n'est ouvert que pour trois seuls amis, Gens craignant Dieu, discrets, graves, de mœurs austères; Trois ! ce nombre sacré convient bien aux mystères. Pénétrer jusqu'au fond de ces pierres, savoir Leurs secrètes vertus, leur occulte pouvoir; De merveilleux effets approfondir la cause, Certes, c'est, à mon sens, une bien rare chose ! A ces divins cristaux le médecin savant, Contre la maladie a recours très souvent. Je montrerai, d'après les écrits des vieux sages, Que l'on en peut tirer bien d'autres avantages. Et pour quelle raison douter ou s'étonner Du pouvoir que le ciel a voulu leur donner? Le grand Dieu qui prêta des vertus au brin d'herbe Devait-il moins doter le diamant superbe? [1] I. — LE DIAMANT. L'Inde extrême produit le plus beau diamant. Des mines de cristal on l'extrait seulement. Comme pour rappeler le lieu de sa naissance, Il brille, et de l'acier conserve la nuance. II est de tous les corps réputés le plus dur. Il émousse le fer; je tiens même pour sûr Que le feu n'y peut rien; et pour que l'on parvienne A l'entailler, il faut que d'abord on le tienne Quelques instants plongé dans le sang d'un chevreau. Chaque fragment que fait éclater le marteau, Des autres gemmes sert à tailler les facettes. Les blocs n'en sont jamais plus gros que des noisettes. Dans l'Arabie on trouve un autre diamant Beaucoup plus grand, plus lourd, mais bien moins résistant, Moins éclatant, et moins prisé par cela même. Dans la mer, près de Cypre, on en pêche un troisième; Des mines de la Grèce un autre est retiré. Par tous les diamants le fer est attiré Car ils ont de l'aimant la vertu magnétique. Ils peuvent mieux encore, et leur force est unique : Si vous mettez la gemme en face de l'aimant, Bientôt l'aimant dompté suivra le diamant. Cette pierre est utile en l'art de la magie; Elle remplit le cœur de force et d'énergie; Elle peut dissiper les rêves fatigants, Fantômes de la nuit, larves et revenants; Détruire des poisons la funeste influence, Apaiser les conflits et guérir la démence : Elle sait nous venger de tous nos ennemis. Montez en bracelet ces gemmes de grand prix, Que dans l'or ou l'argent l'orfèvre les enchâsse; Que ce bijou toujours à sénestre se place. [2] II. — L'AGATHE. La rive d'un ruisseau portant le même nom En Sicile, fournit ce caillou de renom. Il est noir, traversé partout de blanches lignes, Qui s'enchevêtrant, font des ligures insignes; Et la nature y peint d'un crayon merveilleux Ou le portrait des rois ou le portrait des dieux. Pyrrhus avait pour bague une agathe admirable, Sur laquelle on voyait (chose à peine croyable) Des neuf muses le chœur et le blond Apollon, Assis au beau milieu, jouant du violon. Or, l'art n'était pour rien dans cette portraiture, Et c'était de tout point l'œuvre de la nature. L'agathe de la Crète est semblable au corail, Un rose vif et clair nuance son émail, Qui chasse les serpents et guérit leurs morsures. Dans l'agathe de l'Inde on voit mille figures : Des immenses forêts, c'est le feuillage ombreux; Du tigre ou du lion, c'est le profil affreux. Cette espèce, dit-on, trompe la soif qui tue, Et de plus, on la croit favorable à la vue. Une autre de la myrrhe exhale au loin l'odeur; D'une tache de sang, une autre a la couleur; Semblable à de la cire, enfin il en est une Que l'on prise assez peu, parce qu'elle est commune. L'agathe défend l'homme et le rend vigoureux, Éloquent, séduisant : donne un teint gracieux, Fait qu'à Dieu comme au monde on parait agréable. Enée avait toujours une pierre semblable, C'est grâce à son secours qu'il put tant voyager, Chaque jour échappant à-quelque affreux danger. [3] III. — L'ALLECTOIRE. Cette pierre, qu'on vante avec tant de raison, Provient, qui le croirait, du ventre d'un chapon. Elle y naît seulement dans la troisième année, Après qu'au célibat la bête est condamnée. Il faut quatre ans entiers pour qu'elle ait sa grosseur, Mais, au plus, d'une fève elle atteint la grandeur. Claire comme un cristal ou l'eau qu'on y va boire, Les anciens l'ont connue et nommée allectoire. Jamais on ne vaincra son heureux possesseur; Elle met dans la bouche un foyer de fraîcheur. C'est par elle qu'on vit l'athlète de Crotone, Du pugilat gagner tant de fois la couronne. Combien, parmi les rois, lui doivent leurs succès! Du pays aux bannis elle rouvre l'accès, Leurs honneurs et leurs biens leur sont rendus par elle; Souvent elle leur donne une faveur plus belle. Par elle, un orateur est fécond, entraînant; Un jouvenceau par elle est constant et charmant. Elle donne aux amants une ferveur nouvelle, A l'épouse elle rend l'époux toujours fidèle. Pour avoir tous les biens que je viens de noter, On la doit constamment dans la bouche porter. [4] IV. — LE JASPE. Des jaspes on connaît dix-sept variétés. On le trouve partout, divers de qualités. La principale espèce est verte et transparente; Par ses vertus surtout, c'est la plus importante. Ce jaspe est un trésor, lors d'un accouchement, Si celle qui le porte a vécu chastement; Pour la fièvre il n'est pas de meilleur spécifique, Dans la même hypothèse; il guérit l'hydropique. Pour servir aux prélats, l'Église le bénit. On dit qu'il fait enfuir les fantômes de nuit, Qu'il est dans le péril une sûre défense, Et qu'il donne à la fois la grâce et la puissance. Pour sentir à coup sûr son effet bienfaisant, De préférence il faut l'enchâsser dans l'argent. [5] V. — LE SAPHIR. Rien, mieux que le saphir, n'orne une main royale. Bleu comme le ciel pur, nulle pierre n'égale Sa beauté, son éclat et surtout sa vertu. Sous le nom de syrtide il est aussi connu, Parce qu'il est cueilli quand la mer africaine Retire et laisse à sec la syrte libyenne. Un autre genre vient de Médie, excellent, Bien qu'on dise qu'il n'est jamais très transparent. Le ciel lui départit tant de vertus suprêmes, Qu'on la nomme à bon droit la gemme entre les gemmes : Elle sait de la vie assouplir les ressorts, Garder les membres sains et rajeunir le corps. Elle met au-dessus de l'erreur, de l'envie, Elle rassure l'âme à la crainte asservie; Elle peut, des captifs, entrouvrant la prison, Rompre et briser les fers; du moins l'affirme-t-on. Elle apaise le ciel, et, calmant ses colères, Elle rend le Seigneur propice à nos prières. Entre les ennemis elle amène la paix. Le nécromancien l'emploie avec succès, Pour obtenir d'en haut la réponse voulue. Cette pierre sans prix, mise en poudre et moulue, Du mal intérieur rafraîchit les ardeurs, Dessèche et ralentit sur le corps les sueurs; D'un sein tuméfié cicatrise l'ulcère; Purge l'œil chassieux et sèche la paupière; Guérit les maux de tête et de bouche. Un cœur pur Tire seul ces profits de la pierre d'azur. [6] VI. — LA CHALCÉDOINE. Elle a de doux reflets dans sa teinte effacée. Qu'en bague, qu'en collier on la porte percée, Elle assure le gain des dangereux procès; Elle est en toute chose un gage de succès. Elle tient du béryl et de la hyacinthe: Unique en son espèce, elle est triple en sa teinte. [7] VII. — L'ÉMERAUDE. L'admirable émeraude, en ses tons chauds et verts, Surpasse tout ce qui verdit dans l'univers. Sous douze noms divers cette pierre est décrite -. On connaît, en effet, l'émeraude du Scythe, Et celle du Persan, celle des bords du Nil; Encore celle qui se l'orme, paraît-il, Dans les veines du cuivre, et qui porte la trace De ce métal, et qui... Les autres, je les passe. A celle de Scythie est dû le premier rang. Mais le griffon la garde, amoureux vigilant, Et, pour s'en emparer, il faut que le Sarmate Tienne tête à l'oiseau terrible et le combatte. On estime surtout un bloc bien transparent Qui de ses reflets verts teint l'air environnant, Qui brille également au grand soleil, à l'ombre, Aux lueurs des flambeaux éclairant la nuit sombre. Si sa face est concave, ou plane seulement, C'est contre le soleil un miroir excellent, Dont Néron se servait pour suivre dans l'arène Les amusants détails d'une hécatombe humaine. Il est commode encore pour l'habile devin Qui plonge un œil hardi dans l'avenir divin. L'émeraude enrichit jusques à l'opulence Celui-qui pour elle a respect et révérence. Elle rend l'avocat logique, convainquant, On dirait qu'à coup sûr elle fait éloquent. Pour la suspendre au col, d'ordinaire on la perce; Elle dissipe ainsi la fièvre double tierce. Elle rend la raison aux pauvres insensés. Son verdâtre reflet convient aux yeux lassés. Elle apaise les mers par l'orage agitées, Et par les passions les âmes tourmentées. En la trempant dans l'huile et le vin, on s'en sert Pour fabriquer sans peine une encre d'un beau vert. [8] VIII. — LA SARDOINE. A deux pierres, ses sœurs, elle emprunte son nom, La sardine et l'onyx : des deux elle a le ton; Car elle est à la fois et rouge, et blanche, et noire. De cinq variétés les maîtres font mémoire. Lorsqu'une ligne nette, en espaces égaux, Répartit la couleur de chacun des émaux, De façon que les tons n'offrent aucun mélange, La pierre est sans reproche et digne de louange; Si le grain en est dense, et si vif le reflet, On possède un bijou de tous les points parfait. Seule, elle ne laisse pas d'empreinte sur la cire. La sardoine convient à l'homme qui n'aspire Qu'à garder son cœur chaste et son humilité. Elle a sans doute encore quelque autre qualité, Mais je n'en ai rien pu trouver dans aucun livre. C'est l'Arabie ou bien l'Inde qui nous la livre. [9] IX. — L'ONYX. Qu'on le porte en collier, qu'on le porte en anneau, L'onyx attriste l'âme et remplit le cerveau De sombres visions, de larves, de fantômes. L'onyx sème partout la haine entre les hommes, Éveille la chicane et les combats sanglants, Et fait avec excès saliver les enfants. C'est l'Arabie et l'Inde encore qui le produisent. En cinq variétés les auteurs le divisent, Et les Grecs autrefois lui donnèrent son nom D'un mot qui veut dire ongle en leur langue, croit-on. Portée en même temps, la sardine conjure Et guérit tous les maux que l'onyx nous procure. [10] X. — LA SARDINE. Cette gemme est trouvée à Sardes, en Lydie, Et de là vient son nom. Elle est rouge et jolie, Et n'aurait d'autre prix pour nous que sa beauté, Si Dieu n'avait voulu, pour notre utilité, Qu'elle fut de l'onyx l'antidote efficace. En cinq variétés l'antiquité la classe. [11] XI. — LA CHRYSOLITHE. Dans ses reflets dorés, elle a l'éclat du feu ; Elle a de l'Océan le ton verdâtre et bleu. Dans l'or pur enchâssée, elle sert d'amulette, Et chasse les terreurs d'une nuit inquiète. Simplement enfilée avec un crin d'ânon Et portée au bras gauche, elle donne au démon Un épouvantement, qui le trouble, l'agite; Et, ce qui vaut bien mieux, le met soudain en fuite. Cette gemme, qui vaut à l'homme un si grand bien, Est un produit heureux du sol éthiopien. [12] XII. — LE BÉRYL. Le béryl, qu'embellit la forme hexagonale, Est presque sans couleur dans sa nuance pâle. Les anciens estimaient celui dont le ton-clair Rappelle l'huile pure ou bien l'eau de la mer. Il inspire aux époux une égale tendresse, Il endurcit la main qui le tient et le presse. On se sert pour les yeux de l'eau qui l'a trempé, Et quiconque en boira, sentira dissipé Ce flot de gaz qu'en rots l'estomac nous envoie. Cette eau guérit aussi de tous les maux du foie. On classe les béryls en neuf variétés, Et tous nous sont de l'Inde en Europe apportés. [13] XIII. — LA TOPAZE. Une île de ce nom l'aurait jadis produite; Sa grande rareté décuple son mérite. Les maîtres ont connu deux sortes seulement : La jaune, qui ressemble à l'or absolument; L'autre, plus transparente, à teintes plus livides. La topaze, dit-on, pour les hémorroïdes, Est un soulagement facile et précieux. Elle a d'autres effets beaucoup plus curieux : Avec la seule lime on la taille, on la ronge; Si dans un vase plein d'eau bouillante on la plonge, On voit cesser soudain tous les bouillonnements. L'Arabie en produit, terre des diamants. [14] XIV. — LA HYACINTHE. Sous trois genres distincts, classés par les couleurs, Cette gemme est décrite en tous les vieux docteurs : Grenat, citron, azur, l'une ou l'autre nuance A pour fortifier une égale influence. Toutes trois chasseront les soupçons faux et vains, Et la noire tristesse et les sombres chagrins. La rouge est la-plus rare, et, partant, la plus chère; A tous les changements que subit l'atmosphère L'azurée est soumise : éclatante au soleil, Sombre quand le brouillard voile le ciel vermeil. Aux lèvres rien n'apporte autant de fraîcheur qu'elle. On craint également, quand on la veut très belle, Ou trop de transparence ou trop de densité. Il faut que de la fleur elle ait le velouté. On ne peut la sculpter : pour polir cette pierre, Il faut du diamant employer la poussière. La jaune, de beaucoup, est jugée au-dessous De ses sœurs. Cependant, si vous portez sur vous L'une ou l'autre des trois, courez en paix la terre ; Des pays empestés le séjour délétère Est sans danger pour vous. En tous lieux bien venu, Partout on vous rendra l'honneur qui vous est dû : On vous accordera votre juste requête, Et de vous héberger chacun se fera fête. Avec d'autres trésors, créés pour notre bien, Cette pierre nous vient du sol éthiopien. [15] XV. — LA CHRYSOPRASE. On dirait un porreau semé de gouttes d'or; On la tire de l'Inde, insondable trésor, Véritable palais des pierres précieuses. Je n'ai point découvert les vertus curieuses De cette chrysoprase, et connu son pouvoir. Sans doute elle en a : mais je ne puis tout savoir. [16] XVI. — L'AMÉTHYSTE. D'un vieux vin généreux une goutte versée, De l'améthyste peint la teinte violacée. D'autrefois, on la voit pourpre comme la fleur Du rosier. Il en est d'autres, dont la couleur Pâlissante s'éteint comme lorsqu'on mêle De l'eau dans notre vin. Cette pierre si belle, Qui de l'ébriété garde nos sens surpris, Qui se taille aisément, serait vraiment sans prix ; Mais sa grande abondance amoindrit son mérite. L'Inde nous en fournit cinq espèces qu'on cite. [17] XVII. — LA CHELIDOINE. Elle naît dans le sein de la pauvre hirondelle, Gardant à son insu ce trésor qui, pour elle, vu Sera l'occasion d'un funeste trépas. J'ai parlé de trésor : pourtant ne rêvez, pas Perles et diamants. Cette pierre est petite Et laide : sa vertu fait seule son mérite; Mais pour les qualités elle est au premier rang. Éventrant l'hirondelle, on l'arrache à son liane, Rouge ou noire. La rouge apporte au lunatique Le repos; elle calme aussi le frénétique, Et guérit le malade accablé de langueurs. Elle rend éloquent, assure les faveurs Du peuple. A votre gauche ayez la suspendue, Dans un petit sachet de fil de lin cousue. Si vous portez la noire en de pareils sachets, Vous verrez à bon port aboutir vos projets; Vous redouterez peu du prince la colère. L'eau qui l'aura trempée affermit la paupière ; Encor, si vous teignez le sachet en safran, Elle chasse la fièvre et les humeurs du sang. [18] XVIII. — LE JAIS. Le jais brillant n'est pas une gemme à vrai dire, On en trouve en Lycie et le meilleur se tire, De la Bretagne. Il est très léger et très noir; Frottez-le quelque temps, il aura le pouvoir D'attirer les fétus et les barbes de plume. L'huile le refroidit, l'eau l'échauffe et l'allume; Il guérit les tumeurs qui soulèvent la peau; Pour raffermir les dents, on peut employer l'eau Qui l'a trempé. D'aucuns le conseillent aux femmes En fumigation. Jetez-le dans les flammes Pour soulager quelqu'un qui tombe du haut mal. Il est, ainsi brûlé, pour les serpents fatal, Et, sans doute, à ce titre, il met le diable en fuite. Il guérit les douleurs d'entrailles et leur suite; Il saura déjouer un sort sur vous jeté : Il est, dit-on, garant de la virginité. Femme, en peine d'enfant, buvez l'eau saturée De jais, durant trois jours, vous serez délivrée. [19] XIX. — L'AIMANT. L'homme a trouvé l'aimant dans les terres extrêmes D'Afrique, et dans ton sein, Inde, mère des gemmes. L'aimant garde, on le sait, l'aspect et la couleur De ce fer qu'il attire à lui, comme un vainqueur. Celui qui, le premier, en essaya l'usage, Devinant son pouvoir, fut Déendor, le mage. Après lui vint Circé, ce monstre dont le nom Veut dire également et magie et poison. Elle employa l'aimant en mainte expérience De cabale, et transmit aux Mèdes sa science. Chez ceux-ci, ce métal, chaque jour mieux connu, Chaque jour révéla quelque étrange vertu. Ainsi, si d'un époux la tendresse jalouse, De méfaits conjugaux soupçonne son épouse, Quand celle-ci commence en paix à sommeiller, Qu'il glisse un bloc d'aimant sous le mol oreiller : S'il est l'heureux mari de sage et prude dame, Tout à l'heure il verra sa vertueuse femme Qui, sans se réveiller, tendra vers lui les bras. Mais si, par aventure, elle est tout autre, hélas! L'adultère bondit, hors de son lit poussée Par un bras invisible : ou bien plutôt chassée Par un parfum fatal, l'infecte puanteur Que répand à l'instant l'aimant accusateur, Ainsi, quand un voleur couronnant ses prouesses, Veut piller un palais encombré de richesses : Qu'aux quatre coins d'abord il place adroitement Des charbons saupoudrés de poussière d'aimant. Une blanche vapeur s'élève : consternée, A demi-morte, on voit s'enfuir la maisonnée ; Il semble que les murs ivres vont s'écrouler, Et le voleur achève à l'aise de voler. L'aimant sait allumer ces mutuelles flammes Qui confondent les cœurs des maris et des femmes. L'aimant donne la grâce et la force au discours, Et de la controverse enseigne les détours. Dissous dans du vin doux, il purge l'hydropique; Pour les membres brûlés sa poudre est un topique. [20] XX. — LE CORAIL. Au fond de l'Océan, quand le corail se cache, C'est une plante. Mais, aussitôt qu'on l'arrache, Il se durcit à l'air et devient minéral, Tout en gardant l'aspect branchu du végétal. Vivant, il était vert; mort, il est écarlate. Il n'a qu'un demi-pied, mais sa puissance éclate En toute occasion. Zoroastre le dit; Dans ses savants traités, Métrodore l'écrit. Il chasse la tempête et la foudre, et préserve La nef et la maison où l'homme le conserve. Parsemez-en la vigne ou le plant d'olivier; Au froment qu'aux sillons vous allez confier, Mêlez-en : vos guérets ne craindront pas la grêle, Vous aurez la moisson aussi bonne que belle. Le corail fera fuir les monstres des enfers Et ceux, moins dangereux, des bois et des déserts. Il vous préparera des grands l'accès facile, Et par lui votre effort ne sera point stérile. [21] XXI. — L'ALABANDINE. En Asie, un pays qu'on nomme Alabanda Fournit l'alabandine, et bien fin qui saura Ne la confondre point avecque la sardine, Dont l'éclat purpurin la pare et l'illumine. [22] XXII. — LA CORNALINE. Je ne manquerai pas de parler, à coup sûr, De ces pierres au teint sombre, à l'aspect obscur, Les cornalines, dont les vertus sont vantées. En bagues, en colliers, au doigt, au col, portées, De la discussion elles calment l'ardeur. Celle qui de la chair lavée a la couleur, Arrête un flux de sang, le tarit en sa source. Pour les femmes elle est d'une utile ressource. [23] XXIII. — L'ESCARBOUCLE. Rien ne peut s'égaler à son rayonnement; On dirait l'étincelle ou le charbon ardent, D'où son nom d'escarboucle. On l'appelle anthracite, Du grec, anthrax. Elle est du pays Troglodyte. Les ténèbres, la nuit, n'éteignent pas ses feux. Ses rayons enflammés éblouissent les yeux ; On en compte trois fois trois espèces notées, Et trois autres encore doivent être ajoutées. [24] XXIV. — LA LIGURIENNE. C'est l'urine du lynx, en tombant, qui se fige Et produit ce caillou, qu'avec soin l'on collige. Le sauvage animal semblerait se douter Du prix de son calcul. On le voit s'agiter Pour couvrir sa laissée, ou de sable, ou de terre : Il espère, sans doute, à l'homme la soustraire. On lit dans Théophraste, un excellent auteur, Que la pierre du lynx de l'ambre a la couleur, Qu'elle attire de même un léger brin de paille, Qu'il n'est, pour l'estomac, remède qui la vaille, Qu'à la pâle hystérique elle rend ses couleurs, Et que du ventre, enfin, elle endort les douleurs. [25] XXV. — L'ECHITE. Il faut nommer l'échite entre les nobles gemmes ; L'aigle va la chercher aux limites extrêmes Du monde. De son nid, talisman sans égal, Elle préservera ses aiglons de tout mal. Comme la mère en soi porte un autre soi-même, Cette pierre en son sein renferme une autre gemme: Ce qui fait qu'on l'emploie en un accouchement Comme un préservatif contre l'avortement. On la pend au bras gauche, à la mode ordinaire : Elle enrichit celui qui la porte, et confère Avec l'utile don de la sobriété, Le succès, la faveur, la popularité. Elle est le vrai trésor des mères de famille, Assurant la santé des garçons et des filles. C'est un remède aussi contre ce mal fatal Que le vulgaire nomme, à bon droit, le haut mal. Si vous craignez un jour qu'on ne vous empoisonne, Pour éprouver celui que votre peur soupçonne, Vous lui ferez-servir un mets bien délicat; Vous glisserez d'abord l'échite sous le plat : Si vos soupçons sont vrais, en efforts inutiles Du traître s'useront les mâchoires stériles; Il ne pourra pas même avaler un morceau. Puis, retirez la pierre : artifice nouveau ! Le convive affamé, mange sans résistance. On dit que cette gemme est rouge de nuance. On la trouve cachée aux bords de l'Océan, Dans l'aire des aiglons, dans le pays Persan; Et Castor et Pollux autrefois la portèrent, Et leurs exploits jumeaux pour jamais l'illustrèrent. [26] XXVI. — LA SILÉNITE. Je ne passerai point tout à fait sous silence Cette pierre persane en qui vit la nuance D'un frais gazon de mai, la sœur du jaspe vert. Un spectacle changeant nous est par elle offert Si la lune décroît, la pierre diminue, Si l'astre croit, la gemme à grandir s'évertue. Variable selon les saisons et les mois, Ainsi du ciel lui-même elle observe les lois. Et plusieurs, en ce sens, la nomment pierre sainte. De langueur, de phtisie une poitrine atteinte, Ne la portera pas sans grand soulagement. Or, elle n'agit pas au croissant seulement : Au décours, sa vertu n'est pas moins admirable, Elle inspire l'amour en nous rendant aimable. [27] XXVII. — LA GAGATROMÉE. De diverses couleurs cette pierre est marbrée, D'un tout jeune chevreuil on dirait la livrée. L'habile général qui saura s'en armer, Vaincra ses ennemis et sur terre et sur mer. C'était, affirme-t-on, le talisman d'Hercule, Et s'il s'en séparait, sa puissance était nulle. [28] XXVIII. — LA CÉRAUNIE. Quand le ciel en fureur déchaîne la tempête, Quand, sans trêve, la foudre éclate sur nos têtes, Quand on voit l'horizon sillonné par l'éclair; Il tombe quelquefois, d'un nuage entr'ouvert, Un gravier que les Grecs ont nommé céraunie. Du céleste caillou l'influence bénie, Si le portant sur nous, chastement nous vivons, Garde du feu du ciel, nos fermes, nos, maisons ; Sur le fleuve ou la mer, quand notre nef voyage, Nous n'aurons jamais rien à craindre de l'orage. Dans les combats sanglants, comme dans les procès, Cette gemme est toujours un gage de succès. Elle emplit le sommeil de visions charmantes. Deux genres sont connus, de couleurs différentes : L'un vient de Germanie et ressemble au cristal, L'autre est une pyrite et vient de Portugal. De reflets bleus ou bruns les Germaines sont teintes, L'Espagnole du feu ne craint pas les atteintes. [29] XXIX. — L'HÉLIOTROPE. Son nom vient du pouvoir qu'elle a sur le soleil. Exposée aux rayons de cet astre vermeil, Dans un bol d'eau plongée, elle est assez puissante, Pour le voiler soudain d'une vapeur sanglante, D'une éclipse donnant le spectacle nouveau. Dans le vase bientôt on voit bouillonner l'eau ; Du liquide épandu la terre est inondée, Comme, en temps orageux, par une forte ondée : Elle appelle la pluie au milieu d'un ciel pur. Elle a de même accès dans le monde futur : Qui la porte sur soi devient un peu prophète. Elle est un gage sûr de renommée honnête Et de bonne santé. C'est ainsi de nos jours Qu'elle orne, tout ensemble, et prolonge le cours. Elle étanche le sang bien mieux que le dictame, Elle garde nos sens des poisons, et notre âme De l'erreur. Ajoutez un plus merveilleux don : Si je la réunis à la fleur de son nom, Prononçant sur les deux la formule voulue, Je puis, nouveau Gigès, me soustraire à la vue : Quelqu'un raconte au moins ce fait comme certain. L'Ethiopie, ou Cypre, ou le sol africain La donnent. On dirait l'émeraude mouillée De gouttes de sang frais, et par ce sang souillée. [30] XXX. — LA GÉRACHITE. L'antiquité vantait la noire gérachite, Non point pour sa couleur, mais pour son grand mérite. Dans la bouche ayez-la, la voulant éprouver (Mais après avoir pris bien soin de vous laver Le palais et les dents), vous saurez par la gemme Ce que votre voisin pensera de vous-même. Il est une autre épreuve encore qu'on en fait : Après vous être oint de miel mêlé de lait, Quand le soleil répand ses effluves vermeilles, Mettez-vous, nu, tout près d'une ruche d'abeilles : Si vous avez sur vous la pierre dont est cas, L'essaim inoffensif ne vous piquera pas. Renoncez un instant à cette sauvegarde : Le bataillon ailé sur vous s'abat et darde Mille traits acérés plein d'un âcre venin, Et vos bonds douloureux le secoueront en vain. [31] XXXI. — L'ÉPISTITE. Plus précieuse encor que l'airain de Corinthe, Elle naît dans cet isthme. Elle est rouge de teinte, Brillante. Jetez-la dans un bassin ardent, Elle en calme soudain tout le bouillonnement; Bientôt toute chaleur en est si bien chassée, Que l'eau se refroidit et redevient glacée. La trombe et l’ouragan passent sans ravager La vigne et les moissons qu'elle sait protéger. Elle éloigne des champs l'avide sauterelle, Et le brouillard stérile, et la perfide grêle. Elle a même pouvoir sur un orage humain, Et la sédition se calmera soudain, Si l'on fait rayonner sur la foule qui beugle Ce caillou, dont l'éclat l'éblouit et l'aveugle. Ainsi, dans le danger, c'est un sûr protecteur; Mais il faut constamment la porter sur le cœur. [32] XXXII. — L'HÉMATITE. S'il est bien une pierre utile en médecine, C'est celle que l'on nomme hématite ou sanguine. En frottant la paupière, on calme le mal d'yeux, Et ce simple contact purge un œil chassieux. Mêlée à du blanc d'œuf, dans du jus de grenade, Et broyée au mortier, à l'état de pommade, Puis, dissoute dans l'eau, contre le crachement Ou le flux de sang, c'est un breuvage excellent. En poudre, elle détruit ces bourgeons parasites Qui croissent dans l'ulcère. Elle a d'autres mérites : Buvez-en fréquemment, mêlée à du vieux vin, En cas de diarrhée; et contre le venin Des serpents, usez-en en friction humide. Pétrie avec le miel, baume à demi-solide, Elle guérit encore les différents maux d'yeux ; Elle est pour la gravelle un fondant précieux. Elle est ou rouge ou grise. Elle vient d'Arabie, De l'Afrique brûlante et de l'Ethiopie. [33] XXXIII. — L'ABESTE. L'abeste arcadienne a la couleur du fer ; Une fois enflammée elle est, comme l'enfer, Ardente, inextinguible et jamais consumée. De là lui vient le nom dont les Grecs l'ont nommée. [34] XXXIV. — LA PÉANITE. C'est de l'Afrique encore que nous vient une pierre, Qui de l'enfantement reproduit le mystère. Par une cause occulte elle conçoit, grossit, Et, le temps révolu, met au monde son fruit; Sensible à des douleurs qu'elle éprouve elle-même, Elle secourt la femme en cet instant suprême. [35] XXXV. — LA SADE. Personne ne pourrait jamais la découvrir, Si ce n'est qu'elle vient d'elle-même s'offrir. Elle nait dans le fond de la mer chaldéenne; Quand un navire passe, elle atteint sa carène, S'y colle, et le marin gagne joyeux le port, Sans savoir qu'il emporte avec soi ce trésor. Or, elle tient si bien à la nef qui l'attire, Qu'il faut, pour l'arracher, retirer du navire La planche dont elle a pénétré l'épaisseur. De la prasine elle a la verdâtre couleur. [36] XXXVI. — LA MÈDE. Cette pierre, qu'on trouve au royaume du Mède, Est tantôt un poison et tantôt un remède. Dissoute dans le lait virginal qu'a donné Une femme allaitant son garçon premier-né, Aux rayons du soleil elle ouvre la paupière De l'aveugle longtemps privé de la lumière. Dissoute dans le lait que donne, au renouveau, Une jeune brebis à son premier agneau, Elle chasse à l'instant la goutte même ancienne. Contre la néphrétique il faut en oindre l'aine; Elle rend la vigueur à nos seins épuisés Et le souffle vital à des poumons usés. On devra conserver ce baume salutaire Dans des vases bien nets, ou d'argent, ou de verre, Et s'en servir à jeun. Mais à votre ennemi Vantez ce bon remède, et persuadez-lui D'en frotter, pour son bien, son front et son visage. Ses yeux vont se couvrir d'un éternel nuage. Faites qu'il se décide à le prendre en boisson : Vous le verrez périr, vomissant son poumon. Cette pierre, dont vient tant d'aise ou de déboire, Tant de biens, tant de maux, de sa couleur est noire. [37] XXXVII. — LA GELACE. La gelace a la forme et l'aspect de la grêle. On ne peut la tailler : elle reste rebelle Au marteau comme au feu, car un brasier ardent La respecte et ne peut l'échauffer seulement. [38] XXXVIII. — L'HEXACONTALITE. Ce nom grec dépeint bien cette pierre charmante. En comptant ses couleurs, on en trouve soixante, Dont son orbe brillant paraît aux yeux chargé. Des autres diamants, c'est comme un abrégé, Car cette pierre rare est toujours fort petite. On, la trouve en Lybie au pays Troglodyte. [39] XXXIX. — LA CHELONITE. C'est un calcul venant de certaine tortue. Ses tons, pourpre ou vairé, réjouissent la vue. Les mages disent que, pour savoir, l'avenir, Dans sa bouche bien nette, il la faudrait tenir. La pierre parlerait, si ce n'est point un leurre, Depuis le point du jour jusqu'à la sixième heure, Tant que l'astre des nuits dans le ciel va croissant. Quand la lune est au plein, le don prophétisant Durerait tout le jour. Au décours, au contraire, C'est dans la nuit, dit-on, que notre gemme éclaire L'anxieux scrutateur des problèmes futurs. La flamme ne peut rien sur des cailloux si durs. [40] XL. — LA PRASE. La prasine pour l'homme est sans utilité, Et n'a d'autre valeur que sa grande beauté. Mais rien, dans ses tons verts, comme elle n'étincelle ; Rien dans un anneau d'or ne s'enchâsse comme elle. Une seconde espèce a des taches de sang, Une autre porte un triple hiéroglyphe blanc. [41] XLI. — LE CRISTAL. Le cristal ne serait autre qu'un bloc de glace, Dont les siècles auraient endurci la surface, Selon quelques savants, notant avec raison, Qu'il a bien tout l'éclat et le froid d'un glaçon. D'autres n'adoptent point cette simple hypothèse, Et leur grand argument pour soutenir leur thèse, C'est que notre cristal est surtout rencontré Aux pays où l'hiver n'a jamais pénétré. Mais il a ce pouvoir, qu'aucun ne lui dénie : Au soleil dérobant sa chaleur infinie, Qu'il enfante la flamme, et pourrait embraser L'objet qu'à ses rayons on voudrait exposer. En poudre, dans du miel, prends-le, bonne nourrice, De la douce liqueur pour que ton sein s'emplisse. [42] XLII. — LA GALACTIDE. Or, ce don d'augmenter le lait dans les mamelles, Précieux talisman des amours maternelles, La galactide l'a dissoute dans du vin, Il faut la prendre à jeun, sitôt après le bain, Ou la porter au col, suspendue à la laine Que l'on vient d'arracher à quelque brebis pleine. On peut s'en bien aider lors d'un accouchement, Mais c'est contre la cuisse, alors, qu'on la suspend. Pour rendre vos brebis laitières admirables, Et pour que le farcin épargne vos étables, Mêlée avec du sel, dissolvez-la dans l'eau, Et, lorsqu'à' l'horizon monte un soleil nouveau, Dans le bercail purgé par vos soins de sa fange, Circulant en tous sens, répandez ce mélange. Cette pierre, d'ailleurs, si l'on croit les anciens, Donnerait, elle seule, à l'homme tous les biens. Mais dans la bouche il faut éviter de la fondre : Vous sentiriez soudain vos pensées se confondre. On la tire du Nil et de l'Achéloüs; Elle a le goût du lait, qu'on doit à ses vertus. [43] XLIII. — L'ORITE. L'orite est noire et ronde. A l'huile rose et pure Mêlée, elle guérit toute grave blessure Qu'un féroce animal, en frappant ou mordant, Peut faire avec ses pieds, ou sa corne, ou sa dent. Si vous l'avez sur vous, marchez sans défiance Des lions et des ours, par le désert immense. Une autre espèce est verte avec quelques points blancs, Qui nous doit préserver de tous cas malfaisants. Une troisième sorte est de beaucoup plus rare, Par ses tristes vertus, par sa forme bizarre; Car elle est tout à fait diverse en ses deux bouts, Dont l'un semble un tampon tout hérissé de clous, Et l'autre s'amoindrit et se termine en lame. Or, de faire avorter elle a le don infâme. [44] XLIV. — L'HYÈNE. Ce précieux caillou vient des yeux de l'hyène. Il était fort prisé de la cabale ancienne. Pour pouvoir faire lire en l'obscur avenir, Dans sa bouche bien pure, il le fallait tenir. [45] XLV. — LA LIPARÉE. On la trouve en Scythie. Auprès d'elle attirés, Accourent du plus loin les gibiers préférés. Heureux, trois fois heureux le chasseur qui la porte : Il n'a besoin pour lui d'engins d'aucune sorte, Ni de limiers ardents. Il suffit que son bras A tuer et tuer ne se fatigue pas. [46] XLVI. — L'ENHYDRE. On en voit égoutter une eau claire et limpide, Comme, si le trop plein d'une source se vide, La naïade apparaît humide de ses pleurs, J'ai vainement cherché dans les savants auteurs Une solution de ce grave problème. Si toute cette eau vient de la pierre elle-même, Qui l'empêche d'user, de fondre entièrement? Et si toute cette eau vient du dehors, comment Chaque goutte entre-t-elle au dedans, repoussée Par la goutte qui sort, incessamment chassée? [47] XLVII. — L'IRIS. Cristal de la mer Rouge et de forme hexagone, Marquant ses qualités par le nom qu'on lui donne; Car, lorsque le soleil vient à le traverser, Des tons de l'arc-en-ciel on le voit s'iriser. [48] XLVIII. — L'ANDRODRAGME. On dirait, à la voir, un dé carré d'argent; Elle a la dureté du plus dur diamant. La mer Rouge en ses flots la roule avec le sable. Selon le Mage, elle a le secret admirable De pouvoir, à l'instant, apaiser et calmer La colère, qu'en nous nous sentons s'allumer. [49] XLIX. — L'OPHTALMITE. C'est un préservatif contre tous les maux d'yeux ; C'est pour les malfaiteurs un secours précieux. Tandis que du larron elle éclaircit la vue, Elle produit une ombre à l'entour répandue; Et celui qui la porte, à ses voisins voilé, Avant d'être aperçu, tout à l'aise a volé. [50] L. — LES PERLES. La perle prend naissance en certain coquillage Que l'on nomme unie dans ce roman langage. Ce nom vient de ce que l'on ne trouve à la fois Dans l'huître qu'une perle, et jamais deux ou trois. Perle, charme des yeux, que l'artiste t'emploie A broder richement le velours et la soie, Qu'il t'enchâsse dans l'or, qu'il t'enfile en collier, De tous les ornements tu seras le premier. A certaines saisons, sur le sable posée, L'huitre bâille au soleil et reçoit la rosée. Chaque goutte s'unit aux autres, et bientôt Se forme et s'arrondit le précieux dépôt. La perle blanche naît des larmes de l'aurore; La brume de la nuit de tons bruns la colore. Plus l'huître est jeune, et plus son produit est parfait; Les vieilles ont un fruit terne, obscur et peu net. Plus le ciel est chargé de rosée abondante, Plus l'huître en boit, et plus la perle s'en augmente Sans que jamais elle ait un poids supérieur A la moitié d'une once. Or, voici par malheur Que dans le ciel en feux éclate le tonnerre : L'huitre, qui s'entrouvrait, à l'instant se resserre; De la conception le mystère, arrêté Par la peur, n'a laissé qu'un produit avorté. L'océan indien abondamment nous donne Les perles que voit naître aussi la mer bretonne. [51] LI. — LA PANTHÈRE. La panthère est partout marbrée. En chaque tache, Chaque ton tour-à-tour se fond ou se détache, Se montrant, à la fois ou par dessins divers, Noir, rouge, ou vert, ou jaune, ou pourpre, ou rose, ou pers. Heureux qui l'aperçoit d'abord que l'aube est née! Il sera triomphant de toute la journée. Chacun de ses desseins au mieux réussira, Et parmi ses rivaux aucun ne le vaincra. On nomme aussi panthère un animal sauvage, Dont les mêmes couleurs teignent l'ardent pelage. Quand son rugissement remplit la profondeur Du désert indien, tout sèche de frayeur; Nul fauve n'oserait affronter sa présence, Le lion même sent chanceler sa puissance. [52] LII. — L'ABSICTE. Il faut vanter l'abside entre les pierres noires Qu'ornent, en les marbrant, de rougeâtres grimoires. Son poids à son volume est très supérieur; Chauffée, elle tiendra sept grands jours sa chaleur. [53] LIII. — LA CHALCOPHONE. La chalcophone tinte ainsi qu'une sonnette. Si, la portant sur vous, vous avez l'âme nette Et le corps pur, bien mieux que les autres chanteurs Votre voix trouvera des accents enchanteurs, Dont l'enrouement jamais ne voilera la gloire. Comme l'absicte aussi, la chalcophone est noire. [54] LIV. — LA MÉLOCHITE. Cette pierre sans prix préserve les enfants Des chutes, des faux pas, de tous les accidents. Outre qu'elle est utile, elle est encore belle : L'émeraude n'est pas plus verdoyante qu'elle. [55] LV. — LA GÉGOLITE. Autre est la gégolite, et rien ne l'enjolive : On dirait, à la voir, le noyau d'une olive. Dissoute et bue, elle a des effets souverains, Pour purger du calcul la vessie et les reins. [56] LVI. — LA PYRITE. Elle a du feu le nom et la fauve couleur ; Elle en conserve aussi la perfide chaleur. Il faut, d'un doigt léger, la prendre avec adresse; Elle brûle la main qui lourdement la presse. [57] LVII. — LA DIACODE. Dans une eau fatidique, ainsi qu'en un miroir, La diacode, dit-on, saura vous faire voir, Si vous interrogez les mondes invisibles, Les ombres, les démons, sous des formes terribles. Nulle autre pierre n'a ce pouvoir sans égal, Pour évoquer les morts. Mais si, par cas fatal, Elle vient à toucher un corps privé de vie, Sa force, sa vertu pour jamais est ravie : Car, étant sainte, elle a les corps morts en horreur. Elle offre du béryl la forme et la couleur. [58] LVIII. — LA DENYSE. Elle est noire, de points rouges toute semée. Dissolvez-la dans l'eau : l'eau devient parfumée Et prend le fin bouquet des vins du plus haut prix. Or, cette eau rend à soi le buveur qu'a surpris L'ivresse. D'où l'on voit ce prodige bizarre, Et tout surnaturel : notre pierre répare Les désordres causés par le vin, et pourtant Elle donne à l'eau pure un parfum enivrant. [59] LIX. — LA CHRYSELECTRE. Elle est, pour la couleur, à l'électrum semblable. Le matin, pour la voir, est l'heure favorable, Car sitôt que le jour incline vers la nuit, Le charme disparaît, l'éclat s'évanouit. S'embrasant aussitôt qu'à la flamme on l'applique, Aucun corps n'est au feu comme elle sympathique. [60] LX. — LA CHRISOPACE. Le sol éthiopien l'engendre et la produit. C'est véritablement la pierre de la nuit. Lorsque sur l'horizon, le soir étend son voile, Son disque étincelant brille comme une étoile. Tandis que le soleil lui tire tout éclat, Et qu'elle semble, au jour, un lingot brut d'or mat, Ainsi, par un miracle à tout ordre contraire, Le jour clair l'assombrit, la nuit sombre l'éclairé. [61] ÉPILOGUE. L'ANNEAU. Dans un cercle de fer, forgé par Prométhée, Une pierre, dit-on, fut d'abord adaptée : Simple caillou brillant, sur le Caucase né, Simple morceau de fer pour le doigt contourné, C'est le premier anneau, la bague primitive. Mais de l'âge qui suit, l'habile audace arrive A dompter, à ployer les métaux précieux. Les pierres, dont l'éclat éblouira les yeux, Remplacent le caillou. Puis vient l'art, qui décore La pierre et le métal, les enrichit encore. Ainsi trois fois plus cher, et triplement nouveau, L'or, et la gemme, et l'art, font le moderne anneau. Mais sur terre il n'est rien dont la fraude n'abuse, Pour singer la nature on a plus d'une ruse. Qui saura discerner? ici la vérité? Le diamant en verre est si bien imité ! Que, déçu trop souvent par cette ressemblance, Des gemmes on en vient à nier la puissance. Erreur! la gemme a bien les pouvoirs que j'ai dits, Mais vraie et consacrée aux termes des vieux rits. Si les gemmes ont pris ce nom dont on les nomme, C'est que leur transparence est celle de la gomme; Mais il en est plusieurs, opaques, aux tons mats, Auxquelles, par le fait, ce nom ne convient pas. Aussi, pour n'employer aucun terme contraire, Au sujet dont j'écris, j'appelle Lapidaire Ce livre, par mes soins aux pierres consacré. Mais mon sujet est vaste autant qu'il est sacré; J'ai dû choisir parmi ces gemmes que l'on vante, Et je m'arrête enfin au chapitre soixante.